Archive pour la catégorie 'Judaisme: Chabbat'

LA PRIERE JUIVE

15 juillet, 2015

http://el-bethel.fr/etudes/la-priere-juive-1/

LA PRIERE JUIVE

Notre désir est que cet article aide les croyants à mieux connaître les Juifs et le mouvement messianique lié au peuple d’Israël. Mieux connaître c’est aussi mieux comprendre les pratiques et les coutumes du peuple d’Israël. Très tôt dans l’histoire de l’Eglise s’est développée une attitude anti-juive qui, de nos jours encore, influence la position du christianisme face au judaïsme. Une image faussée et déformée de la synagogue prévaut la plupart du temps.
LA SYNAGOGUE
Habituellement, elle désigne un bâtiment, mais son sens originel est « assemblée »; une assemblée de dix hommes, au minimum, que le judaïsme appelle le « minyane ». Ces hommes se regroupent dans le but de prier car pour les Juifs la prière collective est essentielle. Un minyane est donc composé d’au moins dix hommes et peut se réunir partout pour prier. Ce nombre de dix se réfère, entre autres, au récit de Genèse 18 : 32, lorsqu’Abraham implorait l’Eternel au sujet de Sodome et Gomorhe. Abraham a osé diminuer, chaque fois, le nombre de justes requis pour que D.ieu épargne la ville. D.ieu aurait épargné la ville s’il s’y était trouvé seulement dix justes. Cette approche est la base de la prière d’intercession pour la ville ou le pays. Elle nous plonge dans le mystère de la prière. Certains théologiens chrétiens ont vu une contradiction entre cette tradition du minyane et la déclaration de Yeshoua en Matthieu 18 : 20 : « Car là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieux d’eux. » Le rabbin Elie Soloveitchik dans son commentaire de l’Evangile de Matthieu « Kol Koré » relève la déclaration suivante du Talmud « En quelque lieu où des hommes se réunissent pour adorer, où des justes siègent au tribunal et où un homme, même seul, s’adonne à l’étude de la Torah, la Chéhinah (la gloire de D.ieu) est présente. » (Abin Ben-Adda, Talmud : Berakot 6a).
Ce nombre obligatoire pour la prière en publique peut aussi être considéré comme une mesure de sécurité et de sagesse. On évite ainsi des erreurs suite à une décision prise par un trop petit nombre de personnes. Proverbes 14 : 28 : « Quand le peuple est nombreux, c’est l’ornement d’un roi ; quand la population diminue, c’est la ruine du prince. » Les Evangiles nous montrent Yéshoua (Jésus) menant la vie d’un Juif fidèle en ce qui concerne l’observation de la loi de Moïse. En Luc 4 : 19, il est dit que c’était son habitude d’aller à la synagogue le jour du shabbath. Dans les Evangiles la synagogue est mentionnée plus de 40 fois. La prière joue un rôle essentiel dans le judaïsme qui considère que D.ieu l’a prévue pour remplacer les sacrifices sanglant d’animaux devenus impossibles après la destruction du temple. Nous lisons à ce sujet dans Osée 6 : 6 « Car je veux, la loyauté et non les sacrifices, et la connaissance de D.ieu plus que les holocaustes. » Osée 14 : 3 dit également « Prenez avec vous des paroles de repentance et revenez à l’Eternel. Dites-lui : pardonne toute faute et reçois-nous favorablement ! Nous t’offrirons, au lieu de taureaux l’hommage de nos lèvres. »

LA PRIERE ET SES TROIS FORMES DANS LE JUDAISME
Les prières sont avant tout des bénédictions (Béni soit D.ieu…), des louanges et des actions de grâce ; les Juifs expriment également des requêtes personnelles. Ils rendent grâce à D.ieu pour la Création, pour le don de la Torah, pour la Chéhinah et pour la rédemption. C’est depuis l’époque d’Esdras que les synagogues se sont développées et devinrent des lieux de prière, d’étude de la Torah et de rassemblement. La prière est une affaire personnelle, mais le concept de la prière en commun existe aussi dans la Bible. La prière personnelle est une force ; ajoutée à celles des autres, elle devient encore plus puissante. Il en va de la prière comme d’une corde, plus ses brins sont nombreux, plus solide elle devient.
Les Juifs pieux prient trois fois par jour. Ces trois moments de prières se nomment : Cha’harite – prière du matin ; Min’ha – prière de l’après-midi ; Arvite – prière du soir. Les trois temps quotidiens de prière qui nous ont été transmis par Esdras, le scribe versé dans les Ecritures, correspondent aux moments des sacrifices ; les prières du matin et de l’après-midi aux sacrifices eux-mêmes, celles du soir, au sacrifice par le feu des entrailles des victimes du jour. La tradition enseigne que ce furent les patriarches, Abraham, Isaac et Jacob qui instituèrent la prière offerte trois fois par jour.
Selon la pensée hébraïque, David transcrivit toutes ses expériences dans les Psaumes. Tout ce qu’un homme peut vivre au cours de son existence s’y trouve écrit. C’est pourquoi, les Juifs les utilisent pour exprimer tous leurs besoins. Quand ils se trouvent au Mur Occidental, en dehors des services réguliers, ils récitent des Psaumes. Ils répandent ainsi leur cœur devant D.ieu. Il va de soi que les Juifs parlent également à D.ieu d’une manière spontanée.
« PESSOUKE DEZIMRA »
Les Juifs se préparent à la prière selon un rite qui sert à la purification du cœur et des pensées afin que celui qui prie ose se présenter devant D.ieu et son trône. Dans le temple le prêtre devait se laver les mains dans la cuve d’airain avant de vaquer à la prière et aux sacrifices. C’est par la lecture répétée chaque jour de certains Psaumes, de cantiques et de louange, que la communauté se prépare à se tenir devant D.ieu. « Pessouké Dezimra » signifie « texte de louange » et prépare l’assemblée à la prière du « Chema Israël » et de « Chemoné Esréh » l’un à la suite de l’autre. Les textes constituant Pessouké Dezimra sont les suivants 1 Chroniques 16 : 8-36, Psaumes 100 et 145 : 1 et pour terminer Exode 14 : 30, 15 : 19. La lecture de ces passages de la Bible est introduite par une bénédiction et se termine de même. La bénédiction qui introduit Pessouké Dezimra, nommé «Barouh Chéamar» est particulièrement significative. Selon la tradition, cette prière a été transcrite par les hommes de Grande Assemblée il y a environ 2400 ans. La prière « Barouh Cheamar » consiste en quatre vingt sept mots hébreux, ce qui représente la valeur numérique du terme « Paz » signifiant « or fin » Psaume 19 : 11. Le thème de cette prière est le nom de D.ieu avec ses multiples significations. Connaître ce nom, c’est connaître ses divers attributs, mentionnés brièvement dans cette prière.
Loué soit l’Eternel qui a créé l’univers par sa parole.
Loué soit celui dont l’action est conforme à la parole.
Loué soit celui qui ordonne et maintient.
Loué soit celui qui a tiré le monde du néant.
Loué soit celui qui étend sa miséricorde sur la terre.
Loué soit celui qui récompense ses fidèles.
Loué soit celui qui dissipe les ténèbres et fait naître la lumière.
Loué soit le Tout-Puissant qui est et qui existe éternellement.
Loué soit celui qui n’admet ni iniquité, ni oubli, ni partialité, ni don corrupteur dans le jugement ; il est juste dans toutes ses voies, bienfaisant dans toutes ses actions.
Loué soit le libérateur et Sauveur.
Loué soit celui qui a ordonné le repos à son peuple Israël le saint jour du Shabbath.
Loué soit-il, loué soit son Nom, et béni soit son souvenir d’éternité en éternité.
Sois loué, Eternel notre D.ieu, Roi de l’Univers, Roi tout-puissant et saint, principe de toute miséricorde, glorifié par la bouche de ton peuple, célébré et exalté par les louanges de tes pieux et fidèles serviteurs. Et par les cantiques de ton serviteur David nous te louons, ô Eternel notre D.ieu ! Nous te glorifions, nous publions ta puissance et ta majesté. Nous te proclamons notre Roi, nous te sanctifions et nous t’exaltons, ô toi notre Roi, notre Dieu unique et Eternel ! Sois loué Eternel, notre Roi, célébré par des actions de grâces.
Ce concept fondamental de la louange et des actions de grâces, lié à une profonde connaissance du Nom de D.ieu et au besoin de l’honorer, ressort d’une manière évidente des écrits de shaliah Paul. Il commence la plupart de ses lettres par la louange, en offrant des actions de grâce à D.ieu pour tout ce qu’Il fait à l’égard de son peuple. En Philippiens 4 : 6 Paul résume en un seul verset : « Ne vous inquiétez de rien ; mais en toutes choses, par la prière et la supplication, avec des actions de grâce, faites connaître à D.ieu tout vos besoins ou demandes. »
Pessouké Dezimra se terminent par une prière nomée « Yichtaba’h » ce qui signifie « sois loué ». A nouveau le nom de D.ieu se trouve au cœur de cette prière. Les sages attirent l’attention sur la prédominance du nombre quinze dans cette prière. En hébreux, ce nombre est écrit au moyen des lettres yod et hé, deux des lettres du tétragramme sacré (yod, hé, vav, hé), jamais prononcé, qui est le nom même de D.ieu.
LE YICHTABA’H
« Loué soit ton Nom pour l’éternité, notre Roi, notre D.ieu, Roi puissant et saint dans le ciel et sur la terre. Car à toi appartiennent, Eternel notre D.ieu et D.ieu de nos pères, les hymnes et la louange, l’honneur et les cantiques, la sainteté et la domination, la victoire, la grandeur et la puissance, la gloire et la splendeur, la sainteté et la royauté, la bénédictions et les actions de grâce dés maintenant et pour l’éternité. Loué sois-tu, Eternel D.ieu Roi, grand par la renommée, seul digne de nos actions de grâce, auteur de toute merveille, toi qui daignes accepter nos hymnes de louange, Roi puissant et éternel, toi qui donne la vie au monde. »
Les quinze expressions de louange de cette prière sont : hymnes, louanges, honneur, cantiques, sainteté, domination, victoire, grandeur, puissance, gloire, splendeur, sainteté, royauté, bénédiction, action de grâce. On fait également la relation entre Yichtaba’h et les quinze cantiques des montées des Psaumes de 120 à 134 de David, ainsi nommés, car celui qui prie s’approche toujours plus de la présence de D.ieu.
Que le Dieu d’Israël vous bénisse au travers de cet article et qu’Il vous remplisse de sa bonté et de sa miséricorde.
Emmanuel Rodriguez
Fin de la première partie. La suite de cet article paraîtra au prochain numéro de TMPI.

LE SHABBAT SOUS L’OEIL DU TALMUD

5 septembre, 2013

http://ghansel.free.fr/shabbat.html

LE SHABBAT SOUS L’OEIL DU TALMUD

Au sein de la loi juive, tant par l’importance qui leur est attribuée que par leur multiplicité, les lois du shabbat ont une place de choix. Selon une expression du Talmud, les lois du shabbat sont comme une montagne suspendue à un cheveu : peu de versets et de nombreuses lois. 2 Même si l’on s’en tient aux textes de base, c’est-à-dire aux textes talmudiques et à ceux des décisionnaires les plus importants, on se trouve déjà en présence de plusieurs centaines de pages à étudier. Quant aux problèmes nouveaux posés par les développements récents des sciences et des techniques, c’est une littérature considérable qui leur est consacrée.
Dans cette étude, je ne chercherai pas à dresser un tableau des lois du shabbat mais seulement à dégager le cadre conceptuel de la législation talmudique, le rappel de lois particulières ne venant qu’à titre d’illustration des principes mis en évidence. De plus, je ne traiterai pas des lois proprement rituelles telles que celles concernant le kiddouch ou les formes spécifiques de la liturgie du septième jour. Je me limiterai essentiellement aux lois relatives au travail.
Deux distinctions classiques doivent être posées d’emblée et vont commander la structure de cette étude. D’une part, il faut distinguer entre obligation (mitsvat assé , commandement de faire) et interdiction (mitsvat lo taassé , commandement de ne pas faire). D’autre part, deuxième distinction, essentiellement relative aux interdits, certaines lois sont dites min hatorah , sont considérées comme découlant directement de la Torah, d’autres sont dites miderabanan , lois rabbiniques. Cependant il convient de remarquer que cette différence n’est pas le plus souvent de nature historique. Il ne s’agit pas de distinguer entre un noyau de lois qui serait très ancien de celles qui se seraient surajoutées au cours des âges. On s’en convainc aisément en observant qu’un même acte, suivant les modalités ou l’intention dans lesquelles il est réalisé, peut relever, soit de l’interdit min hatorah , soit de l’interdit miderabanan . On introduit par là une différenciation a priori entre ce que l’on estime essentiel et ce que l’on considère comme relativement secondaire, différenciation de type logique et non historique. Dès lors, l’analyse des différences entre interdit min hatorah et interdit miderabanan nous permettra de mieux cerner quel est le noyau central, l’essence de l’interdiction shabbatique.
La distinction entre les aspects interdiction et obligation des lois du shabbat est signalée par Maïmonide dès le début du traité qu’il leur consacre. Il y indique qu’il ne faut pas confondre deux versets à première vue semblables :
Exode, XX, 10 : Le septième jour est un shabbat pour l’Eternel ton Dieu, tu n’y feras aucun travail (lo taasse kol melakha)…
Exode, XXXIV, 21 : Six jours tu travailleras et le septième jour tu cesseras (tichbot).
En dépit de leur similitude, ces deux versets doivent être distingués. Le premier est exprimé sous forme négative et énonce un interdit, celui d’effectuer un travail le shabbat. Le second, au contraire, est exprimé sous forme positive et introduit une obligation dont le contenu reste à définir. Je vais successivement développer quelles sont la définition et les caractéristiques de l’interdit, puis celles de l’obligation.
La gravité de l’interdit est soulignée dans un autre passage de l’Exode3:
Moïse convoqua toute la communauté des enfants d’Israël et leur dit : voici les choses que l’Eternel a ordonné d’observer. Pendant six jours on effectuera des travaux, mais au septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur de l’Eternel. Quiconque effectuera un travail en ce jour sera mis à mort. Vous ne ferez point de feu dans aucune de vos demeures en ce jour de repos.
Ce passage est immédiatement suivi d’un long texte relatif au Tabernacle et indiquant les différents travaux nécessaires à sa construction et au fonctionnement du culte qui s’y rend. En voici les derniers versets4:
Moïse dit aux enfants d’Israël : voyez, l’Eternel a désigné nommément Betsalel, fils d’Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda. Il l’a rempli d’un souffle divin, d’habileté, de jugement, de science, d’aptitude pour tous les travaux, lui a appris à mettre en oeuvre l’or, l’argent et le cuivre, à travailler la pierre pour la sertir, à travailler le bois et à exécuter toute oeuvre d’artiste.
Deux remarques formelles relatives à ces textes. La première concerne précisément leur voisinage : l’interdiction shabbatique est immédiatement suivie de la description des travaux de construction du Tabernacle et le Talmud va mettre en valeur cette proximité. Seconde remarque : dans le deuxième texte cité, le travail de construction du Tabernacle est appelé melekhet mahachevet , ce que j’ai traduit provisoirement par oeuvre d’artiste . Le Talmud fait jouer à cette expression melekhet mahachevet un rôle fondamental dans le développement de sa conception de l’interdiction shabbatique.
Voyons maintenant quelle est cette conception. Premier principe associé à la proximité qui vient d’être signalée : un travail n’est interdit le shabbat que s’il se rattache directement ou indirectement à l’un des travaux de la construction du Tabernacle. En particulier, point relativement peu connu, ce n’est jamais en fonction de sa difficulté, ou de la fatigue qu’il peut occasionner, qu’un travail se trouve interdit, du moins min hatorah . Seules les transformations matérielles que le Talmud estime assez significatives pour être rattachées à la construction du Tabernacle entrent dans le domaine de l’interdiction shabbatique. Cette doctrine implique également qu’à proprement parler, l’interdit ne porte pas sur l’effectuation même de l’acte de travailler mais sur son résultat ; ce n’est qu’indirectement que l’effectuation se trouve prohibée. La Michna énumère ainsi trente-neuf types de travaux5:
Il y a 39 principes de travaux : semer, labourer, moissonner, mettre en gerbe, battre (le blé), vanner, trier, moudre, tamiser, pétrir, cuire, tondre la laine, la blanchir, la carder, la teindre, filer, ourdir, tisser deux fils, couper deux fils, nouer, dénouer, coudre deux coutures, déchirer en vue de recoudre, capturer un cerf, l’abattre, le dépecer, le saler, tanner sa peau, la frotter, la découper, écrire deux lettres, effacer [un parchemin] de quoi y écrire deux lettres, construire, détruire [pour reconstruire], éteindre, allumer, frapper avec un marteau, transférer d’un domaine à un autre.
On se gardera de prendre cette énumération au pied de la lettre. Outre le fait que le Talmud y apporte de nombreuses précisions, extensions et limitations, il faut ici noter un point essentiel : par-delà les désignations concrètes ou techniques des différents travaux, le Talmud a toujours en vue une définition abstraite. Ainsi, par exemple, le battage du blé (dicha ) est l’un des 39 travaux énumérés dans la Michna. Mais il est facile de voir que pour le Talmud, ce terme concret recouvre une définition beaucoup plus générale : toute séparation d’une nourriture ou d’une graine de son enveloppe ou de son écorce, lorsqu’elle lui est attachée, relève de ce travail . Par exemple, arracher une graine de lin de sa capsule est rattaché directement au travail de dicha . Plus généralement, parmi les travaux dérivés 6 de dicha , nous rencontrons, entre autres, traire une vache ou presser un jus de fruit. Ainsi le Talmud n’hésite pas à rattacher à un même principe des travaux qui, tant par leur technique que par l’objet auquel ils s’appliquent, diffèrent profondément entre eux. L’important est qu’à chaque fois, il s’agit d’extraire un produit de son enveloppe ou de son écorce. Autrement dit, l’interdit ne porte pas sur tel ou tel acte concret, décrit par sa technique visible, mais sur un ensemble de transformations significatives du monde ayant chacune une définition abstraite. A cet égard, rien ne serait plus faux que de considérer les lois du shabbat comme les éléments d’un catalogue de recettes pour vivre shabbat . Ces lois forment un ensemble structuré découlant d’un nombre limité de principes généraux dont résulte la multiplicité des lois particulières.
J’en viens au deuxième point annoncé plus haut. Il ne suffit pas qu’un acte relève de l’un des 39 travaux pour qu’il soit interdit le shabbat, du moins min hatorah . Encore faut-il qu’il puisse se définir comme melekhet mahachevet , ce que l’on traduit généralement oeuvre d’artiste . Cette traduction est satisfaisante pour la compréhension littérale du texte biblique, mais elle ne rend pas compte de la manière dont ce concept est employé dans le Talmud. Je vais donc procéder à une brève analyse des conditions que doit remplir un acte pour mériter en quelque sorte de s’appeler melekhet mahachevet , ce qui conduira à en donner la « traduction talmudique ».
Pour qu’une action qui est déjà un travail (melakha ) soit dénommée melekhet mahachevet , elle doit satisfaire au moins à quatre conditions. La première est qu’elle soit effectuée avec intention (kavana ). D’une manière plus formelle, supposons qu’un acte A risque d’entraîner un effet B qui est un travail mais que A en lui-même soit permis par la Torah ; alors, bien que A risque d’entraîner B, A reste permis. Pourquoi ? Parce que même si B se produit, ce sera sans intention, et par suite, B n’entre pas dans le cadre du concept melekhet mahachevet . Un exemple souvent donné par le Talmud est le suivant : il est permis de traîner un banc (A) pendant shabbat dans la mesure où l’on n’a pas l’intention de former un sillon (B), ce qui est un travail de labourage (une certaine modification de l’état de la terre).7
Sans entrer dans le détail de la notion de travail intentionnel, il faut signaler cependant qu’elle est fort complexe, au point que l’Encyclopédie Talmudique consacre une bonne dizaine de pages à son analyse.
Une deuxième condition nécessaire pour qu’un travail s’appelle melekhet mahachevet est qu’il soit effectué de manière normale. Au contraire, tout travail effectué de façon bizarre, inhabituelle, anormale (bechinouï ), n’est pas melekhet mahachevet , et par conséquent n’est pas interdit, du moins selon la Torah8; il peut être, suivant les cas, interdit par loi rabbinique ( miderabanan ), ou être tout simplement permis. Par exemple, écrire est l’un des 39 travaux interdits. Cependant un droitier qui écrit de la main gauche, c’est-à-dire d’une manière qui pour lui est anormale, ne tombe pas sous le coup de l’interdiction min hatorah . Ecrire de la main gauche reste néanmoins interdit miderabanan .
Troisième condition qui raffine la précédente : lorsqu’existe pour un travail donné deux manières de l’accomplir, l’une technique ou professionnelle, l’autre rudimentaire, seule la première est qualifiée melekhet mahachevet , dans la mesure où c’est elle qui est normalement employée. Un exemple donné par le Talmud concerne le travail de tri ( berira ). Le tri est défini comme séparation d’une nourriture, ou, plus généralement, d’un produit quelconque, du déchet auquel il est mélangé9. La technique habituelle pour accomplir un tri est d’utiliser un tamis. Si en revanche on effectue un tri de façon rudimentaire avec un entonnoir, le travail ainsi effectué n’est pas interdit min hatorah . Il reste néanmoins interdit miderabanan .10
Quatrième caractéristique. Un travail n’est interdit min hatorah que s’il est constructif ; au contraire, tout acte destructeur ( kilkoul ) est permis par la Torah le shabbat, même s’il est difficile et fatigant à accomplir. Par exemple, casser un meuble, déchirer un vêtement, sont des gestes permis selon la Torah. Notamment si un tel acte est nécessaire pour se procurer un aliment, il ne tombe sous le coup d’aucune interdiction, même miderabanan .11
Récapitulons : pour qu’un acte soit interdit min hatorah , il doit se rattacher à l’un des 39 travaux fondamentaux identifiés par la Michna ou à l’un de leur dérivés et de plus il doit être qualifié melekhet mahachevet , « travail d’artiste ». Cela suppose au moins quatre conditions12: il doit être effectué intentionnellement, normalement, selon la technique habituelle, et ce ne doit pas être un acte destructeur.
De cette brève analyse, il résulte clairement que le but principal de l’interdiction shabbatique n’est pas de constituer le shabbat en repos hebdomadaire. Imaginons quelqu’un qui se serait amusé à déplacer toute la journée des meubles très lourds en restant dans un même appartement  ; cette personne serait certainement épuisée mais n’aurait pas transgressé l’interdit de travailler shabbat, la transformation accomplie n’étant pas considérée comme significative13. En revanche, la même personne qui aurait transféré (intentionnellement et en toute connaissance de cause) d’un domaine privé à un domaine public un aliment de volume supérieur ou égal à celui d’une figue, se trouverait avoir transgressé cet interdit, et à ce titre, théoriquement, serait susceptible de lapidation.14
Il apparaît donc que l’interdiction shabbatique vise une interruption totale du travail de l’homme, mais de l’homme en tant qu’être volontaire et pensant, animé constamment par des projets de transformation matérielle et les mettant à exécution avec les moyens techniques que sa pensée met à sa disposition. Le terme melekhet mahachevet doit se traduire à mon sens par « travail réfléchi », en mettant dans le qualificatif « réfléchi » les différentes nuances qu’il a en français, projeté, raisonnable, pensé. Le contenu essentiel de l’interdiction shabbatique est l’arrêt du « travail réfléchi » et non l’institution d’un repos hebdomadaire pour le travailleur de force. Il n’est donc pas étonnant que le Talmud ait pris le travail de construction du Tabernacle comme prototype du travail interdit le shabbat. Il n’y a pas de meilleur exemple d’un travail raffiné, tout le contraire d’une mise en oeuvre de force brute.
J’en viens maintenant à la partie « positive » du shabbat, à l’obligation indiquée par le verset15: Six jours tu travailleras et le septième tu cesseras . Ici nous rencontrons une sorte de paradoxe. Habituellement l’accomplissement d’une obligation se traduit par la réalisation d’un acte ou d’un ensemble d’actes. Ainsi des commandements tels que mettre des tephillin , habiter dans une soucca , manger de la matza , se concrétisent par des actions précises. Or en ce qui concerne le shabbat, il existe une obligation, un commandement « positif », tu cesseras , qui se trouve n’exiger l’accomplissement d’aucun acte.
Quel est donc le contenu légal de cette obligation ? Bien qu’il y ait à ce sujet certaines controverses entre les décisionnaires qui demanderaient à être expliquées pour elles-mêmes, pour la majorité d’entre eux, « tu cesseras » étend l’interdiction shabbatique à certains actes qui ne relèvent pas du concept de melekhet mahachevet . Plus précisément, tout acte inutile, ou exécuté le samedi en vue du dimanche ou d’un jour de la semaine, se trouve prohibé à partir de ce nouveau commandement, même si pour une raison ou une autre, cet acte ne tombe pas sous le coup de l’interdit de travail précédemment considéré. Ainsi cette personne fort active qui déplace des meubles toute la journée de shabbat dans son appartement n’a certes transgressé aucune interdiction, n’a effectué aucun « travail », mais on dira d’elle qu’elle n’a pas réalisé l’obligation « tu cesseras ».
Mais si l’effet du commandement « tu cesseras » est d’étendre encore le champ des interdictions, pourquoi le considère-t-on comme un commandement positif, une mitsvat assé  ? C’est qu’en fait l’extension des interdictions par lesquelles il se traduit n’est que le moyen de l’accomplir, mais n’en constitue pas véritablement l’essence.
Maïmonide et Nahmanide montrent que le contenu essentiel de ce commandement est la constitution du shabbat en yom menouha , ce que l’on traduit souvent par « jour de repos », ce qui est impropre16. Le sens véritable du terme menouha s’exprime à travers les idées de calme, de stabilité, ou de tranquillité. Six jours tu travailleras et le septième tu cesseras implique non pas une idée de repos après le travail, de récupération des fatigues de la semaine, mais un retour ou un accès au calme après l’activité et éventuellement l’agitation qui a pu régner pendant six jours. Cette constitution du shabbat en yom menouha , en « jour de calme », est considérée comme un commandement positif. L’extension des interdictions par lesquelles il se traduit légalement n’est que le moyen de la réalisation de ce commandement, mais n’en constitue pas l’essence propre. Dans notre mentalité, les notions de stabilité et de calme sont essentiellement négatives. Le calme s’interprète comme absence d’activité, la stabilité est absence de mouvement. Au contraire, il apparaît ici que pour le Talmud, il y a une positivité de la menouha , l’affairement matériel s’interprétant comme perte de l’état de menouha et non pas celui-ci comme absence d’activité.
Il existe donc, en tant que lois de la Torah , deux commandements concernant shabbat : un commandement négatif, une interdiction, celle de tout travail réfléchi (melekhet mahachevet ), et un commandement positif, une obligation, la constitution du shabbat en jour de calme (yom menouha ).
Ces deux commandements sont prolongés par de multiples interdictions et obligations miderabanan . Le plus souvent, la loi rabbinique complète la loi de la Torah en prohibant une action insuffisamment significative pour être melekhet mahachevet mais s’y rattachant par extension naturelle ou pouvant y conduire par effet d’entraînement.
Deux cas méritent toutefois une mention spéciale. Ce sont deux obligations fondées par le Talmud sur un verset d’Isaïe17:
Tu appelleras le shabbat agrément (oneg) et le jour consacré à l’Eternel tu l’appelleras honoré (mekhoubad).
Le Talmud s’appuie sur ce verset pour ajouter à la définition du shabbat selon la Torah les caractéristiques de oneg (plaisir, jouissance, agrément) et de kavod (honneur ou respect). Les détails matériels qui concrétisent ces deux notions sont multiples. Je n’en évoquerai que les plus connus et ferai quelques remarques à ce sujet. Conséquence de l’obligation de oneg  : faire trois repas le shabbat au lieu de deux en semaine, et agrémenter ces repas par des mets délicats. Voilà, bien sûr, une considération fort matérialiste. Conséquence de l’obligation de kavod  : le changement vestimentaire, le vêtement de shabbat devant être distinct du vêtement de la semaine. Enfin, loi que le Talmud considère comme relativement importante et relevant à la fois des notions de oneg et de kavod , l’allumage des lumières de shabbat. Je dis intentionnellement l’allumage des « lumières » du shabbat et non l’allumage des « bougies ». En effet cet allumage n’est pas, comme on pourrait le croire, une opération de nature symbolique18. La lumière du shabbat est avant tout destinée à bien éclairer la demeure, condition de « paix », dit le Talmud. La coutume de l’allumage des bougies a sans doute ses justifications propres, mais en ce qui concerne la réalisation du oneg et du kavod , une bonne lumière électrique est supérieure.
Encore une remarque sur ces notions. Il apparaît que dans certains milieux se soit produite une interversion dans les priorités. Tout se passe comme si les éléments fondamentaux du shabbat étaient devenus le oneg et le kavod , les interdictions relatives au travail étant considérées comme secondaires. Cela conduit à une fracture entre le shabbat tel qu’il est vécu et le shabbat du Talmud et de la loi. Pour illustrer ce point, je citerai une phrase talmudique assez frappante19:
Fais de ton shabbat un jour de semaine et ne vis pas aux dépens des créatures.
Cet adage est employé dans la halakha pour dispenser des obligations de oneg et de kavod quelqu’un qui n’en aurait pas les moyens financiers. En revanche, les décisionnaires sont unanimes pour dire qu’en aucun cas cette phrase ne peut être utilisée pour négliger les interdictions relatives au travail. Ces interdictions sont, au moins dans leur noyau central, issues de la Torah ; les obligations de oneg et de kavod sont considérées comme miderabanan et donc d’importance relativement secondaire.
Les linéaments de la loi du shabbat apparaissent ainsi clairement : son fondement essentiel est l’interdit du « travail réfléchi » dans les multiples dimensions que le Talmud dégage ; à cela s’ajoute l’obligation de constituer le shabbat en « jour de calme » ; enfin ces deux éléments sont complétés par de nombreuses interdictions et obligations rabbiniques parmi lesquelles notamment celles de oneg et de kavod . L’analyse de l’interdit relatif au travail a permis d’établir que la finalité de la loi shabbatique n’est nullement le « repos hebdomadaire » au sens courant du terme. Il nous faut donc préciser quelle est sa finalité principale. Pourquoi l’interdit relatif au travail revêt-il une telle importance ?
Dans son texte littéral, la Torah indique que le respect du shabbat est signe de la création du monde. Mais comme l’a montré Samson Raphaël Hirsch20 ce signe ne joue pas seulement sur le mode du renvoi. Il ne s’agit pas de rappeler à la conscience un principe théologique abstrait par un ensemble d’actions symboliques. Le shabbat est un mode de comportement, une façon d’être où est prise en compte la situation d’être créé, ce qui concrètement signifie ne pas tenir de soi-même son existence, ses capacités et ses pouvoirs. Le shabbat est le temps où l’homme renonce à son pouvoir de transformation du monde. Par la mise en oeuvre de sa pensée, l’homme sait créer, fabriquer, transformer, et cette activité est un élément de sa vocation, presque une obligation. Mais la Torah fixe à l’homme une limite à sa puissance. Le shabbat se définit comme le moment où il est prescrit de renoncer à un pouvoir. Il est d’abord une ascèse : « Tu n’y feras aucun travail ». L’homme est le maître du monde d’en bas, il le modifie à sa guise et le soumet à sa domination. La Torah assigne une limite temporelle à cette souveraineté.
On peut ainsi comprendre également un attribut inséparable du shabbat déjà évoqué précédemment21: sa sainteté, son caractère sacré (sa kedoucha ). La définition la plus couramment donnée de la sainteté est la « séparation ». Si l’on s’en tient à cette signification, le shabbat est saint car distingué des jours de la semaine qualifiés a contrario de « profanes » (hol ). Toutefois une telle définition reste formelle. La « séparation » est une catégorie logique et n’affecte aucun contenu réel à la sainteté du shabbat. la limite, n’importe quel signe distinctif pourrait différencier le shabbat des autres jours et, à l’évidence, cela ne suffirait pas à lui donner une sainteté. Si effectivement le shabbat est un jour séparé, encore faut-il préciser ce qui définit le « profane » dont il est séparé.
Le temps « profane » est celui du déploiement de l’être. Persévérance dans l’être, extension, conquête, domination de la nature (et malheureusement aussi des hommes), impératif d’action et de réalisation croissante, accroissement infini de la richesse et de la puissance en sont les catégories. Remplissez la terre et conquérez la , dit la Genèse, phrase qui peut se comprendre tout à la fois comme un ordre et une bénédiction. Armé de sa pensée, l’homme façonne le monde à sa convenance, convertit la pierre en résidence, la graine brute en nourriture raffinée et étoffe chatoyante, l’arbre du champ en meuble précieux.
Arrive le shabbat avec sa « sainteté », coup d’arrêt périodique à cet impérialisme, littéralement « cessez-le-feu ! » ou « halte-là ! ». Sainteté qui se produit non pas dans une quelconque extase mystique mais primordialement comme renonciation au pouvoir sur le monde. A nouveau, on peut observer combien est déficiente la caractérisation du shabbat comme « repos hebdomadaire ». D’une certaine façon, il y a même là un contresens. En effet si l’on adopte une telle optique, le shabbat se trouve intégré comme moment de pause nécessaire pour une conquête toujours plus étendue. Non plus limitation apportée à un pouvoir mais reprise de force, arrêt provisoire dans la marche en avant. Au lieu de constituer un moment où le jeu de l’être est surmonté, le shabbat en devient l’accessoire obligé.
Il est sans doute vain de se demander « pourquoi » la Torah prescrit cette abstention hebdomadaire, cette auto-limitation cyclique. On peut certainement lui trouver de multiples justifications, mais en définitive le plus simple est de répondre : le judaïsme a décidé que tel est le modèle à réaliser, un homme puissant et créateur, mais aussi capable de mettre un frein à sa puissance et à ses créations. La sainteté du shabbat signifie bien « séparation », si l’on précise aussi « de quoi » elle est séparation : du jeu de l’être et de ses déploiements.

Notes on site

Le shabbat sous l’oeil du Talmud1

8 mai, 2012

http://ghansel.free.fr/shabbat.html

Le shabbat sous l’oeil du Talmud1

Au sein de la loi juive, tant par l’importance qui leur est attribuée que par leur multiplicité, les lois du shabbat ont une place de choix. Selon une expression du Talmud, les lois du shabbat sont comme une montagne suspendue à un cheveu : peu de versets et de nombreuses lois. 2 Même si l’on s’en tient aux textes de base, c’est-à-dire aux textes talmudiques et à ceux des décisionnaires les plus importants, on se trouve déjà en présence de plusieurs centaines de pages à étudier. Quant aux problèmes nouveaux posés par les développements récents des sciences et des techniques, c’est une littérature considérable qui leur est consacrée.
Dans cette étude, je ne chercherai pas à dresser un tableau des lois du shabbat mais seulement à dégager le cadre conceptuel de la législation talmudique, le rappel de lois particulières ne venant qu’à titre d’illustration des principes mis en évidence. De plus, je ne traiterai pas des lois proprement rituelles telles que celles concernant le kiddouch ou les formes spécifiques de la liturgie du septième jour. Je me limiterai essentiellement aux lois relatives au travail.
Deux distinctions classiques doivent être posées d’emblée et vont commander la structure de cette étude. D’une part, il faut distinguer entre obligation (mitsvat assé , commandement de faire) et interdiction (mitsvat lo taassé , commandement de ne pas faire). D’autre part, deuxième distinction, essentiellement relative aux interdits, certaines lois sont dites min hatorah , sont considérées comme découlant directement de la Torah, d’autres sont dites miderabanan , lois rabbiniques. Cependant il convient de remarquer que cette différence n’est pas le plus souvent de nature historique. Il ne s’agit pas de distinguer entre un noyau de lois qui serait très ancien de celles qui se seraient surajoutées au cours des âges. On s’en convainc aisément en observant qu’un même acte, suivant les modalités ou l’intention dans lesquelles il est réalisé, peut relever, soit de l’interdit min hatorah , soit de l’interdit miderabanan . On introduit par là une différenciation a priori entre ce que l’on estime essentiel et ce que l’on considère comme relativement secondaire, différenciation de type logique et non historique. Dès lors, l’analyse des différences entre interdit min hatorah et interdit miderabanan nous permettra de mieux cerner quel est le noyau central, l’essence de l’interdiction shabbatique.
La distinction entre les aspects interdiction et obligation des lois du shabbat est signalée par Maïmonide dès le début du traité qu’il leur consacre. Il y indique qu’il ne faut pas confondre deux versets à première vue semblables :

Exode, XX, 10 : Le septième jour est un shabbat pour l’Eternel ton Dieu, tu n’y feras aucun travail (lo taasse kol melakha)…
Exode, XXXIV, 21 : Six jours tu travailleras et le septième jour tu cesseras (tichbot).

En dépit de leur similitude, ces deux versets doivent être distingués. Le premier est exprimé sous forme négative et énonce un interdit, celui d’effectuer un travail le shabbat. Le second, au contraire, est exprimé sous forme positive et introduit une obligation dont le contenu reste à définir. Je vais successivement développer quelles sont la définition et les caractéristiques de l’interdit, puis celles de l’obligation.
La gravité de l’interdit est soulignée dans un autre passage de l’Exode3:
Moïse convoqua toute la communauté des enfants d’Israël et leur dit : voici les choses que l’Eternel a ordonné d’observer. Pendant six jours on effectuera des travaux, mais au septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur de l’Eternel. Quiconque effectuera un travail en ce jour sera mis à mort. Vous ne ferez point de feu dans aucune de vos demeures en ce jour de repos.
Ce passage est immédiatement suivi d’un long texte relatif au Tabernacle et indiquant les différents travaux nécessaires à sa construction et au fonctionnement du culte qui s’y rend. En voici les derniers versets4:
Moïse dit aux enfants d’Israël : voyez, l’Eternel a désigné nommément Betsalel, fils d’Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda. Il l’a rempli d’un souffle divin, d’habileté, de jugement, de science, d’aptitude pour tous les travaux, lui a appris à mettre en oeuvre l’or, l’argent et le cuivre, à travailler la pierre pour la sertir, à travailler le bois et à exécuter toute oeuvre d’artiste.
Deux remarques formelles relatives à ces textes. La première concerne précisément leur voisinage : l’interdiction shabbatique est immédiatement suivie de la description des travaux de construction du Tabernacle et le Talmud va mettre en valeur cette proximité. Seconde remarque : dans le deuxième texte cité, le travail de construction du Tabernacle est appelé melekhet mahachevet , ce que j’ai traduit provisoirement par oeuvre d’artiste . Le Talmud fait jouer à cette expression melekhet mahachevet un rôle fondamental dans le développement de sa conception de l’interdiction shabbatique.
Voyons maintenant quelle est cette conception. Premier principe associé à la proximité qui vient d’être signalée : un travail n’est interdit le shabbat que s’il se rattache directement ou indirectement à l’un des travaux de la construction du Tabernacle. En particulier, point relativement peu connu, ce n’est jamais en fonction de sa difficulté, ou de la fatigue qu’il peut occasionner, qu’un travail se trouve interdit, du moins min hatorah . Seules les transformations matérielles que le Talmud estime assez significatives pour être rattachées à la construction du Tabernacle entrent dans le domaine de l’interdiction shabbatique. Cette doctrine implique également qu’à proprement parler, l’interdit ne porte pas sur l’effectuation même de l’acte de travailler mais sur son résultat ; ce n’est qu’indirectement que l’effectuation se trouve prohibée. La Michna énumère ainsi trente-neuf types de travaux5:
Il y a 39 principes de travaux : semer, labourer, moissonner, mettre en gerbe, battre (le blé), vanner, trier, moudre, tamiser, pétrir, cuire, tondre la laine, la blanchir, la carder, la teindre, filer, ourdir, tisser deux fils, couper deux fils, nouer, dénouer, coudre deux coutures, déchirer en vue de recoudre, capturer un cerf, l’abattre, le dépecer, le saler, tanner sa peau, la frotter, la découper, écrire deux lettres, effacer [un parchemin] de quoi y écrire deux lettres, construire, détruire [pour reconstruire], éteindre, allumer, frapper avec un marteau, transférer d’un domaine à un autre.
On se gardera de prendre cette énumération au pied de la lettre. Outre le fait que le Talmud y apporte de nombreuses précisions, extensions et limitations, il faut ici noter un point essentiel : par-delà les désignations concrètes ou techniques des différents travaux, le Talmud a toujours en vue une définition abstraite. Ainsi, par exemple, le battage du blé (dicha ) est l’un des 39 travaux énumérés dans la Michna. Mais il est facile de voir que pour le Talmud, ce terme concret recouvre une définition beaucoup plus générale : toute séparation d’une nourriture ou d’une graine de son enveloppe ou de son écorce, lorsqu’elle lui est attachée, relève de ce travail . Par exemple, arracher une graine de lin de sa capsule est rattaché directement au travail de dicha . Plus généralement, parmi les travaux dérivés 6 de dicha , nous rencontrons, entre autres, traire une vache ou presser un jus de fruit. Ainsi le Talmud n’hésite pas à rattacher à un même principe des travaux qui, tant par leur technique que par l’objet auquel ils s’appliquent, diffèrent profondément entre eux. L’important est qu’à chaque fois, il s’agit d’extraire un produit de son enveloppe ou de son écorce. Autrement dit, l’interdit ne porte pas sur tel ou tel acte concret, décrit par sa technique visible, mais sur un ensemble de transformations significatives du monde ayant chacune une définition abstraite. A cet égard, rien ne serait plus faux que de considérer les lois du shabbat comme les éléments d’un catalogue de recettes pour vivre shabbat . Ces lois forment un ensemble structuré découlant d’un nombre limité de principes généraux dont résulte la multiplicité des lois particulières.
J’en viens au deuxième point annoncé plus haut. Il ne suffit pas qu’un acte relève de l’un des 39 travaux pour qu’il soit interdit le shabbat, du moins min hatorah . Encore faut-il qu’il puisse se définir comme melekhet mahachevet , ce que l’on traduit généralement oeuvre d’artiste . Cette traduction est satisfaisante pour la compréhension littérale du texte biblique, mais elle ne rend pas compte de la manière dont ce concept est employé dans le Talmud. Je vais donc procéder à une brève analyse des conditions que doit remplir un acte pour mériter en quelque sorte de s’appeler melekhet mahachevet , ce qui conduira à en donner la « traduction talmudique ».
Pour qu’une action qui est déjà un travail (melakha ) soit dénommée melekhet mahachevet , elle doit satisfaire au moins à quatre conditions. La première est qu’elle soit effectuée avec intention (kavana ). D’une manière plus formelle, supposons qu’un acte A risque d’entraîner un effet B qui est un travail mais que A en lui-même soit permis par la Torah ; alors, bien que A risque d’entraîner B, A reste permis. Pourquoi ? Parce que même si B se produit, ce sera sans intention, et par suite, B n’entre pas dans le cadre du concept melekhet mahachevet . Un exemple souvent donné par le Talmud est le suivant : il est permis de traîner un banc (A) pendant shabbat dans la mesure où l’on n’a pas l’intention de former un sillon (B), ce qui est un travail de labourage (une certaine modification de l’état de la terre).7
Sans entrer dans le détail de la notion de travail intentionnel, il faut signaler cependant qu’elle est fort complexe, au point que l’Encyclopédie Talmudique consacre une bonne dizaine de pages à son analyse.
Une deuxième condition nécessaire pour qu’un travail s’appelle melekhet mahachevet est qu’il soit effectué de manière normale. Au contraire, tout travail effectué de façon bizarre, inhabituelle, anormale (bechinouï ), n’est pas melekhet mahachevet , et par conséquent n’est pas interdit, du moins selon la Torah8; il peut être, suivant les cas, interdit par loi rabbinique ( miderabanan ), ou être tout simplement permis. Par exemple, écrire est l’un des 39 travaux interdits. Cependant un droitier qui écrit de la main gauche, c’est-à-dire d’une manière qui pour lui est anormale, ne tombe pas sous le coup de l’interdiction min hatorah . Ecrire de la main gauche reste néanmoins interdit miderabanan .
Troisième condition qui raffine la précédente : lorsqu’existe pour un travail donné deux manières de l’accomplir, l’une technique ou professionnelle, l’autre rudimentaire, seule la première est qualifiée melekhet mahachevet , dans la mesure où c’est elle qui est normalement employée. Un exemple donné par le Talmud concerne le travail de tri ( berira ). Le tri est défini comme séparation d’une nourriture, ou, plus généralement, d’un produit quelconque, du déchet auquel il est mélangé9. La technique habituelle pour accomplir un tri est d’utiliser un tamis. Si en revanche on effectue un tri de façon rudimentaire avec un entonnoir, le travail ainsi effectué n’est pas interdit min hatorah . Il reste néanmoins interdit miderabanan .10
Quatrième caractéristique. Un travail n’est interdit min hatorah que s’il est constructif ; au contraire, tout acte destructeur ( kilkoul ) est permis par la Torah le shabbat, même s’il est difficile et fatigant à accomplir. Par exemple, casser un meuble, déchirer un vêtement, sont des gestes permis selon la Torah. Notamment si un tel acte est nécessaire pour se procurer un aliment, il ne tombe sous le coup d’aucune interdiction, même miderabanan .11
Récapitulons : pour qu’un acte soit interdit min hatorah , il doit se rattacher à l’un des 39 travaux fondamentaux identifiés par la Michna ou à l’un de leur dérivés et de plus il doit être qualifié melekhet mahachevet , « travail d’artiste ». Cela suppose au moins quatre conditions12: il doit être effectué intentionnellement, normalement, selon la technique habituelle, et ce ne doit pas être un acte destructeur.
De cette brève analyse, il résulte clairement que le but principal de l’interdiction shabbatique n’est pas de constituer le shabbat en repos hebdomadaire. Imaginons quelqu’un qui se serait amusé à déplacer toute la journée des meubles très lourds en restant dans un même appartement  ; cette personne serait certainement épuisée mais n’aurait pas transgressé l’interdit de travailler shabbat, la transformation accomplie n’étant pas considérée comme significative13. En revanche, la même personne qui aurait transféré (intentionnellement et en toute connaissance de cause) d’un domaine privé à un domaine public un aliment de volume supérieur ou égal à celui d’une figue, se trouverait avoir transgressé cet interdit, et à ce titre, théoriquement, serait susceptible de lapidation.14
Il apparaît donc que l’interdiction shabbatique vise une interruption totale du travail de l’homme, mais de l’homme en tant qu’être volontaire et pensant, animé constamment par des projets de transformation matérielle et les mettant à exécution avec les moyens techniques que sa pensée met à sa disposition. Le terme melekhet mahachevet doit se traduire à mon sens par « travail réfléchi », en mettant dans le qualificatif « réfléchi » les différentes nuances qu’il a en français, projeté, raisonnable, pensé. Le contenu essentiel de l’interdiction shabbatique est l’arrêt du « travail réfléchi » et non l’institution d’un repos hebdomadaire pour le travailleur de force. Il n’est donc pas étonnant que le Talmud ait pris le travail de construction du Tabernacle comme prototype du travail interdit le shabbat. Il n’y a pas de meilleur exemple d’un travail raffiné, tout le contraire d’une mise en oeuvre de force brute.
J’en viens maintenant à la partie « positive » du shabbat, à l’obligation indiquée par le verset15: Six jours tu travailleras et le septième tu cesseras . Ici nous rencontrons une sorte de paradoxe. Habituellement l’accomplissement d’une obligation se traduit par la réalisation d’un acte ou d’un ensemble d’actes. Ainsi des commandements tels que mettre des tephillin , habiter dans une soucca , manger de la matza , se concrétisent par des actions précises. Or en ce qui concerne le shabbat, il existe une obligation, un commandement « positif », tu cesseras , qui se trouve n’exiger l’accomplissement d’aucun acte.
Quel est donc le contenu légal de cette obligation ? Bien qu’il y ait à ce sujet certaines controverses entre les décisionnaires qui demanderaient à être expliquées pour elles-mêmes, pour la majorité d’entre eux, « tu cesseras » étend l’interdiction shabbatique à certains actes qui ne relèvent pas du concept de melekhet mahachevet . Plus précisément, tout acte inutile, ou exécuté le samedi en vue du dimanche ou d’un jour de la semaine, se trouve prohibé à partir de ce nouveau commandement, même si pour une raison ou une autre, cet acte ne tombe pas sous le coup de l’interdit de travail précédemment considéré. Ainsi cette personne fort active qui déplace des meubles toute la journée de shabbat dans son appartement n’a certes transgressé aucune interdiction, n’a effectué aucun « travail », mais on dira d’elle qu’elle n’a pas réalisé l’obligation « tu cesseras ».
Mais si l’effet du commandement « tu cesseras » est d’étendre encore le champ des interdictions, pourquoi le considère-t-on comme un commandement positif, une mitsvat assé  ? C’est qu’en fait l’extension des interdictions par lesquelles il se traduit n’est que le moyen de l’accomplir, mais n’en constitue pas véritablement l’essence.
Maïmonide et Nahmanide montrent que le contenu essentiel de ce commandement est la constitution du shabbat en yom menouha , ce que l’on traduit souvent par « jour de repos », ce qui est impropre16. Le sens véritable du terme menouha s’exprime à travers les idées de calme, de stabilité, ou de tranquillité. Six jours tu travailleras et le septième tu cesseras implique non pas une idée de repos après le travail, de récupération des fatigues de la semaine, mais un retour ou un accès au calme après l’activité et éventuellement l’agitation qui a pu régner pendant six jours. Cette constitution du shabbat en yom menouha , en « jour de calme », est considérée comme un commandement positif. L’extension des interdictions par lesquelles il se traduit légalement n’est que le moyen de la réalisation de ce commandement, mais n’en constitue pas l’essence propre. Dans notre mentalité, les notions de stabilité et de calme sont essentiellement négatives. Le calme s’interprète comme absence d’activité, la stabilité est absence de mouvement. Au contraire, il apparaît ici que pour le Talmud, il y a une positivité de la menouha , l’affairement matériel s’interprétant comme perte de l’état de menouha et non pas celui-ci comme absence d’activité.
Il existe donc, en tant que lois de la Torah , deux commandements concernant shabbat : un commandement négatif, une interdiction, celle de tout travail réfléchi (melekhet mahachevet ), et un commandement positif, une obligation, la constitution du shabbat en jour de calme (yom menouha ).
Ces deux commandements sont prolongés par de multiples interdictions et obligations miderabanan . Le plus souvent, la loi rabbinique complète la loi de la Torah en prohibant une action insuffisamment significative pour être melekhet mahachevet mais s’y rattachant par extension naturelle ou pouvant y conduire par effet d’entraînement.
Deux cas méritent toutefois une mention spéciale. Ce sont deux obligations fondées par le Talmud sur un verset d’Isaïe17:
Tu appelleras le shabbat agrément (oneg) et le jour consacré à l’Eternel tu l’appelleras honoré (mekhoubad).
Le Talmud s’appuie sur ce verset pour ajouter à la définition du shabbat selon la Torah les caractéristiques de oneg (plaisir, jouissance, agrément) et de kavod (honneur ou respect). Les détails matériels qui concrétisent ces deux notions sont multiples. Je n’en évoquerai que les plus connus et ferai quelques remarques à ce sujet. Conséquence de l’obligation de oneg  : faire trois repas le shabbat au lieu de deux en semaine, et agrémenter ces repas par des mets délicats. Voilà, bien sûr, une considération fort matérialiste. Conséquence de l’obligation de kavod  : le changement vestimentaire, le vêtement de shabbat devant être distinct du vêtement de la semaine. Enfin, loi que le Talmud considère comme relativement importante et relevant à la fois des notions de oneg et de kavod , l’allumage des lumières de shabbat. Je dis intentionnellement l’allumage des « lumières » du shabbat et non l’allumage des « bougies ». En effet cet allumage n’est pas, comme on pourrait le croire, une opération de nature symbolique18. La lumière du shabbat est avant tout destinée à bien éclairer la demeure, condition de « paix », dit le Talmud. La coutume de l’allumage des bougies a sans doute ses justifications propres, mais en ce qui concerne la réalisation du oneg et du kavod , une bonne lumière électrique est supérieure.
Encore une remarque sur ces notions. Il apparaît que dans certains milieux se soit produite une interversion dans les priorités. Tout se passe comme si les éléments fondamentaux du shabbat étaient devenus le oneg et le kavod , les interdictions relatives au travail étant considérées comme secondaires. Cela conduit à une fracture entre le shabbat tel qu’il est vécu et le shabbat du Talmud et de la loi. Pour illustrer ce point, je citerai une phrase talmudique assez frappante19:
Fais de ton shabbat un jour de semaine et ne vis pas aux dépens des créatures.
Cet adage est employé dans la halakha pour dispenser des obligations de oneg et de kavod quelqu’un qui n’en aurait pas les moyens financiers. En revanche, les décisionnaires sont unanimes pour dire qu’en aucun cas cette phrase ne peut être utilisée pour négliger les interdictions relatives au travail. Ces interdictions sont, au moins dans leur noyau central, issues de la Torah ; les obligations de oneg et de kavod sont considérées comme miderabanan et donc d’importance relativement secondaire.
Les linéaments de la loi du shabbat apparaissent ainsi clairement : son fondement essentiel est l’interdit du « travail réfléchi » dans les multiples dimensions que le Talmud dégage ; à cela s’ajoute l’obligation de constituer le shabbat en « jour de calme » ; enfin ces deux éléments sont complétés par de nombreuses interdictions et obligations rabbiniques parmi lesquelles notamment celles de oneg et de kavod . L’analyse de l’interdit relatif au travail a permis d’établir que la finalité de la loi shabbatique n’est nullement le « repos hebdomadaire » au sens courant du terme. Il nous faut donc préciser quelle est sa finalité principale. Pourquoi l’interdit relatif au travail revêt-il une telle importance ?
Dans son texte littéral, la Torah indique que le respect du shabbat est signe de la création du monde. Mais comme l’a montré Samson Raphaël Hirsch20 ce signe ne joue pas seulement sur le mode du renvoi. Il ne s’agit pas de rappeler à la conscience un principe théologique abstrait par un ensemble d’actions symboliques. Le shabbat est un mode de comportement, une façon d’être où est prise en compte la situation d’être créé, ce qui concrètement signifie ne pas tenir de soi-même son existence, ses capacités et ses pouvoirs. Le shabbat est le temps où l’homme renonce à son pouvoir de transformation du monde. Par la mise en oeuvre de sa pensée, l’homme sait créer, fabriquer, transformer, et cette activité est un élément de sa vocation, presque une obligation. Mais la Torah fixe à l’homme une limite à sa puissance. Le shabbat se définit comme le moment où il est prescrit de renoncer à un pouvoir. Il est d’abord une ascèse : « Tu n’y feras aucun travail ». L’homme est le maître du monde d’en bas, il le modifie à sa guise et le soumet à sa domination. La Torah assigne une limite temporelle à cette souveraineté.
On peut ainsi comprendre également un attribut inséparable du shabbat déjà évoqué précédemment21: sa sainteté, son caractère sacré (sa kedoucha ). La définition la plus couramment donnée de la sainteté est la « séparation ». Si l’on s’en tient à cette signification, le shabbat est saint car distingué des jours de la semaine qualifiés a contrario de « profanes » (hol ). Toutefois une telle définition reste formelle. La « séparation » est une catégorie logique et n’affecte aucun contenu réel à la sainteté du shabbat. la limite, n’importe quel signe distinctif pourrait différencier le shabbat des autres jours et, à l’évidence, cela ne suffirait pas à lui donner une sainteté. Si effectivement le shabbat est un jour séparé, encore faut-il préciser ce qui définit le « profane » dont il est séparé.
Le temps « profane » est celui du déploiement de l’être. Persévérance dans l’être, extension, conquête, domination de la nature (et malheureusement aussi des hommes), impératif d’action et de réalisation croissante, accroissement infini de la richesse et de la puissance en sont les catégories. Remplissez la terre et conquérez la , dit la Genèse, phrase qui peut se comprendre tout à la fois comme un ordre et une bénédiction. Armé de sa pensée, l’homme façonne le monde à sa convenance, convertit la pierre en résidence, la graine brute en nourriture raffinée et étoffe chatoyante, l’arbre du champ en meuble précieux.
Arrive le shabbat avec sa « sainteté », coup d’arrêt périodique à cet impérialisme, littéralement « cessez-le-feu ! » ou « halte-là ! ». Sainteté qui se produit non pas dans une quelconque extase mystique mais primordialement comme renonciation au pouvoir sur le monde. A nouveau, on peut observer combien est déficiente la caractérisation du shabbat comme « repos hebdomadaire ». D’une certaine façon, il y a même là un contresens. En effet si l’on adopte une telle optique, le shabbat se trouve intégré comme moment de pause nécessaire pour une conquête toujours plus étendue. Non plus limitation apportée à un pouvoir mais reprise de force, arrêt provisoire dans la marche en avant. Au lieu de constituer un moment où le jeu de l’être est surmonté, le shabbat en devient l’accessoire obligé.
Il est sans doute vain de se demander « pourquoi » la Torah prescrit cette abstention hebdomadaire, cette auto-limitation cyclique. On peut certainement lui trouver de multiples justifications, mais en définitive le plus simple est de répondre : le judaïsme a décidé que tel est le modèle à réaliser, un homme puissant et créateur, mais aussi capable de mettre un frein à sa puissance et à ses créations. La sainteté du shabbat signifie bien « séparation », si l’on précise aussi « de quoi » elle est séparation : du jeu de l’être et de ses déploiements.

Notes:
1Extrait de Explorations talmudiques . Une première version de cette étude a fait l’objet d’une communication au XIVe Colloque des intellectuels juifs de langue francaise publiée dans le Shabbat dans la conscience juive , P.U.F., 1975.
2Traité Haguiga , 10a.
3Exode, XXXV, 1.
4Versets 30-33.
5Traité Shabbat , 73a.
6La distinction entre type de base (av) et type dérivé (tolda) est elle-même conceptuelle ; un travail est réputé dérivé d’un autre lorsqu’il partage certaines caractéristiques avec le type de base et s’en distingue par d’autres. Exemple : « moudre du café » se rattache directement au travail originel « moudre du blé » car, dans les deux cas, il s’agit de réduire un produit uni en fines particules ; en revanche, sectionner un légume en petits morceaux en est un dérivé car l’aspect du produit initial est conservé. On veillera à ne pas confondre la distinction entre type de base et type dérivé avec celle introduite précédemment entre interdits min hatorah et miderabanan  : aussi bien un travail de base qu’un travail dérivé tombent sous le coup de l’interdit min hatorah . D’ailleurs, c’est une caractéristique usuelle des lois talmudiques qu’une dérivation conceptuelle qui conserve le noyau d’une notion de base n’en affaiblit pas la force légale.
7Cf. par exemple, Traité Shabbat , 29b.
8Cf. par exemple Traité Shabbat , chapitre 10, michna 3.
9Le tri diffère du battage considéré précédemment en ce que la nourriture et le déchet sont supposés seulement mélangés et non attachés.
10Cf. Traité Shabbat , 74a.
11Cf. par exemple Traité Shabbat , chapitre 22, michna 3.
12En fait il y en a encore d’autres.
13Nous verrons plus loin qu’une telle conduite est quand même prohibée, mais non en vertu de l’interdiction de travailler.
14Précisons, pour éviter toute équivoque, que la peine de lapidation prévue par la Torah est purement académique et n’a jamais été appliquée ; elle ne vient là que pour montrer l’importance attribuée à l’interdiction shabbatique.
15Exode, XXXIV, 21.
16Si cette traduction était exacte, parmi les obligations du shabbat figurerait celle de dormir, ou pour le moins de se reposer ; or une telle obligation n’existe pas, en tout cas min hatorah .
17Isaï e, LVIII, 13.
18A la différence des lumières de Hanoucca qui ne sont pas allumées pour être utilisées mais pour être vues.
19Traité Shabbat , 118a.
20Horev, Pirke haedout .
21Supra , p.

SBF Dialogue: La beauté chrétienne du Dimanche à la lumière du shabbat juif

17 avril, 2012

http://www.custodiaterrasanta.com/SBF-Dialogue-La-beaute-chretienne.html

SBF Dialogue: La beauté chrétienne du Dimanche à la lumière du shabbat juif

Messo on line il sabato 15/11/2008

  En cette période de débat social et économique sur le dimanche (travail,…), et de choix politiques, n’est-il pas opportun de prendre en considération la beauté du Dimanche à la lumière du Shabbat juif ?

Quand le Dimanche est une « quasi-personne » ?….
 Dans la foi chrétienne, le Dimanche n’est pas un jour comme les autres ! Il n’est pas seulement un jour qui fait nombre avec les autres jours, dans la banale énumération du lundi, mardi,…. Il n’est pas seulement une réalité chronologique de 24 h. Le Dimanche est à part. Il a comme une personnalité propre, un « tempérament spirituel ». Au fond, le Dimanche est presque quelqu’un ! Il est une quasi-personne. En ce sens, nous pouvons écrire le mot avec une majuscule : « Dimanche ».
 Dans sa très belle Lettre apostolique « Le Jour du Seigneur » [1], Jean-Paul II présente les diverses harmoniques du Dimanche : Jour du Seigneur, du Créateur ; Jour du Christ Ressuscité et du don de l’Esprit Saint ; Jour de l’Assemblée de l’Eglise (Eucharistie,..) ; le Jour de l’homme (joie, repos, solidarité) ; le Jour des jours (le sens du temps). C’est dire la richesse de signification du Dimanche.
Le Shabbat juif : joyeux de l’attente de la joie des Noces du Messie !
 Pour comprendre le sens profond du Dimanche, il est bon de nous référer à la conception juive du Shabbat. Tout d’abord, nous remarquons qu’en hébreu moderne, à part de Dimanche (yom rishon) [2] et le samedi (shabbat), les jours n’ont pas de nom particulier, mais simplement un n°. Le lundi : jour 2. Mardi : jour 3, etc. Le vendredi (yom ha shishi) : jour 6. Justement, le jour qui a un nom éminent est le « Shabbat » : « le Jour du Repos (de Dieu) ». Il est le « jour saint» qui reçoit la bénédiction même de Dieu (Gen 2,3). Il est « une journée exquise, un Jour respectable, consacré au Seigneur » (Isaïe 58,13-14). Bien plus, le Shabbat est considéré, dans le judaïsme, comme une personne vivante [3]. Dès lors, le Shabbat doit être compris à partir de la réalité fondamentale biblique : Dieu a créé l’être humain selon le couple. « Au Commencement, Dieu créa l’homme (l’humain, l’adam) à son image. Il les créa homme et femme… L’homme quittera son père et sa mère. Il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (Gen 1,26-28 ; 2,24).
 De la même manière, les jours participent à la réalité conjugale. Le Dieu Créateur engage une Alliance nuptiale avec son Peuple (cf Isaïe 61,4-5 ; Osée, ..). Dans ce climat nuptial, les jours sont « en couple », deux à deux : le dimanche avec le lundi, le mardi avec le mercredi, le jeudi avec le vendredi. Mais alors, le jour du Shabbat va-t-il demeurer seul ? exclu de la symbolique nuptiale ? Le Shabbat serait un jour hors sens « absurde »….Mais Dieu va faire le maximum : Il va prévoir la célébration des Noces du Shabbat avec le Messie qu’il enverra ! Désormais, chaque vendredi soir, c’est la fervente espérance de la venue du Messie qui épousera la « Fiancée (ou la Princesse) Shabbat » [4]. A la synagogue, à la festive célébration de l’entrée en Shabbat, la liturgie prend une intensité étonnante avec le chant très mélodieux et rythmé « Lekha Dôdi » : « Viens, mon Bien-Aimé, au-devant de ta fiancé !….Viens, ma fiancée, viens ! ». Le Shabbat est la Fiancée en personne qui aspire ardemment à la joie d’accueillir le Bien-Aimé. Durant le Shabbat règne un supplément d’âme. A la célébration de la clôture si importante du Shabbat (la Havdala), la communauté juive prend congé de la « Princesse Shabbat » à la synagogue, puis à la maison. Pour se consoler de cette séparation, on respire des parfums. Avec des chants, on prend une collation appelée « Melavé Malka » « pour raccompagner la Princesse Shabbat» [5]. Pour le couple, la rencontre amoureuse du soir est à l’image de ce qu’est le Shabbat : don de Dieu et réciprocité d’amour. Ainsi, le Shabbat est-il un Jour qui vibre de cet amour, divin et humain, pétri de joie, d’enthousiasme de l’attente du Messie. Le Messie va venir « à la rencontre de la Princesse Shabbat ».
Le Dimanche chrétien rayonne de la célébration des Noces du Christ.
 Dans cette perspective, Jean-Paul II se plaît à rappeler le sens du chant juif « Lekha Dôdi » [6]. Il présente volontiers le Dimanche comme un « Jour nuptial ». En cela, le Dimanche s’intègre à l’ensemble de la Première et de la Nouvelle Alliance dont « il faut saisir l’intensité sponsale » [7]. Dans les Evangiles, Jésus est identifié comme « l’Epoux qui est là ! » (Jn 3,29) [8]. Le Dieu Père célèbre les Noces du Christ Epoux avec l’Eglise, figure de l’humanité. Nous entendons ici la parabole de Jésus : le Maître a préparé un grand festin pour les Noces de son fils (Mt 25). Saint Paul a souligné l’importance de la relation d’amour entre le Christ et l’Eglise comme la relation d’époux à épouse (Eph 5, 25-28). La Bible se termine par la vision eschatologique de l’Apocalypse. C’est un Dimanche, « le Jour du Seigneur » (Ap 1,10), que le Seigneur donne à Jean la Révélation du « Ciel nouveau et de la Terre nouvelle » (Ap 21). Le monde futur sera animé par la grande Fête où Dieu célèbre les Noces de son Fils, les « Noces de l’Agneau » (Ap 19). Le Christ qui est « le Commencement et la Fin, l’Alpha et l’Oméga » (Ap 1,17; 22,13) est l’Epoux manifesté à tous.
 Parmi tous les signes de ces « épousailles » du Christ avec l’Eglise, l’Eucharistie est le sacrement par excellence de l’ « Alliance (nuptiale) nouvelle et éternelle » du Christ avec l’Eglise. Comme les époux se donnent l’un à l’autre totalement, le Christ se donne radicalement : « Corps livré et Sang versé pour vous et la multitude en signe de l’Alliance ». Après la Consécration, l’appel au Christ est chanté : « Viens, Seigneur Jésus ! ». Telle est la reprise de l’appel, à la fin de l’Apocalypse : « l’Esprit et l’Epouse disent : Viens, Seigneur Jésus ! ». Au moment de la Communion est proclamée la parole de l’Apocalypse lors du Chant des Noces : « Heureux les invités au repas (des Noces) du Seigneur !» (cf. Ap 19,9).
 Le Dimanche est devenu le huitième jour de la Création : le Jour où Dieu Père ressuscite son Fils Jésus par la puissance de l’Esprit Saint. Il achève son œuvre. Depuis lors, les piscines baptismales, et même les bénitiers, sont souvent à huit côtés.
 Dans la perspective de la foi chrétienne, le Dimanche est le « Jour » par excellence ! « C’est la Personne du  Dieu de Jésus-Christ qui remplit et spiritualise le Dimanche » [9]. Celui-ci est marqué par une vraie vocation et mission. Dans le don de l’Esprit Saint, il ne cesse de nous dire la Rencontre avec Jésus le Messie Epoux de l’humanité pour la rassembler dans le Royaume du Père.
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[1] Jean-Paul II « Le Jour du Seigneur. La sanctification du Dimanche », coéd. Cerf-Bayard-Mame, 1998, ou Documentation Catholique, 1998, n° 2186. Par ailleurs, sur le sens du Dimanche, Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1998, § 1166 sq, 1175, 2174 sq, etc. Joseph Ratzinger Benoît XVI, dans « Jésus de Nazareth », éd. Flammarion, 2007, aborde la question de « la querelle du sabbat » dans les Evangiles, p. 128-134.
[2] Le dimanche : yom rishon, de « rosh, tête », c’est-à-dire, le jour en tête de la semaine. L’expression « Jour 1 ; yom hérad » est réservé, en Gn 1,5 au « Premier Jour » de la Création.
[3] cf E. Gugenheim « Le Judaïsme dans la vie quotidienne », éd. A. Michel, 1961, 206 p. Sur le Shabbat (p.74-86) considéré comme une personne, comme la Bien-Aimée : p.77, 78,.. Voir aussi R.Aron, A.Néher, V.Malka, « Le Judaïsme, hier, demain », éd. Buchet-Chastel, 1977, 238 p., sur le shabbat, p. 83 (à propos de la « litanie amoureuse » du chant Lékha Dôdi, etc. Ou Centre National de l’Enseignement Religieux, « A l’écoute du Judaïsme », éd. Chalet, 1977. p. 39 sv, 53,.. : « Comment le juif vit le shabbat »…
[4] E. Gugenheim, ibid., p 78.
[5] E. Gugenheim, ibid. p. 86.
[6] Jean-Paul II, . « Le Jour du Seigneur », n.12 : « Le shabbat est vécu par nos frères juifs selon une spiritualité ‘sponsale’…Le chant ’Lekha Dôdi’ est aussi de tonalité sponsale.. ». Certes, le cantique Lékha Dôdi date du XVI° s, composé, à Safed, par Salomon Alkabetz, mais, remarque E. Gugenheim, « il a été rapidement adopté dans toutes les communautés d’Israël », car il exprime bien l’intuition de la personnalisation du Shabbat.
[7] Jean-Paul II « Le Jour du Seigneur » § 12.
[8] Jésus, l’Epoux qui est là, au milieu de son Peuple. Outre Jn 3,29, des épisodes significatifs dans les Evangiles : Mt 9, 14-15 ; Mt 25, 1-13 (parabole : « Voici l’époux ! sortez à sa rencontre ! ») ; Lc 12, 35-36 ; etc. Cf. Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament, éd. Seuil, article « Epoux (Jésus)».
[9] Mgr Maurice Gardès, archevêque d’Auch, président du Conseil pour l’Unité des chrétiens et les relations avec le judaïsme pour la Conférence des évêques de France.

Les mots des religions : « Shabbat »

22 septembre, 2011

Grand Rabbin Haïm Korsia : le shabbat, et la vue Israélite sur le travail du dimanche 
   
http://www.travail-dimanche.com/expertises-etudes-reflexions/grand-rabbin-ha-m-korsia-le-shabbat-et-la-vue-israelite-sur-le-travail-du-dimanche.html

Canal Académie, 25/4/10

Les mots des religions : « Shabbat »

Avec le grand Rabbin Haïm Korsia, aumônier général israélite des armées françaises
Le shabbat, c’est-à-dire le jour d’« abstinence » qui correspond au samedi, est un des fondements les mieux ancrés de la religion judaïque. Haïm Korsia, aumônier général israélite des Armées, nous explique ce que signifie ce partage du repos pour la communauté juive, effectuant un parallèle avec la polémique sur le travail.
« Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite ; et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite. Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre, qu’il avait créée en la faisant. » Genèse, 2 : 2-3
Comme chacun sait, le shabbat est le jour de repos assigné au dernier jour de la semaine, c’est-à-dire le samedi dans la conception juive. Le « jour » au sens hébraïque débutant non pas au lever du soleil mais à la tombée de la nuit, il s’étend en fait du vendredi soir au samedi soir : ainsi en hiver, le shabbat commence et se termine en fin d’après-midi, alors qu’il n’est pas observé avant 21 heures autour du solstice d’été.
« Avec 3500 ans d’avance sur les grands acquis sociaux qui ont permis de définir un jour d’arrêt de travail », note Haïm Korsia, le shabbat, quatrième des dix commandements (Exode 20 et Deutéronome 5), a dès les origines du judaïsme imposé l’idée que « le rythme humain c’est : six jours de travail, un jour de repos ».
Un temps pour soi, un temps pour tous
Un jour de repos, mais pas un jour de paresse. Le shabbat est avant tout réservé à l’étude, à la vie de famille et au partage, dans l’idée que le temps pour soi est aussi un temps pour Dieu. Le shabbat, par ses trente-neuf prohibitions que recense le Talmud, « ramène l’homme à sa dimension réelle », analyse le Grand Rabbin. N’ayant pas le droit d’utiliser l’électricité, d’emprunter un véhicule motorisé ou de se servir des technologies modernes, il ne lui reste en effet que ses pieds pour se déplacer et sa bouche pour communiquer : si l’on veut voir quelqu’un, on fait l’effort d’aller à lui, de le regarder et de lui parler en face-à-face, à l’opposé des rapports virtuels et distants du reste de la semaine. Mais ce qu’apprécie le plus Haïm Korsia, « un avantage extraordinaire aujourd’hui », c’est peut-être encore l’éphémère bannissement de la télévision et surtout du téléphone…
Shabbat est traditionnellement l’occasion de trois repas meilleurs que l’ordinaire, les « shalosh seoudot ».
Auditionné à l’Assemblée nationale en 2008, Haïm Korsia avait à l’époque pris position sur la question du travail le dimanche. Parallèle du shabbat puisque le jour du Seigneur chez les chrétiens, le dimanche, a en effet conservé une certaine sacralité républicaine. Pour Korsia, « il est important d’avoir un temps qui soit un temps pour tous ». Le rythme de la création suppose, au bout d’un certain intervalle, à l’instar du Dieu de la Genèse, de s’arrêter et de regarder son œuvre.
Il est essentiel de reconnaître aux hommes une identité autre que celle de travailleurs et de producteurs, et de leur permettre de cultiver cette identité en leur offrant cette « respiration commune ». «  Quand les hommes partagent le temps  », explique Korsia, «  ils deviennent réellement des “contemporains”, au sens étymologique du terme ; c’est ça, vivre ensemble 
».

Qu’est-ce que le Chabbat ?

29 juillet, 2011

du site:

http://www.cisonline.org/index.php?option=com_content&task=view&id=47&Itemid=107#biblique

Qu’est-ce que le Chabbat ?

Le Chabbat (samedi) est la solennité la plus importante du calendrier juif (première des convocations de sainteté). Il rappelle à la fois la création du monde et la sortie d’Egypte.
En proclamant que l’Eternel est le Créateur du monde et qu’Il cessa le septième jour, le juif affirme que :
- le monde n’est pas le fruit du hasard.
- Dieu ne s’identifie pas à sa création.
- l’homme est le partenaire de Dieu. A l’image du Créateur, il aménage le monde matériel durant six jours et cesse son activité le septième pour se consacrer à une vie plus spirituelle.
Quant à la référence à la sortie d’Egypte, elle signifie qu’aucun homme ne peut assujettir l’homme, car l’Eternel proclame la libération de l’humain.
Le Chabbat est une alliance (bérith), entre l’Eternel et Israël, un jour de rencontre des cieux et de la terre pour que le juif, séparé pendant tout un jour des préoccupations matérielles (39 travaux interdits), puisse prendre conscience du sens de son existence en tant que témoin du mesage divin.

Quelques sources bibliques
« Ainsi furent achevés les cieux et la terre, et toute leur armée. Dieu acheva au septième jour son oeuvre, qu’Il avait faite : et Il cessa au septième jour toute son oeuvre, qu’il avait faite. Dieu bénit le septième jour, et Il le sanctifia, parce qu’en ce jour Il cessa toute son oeuvre qu’il avait créée en la faisant. »
(Genèse II)
« Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier. Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour de cessation pour l’Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes. Car en six jours l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et Il a cessé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du Chabbat et l’a sanctifié. »
(Exode XX)
« Observe le jour du Chabbat, pour le sanctifier, comme l’Éternel, ton Dieu, te l’a ordonné. Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour de cessation de l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton boeuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l’étranger qui est dans tes portes, afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi. Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte, et que l’Éternel, ton Dieu, t’en a fait sortir à main forte et à bras étendu : c’est pourquoi l’Éternel, ton Dieu, t’a ordonné d’observer le jour de cessation. »
(Deutéronome V)
« Si tu retiens ton pied pendant le Chabbat, pour ne pas faire ta volonté en mon saint jour, si tu fais du Chabat tes délices, pour sanctifier l’Éternel en le glorifiant, et si tu l’honores en ne suivant point tes voies, en ne te livrant pas à tes penchants et à de vaines paroles, alors tu mettras ton plaisir en l’Éternel, et Je te ferai monter sur les hauteurs du pays, je te ferai jouir de l’héritage de Jacob, ton père. Car la bouche de l’Éternel a parlé. »
(Isaïe LVIII)

Quelques références rabbiniques 
« Quiconque se réjouit du Chabbat percevra le monde comme une source de bien infini et verra se réaliser ses aspirations spirituelles. Rabbi Shimon bar Yohaï enseigne : si Israël gardait deux Chabbat de site il serait immédiatement sauvé. »
(Traité Chabbat 118a)
« Quiconque accueille le Chabbat par la prière du soir, deux anges l’accompagnent jusqu’à sa demeure et en posant leurs mains sur sa tête lui et disent : ta faute est éliminée et ton péché pardonné. »
(Traité Chabbat 119b)
« Rabbi enseigne : Quiconque garde convenablement le Chabbat, le verset le considère comme s’il avait gardé tous les Chabat depuis la création du monde jusqu’à la résurrection des morts, ainsi qu’il est dit : Et les enfants d’Israël garderont le Chabbat dans leur génération. »
(Méhkilta sur Ki Tissa)

Les temps forts du Chabbat 
La préparation :
Elle consiste à arranger la maison, ses vêtements, à organiser les repas avant l’entrée du Chabbat. Le Chabbat est comparé à une reine (Chabbat hamalka) que l’on accueille avec joie. Chaque membre de la famille a ici sa responsabilité dans la mise en ordre générale.
L’office du vendredi soir :
Il est marqué par quelques prières particulières comme les psaumes, le Chéma Israël ou la amida, et surtout le lekha dodi de rabbi Salomon Halévy Elkabetz maître kabbaliste de Safed (XVIe siècle) qui rappelle dans ce chant la rencontre entre Dieu et Israël comme le fiancé et la fiancée le jour du Chabbat.
Le Kiddouch :
A la maison les bougies ont été allumées par l’épouse, et la table est dressée. Deux beaux pains recouverts d’un napperon et une coupe de vin sont accompagnés de différents mets raffinés. Le père entouré de sa famille récite le kiddouch, sanctification du jour, avant de partager le vin. Puis un morceau de pain est offert à chaque convive et le repas commence, accompagné des chants du Chabbat et des commentaires de la Torah.

Les trois repas :
Le Chabbat est marqué par trois repas. « Si le repas de la semaine est un accident, celui du Chabbat est un évènement  » (Grand Rabbin Emmanuel Chouchana). La tradition associe ces trois repas aux trois patriarches comme pour signifier le lien entre le Chabbat et les pères fondateurs.

La lecture de la Torah et des Prophètes :
Le point culminant de la liturgie du Chabbat est atteint par la lecture publique du passage hebdomadaire de la Torah (paracha ou sidra). Cette section lue dans le parchemin est suivie de la lecture d’un passage des Prophètes Néviim. Ces quelques chapitres sont en général l’occasion du commentaire rabbinique ou de l’étude de l’après-midi.

L’aspect communautaire :
A côté de l’aspect familial, c’est l’aspect communautaire qui apparaît le jour du Chabbat : la prière, l’étude, le kiddouch à la synagogue. Cette ambiance conviviale contribue à faire du Chabbat un jour de ressourcement spirituel important.

L’oneg Chabbat :
Le délice du Chabbat s’exprime par le bien être physique et psychologique : le repas, le sommeil, l’unité familiale, l’étude, la discussion.

La sortie du Chabbat :
Le Chabbat doit être honoré à son entrée et à sa sortie. La cérémonie de la havdala (séparation) est suivie du quatrième repas en l’honneur du prophète Elie et du roi David, ancêtre du Messie. Ainsi, le juif affirme sa foi dans la venue d’une époque qui sera un Chabbat éternel, annoncé par le prophète Elie.