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19 MAR, SAINT JOSEPH (s) EXHORTATION APOSTOLIQUE « REDEMPTORIS CUSTOS » (JEAN PAUL II)

18 mars, 2010

du site:

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_exhortations/documents/hf_jp-ii_exh_15081989_redemptoris-custos_fr.html

EXHORTATION APOSTOLIQUE
REDEMPTORIS CUSTOS
DE SA SAINTETÉ JEAN-PAUL II
SUR LA FIGURE ET LA MISSION
DE SAINT JOSEPH
DANS LA VIE DU CHRIST
ET DE L’ÉGLISE

Aux évêques
Aux prêtres et aux diacres
Aux religieux et religieuses
A tous les fidèles laïcs

INTRODUCTION

1. Appelé à veiller sur le Rédempteur, «Joseph fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse » (Mt 1, 24).

Dès les premiers siècles, les Pères de l’Eglise, s’inspirant de l’Evangile, ont bien montré que; de même que saint Joseph a pris un soin affectueux de Marie et s’est consacré avec joie à l’éducation de Jésus Christ (1), de même il est le gardien et le protecteur de son Corps mystique, l’Eglise, dont la Vierge sainte est la figure et le modèle.

En ce centenaire de la publication de l’encyclique Quamquam pluries du pape Léon XIII (2) et dans la ligne de la vénération multi-séculaire pour saint Joseph, je désire proposer à votre méditation, chers Frères et Soeurs, quelques réflexions sur celui à qui Dieu « confia la garde de ses trésors les plus précieux » (3). C’est avec joie que j’accomplis ce devoir pastoral afin que grandissent en tous la dévotion envers le Patron de l’Eglise universelle et l’amour pour le Rédempteur qu’il a servi de façon exemplaire.

Ainsi, non seulement le peuple chrétien tout entier recourra avec plus de ferveur à saint Joseph et invoquera avec confiance son patronage, mais il aura toujours sous les yeux sa manière humble et sage de servir et de « participer » à l’économie du salut.(4)

J’estime en effet qu’une réflexion renouvelée sur la participation de l’Epoux de Marie au mystère divin permettra à l’Eglise, en marche vers l’avenir avec toute l’humanité, de retrouver sans cesse son identité dans le cadre du dessein rédempteur, qui a son fondement dans le mystère de l’Incarnation.

Joseph de Nazareth a précisément « participé » à ce mystère plus qu’aucune autre personne en dehors de Marie, la Mère du Verbe incarné. Il y a participé avec elle, entraîne dans la réalité du même événement salvifique, et il a été le dépositaire du même amour, par la puissance duquel le Père éternel « nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ » (Ep 1, 5).

I
LE CONTEXTE ÉVANGÉLIQUE

Le mariage avec Marie

2. « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 20-21).

Ces paroles contiennent le noyau central de la vérité biblique sur saint Joseph, sur le moment de son existence auquel se référent en particulier les Pères de l’Eglise.

L’évangéliste Matthieu explique la signification de ce moment, en précisant comment Joseph l’a vécu. Mais pour comprendre pleinement son contenu et son contexte, il est important d’avoir présent à l’esprit le passage parallèle de l’Evangile de Luc. En effet, en référence au verset qui dit « Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint » (Mt 1, 18), l’origine de la maternité de Marie « par le fait de l’Esprit Saint » est décrite de façon plus détaillée et plus explicite dans ce que nous lisons en Luc à propos de l’annonce de la naissance de Jésus: « L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David; cette jeune fille s’appelait Marie» (Lc 1, 26-27). Les paroles de l’ange: « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (Lc 1, 28) provoquèrent un trouble intérieur en Marie et l’amenèrent aussi à réfléchir. Le messager tranquillise alors la Vierge et en même temps lui révèle le dessein spécial de Dieu sur elle: « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père » (Lc 1, 30-32).

Peu auparavant, l’évangéliste avait affirmé qu’au moment de l’Annonciation, Marie était « accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David ». La nature de ce « mariage » est expliquée indirectement lorsque Marie, après avoir entendu ce que le messager avait dit de la naissance d’un fils, demande: « Comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge » (Lc 1, 34). Alors lui parvient cette réponse: « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35). Marie, tout en étant déjà « mariée » avec Joseph, restera vierge, car l’enfant conçu en elle dés l’Annonciation était conçu par le fait de l’Esprit Saint.

Sur ce point, le texte de Luc coïncide avec celui de Matthieu 1, 18 et sert à expliquer ce que nous y lisons. Si, après le mariage avec Joseph, Marie « se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint », ce fait correspond à tout ce que comporte l’Annonciation, en particulier aux. dernières paroles prononcées par Marie: « Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit (Lc 1, 38). Répondant au clair dessein de Dieu, Marie, au fur et à mesure que s’écoulent les jours et les semaines, se présente devant les gens et devant Joseph comme « enceinte », comme celle qui doit enfanter et qui porte en elle le mystère de la maternité.

3. En de telles circonstances, « Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier secrètement » (Mt 1, 19). Il ne savait pas quelle attitude adopter devant cette « étonnante » maternité de Marie. Il cherchait évidemment une réponse à la question qui l’inquiétait, mais surtout il cherchait une issue à cette situation difficile pour lui. Alors qu’il « avait formé ce projet, voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés» » (Mt 1, 20-21).

Il y a une analogie étroite entre « l’annonciation » du texte de Matthieu et celle du texte de Luc. Le messager divin introduit Joseph dans le mystère de la maternité de Marie. Celle qui est son « épouse » selon la loi, tout en restant vierge, est devenue mère par le fait de l’Esprit Saint. Et quand le Fils que Marie porte en son sein viendra au monde, il devra recevoir le nom de Jésus. C’était là un nom connu parmi les Israélites, et on le donnait parfois aux enfants. Mais ici il s’agit du Fils qui – selon la promesse divine – accomplira pleinement la signification de ce nom: Jésus, Yehošua’, qui veut dire Dieu sauve.

Le messager s’adresse à Joseph en tant qu’ « époux de Marie », celui qui, le moment venu, devra donner ce nom au Fils qui naîtra de la Vierge de Nazareth qui l’a épousé. Il s’adresse donc à Joseph en lui confiant les devoirs d’un Père terrestre à l’égard du Fils de Marie. « A son réveil, Joseph fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse » (Mt 1, 24). Il la prit avec tout le mystère de sa maternité, il la prit avec le Fils qui devait venir au monde par le fait de l’Esprit Saint: il manifesta ainsi une disponibilité de volonté semblable à celle de Marie à l’égard de ce que Dieu lui demandait par son messager.

II
LE DÉPOSITAIRE DU MYSTÈRE DE DIEU

4. Lorsque Marie, peu après l’Annonciation, se rendit dans la maison de Zacharie pour rendre visite à sa parente Elisabeth, elle entendit, au moment où elle la saluait, les paroles prononcées par Elisabeth « remplie de l’Esprit Saint » (Lc 1, 41). Après la parole qui rejoignait la salutation de l’Ange de l’Annonciation, Elisabeth dit: « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45). Ces paroles ont été le fil conducteur de l’encyclique Redemptoris Mater par laquelle j’ai voulu approfondir l’enseignement du Concile Vatican II qui déclare: « La bienheureuse Vierge avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la Croix », (5) « précédant » (6) tous ceux qui, par la foi, suivent le Christ.

Or, au début de ce pèlerinage, la foi de Marie rencontre la foi de Joseph. Si Elisabeth a dit de la Mère du Rédempteur: « Bienheureuse celle qui a cru », on peut en un sens attribuer aussi cette béatitude à Joseph, car il a répondu affirmativement à la Parole de Dieu quand elle lui a été transmise en ce moment décisif. Joseph, il est vrai, n’a pas répondu à l’ « annonce » de l’Ange comme Marie, mais il « fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui šon épouse ». Ce qu’il fit est pure « obéissance de la foi » (cf. Rm 1, 5; 16, 26; 2 Co 10, 5-6).

On peut dire que ce que fit Joseph l’unit d’une manière toute spéciale à la foi de Marie: il accepta comme une vérité venant de Dieu ce qu’ elle avait déjà accepté lors de l’Annonciation. Le Concile dit: « A Dieu qui révèle est due «l’obéissance de la foi» par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu dans «un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle» et dans un assentiment volontaire à la révélation qu’il fait ». (7) Cette phrase, qui touche à l’essence même de la foi, s’applique parfaitement à Joseph de Nazareth.

5. Il devint donc d’une façon singulière le dépositaire du mystère « tenu caché depuis les siècles en Dieu » (cf. Ep 3, 9), de même que Marie le devint, en ce moment décisif appelé par l’Apôtre « la plénitude du temps », lorsque « Dieu envoya son Fils, ne d’une femme », afin de « racheter les sujets de la Loi », pour « leur conférer l’adoption filiale » (cf. Ga 4, 4-5). « Il a plu à Dieu – dit le Concile – dans sa sagesse et sa bonté de se révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep 1, 9) grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint auprès du Père et sont rendus participants de la nature divine (cf. Ep 2, 18; 2 P 1, 4) ». (8)

Joseph est, avec Marie, le premier dépositaire de ce mystère divin. En même temps que Marie – et aussi en rapport avec Marie – il participe à la phase culminante de cette révélation que Dieu fait de lui-même dans le Christ, et il y participe dès le premier commencement. En ayant devant les yeux le texte des deux évangélistes Matthieu et Luc on peut dire également que Joseph est le premier à participer à la foi de la Mère de Dieu, et qu’ainsi il soutient son épouse dans la foi à l’Annonciation divine. Il est aussi celui qui est plan le premier par Dieu sur le chemin du « pèlerinage de foi » sur lequel Marie – surtout à partir du Calvaire et de la Pentecôte – sera la première d’une manière parfaite. (9)

6. Le chemin personnel de Joseph, son pèlerinage de foi se conclura le premier, c’est-à-dire avant que Marie ne se tienne au pied de la Croix sur le Golgotha et avant que, le Christ étant retourné vers son Père, elle ne se retrouve au Cénacle de la Pentecôte le jour où fut manifestée au monde l’Eglise, née de la puissance de l’Esprit de vérité. Cependant, le chemin de foi de Joseph suit la même direction, il reste totalement déterminé par le même mystère dont il était, avec, Marie, devenu le premier dépositaire. L’Incarnation et la Rédemption constituent une unité organique et indissoluble dans laquelle « l’économie de la Révélation comprend des événements et des paroles intimement unis entre eux. » (10) En raison de cette unité précisément, le Pape Jean XXIII, qui avait une grande dévotion envers saint Joseph, décida que dans le canon romain de la messe, mémorial perpétuel de la Rédemption, son nom serait ajouté à cote de celui de Marie, avant les Apôtres, les Souverains Pontifes et les Martyrs. (11)

Le service de la paternité

7. Comme il résulte des textes évangéliques, le mariage de Marie est le fondement juridique de la paternité de Joseph. C’est pour assurer une présence paternelle auprès de Jésus que Dieu choisit Joseph comme époux de Marie. Il s’ensuit que la paternité de Joseph – relation qui le place le plus près possible du Christ, fin de toute élection et de toute prédestination (cf. Rm 8, 28-29) – passe par le mariage avec Marie, c’est-à-dire par la famille.

Tout en affirmant clairement que Jésus a été conçu par le fait de l’Esprit Saint et que dans ce mariage la virginité a été préservée (cf. Mt 1. 18-25; Lc 1, 26-38), les évangélistes appellent Joseph l’époux de Marie et Marie l’épouse de Joseph (cf. Mt 1, 16. 18-20. 24; Lc 1, 27; 2, 5).

Pour l’Eglise aussi, s’il est important de proclamer la conception virginale de Jésus, il est non moins important de défendre le mariage de Marie avec Joseph car, juridiquement, c’est de lui que dépend la paternité de Joseph. On comprend alors pourquoi les générations ont été énumérées selon la généalogie de Joseph: « Pourquoi – se demande saint Augustin – n’auraient-elles pas dû être celles de Joseph? Joseph n’était-il pas l’époux de Marie? [...] L’Ecriture affirme, par la voix autorisée de l’Ange, qu’il était son époux. Ne crains pas, dit-il, de prendre chez toi Marie, ton Épouse.- ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint. Il reçoit l’ordre de donner à l’enfant son nom, bien qu’il ne soit pas né de lui. Elle enfantera un fils, dit-il, auquel tu donneras le nom de Jésus. L’Ecriture sait bien que Jésus n’est pas né de Joseph, puisque, alors qu’il était préoccupé au sujet de l’origine de la maternité de Marie, il lui est dit: cela vient de l’Esprit Saint. Et pourtant, l’autorité paternelle ne lui est pas enlevée puisqu’il lui est ordonné de donner à l’enfant son nom. Enfin, la Vierge Marie elle-même, qui a bien conscience de ne pas avoir conçu le Christ par l’union conjugale avec lui, l’appelle cependant père du Christ. » (12) Le fils de Marie est aussi fils de Joseph en vertu du lien matrimonial qui les unit: « En raison de ce mariage fidèle, ils méritèrent tous les deux d’être appelés les parents du Christ, non seulement elle, d’être appelée sa mère, mais lui aussi, d’être appelé son père, de même qu’époux de sa mère, car il était l’un et l’autre par l’esprit et non par la chair. » (13) Dans ce mariage, il ne manqua rien de ce qui était nécessaire pour le constituer: « En ces père et mère du Christ se sont réalisés tous les biens du mariage: la progéniture, la fidélité, le sacrement. Nous connaissons la progéniture, qui est le Seigneur Jésus lui-même; la fidélité, car il n’y a aucun adultère; le sacrement, car il n’y a aucun divorce. » (14)

Quand ils analysent la nature du mariage, saint Augustin comme saint Thomas considèrent constamment qu’elle réside dans l’ « union indivisible des esprits », dans l’ « union des coeurs », dans le « consentement » (15), tous éléments qui se sont manifestés d’une manière exemplaire dans ce mariage. Au point culminant de l’histoire du salut, quand Dieu révèle son amour pour l’humanité par le don du Verbe, c’est précisément le mariage de Marie et de Joseph qui réalise en pleine « liberté » le « don sponsal de soi » en accueillant et en exprimant un tel amour. (16) « Dans cette grande entreprise du renouvellement de toutes choses dans le Christ, le mariage, lui aussi purifié et renouvelé, devient une réalité nouvelle, un sacrement de la Nouvelle Alliance. Et voici qu’au seuil du Nouveau Testament comme à l’entrée de l’Ancien se dresse un couple. Mais, tandis que celui d’Adam et Eve fut la source du mal qui a déferlé sur le monde, celui de Joseph et de Marie est le sommet d’où la sainteté se répand sur toute la terre. Le Sauveur a commencé l’oeuvre du salut par cette union virginale et sainte où se manifeste sa toute-puissante volonté de purifier et sanctifier la famille, ce sanctuaire de l’amour et ce berceau de vie. » (17)

Que d’enseignements en découlent aujourd’hui pour la famille! Puisque, « en définitive, l’essence de la famille et ses devoirs sont définis par l’amour » et que « la famille reçoit la mission de garder, de révéler et de communiquer l’amour, reflet vivant et participation réelle de l’amour de Dieu pour l’humanité et de l’amour du Christ Seigneur pour l’Eglise son Epouse » (18) c’est dans la sainte Famille, cette « Eglise en miniature » (19) par excellence, que toutes les familles chrétiennes doivent trouver leur reflet. En elle, en effet, « par un mystérieux dessein de Dieu, le Fils de Dieu a vécu caché durant de longues années. Elle est donc le prototype et l’exemple de toutes les familles chrétiennes. » (20)

8. Saint Joseph a été appelé par Dieu à servir directement la personne et la mission de Jésus en exerçant sa paternité c’est bien de cette manière qu’il coopère dans la plénitude du temps au grand mystère de la Rédemption et qu’il est véritablement « ministre du salut » (21}. Sa paternité s’est exprimée concrètement dans le fait « d’avoir fait de sa vie un service, un sacrifice au mystère de l’Incarnation et à la mission rédemptrice qui lui est liée; d’avoir usé de l’autorité légale qui lui revenait sur la sainte Famille, pour lui faire le don total de lui-même, de sa vie, de son travail; d’avoir converti sa vocation humaine à l’amour familial en une oblation surnaturelle de lui-même, de son coeur et de toutes ses forces à l’amour mis au service du Messie qui naquit dans sa maison. » (22)

La liturgie rappelle qu’ « à saint Joseph a été confiée la garde des mystères du salut à l’aube des temps nouveaux »(23), et elle précise qu’ « il fut le serviteur fidèle et prudent à qui Dieu confia la sainte Famille pour qu’il veille comme un père sur son Fils unique. »(24) Léon XIII souligne la sublimité de cette mission: « Joseph brille entre tous par la plus auguste dignité, parce qu’il a été, de par la volonté divine, le gardien du Fils de Dieu, regardé par les hommes comme son père. D’où il résultait que le Verbe de Dieu était humblement soumis à Joseph, qu’il lui obéissait et qu’il lui rendait tous les devoirs que les enfants sont obligés de rendre à leurs parents. »(25)

Il serait inconcevable qu’à une tâche aussi élevée ne correspondent pas les qualités voulues pour bien l’accomplir. Il convient donc de reconnaître que Joseph eut à l’égard de Jésus, « par un don spécial du ciel, tout l’amour naturel, toute l’affectueuse sollicitude que peut connaître un coeur de père. »(26)

En même, temps que la puissance paternelle sur Jésus, Dieu a aussi accordé à Joseph l’amour correspondant, cet amour qui a sa source dans le Père, « de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom. » (Ep 3, 15).

Dans les Evangiles est clairement décrite la tâche de père qui est celle de Joseph à l’égard de Jésus. En effet, le salut, qui passe par l’humanité de Jésus, se réalise dans des gestes qui font partie de la vie familiale quotidienne, en respectant l’ « abaissement » inhérent à l’économie de l’Incarnation. Les évangélistes sont très attentifs à montrer que, dans la vie de Jésus, rien n’a été laissé au hasard et que tout s’est déroulé selon un plan divin préétabli. La formule souvent répétée: « Cela advint pour que s’accomplit… » et la référence de l’événement décrit à un texte de l’Ancien Testament tendent à souligner l’unité et la continuité du projet, qui atteint son accomplissement dans le Christ.

Par l’Incarnation, les « promesses » et les « figures » de l’Ancien Testament deviennent des « réalités »: les lieux, les personnes, les événements et les rites s’entremêlent selon des ordres divins précis, transmis par le ministère des anges et reçus par des créatures particulièrement sensibles à la voix de Dieu. Marie est l’humble servante du Seigneur, préparée de toute éternité à la mission d’être Mère de Dieu; Joseph est celui que Dieu a choisi pour être « l’ordonnateur de la naissance du Seigneur » (27), celui qui a la charge de pourvoir à l’entrée « dans l’ordre » du Fils de Dieu dans le monde, en respectant les dispositions divines et les lois humaines. Toute la vie « privée » ou « cachée » de Jésus est confiée à sa garde.

Le recensement

9. En se rendant à Bethléem pour le recensement, conformément aux ordres de l’autorité légitime, Joseph accomplit à l’égard de l’enfant la tache importante et significative d’inscrire officiellement le nom de « Jésus, fils de Joseph de Nazareth » (cf. Jn 1,45) à l’état civil de l’empire. Cette inscription manifeste clairement l’appartenance de Jésus au genre humain, comme homme parmi les hommes, citoyen de ce monde, sujet de la loi et des institutions civiles, mais aussi « sauveur du mode. » Origène décrit bien la signification théologique inhérente à ce fait historique, qui est loin d’être marginal: « A quoi me sert ce récit qui raconte à la fois «le premier recensement» de l’univers entier au temps de l’empereur César Auguste, le voyage de «Joseph, accompagné de Marie son épouse enceinte», allant, au milieu de tout le monde se faire inscrire lui aussi sur les listes du cens et la venue au monde de Jésus, avant la fin du recensement? Pour qui y regarde de plus prés, ces événements sont le signe d’un mystère: il a fallu que le Christ aussi fut recensé dans ce dénombrement de l’univers, parce qu’il voulait être inscrit avec tous pour sanctifier tous les hommes, et être mentionné sur le registre avec le monde entier pour offrir à l’univers de vivre en communion avec lui; il voulait, après ce recensement, recenser tous les hommes avec lui sur «le livre des vivants», et tous ceux qui auront cru en lui les «inscrire dans les cieux» avec les saints de Celui «a qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.» (28) »

La naissance à Bethléem

10. Dépositaire du mystère « caché depuis les siècles en Dieu » et qui commence à se réaliser à ses yeux lorsque vient « la plénitude du temps », Joseph est avec Marie, en la nuit de Bethléem, le témoin privilégié de la venue au monde du Fils de Dieu. Ainsi s’exprime saint Luc: « Or il advint, comme ils étaient là, que les jours furent accomplis où elle devait enfanter. Elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’ils manquaient de place dans la salle» (Lc 2, 6-7). Joseph fut le témoin oculaire de cette naissance, survenue dans des conditions humainement humiliantes, première annonce du « dépouillement » (cf. Ph 2, 5-8) auquel le Christ consent librement pour la rémission des péchés. En même temps, il fut le témoin de l’adoration des bergers, arrivés sur le lieu de la naissance de Jésus après que l’ange leur eut porté cette grande et heureuse nouvelle (cf. Lc 2, 15-16); plus tard, il fut aussi le témoin de l’hommage rendu par les Mages venus de l’Orient (cf. Mt 2, 11).

La circoncision

11. La circoncision d’un fils était le premier devoir religieux du père: par ce rite (cf. Lc 2, 21), Joseph exerce son droit et son devoir à l’égard de Jésus. Le principe selon lequel tous les rites de l’Ancien Testament ne sont que l’ombre de la réalité (cf. He 9, 9-10; 10, 1) fait comprendre pourquoi Jésus les accepte. Comme pour les autres rites, celui de la circoncision trouve en Jésus son « accomplissement. » L’alliance de Dieu avec Abraham, dont la circoncision était le signe (cf. Gn 17, 13), atteint en Jésus son plein effet et sa réalisation parfaite, car Jésus est le « oui » de toutes les anciennes promesses (cf. 2 Co 1, 20).

L’imposition du nom

12. A l’occasion de la circoncision, Joseph donne à l’enfant le nom de Jésus. Ce nom est le seul nom dans lequel se trouve le salut (cf. Ac 4, 12); et sa signification avait été révélée à Joseph au moment de son « annonciation »: « Tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera le peuple de ses péchés » (Mt 1, 21). En lui donnant son nom, Joseph manifeste sa paternité légale à l’égard de Jésus et, en prononçant ce nom, il proclame la mission de sauveur qui est celle de l’enfant.

La présentation de Jésus au Temple

13. Ce rite, rapporté par Luc (2, 22 ss.), comprend le rachat du premier-né et éclaire le futur épisode de Jésus resté au Temple à l’âge de douze ans.
Le rachat du premier-né est un autre devoir du père, que Joseph accomplit. Le premier-né représentait le peuple de l’Alliance, racheté de l’esclavage pour appartenir à Dieu. Sur ce plan aussi, non seulement Jésus, qui est le véritable « prix » du rachat (cf. 1 Co 6, 20; 7, 23; 1 P 1, 19), « accomplit » le rite de l’Ancien Testament, mais il le dépasse en même temps; en effet, il n’est pas un sujet de rachat mais l’auteur même du rachat.
L’évangéliste note que « son père et sa mère étaient dans l’étonnement de ce qui se disait de lui » (Lc 2, 33), et en particulier de ce que dit Symeon dans son cantique adressé à Dieu, où i1 présente Jésus comme le « salut préparé par Dieu à la face de tous les peuples », « lumière pour éclairer les nations et gloire de son peuple Israël », et aussi, un peu plus loin, « signe en butte à la contradiction » (cf. Lc 2, 30-34).

La fuite en Égypte

14. Après la présentation au Temple, l’évangéliste Luc note: « Quand ils eurent accompli tout ce qui était conforme à la Loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville. Cependant l’enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui. » (Lc 2, 39-40.) Mais, selon le texte de Matthieu, avant ce retour en Galilée il faut placer un événement très important, pour lequel la divine Providence recourt encore à Joseph: « Après leur départ [des Mages], voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte; et restes- y jusqu’à ce que je te dise. Car Herode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » (Mt 2, 13) Lorsque les Mages étaient venus de l’Orient, Herode avait appris la naissance du « roi des juifs » (Mt 2, 2). Et quand les Mages s’en allèrent, il « envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans » (Mt 2, 16). Ainsi, en les tuant tous, il voulait tuer ce nouveau-né, « roi des juifs », dont il avait entendu parler durant la visite des Mages à sa cour. Alors Joseph, après avoir entendu l’avertissement en songe, « prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte; et il resta la jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur: « D’Égypte j’ai appelé mon fils. » (Mt 2, 1415; cf. Os 11, 1). La route du retour de Jésus de Bethléem à Nazareth passa donc par l’Égypte. De même qu’Israël avait, « de l’état d’esclavage », pris le chemin de l’exode pour commencer l’Ancienne Alliance, de même Joseph, dépositaire et coopérateur du mystère providentiel de Dieu, veille aussi en exil sur celui qui réalise la Nouvelle Alliance. La présence de jésus au Temple 15. Dés l’Annonciation, Joseph, en un sens, se trouva avec Marie au centre du mystère caché depuis les siècles en Dieu et qui avait pris chair: « Le Verbe s est fait chair et il a habité parmi nous » Un 1, 14). Il a habité parmi les hommes, et le lieu de sa présence a été la sainte Famille de Nazareth, l’une des nombreuses familles de cette petite ville de Galilée, l’une des nombreuses familles de la terre d’Israël. La, Jésus grandissait, il « se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui » (Lc 2, 40). Les Évangiles résument en peu de mots la longue période de la vie « cachée » pendant laquelle Jésus se prépare à sa mission messianique. Un seul moment est soustrait à cette « discrétion » et il est décrit par 1′Evangile de Luc: la Pâque de Jérusalem, lorsque Jésus avait douze ans. Jésus participa à cette fête comme jeune pèlerin, avec Marie et Joseph. Et voici que, « une fois les jours de la fête écoulés, alors qu’ils s’en retournaient, l’enfant Jésus reste à Jérusalem à l’insu de ses parents » (Lc 2, 43). Au bout d’un jour, ils se rendirent compte de son absence et commencèrent à le rechercher « parmi leurs parents et connaissances »: « Et il advint, au bout de trois jours, qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant; et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. » (Lc 2, 46-47.) Marie lui demande: « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela? Vois! Ton père et moi, nous te cherchons, angoissés. » (Lc 2, 48.) Jésus leur fit une telle réponse qu’ « ils ne comprirent pas sa parole ». Il avait dit: « Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père? » (Lc 2, 4950.) Cette réponse fut entendue de Joseph, dont Marie venait de dire « ton père ». Tout le monde, en effet, disait et pensait que Jésus « était, à ce qu’on croyait, fils de Joseph » (Lc 3, 23). La réponse de Jésus au Temple n’en devait pas moins raviver dans la conscience du « père présumé » ce qu’il avait entendu une nuit, douze ans plus tôt: « Joseph…, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit-Saint. » Dés lors, il savait qu’il était le dépositaire du mystère de Dieu, et jésus, à douze ans, évoqua précisément ce mystère: « Je dois être dans la maison de mon Père. » La subsistance et l’éducation de jésus à Nazareth 16. La croissance de Jésus « en sagesse, en taille et en grâce » (Lc 2, 52) s’accomplit dans le cadre de la sainte famille, sous les yeux de Joseph qui avait la haute tâche d’ « élever », c’est-à-dire de nourrir Jésus, de le vêtir et de lui apprendre la Loi et un métier, conformément aux devoirs qui reviennent au père. Dans le sacrifice eucharistique, l’Église vénère la mémoire de la bienheureuse Marie toujours Vierge, mais aussi de saint Joseph (29) car «il a nourri Celui que les fidèles devaient manger comme Pain de la vie éternelle (30) ». Pour sa part, Jésus « leur était soumis » (Lc 2, 51), payant respectueusement de retour les attentions de ses « parents ». Ainsi voulait-il sanctifier les devoirs de la famille et du travail qu’il exécutait aux cotes de Joseph.

III
L’HOMME JUSTE – L’ÉPOUX

17. Au cours de sa vie, qui fut un pèlerinage dans la foi, Joseph, comme Marie, resta jusqu’au bout fidèle à l’appel de Dieu. La vie de Marie consista à accomplir à fond le premier fiat prononcé au moment de l’Annonciation, tandis que Joseph, comme on 1′a dit, ne proféra aucune parole lors de son « annonciation »: il « fit » simplement « ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit » (Mt 1, 24). Et ce premier « il fit » devint le commencement du « chemin de Joseph ». Le long de ce chemin, les Évangiles ne mentionnent aucune parole dite par lui. Mais le silence de Joseph a une portée particulière: grâce à lui, on peut saisir pleinement la vérité contenue dans le jugement que l’Évangile émet sur Joseph: le « juste » (Mt 1, 19). Il faut savoir lire cette vérité car en elle est contenu l’un des témoignages les plus importants sur l’homme et sur sa vocation. Au cours des générations, l’Église lit ce témoignage d’une manière toujours plus attentive et plus consciente, comme si elle tirait du trésor de cette figure insigne « du neuf et du vieux » (Mt 13, 52). 18. L’homme « juste » de Nazareth possède avant tout les caractéristiques très claires de l’époux. L’évangéliste parle de Marie comme d’ « une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph » (Lc 1, 27). Avant que commence à s’accomplir « le mystère caché depuis des siècles en Dieu » (Ep 3, 9), les Évangiles présentent à nos yeux l’image de l’époux et de l’épouse. Selon la coutume du peuple hébreu, le mariage se concluait en deux étapes: on célébrait d’abord le mariage légal (vrai mariage), et c’est seulement après un certain temps que l’époux faisait venir l’épouse chez lui. Avant de vivre avec Marie, Joseph était donc déjà son « époux »; toutefois, Marie gardait au fond d’elle-même le désir de réserver exclusivement à Dieu le don total de soi. On pourrait se demander de quelle manière ce désir se conciliait avec le « mariage ». La réponse ne vient que du déroulement des événements du salut, c’est-à-dire de l’action spéciale de Dieu même. Depuis l’Annonciation, Marie sait qu elle doit réaliser son désir virginal de se donner à Dieu de façon exclusive et totale précisément en devenant mère du Fils de Dieu. La maternité par le fait de l’Esprit-Saint est la forme de don que Dieu lui-même attend de la Vierge « accordée en mariage» à Joseph. Marie prononce son fiat. Le fait qu’elle est « accordée en mariage » à Joseph est compris dans le dessein même de Dieu. C’est ce qu’indiquent les deux évangélistes cités, mais plus particulièrement Matthieu. Les paroles adressées à Joseph sont très significatives: « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit-Saint. » (Mt 1, 20.) Elles expliquent le mystère de l’épouse de Joseph: Marie est vierge dans sa maternité. En elle, « le Fils du Très-Haut » prend un corps humain et devient « le Fils de l’homme ». En s adressant à Joseph par les paroles de l’Ange, Dieu s’adresse à lui comme a l’époux de la Vierge de Nazareth. Ce qui s’est accompli en elle par le fait de l’Esprit- Saint exprime en même temps une particulière confirmation du lien sponsal qui préexistait déjà entre Joseph et Marie. Le messager dit clairement à Joseph: « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse. » Ainsi, ce qui était advenu auparavant – son mariage avec Marie – s’était fait par la volonté de Dieu et devait donc être conservé. Dans sa maternité divine, Marie doit continuer à vivre comme « une vierge, épouse d’un mari » (cf. Lc 1, 27). 19. Dans les paroles de 1′ « annonciation » nocturne, non seulement Joseph entend la vérité divine sur la vocation ineffable de son épouse, mais il y reentend aussi la vérité sur sa propre vocation. Cet homme « juste », qui, dans l’esprit des plus nobles traditions du peuple élu, aimait la Vierge de Nazareth et s’était lié à elle d’un amour sponsal, est à nouveau appelé par Dieu à cet amour. « Joseph fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse »; ce qui est engendré en elle « vient de l’Esprit-Saint »: ne faut-il pas conclure, devant ces expressions, que son amour d’homme est, lui aussi, régénéré par l’Esprit-Saint? Ne faut-i1 pas penser que l’amour de Dieu, qui a été répandu dans le coeur de l’homme par le Saint-Esprit (cf. Rm 5, 5), façonne de la manière la plus parfaite tout amour humain? Il façonne aussi – et d’une façon tout à fait singulière – l’amour sponsal des époux, et il approfondit en lui tout ce qui est humainement digne et beau, ce qui porte les signes de l’abandon exclusif de soi, de l’alliance des personnes et de la communion authentique du Mystère trinitaire. « Joseph… prit chez lui son épouse mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eut enfanté un fils. » (Mt 1, 24-25.) Ces paroles indiquent une autre proximité sponsale. La profondeur de cette intimité, l’intensité spirituelle de l’union et du contact entre personnes – de l’homme et de la femme proviennent en définitive de l’Esprit, qui vivifie (cf. Jn 6, 63). Joseph, obéissant à l’Esprit, retrouva précisément en lui la source de l’amour, de son amour sponsal d’homme, et cet amour fut plus grand que ce que « l’homme juste » pouvait attendre selon la mesure de son coeur humain. 20. Dans la liturgie, Marie est célébrée comme « unie à Joseph, homme juste, par les liens d’un amour sponsal et virginal (31) ». Il s’agit en effet de deux amours qui représentent ensemble le mystère de l’Église, vierge et épouse, dont le mariage de Marie et de Joseph est le symbole. « La virginité et le célibat pour le Royaume de Dieu ne diminuent en rien la dignité du mariage, au contraire ils la présupposent et la confirment. Le mariage et la virginité sont les deux manières d’exprimer et de vivre l’unique mystère de l’Alliance de Dieu avec son peuple (32) », qui est la communion d’amour entre Dieu et les hommes. Par le sacrifice total de soi, Joseph exprime son amour généreux pour la Mère de Dieu, lui faisant le « don sponsal de lui-même ». Bien que décidé à se retirer pour ne pas faire obstacle au plan de Dieu qui était en train de se réaliser en elle, sur l’ordre exprès de l’Ange, il la garde chez lui et respecte son appartenance exclusive à Dieu. D’autre part, c’est de son mariage avec Marie que sont venus à Joseph sa dignité unique et ses droits sur Jésus. « Certes, la dignité de la Mère de Dieu est si haute qu’il ne peut être créé rien au-dessus. Mais, comme Joseph a été uni à la bienheureuse Vierge par le lien conjugal, il n’est pas douteux qu’il ait approché plus que personne de cette dignité suréminente par laquelle la Mère de Dieu surpasse de si haut toutes les créatures. Le mariage est en effet la société et l’union la plus intime de toutes, qui entraîne de sa nature la communauté des biens entre l’un et l’autre conjoints. Aussi, en donnant Joseph pour époux à la Vierge, Dieu lui donna non seulement un compagnon de vie, un témoin de sa virginité, un gardien de son honneur, mais encore, en vertu même du pacte conjugal, un participant de sa sublime dignité (33) ». 21. Ce lien de charité a constitué la vie de la sainte Famille d’abord dans la pauvreté de Bethléem, puis dans l’exil en Égypte et enfin dans l’existence à Nazareth. L’Église entoure cette famille d’une profonde vénération, la proposant comme modèle à toutes les familles. La Famille de Nazareth, directement insérée dans le mystère de l’Incarnation, constitue elle-même un mystère particulier. Et en même temps – comme dans l’Incarnation -, dans ce mystère, la vraie paternité a sa place: la forme humaine de la famille du Fils de Dieu, véritable famille humaine, constituée par le mystère divin. En elle, Joseph est le père: sa paternité ne découle pas de la génération; et pourtant, elle n’est pas « apparente » ou seulement « substitutive », mais elle possède pleinement l’authenticité de la paternité humaine, du rôle du père dans la famille. Il y a 1à une conséquence de l’union hypostatique: l’humanité assumée dans l’unité de la Personne divine du Verbe-Fils, Jésus-Christ. Avec l’humanité est aussi « assumé » dans le Christ tout ce qui est humain et, en particulier, la famille, première dimension de son existence sur terre. Dans ce contexte est aussi « assumée » la paternité humaine de Joseph. En fonction de ce principe, ce que dit Marie au jeune Jésus dans le Temple trouve son sens profond: « Ton père et moi, nous te cherchons. » Ce n’est pas 1à une phrase de convenance: ce que dit la Mère de Jésus montre toute la réalité de l’Incarnation, qui appartient au mystère de la Famille de Nazareth. Certainement, Joseph, qui dés le début accepta en « obéissance de foi » sa paternité humaine vis-à-vis de Jésus, suivant en cela la lumière de l’Esprit-Saint qui se donne à l’homme par la foi, découvrait toujours plus largement le don ineffable de sa paternité.

IV
LE TRAVAIL EXPRESSION DE L’AMOUR

22. Une des expressions quotidiennes de cet amour dans la vie de la Famille de Nazareth est le travail. Le texte évangélique précise par quel type de travail Joseph essayait d’assurer la subsistance de sa Famille: celui de charpentier. Ce simple mot recouvre toute l’étendue de la vie de Joseph. Pour Jésus, ce sont 1à les années de la vie cachée dont parle l’évangéliste après l’épisode du Temple: « Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth; et i1 leur était soumis. » (Lc 2, 51.) Cette « soumission », c’est-à-dire l’obéissance de jésus dans la maison de Nazareth, est aussi comprise comme une participation au travail de Joseph. Celui qui était appelé le « fils du charpentier » avait appris le travail de son « père » putatif. Si, dans l’ordre du salut et de la sainteté, la Famille de Nazareth est un exemple et un modèle pour les familles humaines, on peut en dire autant, par analogie, du travail de jésus aux côtés de Joseph le charpentier. A notre époque 1′Eglise a mis cela en relief, entre autres, par la mémoire liturgique de saint Joseph Artisan, fixée au ter mai. Le travail humain, en particulier le travail manuel, prend un accent spécial dans 1′Evangile. Il est entré dans le mystère de l’Incarnation en même temps que l’humanité du Fils de Dieu, de même aussi qu’il a été racheté dune manière particulière. Grâce à son atelier ou il exerçait son métier et même temps que Jésus, Joseph rendit le travail humain proche du mystère de la Rédemption. 23. Dans la croissance humaine de Jésus « en sagesse, en taille et en grâce », une vertu eut une part importante: la conscience professionnelle, le travail étant « un bien de l’homme » qui « transforme la nature » et rend l’homme « en un certain sens plus homme (34) ». L’importance du travail dans la vie de l’homme demande qu’on en connaisse et qu’on en assimile les éléments afin « d’aider tous les hommes à s’avancer grâce à lui vers Dieu, Créateur et Rédempteur, à participer à son plan de salut sur l’homme et le monde, et à approfondir dans leur vie l’amitié avec le Christ, en participant par la foi de manière vivante à sa triple mission de prêtre, de prophète et de roi (35) ». 24. Il s’agit en définitive de la sanctification de la vie quotidienne, à laquelle chacun doit s’efforcer en fonction de son état et qui peut être proposée selon un modèle accessible à tous: « Saint Joseph est le modèle des humbles, que le christianisme élève vers de grands destins; il est la preuve que, pour être de bons et authentiques disciples du Christ, i1 n’y a pas besoin de «grandes choses»: il faut seulement des vertus communes, humaines, simples, mais vraies et authentiques (36) ».

V
LA PRIMAUTÉ DE LA VIE INTÉRIEURE

25. Le climat de silence qui accompagne tout ce qui se réfère à la figure de Joseph s’étend aussi à son travail de charpentier dans la maison de Nazareth. Toutefois, c est un silence qui révèle d’une manière spéciale le profil intérieur de cette figure. Les Evangiles parlent exclusivement de ce que « fit » Joseph; mais ils permettent de découvrir dans ses « actions », enveloppées de silence, un climat de profonde contemplation. Joseph était quotidiennement en contact avec le mystère « caché depuis les siècles », qui « établit sa demeure » sous son toit. Cela explique par exemple pourquoi sainte Thérèse de Jésus, la grande réformatrice du Carmel contemplatif, se fit la promotrice du renouveau du culte rendu à saint Joseph dans la chrétienté occidentale. 26. Le sacrifice absolu que Joseph fit de toute son existence aux exigences de la venue du Messie dans sa maison trouve son juste motif « dans son insondable vie intérieure, d’où lui viennent des ordres et des réconforts tout à fait particuliers et d’où découlent pour lui la logique et la force, propres aux âmes simples et transparentes, des grandes décisions, comme celle de mettre aussitôt à la disposition des desseins divins sa liberté, sa vocation humaine légitime, son bonheur conjugal, acceptant la condition, la responsabilité et le poids de la famille et renonçant, au profit d’un amour virginal incomparable, à l’amour conjugal naturel qui la constitue et l’alimente (37) ». Cette soumission à Dieu, qui est promptitude de la volonté à se consacrer à tout ce qui concerne son service, n’est autre que l’exercice de la dévotion qui constitue une des expressions de la vertu de religion (38). 27. La communion de vie entre Joseph et Jésus nous amène à considérer encore le mystère de l’Incarnation précisément sous l’aspect de l’humanité du Christ, instrument efficace de la divinité pour la sanctification des hommes: « En vertu de la divinité, les actions humaines du Christ ont été salutaires pour nous, produisant en nous la grâce tant en raison du mérite que par une certaine efficacité (39) ». Parmi ces actions, les évangélistes privilégient celles qui concernent le mystère pascal, mais ils n’omettent pas de souligner l’importance du contact physique avec Jésus à propos des guérisons (cf. par exemple Mc 1,41) et l’influence qu’il exerce sur Jean-Baptiste lorsqu’ils étaient l’un et l’autre dans le sein de leur mère (cf. Lc 1, 41-44). Le témoignage apostolique, on l’a vu, n’a pas omis de décrire la naissance de Jésus, la circoncision, la présentation au Temple, la fuite en Égypte et la vie cachée à Nazareth, et cela en raison du « mystère » de grâce contenu dans de tels « gestes », tous salvifiques, parce que participant de la même source d’amour: la divinité du Christ. Si cet amour, par son humanité, rayonnait sur tous les hommes, les premiers bénéficiaires en étaient bien évidemment ceux que la volonté divine avait placés dans son intimité la plus étroite: Marie, sa mère, et Joseph, son père putatif (40). Puisque l’amour « paternel » de Joseph ne pouvait pas ne pas influer sur l’amour « filial » de Jésus et que, réciproquement, l’amour« filial» de Jésus ne pouvait pas ne pas influer sur l’amour « paternel » de Joseph, comment arriver à reconnaître en profondeur cette relation tout à fait singulière? Les âmes les plus sensibles aux impulsions de l’amour divin voient à juste titre en Joseph un exemple lumineux de vie intérieure. En outre, l’apparente tension entre la vie active et la vie contemplative est dépassée en lui de manière idéale, comme cela peut se faire en celui qui possède la perfection de la charité. Selon la distinction bien connue entre l’amour de la vérité (charitas veritatis) et l’exigence de l’amour (necessitas charitatis) (41), nous pouvons dire que Joseph a expérimenté aussi bien 1 amour de la vérité, c’est-à-dire le pur amour de contemplation de la Vérité divine qui rayonnait de l’humanité du Christ, que l’exigence de l’amour, c’est-à-dire l’amour, pur lui aussi, du service, requis par la protection et le développement de cette même humanité.

VI
PATRON DE L’ÉGLISE DE NOTRE TEMPS

28. En des temps difficiles pour l’Église, Pie IX, voulant la confier à la protection spéciale du saint patriarche Joseph, le déclara « Patron de l’Église catholique (42) ». Le Pape savait que son geste n’était pas hors de propos car, en raison de la très haute dignité accordée par Dieu à ce fidèle serviteur, « l’Église, après la Vierge Sainte son épouse, a toujours tenu en grand honneur le bienheureux Joseph, elle l’a comblé de louanges et a recouru de préférence à lui dans les difficultés (43) ». Quels sont les motifs d’une telle confiance? Léon XIII les énumère ainsi: « Les raisons et les motifs speciaux pour lesquels saint Joseph est nommément le patron de l’Église et qui font que 1′Eglise espère beaucoup, en retour, de sa protection et de son patronage sont que Joseph fut l’époux de Marie et qu’il fut réputé le père de Jésus-Christ. [...] Joseph était le gardien, l’administrateur et le défenseur légitime et naturel de la maison divine dont il était le chef. [...] Il est donc naturel et très digne du bienheureux Joseph que, de même qu’il subvenait autrefois à tous les besoins de la famille de Nazareth et l’entourait saintement de sa protection, il couvre maintenant de son céleste patronage et défende 1′Eglise de Jésus Christ (44) ». 29. Ce patronage doit être invoqué, et il est toujours nécessaire à l’Église, non seulement pour la défendre contre les dangers sans cesse renaissants mais aussi et surtout pour la soutenir dans ses efforts redoublés d’évangélisation du monde et de nouvelle évangélisation des pays et des nations « où – comme je l’ai écrit dans l’exhortation apostolique Christifideles laici – la religion et la vie chrétienne étaient autrefois on ne peut plus florissantes » et qui « sont maintenant mis à dure épreuve (45) ». Pour apporter la première annonce du Christ ou pour la présenter à nouveau la où elle a été délaissée ou oubliée, l’Église a besoin d’une particulière « force d’en haut » (cf. Lc 24, 49; Ac 1, 8), don de l’Esprit du Seigneur, assurément, mais non sans lien avec l’intercession et l’exemple de ses saints. 30. En plus de la protection efficace de Joseph, l’Église a confiance en son exemple insigne, exemple qui ne concerne pas tel état de vie particulier mais est proposé à toute la communauté chrétienne, quelles que soient en elle la condition et les tâches de chaque fidèle. Comme le dit la Constitution du Concile Vatican II sur la Révélation divine, l’attitude fondamentale de toute l’Église doit être celle de « l’écoute religieuse de la Parole de Dieu (46) », c’est-à-dire de la disponibilité absolue à servir fidèlement la volonté salvifique de Dieu révélée en Jésus. Dés le début de la Rédemption humaine, nous trouvons le modèle de l’obéissance incarné, après Marie, précisément en Joseph, celui qui se distingue par l’exécution fidèle des commandements de Dieu. Paul VI invitait à invoquer son patronage « comme l’Église, ces derniers temps, a l’habitude de le faire, pour elle-même d’abord, pour une réflexion théologique spontanée sur l’alliance de l’action divine avec l’action humaine dans la grande économie de la Rédemption, dans laquelle la première, l’action divine, se suffit totalement à elle-même tandis que la seconde, l’action humaine, la notre, tout en étant dans l’incapacité (cf. Jn 15, 5), n’est jamais dispensée d’une collaboration humble mais conditionnelle et anoblissante. En outre, l’Église l’invoque comme protecteur en raison d’un désir profond et très actuel de ravi ver son existence séculaire avec des vertus évangéliques véritables, telles qu’elles ont resplendi en saint Joseph (47) ». 31. L’Église transforme ces exigences en prière. Rappelant que Dieu, à l’aube des temps nouveaux, a confié à saint Joseph la garde des mystères du salut, elle lui demande de lui accorder de collaborer fidèlement à l’oeuvre du salut, de lui donner un coeur sans partage, à l’exemple de saint Joseph qui s’est consacré tout entier à servir le Verbe incarné, de nous faire vivre dans la justice et la sainteté, soutenus par l’exemple et la prière de saint Joseph (48). Déjà, il y a cent ans, le pape Léon XIII exhortait le monde catholique à prier pour obtenir la protection de saint Joseph, patron de toute 1′Eglise. L’encyclique Quamquam pluries se référait à 1′ « amour paternel » dont saint Joseph « entourait l’enfant Jésus », et à ce « très sage gardien de la divine Famille », elle recommandait « l’héritage que Jésus a acquis de son sang ». Depuis lors, l’Église, comme je l’ai rappelé au début, implore la protection de Joseph « par l’affection qui 1′a uni à la Vierge immaculée, Mère de Dieu » et elle lui confie tous ses soucis, en raison notamment des menaces qui pèsent sur la famille humaine. Aujourd’hui encore, nous avons de nombreux motifs pour prier de la même manière: « Préserve-nous, o Père très aimant, de toute souillure d’erreur et de corruption…; sois-nous propice et assiste-nous du haut du ciel, dans le combat que nous livrons à la puissance des ténèbres…; et de même que tu as arraché autrefois l’Enfant Jésus au péril de la mort, défends aujourd’hui la sainte Église de Dieu des embûches de l’ennemi et de toute adversité (49) ». Aujourd’hui encore, nous avons des motifs permanents de recommander chaque personne à saint Joseph. 32. Je souhaite vivement que la présente évocation de la figure de Joseph renouvelle en nous aussi les accents de prière que mon prédécesseur, il y a un siècle, recommanda d’élever vers lui. Il est certain, en effet, que cette prière et la figure même de Joseph ont acquis un renouveau d’actualité pour 1′Eglise de notre temps, en rapport avec le nouveau millénaire chrétien. Le Concile Vatican II nous a encore une fois tous sensibilisés aux « merveilles de Dieu », à « l’économie du salut » dont Joseph fut particulièrement le ministre. En nous recommandant donc à la protection de celui à qui Dieu même « confia la garde de ses trésors les plus précieux et les plus grands (50) », nous apprenons de lui, en même temps, à servir « l’économie du salut ». Que saint Joseph devienne pour tous un maître singulier dans le service de la mission salvifique du Christ qui nous incombe à tous et à chacun dans l’Église: aux époux, aux parents, à ceux qui vivent du travail de leurs mains ou de tout autre travail, aux personnes appelées à vie contemplative comme à celles qui sont appelées à l’apostolat. L’homme juste, qui portait en lui tout le patrimoine de l’Ancienne Alliance, a été aussi introduit dans le « commencement » de l’Alliance nouvelle et éternelle en Jésus Christ. Qu’il nous indique les chemins de cette Alliance salvifique au seuil du prochain millénaire ou doit se poursuivre et se développer la « plénitude du temps » propre au mystère ineffable l’Incarnation du Verbe! Que saint Joseph obtienne à l’Église et au monde, comme à chacun de nous, la bénédiction du Père et du Fils et du Saint- Esprit!

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 15 août 1989, solennité de l’Assomption de la Vierge Marie, en la onzième année de mon pontificat.

IOANNES PAULUS PP. II

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NOTES

(*) IOANNES PAULUS PP. II, Adhortatio apostolica ad sacros Antistites, Presbyteros et Diaconos, Religiosos ac Religiosas, Christifideles omnes: de persona sancti Ioseph et opera in Christi Iesu Ecclesiaeque vita: AAS 82 (1990), p. 5-34; texte officiel français reproduit dans DocCath 86 (1989), p. 984-993. (1) Cf. S. IRÉNÉE, Adversus haereses, IV, 23, 1: S. Ch. 100/2, pp. 692-694. (2) LÉON XIII, Encycl. Quamquam pluries (15 août 1889): Leonis XIII P. M. Acta, IX (1890), Yp. 175-182. (3) SACRÉE CONGRÉGATION DES RITES, Décret Quemadmodum Deus (8 décembre 1870): Pit IX P. M. Acta, le » partie, vol. V, p. 282; PIE IX, Lettre apost. Inclytum Patriarcham (7 juillet 1871),1.c., pp. 331-335. (4) Cf. S. JEAN. CHRYSOSTOME, Homélie sur S. Matth. V, 3: PG 57, 57-58; se fondant entre autres sur la similitude de nom, des Docteurs de l’Eglise et des Souverains Pontifes ont vu en Joseph d’Egypte le prototype de Joseph de Nazareth car i1 a en quelque sorte esquissé le ministère et la grandeur de gardien des trésors les plus précieux de Dieu le Père que sont le Verbe incarné et sa très sainte Mère; cf. par ex.. S. BERNARD, Super « Missus est », Hom. II, 16: S. Bernardi Opera, Ed. Cist., IV, 33-34; LÉON XIII, Encycl. Quamquam pluries (15 aout 1889): 1. c., p. 179. (5) Const. dogm. sur 1′Eglise Lumen gentium, n. 58. (6) Cf. ibid., n. 63. (7) Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 5. (8) Ibid., n. 2. (9) Cf. CONCILE VATICAN II, Const. dogm. sur 1′Eglise Lumen gentium, n. 63. (10) CONCILE VATICAN II, Const, dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 2. (11} S. CONGRÉG. DES RITES, Décret Novis hisce temporibus (13 novembre 1962): AAS 54 (1962), p. 873. (12) S. AUGUSTIN, Sermo 51, 10, 16: PL 38, 342. (13) S. AUGUSTIN, De nuptiis et concupiscentia, I, 11, 12: PL 44, 421; cf. De consensu evangelistarum, II, 1, 2: PL 34, 1071; Contra Faustum, III, 2: PL 42, 214. (14) S. AUGUSTIN, De nuptiis et concupiscentia, 1,11,13: PL 44, 421; cf. Contra Iulianum, V, 12,46: PL 44, 810. (15) Cf. S. AUGUSTIN, Contra Faustum, XXIII, 8: PL 42, 470-471; De consensu evangelistarum, II, 1, 3: PL 34, 1072; Sermo 51, 13, 21: PL 38, 344-345; S. THOMAS, Somme théol. III, q. 29, a. 2 in conclus. (16) Cf. Allocutions des 9 et 16 janvier, et 20 février 1980: Insegnamenti, III/1 (1980), pp. 8892; 148-152; 428-431. (17) PAUL VI, Allocution aux « Equipes Notre-Dame » (4 mai 1970), n. 7: AAS 62 (1970), p. 431. Une présentation analogue de la Famille de Nazareth comme modèle parfait de la communauté familiale se trouve, par ex., dans LÉON XIII, Lettre apost. Neminem fugit (14 juin 1892): Leonis XIII P. M. Acta, XII (1892), pp. 149-150; BENOÎT XV, Motu proprio Bonum sane (25 juillet 1920): AAS 12 (1920), pp. 313-317. (18) Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 17: AAS 74 (1982), p. 100. (19) Ibid., n. 49: 1.c., p. 140; cf. CONCILE VATICAN II, Const. dogm. sur 1′Eglise Lumen gentilim, n. 11; Décret sur l’Apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. 11. (20) Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 85: 1.c., pp. 189-190 (texte français: n. 86). (21) Cf. S. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie sur S. Matth. V, 3: PG 57, 57-58. (22) PAUL VI, Allocution du 19 mars 1966: Insegnamenti, IV (1966), p. 110. (23) Cf. Missel romain, Collecte de la solennité de saint Joseph, époux de la Vierge Marie. (24) Cf. ibid., Préface de la solennité de saint Joseph, époux de la Vierge Marie. (25) Encycl. Quamquam pluries (15 aout 1889): 1.c., p. 178. (26) PIE XII, Radiomessage aux étudiants des écoles catholiques des Etats-Unis d’Amérique (19 février 1958): AAS 50 (1958), p. 174. (27)} ORIGÈNE, Homélie XIII sur S. Luc, 7: S. Ch. 87, pp. 214-215. (28) ORIGÈNE, Homélie XI sur S. Luc, 6: S. Ch. 87, pp. 195. 197. (29) Cf. Missel romain, Prière eucharistique n. 1. (30) S. CONGRÉGATION DES RITES, Décret Quemadmodum Deus (8 décembre 1870): 1. c., p. 282. (31) Collectio Missarum de Beata Maria Virgine, I, « Sancta Maria de Nazareth », Préface. (32) Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 16: 1. c., p. 98. (33). LÉON XIII, Encycl. Quamquam pluries (15 août 1889): 1. c., p. 177-178. (34) Cf. Encycl. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 9: AAS 73 (1981), p. 599-600. (35) Ibid., n. 24: 1. c., p. 638. En la période récente, les Souverains Pontifes ont constamment présenté saint Joseph comme le « modèle » des ouvriers et des travailleurs; cf. par ex. LÉON XIII, Encycl. Quamquam pluries (15 aout 1889): 1. c., p. 180; BENOÎT XV, Motu proprio Bonum sane (25 juillet 1920): 1. c., p. 314-316; PIE XII, Allocution du 11 mars 1945, n. 4: AAS 37 (1945), p. 72; Allocution du ler mai 1955: AAS 47 (1955), p. 406; Jean XXIII, Radiomessage du ler mai 1960: AAS 52 (1960), p. 398. (36)’ PAUL VI, Allocution du 19 mars 1969: Insegnamenti, VII (1969), p. 1268. (37) Ibid.: 1. c., p. 1267. (38) Cf. S. THOMAS, Somme theol., 11-T’ , q. 82, a. 3, ad 2. (39) Ibid., III, q. 8, a. 1, ad 1. (40) PIE XII, Encycl. Haurietis aquas (15 mai 1956), III: AAS 48 (1956), p. 329-330. (41) Cf. S. THOMAS, Somme théol., II-II » , q. 182, a. 1, ad 3. (42) Cf. S. CONGRÉGATION DES RITES, Décret Quemadmodum Deus (8 décembre ,1870):1. c., p. 283. (43) Ibid., 1. c., p. 282-283. (44) LÉON XIII, Encycl. Quamquam pluries (15 août 1889): 1. c., p. 177-179. (45) Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 34: AAS 81 (1989), p. 456. (46) Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 1. (47) PAUL VI, Allocution du 19 mars 1969: Insegnamenti, VII (1969), p. 1269. (48) Cf. Missel romain, Collecte et Prière sur les offrandes de la solennité de saint Joseph, époux de la Vierge Marie; Prière après la communion de la messe votive de saint Joseph. (49) Cf. LÉON XIII, « Prière à saint Joseph » qui suit le texte de l’encyclique Quamquam pluries (15 août 1889): Leo?is XIII P. M. Acta, IX (1890), p. 183. (50) S. CONGRÉGATION DES RITES, Décret Quemadmodum Deus (8 décembre 1870): 1. c., p. 282.

IOANNES PAULUS II

L’Eucharistie, défi et grâce pour une société sécularisée

7 juillet, 2008

du site:
http://www.cardinalrating.com/cardinal_210__article_7236.htm

Jean-Pierre Bernard Cardinal Ricard
 
 L’Eucharistie, défi et grâce pour une société sécularisée
Jul 02, 2008


Rome, le 02 juillet 2008 – E.S.M. – Certains se demandent : la participation de la messe est-elle encore obligatoire ? J’aurais envie de répondre : non, elle est plus qu’obligatoire. Elle est vitale. Elle est vitale pour le Christ, qui veut se révéler aujourd’hui au monde.

Conférence du Cardinal Jean Pierre Ricard donnée en l’église de Saint-Félix, lors du Congrès Eucharistique (Québec)

Chers amis,

Je vais parler de l’Eucharistie à partir de la situation française qui est marquée par un fort et ancien mouvement de sécularisation. Mais ce mouvement ne touche pas que la France et un certain nombre parmi vous peuvent y reconnaître des traits qui marquent également l’évolution de la société dans laquelle ils vivent.

I – Les traits marquants d’une société sécularisée

J’entends par sécularisation ce processus d’évolution d’une société qui amène celle-ci à distendre ses liens avec une religion instituée. On peut parler aussi d’une baisse de l’emprise sociale de cette religion. Ainsi en France, le nombre de personnes se reconnaissant comme catholiques est passé de 85 à 65% des Français.

Ce processus n’a pas d’abord pour cause une lutte menée par des forces anticléricales comme cela l’a pu être au début du vingtième siècle, avec en 1905, la loi de séparation de l’État et des cultes. Ces forces n’ont pas disparu mais leur influence a beaucoup diminué. Le vrai danger aujourd’hui est moins l’athéisme ou l’anticléricalisme militant que l’indifférence. La cause principale de ce processus de sécularisation se trouve dans le développement de la consommation dans nos sociétés occidentales. Une société de consommation est une société marchande qui est gouvernée par la recherche de l’argent et du profit. La quête du bonheur se trouve dans la possibilité d’acquérir de nouveaux produits dont on vous annonce qu’ils combleront votre attente. Il faut travailler plus pour gagner plus. On court toujours car le temps est de l’argent. Même les vacances, le temps libre, le tourisme et les loisirs se sont transformés en produits consommables. On vous vend toujours quelque chose à faire. Cela est vrai pour les enfants, les jeunes, les adultes et les personnes du troisième âge. Une telle société a peu de temps à consacrer au spirituel, à l’intériorité, à la gratuité. La consommation est devenue une vraie religion de masse avec ses rituels, son rendez-vous hebdomadaire, ses basiliques, son personnel et ses prescriptions.

De plus la consommation fait appel au besoin de consommer de chacun. Elle exalte l’individu, sa liberté, son choix, ses envies, ses besoins. Même si une telle société conditionne puissamment chacun à son insu, celui-ci a l’impression de choisir librement. Une telle société parle beaucoup des droits de chacun, rarement de ses devoirs. Un philosophe français a pu titrer un de ses livres : « Le crépuscule du devoir ». N’oublions pas que la crise de société et de culture de 1968 a renforcé cette attention à la subjectivité de l’individu contre l’emprise des grandes institutions (Université, Armée, État, Églises). La réaction spontanée est : je fais ce que je veux, quand je veux, comme je veux. Cela est vrai pour le choix d’avoir un enfant, le choix d’une école ou de la pratique religieuse. D’autant plus qu’une valeur repère dans cette société de l’individu-roi est : être vrai par rapport à soi-même, à son propre ressenti, à ses propres sentiments.

II – Conséquences sur la pratique eucharistique

Cette sécularisation a eu une lente mais redoutable influence sur la pratique eucharistique. Sur 65 % des Français, c’est-à-dire la proportion de ceux qui se disent catholiques, 5 % sont des pratiquants réguliers (1 fois par mois), 10 % des pratiquants irréguliers (moins d’une fois par mois) et 50 % se déclarent non pratiquants. Il y a donc un mouvement fort de baisse de la pratique religieuse. Certains observateurs étrangers sont étonnés de cette masse de non pratiquants. Pour beaucoup de ceux-ci, la messe n’a plus de place dans leur vie. Elle apparaît comme une contrainte faite à une population pour qui le dimanche est une journée où on souffle du stress de la semaine, où on se lève tard et où on ne souhaite pas trop d’obligations. La messe paraît comme facultative, comme un plat avec supplément dans la carte de la vie chrétienne !

De plus, ce qui est de moins en moins pertinent, c’est le langage de l’obligation de la pratique dominicale, bien sûr chez les jeunes mais aussi chez les adultes. La pratique est liée de plus en plus à la subjectivité : « Je vais à la messe quand j’en ai envie, quand j’en sens le besoin » Quand on le peut, on choisit sa paroisse (c’est le phénomène des paroisses d’élection), son assemblée, en fonction de critères subjectifs, de sa sensibilité ecclésiale, de l’estime que l’on a pour tel ou tel prêtre. Certains, d’ailleurs, peuvent changer de paroisse quand le prêtre est nommé dans une autre paroisse ou quand le mode d’animation liturgique se modifie.

Une telle situation est un véritable défi lancé à l’Église. Celle-ci ne peut le relever que par une dynamique d’évangélisation profondément renouvelée.

III – Comment redonner le goût de l’Eucharistie dans une société sécularisée ?

Si les mécanismes d’intégration ecclésiale aujourd’hui ne jouent plus comme autrefois, il faut développer une pastorale de l’invitation et de l’annonce de la foi. C’est ce qu’ont écrit les évêques de France dans leur Lettre aux Catholiques de France, parue en 1996 : « Ce qu’il suffisait naguère d’entretenir doit être aujourd’hui voulu et soutenu. Toutes sortes de démarches qu’une population majoritairement catholique nous demandait, en se coulant dans les automatismes communément admis, doivent être désormais proposées comme l’objet d’un choix. De sorte que la pastorale dite « ordinaire », souvent vécue comme une pastorale de l’accueil, doit de plus en plus devenir aussi une pastorale de la proposition. » (p.38)

Diverses initiatives ont été prises en ce domaine. Beaucoup de diocèses en France ont programmé une « année de l’eucharistie ». Il n’est pas possible de tout ressaisir de ce qui a été impulsé. Mais il est intéressant de voir les accents qui ont été mis dans cette pastorale de la proposition eucharistique.

1) Eucharistie et foi dans le Ressuscité sont profondément liées

Dès l’origine des premières communautés chrétiennes, proclamation du Christ ressuscité, eucharistie et sens du dimanche ont profondément partie liée. Le premier signe de la présence du Ressuscité est l’assemblée qui se réunit en son nom. Comme dit Jésus : « Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Mt. 18, 20) Ce signe de la communauté des disciples qui se réunissent pour prendre ensemble leur repas alors que leur maître est mort et qu’ils auraient dû se disperser pose question. Pourquoi font-ils cela ? Ils disent que le Maître est vivant et que c’est lui qui préside la table et se donne aux siens en nourriture. Le christianisme naissant se caractérise par le fait que ses membres se réunissent le jour du Soleil, prient et rompent le pain ensemble. C’est ainsi qu’en parlera saint Justin au début du 2° siècle : « Le jour du Soleil, nous nous réunissons tous, c’est le premier jour. Le Dimanche, tous les chrétiens de la ville et de la campagne se réunissent au même endroit. »

Le rassemblement dominical est donc perçu comme un signe que le Ressuscité rassemble son Peuple, se constitue un Peuple, se donne un Corps pour aujourd’hui poursuivre son œuvre de salut. C’est d’ailleurs pour avoir été fidèles à ce rassemblement dominical que les premiers chrétiens seront dénoncés aux autorités impériales. En 304, les chrétiens d’Abitène (dans l’actuelle Tunisie) répondront à leurs juges : « Nous avons célébré l’assemblée dominicale parce qu’il n’est pas permis d’en suspendre la célébration. » « Nous ne pouvons pas vivre sans le Dominicum. » NDLR : Relire à ce propos un très beau texte intitulé: Autant Jean-Paul II que Benoît XVI –  » l’Heure de la messe. »  (ici)

Il est important de découvrir que l’Eucharistie est par excellence ce lieu de rencontre avec le Christ ressuscité. Dans la célébration eucharistique, c’est le Christ ressuscité qui nous appelle, convoque son peuple, le rassemble, le nourrit de sa Parole et de son Pain, en fait son propre corps et l’envoie témoigner dans le monde de la Bonne nouvelle du salut qu’il apporte. On comprend que l’Eucharistie soit la source et le sommet de toute vie chrétienne. Si on n’a pas perçu cela, c’est qu’on n’est pas encore entré dans le cœur de la vie chrétienne.

2) Dans l’Eucharistie le Christ se donne un corps porteur de son message de salut

L’Eucharistie nourrit notre vie de foi. Elle est bien le pain de la route. Mais quand nous recevons le corps eucharistique, le Seigneur nous constitue comme les membres de son Corps et passe par nous pour se communiquer au monde.

Il y a quelques instants, je parlais de ces réflexions qui faisaient état d’un besoin ou pas de l’eucharistie. J’aurais envie de dire que s’il y a quelqu’un qui, en premier lieu, a besoin de l’Eucharistie, c’est le Christ lui-même. Le Christ ressuscité a besoin de se donner un corps pour se révéler aujourd’hui au monde et le rassemblement eucharistique est justement ce lieu où le Corps…prend corps ! Cela mérite quelques explications. Quand le Christ ressuscité remonte vers son Père, il ne sera plus présent au monde comme il l’était avec son corps physique, quand il marchait avec ses disciples sur les routes de Galilée et de Judée. Il n’abandonne pourtant pas les siens. Il ne laisse pas le monde à son triste sort. Il va être présent d’une autre façon, par la communauté des disciples, qu’il envoie, à qui il confie sa Parole, qu’il va soutenir du souffle de l’Esprit. C’est tout l’événement de Pentecôte ! Cette communauté sera son nouveau corps dans le monde. C’est ce que Saint Paul rappellera aux Corinthiens quand il leur dira : « Vous êtes le corps du Christ et membres de ce corps, chacun pour sa part » (1 Cor. 13, 27). Cela veut dire que Jésus n’a pas d’autre manière aujourd’hui de se faire connaître aux hommes que de se manifester par l’Église, la communauté qu’il assemble, le corps qu’il se donne. Cela veut dire également que les mains du Christ qui relevaient, bénissaient, guérissaient, ce sont les mains des chrétiens. Les paroles du Christ qui dénonçaient le mal, invitaient à la foi, révélaient la tendresse du Père, ce sont les paroles des chrétiens. Le cœur du Christ, c’est le cœur de chacun d’entre nous. Vous êtes le corps du Christ ! Voilà la grandeur de notre vocation et de notre mission.

Mais me direz-vous : quel lien entre l’Église, corps du Christ et l’Eucharistie. Eh bien, l’eucharistie est le lieu où le Christ lui-même fait de cette assemblée d’hommes et de femmes son propre corps. On a pu dire que si l’Église faisait l’Eucharistie, c’était l’Eucharistie qui faisait l’Église. En effet, au cœur du rassemblement eucharistique, il y a une initiative du Christ. Il vient vers nous. C’est le Ressuscité qui nous appelle à faire partie de son peuple, c’est lui qui nous rassemble, qui nous nourrit de sa Parole, qui nous partage le pain et nous communique sa vie. Mais quand il va nous partager son pain, le Christ va nous appeler. Il nous appelle à être ses disciples, à venir à sa suite, à nous associer à son sacrifice, à la dynamique de l’amour qui va jusqu’au bout, à faire de nos vies, des vies données, des vies livrées. C’est tout le retournement qui est au cœur de la dynamique de la prière eucharistique. Nous pensions mettre la main sur le Christ, le consommer, l’emporter pour nous, comme une vitamine C spirituelle. C’est lui qui met la main sur nous, nous unit à lui et dans cette communion fait de nous les membres de son Corps, qu’il envoie dans le monde. Le corps eucharistique édifie le corps ecclésial du Seigneur. On comprend ainsi que dans une homélie aux nouveaux baptisés, saint Augustin puisse dire : « Veux-tu comprendre ce qu’est le corps du Christ ? Écoute l’Apôtre dire aux fidèles : Vous êtes le corps du Christ et ses membres. Si donc vous êtes le corps du Christ et ses membres, c’est votre propre symbole qui repose sur la table du Seigneur. C’est votre propre symbole que vous recevez. A ce que vous êtes, vous répondez « Amen », et cette réponse marque votre adhésion. Tu entends : « Le corps du Christ », et tu réponds : « Amen ». Sois un membre du corps du Christ, afin que ton « Amen » soit vrai. ». (Sermon 272) Oui, c’est de l’Eucharistie que jaillit notre mission d’être dans le monde, dans les tâches de notre vie quotidienne, les disciples et les témoins du Christ. L’envoi naît de l’Eucharistie : « Allez dans la paix du Christ ! » Et on comprend qu’un texte de l’Église primitive (3ème siècle) recommandait aux chrétiens de ne pas « diminuer l’Église en n’allant pas à l’assemblée, ni priver le Corps du Christ de l’un de ses membres. » (Didascalie des Apôtres). (Ndlr : le texte de la Didaché)

Certains se demandent : la participation de la messe est-elle encore obligatoire ? J’aurais envie de répondre : non, elle est plus qu’obligatoire. Elle est vitale. Elle est vitale pour le Christ, qui veut se révéler aujourd’hui au monde. Elle est vitale pour l’Église qui reçoit de l’Eucharistie le don qui la fait vivre et sa mission. Elle est vitale pour chacun de nous qui avons toujours à nous abreuver à la source de l’amour du Seigneur.

3) L’Eucharistie comme le creuset de la conversion évangélique

On ne peut devenir membre du Christ que si on accepte de vivre comme un disciple du Christ, que si on accepte de suivre le Christ. Le Christ nous appelle à prendre avec lui la route de l’amour qui va jusqu’au bout, du corps partagé, du sang versé, de la vie donnée : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, dit Jésus, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile, la sauvera. » (Mc 8, 34-35). En nous unissant au sacrifice du Christ, nous sommes invités à vivre cette conversion évangélique, à ne plus vivre pour nous-mêmes mais pour le Christ et pour les autres. Oui, l’Eucharistie est bien ce creuset de la conversion évangélique, cette école du don. C’est elle qui nous appelle à vivre dans notre vie de tous les jours le « culte spirituel » dont parle Saint Paul dans l’épître aux Romains, quand il écrit :

« Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait. » (Rm 12, 1-2). Si l’Eucharistie est la communication en nous de l’amour de Dieu, cet amour doit ensuite se traduire en actes et en engagements concrets pour les autres. Le Christ ne nous enferme pas dans un cocon intimiste mais il nous conduit vers les foules et les pauvres qu’il est venu évangéliser. Il y a tout un aspect relationnel et social de la vie eucharistique. (Je pense à ce petit livre du Père Jacques TURCK qui vient de sortir, intitulé : Eucharistie et service de l’homme. En charge de la charité de Dieu)

IV – LES EFFORTS D’UNE PASTORALE LITURGIQUE RENOUVELÉE

Ces grands accents théologiques et spirituels ont été accompagnés par une pastorale liturgique renouvelée concernant l’Eucharistie. Cette pastorale a porté ses efforts sur plusieurs points :

1) favoriser la participation active des fidèles

La Constitution sur la Sainte Liturgie (Sacrosanctum Concilium) du Concile Vatican II avait insisté sur cette participation : « La Mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui est, en vertu de son baptême, un droit et un devoir pour le peuple chrétien……Cette participation pleine et active de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en œuvre de la liturgie. » (N°14 mais aussi n° 19, 27, 30-31, 100 et aussi n°48 sur la participation active des fidèles à l’eucharistie.) ; cf. également l’exhortation post synodale Sacramentum Caritatis du pape Benoît XVI, n° 52.

Cette participation a une dimension « intérieure et extérieure » (cf. N°19). Peut-être dans la mise en œuvre de la réforme conciliaire a-t-on mis essentiellement l’accent sur l’extérieur, sur le « comment » de cette participation plutôt que sur son « pourquoi ». C’est ce qui a amené le dernier synode des évêques sur l’eucharistie, en 2005, à revenir sur cette question et à développer davantage cette dimension intérieure de la participation active des fidèles.

En effet, le but de la liturgie n’est pas simplement de nous faire accomplir certains actes ou certains rites pour être en règle avec Dieu. Il est de nous mettre en relation avec Dieu lui-même, avec le Père qui envoie son Fils pour faire alliance avec nous dans la dynamique du Saint Esprit. La liturgie nous fait approcher de celui qui vient à notre rencontre, le Christ Ressuscité, qui rassemble son peuple, se rend présent à lui, lui parle, lui fait signe dans les sacrements. Dans l’Eucharistie, le Christ qui nous invite à communier à lui, nous appelle à nous associer à son propre sacrifice, à faire de nos vies des vies données, décentrées, habitées comme la sienne par un amour qui va jusqu’au bout. Tout dans le déroulement et l’animation liturgique doit aider une assemblée à entendre cet appel intérieur du Christ qui dit à chacun: « Viens, Suis-moi ». Participer intérieurement à la liturgie, c’est se laisser conduire par cette action liturgique qui nous met en route.

Mais cette union au Christ ressuscité va passer par des médiations. Les disciples d’Emmaüs ne pressentent-ils pas la présence du Christ dans l’exploration brûlante des Écritures et ne la reconnaissent-ils pas dans la fraction du pain ? La liturgie va mettre en œuvre des paroles, des gestes et des rites pour nous conduire au Christ. Le Concile Vatican II souligne l’importance pour une pleine participation intérieure à la liturgie d’une pleine participation de tous à l’action liturgique. Il ne saurait y avoir des célébrations où certains seraient acteurs et d’autres spectateurs. En régime chrétien, tout baptisé est acteur dans la célébration liturgique. Il doit pouvoir comprendre ce qui se passe, participer à la prière. C’est de là que découle un certain nombre d’orientations conciliaires : possibilité de célébrer dans la langue du pays, inculturation de la liturgie, entrée plus riche dans l’Écriture, adaptations possibles en fonction de la diversité des personnes qui constituent l’assemblée, participation de l’assemblée par le chant, par les différentes acclamations de la prière eucharistique. La Constitution sur la Liturgie dit : « Pour promouvoir la participation active, on favorisera les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou les gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré. » (n°30), « Dans la révision des livres liturgiques, on veillera attentivement à ce que les rubriques prévoient aussi le rôle des fidèles. » (N° 31).

Cette participation active des fidèles trouve également une de ses expressions dans la prise en charge par des membres de l’assemblée des différents services nécessaires à la célébration. Il y aura ainsi dans la célébration eucharistique : la présidence du prêtre, le service du diacre, le ministère des lectures de l’Écriture, l’animation des chants par un animateur, une chorale, des instruments, le service de l’accueil, des offrandes, de la décoration florale. Il est important que tous soient vraiment au service de la prière de l’assemblée, de façon concertante. Non pas écrans mais vecteurs. Cela demande un profond sens de la liturgie et une formation. Il me semble qu’il y a eu depuis ces dernières décennies tout un effort qui a était fait pour aider à cette participation active des fidèles.

2) trouver un bon équilibre entre fonctionnement rituel et liberté d’intervention

La réforme liturgique a donné plus de champ à la liberté des choix dans la liturgie : choix des prières eucharistiques, des messes aux différentes intentions, des lectures. Possibilité de personnaliser un mot d’accueil, différents invitatoires. Plusieurs fois, les livres liturgiques indiquent : l’évêque ou le prêtre pourra s’exprimer en ces termes, ou « en d’autres ». Ces mesures visent toutes à bien tenir compte des conditions pratiques dans lesquelles se vit l’Eucharistie et à s’adapter au peuple précis qui se rassemble pour la célébration. Beaucoup, à cette occasion, ont découvert l’importance de la fidélité à un rituel. Celui-ci, identique pour tous, permet à chacun de s’approcher du mystère célébré, de forger une communion, de se retrouver dans ce fonctionnement symbolique et sacramentel. On est sorti d’une remise en cause du rituel. Car on s’est aperçu que si celui-ci était mis à mal, cela aboutissait à livrer l’assemblée à la subjectivité d’un acteur de cette célébration, ou d’un group de personnes.

3) soigner l’ « ars celebrandi »

cf. Exhortation Sacramentum Caritatis du Saint-Père Benoît XVI, N° 38

Il me semble qu’un accent a été mis depuis quelques années sur la beauté de la liturgie comme soutien de la vie chrétienne et comme facteur d’évangélisation. Un certain nombre de nos contemporains sont revenus, ou tout simplement venus, à une vie de foi, à partir de belles liturgies : Ils ont été émus, touchés par la beauté de l’espace, des chants, de la musique, par la qualité des paroles entendues ou par l’exécution de certains rites. Les modes de célébration de l’Eucharistie peuvent être très divers. Mais on est en train de retrouver, lors de certaines célébrations, un certain cérémonial qui avait quelque peu disparu. Ce qu’on appelle un peu trop rapidement perte du sens du sacré désigne très souvent un déficit de cérémonial.

Je vois aussi des prêtres qui redécouvrent le sens de la présidence de l’Eucharistie et de la célébration. Dans certains diocèses sont programmées des formations à l’homélie. D’autres acteurs dans la célébration de l’Eucharistie se forment eux aussi à l’esprit de la liturgie, au bon exercice de leur propre responsabilité et à la mise en œuvre de celle-ci de manière concertante. L’étude de la Présentation générale du Missel Romain peut être dans ce domaine d’un grand profit.

4) redécouvrir l’adoration eucharistique

Je vois réapparaître aujourd’hui cette expression liturgique qui avait largement disparu dans beaucoup de lieux ecclésiaux au cours des années où se mettait en œuvre la Réforme liturgique. On voulait mettre alors particulièrement en valeur la participation à la célébration de la messe. Certains disaient trop rapidement : « Le Christ a dit : prenez et mangez et non pas prenez et regardez. » Remise en valeur souvent, mais pas exclusivement, par les nouvelles communautés, cette adoration a permis un accueil plus intériorisé du Christ eucharistique, plus contemplatif. Certains ont approfondi leur faim eucharistique par l’adoration eucharistique. Des paroisses ont retrouvé un dynamisme insoupçonné en proposant des heures d’adoration ou en mettant en place l’adoration perpétuelle. De plus, de façon étonnante, on voit aujourd’hui des jeunes qui passent d’abord par l’adoration eucharistique pour découvrir la messe. L’évêque de Lourdes l’a souvent constaté. Il serait intéressant de faire de ce phénomène à première vue étonnant une analyse psychologique, spirituelle et pastorale.

CONCLUSION

La proposition de l’Eucharistie est à la fois un défi pour un monde sécularisé mais aussi une grâce, un salut, pour l’homme sécularisé. Elle prend ce qui est bon dans ses aspirations mais les resituent dans le cadre d’une vision globale de l’homme. Elle lui indique la voie de sa véritable réalisation.

En prenant en compte la liberté de l’individu, sa démarche intérieure, son appropriation personnelle, la proposition de l’Eucharistie peut répondre à une aspiration de bien de nos contemporains. Mais, en s’adressant à l’individu, cette proposition ne l’enferme pas en lui-même. Elle le voit comme une personne qui est en relation et qui ne peut trouver son vrai bonheur qu’en vivant au mieux ses relations :

- relation avec cet Autre qui est Dieu. L’homme ne vit pas seulement que de pain ou d’argent mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu. Cette relation à Dieu, ce décentrement de soi vis-à-vis de Dieu sont fondateurs.

- relation vis-à-vis des autres. Seule une vie qui vit de cet amour qui vient de Dieu peut apporter le bonheur à l’homme. L’Eucharistie met chaque personne en relation avec d’autres.

Elle respecte l’anonymat si la personne le souhaite mais elle lui propose aussi de vivre une communauté fraternelle qui est d’une autre nature que la famille ou le groupe d’affinité.

De plus l’Eucharistie, loin de fonctionner comme une bulle de protection par rapport à une vie quotidienne ou une vie sociale, y renvoie avec une énergie renouvelée.

L’Eucharistie élargit notre regard, notre cercle de relations. Nous prions pour le pape, pour notre évêque, pour les hommes et les femmes du monde entier. Nous faisons partie d’une famille qui est catholique, universelle. Le sang du Christ versé pour la multitude nous offre un autre visage de la mondialisation, celle de l’amour.

En faisant entrer dans la dynamique de la dépossession et du don de soi, l’Eucharistie fait échapper à la tristesse du jeune homme riche ou au mirage de celui qui pense trouver son bonheur dans la course à l’argent, aux biens, au pouvoir.

L’Eucharistie est prophétique. Elle dénonce les fausses promesses mais elle conduit aussi dans la joie à la Vie, à la vraie vie, celle qui ne déçoit pas. L’Eucharistie est vraiment Bonne Nouvelle pour l’homme de notre temps.

+ Cardinal Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux

L’encyclique de Paul VI, Humanae vitae, plus actuelle que jamais

25 juin, 2008

du site:

http://www.zenit.org/article-18285?l=french 

L’encyclique de Paul VI, Humanae vitae, plus actuelle que jamais 

Elle est à la base de toute la réflexion morale du magistère sur les enjeux éthiques

 

 ROME, Mardi 24 juin 2008 (ZENIT.org) – Il y a 40 ans, Paul VI publiait son encyclique Humanae Vitae. Contestée et incomprise au moment de sa publication, cette encyclique semble pourtant contenir un message très important pour la société actuelle. Zenit a demandé à Pierre-Olivier Arduin, directeur de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon, d’analyser ce message. 

Pierre-Olivier Arduin est également chroniqueur société pour La Nef et directeur des études du master bioéthique Jérôme Lejeune, www.iplh.fr. Il a publié La bioéthique et l’embryon, avec une préface de Mgr Rey, aux Editions de l’Emmanuel, en 2007. 

Zenit – En recevant les participants d’un congrès international promu par l’Université du Latran à l’occasion du 40e anniversaire de la publication d’Humanae vitae, Benoît XVI a rappelé qu’elle est apparue à l’époque comme « un signe de contradiction ». Comment expliquez-vous l’hostilité dont elle a fait l’objet dès sa promulgation ? 

P.-O. Arduin - Evelyne Sullerot, féministe historique et fondatrice du Planning familial en France, reconnaissait il y a peu de temps que « la véritable révolution de Mai 68 fut la dissociation de la sexualité et de la procréation ». La tempête contestataire de cette époque porta en effet au pinacle la libération sexuelle conduisant à une régression inédite des rapports entre l’homme et la femme à la pure corporéité. La pilule contraceptive sera le redoutable instrument technique qui rendra effective l’idéologie en marche. Résultat : la femme fut réduite à sa génitalité dans un assujettissement sans précédent. Les acquis intellectuels de la révolution sexuelle et la recherche pharmaceutique se renforcèrent mutuellement jusqu’à entraîner une déflagration telle, qu’elle « marqua la vie de générations entières » selon l’analyse de Benoît XVI. Or, en mettant le doigt sur la différence anthropologique fondamentale qui existe entre la contraception et le recours aux rythmes périodiques du cycle féminin, ce que Benoît XVI appelle « le respect des temps de la personne aimée », Humanae vitae heurte de plein fouet le modèle subversif de sexualité comme consommation. Les tenants de la révolution ne pardonneront pas à Paul VI d’avoir contrecarré leur projet. 

Zenit – Concrètement, qui s’est rebellé contre cette Encyclique ? 

P.-O. Arduin - Des scientifiques catholiques de renom se sont rebellés lorsque Paul VI a rendu publique son Encyclique le 25 juillet 2008. Parmi eux se trouvaient les pionniers du mouvement bioéthique né au même moment aux Etats-Unis. Daniel Callahan, fondateur du Hastings Center, une des institutions phares de la bioéthique américaine, publiera dès 1969 un brûlot à l’encontre des thèses d’Humanae vitae. Même réquisitoire chez André Hellegers – qui fut vice-président de la commission pontificale sur la régulation des naissances de 1964 à 1966 -, à l’origine de la fameuse école de Georgetown qui domine aujourd’hui sans partage les discussions bioéthiques à l’échelle de la planète. Principe d’autonomie de l’individu, refus d’une vérité morale objective, théorie du moindre mal, relativisme éthique en sont les soubassements intellectuels. La nouvelle discipline bioéthique s’est construite dès le début dans une attitude de confrontation avec l’enseignement de l’Eglise telle une vaste hérésie postmoderne qui dissout les principes de la loi morale naturelle. D’où la prolifération actuelle de recommandations, résolutions ou législations attentatoires au mariage et à la vie humaine. 

Zenit – Beaucoup ont reproché à Paul VI de favoriser l’avortement en n’autorisant pas la contraception. Que leur répondez-vous ? 

P.-O. Arduin - On accuse en effet Humanae vitae d’avoir acculé les parents à faire le choix immoral de l’avortement alors que la conception d’un enfant non désiré aurait pu être évitée par une pratique contraceptive. Les faits eux-mêmes contredisent cette objection. La France est en effet championne du monde du recours à la pilule tandis que l’avortement est excessivement élevé au point d’inquiéter les responsables publics : 211.000 avortements pour 768.000 naissances, soit un enfant à naître sur 5. Les observateurs n’hésitent plus à parler de norme médicale contraceptive contraignante tant l’exigence de planification et de maîtrise toute-puissante de la fécondité est forte. Conséquence : cette propension quasi irrésistible à recourir à l’avortement comme « rattrapage contraceptif » en cas de grossesse non prévue. La mentalité contraceptive, en refusant comme un mal absolu l’enfant non programmé, est le terreau culturel qui permet à l’avortement de se répandre inexorablement. Il devient la solution idéale et le moyen le plus efficace pour finaliser son projet « contraceptif ». Benoît XVI montre dans son discours que la communauté des hommes s’enferme ainsi dans un « cercle d’égoïsme asphyxiant ». Seul un « amour qui sait penser et choisir en pleine liberté, sans se laisser conditionner outre mesure par l’éventuel sacrifice demandé » est capable d’accueillir la vie. A l’encontre d’une culture qui rejette l’enfant, Humanae vitae fait le choix de l’amour et de la responsabilité à l’égard de la vie, nous dit le Saint-Père. C’est la clé de lecture de l’encyclique ! 

Zenit – Aujourd’hui, on semble redécouvrir la force prophétique d’Humanae vitae. Pourquoi ? 

P.-O. Arduin - Sur le plan doctrinal, Humanae vitae apparaît comme l’acte fondateur de toute la réflexion morale du magistère sur les enjeux éthiques modernes. En approfondissant la nature du lien indissoluble entre les deux significations de l’acte conjugal, union et procréation, Humanae vitae porte en germe les développements prodigieux de la théologie du corps de Jean-Paul II et annonce l’Instruction Donum vitae sur la fécondation in vitro. Concernant l’aspect scientifique, les recherches des docteurs Billings sur les méthodes de régulation naturelle des naissances ont confirmé de manière fulgurante l’analyse de Paul VI. La pilule, désormais rangée dans les cancérigènes de type I, enregistre des taux d’échec qui inquiètent les pouvoirs public. Si elle pollue le corps des femmes, des études révèlent que son rejet massif dans les eaux usées modifient de proche en proche les écosystèmes eux-mêmes. Quant aux conséquences annoncées par Paul VI sur la société elle-même, nous les avons aujourd’hui sous les yeux : explosion de la pornographie et des violences sexuelles, épidémie des divorces avec un mariage sur deux qui se brise en Europe. Humanae vitae n’a jamais été aussi actuelle pour comprendre notre époque et porter remède à ses dérives dramatiques. De fait, nombreux sont ceux qui en redécouvrent la portée prophétique. L’avenir est plus que jamais ouvert pour faire sien ce trésor magistériel. 

Zenit – Selon vous, que peut-on faire, concrètement, pour favoriser cette redécouverte ? 

P.-O. Arduin - Benoît XVI nous donne lui-même la réponse dans la conclusion de son magnifique discours célébrant le 40e anniversaire d’Humanae vitae : « L’urgence de la formation, à laquelle je fais souvent référence, voit dans le thème de la vie l’un de ses thèmes privilégiés. Je souhaite vraiment que l’on réserve notamment aux jeunes une attention toute particulière, afin qu’ils puissent apprendre le véritable sens de l’amour et se préparent pour cela avec une éducation adaptée à la sexualité ». Le Saint-Père nous convie sans retard à un réarmement intellectuel des jeunes générations. La session d’études qu’organise du 11 au 14 juillet la Famille missionnaire de Notre-Dame dans leur maison de Sens est à ce titre providentielle pour tous ceux qui souhaitent approfondir cet enseignement et devenir à leur tour d’authentiques apôtres capables de le rayonner. Benoît XVI nous demande également de ne pas avoir peur de mettre les acteurs politiques devant leurs responsabilités : « Fournir de fausses illusions dans le domaine de l’amour (…) et de la sexualité ne fait pas honneur à une société qui se réclame des principes de liberté et de démocratie ». Humanae vitae est pour la cité des hommes, son patrimoine intellectuel est pour tous !