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BENOÎT XVI – LA LITURGIE , ÉCOLE DE PRIÈRE : SEIGNEUR LUI-MÊME NOUS ENSEIGNE À PRIER

18 février, 2016

https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2012/documents/hf_ben-xvi_aud_20120926.html

BENOÎT XVI – LA LITURGIE , ÉCOLE DE PRIÈRE : SEIGNEUR LUI-MÊME NOUS ENSEIGNE À PRIER

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 26 septembre 2012

Chers frères et sœurs,

Ces derniers mois, nous avons parcouru un chemin à la lumière de la Parole de Dieu, pour apprendre à prier de façon toujours plus authentique en examinant plusieurs grandes figures de l’Ancien Testament, les Psaumes, les Lettres de saint Paul et l’Apocalypse, mais surtout en examinant l’expérience unique et fondamentale de Jésus, dans sa relation avec le Père céleste. En réalité, ce n’est que dans le Christ que l’homme devient capable de s’unir à Dieu avec la profondeur et l’intimité d’un fils à l’égard d’un Père qui l’aime, ce n’est qu’en Lui que nous pouvons nous adresser en toute vérité à Dieu en l’appelant avec affection : « Abba, Père ! ». Comme les apôtres, nous aussi avons répété ces dernières semaines et répétons à Jésus aujourd’hui : « Seigneur, apprends-nous à prier » (Lc 11, 1). En outre, pour apprendre à vivre encore plus intensément la relation personnelle avec Dieu, nous avons appris à invoquer l’Esprit Saint, premier don du Ressuscité aux croyants, car c’est Lui qui « vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut » (Rm 8, 26) dit saint Paul, et nous savons qu’il a raison. À présent, après une longue série de catéchèses sur la prière dans l’Écriture, nous pouvons nous demander : comment puis-je me laisser former par l’Esprit Saint et devenir ainsi capable d’entrer dans l’atmosphère de Dieu, de prier avec Dieu ? Quelle est cette école à travers laquelle Il m’enseigne à prier, Il m’aide dans mes difficultés à m’adresser de façon correcte à Dieu ? La première école de la prière — nous l’avons vu au cours de ces semaines — est la Parole de Dieu, l’Écriture Sainte. L’Écriture Sainte est un dialogue permanent entre Dieu et l’homme, un dialogue progressif dans lequel Dieu se révèle toujours plus proche, dans lequel nous pouvons connaître toujours mieux son visage, sa voix, son être ; et l’homme apprend à accepter de connaître Dieu, à parler avec Dieu. Donc, au cours de ces semaines, en lisant l’Écriture Sainte, nous avons tenté, à partir de l’Écriture, de ce dialogue permanent, d’apprendre comment nous pouvons entrer en contact avec Dieu. Il y a encore un autre « espace » précieux, une autre « source » précieuse pour grandir dans la prière, une source d’eau vive très étroitement liée à la précédente. Je veux parler de la liturgie, qui est un domaine privilégié dans lequel Dieu parle à chacun de nous, ici et maintenant, et attend notre réponse. Qu’est-ce que la liturgie ? Si nous ouvrons le Catéchisme de l’Église catholique — aide toujours précieuse, dirais-je et indispensable — nous pouvons lire qu’à l’origine, le terme « liturgie » signifie « service de la part de/et en faveur du peuple » (n. 1069). Si la théologie chrétienne a emprunté ce mot du monde grec, elle l’a évidemment fait en pensant au nouveau Peuple de Dieu né du Christ, qui a ouvert ses bras sur la Croix pour unir les hommes dans la paix de l’unique Dieu. « Service en faveur du peuple », un peuple qui n’existe pas en soi, mais qui s’est formé grâce au Mystère pascal de Jésus Christ. En effet, le Peuple de Dieu n’existe pas en vertu de liens de sang, de territoire, de nation, mais il naît toujours de l’œuvre du Fils de Dieu et de la communion avec le Père qu’il nous obtient. Le Catéchisme indique en outre que « dans la tradition chrétienne (le mot “liturgie”) veut signifier que le Peuple de Dieu prend part à l’œuvre de Dieu » (n. 1069), car le Peuple de Dieu en tant que tel n’existe que par l’œuvre de Dieu. C’est ce que nous a rappelé le développement même du Concile Vatican II, qui débuta ses travaux, il y a cinquante ans, avec la discussion du schéma sur la sainte liturgie, approuvé ensuite solennellement le 4 décembre 1963, le premier texte approuvé par le Concile. Que le document sur la liturgie fût le premier résultat de l’assemblée conciliaire, fut peut-être attribué par certains au hasard. Parmi les nombreux projets, le texte sur la sainte liturgie sembla être le moins controversé et, précisément pour cette raison, en mesure de constituer comme une sorte d’exercice pour apprendre la méthodologie du travail conciliaire. Mais sans aucun doute, ce qui à première vue peut sembler un hasard, s’est démontré être le choix le plus juste, même à partir de la hiérarchie des thèmes et des tâches les plus importantes de l’Église. En effet, en commençant par le thème de la « liturgie » le Concile mit en lumière de façon très claire le primat de Dieu, sa priorité absolue. Dieu avant toute chose : c’est précisément ce que nous dit le choix conciliaire de partir de la liturgie. Là où le regard de Dieu n’est pas déterminant, toute autre chose perd son orientation. Le critère fondamental pour la liturgie est son orientation à Dieu, pour pouvoir ainsi participer à son œuvre même. Mais nous pouvons nous demander : quelle est cette œuvre de Dieu à laquelle nous sommes appelés à participer ? La réponse que nous offre la Constitution conciliaire sur la sainte liturgie est apparemment double. Au numéro 5 elle nous indique, en effet, que l’œuvre de Dieu, ce sont ses actions historiques qui nous apportent le salut, qui ont culminé dans la Mort et la Résurrection de Jésus Christ ; mais au numéro 7 la même Constitution définit précisément la célébration de la liturgie comme « œuvre du Christ ». En réalité, ces deux significations sont indissociablement liées. Si nous nous demandons qui sauve le monde et l’homme, la seule réponse est : Jésus de Nazareth, Seigneur et Christ, crucifié et ressuscité. Et où devient actuel pour nous, pour moi aujourd’hui le Mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ qui nous apporte le salut ? La réponse est : dans l’action du Christ à travers l’Église, dans la liturgie, en particulier dans le sacrement de l’Eucharistie, qui rend présente l’offre sacrificielle du Fils de Dieu, qui nous a rachetés ; dans le sacrement de la réconciliation, où l’on passe de la mort du péché à la vie nouvelle ; et dans les autres actes sacramentaux qui nous sanctifient (cf. Presbyterorum ordinis, n. 5). Ainsi le mystère pascal de la Mort et de la Résurrection du Christ est le centre de la théologie liturgique du Concile. Allons encore un peu plus loin et demandons-nous: de quelle manière est rendue possible cette actualisation du mystère pascal du Christ ? Le bienheureux Pape Jean-Paul II, 25 ans après la constitution Sacrosanctum Concilium, écrivit : « Pour actualiser son mystère pascal, le Christ est toujours là, présent dans son Église, surtout dans les actions liturgiques. La liturgie est, en effet, le lieu privilégié de rencontre des chrétiens avec Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus Christ (cf. Jn 17, 3) » (Vicesimus quintus annus, n. 7). Dans la même perspective, nous lisons dans le Catéchisme de l’Église catholique : « Une célébration sacramentelle est une rencontre des enfants de Dieu avec leur Père, dans le Christ et l’Esprit Saint, et cette rencontre s’exprime comme un dialogue, à travers des actions et des paroles » (n. 1153). Par conséquent, la première exigence pour une bonne célébration liturgique est qu’elle soit prière, entretien avec Dieu, écoute tout d’abord puis réponse. Saint Benoît, dans sa « Règle », en parlant de la prière des Psaumes, indique aux moines : mens concordet voci, « que l’esprit concorde avec la voix ». Le saint enseigne que dans la prière des Psaumes, les paroles doivent précéder notre esprit. Habituellement, cela ne se passe pas ainsi, nous devons d’abord penser puis ce que nous avons pensé est converti en parole. Ici en revanche, dans la liturgie, c’est l’inverse, la parole précède. Dieu nous a donné la parole et la sainte liturgie nous offre les paroles ; nous devons entrer à l’intérieur des paroles, dans leur signification, les accueillir en nous, nous mettre en harmonie avec ces paroles ; ainsi devenons-nous fils de Dieu, semblables à Dieu. Comme le rappelle Sacrosanctum Concilium, pour assurer la pleine efficacité de la célébration « il est nécessaire que les fidèles accèdent à la liturgie avec les dispositions d’une âme droite, qu’ils harmonisent leur âme avec leur voix, et qu’ils coopèrent à la grâce d’en haut pour ne pas recevoir celle-ci en vain » (n. 11). Un élément fondamental, primaire, du dialogue avec Dieu dans la liturgie, est la concordance entre ce que nous disons avec les lèvres et ce que nous portons dans le cœur. En entrant dans les paroles de la grande histoire de la prière, nous sommes nous-mêmes conformés à l’esprit de ces paroles et nous devenons capables de parler avec Dieu. Dans cette optique, je voudrais seulement mentionner l’un des moments qui, au cours de la liturgie elle-même, nous appelle et nous aide à trouver cette concordance, cette conformation à ce que nous écoutons, nous disons et nous faisons pendant la célébration de la liturgie. Je fais référence à l’invitation que le célébrant formule avant la prière eucharistique : « Sursum corda », élevons nos cœurs au-dessus de l’enchevêtrement de nos préoccupations, de nos désirs, de nos angoisses, de notre distraction. Notre cœur, au plus profond de nous-mêmes, doit s’ouvrir docilement à la Parole de Dieu et se recueillir dans la prière de l’Église, pour recevoir son orientation vers Dieu des paroles mêmes qu’il écoute et prononce. Le regard du cœur doit se diriger vers le Seigneur, qui se trouve parmi nous : il s’agit d’une disposition fondamentale. Quand nous vivons la liturgie avec cette attitude de fond, notre cœur est comme libéré de la force de gravité, qui l’attire vers le bas, et il s’élève intérieurement vers le haut, vers la vérité, vers l’amour, vers Dieu. Comme le rappelle le Catéchisme de l’Église catholique : « La mission du Christ et de l’Esprit Saint qui, dans la liturgie sacramentelle de l’Église, annonce, actualise et communique le Mystère du salut, se poursuit dans le cœur qui prie. Les Pères spirituels comparent parfois le cœur à un autel » (n. 2655) : altare Dei est cor nostrum. Chers amis, nous ne célébrons et vivons bien la liturgie que si nous restons dans une attitude de prière, et pas si nous voulons « faire quelque chose », nous faire voir ou agir, mais si nous orientons notre cœur vers Dieu et si nous nous plaçons dans une attitude de prière en nous unissant au Mystère du Christ et à son dialogue de Fils avec le Père. Dieu lui-même nous enseigne à prier, comme l’affirme saint Paul (cf. Rm 8, 26). Il nous a lui-même donné les paroles adaptées pour nous adresser à Lui, des paroles que nous rencontrons dans le Psautier, dans les grandes oraisons de la sainte liturgie et dans la célébration eucharistique elle-même. Prions le Seigneur d’être chaque jour plus conscients du fait que la liturgie est action de Dieu et de l’homme ; une prière qui jaillit de l’Esprit Saint et de nous, entièrement adressée au Père, en union avec le Fils de Dieu fait homme (cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 2564). Merci.

CIEUX, RÉPANDEZ VOTRE JUSTICE, QUE DES NUÉES DESCENDE LE SALUT! (AVENT)

26 novembre, 2015

http://www.oeuvre-fso.org/francais/?p=40

CIEUX, RÉPANDEZ VOTRE JUSTICE, QUE DES NUÉES DESCENDE LE SALUT! (AVENT)

Thème: Méditations

La richesse de la tradition liturgique de l’Église nous offre l’hymne ancien du Rorate Cæli comme un point de réflexion récurrent pendant l’Avent. Chanté traditionnellement par les religieux tous les jours de l’Avent en chant grégorien, le nom de l’hymne est dérivé du verset d’ouverture et du refrain, celui-ci étant pris du livre du prophète Isaïe : «Cieux, épanchez-vous là-haut, et que les nuages déversent la justice, que la terre s’ouvre et produise le salut, qu’elle fasse germer en même temps la justice. C’est moi, Yahvé, qui ai créé cela.» (Is 45,8). Ce verset du prophète Isaïe résume de façon extraordinaire l’attente patiente du Peuple de Dieu pour le Messie promis. Dans ce verset apparemment sans importance, nous voyons comment le prophète utilise au sens figuré la prière bien connue du Peuple de Dieu pour la récolte, suppliant Dieu d’accorder le don de la rédemption : «Car de même que la terre fait éclore ses germes et qu’un jardin fait germer sa semence, ainsi le Seigneur Dieu fait germer la justice et la louange devant toutes les nations.» (Is 61,11). Dans l’Ancien Testament, le don ou le manque de pluie étaient vus comme un signe de la bienveillance ou de la disgrâce de Dieu. La pluie pour la récolte était perçue comme récompense pour la fidélité à l’alliance car c’est Dieu seul qui donne la croissance et la persistance : «Assurément, si vous obéissez vraiment à mes commandements que je vous prescris aujourd’hui, aimant Yahvé votre Dieu et le servant de tout votre coeur et de toute votre âme, je donnerai à votre pays la pluie en son temps, pluie d’automne et pluie de printemps, et tu pourras récolter ton froment … et tu mangeras et te rassasieras.» (Dt 11,13-15). Reconnaissant sa dépendance totale de Dieu, Israël fit alors sa prière annuelle à Dieu non seulement pour que la pluie tombe mais, ce qui est encore plus important, pour que la pluie tombe au temps opportun. Israël a vécu une période d’attente patiente en l’accompagnant de la prière, sachant que le succès ou l’échec des récoltes en dépendait ou autrement dit soit la vie et l’abondance ou bien la faim et la mort pour ce peuple agricole. C’est dans cette supplication même du Peuple de Dieu pour que la pluie fertilise le sol desséché au temps opportun que le prophète Isaïe voit, de façon analogue, la supplication de son Peuple pour le Sauveur qui doit venir pour arroser la terre qui espère si ardemment la rédemption. Saint Paul écrit aux Galates : «Mais, lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme.» (Ga 4,4). Par l’incarnation du Christ, Dieu a versé sa grâce sur la terre et visité nos coeurs durs et desséchés. C’est ce qu’exprime de façon sublime le troisième verset du Rorate Cæli : «Regarde, Seigneur, l’abattement de ton Peuple, et envoie Celui qui doit venir! Envoie l’Agneau souverain de l’Univers, du Rocher du désert jusqu’à la montagne de la Fille de Sion, et qu’Il nous délivre du joug de nos péchés !». De nos jours, nous entendons que les déserts du monde se répandent rapidement. Nous devrions peut-être adopter la tenue du prophète Isaïe et demander en cet Avent que Dieu vienne visiter le désert spirituel du monde, afin de désaltérer ceux qui ont soif de la grâce et ainsi laisser Dieu naître dans beaucoup de coeurs à Noël, car «Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut» (2 Co 6,2).

Prière : Dieu notre Père, Tu es la source de toute vie, croissance et développement. Viens, nous te prions, visite nos coeurs et accorde la grâce renouvelante du Christ en cet Avent. Puissent les cieux déverser le Sauveur et faire fleurir la foi, l’espérance et la charité sur le sol desséché du monde, car de Lui dépend notre vie et nous attendons sa venue avec un désir ardent. Amen.

PRIÈRE D’OUVERTURE DU 18E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

1 août, 2015

http://www.jardinierdedieu.com/article-priere-d-ouverture-du-dimanche-05-aout-2012-108798425.html

PRIÈRE D’OUVERTURE DU 18E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

Publié le 1 août 2015 par Père Jean-Luc Fabre

Oraison du 18ème dimanche du temps ordinaire : Assiste tes enfants, Seigneur, et montre à ceux qui t’implorent ton inépuisable bonté ; c’est leur fierté de t’avoir pour Créateur et Providence : restaure pour eux ta création, et l’ayant renouvelée, protège-la.

Donnons à Dieu ce qu’Il nous donne…
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Le Seigneur veille sur sa création, avec attention et délicatesse. Et la modalité essentielle de sa veille, de son prendre soin est celui de l’assistance… Assister comporte trois sens, le premier : celui de secourir, d’aider quelqu’un allant même jusqu’à se substituer à lui dans une de ses fonctions, le deuxième : consiste à seconder, aider, le troisième : être présent… Cette palette de sens manifeste le caractère éducatif de la présence du Seigneur auprès de nous et implique donc son caractère évolutif… Le caractère éducatif est renforcé dans la deuxième demande, nous demandons à Dieu de nous montrer quoi ? Son inépuisable bonté au travers des aléas, par des reprises, des assistances qui se manifestent lorsqu’il en est besoin et que nous lui formulons une demande…
Réalisons que cela peut indiquer un sens nouveau aussi à la série de nos demandes. A travers elles, peu à peu, se constitue, en nous, une nouvelle manière d’être envers le Seigneur, envers notre Créateur et notre Providence, envers Celui qui ne cesse de (se) donner… Peu à peu nous apprenons à être justement avec Lui, dans une relation respectueuse. Nous retrouvons la relation juste de la création, lorsque Dieu venait au jardin le soir rencontrer l’homme Adam, cette autonomie ouverte sur la juste relation, celle qu’a vécue Jésus lors de sa vie parmi nous, où il savait prendre du temps pour lui, pour nous, pour son Père…
Ce que cette prière nous dit, c’est qu’à travers la succession des demandes et des réponses, quelque chose d’autre se construit, à quoi nous pouvons nous rendre attentifs. Cette restauration de l’esprit de la création en nous… Une création qui requiert toujours une assistance, mais une assistance qui peut aller jusqu’à ne reposer que sur le simple fait que Dieu puisse se réjouir de notre manière libre et respectueuse de vivre, son amour de notre liberté va jusque là… Et Dieu peut retrouver l’esprit de la Genèse, où il exprimait son désir, où il disait que « cela était bon », que « cela était très bon ». Offrons à Dieu ce plaisir, comme Jésus l’a fait… Demandons l’aide du Fils pour ainsi réjouir le Père… Soyons pleinement ses enfants…

Père Jean-Luc Fabre

LA DESCENTE AUX ENFERS : POURQUOI ?

2 juin, 2015

http://www.revue-resurrection.org/La-descente-aux-enfers-pourquoi

LA DESCENTE AUX ENFERS : POURQUOI ?

P. MICHEL GITTON

Le « petit Credo », comme on dit parfois, le Credo baptismal, appelé aussi Credo des Apôtres, renferme un article particulièrement encombrant : « il est descendu aux enfers ». Certains vont jusqu’à le faire sauter, comme on le voit dans la traduction française du Rituel du baptême des enfants. Pensez donc ! Que vont comprendre les gens ? Déjà l’Enfer, au singulier, est un sujet sur lequel on n’ose guère s’étendre, mais toute cette mythologie entre la mort du Christ et sa Résurrection, sortie tout droit des Évangiles apocryphes, mérite-t-elle qu’on s’y arrête plus longtemps ?
La descente aux enfers n’est pourtant pas une affirmation mineure. Si on la comprend bien, elle ouvre des perspectives dans plusieurs directions :
1- la réalité de la mort du Seigneur : le Christ est bien mort d’une vraie mort d’homme ; il n’a pas connu seulement l’instant de la mort, l’arrêt des fonctions vitales et la séparation de l’âme et du corps ; il « a été mort », comme il le déclare lui-même plus tard (Ap 1,18) ; il a connu l’état redoutable et mystérieux de l’après-mort, cette attente comateuse, cette survie diminuée, que la Bible désigne sous le nom de Shéol ou d’Hadès ;
2 – la solidarité avec l’homme jusqu’au bout : il n’a pas seulement touché du bout du doigt notre condition humaine, il s’y est immergé profondément, et, par là même, il a rejoint toute humanité passée, présente et future, qui connaît le même sort ; il s’est mis au degré zéro de notre humanité, pour que plus aucune situation humaine ne soit en dehors de sa victoire ;
3 – l’universalité du salut : en descendant au Shéol, Jésus éclaire ce lieu de ténèbres et d’ennui des clartés de la vraie lumière ; il y rencontre des pans entiers d’humanité qu’il n’avait pas connus durant sa vie sur terre et leur propose le chemin du salut ; celui-ci n’est jamais une promotion automatique ou la récompense d’une vie vertueuse, c’est l’accueil de l’initiative divine à travers la main tendue du Christ ; or le Christ vient tendre la main à Adam et Ève, à tous ceux qui sont morts avant lui et il entraîne ceux qui l’acceptent vers le bonheur du paradis .
On s’étonne que cette vérité si essentielle à l’équilibre du mystère soit à ce point méconnue des chrétiens. Il y a à cela plusieurs raisons, sans doute. Énumérons-en quelques unes
La première réside dans les suites de la « démythologisation » initiée par Rudolf Bultmann. La vision d’un univers partagé en trois secteurs (terre/ciel/enfers) serait l’héritage d’une cosmologie mythique définitivement dépassée. Seule parlerait à l’homme moderne la présentation de la foi en terme de relations interpersonnelles. Depuis, nous avons appris que l’homme « moderne », frustré des représentations symboliques de la foi par une religion de plus en plus intellectualisée et moralisante, a cherché ailleurs la nourriture de son imagination, dans la science fiction, par exemple. C’est la grandeur de Tolkien d’avoir su intégrer dans une optique chrétienne le monde féerique des contes, avec le succès qu’on a vu. D’autre part, les représentations bibliques, qui donnent évidemment une forme spatiale et temporelle à des réalités d’un autre ordre (mais peut-on faire autrement ?), sont bien moins naïves qu’on ne l’imagine, et portent déjà toute une critique des univers magiques qui avaient cours à l’époque.
L’autre objection qu’on peut faire à « descente aux enfers », c’est qu’elle morcelle en épisodes successifs et en états disparates la seule espérance qui ressorte clairement des évangiles : l’attente de la Résurrection finale. On est heureusement en train d’en finir avec les limbes des petits enfants morts sans baptême, faudrait-il encore compter avec les « limbes des Pères », comme on a longtemps dit pour désigner les « enfers ». En séparant le sort des morts avant le Christ (les justes de l’Ancien Testament) et celui des hommes confrontés aujourd’hui à la Bonne Nouvelle prêchée à toutes les nations, et même simplement celui de toute l’humanité qui sera jugée sur l’amour au dernier jour (cf. Mt 25), on risque de perdre de vue que le seul horizon est celui de l’ultime clarification qui nous introduira dans la vie éternelle, lorsque le Seigneur reviendra.
Ne sommes-nous pas plutôt en état de le comprendre mieux ? La Résurrection, celle du Christ comme la nôtre, est la réponse de Dieu à l’obéissance de son serviteur. Ce n’est pas un coup de baguette magique qui viendrait de l’extérieur changer le cours des choses et l’orientation des cœurs. C’est l’homme réconcilié avec Dieu, rendu finalement conforme à sa vocation (ou, éventuellement, rebelle définitivement à cette orientation) que le Seigneur, dans la Résurrection, viendra prendre et conduire à une existence incorruptible, pour son bonheur ou son malheur. Le choix décisif, celui par lequel la liberté de l’homme se fixe dans son option ultime, est la condition requise antérieurement (quelque soit le sens qu’on donne à cette antériorité). Or ce choix ne peut résulter que d’une rencontre, et d’une rencontre avec le Jésus incarné, si nous voulons maintenir jusqu’au bout la certitude que nul ne sera sauvé que par la foi au Christ. La situation des morts avant le Christ et celle de tous les autres ne sont donc pas fondamentalement différentes. Le dogme de la descente aux enfers rend seulement pensable une évangélisation des laissés pour compte de l’évangélisation. Pour eux comme pour nous reste constante la séquence : choix décisif – attente de l’Heure – glorification (ou éventuellement réprobation), à l’image du Triduum pascal pour le Christ.
La seule différence est que le choix décisif a lieu post mortem pour les uns et ante mortem pour les autres. Mais cette différence même ne laisse pas d’être problématique dans la mesure où nous sommes bien ignorants de ce qu’est la mort en vérité, il nous faudrait savoir si elle est une limite sans épaisseur, ou si elle s’ouvre sur un processus. Dans ce dernier cas, la situation des morts avant le Christ qui l’ont rencontré dans l’état de mort n’est peut-être pas différent de celle que connaissent ceux qui aujourd’hui ont à répondre de leur vie devant lui, après un parcours où il n’a guère été présent à leur cœur, au moins en apparence. La descente aux enfers aurait dans ce cas une valeur permanente, et pas seulement liée au passé. C’est cette piste qu’explore avec prudence le P. Édouard-Marie dans le numéro qu’on va lire.
Mais, au préalable, les rédacteurs de Résurrection ont voulu mettre à la disposition du lecteur différents dossiers qui jalonnent ce numéro : étude sémantique sur les termes « enfer », « enfers », « limbes » etc.… (Georges Théry) ; dossier biblique (Guillaume Leclerc), dossier patristique (Matthieu Cassin).
On ne peut, sur ce sujet, se dispenser d’interroger la pensée du P. Urs von Balthasar, l’auteur du XXe siècle qui a le plus réfléchi à la descente aux enfers. C’est ce que fait notre collaborateur Jérôme Levie. Certes, la position du théologien suisse ne rallie pas tous les suffrages : l’identification qu’il introduit entre l’enfer et les enfers est en soi problématique, la vision de la rédemption qui la sous-tend trahit une influence luthérienne dont on peut largement discuter qu’elle soit celle du Nouveau Testament. N’empêche que les thèses du P. Balthasar ont contribué à rouvrir un débat théologique extrêmement fécond sur l’être-mort du Christ et le salut du monde. On ne saurait se passer de cet éclairage.
Il n’est pas inutile de situer l’affirmation de la descente aux enfers par rapport au dogme plus récent du Purgatoire, avec lequel on l’a souvent confondue, c’est ce que fait Jean Lédion, dans une brève synthèse qui renvoie au numéro jadis consacré par Résurrection à ce sujet.
Enfin, notre ami Jacques-Hubert Sautel nous présente une approche théologique et spirituelle concernant l’attitude à adopter face à la mort de nos proches, montrant comment il convient de respecter le mystère d’une vie et de ne pas trop vite la canoniser, même si l’on ne doit jamais désespérer du salut de nos frères.
Ces articles ne prétendent pas épuiser la matière. Il restera à débroussailler bien des allées pour rendre accessible à tous la croyance de l’Église en la venue du Christ mort aux enfers. Mais ce numéro y aura contribué.

P. Michel Gitton, Membre de la communauté apostolique Aïn Karem, directeur-gérant de Résurrection, prêtre du diocèse de Paris.

L’ESPRIT DE LA LITURGIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE

5 mai, 2015

http://www.assomption.org/fr/spiritualite/saint-augustin/revue-itineraires-augustiniens/la-celebration-de-l2019eucharistie/ii-augustin-maitre-spirituel/l2019esprit-de-la-liturgie-chez-les-peres-de-l2019eglise-par-jean-paul-perier-muzet

L’ESPRIT DE LA LITURGIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE, PAR JEAN-PAUL PÉRIER-MUZET

Recension du livre de François Cassingena-Tréverdy : Les Pères de l’Eglise et la liturgie, DDB, 2009, 384 pages

Le chrétien célébrant

Cette grosse étude, enrichie de notes très fournies et très érudites, englobe l’âge d’or de la Patristique tant occidentale qu’orientale du IVème au VIème siècle, c’est-à-dire du règne de Constantin à celui de Justinien, sans s’interdire d’ailleurs des débordements au-delà de cette période (ex. Grégoire le Grand et Maxime le Confesseur). Elle nous présente le portrait liturgique des communautés chrétiennes en acte de célébrer, à travers l’œuvre et la réflexion de ses représentants les plus prestigieux et les plus brillants, à commencer par celles de deux ‘spécialistes reconnus’ : saint Augustin en Occident et saint Jean Chrysostome en Orient. C’est à travers une riche mosaïque de textes et de citations patristiques, notamment des sermons, que l’auteur de l’étude, un bénédictin de Solesmes, tente de capter l’esprit et l’expérience liturgique de cette Grande Eglise des IVème et VIème s.
La liturgie y est définie comme le service de Dieu par l’ensemble du système culturel, que ce soient les rites et les personnes. On connaît au sujet de la célébration eucharistique la formule heureuse et bien frappée de l’évêque d’Hippone : Sacramentum pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis. Quant à l’épiphanie de cette liturgie ou à son déploiement habituel, elle ne se réduit pas à une participation factuelle de quelques fidèles ou acteurs, mais à une conception plus globale et plus intérieure de la célébration qui fait de chaque participant de l’assemblée en prière un membre communiant à la vie du Christ, à la façon, dixit Augustin, d’une fourmi de Dieu, faisant au retour de l’office une secrète provision des grains qu’elle a récoltés sur l’aire. Le mot liturgie et l’acte liturgique n’ont de sens d’ailleurs pour les Pères de l’Eglise dans l’Antiquité chrétienne que compris et vécus dans un sens communautaire et ecclésial large : la prière liturgique possède une haute teneur d’ecclésialité. On n’est chrétien qu’en assemblée, qu’ensemble, formule que ne renieraient pas les utilisateurs du moderne Prions en Eglise.
Une articulation charpentée
L’ouvrage est composé sur un mode à quatre temps, comme un moteur à explosion bien rodé ! Il commence par une présentation de l’assemblée, continue par la description de l’accès à la célébration, se poursuit avec celle de l’action liturgique et se conclut par une réflexion sur l’expérience de la liturgie.
Constituer l’assemblée
Premier pas pour cette assemblée en prière, l’évêque prédicateur doit d’abord la constituer et la fidéliser : ce n’est déjà pas une mince affaire avec la concurrence d’autres rassemblements festifs et attractifs comme les jeux du cirque, l’hippodrome ou le théâtre, d’où des plaintes fortes des pasteurs contre l’absentéisme et des rappels sonores en faveur de l’assiduité : « A quoi sert-il que l’Eglise aime ses enfants, si elle ne voit leur visage qu’aux jours de grande fête » ? Assiduité quotidienne – chaque jour et même tout le jour – qui assimile de façon trop radicale, sous la plume du Patriarche de Constantinople, la condition monastique à celle du baptisé ! Le travail liturgique qu’est la prédication, marqueur de l’assiduité, peut être source de fatigue à la fois pour l’orateur mais aussi pour les fidèles, par l’attention qu’elle exige et par la longueur du discours que favorise volontiers le genre oral. Augustin aime conjuguer les trois termes constitutifs selon lui de l’assemblée : congregatio (foule), lectio (Parole de Dieu) et sermo (prédication), trilogie emblématique d’une véritable participation liturgique.
Avec le temps, l’assemblée s’organise et se codifie à l’unisson de l’architecture basilicale et de la tenue des conciles pour l’orthodoxie des dogmes: le Peuple de Dieu est hiérarchisé et même hiératisé selon des états de vie bien distingués et selon un bon ordre harmonieux qui entend signifier quelque chose de la dimension morale de la vie chrétienne, une expression communautaire qui discipline les charismes individuels en vue de l’édification de tous. L’assemblée fonctionne à la manière d’un navire de navigation avec pilote, marins, matelots et passagers, chacun à son poste, dans le calme, selon un rang ‘ordonnant’, à la fois ferme et souple.
On comprend que le chant trouve dans ce contexte de la prière d’assemblée à la fois sa place et sa valeur d’harmonie ecclésiale. Avec pédagogie, Augustin sait évoquer son importance avec les expressions d’ordo, de dispositio et de modus, trois touches musicales transposées à l’acte liturgique. Le même souci de bon ordre fait prohiber chez les Pères toute idée de festin, de licence mondaine ou d’excès dans la toilette féminine dans les maisons et aux temps de la prière commune. Le seul critère radical retenu en matière de beauté, c’est celle de Dieu et, par conséquent, celle de l’être humain image de Dieu. A privilégier donc en toute circonstance, pour le sujet liturgique qu’est l’assemblée, tout ce qui porte à son orchestration communautaire : communion, unisson et harmonie, pour la joie spirituelle de l’être-ensemble, en d’autres termes célébrer sur terre d’un seul cœur et d’une seule âme, véritable miroir de la liturgie céleste, véritable symphonie des anges.
Accéder au mystère
Deuxième démarche de l’auteur, l’accès de l’assemblée au mystère liturgique est finement délivré par les Pères grâce à leur pédagogie du seuil. Il convient d’accomplir pour l’acte liturgique une démarche initiale qui est l’approche du mystère, c’est-à-dire pour l’homme l’accueil de Dieu qui se fait proche de son peuple et qui par le fait même le rend proche de lui-même, plus intérieur en quelque sorte. Pour accéder à cette transcendance du mystère et franchir la dénivellation qui sépare la vie ordinaire de la vie liturgique, l’homme est conduit à une attitude de purification par la prière, la réflexion théologique et la célébration. Trois attitudes ou prodromes de l’agir liturgique sont recommandés : foi, crainte et silence pour ce rapport vertical de l’homme à la transcendance divine, car de même que c’est dans le silence que l’on parle de Dieu (théologie), c’est dans le silence que l’on parle à Dieu (prière), terme ultime de l’expérience mystique selon la vision augustinienne d’Ostie (contemplatio) et condition indispensable de l’écoute de la Parole dans la célébration des mystères liturgiques.
Entrer dans le mystère
Il est temps maintenant, après ces préliminaires, d’entrer dans l’action ecclésiale mêùe où s’épanouit la liturgie ou plutôt la fête liturgique avec sa note distinctive de solennité, son caractère de rassemblement massif et sa dimension proprement politique en raison de la couverture officielle impériale. Le temps liturgique se structure avec les notions de cycle dominical, temporal, sanctoral qui déploient à travers l’année entière la célébration unique du Mystère chrétien en autant de scènes ou d’actes multiples empruntés à la dramaturgie pascale, avec le renfort de mouvements ambulatoires comme stations, processions, pèlerinages. La mentalité antique rappelle que la fête est d’institution divine, qu’elle marque un repos, qu’elle se fonde sur une alternance-échange et qu’elle fait jouer entre les hommes une instance rythmique avec musique et danse, d’où sa dominante joyeuse, et où la prestation oratoire est comme inhérente. Le christianisme n’a eu aucune peine à se couler dans l’héritage hellénique comme dans la romanité païenne de la panégyrie antique et, avec son déploiement fastueux de cérémonial, en se l’appropriant tout en le revisitant.
On retrouve dans la conception mystique de l’idéal festal antique les assises de l’institution chrétienne de la fête liturgique : la fête construit les mots, les pierres et les hommes. Lorsqu’elle devient chrétienne, le Christ-Kyrios, nouvel Empereur par sa victoire pascale, confisque en sa personne tous les rôles traditionnels empruntés à la fête païenne, hiérophante, chorège et agonothète[1] , bref tout l’arsenal notionnel et métaphorique de la « festalité » traditionnelle en le dépouillant du vêtement du mythe et de son attirail sensible et sensuel. Le temps liturgique manifeste à la fois cohérence et dynamique, le paysage et l’architecture des fêtes formant une véritable christologie avec la trinité de Noël, de Pâques et de l’Ascension célébrant toute la terre et toute la vie, l’intime solidarité du visible et de l’invisible dans la cohésion du mystère : une sorte de fête sans fin à travers son aujourd’hui. Le rendez-vous liturgique de la fête manifeste ce Dieu-Emmanuel avec son Peuple dans la perspective même d’une eschatologie en marche vers sa plénitude, au terme de l’histoire où l’homme intérieur, piéton du ciel, rejoint spiritualisé le champ de la divinité dans la grande Fête divine.
Faire l’expérience du mystère dans toute l’extension de la vie
Dernier stade d’examen, comment se réalise la suture entre la liturgie et la conscience de ceux qui y participent, quelle assimilation ou réception en est-elle faite d’ordre théologal, sacramentel et ecclésial ? L’être-chrétien individuel et collectif est-il modifié sur les plans intellectuel, affectif et éthico-existentiel ?
Dans la liturgie, grâce au don de présence de l’Esprit, tout est appelé à faire signe et à faire progresser vers une intelligence savoureuse des paroles entendues et des gestes posés (intellectus fidei) de la part des fidèles dont les yeux de l’âme sont occupés à regarder Jésus. Cette attention à penser et peser la Parole, à écouter le Maître intérieur, témoigne de cette intentio cordis qui caractérise l’homme intérieur selon le mot d’Augustin, pour faire concorder son esprit et sa voix avec l’intelligence du Mystère célébré par toute l’Eglise. Par la grâce de la prière liturgique, le cœur du fidèle est comme transporté au-delà de lui-même pour être introduit et déplacé dans l’univers méta-cosmique. Ce motif récurrent du Sursum corda dans la prédication augustinienne désigne et récapitule la dimension anagogique de l’existence chrétienne invitée au dépassement dans la vie mystique pour atteindre le port de la sérénité d’une vie parfaite, promesse de la trêve au monde, à ses passions et à ses tempêtes. Car une des composantes essentielles du tempérament liturgique dans la célébration, c’est la joie spirituelle d’atteindre le bien-être profond, le repos dans la détente, la récréation et l’union des cœurs dans la communion ecclésiale. Joie spirituelle que symbolise le chant d’un Alléluia qui perdure, signe de vitalité et de santé de la part d’une assemblée en réaction par ses applaudissements, ses acclamations, ses cris, ses chants, ses larmes…étant entendu, comme l’exprime Augustin, que la voix qui va vers les hommes est le son ; mais celle qui va vers Dieu est le sentiment (affectus). Cette adhérence profonde de tout l’être conduit le fidèle liturgique jusqu’à l’union mystique à Dieu dans le secret du cœur-à-cœur, sommet d’intériorisation et de contemplation.
Cette commotion du cœur aboutit évangéliquement à la conversion de vie qui permet au sortir de la liturgie d’emporter avec soi ou en soi l’actualité du Christ pascal et de diviniser l’existence du baptisé. Vivre avec le Christ en participant au mystère liturgique débouche sur le vivre avec le frère, sacrement existentiel, en assumant la condition responsable d’être chrétien au monde. La porte de l’église ouvre sur le monde des frères, à commencer par celui des pauvres, grâce à la charité sociale, grâce au devoir de l’aumône, grâce à l’exercice concret de l’agapè, ce transfert du sacré de l’action liturgique au champ social. La fin divinisante de l’action liturgique appelle sa fin humanisante en vertu de cette nécessité structurelle de l’être chrétien, à l’image de leur union parfaite dans le Christ. Une manière de redire avec les Pères au terme de cette belle étude que l’homme n’est homme qu’à l’église dans la mesure même où l’homme a pour vocation de faire de la ville entière ou de la cité humaine une véritable église.
En guise de conclusion ouverte
Ce livre n’est pas d’une lecture forcément reposante : très documenté, il requiert une attention coûteuse, mais il récompense inversement le lecteur de sa dépense d’énergie par le fruit lumineux de son exposé, la richesse de son contenu et la complexité évidente de son sujet. D’une écriture choisie qui ne nous épargne pas le jargon disciplinaire, il évoque en tout cas à la perfection la beauté majestueuse qui entoure les célébrations liturgiques aussi bien orientales, version syro-antiochienne de conception mimétique, que celles occidentales, de facture augustinienne au volet social plus ouvert. Favorisée par le pouvoir impérial à partir du IVème siècle, la liturgie n’est plus matière à libre improvisation en passant de l’oralité à l’écriture et en s’adressant à des communautés nombreuses. Même si l’on perçoit déjà des facteurs de diversification entre l’Orient et l’Occident du fait des cultures et des langues, elle reste soudée à un tronc commun hérité de la tradition baignant dans la mentalité et dans l’esprit de l’homme classique, à travers l’aire/ère de l’âge romanisé.

Jean-Paul PERIER-MUZET
Augustin de l’Assomption
Paris

MORT ET RÉSURRECTION (Ph 2, 6-11)

15 avril, 2015

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art1941.htm

MORT ET RÉSURRECTION

P. Lucien Deiss

Nous entrons dans la contemplation du mystère pascal par une grande porte que nous ouvre le Père Lucien Deiss, l’hymne de Saint Paul dans l’Epitre aux Philippiens :  » Jésus, de condition divine…  » Ph 2, 6-11

Grégorien et Parole de Dieu
Jadis, avant la réforme liturgique de Vatican 11, un des sommets de l’Office de la semaine Sainte. culminait dans le chant de l’antienne  » Christus factus est pro nobis « . Quelques 120 voix jeunes, entre 20 et 25 ans, chantant le grégorien dans notre scolasticat avec une virile beauté: célébration d’une intense splendeur! La première partie de l’antienne, dans une mélodie grave et solennelle, invite à la contemplation du Christ  » obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix.  » La seconde partie, dans une envolée exultante et jubilante célèbre sa résurrection et sa seigneurie universelle:  » C’est pourquoi Dieu l’a exalté…  » Le grégorien se mettait au service du mystère, les neumes acclamaient la Parole de Dieu selon l’hymne aux Philippiens 2, 6-11.
Certaines communautés, depuis la réforme liturgique, n’ont pas pu sauvegarder la richesse de leur grégorien. En retour, elles ont récupéré un trésor d’une incomparable beauté celui de la Parole de Dieu dans son intégralité. Le texte en effet, d’une émouvante splendeur, est une hymne que Paul cite dans sa lettre aux Philippiens 2, 6-11. L’exégèse allemande l’appelle « Christuslied », chant du Christ . On la divise tout naturellement en deux parties, et les commentateurs subdivisent ordinairement chaque partie en trois strophes. La voici dans une traduction qui veut imiter autant que possible la superbe splendeur de l’original grec que cite Paul :
Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais lui-même s’anéantit prenant condition d’esclave, devenant semblable aux hommes.
Et s’étant comporté comme un homme il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom
Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au plus haut des cieux
sur la terre et dans les enfers,
Et que toute langue proclame : le Seigneur, c’est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père.
Parole de Dieu et grégorien soulignent donc, chacun à sa manière, la révélation du mystère de Jésus.
Une des premières professions de foi
La lettre aux Philippiens date des années 53. La mort même de Jésus remonte aux années 30. Cette lettre fut donc rédigée quelques 23 années après la mort de Jésus. L’hymne représente ainsi une des premières professions de foi de la communauté primitive. C’est une merveille de simplicité et de force:  » Le Seigneur, c’est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père  » .
« Tel est le caractère fascinant et énigmatique de ce joyau de la foi chrétienne primitive qu’il n’a pas encore dévoilé tous ses secrets. » L’une des sources les plus proches semble être le quatrième chant du Serviteur de Yahvé selon Is 52,13 à 53,12. Ce chant célèbre le Serviteur, homme de douleur écrasé par la souffrance pour les péchés de son peuple, exalté ensuite comme son Fils pour son sacrifice (Is 53,10-12). On peut ajouter à cette source le thème du Nouvel Adam . Jésus est « de condition divine », littéralement « dans la forme de Dieu » (2,6). Or dans le vocabulaire biblique grec, le mot « forme » équivaut à « image ». Adam, créé à l’image de Dieu (Gn 1,27) cherche à devenir son égal. D’où sa chute. Jésus, lui qui est Fils de Dieu, n’a pas gardé jalousement le rang qui l’égalait à son Père . Il a choisi l’humilité et l’obéissance. D’où son exaltation.
En suivant le texte mot à mot
Le texte de l’hymne est particulièrement riche et dense. On donne ici, comme pour toucher le texte primitif, la transposition littérale de l’original grec.
Première partie ( 2,6-8)
Verset 6 :  » Lui (= le Christ) se trouvant en forme de Dieu, ne retint pas comme une proie d’être égal à Dieu « .
La lourdeur de la phrase s’explique par le désir d’évoquer l’image du Christ en tant nouvel Adam. Le premier Adam en effet se laissa séduire précisément par la tentation de devenir égal à Dieu:  » Vous serez comme des dieux  » (Gn 3,5), lui avait promis le démon. Le Christ , lui, réalise l’égalité avec Adam, mais au coeur même de son humilité. Nouvel Adam, il restaure ainsi l’image de Dieu en toute l’humanité.
Verset 7.  » Mais lui-même s’anéantit ( littéralement : se vida)  » prenant forme d’esclave, devenant semblable aux hommes . Quant à son aspect, il fut reconnu comme un homme.
 » Il s’anéantit  » nous comprenons : il renonça à ce qui lui appartenait en tant que Dieu, c’est-à-dire l’infinie splendeur de sa divinité. « Prenant forme d’esclave »: le mot  » esclave  » y rend servilement le grec  » doulos  » mais peut paraître trop fort dans le contexte. Il semble préférable de le rendre par le terme de  » serviteur  » On se souviendra que dans le vocabulaire de l’Ancien Testament, le serviteur peut resplendir d’une certaine noblesse en tant apparaît comme l’image et le remplaçant de son maître. C’est bien dans cette noblesse d’amour entre serviteur et maître qu’il faut comprendre la relation entre Jésus et son Père. C’est aussi dans cette noblesse d’amour que nous sommes nous-mêmes serviteurs du Père .
L’hymne affirme avec force la réalité de l’humanité de Jésus. Elle barre ainsi la route à tout docétisme. Cette hérésie, à l’oeuvre dès les premiers temps de l’Eglise, prétendait que Jésus n’était pas vraiment homme mais n’avait que la ressemblance humaine (dokein, ressembler). Elle pensait ainsi enlever le caractère scandaleux à l’incarnation et sauvegarder en même temps l’impassibilité divine: Dieu ne peut pas souffrir. Mais elle ruinait en même temps le mystère de l’incarnation de Dieu au milieu de la pauvreté humaine. Telle est la distance abyssale entre l’humilité de la condition humaine et l’infinie splendeur de la divinité. Telle est justement aussi l’infini de l’amour de Dieu pour nous.
Verset 8.  » il s’abaissa lui-même, devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort de la croix. « 
Cette troisième strophe proclame l’humiliation extrême de Jésus et son obéissance parfaite dans sa mort sur la croix. Elle évoque l’image émouvante du Serviteur de Yahvé, homme de douleurs , familier de la souffrance (Is 53,43), portant le poids de nos péchés et souffrant pour nos fautes. L’affirmation fondamentale dans la théologie paulinienne selon laquelle c’est par le péché que souffrance et mort sont entrées dans le monde (Rm 5,12) n’est pas niée dans l’hymne, elle n’est simplement pas reprise. Il y a donc possibilité dans le message chrétien d’évoquer souffrance et mort simplement comme liées à la condition humaine.
Relevons enfin la beauté de l’adjectif hypèkoos, obéissant, du verbe
hypakouein obéir et du substantif hypakoè, obéissance. Ces mots sont formés du verbe akouein, du préfixe hypo, dessous, d’où  » écouter en penchant la tête  » (Bailly). L’obéissance de Jésus, comme l’obéissance chrétienne , n’est pas l’exécution servile de la volonté d’un maître intraitable, mais bien l’humble écoute de la Parole de Dieu en penchant la tête en signe de vénération et d’amour. Au coeur de sa souffrance, dans l’agonie de sa mort, cette obéissance d’amour fut la seule réponse de Jésus à son Père. Elle est aussi pour nous aujourd’hui notre seule réponse.

Deuxième partie ( 2, 9-11)
Verset 9 : « C’est pourquoi aussi Dieu l’a exalté et lui (a donné) par grâce le nom celui au-dessus de tout nom. »
La première partie présentait Jésus comme sujet de la phrase, on s’attendait donc à ce que la seconde partie proclamât sa résurrection. En fait, la résurrection, toujours présente, n’est même pas mentionnée ici. L’hymne préfère parler plutôt de l’exaltation de Jésus. Elle célèbre donc non pas simplement le retour à la vie du Seigneur , mais bien son entrée dans la gloire du Père. Elle souligne non pas un mérite du Christ, mais un don gratuit, une grâce (echarisato) du Père. Elle s’enracine dans l’amour merveilleux du Père. C’est lui, le Père, qui est au centre de sa louange.
Verset 10:  » Afin que dans le nom de Jésus tout genou fléchisse (dans ) les cieux, et les terres et sous les terres. « 
Dans l’univers biblique le nom n’est pas d’abord indication de l’identité de la personne, mais bien la révélation de ce qu’est sa personne devant Dieu. On peut donc affirmer ainsi que le nom de Dieu, comprenons : Dieu lui-même, habitait le Temple ( Dt 12,5). C’est pour cela que le fidèle de la Première Alliance évitait de prononcer le nom de Dieu pour ne pas se trouver comme par surprise devant le Dieu d’infinie majesté. Il remplaçait ce nom par des équivalences comme « Tout-Puissant » ou  » Très Haut « . Le nom « Yahvé » lui-même fut révélé a Moïse au Sinaï ( Ex 3,14) . Il représentait au coeur de l’Ancien Testament la richesse de son amour.
Le fidèle de la Nouvelle Alliance au contraire aime prononcer le nom de Jésus . Ce nom est proclamation de son salut. Il signifie en effet selon l’hébreu « Yéhoshua » : Yahvé sauve . C’est ce que l’ange avait expliqué à Joseph quand il lui avait demandé d’accueillir chez lui l’enfant de son épouse Marie :  » Tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés  » (Mt 15, 21).
Verset 11 : « Et que toute langue proclame que Seigneur (est) Jésus Christ pour la gloire de Dieu le Père
Le texte reprend l’acclamation de l’Eglise primitive qui est en même temps sa profession de foi: « Jésus Christ (est) Seigneur! » On notera l’inversion des mots  » Seigneur (est) Jésus Christ » pour souligner avec puissance la seigneurie de Jésus. Elle devait être familière à la communauté primitive ( cf. Col 2,9)
Cette finale renvoie à l’hymne citée en Is 45, 20-25. Dans cette hymne Dieu apparaît comme Dieu unique, juste et sauveur » devant qui se rassemblent toutes les nations et devant qui tout genou doit fléchir. Telle est bien la seigneurie de Dieu le Père, telle est également la seigneurie de Jésus.
Au coeur de la foi chrétienne se trouve donc la profession de foi en la seigneurie de Jésus « à la gloire de Dieu le Père ». Cette gloire du Père, c’est d’être reconnu et aimé , d’abord et essentiellement en tant que Père de Jésus, puis, à travers lui, de toute la création, donc de toute beauté, de tout amour, de toute joie.
En conclusion nous voyons là une hymne unique dans la littérature du Nouveau Testament, éblouissante de simplicité et d’optimisme théologique, parfaitement adaptée à notre époque ! Elle évite même de mentionner le péché de l’homme et du rachat de ce péché par la croix et préfère célébrer plutôt l’invitation de toute l’humanité, par le Christ, à la louange du Père. La résurrection ellemême de Jésus n’est pas décrite comme sa levée du séjour des morts après l’ignominie de la croix, mais bien comme son exaltation  » à la gloire de Dieu le Père.  » Aucune invitation non plus n’est faite pour présenter une prière de demande ni non plus une louange ou une action de grâce, mais il est évident que la seule réponse qui puisse être faite est cette louange ou cette action de grâce. Dieu est infinité d’amour. Toute son action dans le monde ne peut être qu’expression de son amour. Notre vie elle-même ne peut être que réalisation de ce à quoi nous avons été prédestinés, c’est-à-dire à être des vivantes  » louanges de sa gloire  » (Ep 1,5).
Nous réalisons cet idéal en marchant à la suite de Jésus, en vivant dans l’humilité devant le Père, en lui obéissant « jusqu’à la mort », c’est-à-dire en acceptant chaque instant de notre vie comme une offrande à son amour. Ainsi cette hymne s’incarne-t-elle au coeur de notre vie.

EVE ET MARIE (LITURGIE BYZANTINE)

24 mars, 2015

http://it.mariedenazareth.com/1251.0.html?&L=0

EVE ET MARIE (LITURGIE BYZANTINE)

Dans la liturgie byzantine, le thème de Marie, « nouvelle Eve » est constant :

Déchus de l’éternelle demeure et tombés de façon impie dans la mort, nous avons été de nouveau rappelés par toi, car tu es la Mère du Rédempteur et tu nous a donné de courir à la patrie première.
(18 avril, Théotokion de la 9e ode)

En m’inspirant de m’égaler au Créateur, l’affreux serpent m’emmena prisonnier. Par toi, O très pure, je suis rappelé et vraiment divinisé, car tu enfantas, O mère de Dieu, celui qui nous divinise.
(4 décembre, 2e canon des matines, Théotokion de la 1e ode)

Tu [Jésus] devins le nouvel Adam à la place du premier, né de la Vierge qui prenant place de la première mère, Rédempteur et Sauveur de tous ; contre la mort, tu es vie et vraiment immortel.
Aussi sachant que celle qui t’enfanta est vraiment mère de Dieu, nous la proclamons bienheureuse, comme il est juste.
(2 août, Théotokion du 4e ode)

Par la maladie et la désobéissance, Eve introduit la malédiction.
Par la fécondité de ton sein, Vierge Mère, la bénédiction s’épanouit dans le monde ; aussi nous te magnifions.
(Hirmos pour de très nombreux offices)

Eve par son intempérance introduisit la mort ; tu nous apportas la vie par ta pure virginité.
(3e ton, dimanche, complies, 5e stichère de la 4e ode)

La condamnation de l’antique malédiction a pris fin par ta médiation, O Vierge sans tache, car le Seigneur apparaissant sur toi a fait fleurir la bénédiction dans sa grande bonté, O seule parure des mortels.
(6e ton, vendredi, 2e canon des matines, 2e stichère de la 3e ode)

Le prince des anges fut envoyé du ciel dire le « Réjouis-toi » à la Théotokos ; te voyant incarné, Seigneur, il s’étonna et lui cria ainsi avec une voix incorporelle :
Réjouis-toi par qui brilla la joie ;
Réjouis-toi, par qui va cesser la malédiction ;
Réjouis-toi, anaclèse d’Adam ;
Réjouis-toi, délivrance des larmes d’Eve [...]
Réjouis-toi, par qui la création est renouvelée ;
Réjouis-toi par qui le créateur devient petit enfant.
Réjouis-toi, épouse inépousée.
(Ikos 1)

Salut, ô très Pure de qui vint le Pasteur, le Très Haut qui revêtit la peau d’Adam, me renouvela dans ton sein, moi l’homme entier.
(30 novembre, 2e canon des matines, Théotokion de la 7e ode)

Extraits de : Textes liturgiques de l’édition grecque officielle, cités dans Joseph LEDIT, Marie dans la liturgie de Byzance, ed. Beauchesne, Paris 1976, pp. 46-63

MARIE DANS LA PLUS ANCIENNE PRIÈRE EUCHARISTIQUE (TRADITION APOSTOLIQUE)

10 décembre, 2014

http://www.mariedenazareth.com/qui-est-marie/tradition-apostolique-approfondi-marie-dans-la-plus-ancienne-priere-eucharistique-0

MARIE DANS LA PLUS ANCIENNE PRIÈRE EUCHARISTIQUE (TRADITION APOSTOLIQUE)

Introduction
La « Tradition Apostolique » contient la plus ancienne anaphore eucharistique connue jusqu’à présent. Cette prière magnifique fascine les spécialistes de la liturgie, sans doute à cause de l’antiquité du texte, de sa théologie archaïque, de l’influence qu’elle a exercée sur la structure et sur les contenus des autres prières eucharistiques, de l’aura de mystère qui l’entoure, car nous ignorons qui est l’auteur (elle fut attribuée un certain temps à Hyppolite de Rome), l’endroit de composition, l’origine (Alexandrine?, Romaine?) la date précise, certainement très ancienne :
L’écrit date du premier quart du 3° siècle (c’est à dire avant 225), le texte écrit transmet une tradition qui remonte probablement beaucoup plus tôt encore ; l’original grec est perdu, nous en avons des traductions latines, coptes, arabes, éthiopiennes…
A cette époque la création de l’anaphore est encore libre, l’auteur de la tradition apostolique a écrit ce beau texte comme une proposition et non pas déjà comme une norme fixe.
En 1970 cette anaphore est entrée dans le « Missale Romanum » comme Prière eucharistique II.
1) L’anaphore eucharistique de la Tradition Apostolique
Le passage de la liturgie juive à la liturgie chrétienne fut progressif.
Le genre littéraire de l’anaphore eucharistique de la tradition apostolique est la Berakah, et le Birkat hamazon, la prière juive qui fait le mémorial des événements de la libération que Dieu a accomplie ; (sans un événement de salut, il n’y a pas de liturgie) et rend grâce pour les biens de la création.
Mais l’anaphore s’éloigne de ces modèles : elle remercie immédiatement le Seigneur pour avoir envoyé dans le monde son fils bien-aimé Jésus Christ comme sauveur et rédempteur : dans le Christ toute l’histoire du salut est assumée. Il y a seulement une référence la création : « par lui [le Verbe] tu as créé toutes les choses. »
Cette prière est inspirée des homélies pascales de la liturgie de la nuit de Pâques (dans son double sens de passion de l’Agneau pascal mis à mort et dans le sens de passage vers le Père et vers la gloire), à commencer par le célèbre « Perì Pascha » de Méliton de Sardes au 2e siècle.
C’est une prière trinitaire, elle s’adresse au Père, par le Christ, avec le saint Esprit : « Nous te rendons grâces, o Dieu, par ton Enfant bien-aimé Jésus-Christ (…) afin que nous te louions et glorifiions par ton Enfant Jésus-Christ, par qui à toi gloire et honneur avec le Saint-Esprit dans Amen. »
La prière exprime une réalité sur Jésus (christologie) : Jésus est le fils bien-aimé du Père, comme cela fut manifesté lors de son baptême au Jourdain et lors de sa transfiguration.
La prière exprime sa mission de salut (sotériologie).
La prière exprime le « dessein du Père » et l’union du Père et du Fils : le Père et le Fils sont « inséparables ». L’idée de messager souligne que le Christ est envoyé du Père (Jn 5), et qu’il accomplit le salut qui est le dessein du Père. Le Christ « est ton Verbe inséparable par qui tu as tout créé » la prière s’inspire du Prologue de saint Jean (Jn 1). Le Christ est appelé « enfant », en latin « puer », en grec « pais » qui signifie aussi serviteur, comme dans les poèmes du serviteur du livre d’Isa?e.
Dieu sauve à travers sa solidarité avec nous, parce qu’il s’est fait homme.
Jésus est la manifestation du Père « s’est manifesté comme ton Fils », cette manifestation a été donnée sur la croix et dans la Résurrection.
Voici le texte ancien:
Nous te rendons grâces, ò Dieu, pour ton Enfant bien-aimé Jésus-Christ, que tu nous as envoyé en ces derniers temps (comme) sauveur, rédempteur et messager de ton dessein , qui lui est ton Verbe inséparable par qui tu as tout créé et que, dans ton bon plaisir, tu as envoyé du ciel dans le sein d’une vierge et qui ayant été conçu, s’est incarné et s’est manifesté comme ton Fils, né de l’Esprit-Saint et de la Vierge.
C’est lui qui, accomplissant ta volonté et t’acquérant un peuple saint, a étendu les mains tandis qu’il souffrait pour délivrer de la souffrance ceux qui ont confiance en toi.
Tandis qu’il se livrait à la souffrance volontaire, pour détruire la mort et rompre les chaînes du diable, fouler aux pieds l’enfer, amener les justes à la lumière, fixer la règle (de foi ?) et manifester la résurrection, prenant du pain, il te rendit grâces et dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps qui est rompu pour vous.
De même le calice, en disant : Ceci est mon sang qui est répandu pour vous. Quand vous faites ceci, faites-le en mémoire de moi.
Nous souvenant donc de sa mort et de sa résurrection, nous t’offrons ce pain et ce calice, en te rendant grâces de ce que tu nous as jugés dignes de nous tenir devant toi et de te servir comme prêtres.
Et nous te demandons d’envoyer ton Esprit-Saint sur l’oblation de la sainte Église. En (les) rassemblant, donne à tous ceux qui participent à tes saints (mystères) (d’y participer) pour être remplis de l’Esprit-Saint, pour l’affermissement de (leur) foi dans la vérité, afin que nous te louions et glorifiions par ton Enfant Jésus-Christ, par qui à toi gloire et honneur avec le Saint-Esprit dans ta sainte Eglise, maintenant et dans les siècles des siècles, Amen. »
(Anaphore eucharistique, Tradition Apostolique,
texte français par B.BOTTE, SC 11 bis, Cerf 1968, pp. 49-53)
2) Marie dans l’anaphore eucharistique de la tradition apostolique
Dans l’ « action de grâce », la Vierge est mentionnée deux fois (mais ne sont pas mentionnés ni les anges ni les patriarches ni les prophètes, les apôtres ou les martyrs) :
Nous te rendons grâces, ò Dieu, par ton Enfant bien-aimé Jésus-Christ, que tu nous as envoyé en ces derniers temps (comme) sauveur, rédempteur et messager de ton dessein , qui lui est ton Verbe inséparable par qui tu as tout créé et que, dans ton bon plaisir, tu as envoyé du ciel dans le sein d’une vierge et qui ayant été conçu, s’est incarné et s’est manifesté comme ton Fils, né de l’Esprit-Saint et de la Vierge.
- « les derniers temps » sont ceux où Dieu a envoyé sur la terre son  » Enfant bien-aimé « , son « Verbe inséparable » pour qu’il se fasse homme.
L’expression « derniers temps » il est à rapprocher de Gal 4,4 (« Quand advint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme »), et avec la grande tradition de saint Jean, où le Fils est « envoyé par le Père ». Le temps où Jésus est venu est non seulement le dernier temps au sens chronologique, mais aussi au sens qualitatif : c’est la « plénitude du temps », expression qui désigne l’accomplissement définitif de l’époque préparatoire et le début d’une nouvelle époque qui donne le sens et la valeur à toute l’histoire.
-  » que tu nous as envoyé [...], tu as envoyé du ciel dans le sein d’une vierge »: l’Incarnation est un envoi: il y en a un qui envoie, le Père, l’autre est envoyé, le Fils, cette prière est antidote du modalisme (contre lequel Tertullien aussi a lutté).
L’envoi a un parcours de kénose : du ciel, c’est-à-dire Dieu, dans le sein d’une vierge, de la lumière incréée vers l’obscurité. Et le but est le salut du genre humain.
- L’expression « dans le sein d’une vierge » atteste la foi de l’Église en l’humanité réelle du Christ contre la tendance du docétisme à réduire le corps du Seigneur à une simple apparence Dieu ne fait pas semblant de visiter son peuple, mais il s’incarne dans le sein de la vierge ; le fait inouï d’une « vierge » qui conçoit et enfante (cf. Is 7, l4 ; Mt l, 23 ; Lc 1,27. 31) n’est pas l’œuvre de l’homme mais de l’Esprit de Dieu (cf. Lc 1,35) ; l’expression « vierge » fait aussi allusion à la perfection morale de Marie.
- « ayant été conçu dans le sein » («in utero habitus») : nous retrouvons affirmée la réalité de l’Incarnation, mais considérée non pas tant comme la descente du Verbe dans le sein de Marie que comme son séjour dans le ventre de la Vierge.
- « né de l’Esprit Saint et de la Vierge ». Même formule que dans la liturgie du baptême dont la Tradition Apostolique fournit un des textes les plus anciens: « Crois-tu au Christ Jésus, Fils de Dieu, né de l’Esprit Saint de la Vierge Marie [...] mort, et qui le troisième jour est ressuscité ? » (Tradition Apostolique 21). On pose cette question avant d’immerger le candidat dans les eaux des fonts baptismaux parce que la conception-naissance virginale du Christ, le Fils de Dieu, appartient au noyau central de la foi.
Le motif de la mention de Marie dans la prière eucharistique n’est pas de vénérer la Mère du Seigneur mais de glorifier Dieu pour le don de Jésus, son Fils, né par la Vierge.
Cependant, cette mention, dans un contexte fortement liturgique, met en relief la fonction essentielle que Marie a eu dans l’histoire du salut : elle est la mère vierge du Christ, Verbe de Dieu, sauveur de l’homme.
Cette mention archaïque de la Vierge sera désormais un élément présent dans chaque prière eucharistique, en prenant progressivement plus de relief.
Du point de vue liturgique, il n’est pas hors de propos d’affirmer que la vénération à la Mère du Seigneur a commencé près de l’autel du Seigneur et des fonts baptismaux.
Bibliographie :
Ignazio CALABUIG, Il culto di Maria in occidente, In Pontificio Istituto Liturgico sant’Anselmo, Scientia Liturgica, sotto la direzione di A.J. CHUPUNGCO, vol V, Piemme 1998. p. 270
C. GIRAUDO. La struttura letteraria della preghiera eucaristica. Saggio sulla genesi letteraria di una forma. Roma, Pontificio Istituto Biblico, 1981, (Analecta Biblica 92). Cap. VII / II. L’anafora della Tradizione apostolica, pp. 290-295.
C. GIRAUDO. Eucaristia per la Chiesa. Prospettive teologiche sull’eucaristia a partire dalla «lex orandi» Roma – Brescia I E. P .U .G . Morcelliana, 1989, pp. 410-411.

Breynaert (Françoise Breynaert)

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS EN TURQUIE – DIVINE LITURGIE

1 décembre, 2014

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2014/documents/papa-francesco_20141130_divina-liturgia-turchia.html

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS EN TURQUIE

(28-30 NOVEMBRE 2014)

DIVINE LITURGIE

PAROLES DU SAINT-PÈRE

Église patriarcale Saint-Georges, Istanbul

Dimanche 30 novembre 2014

Sainteté, très cher Frère Bartholomée,

Souvent, comme Archevêque de Buenos Aires, j’ai participé à la Divine Liturgie des communautés orthodoxes présentes dans cette ville ; mais, me trouver aujourd’hui en cette Église Patriarcale Saint-Georges pour la célébration du saint Apôtre André, le premier des appelés et le frère de saint Pierre, patron du Patriarcat Œcuménique, est vraiment une grâce particulière que le Seigneur me donne.
Nous rencontrer, regarder le visage l’un de l’autre, échanger l’accolade de paix, prier l’un pour l’autre sont des dimensions essentielles de ce chemin vers le rétablissement de la pleine communion à laquelle nous tendons. Tout ceci précède et accompagne constamment cette autre dimension essentielle de ce chemin qu’est le dialogue théologique. Un authentique dialogue est toujours une rencontre entre des personnes avec un nom, un visage, une histoire ; et pas seulement une confrontation d’idées.
Cela vaut surtout pour nous chrétiens, parce que, pour nous, la vérité est la personne de Jésus-Christ. L’exemple de Saint André – qui, avec un autre disciple, a accueilli l’invitation du divin Maître : « Venez et vous verrez », et « ils restèrent auprès de lui ce jour là » (Jn 1, 39) –, nous montre avec clarté que la vie chrétienne est une expérience personnelle, une rencontre transformante avec Celui qui nous aime et veut nous sauver. De même, l’annonce chrétienne se répand grâce à des personnes qui, amoureuses du Christ, ne peuvent pas ne pas transmettre la joie d’être aimées et sauvées. Encore une fois, l’exemple de l’Apôtre André est éclairant. Après avoir suivi Jésus là où il habitait et s’être entretenu avec lui, « il trouva d’abord Simon son frère et lui dit : “ Nous avons trouvé le Messie ” – ce qui veut dire Christ – et il l’amena à Jésus » (Jn 1,40-42). Il est clair, par conséquent, que même le dialogue entre chrétiens ne peut se soustraire à cette logique de la rencontre personnelle.
Ce n’est donc pas un hasard si le chemin de réconciliation et de paix entre catholiques et orthodoxes a été, en quelque sorte, inauguré par une rencontre, par une accolade entre nos vénérés prédécesseurs, le Patriarche Œcuménique Athénagoras et le Pape Paul VI, il y a cinquante ans, à Jérusalem, événement que votre Sainteté et moi-même avons voulu récemment commémorer en nous rencontrant de nouveau dans la ville où le Seigneur Jésus Christ est mort et ressuscité.
Par une heureuse coïncidence, ma visite a lieu quelques jours après la célébration du cinquantième anniversaire de la promulgation du Décret du Concile Vatican II sur la recherche de l’unité de tous les chrétiens, Unitatis redintegratio. Il s’agit d’un document fondamental par lequel a été ouverte une voie nouvelle pour la rencontre entre les catholiques et les frères d’autres Églises et Communautés ecclésiales.
En particulier, par ce Décret, l’Église catholique reconnaît que les Églises orthodoxes « ont de vrais sacrements, – principalement, en vertu de la succession apostolique : le Sacerdoce et l’Eucharistie, – qui les unissent intimement à nous » (n. 15). En conséquence, on affirme que, pour garder fidèlement la plénitude de la tradition chrétienne et pour conduire à terme la réconciliation des chrétiens d’Orient et d’Occident, il est de la plus grande importance de conserver et de soutenir le très riche patrimoine des Églises d’Orient, non seulement en ce qui concerne les traditions liturgiques et spirituelles, mais aussi les disciplines canoniques, entérinées par les saints pères et par les conciles, qui règlent la vie de ces Églises (cf. nn.15-16).
J’estime important de rappeler le respect de ce principe comme condition essentielle et réciproque au rétablissement de la pleine communion, qui ne signifie ni soumission l’un à l’autre, ni absorption, mais plutôt accueil de tous les dons que Dieu a donnés à chacun pour manifester au monde entier le grand mystère du salut réalisé par le Christ Seigneur, par l’Esprit Saint. Je veux assurer à chacun de vous que, pour arriver au but désiré de la pleine unité, l’Église catholique n’entend pas imposer une quelconque exigence, sinon celle de la profession de foi commune, et que nous sommes prêts à chercher ensemble, à la lumière de l’enseignement de l’Écriture et de l’expérience du premier millénaire, les modalités par lesquelles garantir la nécessaire unité de l’Église dans les circonstances actuelles : l’unique chose que désire l’Église catholique, et que je cherche comme Évêque de Rome, « l’Église qui préside dans la charité », c’est la communion avec les Églises orthodoxes. Cette communion sera toujours le fruit de l’amour « qui a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5), amour fraternel qui donne expression au lien spirituel et transcendant qui nous unit comme disciples du Seigneur.
Dans le monde d’aujourd’hui se lèvent avec force des voix que nous ne pouvons pas ne pas entendre, et qui demandent à nos Églises de vivre jusqu’au bout le fait d’être disciples du Seigneur Jésus-Christ.
La première de ces voix est celle des pauvres. Dans le monde, il y a trop de femmes et trop d’hommes qui souffrent de grave malnutrition, du chômage croissant, du fort pourcentage de jeunes sans travail et de l’augmentation de l’exclusion sociale, qui peut conduire à des activités criminelles et même au recrutement de terroristes. Nous ne pouvons pas rester indifférents devant les voix de ces frères et sœurs. Ils nous demandent, non seulement de leur donner une aide matérielle, nécessaire en de nombreuses circonstances, mais surtout que nous les aidions à défendre leur dignité de personne humaine, de sorte qu’ils puissent retrouver les énergies spirituelles pour se relever et être de nouveau protagonistes de leur histoire. Ils nous demandent aussi de lutter, à la lumière de l’Évangile, contre les causes structurelles de la pauvreté : l’inégalité, le manque d’un travail digne, d’une terre et d’une maison, la négation des droits sociaux et des droits du travail. Comme chrétiens nous sommes appelés à vaincre ensemble cette mondialisation de l’indifférence qui aujourd’hui semble avoir la suprématie, et à construire une nouvelle civilisation de l’amour et de la solidarité.
Une seconde voix qui crie fort est celle des victimes des conflits en tant de parties du monde. Cette voix nous l’entendons très bien résonner d’ici, parce que des nations voisines sont marquées par une guerre atroce et inhumaine. Je pense avec une profonde douleur aux nombreuses victimes de l’attentat inhumain et insensé qui, en ces jours, a frappé les fidèles musulmans qui priaient dans la mosquée de Kano, au Nigeria. Troubler la paix d’un peuple, commettre ou consentir toute espèce de violence, spécialement sur les personnes faibles et sans défense, est un péché très grave contre Dieu, parce que c’est ne pas respecter l’image de Dieu qui est dans l’homme. La voix des victimes des conflits nous pousse à avancer rapidement sur le chemin de la réconciliation et de la communion entre catholiques et orthodoxes. D’ailleurs, comment pouvons-nous annoncer de manière crédible l’Évangile de paix qui vient du Christ, si, entre nous, continuent d’exister des rivalités et des querelles (cf. Paul VI, Exhort. ap. Evangelium nuntiandi, n. 77) ?
Une troisième voix qui nous interpelle est celle des jeunes. Aujourd’hui, malheureusement, il y a beaucoup de jeunes qui vivent sans espérance, vaincus par le découragement et la résignation. Beaucoup de jeunes, de plus, influencés par la culture dominante, cherchent la joie uniquement dans la possession de biens matériels et dans la satisfaction des émotions du moment. Les nouvelles générations ne pourront jamais acquérir la vraie sagesse ni maintenir vivante leur espérance si nous ne sommes pas capables de valoriser et de transmettre l’authentique humanisme, qui surgit de l’Évangile et de l’expérience millénaire de l’Église. Ce sont justement les jeunes – je pense par exemple aux multitudes de jeunes orthodoxes, catholiques et protestants qui se rencontrent dans les rassemblements internationaux organisés par la communauté de Taizé –, ce sont eux qui aujourd’hui nous demandent de faire des pas en avant vers la pleine communion. Et cela non parce qu’ils ignorent la signification des différences qui nous séparent encore, mais parce qu’ils savent voir au-delà, ils sont capables de recueillir l’essentiel qui déjà nous unit.
Cher Frère, très cher Frère, nous sommes déjà en chemin, en chemin vers la pleine communion et déjà nous pouvons vivre des signes éloquents d’une unité réelle, bien qu’encore partielle. Cela nous conforte et nous soutient dans la poursuite de ce chemin. Nous sommes sûrs que le long de cette route nous sommes soutenus par l’intercession de l’Apôtre André et de son frère Pierre, considérés par la tradition comme les fondateurs des Églises de Constantinople et de Rome. Invoquons de Dieu le grand don de la pleine unité et la capacité de l’accueillir dans nos vies. Et n’oublions jamais de prier les uns pour les autres.

LA LITURGIE COMME LIEU D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE SAINTE

7 août, 2014

http://www.revuedesbernardins.com/spip.php?article245&lang=fr

LA LITURGIE COMME LIEU D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE SAINTE

Olivier de CAGNY

La proclamation dans la liturgie de « la partie la plus importante (praestantior pars) des Saintes Écritures [1] » fut sans doute l’une des principales nouveautés qu’apporta la réforme liturgique issue du Concile Vatican II. Ce faisant, l’Église ouvrait largement le trésor de l’Écriture, non seulement par la quantité des textes ainsi proclamés, mais surtout par une démultiplication des lignes interprétatives rendues ainsi possibles. Les correspondances entre l’Ancien et le Nouveau Testament notamment, élargissaient le spectre des interprétations offert aux acteurs de la liturgie.
En un certain sens, l’herméneutique de la foi sur la base des Saintes Écritures, doit toujours avoir comme point de référence la liturgie, où la Parole de Dieu est célébrée comme une parole actuelle et vivante : « Ainsi, dans la liturgie, l’Église suit-elle fidèlement la manière de lire et d’interpréter l’Écriture qui fut celle du Christ, lui qui, depuis l’“aujourd’hui” de sa venue, exhorte à scruter attentivement toutes les Écritures [2]. »
La liturgie est sans doute le lieu où l’interprétation de l’Écriture atteint vraiment sa finalité. Faire ce que Dieu dit a toujours été comme une clause tacite attachée à la proclamation de sa Parole, avant même sa mise par écrit [3]. La conversion du lecteur de l’Écriture et de l’auditeur de la Parole, dès lors qu’ils acceptent de répondre à la Parole qu’ils entendent, est déjà en oeuvre dans l’assemblée chrétienne qui écoute, puisque cette assemblée est le Corps du Verbe fait chair, qui répond en célébrant l’offrande sacrificielle du Fils, l’action de grâce eucharistique où tout est dit et accompli pour rendre gloire au Père. Dans la liturgie, l’Écriture « prend corps », et l’explication y « fait corps » avec la proclamation comme devant la Porte des eaux avec le scribe Esdras [4], tout autant que sur la route d’Emmaüs [5]. Dans la liturgie chrétienne [6]., l’interprétation fait partie de l’acte de proclamation et d’annonce.
Cette explication ne se limite pas à l’homélie, ni même à la prédication : « L’Église a toujours été consciente que durant l’action liturgique, la Parole de Dieu est accompagnée par l’action intime de l’Esprit Saint qui la rend efficace dans les coeurs des fidèles [7]. » L’interprétation se trouve aussi dans la manière dont la Tradition dispose les textes scripturaires parmi les textes liturgiques euxmêmes. Voyons quelques exemples de cas où la liturgie interprète ainsi l’Écriture.
Il n’est pas anodin par exemple de trouver, dans les antiennes des psaumes, des interprétations christologiques de ces derniers. Quand le psaume 2 est chanté dans l’office des lectures du Vendredi saint, l’antienne n’hésite pas à y lire la passion de Jésus : « Peuples et nations se sont ligués contre ton serviteur Jésus, ton messie. » Le psaume 21 est facilement mis sur les lèvres du Christ, quand l’antienne qui lui correspond chante : « Ils me percent les mains, ils me percent les pieds, je peux compter tous mes os. » Le samedi saint, l’antienne suivante : « En toute paix, je me couche et je m’endors, car tu me fais vivre, Seigneur, dans ta seule confiance » fait évidemment écho au verset 9 du psaume 4 : « Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul, dans la confiance. » En la fête de l’Ascension, l’antienne du psaume 67 reconnaît en « celui qui chevauche au plus haut des cieux » (v. 34) le Fils de Dieu vainqueur, qui « gravit les hauteurs et emmène les captifs » (antienne). On pourrait multiplier les exemples à l’envi.
Le rapport de l’Ancien au Nouveau Testament est aussi amplement développé dans les cycles des lectures dominicales. Malgré ce que certains regrettent comme des lacunes ou des maladresses, une interprétation d’une grande richesse s’y déploie, permettant au fidèle de saisir la notion d’accomplissement présente dans toute l’Écriture sainte. L’ordre des quatre lectures traduit aussi une ligne d’interprétation : le psaume répond à la lecture de l’Ancien Testament, et la lecture du Nouveau Testament précède l’Évangile, comme pour indiquer que les deux Testaments convergent vers la figure du Messie crucifié et ressuscité.
Notons également la place donnée aux paroles de l’Écriture dans les textes euchologiques (corpus des prières et autres textes liturgiques) eux-mêmes. Dans la prière d’ordination de l’évêque par exemple, la liturgie n’hésite pas à voir une continuité entre les sacerdoces de l’Ancien et du Nouveau Testament : « Dieu et Père de Jésus Christ notre Seigneur, (…) dès l’origine, tu as destiné le peuple issu d’Abraham à devenir un peuple saint ; tu as institué des chefs et des prêtres et toujours pourvu au service de ton sanctuaire, car, dès la création du monde, tu veux trouver ta gloire dans les hommes que tu choisis. Et maintenant, Seigneur, répands sur celui que tu as choisi la force qui vient de toi, l’Esprit souverain que tu as donné à ton Fils bien-aimé, Jésus Christ, l’Esprit qu’il a lui-même communiqué aux saints Apôtres qui établirent l’Église en chaque lieu comme ton sanctuaire, à la louange incessante et à la gloire de ton Nom [8]. » La prière d’ordination des prêtres développe encore davantage cet usage de la notion d’accomplissement : « Pour former le peuple sacerdotal, tu suscites en lui, par la force de l’Esprit Saint, et selon les divers ordres, les ministres de Jésus, le Christ, ton fils bien-aimé. Déjà, dans la première Alliance, des fonctions sacrées préparaient les ministères à venir. Tu avais mis à la tête du peuple Moïse et Aaron, chargés de le conduire et de le sanctifier. Tu avais aussi choisi des hommes, d’un autre ordre et d’un autre rang, pour les seconder dans leur tâche. C’est ainsi que, pendant la marche au désert, tu as communiqué l’esprit donné à Moïse aux soixantedix hommes pleins de sagesse qui devaient l’aider à gouverner ton peuple. C’est ainsi que tu as étendu aux fils d’Aaron la consécration que leur père avait reçue, pour que les prêtres selon la Loi soient chargés d’offrir des sacrifices qui étaient l’ébauche des biens à venir. Mais, en ces temps qui sont les derniers, Père très saint, tu as envoyé dans le monde ton fils Jésus, l’Apôtre et le Grand Prêtre que notre foi confesse. Par l’Esprit Saint, il s’est offert lui-même à toi comme victime sans tache ; il a fait participer à sa mission ses apôtres consacrés dans la vérité, et tu leur as donné des compagnons pour que l’oeuvre du salut soit annoncée et accomplie dans le monde entier. Aujourd’hui encore, Seigneur, viens en aide à notre faiblesse : accorde-nous le coopérateur dont nous avons besoin pour exercer le sacerdoce apostolique [9]… »
Deux autres exemples parlent d’eux-mêmes : les paroles de la consécration eucharistique et le dialogue qui précède la communion [10].. La liturgie interprète les paroles de Jésus sur le pain et le vin en osant modifier les textes du Nouveau Testament. Non seulement le texte du missel transmet les paroles de la sainte Cène en fondant ensemble les versions des synoptiques et de saint Paul, mais elle adjoint aux paroles de consécration du vin un autre texte, He 13, 20-21, où il est question d’une Alliance « éternelle ». Quant aux paroles du dialogue entre le prêtre et l’assemblée juste avant la communion, elles fusionnent trois textes que ni l’exégèse ancienne ni les travaux plus récents n’avaient encore rassemblés en une unité herméneutique : la béatitude proclamée sur ceux qui participent au festin de l’Agneau (Beati qui ad cenam Agni vocati sunt, Ap 19, 9a), la désignation par Jean-Baptiste de Jésus comme étant cet Agneau qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29), et l’aveu du centurion, dont le fils devient l’image de l’âme du chrétien prêt à communier : « Domine non sum dignus ut intres sub tectum meum… » (Mt 8, 8). Ici, la liturgie opère comme un acte de Tradition au service de ce qu’on nomme à juste titre l’analogie, laquelle n’est jamais loin du sens anagogique.
Le chant liturgique est aussi, souvent, un lieu d’interprétation de la Parole de Dieu, avec plus ou moins de bonheur. L’hymnographie antique nous fournit ici de beaux exemples, chez Hilaire et Ambroise notamment, qui puisent largement dans l’Écriture le matériau de leurs hymnes liturgiques. Ainsi, Ambroise n’hésite pas à filer la métaphore à partir d’un mot de l’Écriture : la lumière, l’eau, le coq même, à la fois prophète de la victoire sur la nuit et signe de la conversion de saint Pierre, lui fournissent un matériau suffisant pour faire « circuler son lecteur à travers toute la Bible pour lui faire découvrir le sens spirituel d’un mot, par les divers contextes dans lesquels les auteurs bibliques l’avaient utilisé. On a même pu dire qu’il y “fore des puits” – l’image vient de l’Exode et de son interprétation par Origène –, par où l’intelligence chrétienne accède à l’eau vive de la Parole, saisie en son sens le plus profond [11]. ». L’imagination spirituelle d’Ambroise le porte souvent à la digression dès que le texte biblique lui en offre l’occasion. Jacques Fontaine ose le rapprochement avec un poète contemporain : « Dans cette démarche à la fois sérieuse et ludique, Ambroise peut apparaître parfois comme le digne ancêtre d’un Claudel, commentateur fantasque de l’Écriture [12]. » Mais ici, à notre avis, rien de fantasque : l’exégèse patristique est au service de la prière de l’Église, avec une rigueur et une profondeur théologique et théologale que beaucoup de compositeurs actuels de chants liturgiques pourraient envier.
Ces derniers ont sans doute pâti depuis les années cinquante d’une certaine pauvreté dans la manière d’interpréter l’Écriture. Certains chants liturgiques en français, notamment dans les années 70 et 80, se contentent de mettre bout à bout des morceaux de l’Écriture, sans éprouver toujours le sens plénier caché dans le sens littéral. L’exégèse sous-jacente amalgame des thèmes plus qu’elle ne sert effectivement la réception de la Parole de Dieu. Le travail interprétatif se situe souvent dans un registre sociologique, voire politique, ou encore dans l’ordre de la fête profane. Bien sûr, tous les chants ne méritent pas cette critique. Mais il serait utile de revisiter l’euchologie du missel, des rituels et de la liturgie des heures. Les antiennes d’ouverture et de communion ou les antiennes psalmiques sont un bon exemple de réception de la Parole de Dieu dans la liturgie. La substance de l’Écriture s’y donne à goûter et le sens plénier, analogique et anagogique, s’y déploie heureusement.
La liturgie est le lieu principal d’interprétation de l’Écriture, car celle-ci y est proclamée comme Parole vivante en étant portée par la Tradition qui la livre au coeur et à l’intelligence de ses auditeurs : c’est bien le Christ « qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les saintes Écritures [13] ».

 

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