http://laphiloduclos.over-blog.com/article-un-exemple-d-explication-de-texte-en-philosophie-pascal-pensees-verites-du-coeur-et-de-la-raison-114974439.html
LA VERITE, LA DEMONSTRATIONS, PASCAL PENSÉES, VÉRITÉ DU COEUR ETDE LA RAISON
Blaise Pascal (1623-1662)
« Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement qui n’y a point de part essaye de les combattre. Les pyrrhoniens qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non point l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi ridicule et inutile que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir. » La connaissance de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question. Nous avons pour habitude de dire qu’une affirmation est certaine seulement si elle a été démontrée, ce qui est une manière de faire dépendre la vérité de l’autorité exclusive de la raison. Mais est-ce que le vrai coïncide avec le démontrable ? Ou peut-il exister des vérités d’une autre nature, qui auraient cependant le même degré de certitude que les vérités rationnelles ? C’est ce à quoi réfléchit Blaise Pascal dans cet extrait de son œuvre, Les Pensées, dans lequel il réfute l’attitude de ceux qui ne croient qu’en la raison en montrant qu’elle n’est pas la seule source du vrai et qu’elle a besoin ce qu’il nomme le « cœur » pour développer ses raisonnement. En quoi peuvent bien toutefois consister des vérités qui ne relèvent pas de la raison ? Quelles sont-elles et pourquoi la raison en a-t-elle besoin ? D’autre part comment pouvons-nous être certains d’une vérité qui n’est pas fondée en raison ? Le « cœur » qu’invoque Pascal, est-il un critère auquel nous pouvons nous fier ? Enfin qu’est-ce finalement que la vérité si elle ne se limite pas à ce que nous apprend la raison ? * Pascal n’était pas que philosophe, c’était aussi un mathématicien de premier ordre qui excellait dans une science qui plus que toute autre est celle du raisonnement. Mais le philosophe savait que même les mathématiques ne sont ni suffisantes ni parfaites du point de vue de la vérité. C’est que la vérité -toute vérité- a deux sources dit Pascal, la raison bien entendu, mais aussi le cœur, auquel il attribue le rôle le plus important, celui de la connaissance des « premiers principes ». Ce qui le conduit –et sans doute est-ce là son intention finale- à rejeter l’attitude sceptique, celle des disciples du philosophe Pyrrhon d’Elis, qui, dit-il combattent ces principes par le raisonnement ; entendons : qui en nient l’existence parce qu’ils ne pas peuvent être démontrés rationnellement. Cette attitude est vaine en effet s’il est vrai que les prémisses de la connaissance relèvent d’une autre faculté et d’une autre démarche que celle de la raison. L’analyse de la connaissance montre que si la raison nous permet de lier synthétiquement nos pensées et de les conduire jusqu’à un résultat certain, elle doit néanmoins s’appuyer implicitement ou explicitement sur des données antérieures à ses premières démarches : c’est ce qu’on nomme un principe, une proposition première qui commande la possibilité et l’orientation d’un raisonnement (par exemple le principe de non-contradiction). Mais la raison est aussi réflexion, et comme telle mouvement vers l’inconditionné, recherche de ce qui est absolument premier dans l’ordre de l’être et du connaitre. C’est cela qu’évoque Pascal par l’expression les « premiers principes », qui fait référence aux divers fondements de la connaissance sur lesquels s’appuie le raisonnement dans les différentes sciences. Or l’établissement de ces principes ne relève pas de la raison, mais de cet autre pouvoir de connaissance que Pascal désigne sous l’expression imagée de « cœur ». Pour nous en convaincre Pascal prend pour exemple une des plus immédiates et triviales de ces vérités qui se passent de raison : la certitude absolue de la réalité de notre existence : « nous savons que nous ne rêvons pas », en effet ; rien n’est plus certain que l’évidence présente de notre existence, on ne saurait concevoir de vérité plus simple et plus absolue ; et pourtant la raison est totalement incapable de l’établir ; elle ne participe d’aucune manière à la conscience de cette vérité. Car, Pascal le sait bien, l’existence se montre, elle ne démontre pas ; c’est un fait qui se constate et qui ne peut pas être à la conclusion d’un raisonnement : la certitude de notre existence est intuitive, elle ne relève pas de la discursivité du raisonnement. La leçon s’impose, que Pascal administre aussitôt aux Pyrrhoniens : la raison a des limites et les vérités du cœur, qui ont leur source dans l’intuition, sont non seulement certaines mais aussi plus fondamentales que les vérités rationnelles. Si bien que l’attitude des sceptiques, et à travers eux du rationalisme athée, est insoutenable. Car Pascal ne se contente pas de montrer qu’il y deux sources de vérités aussi fiables l’une que l’autre et donc deux types distincts de vérité. Il affirme aussi que la valeur des vérités rationnelles dépend entièrement de la vérité de leurs principes posés intuitivement, sentis par le cœur : ce qui est valable pour notre existence l’est d’autant plus dans le domaine des sciences ou de la philosophie, alors qu’on pourrait penser qu’elles sont des domaines réservés de la raison. Or tout au contraire « espace », « temps », « mouvements », « matière » sont présupposés dans tous les raisonnements de la physique, par exemple pour établir la loi de la quantité de mouvement (p = mV), ou celle de la chute des corps (1/2 gt²) ; ces principes sont premiers et antérieurs au raisonnement qui les met en œuvre ; ils ne sauraient donc en résulter ; mais ce sont pourtant eux qui les rendent possibles et sensés et qui en conditionnent la vérité : « c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle fonde tout son discours ». Il en va de même pour la plus rationnelle de nos sciences, les mathématiques dont les démonstrations ne seront possibles qu’à la suite de l’intuition des principes voire de la solution elle-même : « le cœur sent (…) que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite… ». Voilà qui non seulement légitime totalement les vérités du cœur, mais en affirme aussi la prééminence. On peut donc s’étonner un peu des propos qui suivent, dans lesquels Pascal semble se contenter de l’idée d’une équivalence et d’une complémentarité du cœur et de la raison, avec des rôles bien établis : à la raison la certitude démonstrative, au cœur celui des principes, chaque faculté régnant dans son domaine propre sans demander de compte à l’autre : cœur et raison ne seraient alors que différentes manières d’atteindre la vérité. Certes tout porte à le croire puisque l’auteur nous dit qu’il serait tout aussi ridicule que la raison exige des preuves pour donner crédit aux intuitions du cœur que le cœur exige qu’un sentiment de vérité accompagne les démarches déductives du raisonnement. Ce serait suffisant pour mettre à l’abri le domaine de la foi des redoutables demandes de preuves des sceptiques. Mais cela s’accorderait mal avec le propos qui a précédé : si les raisonnements sont précédés par l’intuition des principes, c’est bien le cœur d’abord, la raison ensuite : le cœur ou intuition est le foyer de l’expérience de la vérité, les raisonnements n’étant que la continuation, l’étirement de ces intuitions. Car il ne faut pas confondre la vérité, ou connaissance de ce qui est, et la certitude, qui n’est que le sentiment que ce qu’on énonce est vrai : démonter ce n’est rien d’autre que rendre manifeste une vérité déjà existante; la démonstration n’est pas constitutive de la vérité, elle se contente de la rendre visible aux yeux de tous. Les raisonnements ne sont donc aux yeux de Pascal que l’explicitation d’une vérité saisie dans un éclair que nous nous efforçons d’étendre afin pouvoir la contempler plus facilement et plus complètement ; comme s’ils n’étaient que l’écho lointain, étiré, d’une note pure qui venait d’être frappée… C’est alors faute d’acuité intellectuelle que nous avons recours aux raisonnements ; ils nous sont nécessaires parce que nous ne savons pas voir la vérité au premier regard. Autant dire que tous les hommes en ont besoin, le philosophe ou l’homme de foi constituant l’exception. Tout se passe donc comme si les démarches de la raison, qui établissent un rapport discursif, représentatif et intellectuel à la réalité reposaient sur un lien plus immédiat et d’un autre genre de notre être à la réalité : celui du cœur, c’est-à-dire, suivant les mots du texte (« instinct », « sentir », « sensible ») d’une saisie originaire de ce qui est, qui s’impose dans l’évidence. Bref, dans une forme d’expérience qui est de même nature que la foi. Ce qui signifie que la vérité n’est pas fondamentalement l’exactitude de la représentation, suivant la définition scolastique (adéquatio intellectus et rei) mais une expérience intuitive de ce qui est, antérieurement à toute représentation, donc à tout raisonnement : n’est-ce pas alors le « dieu sensible au cœur » cher à Pascal qui se cache dans les plis de l’expérience humaine de la vérité, et qui en constitue le fondement absolu et la justification totale de la foi ? Mais cette confiance ou foi dans la vérité de ce qui se présente à l’intuition, qui l’atteste, sinon la foi elle-même ? Cette circularité finale de l’argumentation pascalienne n’en définit-elle pas aussi la limite ? Car il faudra bien mettre un nom sur ce premier des principes, et traduire dans un discours recevable ce contact présumé avec l’être même des choses. Mais hors des procédures logiques du raisonnement, ou des contraintes de la démarche expérimentale, comment saurons-nous que l’expression de nos intuitions est bien adéquate à son objet ? Par la foi, dirait Pascal. Encore une fois, la foi est censée prouver la foi, ce qui est pure pétition de principe. C’est pourquoi lorsque Freud, par exemple, énonce qu’en matière de vérité « il n’est pas d’instance au-dessus de la raison » et qu’à ce titre nul ne peut faire argument de sa foi ou de ses expériences intimes, ne nous rappelle-t-il pas tout simplement les conditions élémentaires de ce qui peut se dire dans un souci de vérité? Les vérités du cœur, si elles sont présupposées dans le travail de la raison, devront demeurer muettes ! Quant à la foi religieuse, horizon ultime de la méditation pascalienne de la vérité, il lui reste la possibilité non de se dire, mais de se vivre. *Nous savons maintenant que l’identification de ce qui est vrai et de ce qui est démontrable n’est pas soutenable, ainsi que Pascal nous l’a montré. Il y a en effet des vérités indémontrables ou dont l’évidence rend inutile voire ridicule d’essayer de les prouver; nous avons aussi appris de lui que les raisonnements, quel qu’en soit l’objet, repose sur des principes qui ne peuvent être établis par leur moyen, la vérité de toute démonstration semblant alors reposer sur une expérience originaire dans laquelle l’être même des choses se révèle à nous. C’est à ce point toutefois que la position de Pascal doit être considérée avec prudence ; car s’il montre brillamment qu’aucune démarche rationnelle, ni en science ni en philosophie, ne peut s’auto-fonder, il n’est pas en mesure de justifier l’exactitude de l’expression des intuitions premières dont il fait dériver la connaissance.