Archive pour la catégorie 'Journée mondiale de la Paix'

FRANÇOIS À ASSISE POUR LA JOURNÉE MONDIALE DE PRIÈRE POUR LA PAIX – 2016

8 novembre, 2016

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2016/september/documents/papa-francesco_20160920_assisi-preghiera-pace.html

VISITE DU PAPE FRANÇOIS À ASSISE POUR LA JOURNÉE MONDIALE DE PRIÈRE POUR LA PAIX
« SOIF DE PAIX. RELIGIONS ET CULTURES EN DIALOGUE »

PAROLES DU SAINT-PÈRE

Assise, Mardi, 20 septembre 2016

Méditation
Discours
Appel

Chiesa della Porziuncola Assisi, 

retablo-integrale - Copia

MÉDITATION

Devant Jésus crucifié résonnent pour nous aussi ses paroles : « J’ai soif » (Jn 19, 28). La soif, encore plus que la faim, est le besoin extrême de l’être humain, mais en représente aussi l’extrême misère. Nous contemplons ainsi le mystère du Dieu Très-Haut, devenu, par miséricorde, miséreux parmi les hommes.
De quoi a soif le Seigneur ? Certainement d’eau, élément essentiel pour la vie. Mais surtout d’amour, élément non moins essentiel pour vivre. Il a soif de nous donner l’eau vive de son amour, mais aussi de recevoir notre amour. Le prophète Jérémie a exprimé la satisfaction de Dieu pour notre amour : « Je me souviens de la tendresse de tes jeunes années, ton amour de jeune mariée » (2, 2). Mais il a donné aussi une voix à la souffrance divine, quand l’homme, ingrat, a abandonné l’amour, quand –aujourd’hui aussi, semble dire le Seigneur – « ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive et ils se sont creusé des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau » (v. 13). C’est le drame du “cœur desséché”, de l’amour non rendu, un drame qui se renouvelle dans l’Évangile, quand, à la soif de Jésus l’homme répond par le vinaigre, qui est du vin tourné. Comme, prophétiquement, se lamentait le psalmiste : « Quand j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre » (Ps 69, 22).
“L’Amour n’est pas aimé” : selon certains récits, c’était la réalité qui troublait saint François d’Assise. Lui, par amour du Seigneur souffrant, n’avait pas honte de pleurer et de se lamenter à haute voix (cf. Sources franciscaines, n. 1413). Cette réalité même doit nous tenir à cœur en contemplant le Dieu crucifié, assoiffé d’amour. Mère Teresa de Calcutta a voulu que, dans les chapelles de chacune de ses communautés, près du Crucifié soit écrit “J’ai soif”. Étancher la soif d’amour de Jésus sur la croix par le service des plus pauvres parmi les pauvres a été sa réponse. Le Seigneur est en effet assoiffé de notre amour de compassion, il est consolé lorsque, en son nom, nous nous penchons sur les misères d’autrui. Au jugement, il appellera “bénis” tous ceux qui ont donné à boire à qui avait soif, qui ont offert un amour concret à qui en avait besoin : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
Les paroles de Jésus nous interpellent, elles demandent accueil dans notre cœur et réponse par notre vie. Dans son “J’ai soif”, nous pouvons entendre la voix de ceux qui souffrent, le cri caché des petits innocents exclus de la lumière de ce monde, la supplication qui vient du fond du cœur des pauvres et de ceux qui ont le plus besoin de paix. Elles implorent la paix, les victimes des guerres qui polluent les peuples de haine et la terre d’armes ; ils implorent la paix, nos frères et sœurs qui vivent sous la menace des bombardements ou sont contraints de laisser leurs maisons et d’émigrer vers l’inconnu, dépouillés de tout. Tous ceux-là sont des frères et des sœurs du Crucifié, petits dans son Royaume, membres blessés et desséchés de sa chair. Ils ont soif. Mais à eux il leur est souvent donné, comme à Jésus, le vinaigre amer du refus. Qui les écoute ? Qui se préoccupe de leur répondre ? Ils rencontrent trop souvent le silence assourdissant de l’indifférence, de l’égoïsme de celui qui est agacé, la froideur de celui qui éteint leur cri à l’aide avec la facilité avec laquelle on change un canal de télévision.
Devant le Christ crucifié, « puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 24), nous chrétiens, nous sommes appelés à contempler le mystère de l’Amour non aimé et à répandre de la miséricorde sur le monde. Sur la croix, arbre de vie, le mal a été transformé en bien ; nous aussi, disciples du Crucifié, nous sommes appelés à être des “arbres de vie” qui absorbent la pollution de l’indifférence et restituent au monde l’oxygène de l’amour. Du côté du Christ en croix sort de l’eau, symbole de l’Esprit qui donne la vie (cf. Jn 19 34) ; ainsi, que de nous, ses fidèles, sorte de la compassion pour tous les assoiffés d’aujourd’hui.
Comme Marie près de la Croix, que le Seigneur nous accorde d’être unis à Lui et proches de celui qui souffre. En nous approchant de tous ceux qui aujourd’hui vivent comme des crucifiés et en puisant la force d’aimer auprès du Crucifié ressuscité, croîtront encore plus l’harmonie et la communion entre nous. « C’est Lui, le Christ, qui est notre paix » (Ep 2, 14), lui qui est venu pour annoncer la paix à ceux qui sont proches et à ceux qui sont loin (cf. v. 17). Qu’il nous garde tous dans l’amour et nous rassemble dans l’unité, dans laquelle nous sommes en chemin, pour que nous devenions ce que lui désire : « un » (Jn 17, 21).

APPEL
Hommes et femmes de religions différentes, nous sommes réunis, comme pèlerins, dans la cité de Saint François. Ici, en 1986, il y a 30 ans, à l’invitation du Pape Jean-Paul II, se réunirent des Représentants religieux du monde entier, pour la première fois en si grand nombre et avec une telle solennité, pour affirmer le lien indissoluble entre le grand bien de la paix et un authentique engagement religieux. De cet événement historique, s’est amorcé un long pèlerinage qui, touchant de nombreuses villes du monde, a rassemblé beaucoup de croyants dans le dialogue et dans la prière pour la paix ; il a uni sans confondre, donnant vie à de solides amitiés interreligieuses et contribuant à éteindre de nombreux conflits. Voilà l’esprit qui nous anime : réaliser la rencontre dans le dialogue, s’opposer à toute forme de violence et d’abus de la religion pour justifier la guerre et le terrorisme. Pourtant, au cours des années passées, de nombreux peuples ont encore été douloureusement blessés par la guerre. On n’a toujours pas compris que la guerre détériore le monde, laissant un héritage de douleurs et de haines. Tous, avec la guerre, sont des perdants, même les vainqueurs.
Nous avons adressé notre prière à Dieu, afin qu’il donne la paix au monde. Nous reconnaissons la nécessité de prier constamment pour la paix, parce que la prière protège le monde et l’illumine. La paix est le nom de Dieu. Celui qui invoque le nom de Dieu pour justifier le terrorisme, la violence et la guerre, ne marche pas sur Sa route : la guerre au nom de la religion devient une guerre à la religion elle-même. Avec une ferme conviction, nous réaffirmons donc que la violence et le terrorisme s’opposent au véritable esprit religieux.
Nous nous sommes mis à l’écoute de la voix des pauvres, des enfants, des jeunes générations, des femmes et de nombreux frères et sœurs qui souffrent de la guerre ; avec eux nous disons avec force : Non à la guerre ! Que le cri de douleur de tant d’innocents ne reste pas inécouté. Nous implorons les Responsables des Nations afin que soient désamorcés les mobiles des guerres : l’avidité du pouvoir et de l’argent, la cupidité de qui fait du commerce d’armes, les intérêts des parties, les vengeances à cause du passé. Qu’augmente l’engagement concret pour éliminer les causes sous-jacentes aux conflits : les situations de pauvreté, d’injustice et d’inégalité, l’exploitation et le mépris de la vie humaine.
Qu’enfin s’ouvre un temps nouveau, où le monde globalisé devienne une famille de peuples. Que soit mise en œuvre la responsabilité de construire une véritable paix, que l’on soit attentif aux besoins authentiques des personnes et des peuples, que l’on prévienne les conflits par la collaboration, que l’on vainc les haines et surmonte les barrières, par la rencontre et le dialogue. Rien n’est perdu en pratiquant effectivement le dialogue. Rien n’est impossible si nous nous adressons à Dieu dans la prière. Tous nous pouvons être des artisans de paix ; d’Assise nous renouvelons avec conviction notre engagement à l’être, avec l’aide de Dieu, avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté.

DISCOURS
Saintetés,
illustres Représentants des Églises, des Communautés chrétiennes et des Religions,
chers frères et sœurs !
Je vous salue avec grand respect et affection et je vous remercie de votre présence. Je remercie la Communauté de Sant’Egidio, le diocèse d’Assise et les Familles franciscaines qui ont préparé cette journée de prière. Nous sommes venus à Assise comme des pèlerins en recherche de paix. Nous portons en nous, et nous mettons devant Dieu les attentes et les angoisses de nombreux peuples et personnes. Nous avons soif de paix, nous avons le désir de témoigner de la paix, nous avons surtout besoin de prier pour la paix, car la paix est un don de Dieu et il nous revient de l’invoquer, de l’accueillir et de la construire, chaque jour avec son aide.
« Bienheureux les artisans de paix » (Mt 5,9). Beaucoup d’entre vous ont fait une longue route pour rejoindre ce lieu béni. Sortir, se mettre en route, se retrouver ensemble, se prodiguer pour la paix : ce ne sont pas seulement des mouvements physiques, mais surtout des mouvements de l’âme, ce sont des réponses spirituelles concrètes pour vaincre les fermetures en s’ouvrant à Dieu et aux frères. Dieu nous le demande, en nous exhortant à faire face à la grande maladie de notre époque : l’indifférence. C’est un virus qui paralyse, qui rend inertes et insensibles, un mal qui attaque le centre même de la religiosité, provoquant un nouveau paganisme extrêmement triste : le paganisme de l’indifférence.
Nous ne pouvons pas rester indifférents. Aujourd’hui, le monde a une ardente soif de paix. Dans de nombreux pays on souffre de guerres souvent oubliées, mais qui sont toujours causes de souffrance et de pauvreté. A Lesbos, avec le cher Patriarche œcuménique Bartholomée, nous avons vu dans les yeux des réfugiés la douleur de la guerre, l’angoisse de peuples assoiffés de paix. Je pense aux familles dont la vie a été bouleversée ; aux enfants qui n’ont rien connu d’autre dans la vie que la violence ; aux personnes âgées contraintes de laisser leurs terres : tous ont une grande soif de paix. Nous ne voulons pas que ces tragédies tombent dans l’oubli. Nous désirons prêter notre voix à tous ceux qui souffrent, à tous ceux qui sont sans voix et sans personne qui les écoute. Eux savent bien, souvent mieux que les puissants, qu’il n’y a aucun avenir dans la guerre, et que la violence des armes détruit la joie de la vie.
Nous, nous n’avons pas d’armes. Mais nous croyons dans la douce et humble force de la prière. En ce jour, la soif de paix s’est faite invocation à Dieu, pour que cessent les guerres, le terrorisme et les violences. La paix que nous invoquons d’Assise n’est pas seulement une protestation contre la guerre, elle n’est pas non plus le résultat « de négociations, de compromis politiques ou de marchandages économiques. Elle résulte de la prière » (Jean Paul II, Discours, Basilique Sainte Marie des Anges, 27 octobre 1986 : Enseignements IX, 2 [1986], 1252). Cherchons en Dieu, source de la communion, l’eau limpide de la paix dont l’humanité est assoiffée : elle ne peut jaillir des déserts de l’orgueil ni des intérêts de parti, des terres arides du gain à tout prix et du commerce des armes.
Nos traditions religieuses sont diverses. Mais la différence n’est pas pour nous un motif de conflit, de polémique ou de froide distance. Nous n’avons pas prié aujourd’hui les uns contre les autres, comme c’est malheureusement arrivé parfois dans l’histoire. Sans syncrétisme et sans relativisme, nous avons en revanche prié les uns à côté des autres, les uns pour les autres. Saint Jean-Paul II, en ce même lieu, a dit : « Peut-être que jamais comme maintenant dans l’histoire de l’humanité, le lien intrinsèque qui unit une attitude religieuse authentique et le grand bien de la paix est devenu évident pour tous» (Id., Discours, Place de la Basilique inférieure de Saint François, 27 octobre 1986 : l.c., 1268). En poursuivant le chemin commencé il y a trente ans à Assise – où la mémoire de cet homme de Dieu et de paix que fut saint François est vivante – « une fois encore, nous qui sommes réunis ici, nous affirmons ensemble que celui qui utilise la religion pour fomenter la violence en contredit l’inspiration la plus authentique et la plus profonde » (Id., Discours aux Représentants des Religions, Assise, 24 janvier 2002 : Enseignements XXV, 1 [2002], 104), qu’aucune forme de violence ne représente « la vraie nature de la religion. Elle en est au contraire son travestissement et contribue à sa destruction » (Benoît XVI, Intervention à la journée de réflexion, de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le monde, Assise, 27 octobre 2011 : Enseignements VII, 2 [2011], 512). Ne nous lassons pas de répéter que jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence. Seule la paix est sainte. Seule la paix est sainte, pas la guerre !
Aujourd’hui, nous avons imploré le saint don de la paix. Nous avons prié pour que les consciences se mobilisent pour défendre la sacralité de la vie humaine, pour promouvoir la paix entre les peuples et pour sauvegarder la création, notre maison commune. La prière et la collaboration concrète aident à ne pas rester prisonniers des logiques de conflit et à refuser les attitudes rebelles de celui qui sait seulement protester et se fâcher. La prière et la volonté de collaborer engagent une vraie paix qui n’est pas illusoire : non pas la tranquillité de celui qui évite les difficultés et se tourne de l’autre côté, si ses intérêts ne sont pas touchés ; non pas le cynisme de celui qui se lave les mains des problèmes qui ne sont pas les siens ; non pas l’approche virtuelle de celui qui juge tout et chacun sur le clavier d’un ordinateur, sans ouvrir les yeux aux nécessités des frères ni se salir les mains pour qui en a besoin. Notre route consiste à nous immerger dans les situations et à donner la première place à celui qui souffre ; d’assumer les conflits et de les guérir de l’intérieur ; de parcourir avec cohérence les voies du bien, en repoussant les faux-fuyants du mal ; d’entreprendre patiemment, avec l’aide de Dieu et de la bonne volonté, des processus de paix.
La paix, un fil d’espérance qui relie la terre et le ciel, un mot si simple, et en même temps difficile. Paix veut dire Pardon qui, fruit de la conversion et de la prière, naît de l’intérieur et, au nom de Dieu, rend possible de guérir les blessures du passé. Paix signifie Accueil, disponibilité au dialogue, dépassement des fermetures, qui ne sont pas des stratégies de sécurité, mais des ponts sur le vide. Paix veut dire Collaboration, échange vivant et concret avec l’autre, qui est un don et non un problème, un frère avec qui chercher à construire un monde meilleur. Paix signifie Education : un appel à apprendre chaque jour l’art difficile de la communion, à acquérir la culture de la rencontre, en purifiant la conscience de toute tentation de violence et de raidissement, contraires au nom de Dieu et à la dignité de l’homme.
Nous ici, ensemble et dans la paix, nous croyons et nous espérons en un monde fraternel. Nous désirons que les hommes et les femmes de religions différentes, partout se réunissent et créent de la concorde, spécialement là où il y a des conflits. Notre avenir est de vivre ensemble. C’est pourquoi nous sommes appelés à nous libérer des lourds fardeaux de la méfiance, des fondamentalismes et de la haine. Que les croyants soient des artisans de paix dans l’invocation à Dieu et dans l’action pour l’homme ! Et nous, comme Chefs religieux, nous sommes tenus à être de solides ponts de dialogue, des médiateurs créatifs de paix. Nous nous tournons aussi vers ceux qui ont une responsabilité plus haute dans le service des peuples, les Leaders des Nations, pour qu’ils ne se lassent pas de chercher et de promouvoir des chemins de paix en regardant au-delà des intérêts de parti et du moment : que ne demeurent pas inécoutés l’appel de Dieu aux consciences, le cri de paix des pauvres et les bonnes attentes des jeunes générations. Ici, il y a trente ans, saint Jean-Paul II a dit : « La paix est un chantier ouvert à tous et pas seulement aux spécialistes, aux savants et aux stratèges. La paix est une responsabilité universelle » (Discours, Place inférieure de la Basilique de saint François, 27 octobre 1986 : l.c., 1269). Sœurs et frères, assumons cette responsabilité, réaffirmons aujourd’hui notre oui à être, ensemble, constructeurs de la paix que Dieu veut et dont l’humanité est assoiffée.

 

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS POUR LA CÉLÉBRATION DE LA XLIXe JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX – 2016

31 décembre, 2015

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/messages/peace/documents/papa-francesco_20151208_messaggio-xlix-giornata-mondiale-pace-2016.html

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS POUR LA CÉLÉBRATION DE LA XLIXe JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX

1er JANVIER 2016

Gagne sur l’indifférence et remporte la paix !
1. Dieu n’est pas indifférent ! Dieu accorde de l’importance à l’humanité, Dieu ne l’abandonne pas ! Au début de l’année nouvelle, je voudrais accompagner de cette profonde conviction les vœux d’abondantes bénédictions et de paix, sous le signe de l’espérance, pour l’avenir de tout homme et de toute femme, de toute famille, peuple et nation du monde, ainsi que des Chefs d’État et de Gouvernement et des Responsables des religions. En effet, ne perdons pas l’espérance de voir en 2016 chacun, engagé fermement et avec confiance, à différents niveaux, à réaliser la justice et à œuvrer pour la paix. Oui, celle-ci est don de Dieu et œuvre des hommes. La paix est don de Dieu, mais don confié à tous les hommes et à toutes les femmes qui sont appelés à le réaliser.

Préserver les raisons de l’espérance
2. Les guerres et les actions terroristes, avec leurs tragiques conséquences, les séquestrations de personnes, les persécutions pour des motifs ethniques ou religieux, les prévarications, ont marqué l’année passée du début à la fin, se multipliant douloureusement en de nombreuses régions du monde, au point de prendre les traits de ce qu’on pourrait appeler une « troisième guerre mondiale par morceaux ». Mais certains événements des années passées et de l’année qui vient de s’achever m’invitent, dans la perspective de l’année nouvelle, à renouveler l’exhortation à ne pas perdre l’espérance dans la capacité de l’homme, avec la grâce de Dieu, à vaincre le mal et à ne pas s’abandonner à la résignation et à l’indifférence. Les événements auxquels je me réfère représentent la capacité de l’humanité à œuvrer dans la solidarité au-delà des intérêts individuels, de l’apathie et de l’indifférence vis-à-vis des situations critiques.
Parmi ceux-ci je voudrais rappeler l’effort fait pour favoriser la rencontre des leaders mondiaux, dans le cadre de la COP 21, afin de chercher de nouvelles voies pour affronter les changements climatiques et sauvegarder le bien être de la Terre, notre maison commune. Et cela renvoie à deux événements précédents au niveau global : le Sommet d’Addis Abeba pour réunir des fonds pour le développement durable du monde ; et l’adoption par les Nations Unies de l’Agenda 2030 pour le Développement Durable, visant à assurer, avant cette date, une existence plus digne à tous, surtout aux populations pauvres de la planète.
2015 a été aussi une année spéciale pour l’Église, parce qu’elle a été marquée par le 50ème anniversaire de la publication de deux documents du Concile Vatican II qui expriment de manière très éloquente le sens de la solidarité de l’Église avec le monde. Le Pape Jean XXIII, au début du Concile, a voulu ouvrir tout grand les fenêtres de l’Église pour que la communication entre elle et le monde soit plus ouverte. Les deux documents, Nostra aetate et Gaudium et spes, sont des expressions emblématiques de la nouvelle relation de dialogue, de solidarité et d’accompagnement que l’Église veut introduire à l’intérieur de l’humanité. Dans la Déclaration Nostra aetate l’Église a été appelée à s’ouvrir au dialogue avec les expressions religieuses non chrétiennes. Dans la Constitution pastorale Gaudium et spes, puisque « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ » [1], l’Église désire instaurer un dialogue avec la famille humaine sur les problèmes du monde, en signe de solidarité et de respectueuse affection. [2]
Dans cette même perspective, avec le Jubilé de la Miséricorde, je veux inviter l’Église à prier et à travailler pour que tout chrétien puisse mûrir un cœur humble et compatissant, capable d’annoncer et de témoigner la miséricorde, de « pardonner et de donner », de s’ouvrir « à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes, que le monde moderne a souvent créées de façon dramatique » sans tomber « dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté dans le cynisme destructeur» [3].
Il y a de multiples raisons pour croire en la capacité de l’humanité à agir ensemble, en solidarité, dans la reconnaissance de sa propre interconnexion et interdépendance, ayant à cœur les membres les plus fragiles et la sauvegarde du bien commun. Cette attitude de coresponsabilité solidaire est à la racine de la vocation fondamentale à la fraternité et à la vie commune. La dignité et les relations interpersonnelles nous constituent comme êtres humains, voulus par Dieu à son image et ressemblance. En tant que créatures dotées d’une inaliénable dignité, nous existons en relation avec nos frères et sœurs, envers lesquels nous avons une responsabilité, et avec lesquels nous agissons en solidarité. En dehors de cette relation, nous serions des êtres moins humains. C’est justement ainsi que l’indifférence constitue une menace pour la famille humaine. Alors que nous nous mettons en marche vers une année nouvelle, je voudrais inviter chacun à reconnaître ce fait, pour vaincre l’indifférence et conquérir la paix.

Certaines formes d’indifférence
3. Il est certain que l’attitude de l’indifférent, de celui qui ferme le cœur pour ne pas prendre en considération les autres, de celui qui ferme les yeux pour ne pas voir ce qui l’entoure ou qui s’esquive pour ne pas être touché par les problèmes des autres, caractérise une typologie humaine assez répandue et présente à chaque époque de l’histoire. Cependant, de nos jours, cela a dépassé nettement le domaine individuel pour prendre une dimension globale et produire ce phénomène de la « globalisation de l’indifférence ».
La première forme d’indifférence dans la société humaine est l’indifférence envers Dieu, dont procède l’indifférence envers le prochain et envers la création. Et ceci est l’un des graves effets d’un faux humanisme et d’un matérialisme pratique, combinés à une pensée relativiste et nihiliste. L’homme pense être l’auteur de lui-même, de sa propre vie et de la société ; il se sent autosuffisant, et il cherche non seulement à se substituer à Dieu, mais à le faire disparaître complètement ; par conséquent, il pense ne rien devoir à personne, excepté à lui-même, et il prétend avoir seulement des droits [4]. Contre cette auto-compréhension erronée de la personne, Benoît XVI rappelait que ni l’homme ni son développement sont capables de se donner à soi-même leur propre signification ultime [5]. Et avant lui, Paul VI avait affirmé qu’« il n’est d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la reconnaissance d’une vocation, qui donne l’idée vraie de la vie humaine» [6].
L’indifférence envers le prochain prend différents visages. Il y a celui qui est bien informé, écoute la radio, lit les journaux ou assiste aux programmes télévisés, mais il le fait de manière tiède, presque dans une condition d’accoutumance : ces personnes connaissent vaguement les drames qui affligent l’humanité mais elles ne se sentent pas impliquées, elles ne vivent pas la compassion. Cela, c’est l’attitude de celui qui sait mais, qui garde son regard, sa pensée et son action tournés vers lui-même. Malheureusement, nous devons constater que l’augmentation des informations, propre à notre époque, ne signifie pas, en soi, une augmentation d’attention aux problèmes, si elle n’est pas accompagnée d’une ouverture des consciences dans un sens solidaire [7]. Bien plus, elle peut entraîner une certaine saturation qui anesthésie et, dans une certaine mesure, relativise la gravité des problèmes. « Certains se satisfont simplement en accusant les pauvres et les pays pauvres de leurs maux, avec des généralisations indues, et prétendent trouver la solution dans une “éducation” qui les rassure et les transforme en êtres apprivoisés et inoffensifs. Cela devient encore plus irritant si ceux qui sont exclus voient croître ce cancer social qui est la corruption profondément enracinée dans de nombreux pays – dans les gouvernements, dans l’entreprise et dans les institutions – quelle que soit l’idéologie politique des gouvernants» [8].
Dans d’autres cas, l’indifférence se manifeste comme un manque d’attention vis-à-vis de la réalité environnante, surtout la plus lointaine. Certaines personnes préfèrent ne pas chercher, ne pas s’informer, et vivent leur bien-être et leur confort, sourdes au cri de douleur de l’humanité souffrante. Presque sans nous en apercevoir, nous sommes devenus incapables d’éprouver de la compassion pour les autres, pour leurs drames ; prendre soin d’eux ne nous intéresse pas, comme si ce qui leur arrive était d’une responsabilité extérieure à nous, qui ne nous revient pas [9]. « Quand nous allons bien et nous prenons nos aises, nous oublions sûrement de penser aux autres (ce que Dieu le Père ne fait jamais), nous ne nous intéressons plus à leurs problèmes, à leurs souffrances et aux injustices qu’ils subissent… Alors notre cœur tombe dans l’indifférence : alors que je vais relativement bien et que tout me réussit, j’oublie ceux qui ne vont pas bien » [10].
En vivant dans une maison commune, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur son état de santé, comme j’ai cherché à le faire dans Laudato si’. La pollution des eaux et de l’air, l’exploitation sans discernement des forêts, la destruction de l’environnement, sont souvent le fruit de l’indifférence de l’homme envers les autres, parce que tout est lié. Comme, aussi, le comportement de l’homme avec les animaux a une influence sur ses relations avec les autres [11] , pour ne pas parler de celui qui se permet de faire ailleurs ce qu’il n’ose pas faire chez lui [12].
Dans ces cas, et dans d’autres, l’indifférence provoque surtout une fermeture et un désengagement, et finit ainsi par contribuer à l’absence de paix avec Dieu, avec le prochain et avec la création.

La paix menacée par l’indifférence globalisée
4. L’indifférence envers Dieu dépasse la sphère intime et spirituelle de la personne individuelle, et elle investit la sphère publique et sociale. Comme l’affirmait Benoît XVI, « il existe un lien intime entre la glorification de Dieu et la paix des hommes sur la terre» [13]. En effet, « sans une ouverture transcendante, l’homme devient facilement la proie du relativisme et, ensuite, il réussit difficilement à agir selon la justice et à s’engager pour la paix» [14]. L’oubli et la négation de Dieu qui conduisent l’homme à ne plus reconnaître aucune norme au-dessus de lui et à se prendre lui-même comme seule norme, ont produit des cruautés et des violences sans mesure [15].
Au niveau individuel et communautaire l’indifférence envers le prochain, fille de l’indifférence envers Dieu, prend l’aspect de l’inertie et du désengagement qui alimentent la prolongation de situations d’injustice et de grave déséquilibre social. Ces situations, à leur tour, peuvent conduire à des conflits, ou en tout cas, générer un climat d’insatisfaction qui risque de déboucher tôt ou tard sur des violences et de l’insécurité.
En ce sens, l’indifférence et le désengagement qui en est la conséquence constituent un manque grave au devoir que toute personne a de contribuer, dans la mesure de ses capacités et de son rôle dans la société, au bien commun, en particulier à la paix, qui est l’un des biens les plus précieux de l’humanité [16].
Quand, ensuite, l’indifférence envers l’autre, envers sa dignité, ses droits fondamentaux et sa liberté, investit le niveau institutionnel, dans une culture imprégnée de profit et d’hédonisme, elle favorise et parfois justifie des actions et des politiques qui finissent par constituer des menaces à la paix. Un tel comportement d’indifférence peut aussi en arriver à justifier certaines politiques économiques déplorables, annonciatrices d’injustices, de divisions et de violences, en vue de l’obtention de son propre bien être ou de celui de la nation. Souvent, en effet, les projets économiques et politiques des hommes ont pour fin la conquête ou le maintien du pouvoir et des richesses, même au prix de piétiner les droits et les exigences fondamentales des autres. Quand les populations voient leurs propres droits élémentaires niés, comme la nourriture, l’eau, l’assistance sanitaire ou le travail, elles sont tentées de se les procurer par la force [17].
De plus, l’indifférence vis-à-vis de l’environnement naturel, qui favorise la déforestation, la pollution et les catastrophes naturelles qui déracinent des communautés entières de leur milieu de vie en les contraignant à la précarité et à l’insécurité, crée de nouvelles pauvretés, de nouvelles situations d’injustice aux conséquences souvent néfastes en termes de sécurité et de paix sociale. Combien de guerres ont été conduites et combien seront encore faites à cause du manque de ressources ou pour répondre à l’insatiable recherche de ressources naturelles [18] ?

De l’indifférence à la miséricorde : la conversion du cœur
5. Quand, il y a un an, dans le Message pour la Journée Mondiale de la Paix, “Non plus esclaves mais frères”, j’évoquais la première icône biblique de la fraternité humaine, celle de Caïn et Abel (cf. Gn 4, 1-16), c’était pour attirer l’attention sur la manière dont cette première fraternité a été trahie. Caïn et Abel sont frères. Ils proviennent tous deux du même sein, ils sont égaux en dignité et créés à l’image et ressemblance de Dieu ; mais leur fraternité de créature est rompue. « Non seulement Caïn ne supporte pas son frère Abel, mais il le tue par envie » [19]. Le fratricide devient alors la forme de trahison, et le refus par Caïn de la fraternité d’Abel est la première rupture dans les relations familiales de fraternité, de solidarité et de respect réciproque.
Dieu intervient alors, pour appeler l’homme à la responsabilité à l’égard de son semblable, comme il a fait lorsqu’Adam et Ève, les premiers parents, ont rompu la communion avec le Créateur. « Le Seigneur dit à Caïn : “Où est ton frère Abel ?”. Il répondit : “Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? ”. Le Seigneur reprit : “Qu’as-tu fait ! Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! ” (Gn 4, 9-10).
Caïn dit ne pas savoir ce qui est arrivé à son frère, il dit ne pas être son gardien. Il ne se sent pas responsable de sa vie, de son sort. Il ne se sent pas impliqué. Il est indifférent envers son frère, bien qu’ils soient liés par l’origine commune. Quelle tristesse ! Quel drame fraternel, familial, humain ! C’est la première manifestation de l’indifférence entre frères. Dieu, au contraire, n’est pas indifférent : le sang d’Abel a grande valeur à ses yeux et il demande à Caïn d’en rendre compte. Donc Dieu se révèle depuis les débuts de l’humanité comme Celui qui s’intéresse au sort de l’homme. Quand plus tard, les fils d’Israël se trouvent en esclavage en Égypte, Dieu intervient à nouveau. Il dit à Moïse : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel » (Ex 3, 7-8). Il est important de noter les verbes qui décrivent l’intervention de Dieu : il observe, il entend, il connaît, il descend, il libère. Dieu n’est pas indifférent. Il est attentif et il agit.
De la même façon, en son Fils Jésus, Dieu est descendu parmi les hommes, il s’est incarné et il s’est montré solidaire de l’humanité, en toute chose, excepté le péché. Jésus s’identifie avec l’humanité : « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29). Il ne se contente pas d’enseigner aux foules, mais il se préoccupe d’elles, spécialement quand il les voyait affamées (cf. Mc 6, 34-44) ou sans travail (cf. Mt 20, 3). Son regard n’était pas tourné seulement vers les hommes, mais aussi vers les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les plantes et les arbres, petits et grands ; il embrassait le créé tout entier. Il voit, certainement, mais il ne se limite pas à cela, parce qu’il touche les personnes, il parle avec elles, agit en leur faveur et fait du bien à celui qui est dans le besoin. Non seulement, mais il se laisse émouvoir et il pleure (cf. Jn 11, 33-44). Et il agit pour mettre fin à la souffrance, à la tristesse, à la misère et à la mort.
Jésus nous enseigne à être miséricordieux comme le Père (cf. Lc 6, 36). Dans la parabole du bon samaritain (cf. Lc 10, 29-37), il dénonce l’omission d’aide devant l’urgente nécessité de ses semblables : « Il le vit et passa outre » (cf. Lc 10, 31.32). En même temps, à l’aide de cet exemple, il invite ses auditeurs, et en particulier ses disciples, à apprendre à s’arrêter devant les souffrances de ce monde pour les soulager, devant les blessures des autres pour les soigner, avec les moyens dont on dispose, à commencer par son temps, malgré les nombreuses occupations. L’indifférence, en effet, cherche souvent des prétextes : dans l’observance des préceptes rituels, dans la quantité de choses qu’il faut faire, dans les antagonismes qui nous tienne éloignés les uns des autres, dans les préjudices de tout genre qui nous empêchent de nous faire proche.
La miséricorde est le cœur de Dieu. Elle doit donc être aussi le cœur de tous ceux qui se reconnaissent membres de l’unique grande famille de ses enfants ; un cœur qui bat fort partout où la dignité humaine – reflet du visage de Dieu dans ses créatures – est en jeu. Jésus nous avertit : l’amour pour les autres – les étrangers, les malades, les prisonniers, les sans-domicile-fixe, même les ennemis – est l’unité de mesure de Dieu pour juger nos actions. De cela dépend notre destin éternel. Il n’y a pas à s’étonner que l’apôtre Paul invite les chrétiens de Rome à se réjouir avec ceux qui se réjouissent et à pleurer avec ceux qui pleurent (cf. Rm 12, 15), ou qu’il recommande à ceux de Corinthe d’organiser des collectes en signe de solidarité avec les membres souffrants de l’Église (cf. 1 Co 16, 2-3). Et saint Jean écrit : « Si quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurait-il en lui ? » (1 Jn 3, 17 ; cf. Jc 2, 15-16).
Voilà pourquoi « il est déterminant pour l’Eglise et pour la crédibilité de son annonce de vivre et de témoigner elle-même de la miséricorde. Son langage et ses gestes doivent transmettre la miséricorde pour pénétrer le cœur des personnes et les inciter à retrouver le chemin du retour au Père. La vérité première de l’Eglise est l’amour du Christ. De cet amour, qui va jusqu’au pardon et au don de soi, l’Eglise se fait servante et médiatrice auprès des hommes. En conséquence, là où l’Eglise est présente, la miséricorde du Père doit être manifeste. Dans nos paroisses, les communautés, les associations et les mouvements, en bref, là où il y a des chrétiens, quiconque doit pouvoir trouver une “oasis de miséricorde”» [20].
Ainsi, nous aussi, nous sommes appelés à faire de l’amour, de la compassion, de la miséricorde et de la solidarité un vrai programme de vie, un style de comportement dans nos relations les uns avec les autres [21]. Cela demande la conversion du cœur : c’est à dire que la grâce de Dieu transforme notre cœur de pierre en un cœur de chair (cf. Ex 36, 26), capables de s’ouvrir aux autres avec une solidarité authentique. Cela en effet, est beaucoup plus qu’un « sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes, proches ou lointaines » [22]. La solidarité « est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous » [23], parce que la compassion jaillit de la fraternité.
Ainsi comprise, la solidarité constitue l’attitude morale et sociale qui répond le mieux à la prise de conscience des plaies de notre temps et de l’incontestable interdépendance qui existe toujours plus, spécialement dans un monde globalisé, entre la vie de l’individu et de sa communauté dans un lieu déterminé et celle des autres hommes et femmes dans le reste du monde [24].
Promouvoir une culture de solidarité et de miséricorde pour vaincre l’indifférence
6. La solidarité comme vertu morale et attitude sociale, fruit de la conversion personnelle, exige un engagement d’une multiplicité de sujets, qui ont une responsabilité de caractère éducatif et formateur.
Ma première pensée va aux familles, appelées à une mission éducative première et incontournable. Elles constituent le premier lieu où se vivent et se transmettent les valeurs de l’amour et de la fraternité, de la convivialité et du partage, de l’attention et du soin de l’autre. Elles sont aussi le milieu privilégié pour la transmission de la foi, en commençant par ces simples gestes de dévotion que les mères enseignent à leurs enfants [25].
Pour ce qui concerne les éducateurs et les formateurs qui, à l’école ou dans les différents centres de socialisation infantile et juvénile, ont la tâche exigeante d’éduquer des enfants et des jeunes, ils sont appelés à être conscients que leur responsabilité regarde les dimensions morales, spirituelles et sociales de la personne. Les valeurs de la liberté, du respect réciproque et de la solidarité peuvent être transmises dès le plus jeune âge. S’adressant aux responsables des institutions qui ont des tâches éducatives, Benoît XVI a affirmé : « Que chaque structure éducative puisse être un lieu d’ouverture au transcendant et aux autres ; un lieu de dialogue, de cohésion et d’écoute, où le jeune se sente valorisé dans ses propres potentialités et ses richesses intérieures, et apprenne à estimer vraiment ses frères. Que ce lieu puisse enseigner aussi à goûter la joie qui jaillit du fait de vivre, jour après jour, dans la charité et dans la compassion envers le prochain, et dans la participation active à la construction d’une société plus humaine et fraternelle » [26].
Les agents culturels et des moyens de communication sociale ont aussi une responsabilité dans le domaine de l’éducation et de la formation, spécialement dans la société contemporaine, où l’accès aux instruments d’information et de communication est toujours plus répandu. C’est leur tâche de se mettre par-dessus tout au service de la vérité et non d’intérêts particuliers. Les moyens de communication en effet, « non seulement informent, mais ils façonnent aussi l’esprit de leurs destinataires et ils peuvent donc contribuer de façon notable à l’éducation des jeunes. Il est important de retenir que le lien entre éducation et communication est très étroit : l’éducation advient en effet par les moyens de communication, qui influent sur la formation de la personne d’une manière positive ou négative »[27]. Les agents culturels et des media devraient être aussi vigilants afin que la manière dont ils obtiennent et diffusent les informations soit toujours juridiquement et moralement licite.

La paix : fruit d’une culture de solidarité, de miséricorde et de compassion
7. Conscients de la menace d’une globalisation de l’indifférence, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître que, dans le scenario décrit ci-dessus, s’insèrent aussi de nombreuses intiatives et actions positives qui témoignent la compassion, la miséricorde et la solidarité dont l’homme est capable.
Je voudrais rappeler quelques exemples d’engagement louable, qui montrent comment chacun peut vaincre l’indifférence lorsqu’il choisit de ne pas détourner le regard de son prochain, et qui constituent de bonnes pratiques sur le chemin vers une société plus humaine.
Il y a beaucoup d’organisations non grouvernementales et de groupes caritatifs, à l’intérieur de l’Église et en dehors d’elle, dont les membres, à l’occasion d’épidémies, de calamités ou de conflits armés, affrontent difficultés et dangers pour soigner les blessés et les malades et pour enterrer les défunts. À côté d’elles, je voudrais mentionner les personnes et les associations qui portent secours aux migrants qui traversent des déserts et sillonnent des mers à la recherche de meilleures conditions de vie. Ces actions sont des oeuvres de miséricorde corporelle et spirituelle, sur lesquelles nous serons jugés à la fin de notre vie.
Ma pensée va aux journalistes et aux photographes qui informent l’opinion publique sur les situations difficiles qui interpellent les consciences, et à ceux qui s’engagent pour la défense des droits humains, en particulier ceux des minorités ethniques et religieuses, des peuples indigènes, des femmes et des enfants, et de tous ceux qui vivent dans des conditions de plus grande vulnérabilité. Parmi eux, il y a aussi beaucoup de prêtres et de missionnaires qui, comme des bons pasteurs, restent à côté de leurs fidèles et les soutiennent malgré les dangers et les difficultés, en particulier durant les conflits armés.
Combien de familles, ensuite, au milieu de nombreuses difficultés sociales et de travail, s’engagent concrètement pour éduquer leurs enfants “à contre-courant”, au prix de beaucoup de sacrifices, aux valeurs de la solidarité, de la compassion et de la fraternité ! Combien de familles ouvrent leurs cœurs et leurs maisons à celui qui est dans le besoin, comme aux réfugiés et aux migrants ! Je veux remercier de façon particulière toutes les personnes, les familles, les paroisses, les communautés religieuses, les monastères et les sanctuaires, qui ont répondu rapidement à mon appel à accueillir une famille de réfugiés [28].
Enfin, je voudrais mentionner les jeunes qui s’unissent pour réaliser des projets de solidarité et tous ceux qui ouvrent leurs mains pour aider le prochain dans le besoin dans leurs villes, dans leurs pays ou dans d’autres régions du monde. Je veux remercier et encourager tous ceux qui s’engagent dans des actions de ce genre, même si elles ne font pas l’objet de publicité : leur faim et soif de justice sera rassasiée, leur miséricorde leur fera trouver miséricorde et, en tant qu’artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu (cf. Mt 5, 6-9).

La paix dans le signe du Jubilé de la Miséricorde
8. Dans l’esprit du Jubilé de la Miséricorde, chacun est appeler à reconnaître comment l’indifférence se manifeste dans sa propre vie, et à adopter un engagement concret pour contribuer à améliorer la réalité dans laquelle il vit, à partir de sa propre famille, de son voisinage ou de son milieu de travail.
Les États sont aussi appelés à des gestes concrets, à des actes de courage à l’égard des personnes les plus fragiles de leurs sociétés, comme les prisonniers, les migrants, les chômeurs et les malades.
Pour ce qui concerne les détenus, dans beaucoup de cas, il semble urgent d’adopter des mesres concrètes pour améliorer leurs conditions de vie dans les prisons, accordant une attention spéciale à ceux qui sont privés de liberté en attente de jugement [29], ayant à l’esprit la finalité de rééducation de la sanction pénale et évaluant la possibilité d’insérer dans les législations nationales des peines alternatives à la détention carcérale. Dans ce contexte, je désire renouveler l’appel aux autorités étatiques pour l’abolition de la peine de mort, là où elle est encore en vigueur, et à considérer la possibilité d’une amnistie.
En ce qui concerne les migrants, je voudrais inviter à repenser les législations sur les migrations, afin qu’elles soient animées par la volonté de l’accueil, dans le respect des devoirs et des responsabilités réciproques, et puissent faciliter l’intégration des migrants. Dans cette perspective, une attention spéciale devrait être portée aux conditions de séjour des migrants, se rappelant que la clandestinité risque de les entraîner vers la criminalité.
Je désire, en outre, en cette Année jubilaire, formuler un appel pressant aux responsables des États à accomplir des gestes concrets en faveur de nos frères et sœurs qui souffrent à cause du manque de travail, de terre et de toit. Je pense à la création de postes de travail décent, pour lutter contre la plaie sociale du chômage, qui écrase un grand nombre de familles et de jeunes et a des conséquences très importantes sur le maintien de la société tout entière. Le manque de travail entame lourdement le sens de la dignité et de l’espérance, et peut être compensé seulement partiellement par des subsides, également nécessaires, destinés aux chômeurs et à leurs familles. Une attention spéciale devrait être donnée aux femmes – malheureusement encore discriminées dans le domaine du travail – et à certaines catégories de travailleurs, dont les conditions sont précaires ou dangereuses et dont les rétributions ne sont pas proportionnées à l’importance de leur mission sociale.
Enfin, je voudrais inviter à accomplir des actions efficaces pour améliorer les conditions de vie des malades, garantissant à tous l’accès à des soins médicaux et aux médicaments indispensables à la vie, y compris la possibilité de soins à domicile.
Tournant leur regard au-delà de leurs propres frontières, les responsables des États sont aussi appelés à renouveler leurs relations avec les autres peuples, permettant à tous une participation effective et une inclusion à la vie de la communauté internationale, afin que la fraternité se réalise également à l’intérieur de la famille des nations.
Dans cette perspective, je désire adresser un triple appel à s’abstenir d’entraîner les autres peuples dans des conflits ou des guerres qui en détruisent non seulement les richesses matérielles, culturelles et sociales, mais aussi – et pour longtemps – l’intégrité morale et spirituelle ; à l’effacement ou à la gestion soutenable de la dette internationale des pays les plus pauvres ; à l’adoption de politiques de coopération qui, au lieu de se plier à la dictature de certaines idéologies, soient respectueuses des valeurs des populations locales et qui, dans chaque cas, ne portent pas atteinte au droit fondamental et inaliénable des enfants à naître à la vie.
Je confie ces réflexions, ainsi que mes meilleurs vœux pour la nouvelle année, à l’intercession de Marie, la Très Sainte, Mère attentive aux besoins de l’humanité, afin qu’elle obtienne de son Fils Jésus, Prince de la Paix, d’exaucer nos supplications et de bénir notre engagement quotidien pour un monde fraternel et solidaire.

Du Vatican, le 8 décembre 2015
Solennité de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie
Ouverture du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde

FRANCISCUS

NE TE LAISSE PAS VAINCRE PAR LE MAL MAIS SOIS VAINQUEUR DU MAL PAR LE BIEN – JEAN-PAUL II JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX 2005

25 novembre, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/messages/peace/documents/hf_jp-ii_mes_20041216_xxxviii-world-day-for-peace.html

MESSAGE DE SA SAINTETÉ JEAN-PAUL II POUR LA CÉLÉBRATION DE LA JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX

1er janvier 2005

NE TE LAISSE PAS VAINCRE PAR LE MAL MAIS SOIS VAINQUEUR DU MAL PAR LE BIEN

1. Au début de la nouvelle année, je viens m’adresser de nouveau aux responsables des Nations et à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté, qui perçoivent combien il est nécessaire de construire la paix dans le monde. J’ai choisi comme thème pour la Journée mondiale de la Paix 2005 l’exhortation de saint Paul dans la Lettre aux Romains : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » (12,21). Le mal ne se vainc pas par le mal : si l’on prend ce chemin, au lieu de vaincre le mal, on se fait vaincre par lui. La perspective définie par le grand Apôtre met en évidence une vérité fondamentale : la paix est le résultat d’une longue et exigeante bataille, qui est gagnée quand le mal est vaincu par le bien. Face aux scénarios dramatiques d’affrontements fratricides et violents qui se déroulent en plusieurs parties du monde, face aux souffrances indicibles et aux injustices qui en résultent, le seul choix vraiment constructif est de fuir le mal avec horreur et de s’attacher au bien (cf.Rm 12,9), comme le suggère encore saint Paul. La paix est un bien à promouvoir par le bien : elle est un bien pour les personnes, pour les familles, pour les Nations de la terre et pour l’humanité entière ; elle est donc un bien à garder et à entretenir par le choix du bien et par des actions bonnes. On comprend alors la profonde vérité d’une autre maxime de saint Paul : « Ne rendez à personne le mal pour le mal » (Rm 12,17). La seule manière de sortir du cercle vicieux du mal pour le mal, c’est d’accueillir la parole de l’Apôtre : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12,21).

Le mal, le bien et l’amour 2. Depuis les origines, l’humanité a connu la tragique expérience du mal, et elle a cherché à en trouver les racines et à en expliquer les causes. Le mal n’est pas une force anonyme qui agit dans le monde en vertu de mécanismes déterministes et impersonnels. Le mal passe par la liberté humaine. C’est justement cette faculté, qui distingue l’homme de tous les autres êtres vivants sur terre, qui est au centre du drame du mal et qui lui est constamment liée. Le mal a toujours un visage et un nom : le visage et le nom des hommes et des femmes qui le choisissent librement. L’Écriture sainte enseigne que, aux commencements de l’histoire, Adam et Ève se révoltèrent contre Dieu et qu’Abel fut tué par son frère Caïn (cf. Gn 3-4). Ce furent les premiers choix erronés, suivis d’innombrables autres au cours des siècles. Chacun d’eux porte en lui une connotation morale essentielle, qui implique une responsabilité précise de la part du sujet et qui met en cause les relations fondamentales de la personne avec Dieu, avec les autres et avec la création. Si l’on en cherche les composantes profondes, le mal est, en définitive, un renoncement tragique aux exigences de l’amour(1). À l’inverse, le bien moral naît de l’amour, il se manifeste comme amour et il est tourné vers l’amour. Ce propos est particulièrement clair pour le chrétien, qui sait que la participation à l’unique Corps mystique du Christ le situe dans un rapport particulier non seulement avec le Seigneur, mais aussi avec ses frères. Si l’on en tire toutes les conséquences, la logique de l’amour chrétien, qui dans l’Évangile constitue le cœur en action du bien moral, va jusqu’à l’amour des ennemis : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger : s’il a soif, donne-lui à boire » (Rm 12,20). La « grammaire » de la loi morale universelle 3. Regardant la situation actuelle du monde, on ne peut que constater un déferlement impressionnant de multiples manifestations sociales et politiques du mal: du désordre social à l’anarchie et à la guerre, de l’injustice à la violence contre autrui et à sa suppression. Pour trouver son chemin entre les appels opposés du bien et du mal, il est nécessaire et urgent pour la famille humaine de mettre à profit le patrimoine commun des valeurs morales, reçu comme un don de Dieu lui-même. C’est pourquoi, à ceux qui sont déterminés à vaincre le mal par le bien, saint Paul adresse l’invitation à entretenir les attitudes nobles et désintéressées de la générosité et de la paix (cf. Rm 12,17-21). Il y a dix ans, en parlant devant l’Assemblée générale des Nations unies de l’engagement commun au service de la paix, j’avais fait référence à la « grammaire » de la loi morale universelle(2), rappelée par l’Église dans ses multiples enseignements sur ce sujet. Inspirant des valeurs et des principes communs, cette loi unit les hommes entre eux, même dans la diversité de leurs cultures, et elle est immuable : « Elle subsiste sous le flux des idées et des mœurs et en soutient le progrès. Même si l’on renie jusqu’à ses principes, on ne peut pas la détruire ni l’enlever du cœur de l’homme. Toujours elle resurgit dans la vie des individus et des sociétés »(3). 4. Cette grammaire commune de la loi morale nous impose de nous engager toujours et de manière responsable pour faire en sorte que la vie des personnes et des peuples soit respectée et promue. À sa lumière, on ne peut que stigmatiser avec vigueur les maux de caractère social et politique qui affligent le monde, surtout ceux qui sont provoqués par les explosions de la violence. Dans ce contexte, comment ne pas penser au cher Continent africain, où perdurent des conflits qui ont fait et qui continuent de faire des millions de victimes ? Comment ne pas évoquer la dangereuse situation de la Palestine, la Terre de Jésus, où l’on ne parvient pas à renouer, dans la vérité et la justice, les fils de la compréhension mutuelle, cassés par un conflit nourri chaque jour de manière plus préoccupante par des attentats et des vengeances ? Et que dire du phénomène tragique de la violence terroriste, qui semble pousser le monde entier vers un avenir de peur et d’angoisse ? Enfin, comment ne pas constater avec amertume que le drame irakien se prolonge malheureusement dans des situations d’incertitude et d’insécurité pour tous ? Afin de parvenir au bien de la paix, il faut affirmer, avec une conscience lucide, que la violence est un mal inacceptable et qu’elle ne résout jamais les problèmes. « La violence est un mensonge, car elle va à l’encontre de la vérité de notre foi, de la vérité de notre humanité. La violence détruit ce qu’elle prétend défendre : la dignité, la vie, la liberté des êtres humains »(4). Il est donc indispensable de promouvoir une grande opération d’éducation des consciences, qui enseigne le bien à tous, surtout aux nouvelles générations, leur ouvrant l’horizon de l’humanisme intégral et solidaire, que l’Église indique et souhaite. Sur ces bases, il est possible de donner vie à un ordre social, économique et politique qui tienne compte de la dignité, de la liberté et des droits fondamentaux de toute personne.

Le bien de la paix et le bien commun 5. Pour promouvoir la paix, en étant vainqueur du mal par le bien, il faut s’attacher avec une particulière attention au bien commun(5) et à ses manifestations sociales et politiques. En effet, lorsque, à tous les niveaux, on cultive le bien commun, on cultive la paix. La personne peut-elle donc se réaliser pleinement en faisant abstraction de sa nature sociale, c’est-à-dire de son être « avec » et « pour » les autres ? Le bien commun la concerne de près. Toutes les formes d’expression de la vie humaine en société la concernent: la famille, les groupes, les associations, les villes, les régions, les États, les communautés de peuples et de Nations. Tous, en quelque sorte, sont impliqués dans l’engagement pour le bien commun, dans la recherche constante du bien d’autrui comme s’il était le sien. Cette responsabilité revient en particulier à l’autorité politique, à tous les niveaux de son exercice, parce qu’elle est appelée à créer un ensemble de conditions sociales qui permettent et favorisent pour tout être humain le développement intégral de sa personnalité(6). Le bien commun exige donc le respect et la promotion de la personne et de ses droits fondamentaux, de même que, dans une perspective universelle, le respect et la promotion des droits des Nations. Le Concile Vatican II déclare à ce sujet : « De l’interdépendance toujours plus étroite qui peu à peu s’étend au monde entier il résulte que le bien commun [...] prend aujourd’hui une dimension de plus en plus universelle et que, par conséquent, il comporte des droits et des devoirs qui regardent tout le genre humain. Tout groupe doit donc tenir compte des besoins et des légitimes aspirations des autres groupes, bien mieux, du bien commun de toute la famille humaine »(7). Le bien de l’humanité entière, et cela vaut également pour les générations futures, requiert une vraie coopération internationale, à laquelle chaque Nation doit apporter son concours(8). Toutefois, des visions résolument réductrices de la réalité humaine transforment le bien commun en un simple bien-être socio-économique, privé de toute finalité transcendante, et le dépouillent de sa plus profonde raison d’être. Le bien commun, au contraire, revêt aussi une dimension transcendante, parce que Dieu est la fin ultime de ses créatures(9). De plus, les chrétiens savent que Jésus a mis en pleine lumière la réalisation du vrai bien commun de l’humanité. Cette dernière est en marche vers le Christ et c’est en Lui que culmine l’histoire: grâce à Lui, par Lui et pour Lui, toute réalité humaine peut être conduite à son plein accomplissement en Dieu. Le bien de la paix et l’usage des biens de la terre 6. Puisque le bien de la paix est étroitement lié au développement de tous les peuples, il est nécessaire de tenir compte des implications éthiques de l’usage des biens de la terre. Le Concile Vatican II a opportunément rappelé que « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens créés doivent être mis en abondance à la disposition de tous, de façon équitable, sous la conduite de la justice, dont la charité est la compagne »(10). L’appartenance à la famille humaine confère à toute personne une sorte de citoyenneté mondiale, lui donnant des droits et des devoirs, les hommes étant unis par une communauté d’origine et de destinée suprême. Il suffit qu’un enfant soit conçu pour qu’il soit titulaire de droits, qu’il mérite attention et soins, et que chacun ait le devoir d’y veiller. La condamnation du racisme, la protection des minorités, l’assistance aux réfugiés, la mobilisation de la solidarité internationale envers les plus nécessiteux, ne sont que des applications cohérentes du principe de la citoyenneté mondiale. 7. De nos jours, le bien de la paix doit être envisagé en étroite relation avec les nouveaux biens provenant de la connaissance scientifique et du progrès technique. Et ceux-ci, en application du principe de la destination universelle des biens de la terre, doivent être mis au service des besoins primordiaux de l’homme. Des initiatives opportunes au niveau international peuvent permettre de mettre pleinement en œuvre le principe de la destination universelle des biens, garantissant à tous —individus et nations— les conditions fondamentales pour participer au développement. Cela devient possible si l’on abat les barrières et les monopoles qui maintiennent de nombreux peuples en marge du développement(11). Le bien de la paix sera mieux garanti si la communauté internationale prend soin, avec un plus grand sens de sa responsabilité, des biens que l’on reconnaît communément comme des biens publics. Il s’agit des biens dont jouissent automatiquement tous les citoyens, sans avoir opéré de choix précis en la matière. C’est par exemple le cas, au niveau national, pour des biens tels que le système judiciaire, le système de défense, le réseau autoroutier ou ferroviaire. Dans le monde, totalement pris aujourd’hui par le phénomène de la mondialisation, les biens publics sont toujours plus nombreux à revêtir un caractère global et, par conséquent, ils augmentent aussi de jour en jour les intérêts communs. Qu’il suffise de penser à la lutte contre la pauvreté, à la recherche de la paix et de la sécurité, à la préoccupation concernant les changements climatiques, au contrôle de la diffusion des maladies. La communauté internationale doit répondre à de tels intérêts par un réseau toujours plus élargi d’accords juridiques, capable de réglementer la jouissance des biens publics, s’inspirant des principes universels de l’équité et de la solidarité. 8. Le principe de la destination universelle des biens permet, en outre, d’affronter de manière appropriée le défi de la pauvreté, tenant compte par-dessus tout des conditions de misère dans lesquelles vivent encore un milliard d’êtres humains. Au début du nouveau millénaire, la communauté internationale s’est fixée comme objectif prioritaire de diviser ce nombre par deux avant 2015. L’Église soutient et encourage un tel engagement, et elle invite ceux qui croient au Christ à manifester, de manière concrète et en tout lieu, un amour préférentiel pour les pauvres(12). Le drame de la pauvreté apparaît encore étroitement lié à la question de la dette extérieure des pays pauvres. En dépit des progrès significatifs jusqu’alors accomplis, la question n’a toujours pas trouvé de solution appropriée. Quinze années se sont écoulées depuis que j’ai rappelé l’attention de l’opinion publique sur le fait que la dette extérieure des pays pauvres était « intimement liée à un ensemble d’autres problèmes, parmi lesquels l’investissement étranger, le fonctionnement équitable des plus grandes organisations internationales, le prix des matières premières, etc. »(13). Les récents mécanismes pour la réduction des dettes, davantage centrés sur les exigences des pauvres, ont sans aucun doute amélioré la qualité de la croissance économique. Cependant, en raison d’une série de facteurs, cette dernière se révèle quantitativement encore insuffisante, en particulier en vue de rejoindre les objectifs établis au début du millénaire. Les pays pauvres restent prisonniers d’un cercle vicieux : les bas revenus et la croissance lente limitent l’épargne, et, de ce fait, la faiblesse des investissements et l’emploi inefficace de l’épargne ne favorisent pas la croissance. 9. Comme l’a affirmé le Pape Paul VI et comme je l’ai moi-même rappelé, l’unique remède vraiment efficace pour permettre aux États d’affronter la dramatique question de la pauvreté est de leur fournir les ressources nécessaires, moyennant des financements extérieurs —publics et privés— consentis à des conditions accessibles, dans le cadre de rapports commerciaux internationaux basés sur le principe de l’équité(14). Une mobilisation morale et économique est rendue particulièrement nécessaire, mobilisation d’une part respectueuse des accords pris en faveur des pays pauvres, mais d’autre part disposée à revoir les accords que l’expérience aurait fait apparaître trop onéreux pour certains pays. Dans cette perspective, il paraît souhaitable et nécessaire de donner un nouvel élan à l’aide publique au développement, et d’explorer, malgré les difficultés que ce parcours peut présenter, les propositions de nouvelles formes de financement au développement(15). Certains gouvernements sont déjà sur le point d’évaluer attentivement les mécanismes prometteurs allant dans cette direction, initiatives significatives à promouvoir de manière authentiquement concertée et dans le respect du principe de subsidiarité. Il faut contrôler que la gestion des ressources économiques destinées au développement des pays pauvres répond aux critères rigoureux d’une bonne administration, tant de la part des donateurs que des destinataires. L’Église encourage et apporte son soutien à ces efforts. Qu’il suffise de citer, par exemple, la précieuse contribution effectuée grâce aux nombreuses agences catholiques d’aide et de développement. 10. À la fin du Grand Jubilé de l’An 2000, dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j’ai évoqué l’urgence d’une nouvelle imagination de la charité(16) pour répandre dans le monde l’Évangile de l’espérance. Cela est particulièrement vrai lorsque nous nous approchons des nombreux et délicats problèmes qui entravent le développement du continent africain : pensons aux nombreux conflits armés, aux pandémies rendues plus dangereuses par les conditions de misère, à l’instabilité politique à laquelle est associée une insécurité sociale diffuse. Ce sont des réalités tragiques qui réclament un chemin radicalement nouveau pour l’Afrique : il est nécessaire de faire naître de nouvelles formes de solidarité, au niveau bilatéral et multilatéral, avec un engagement plus déterminé de tous, dans la pleine conscience que le bien des peuples africains représente une condition indispensable pour la réalisation du bien commun universel. Puissent les peuples africains devenir les protagonistes de leur destinée et de leur développement culturel, civil, social et économique ! Que l’Afrique cesse d’être seulement objet d’assistance, pour devenir sujet responsable d’échanges convaincus et productifs! Pour atteindre de tels objectifs, une nouvelle culture politique est rendue nécessaire, spécialement dans le domaine de la coopération internationale. Encore une fois, je voudrais rappeler que le non-respect des promesses réitérées concernant l’aide publique au développement, ainsi que la question encore pendante du poids de la dette internationale des pays africains et l’absence d’une considération particulière de ces pays dans les rapports commerciaux internationaux, constituent de graves obstacles à la paix; ces questions doivent donc être affrontées et résolues de manière urgente. Pour parvenir à la paix dans le monde, aujourd’hui plus que jamais, il faut considérer comme déterminante et décisive la conscience de l’interdépendance entre pays riches et pays pauvres, pour lesquels « ou bien le développement devient commun à toutes les parties du monde, ou bien il subit un processus de régression même dans les régions marquées par un progrès constant »(17). Universalité du mal et espérance chrétienne 11. Face aux nombreux drames qui affligent le monde, les chrétiens confessent avec une humble confiance que seul Dieu rend l’homme et les peuples capables de dépasser le mal pour parvenir au bien. Par sa mort et sa résurrection, le Christ nous a obtenu la Rédemption et il a « payé le prix de notre rachat » (1 Co 6,20; 7,23), obtenant le salut pour la multitude. Avec son aide, il est donc possible à tous de vaincre le mal par le bien. S’appuyant sur la certitude que le mal ne prévaudra pas, le chrétien nourrit une invincible espérance, qui le soutient dans la promotion de la justice et de la paix. Malgré les péchés personnels et sociaux qui marquent l’agir humain, l’espérance permet un élan sans cesse renouvelé de l’engagement pour la justice et pour la paix, avec une ferme confiance dans la possibilité de bâtir un monde meilleur. Même si le « mystère de l’impiété » est présent et est à l’œuvre dans le monde (cf. 2 Th 2,7), il ne faut pas oublier que l’homme racheté a en lui suffisamment d’énergies pour s’y opposer. Créé à l’image de Dieu et racheté par le Christ qui « s’est en quelque sorte uni à tout homme »(18), ce dernier peut coopérer activement au triomphe du bien. L’action de « l’Esprit du Seigneur remplit le monde » (Sg 1,7). Que les chrétiens, spécialement les laïcs, « ne cachent pas cette espérance au fond d’eux-mêmes, mais que, par une continuelle conversion et par la lutte ‘‘contre les maîtres de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal » (Ep 6,12), ils l’expriment aussi à travers les structures de la vie séculière »(19). 12. Aucun homme ni aucune femme de bonne volonté ne peut se soustraire à l’engagement de lutter pour vaincre le mal par le bien. C’est un combat qui ne se mène valablement qu’avec les armes de l’amour. Quand le bien l’emporte sur le mal, l’amour règne; et, où règne l’amour, règne aussi la paix. Tel est l’enseignement de l’Évangile, rappelé par le Concile Vatican II : « La loi fondamentale de la perfection humaine, et par conséquent de la transformation du monde, est le commandement nouveau de la charité »(20). Cela est vrai aussi dans le domaine social et politique. À ce propos, le Pape Léon XIII écrivait que tous ceux qui ont le devoir de pourvoir au bien de la paix dans les relations entre les peuples doivent nourrir en eux et allumer chez les autres « la charité, reine et maîtresse de toutes les vertus ».(21) Que les chrétiens soient les témoins convaincus de cette vérité ! Qu’ils sachent manifester par leur vie que l’amour est l’unique force capable de conduire à la perfection personnelle et sociale, l’unique dynamisme en mesure de faire avancer l’histoire vers le bien et vers la paix ! En cette année consacrée à l’Eucharistie, les fils de l’Église trouveront dans le Saint-Sacrement de l’amour la source de toute communion: de la communion avec Jésus Rédempteur et, en lui, avec tout être humain. C’est en vertu de la mort et de la résurrection du Christ, rendues sacramentellement présentes en toute célébration eucharistique, que nous sommes sauvés du mal et rendus capables de faire le bien. C’est en vertu de la vie nouvelle dont il nous a fait le don, que nous pouvons nous reconnaître frères, au-delà de toute différence de langue, de nationalité, de culture. En un mot, c’est en vertu de la participation au même Pain et à la même Coupe que nous pouvons nous reconnaître « famille de Dieu » et apporter ensemble une contribution spécifique et efficace à l’édification d’un monde fondé sur les valeurs de la justice, de la liberté et de la paix.

Du Vatican, le 8 décembre 2004.

JEAN-PAUL II

JEAN-PAUL II, JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX, IL N’Y A PAS DE PAIX SANS JUSTICE IL N’Y A PAS DE JUSTICE SANS PARDON

24 août, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/messages/peace/documents/hf_jp-ii_mes_20011211_xxxv-world-day-for-peace.html

l MESSAGE DE SA SAINTETÉ LE PAPE JEAN-PAUL II POUR LA CÉLÉBRATION DE LA
JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX

1er janvie 2002 -

IL N’Y A PAS DE PAIX SANS JUSTICE IL N’Y A PAS DE JUSTICE SANS PARDON

1.Cette année, la Journée
mondiale de la Paix est célébrée sur l’arrière-plan des événements dramatiques du 11 septembre dernier. Ce jour-là fut perpétré un crime d’une extrême gravité: en l’espace de quelques minutes, des milliers de personnes innocentes, de différentes provenances ethniques, furent horriblement massacrées. Depuis lors, dans le monde entier l’humanité a pris conscience, avec une intensité nouvelle, de la vulnérabilité de chacun et elle a commencé à envisager l’avenir avec un sentiment jusqu’alors inconnu de peur profonde. Face à ce sentiment, l’Église désire témoigner de son espérance, fondée sur la conviction que le mal, le mysterium iniquitatis, n’a pas le dernier mot dans les vicissitudes humaines. L’histoire du salut, racontée dans la sainte Écriture, projette une lumière intense sur toute l’histoire du monde, montrant que celle-ci est toujours accompagnée par la sollicitude miséricordieuse et providentielle de Dieu, qui connaît les chemins permettant d’atteindre les cœurs les plus endurcis et de tirer de bons fruits même d’une terre aride et inféconde.
Telle est l’espérance qui soutient l’Église au début de l’an 2002: avec la grâce de Dieu, le monde, où le pouvoir du mal semble une fois encore l’emporter, sera réellement transformé en un monde où les aspirations les plus nobles du cœur humain pourront être satisfaites, un monde où prévaudra la vraie paix.

La paix, œuvre de justice et d’amour
2. Ce qui est récemment advenu, avec les sanglants épisodes rappelés ci-dessus, m’a poussé à reprendre une réflexion qui bien souvent jaillit du plus profond de mon cœur au souvenir d’événements historiques qui ont marqué ma vie, spécialement au cours de mes jeunes années.
Les souffrances indicibles des peuples et des individus, et parmi eux beaucoup de mes amis et de personnes que je connaissais, causées par les totalitarismes nazi et communiste, ont toujours suscité en moi des interrogations et ont stimulé ma prière. Bien des fois, je me suis attardé à réfléchir à la question: quel est le chemin qui conduit au plein rétablissement de l’ordre moral et social qui est violé de manière aussi barbare ? La conviction à laquelle je suis parvenu en réfléchissant et en me référant à la Révélation biblique est qu’on ne rétablit pleinement l’ordre brisé qu’en harmonisant entre eux la justice et le pardon. Les piliers de la véritable paix sont la justice et cette forme particulière de l’amour qu’est le pardon.
3. Mais comment, dans les circonstances actuelles, parler de justice et en même temps de pardon comme sources et conditions de la paix ? Ma réponse est celle-ci: on peut et on doit en parler, malgré les difficultés que comporte ce sujet, parce que, entre autres, on a tendance à penser à la justice et au pardon en termes antithétiques. Mais le pardon s’oppose à la rancune et à la vengeance, et non à la justice. La véritable paix est en réalité « œuvre de la justice » (Is 32, 17). Comme l’a affirmé le Concile Vatican II, la paix est « le fruit d’un ordre qui a été implanté dans la société humaine par son divin Fondateur, et qui doit être mené à la réalisation par des hommes aspirant sans cesse à une justice plus parfaite » (Constitution pastorale Gaudium et spes, n. 78). Depuis plus de quinze siècles, dans l’Église catholique retentit l’enseignement d’Augustin d’Hippone, qui nous a rappelé que la paix qu’il faut viser avec la coopération de tous consiste dans la tranquillitas ordinis, dans la tranquillité de l’ordre (cf. De civitate Dei, 19, 13).
La vraie paix est donc le fruit de la justice, vertu morale et garantie légale qui veille sur le plein respect des droits et des devoirs, et sur la répartition équitable des profits et des charges. Mais parce que la justice humaine est toujours fragile et imparfaite, exposée qu’elle est aux limites et aux égoïsmes des personnes et des groupes, elle doit s’exercer et, en un sens, être complétée par le pardon qui guérit les blessures et qui rétablit en profondeur les rapports humains perturbés. Cela vaut aussi bien pour les tensions qui concernent les individus que pour celles qui ont une portée plus générale et même internationale. Le pardon ne s’oppose d’aucune manière à la justice, car il ne consiste pas à surseoir aux exigences légitimes de réparation de l’ordre lésé. Le pardon vise plutôt cette plénitude de justice qui mène à la tranquillité de l’ordre, celle-ci étant bien plus qu’une cessation fragile et temporaire des hostilités: c’est la guérison en profondeur des blessures qui ensanglantent les esprits. Pour cette guérison, la justice et le pardon sont tous les deux essentiels.
Telles sont les deux dimensions de la paix que je désire approfondir dans ce message. La Journée mondiale offre cette année à toute l’humanité, mais tout particulièrement aux Chefs des Nations, l’occasion de réfléchir aux exigences de la justice et à l’appel au pardon face aux graves problèmes qui continuent d’affliger le monde, aux premiers rangs desquels il y a le nouveau degré de violence introduit par le terrorisme organisé.

Le phénomène du terrorisme
4. C’est précisément la paix fondée sur la justice et sur le pardon qui est attaquée aujourd’hui par le terrorisme international. Ces dernières années, spécialement après la fin de la guerre froide, le terrorisme s’est transformé en un réseau sophistiqué de connivences politiques, techniques et économiques qui dépasse les frontières nationales et s’élargit jusqu’à englober le monde entier. Il s’agit de véritables organisations dotées bien souvent d’immenses ressources financières, qui élaborent des stratégies sur une vaste échelle, frappant des personnes innocentes qui n’ont rien à voir avec les visées poursuivies par les terroristes.
Utilisant leurs adeptes comme armes à lancer contre des personnes sans défense et ignorantes du danger, ces organisations terroristes manifestent d’une manière déconcertante l’instinct de mort qui les nourrit. Le terrorisme naît de la haine et il engendre l’isolement, la méfiance et le repli sur soi. La violence s’ajoute à la violence, en une spirale tragique qui entraîne même les nouvelles générations, celles-ci héritant ainsi de la haine qui a divisé les générations précédentes. Le terrorisme est fondé sur le mépris de la vie humaine. Voilà précisément pourquoi non seulement il est à l’origine de crimes intolérables, mais il constitue en lui-même, en tant que recours à la terreur comme stratégie politique et économique, un véritable crime contre l’humanité.
5. De ce fait, il existe un droit de se défendre contre le terrorisme. C’est un droit qui, comme tout autre droit, doit répondre à des règles morales et juridiques tant dans le choix des objectifs que dans celui des moyens. L’identification des coupables doit être dûment prouvée, car la responsabilité pénale est toujours personnelle et on ne peut donc l’étendre aux nations, aux ethnies, aux religions, auxquelles appartiennent les terroristes. La collaboration internationale dans la lutte contre l’activité terroriste doit comporter aussi un engagement particulier sur les plans politique, diplomatique et économique pour résoudre avec courage et détermination les éventuelles situations d’oppression et de marginalisation qui seraient à l’origine des desseins terroristes. Le recrutement des terroristes est en effet plus facile dans les contextes sociaux où les droits sont foulés au pied et où les injustices sont trop longtemps tolérées.
Il faut toutefois affirmer clairement que l’on ne peut jamais prendre prétexte des injustices qui existent dans le monde pour justifier les attentats terroristes. De plus, on doit noter que, parmi les victimes de l’écroulement radical de l’ordre que cherchent les terroristes, il faut compter en premier lieu les millions d’hommes et de femmes moins équipés pour résister à l’affaissement de la solidarité internationale. Je fais allusion ici d’une manière spécifique aux peuples du monde en voie de développement, qui vivent déjà avec une marge étroite de survie et qui seraient les plus douloureusement atteints par le chaos économique et politique généralisé. La prétention qu’a le terrorisme d’agir au nom des pauvres est une flagrante imposture.

On ne tue pas au nom de Dieu !
6. Celui qui tue par des actes terroristes nourrit des sentiments de mépris envers l’humanité, faisant preuve de désespérance face à la vie et à l’avenir: dans cette perspective, tout peut être haï et détruit. Le terroriste pense que la vérité à laquelle il croit ou la souffrance endurée sont tellement absolues qu’il lui est légitime de réagir en détruisant même des vies humaines innocentes. Le terrorisme est parfois engendré par un fondamentalisme fanatique, qui naît de la conviction de pouvoir imposer à tous d’accepter sa propre conception de la vérité. Au contraire, même à supposer que l’on ait atteint la vérité — et c’est toujours d’une manière limitée et perfectible —, on ne peut jamais l’imposer. Le respect de la conscience d’autrui, dans laquelle se reflète l’image même de Dieu (cf. Gn 1, 26-27), permet seulement de proposer la vérité aux autres, auxquels appartient ensuite la responsabilité de l’accueillir. Prétendre imposer à d’autres par la violence ce que l’on considère comme la vérité signifie violer la dignité de l’être humain et, en définitive, outrager Dieu dont il est l’image. C’est pourquoi le fanatisme fondamentaliste est une attitude radicalement contraire à la foi en Dieu. À y regarder de près, le terrorisme exploite non seulement l’homme, mais Dieu lui-même, dont il finit par faire une idole qu’il utilise à ses propres fins.
7. Aucun responsable religieux ne peut donc user d’indulgence à l’égard du terrorisme et moins encore le préconiser. C’est une profanation de la religion que de se proclamer terroriste au nom de Dieu, d’user de violence sur les hommes au nom de Dieu. La violence terroriste est contraire à la foi en Dieu Créateur de l’homme, en Dieu qui prend soin de l’homme et qui l’aime. En particulier, elle est totalement contraire à la foi dans le Christ Seigneur, qui a montré à ses disciples comment prier: « Remets-nous nos dettes, comme nous les avons remises nous-mêmes à ceux qui nous devaient » (Mt 6, 12).
Suivant l’enseignement et l’exemple de Jésus, les chrétiens sont convaincus que faire preuve de miséricorde signifie vivre pleinement la vérité de notre vie: nous pouvons et nous devons être miséricordieux parce que nous avons bénéficié de la miséricorde d’un Dieu qui est Amour miséricordieux (cf. 1 Jn 4, 7-12). Le Dieu qui nous rachète par son entrée dans l’histoire et qui, à travers le drame du Vendredi saint, prépare la victoire du jour de Pâques est un Dieu de miséricorde et de pardon (cf. Ps 103 [102], 3-4. 10-13). Devant ceux qui le critiquaient parce qu’il mangeait avec les pécheurs, Jésus s’est exprimé ainsi: « Allez apprendre ce que veut dire cette parole: C’est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs » (Mt 9, 13). Les disciples du Christ, baptisés dans sa mort et dans sa résurrection, doivent toujours être des hommes et des femmes de miséricorde et de pardon.

La nécessité du pardon
8. Mais que signifie concrètement pardonner? Et pourquoi pardonner? Quand on parle du pardon, on ne peut éluder ces interrogations. Reprenant une réflexion que j’ai déjà eu l’occasion d’exposer pour la Journée mondiale de la Paix de 1997 (« Offre le pardon, reçois la paix »), je voudrais rappeler que le pardon réside dans le cœur de chacun avant d’être un fait social. C’est seulement dans la mesure où l’on proclame une éthique et une culture du pardon que l’on peut aussi espérer en une « politique du pardon », qui s’exprime dans des comportements sociaux et des institutions juridiques dans lesquels la justice elle-même puisse prendre un visage plus humain.
En réalité, le pardon est avant tout un choix personnel, une option du cœur qui va contre l’instinct spontané de rendre le mal pour le mal. Cette option trouve son élément de comparaison dans l’amour de Dieu, qui nous accueille malgré nos péchés, et son modèle suprême est le pardon du Christ qui a prié ainsi sur la Croix: « Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).
Le pardon a donc une racine et une mesure divines. Mais cela n’exclut pas que l’on puisse aussi en saisir la valeur à la lumière de considérations fondées sur le bon sens humain. La première de ces considérations concerne l’expérience vécue intérieurement par tout être humain quand il commet le mal. Il se rend compte alors de sa fragilité et il désire que les autres soient indulgents avec lui. Pourquoi donc ne pas agir envers les autres comme chacun voudrait que l’on agisse envers lui-même? Tout être humain nourrit en lui-même l’espérance de pouvoir recommencer une période de sa vie, et de ne pas demeurer à jamais prisonnier de ses erreurs et de ses fautes. Il rêve de pouvoir à nouveau lever les yeux vers l’avenir, pour découvrir qu’il a encore la possibilité de faire confiance et de s’engager.
9. En tant qu’acte humain, le pardon est avant tout une initiative du sujet singulier dans ses relations avec ses semblables. Toutefois, la personne a une dimension sociale essentielle qui fait qu’elle tisse un réseau de relations où elle exprime ce qu’elle est: non seulement dans le bien, mais aussi malheureusement dans le mal. De ce fait, le pardon devient nécessaire également au niveau social. Les familles, les groupes, les États, la Communauté internationale elle-même, ont besoin de s’ouvrir au pardon pour renouer les liens rompus, pour dépasser les situations stériles de condamnations réciproques, pour vaincre la tentation d’exclure les autres en leur refusant toute possibilité d’appel. La capacité de pardonner est à la base de tout projet d’une société à venir plus juste et plus solidaire.
Le refus du pardon, au contraire, surtout s’il entretient la poursuite de conflits, a des répercussions incalculables pour le développement des peuples. Les ressources sont consacrées à soutenir la course aux armements, les dépenses de guerre, ou à faire face aux conséquences des rétorsions économiques. C’est ainsi que font défaut les disponibilités financières nécessaires au développement, à la paix, à la justice. De quelles souffrances l’humanité n’est-elle pas affligée parce qu’elle ne sait pas se réconcilier, quels retards ne subit-elle pas parce qu’elle ne sait pas pardonner! La paix est la condition du développement, mais une paix véritable n’est possible qu’à travers le pardon.

Le pardon, voie royale
10. La proposition du pardon n’est pas une chose que l’on admet comme une évidence ou que l’on accepte facilement; par certains aspects, c’est un message paradoxal. En effet, le pardon comporte toujours, à court terme, une perte apparente, tandis qu’à long terme, il assure un gain réel. La violence est exactement le contraire: elle opte pour un gain à brève échéance, mais se prépare pour l’avenir lointain une perte réelle et permanente. Le pardon pourrait sembler une faiblesse; en réalité, aussi bien pour l’accorder que pour le recevoir, il faut une grande force spirituelle et un courage moral à toute épreuve. Loin de diminuer la personne, le pardon l’amène à une humanité plus profonde et plus riche, il la rend capable de refléter en elle un rayon de la splendeur du Créateur.
Le ministère que j’accomplis au service de l’Évangile me fait vivement sentir le devoir d’insister, en même temps qu’il m’en donne la force, sur la nécessité du pardon. Je le fais aujourd’hui encore, soutenu par l’espérance de pouvoir susciter des réflexions sereines et longuement mûries en faveur d’un renouveau général dans le cœur des personnes et dans les relations entre les peuples de la terre.
11. En méditant sur le thème du pardon, on ne peut pas ne pas évoquer quelques situations tragiques de conflits qui, depuis trop longtemps, entretiennent des haines profondes et destructrices, avec la spirale sans fin de tragédies personnelles et collectives qui s’ensuit. Je pense en particulier à ce qui se passe en Terre sainte, lieu béni et sacré de la rencontre de Dieu avec les hommes, lieu de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, Prince de la Paix.
La délicate situation internationale invite à souligner une fois encore avec force combien il est urgent d’apporter une solution au conflit arabo-israélien, qui dure depuis plus de cinquante ans, avec des alternances de phases plus ou moins aiguës. Le recours continuel à des actes de terrorisme ou de guerre, qui aggravent la situation pour tous et qui assombrissent les perspectives, doit enfin céder le pas à une négociation qui résolve les problèmes. Les droits et les exigences de chacun ne pourront être dûment pris en compte et pondérées de manière équitable que dans la mesure où prévaudra chez tous la volonté de justice et de réconciliation. Une fois de plus, j’adresse à ces peuples bien-aimés l’invitation pressante à s’engager dans une nouvelle ère de respect mutuel et d’accord constructif.

Compréhension et coopération interreligieuses
12. Dans cette grande entreprise, les responsables religieux ont une responsabilité spécifique. Les confessions chrétiennes et les grandes religions de l’humanité doivent collaborer entre elles pour éliminer les causes sociales et culturelles du terrorisme, en enseignant la grandeur et la dignité de la personne, et en favorisant une conscience plus grande de l’unité du genre humain. Il s’agit là d’un domaine précis de dialogue et de collaboration œcuméniques et interreligieux, pour que les religions se mettent d’urgence au service de la paix entre les peuples.
Je suis en particulier convaincu que les responsables religieux juifs, chrétiens et musulmans doivent prendre l’initiative par une condamnation publique du terrorisme, refusant à ceux qui s’y engagent toute forme de légitimation religieuse ou morale.
13. En donnant un témoignage commun à la vérité morale selon laquelle l’assassinat délibéré de l’innocent est toujours et partout, sans exception, un grave péché, les responsables religieux du monde favoriseront la formation d’une opinion publique moralement correcte. C’est là le présupposé nécessaire à l’édification d’une société internationale capable de rechercher la tranquillité de l’ordre dans la justice et dans la liberté.
Un tel engagement de la part des religions ne peut pas ne pas conduire à la voie du pardon, qui débouche sur la compréhension réciproque, sur le respect et la confiance. Le service que les religions peuvent rendre à la cause de la paix et contre le terrorisme consiste justement dans la pédagogie du pardon, car l’homme qui pardonne ou qui demande pardon comprend qu’il y a une Vérité plus grande que lui, et qu’en l’accueillant il peut se dépasser lui-même.

La prière pour la paix
14. C’est bien pour cela que la prière pour la paix n’est pas un élément qui « vient après » l’engagement en faveur de la paix. Au contraire, elle est au cœur de l’effort pour l’édification d’une paix dans l’ordre, la justice et la liberté. Prier pour la paix veut dire ouvrir le cœur humain à l’irruption de la puissance rénovatrice de Dieu. Par la force vivifiante de sa grâce, Dieu peut créer des ouvertures vers la paix là où il semble qu’il n’y ait qu’obstacles et repli sur soi; il peut consolider et élargir la solidarité entre les membres de la famille humaine, malgré les longs épisodes de divisions et de luttes. Prier pour la paix signifie prier pour la justice, pour un ordonnancement approprié à l’intérieur des nations et dans leurs relations mutuelles. Cela veut dire aussi prier pour la liberté, spécialement pour la liberté religieuse, qui est un droit humain et civil fondamental pour tout individu. Prier pour la paix signifie prier pour obtenir le pardon de Dieu et en même temps pour croître dans le courage nécessaire pour être capable à son tour de pardonner les offenses subies. Pour toutes ces raisons, j’ai invité les représentants des religions du monde à venir à Assise, la ville de saint François, le 24 janvier prochain, afin de prier pour la paix. Nous voulons montrer de cette façon que le sentiment religieux authentique est une source inépuisable de respect mutuel et d’harmonie entre les peuples: bien plus, en lui réside le principal antidote contre la violence et les conflits. En ce temps de grave préoccupation, la famille humaine a besoin de s’entendre rappeler les motifs certains de notre espérance. C’est bien pourquoi nous entendons proclamer à Assise, en priant le Dieu tout-puissant — selon l’expression suggestive attribuée à saint François lui-même — de faire de nous un instrument de sa paix.
15. Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon: voilà ce que je veux annoncer dans ce Message aux croyants et aux non-croyants, aux hommes et aux femmes de bonne volonté, qui ont à cœur le bien de la famille humaine et son avenir.
Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon: voilà ce que je veux rappeler à ceux qui ont entre leurs mains le sort des communautés humaines, afin qu’ils se laissent toujours guider, dans les choix graves et difficiles qu’ils doivent faire, par la lumière du bien véritable de l’homme, dans la perspective du bien commun.
Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon: je ne me lasserai pas de répéter cet avertissement à ceux qui, pour un motif ou un autre, nourrissent en eux la haine, des désirs de vengeance, des instincts destructeurs.
En cette Journée de la Paix, que s’élève du cœur de tout croyant une prière plus intense pour toutes les victimes du terrorisme, pour leurs familles tragiquement frappées, et pour tous les peuples qui continuent à être meurtris et bouleversés par le terrorisme et la guerre! Que ne soient pas exclus du rayon de lumière de notre prière ceux-là mêmes qui offensent gravement Dieu et l’homme par ces actes impitoyables: qu’il leur soit accordé de rentrer en eux-mêmes et de se rendre compte du mal qu’ils accomplissent; qu’ils soient ainsi poussés à renoncer à toute volonté de violence et à demander pardon! En ces temps tumultueux, que la famille humaine puisse trouver la paix véritable et durable, cette paix qui peut naître seulement de la rencontre entre la justice et la miséricorde!

Du Vatican, le 8 décembre 2001

JEAN PAUL II

PAPE PAUL VI «JOURNÉE DE LA PAIX» 1971

20 avril, 2015

http://w2.vatican.va/content/paul-vi/fr/messages/peace/documents/hf_p-vi_mes_19701114_iv-world-day-for-peace.html

MESSAGE DE SA SAINTETÉ LE PAPE PAUL VI POUR LA CÉLÉBRATION DE LA «JOURNÉE DE LA PAIX»

Ier JANVIER 1971

HOMMES DE 1971!

Sur le cadran de l’Histoire du Monde,
l’aiguille du temps,
de notre temps,
marque le début d’une année nouvelle: celle-ci,
que Nous Nous proposons, tout comme les années
précédentes, d’inaugurer
de nos voeux affectueux,
de notre message de Paix:
Paix à vous, Paix au monde.

Ecoutez-Nous. Cela en vaut la peine. Oui, c’est Notre message habituel: Paix. Mais c’est de ce mot que le monde a besoin et il en a un besoin si urgent que cela le rend nouveau. Ouvrons les yeux sur l’aube de cette nouvelle année et observons deux ordres de faits généraux qui marquent de leur empreinte le monde, les peuples, les familles, les individus. Ces faits, à ce qu’il Nous semble, influencent profondément et directement nos destins. Chacun de nous peut en faire l’horoscope.
Observez un premier ordre de faits. A vrai dire, ce n’est pas un ordre, mais un désordre. Parce que les faits que nous comprenons en cette catégorie marquent tous un retour à des pensées et à des actes que l’expérience tragique de la guerre semblait avoir annulés – ou aurait dû annuler.
A la fin de la guerre, tous avaient dit: assez. Assez de quoi? assez de tout ce qui avait été à l’origine du carnage humain et de l’épouvantable ruine. Immédiatement après la guerre, au début de cette génération, l’humanité eut un éclair de conscience : il fallait, non seulement s’occuper des tombes, soigner les blessures, réparer les désastres, redonner à la terre un visage nouveau et meilleur, mais encore supprimer les causes de la conflagration subie. Les causes: voilà quelle fut l’idée pleine de sagesse: les chercher, les éliminer. Le monde respira. Il sembla vraiment que dût naître une nouvelle époque, celle de la paix universelle. Nous semblèrent prêts à des changements radicaux, afin d’éviter de nouveaux conflits. A partir des structures politiques, sociales, économiques, l’on arriva à envisager un horizon de magnifiques innovations morales et sociales; l’on parla de justice, des droits de l’homme, de promotion des faibles, de vie commune ordonnée, de collaboration organisée, d’union mondiale. De grands gestes ont été posés; les vainqueurs, par exemple, se sont portés au secours des vaincus; de grandes institutions ont été fondées; le monde commença de s’organiser à partir de principes de solidarité et de bien-être commun. La marche vers la paix, condition normale et statutaire de la vie du monde, sembla définitivement tracée.
Or, que voyons-nous, après vingt-cinq ans de ce progrès réel et idyllique? Nous voyons, avant tout, que les guerres, de part et d’autre, sévissent encore et semblent d’inguérissables plaies qui menacent de s’élargir et de s’aggraver. Nous voyons continuer et s’étendre, ici et là, les discriminations sociales, raciales, religieuses. Nous voyons renaître la mentalité d’autrefois; l’homme semble, à nouveau, s’arrêter à des positions, psychologiques d’abord, politiques ensuite, du temps passé. Resurgissent les démons d’hier. Revient la suprématie des intérêts économiques avec l’exploitation facile des faibles;(2) réapparaît l’habitude de la haine (3) et de la lutte des classes, et renaît ainsi, à l’état endémique, une guerre internationale et civile; c’est le retour aux luttes pour le prestige national et le pouvoir politique; c’est, à nouveau, le bras de fer des ambitions opposées, des particularismes clôs et irréductibles des races et des systèmes idéologiques; l’on recourt au délit et à la violence, comme à un feu idéal, sans penser à l’incendie qui en peut naître; l’on pense, à nouveau, à la paix, comme à un pur équilibre de forces puissantes et d’épouvantables armements; l’on ressent le frisson de la crainte que quelque fatale imprudence ne fasse éclater d’inconcevables et d’inextinguibles conflagrations. Que se passe-t-il? Où va-t-on? En quoi a-t-on failli? Ou bien que nous a-t-il manqué? Nous faut-il nous résigner, doutant de la capacité humaine à réaliser une paix juste et sûre et renonçant à marquer l’éducation des nouvelles générations du sceau de l’espérance et de l’esprit de paix? (4)
Heureusement, un autre diagramme d’idées et de faits apparaît à notre observation; et c’est celui de la paix progressive. Parce que, malgré tout, la paix chemine. Avec des discontinuités, avec des incohérences et des difficultés; mais, cependant, la paix chemine et s’affirme dans le monde avec un caractère d’invincibilité. Tous le sentent: la paix est nécessaire. Joue en sa faveur le progrès moral de l’humanité, décidément orientée vers l’unité. Unité et paix, quand la liberté les rattache l’une à l’autre, sont soeurs. La paix, quant à elle, profite de la faveur croissante d’une opinion publique convaincue de l’absurdité d’une guerre poursuivie pour elle-même et considérée comme le moyen unique et fatal de mettre fin aux controverses entre les hommes. Elle se prévaut du réseau de plus en plus serré des rapports humains: culturels, économiques, commerciaux, sportifs, touristiques; il faut vivre ensemble, et il est beau de se connaître, de s’estimer, de s’aider. Une solidarité fondamentale se forme peu à peu dans le monde; elle favorise la paix. Et les relations internationales se développent de plus en plus et créent les prémisses – et également la garantie – d’une certaine concorde. Les grandes institutions internationales – et supranationales – se révèlent providentielles, tant au départ qu’au couronnement d’une commune vie pacifique de l’humanité.
Face à ce double tableau qui superpose des phénomènes
d’ordre contraire au but qui nous est le plus à coeur, c’est-à-dire à la paix, il nous semble qu’une observation unique, ambivalente, peut en être tirée. Posons une double question, corrélative à deux aspects de l’ambiguité du monde actuel:
- comment, aujourd’hui, s’affaiblit la paix?
- comment, aujourd’hui, progresse la paix?

Quel est l’élément qui émerge, au sens négatif aussi bien qu’au sens positif, de cette simple analyse? L’élément est toujours l’homme. L’homme, dévalué, dans le premier cas; l’homme, valorisé, dans le second cas. Risquons un terme qui peut paraître ambigu, lui aussi, mais considérons-le dans l’exigence de sa profondeur. C’est le terme, toujours flamboyant et suprême, d’amour: amour de l’homme, première valeur de l’ordre terrestre. Amour et paix sont des entités corrélatives. La paix, la véritable paix, la paix humaine, est un effet de l’amour.(5) La paix suppose une certaine «identité de choix». C’est ce qu’on appelle l’amitié. Si nous voulons la paix, nous devons reconnaître la nécessité de la fonder sur des bases plus solides que celle ou du manque de rapports (car les rapports entre les hommes sont inévitables, ils croissent et s’affirment), ou de l’exigence de rapports d’intérêt égoïste (ils sont précaires et souvent trompeurs), ou bien du tissu de rapports purement culturels ou accidentels (ils peuvent être à double tranchant, pour la paix ou pour la lutte).
La véritable paix doit être fondée sur la justice, sur le sentiment d’une intangible dignité humaine, sur la reconnaissance d’une ineffaçable et heureuse égalité entre les hommes, sur le dogme fondamental de la fraternité humaine. C’est à dire du respect et de l’amour dûs à tout homme en sa qualité d’homme. Explose le mot victorieux: en sa qualité de frère. Mon frère, notre frère.

C’est également cette conscience de la fraternité humaine
universelle qui s’affirme heureusement dans notre monde, du moins en principe. Ceux qui travaillent à éduquer les nouvelles générations dans la conviction que tout homme est notre frère construisent à partir des fondations mêmes l’édifice de la paix. Ceux qui introduisent dans l’opinion publique le sentiment d’une fraternité humaine sans frontière préparent au monde des jours meilleurs. Ceux qui conçoivent la protection des intérêts politiques sans la poussée de la haine ou de la lutte entre les hommes, comme une nécessité dialectique et organique de la vie sociale, ouvrent la société humaine à un progrès toujours actif du bien commun. Ceux qui contribuent à découvrir en tout homme, par delà les caractéristiques somatiques, ethniques, raciaux, l’existence d’un être égal à soi, transforment la terre, d’épicentre de divisions, d’antagonismes, d’embûches et de vengeances, en un lieu de travail organisé sur la base d’une collaboration civilisée. En effet, là où la fraternité entre les hommes est fondamentalement méconnue, c’est la paix qui est ruinée en sa base même. Car, la paix est, au contraire, le miroir de l’humanité véritable, authentique, moderne, victorieuse de toute autodétérioration anachronique. La paix est la grande idée célébrant l’amour entre les hommes qui se découvrent frères et se décident à vivre tels.
Voici donc quel est notre message pour l’année 1971. Il fait écho, voix nouvelle née de la conscience civilisée, à la Déclaration des Droits de l’Homme: «Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits; ils sont doués de raison et de conscience et doivent se comporter les uns envers les autres comme des frères». A ce sommet est arrivée la doctrine de la civilisation. Ne retournons pas en arrière. Ne perdons pas les trésors de cette conquête axiomatique. Donnons plutôt une application, logique et courageuse, à cette formule, ligne d’arrivée du progrès humain: «tout homme est mon frère». La paix, en essence et en devenir, c’est cela. Et cela vaut pour tous.

Cela vaut, frères dans la foi au Christ, tout spécialement pour nous. A la sagesse humaine qui, en un effort immense, est arrivée à une si haute et si difficile conclusion, nous pouvons, nous, croyants, fournir un soutien indispensable. Celui, avant tout, de la certitude (car des doutes de tout genre peuvent la guetter, l’affaiblir, l’annuler). Notre certitude en la parole divine de notre maître, le Christ, gravée dans son Evangile: «Vous êtes tous frères» (Mt 23 , 8). Nous pouvons aussi offrir le réconfort d’une possibilité d’application (dans la vie pratique, en effet, comme il est difficile de se comporter tout à fait fraternellement envers tout homme!); nous le pouvons grâce au recours, comme à une règle pratique et normale d’action, à un autre enseignement, fondamental, du Christ: «Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faîtes-le vous-mêmes pour eux: voilà la loi et les prophètes» (Mt 7, 12). Philosophes et saints, comme ils ont médité sur cette maxime qui insère l’universalité de la loi de fraternité dans l’action singulière et concrète de la moralité sociale! C’est encore nous, enfin, qui sommes en mesure de fournir l’argument suprême: celui de la Paternité divine, commune à tous les hommes, proclamée à tous les croyants. Une

véritable fraternité, entre les hommes, pour être authentique et contraignante, suppose et exige une Paternité transcendante et pleine d’amour métaphysique, de charité surnaturelle. Nous pouvons, quant à nous, enseigner la fraternité humaine, c’est-à-dire la paix, en enseignant à reconnaître, à aimer, à invoquer Notre Père qui est aux cieux. Nous savons, nous, que nous sera barré l’accès à l’autel de Dieu si nous n’avons, d’abord, nous-mêmes enlevé l’obstacle à la réconciliation avec l’homme-frère (Mt 5, 23 passim; 6, 14-15). Et nous savons que, si nous devenons des promoteurs de paix, alors nous pourrons être appelés fils de Dieu, et nous serons parmi ceux que l’Evangile proclame bienheureux (Mt 5, 9).
Quelle force, quelle fécondité, quelle confiance la religion chrétienne confère à l’équation de fraternité et de paix! Et quelle joie pour nous de rencontrer, à la coïncidence des termes de ce binôme, le carrefour des sentiers de notre foi croisant les chemins des espérances de l’humanité et des civilisations.

14 Novembre 1970.

PAULUS PP. VI

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS POUR LA CÉLÉBRATION DE LA XLVIIe JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX – 2014

1 janvier, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/francesco/messages/peace/documents/papa-francesco_20131208_messaggio-xlvii-giornata-mondiale-pace-2014_fr.html

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS POUR LA CÉLÉBRATION DE LA XLVIIe JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX

1er JANVIER 2014

LA FRATERNITE, FONDEMENT ET ROUTE POUR LA PAIX

1. Dans mon premier message pour la Journée mondiale de la Paix je désire adresser à tous, personnes et peuples, le vœu d’une existence pleine de joie et d’espérance. Dans le cœur de chaque homme et de chaque femme habite en effet le désir d’une vie pleine, à laquelle appartient une soif irrépressible de fraternité, qui pousse vers la communion avec les autres, en qui nous ne trouvons pas des ennemis ou des concurrents, mais des frères à accueillir et à embrasser. En effet, la fraternité est une dimension essentielle de l’homme, qui est un être relationnel. La vive conscience d’être en relation nous amène à voir et à traiter chaque personne comme une vraie sœur et un vrai frère ; sans cela, la construction d’une société juste, d’une paix solide et durable devient impossible. Et il faut immédiatement rappeler que la fraternité commence habituellement à s’apprendre au sein de la famille, surtout grâce aux rôles responsables et complémentaires de tous ses membres, en particulier du père et de la mère. La famille est la source de toute fraternité, et par conséquent elle est aussi le fondement et la première route de la paix, puisque par vocation, elle devrait gagner le monde par son amour. Le nombre toujours croissant d’interconnexions et de communications qui enveloppent notre planète rend plus palpable la conscience de l’unité et du partage d’un destin commun entre les nations de la terre. Dans les dynamismes de l’histoire, de même que dans la diversité des ethnies, des sociétés et des cultures, nous voyons ainsi semée la vocation à former une communauté composée de frères qui s’accueillent réciproquement, en prenant soin les uns des autres. Mais une telle vocation est encore aujourd’hui souvent contrariée et démentie par les faits, dans un monde caractérisé par cette “ mondialisation de l’indifférence ”, qui nous fait lentement nous “ habituer ” à la souffrance de l’autre, en nous fermant sur nous-mêmes. Dans de nombreuses parties du monde, la grave atteinte aux droits humains fondamentaux, surtout au droit à la vie et à la liberté religieuse ne semble pas connaître de pause. Le tragique phénomène du trafic des êtres humains, sur la vie et le désespoir desquels spéculent des personnes sans scrupules, en représente un exemple inquiétant. Aux guerres faites d’affrontements armés, s’ajoutent des guerres moins visibles, mais non moins cruelles, qui se livrent dans le domaine économique et financier avec des moyens aussi destructeurs de vies, de familles, d’entreprises. Comme l’a affirmé Benoît XVI, la mondialisation nous rend proches, mais ne nous rend pas frères.[1] En outre, les nombreuses situations d’inégalités, de pauvreté et d’injustice, signalent non seulement une carence profonde de fraternité, mais aussi l’absence d’une culture de la solidarité. Les idéologies nouvelles, caractérisées par un individualisme diffus, un égocentrisme et un consumérisme matérialiste affaiblissent les liens sociaux, en alimentant cette mentalité du “ déchet ”, qui pousse au mépris et à l’abandon des plus faibles, de ceux qui sont considérés comme “ inutiles ”. Ainsi le vivre ensemble humain devient toujours plus semblable à un simple ‘do ut des’  pragmatique et égoïste. En même temps, il apparaît clairement que les éthiques contemporaines deviennent aussi incapables de produire des liens authentiques de fraternité, puisqu’une fraternité privée de la référence à un Père commun, comme son fondement ultime, ne réussit pas à subsister.[2] Une fraternité véritable entre les hommes suppose et exige une paternité transcendante. À partir de la reconnaissance de cette paternité, se consolide la fraternité entre les hommes, c’est-à-dire l’attitude de se faire le “ prochain ” qui prend soin de l’autre. « Où est ton frère » (Gn 4, 9) 2. Pour mieux comprendre cette vocation de l’homme à la fraternité, pour reconnaître de façon plus adéquate les obstacles qui s’opposent à sa réalisation et découvrir les chemins de leur dépassement, il est fondamental de se laisser guider par la connaissance du dessein de Dieu, tel qu’il est présenté de manière éminente dans la Sainte Écriture. Selon le récit des origines, tous les hommes proviennent de parents communs, d’Adam et Ève, couple créé par Dieu à son image et à sa ressemblance (cf. Gn 1, 26), de qui naissent Caïn et Abel. Dans l’événement de la famille primitive, nous lisons la genèse de la société, l’évolution des relations entre les personnes et les peuples. Abel est berger, Caïn est paysan. Leur identité profonde et à la fois leur vocation, est celle d’être frères, aussi dans la diversité de leur activité et de leur culture, de leur manière de se rapporter à Dieu et au créé. Mais le meurtre d’Abel par Caïn atteste tragiquement le rejet radical de la vocation à être frères. Leur histoire (cf. Gn 4, 1-16) met en évidence la tâche difficile à laquelle tous les hommes sont appelés, de vivre unis, en prenant soin l’un de l’autre. Caïn, n’acceptant pas la prédilection de Dieu pour Abel qui lui offrait le meilleur de son troupeau – « le Seigneur agréa Abel et son offrande, mais il n’agréa pas Caïn et son offrande » (Gn 4, 4-5) – tue Abel par jalousie. De cette façon, il refuse de se reconnaître frère, d’avoir une relation positive avec lui, de vivre devant Dieu, en assumant ses responsabilités de soin et de protection de l’autre. À la question : « Où es ton frère ? », avec laquelle Dieu interpelle Caïn, lui demandant compte de son œuvre, il répond : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4, 9). Puis nous dit la Genèse, « Caïn se retira de la présence du Seigneur » (4, 16). Il faut s’interroger sur les motifs profonds qui ont entrainé Caïn à méconnaître le lien de fraternité et, aussi le lien de réciprocité et de communion qui le liait à son frère Abel. Dieu lui-même dénonce et reproche à Caïn une proximité avec le mal : « le péché n’est-il pas à ta porte ? » (Gn 4, 7). Caïn, toutefois, refuse de s’opposer au mal et décide de « se jeter sur son frère Abel » (Gn 4, 8), méprisant le projet de Dieu. Il lèse ainsi sa vocation originaire à être fils de Dieu et à vivre la fraternité. Le récit de Caïn et d’Abel enseigne que l’humanité porte inscrite en elle une vocation à la fraternité, mais aussi la possibilité dramatique de sa trahison. En témoigne l’égoïsme quotidien qui est à la base de nombreuses guerres et de nombreuses injustices : beaucoup d’hommes et de femmes meurent en effet par la main de frères et de sœurs qui ne savent pas se reconnaître tels, c’est-à-dire comme des êtres faits pour la réciprocité, pour la communion et pour le don. « Et vous êtes tous des frères » (Mt 23, 8) 3. La question surgit spontanément : les hommes et les femmes de ce monde ne pourront-ils jamais correspondre pleinement à la soif de fraternité, inscrite en eux par Dieu Père ? Réussiront-ils avec leurs seules forces à vaincre l’indifférence, l’égoïsme et la haine, à accepter les différences légitimes qui caractérisent les frères et les sœurs ? En paraphrasant ses paroles, nous pourrions synthétiser ainsi la réponse que nous donne le Seigneur Jésus : puisqu’il y a un seul Père qui est Dieu, vous êtes tous des frères (cf. Mt 23, 8-9). La racine de la fraternité est contenue dans la paternité de Dieu. Il ne s’agit pas d’une paternité générique, indistincte et inefficace historiquement, mais bien de l’amour personnel, précis et extraordinairement concret de Dieu pour chaque homme (cf. Mt 6, 25-30). Il s’agit donc d’une paternité efficacement génératrice de fraternité, parce que l’amour de Dieu, quand il est accueilli, devient le plus formidable agent de transformation de l’existence et des relations avec l’autre, ouvrant les hommes à la solidarité et au partage agissant. En particulier, la fraternité humaine est régénérée en et par Jésus Christ dans sa mort et résurrection. La croix est le “lieu” définitif de fondation de la fraternité, que les hommes ne sont pas en mesure de générer tout seuls. Jésus Christ, qui a assumé la nature humaine pour la racheter, en aimant le Père jusqu’à la mort, et à la mort de la croix (cf. Ph 2, 8), nous constitue par sa résurrection comme humanité nouvelle, en pleine communion avec la volonté de Dieu, avec son projet, qui comprend la pleine réalisation de la vocation à la fraternité. Jésus reprend depuis le commencement le projet du Père, en lui reconnaissant le primat sur toutes choses. Mais le Christ, dans son abandon à la mort par amour du Père, devient principe nouveau et définitif de nous tous, appelés à nous reconnaître en Lui comme frères parce qu’enfants du même Père. Il est l’Alliance même, l’espace personnel de la réconciliation de l’homme avec Dieu et des frères entre eux. Dans la mort en croix de Jésus, il y a aussi le dépassement de la séparation entre peuples, entre le peuple de l’Alliance et le peuple des Gentils, privé d’espérance parce que resté étranger jusqu’à ce moment aux engagements de la Promesse. Comme on lit dans la Lettre aux Éphésiens, Jésus Christ est celui qui réconcilie en lui tous les hommes. Il est la paix puisque des deux peuples il en a fait un seul, abattant le mur de séparation qui les divisait, c’est-à-dire l’inimitié. Il a créé en lui-même un seul peuple, un seul homme nouveau, une seule humanité nouvelle (cf. 2, 14-16). Celui qui accepte la vie du Christ et vit en Lui, reconnaît Dieu comme Père et se donne lui-même totalement à Lui, en l’aimant au-dessus de toute chose. L’homme réconcilié voit en Dieu le Père de tous et, par conséquent, il est incité à vivre une fraternité ouverte à tous. Dans le Christ, l’autre est accueilli et aimé en tant que fils ou fille de Dieu, comme frère ou sœur, non comme un étranger, encore moins comme un antagoniste ou même un ennemi. Dans la famille de Dieu, où tous sont enfants d’un même Père, et parce que greffés dans le Christ, fils dans le Fils, il n’y a pas de “vies de déchet”. Tous jouissent d’une dignité égale et intangible. Tous sont aimés de Dieu, tous ont été rachetés par le sang du Christ, mort et ressuscité pour chacun. C’est la raison pour laquelle on ne peut rester indifférent au sort des frères. La fraternité, fondement et route pour la paix 4. Cela posé, il est facile de comprendre que la fraternité est fondement et route pour la paix. Les Encycliques sociales de mes prédécesseurs offrent une aide précieuse dans ce sens. Il serait suffisant de se référer aux définitions de la paix de Populorum progressio de Paul VI ou de Sollicitudo rei socialis de Jean-Paul II. De la première nous retirons que le développement intégral des peuples est le nouveau nom de la paix.[3] De la seconde, que la paix est opus solidaritatis.[4] Paul VI affirmait que non seulement les personnes mais aussi les nations doivent se rencontrer dans un esprit de fraternité. Et il explique : « Dans cette compréhension et cette amitié mutuelles, dans cette communion sacrée, nous devons […] œuvrer ensemble pour édifier l’avenir commun de l’humanité ».[5] Ce devoir concerne en premier lieu les plus favorisés. Leurs obligations sont enracinées dans la fraternité humaine et surnaturelle et se présentent sous un triple aspect : le devoir de solidarité, qui exige que les nations riches aident celles qui sont moins avancées ; le devoir de justice sociale qui demande la recomposition en termes plus corrects des relations défectueuses entre peuples forts et peuples faibles ; le devoir de charité universelle, qui implique la promotion d’un monde plus humain pour tous, un monde dans lequel tous aient quelque chose à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns constitue un obstacle au développement des autres.[6] Ainsi, si on considère la paix comme opus solidaritatis, de la même manière, on ne peut penser en même temps, que la fraternité n’en soit pas le fondement principal. La paix, affirme Jean-Paul II, est un bien indivisible. Ou c’est le bien de tous ou il ne l’est de personne. Elle peut être réellement acquise et goûtée, en tant que meilleure qualité de la vie et comme développement plus humain et durable, seulement si elle crée de la part de tous, « une détermination ferme et persévérante à s’engager pour le bien commun »[7]. Cela implique de ne pas se laisser guider par « l’appétit du profit » et par « la soif du pouvoir ». Il faut avoir la disponibilité de « “se perdre” en faveur de l’autre au lieu de l’exploiter, et de “le servir” au lieu de l’opprimer pour son propre avantage. […] L’“autre” – personne, peuple ou nation – [n’est pas vu] comme un instrument quelconque dont on exploite à peu de frais la capacité de travail et la résistance physique pour l’abandonner quand il ne sert plus, mais comme notre “semblable”, une “aide”.[8] La solidarité chrétienne suppose que le prochain soit aimé non seulement comme « un être humain avec ses droits et son égalité fondamentale à l’égard de tous, mais [comme] l’image vivante de Dieu le Père, rachetée par le sang du Christ et objet de l’action constante de l’Esprit Saint »[9], comme un autre frère. « Alors – rappelle Jean-Paul II – la conscience de la paternité commune de Dieu, de la fraternité de tous les hommes dans le Christ, “fils dans le Fils”, de la présence et de l’action vivifiante de l’Esprit Saint, donnera à notre regard sur le monde comme un nouveau critère d’interprétation »,[10] pour le transformer. Fraternité, prémisse pour vaincre la pauvreté 5. Dans Caritas in veritate, mon Prédécesseur rappelait au monde combien le manque de fraternité entre les peuples et les hommes est une cause importante de la pauvreté.[11] Dans de nombreuses sociétés, nous expérimentons une profonde pauvreté relationnelle due à la carence de solides relations familiales et communautaires. Nous assistons avec préoccupation à la croissance de différents types de malaise, de marginalisation, de solitude et de formes variées de dépendance pathologique. Une semblable pauvreté peut être dépassée seulement par la redécouverte et la valorisation de rapports fraternels au sein des familles et des communautés, à travers le partage des joies et des souffrances, des difficultés et des succès qui accompagnent la vie des personnes. En outre, si d’un côté on rencontre une réduction de la pauvreté absolue, d’un autre, on ne peut pas ne pas reconnaître une grave croissance de la pauvreté relative, c’est-à-dire des inégalités entre personnes et groupes qui vivent dans une même région, ou dans un même contexte historico-culturel. En ce sens, sont aussi utiles des politiques efficaces qui promeuvent le principe de la fraternité, assurant aux personnes – égales dans leur dignité et dans leurs droits fondamentaux – d’accéder aux « capitaux », aux services, aux ressources éducatives, sanitaires, technologiques afin que chacun ait l’opportunité d’exprimer et de réaliser son projet de vie, et puisse se développer pleinement comme personne. On reconnaît aussi la nécessité de politiques qui servent à atténuer une répartition inéquitable excessive du revenu. Nous ne devons pas oublier l’enseignement de l’Église sur ce qu’on appelle l’hypothèque sociale, sur la base de laquelle, comme le dit saint Thomas d’Aquin, il est permis et même nécessaire « que l’homme ait la propriété des biens »[12], quant à l’usage, « il ne doit jamais tenir les choses qu’il possède comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes, en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux autres ».[13] Enfin, il y a une dernière manière de promouvoir la fraternité – et ainsi de vaincre la pauvreté – qui doit être à la base de toutes les autres. C’est le détachement de celui qui choisit d’adopter des styles de vie sobres et basés sur l’essentiel, de celui qui, partageant ses propres richesses, réussit ainsi à faire l’expérience de la communion fraternelle avec les autres. Cela est fondamental pour suivre Jésus Christ et être vraiment des chrétiens. C’est le cas non seulement des personnes consacrées qui font vœux de pauvreté, mais aussi de nombreuses familles et de nombreux citoyens responsables, qui croient fermement que c’est la relation fraternelle avec le prochain qui constitue le bien le plus précieux. La redécouverte de la fraternité dans l’économie. 6. Les graves crises financières et économiques contemporaines – qui trouvent leur origine, d’un côté dans l’éloignement progressif de l’homme vis-à-vis de Dieu et du « prochain », ainsi que dans la recherche avide des bien matériels, et, de l’autre, dans l’appauvrissement des relations interpersonnelles et communautaires – ont poussé de nombreuses personnes à rechercher la satisfaction, le bonheur et la sécurité dans la consommation et dans le gain, au-delà de toute logique d’une saine économie. Déjà en 1979 Jean Paul II dénonçait l’existence d’ « un danger réel et perceptible : tandis que progresse énormément la domination de l’homme sur le monde des choses, l’homme risque de perdre les fils conducteurs de cette domination, de voir son humanité soumise de diverses manières à ce monde, et de devenir ainsi lui-même l’objet de manipulations multiformes – pas toujours directement perceptibles – à travers toute l’organisation de la vie communautaire, à travers le système de production, par la pression des moyens de communication sociale ».[14] La succession des crises économiques doit conduire à d’opportunes nouvelles réflexions sur les modèles de développement économique, et à un changement dans les modes de vie. La crise d’aujourd’hui, avec son lourd héritage pour la vie des personnes, peut être aussi une occasion propice pour retrouver les vertus de prudence, de tempérance, de justice et de force. Elles peuvent aider à dépasser les moments difficiles et à redécouvrir les liens fraternels qui nous lient les uns aux autres, avec la confiance profonde dont l’homme a besoin et est capable de quelque chose de plus que la maximalisation de ses propres intérêts individuels. Surtout ces vertus sont nécessaires pour construire et maintenir une société à la mesure de la dignité humaine. La fraternité éteint la guerre 7. Dans l’année qui vient de s’écouler, beaucoup de nos frères et sœurs ont continué à vivre l’expérience déchirante de la guerre, qui constitue une grave et profonde blessure portée à la fraternité. Nombreux sont les conflits qui se poursuivent dans l’indifférence générale. Á tous ceux qui vivent sur des terres où les armes imposent terreur et destructions, j’assure ma proximité personnelle et celle de toute l’Église. Cette dernière a pour mission de porter la charité du Christ également aux victimes sans défense des guerres oubliées, à travers la prière pour la paix, le service aux blessés, aux affamés, aux réfugiés, aux personnes déplacées et à tous ceux qui vivent dans la peur. L’Église élève aussi la voix pour faire parvenir aux responsables le cri de douleur de cette humanité souffrante, et pour faire cesser, avec les hostilités, tout abus et toute violation des droits fondamentaux de l’homme[15]. Pour cette raison, je désire adresser un appel fort à tous ceux qui, par les armes, sèment la violence et la mort : redécouvrez votre frère en celui qu’aujourd’hui vous considérez seulement comme un ennemi à abattre, et arrêtez votre main ! Renoncez à la voie des armes et allez à la rencontre de l’autre par le dialogue, le pardon, et la réconciliation, pour reconstruire la justice, la confiance et l’espérance autour de vous ! « Dans cette optique, il apparaît clair que, dans la vie des peuples, les conflits armés constituent toujours la négation délibérée de toute entente internationale possible, en créant des divisions profondes et des blessures déchirantes qui ont besoin de nombreuses années pour se refermer. Les guerres constituent le refus concret de s’engager pour atteindre les grands objectifs économiques et sociaux que la communauté internationale s’est donnée »[16]. Cependant, tant qu’il y aura une si grande quantité d’armement en circulation, comme actuellement, on pourra toujours trouver de nouveaux prétextes pour engager les hostilités. Pour cette raison, je fais mien l’appel de mes prédécesseurs en faveur de la non prolifération des armes et du désarmement de la part de tous, en commençant par le désarmement nucléaire et chimique. Mais nous ne pouvons pas ne pas constater que les accords internationaux et les lois nationales, bien que nécessaires et hautement souhaitables, ne sont pas suffisants à eux seuls pour mettre l’humanité à l’abri du risque de conflits armés. Une conversion des cœurs est nécessaire, qui permette à chacun de reconnaître dans l’autre un frère dont il faut prendre soin, avec lequel travailler pour construire une vie en plénitude pour tous. Voilà l’esprit qui anime beaucoup d’initiatives de la société civile, y compris les organisations religieuses, en faveur de la paix. Je souhaite que l’engagement quotidien de tous continue à porter du fruit et que l’on puisse parvenir à l’application effective, dans le droit international, du droit à la paix, comme droit humain fondamental, condition préalable nécessaire à l’exercice de tous les autres droits. La corruption et le crime organisé contrecarrent la fraternité 8. L’horizon de la fraternité renvoie à la croissance en plénitude de tout homme et de toute femme. Les justes ambitions d’une personne, surtout si elle est jeune, ne doivent pas être frustrées ni blessées, l’espérance de pouvoir les réaliser ne doit pas être volée. Cependant, l’ambition ne doit pas être confondue avec la prévarication. Au contraire, il convient de rivaliser dans l’estime réciproque (cf. Rm 12, 10). De même, dans les querelles, qui sont un aspect inévitable de la vie, il faut toujours se rappeler d’être frères, et, en conséquence, éduquer et s’éduquer à ne pas considérer le prochain comme un ennemi ou comme un adversaire à éliminer. La fraternité génère la paix sociale, parce qu’elle crée un équilibre entre liberté et justice, entre responsabilité personnelle et solidarité, entre bien des individus et bien commun. Une communauté politique doit, alors, agir de manière transparente et responsable pour favoriser tout cela. Les citoyens doivent se sentir représentés par les pouvoirs publics dans le respect de leur liberté. Inversement, souvent, entre citoyen et institutions, se glissent des intérêts de parti qui déforment cette relation, favorisant la création d’un climat de perpétuel conflit. Un authentique esprit de fraternité est vainqueur de l’égoïsme individuel qui empêche les personnes de vivre entre elles librement et harmonieusement. Cet égoïsme se développe socialement, soit dans les multiples formes de corruption, aujourd’hui partout répandues, soit dans la formation des organisations criminelles – des petits groupes jusqu’aux groupes organisés à l’échelle globale – qui, minant en profondeur la légalité et la justice, frappent au cœur la dignité de la personne. Ces organisations offensent gravement Dieu, nuisent aux frères et lèsent la création, et encore plus lorsqu’elles ont une connotation religieuse. Je pense au drame déchirant de la drogue sur laquelle on s’enrichit dans le mépris des lois morales et civiles, à la dévastation des ressources naturelles et à pollution en cours, à la tragédie de l’exploitation dans le travail. Je pense aux trafics illicites d’argent comme à la spéculation financière, qui souvent prend un caractère prédateur et nocif pour des systèmes économiques et sociaux entiers, exposant des millions d’hommes et de femmes à la pauvreté. Je pense à la prostitution qui chaque jour fauche des victimes innocentes, surtout parmi les plus jeunes, leur volant leur avenir. Je pense à l’abomination du trafic des êtres humains, aux délits et aux abus contre les mineurs, à l’esclavage qui répand encore son horreur en tant de parties du monde, à la tragédie souvent pas entendue des migrants sur lesquels on spécule indignement dans l’illégalité. Jean XXIII a écrit à ce sujet : « Une société fondée uniquement sur des rapports de force n’aurait rien d’humain : elle comprimerait nécessairement la liberté des hommes, au lieu d’aider et d’encourager celle-ci à se développer et à se perfectionner »[17]. Mais l’homme peut se convertir et il ne faut jamais désespérer de la possibilité de changer de vie. Je voudrais que ce message soit un message de confiance pour tous, aussi pour ceux qui ont commis des crimes atroces, parce que Dieu ne veut pas la mort du pêcheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive (cf. Ez 18, 23). Dans le vaste contexte de la société humaine, en ce qui concerne le délit et la peine, on pense aussi aux conditions inhumaines de tant de prisons, où le détenu est souvent réduit à un état sous-humain, sa dignité d’homme se trouvant violée, étouffé aussi dans son expression et sa volonté de rachat. L’Église fait beaucoup dans tous ces domaines, et le plus souvent en silence. J’exhorte et j’encourage à faire toujours plus, dans l’espérance que de telles actions mises en œuvre par tant d’hommes et de femmes courageux puissent être toujours plus loyalement et honnêtement soutenues aussi par les pouvoirs civils. La fraternité aide à garder et à cultiver la nature 9. La famille humaine a reçu en commun un don du Créateur : la nature. La vision chrétienne de la création comporte un jugement positif sur la licéité des interventions sur la nature pour en tirer bénéfice, à condition d’agir de manière responsable, c’est-à-dire en en reconnaissant la “grammaire”qui est inscrite en elle, et en utilisant sagement les ressources au bénéfice de tous, respectant la beauté, la finalité et l’utilité de chaque être vivant et de sa fonction dans l’écosystème. Bref, la nature est à notre disposition, et nous sommes appelés à l’administrer de manière responsable. Par contre, nous sommes souvent guidés par l’avidité, par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, de tirer profit ; nous ne gardons pas la nature, nous ne la respectons pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin et mettre au service des frères, y compris les générations futures. En particulier, le secteur agricole est le secteur productif premier qui a la vocation vitale de cultiver et de garder les ressources naturelles pour nourrir l’humanité. À cet égard, la persistance honteuse de la faim dans le monde m’incite à partager avec vous cette demande : de quelle manière usons-nous des ressources de la terre ? Les sociétés doivent aujourd’hui réfléchir sur la hiérarchie des priorités auxquelles on destine la production. En effet, c’est un devoir contraignant d’utiliser les ressources de la terre de manière à ce que tous soient délivrés de la faim. Les initiatives et les solutions possibles sont nombreuses et ne se limitent pas à l’augmentation de la production. Il est bien connu que celle-ci est actuellement suffisante ; et pourtant il y a des millions de personnes qui souffrent et meurent de faim, et ceci est un vrai scandale. Il est donc nécessaire de trouver les moyens pour que tous puissent bénéficier des fruits de la terre, non seulement pour éviter que s’élargisse l’écart entre celui qui a plus et celui qui doit se contenter des miettes, mais aussi et surtout en raison d’une exigence de justice, d’équité et de respect envers tout être humain. En ce sens, je voudrais rappeler à tous cette nécessaire destination universelle des biens qui est un des principes cardinaux de la doctrine sociale de l’Église. Respecter ce principe est la condition essentielle pour permettre un efficace et équitable accès à ces biens essentiels et premiers dont tout homme a besoin et a droit.

Conclusion 10. La fraternité a besoin d’être découverte, aimée, expérimentée, annoncée, et témoignée. Mais c’est seulement l’amour donné par Dieu qui nous permet d’accueillir et de vivre pleinement la fraternité. Le nécessaire réalisme de la politique et de l’économie ne peut se réduire à une technique privée d’idéal, qui ignore la dimension transcendante de l’homme. Quand manque cette ouverture à Dieu, toute activité humaine devient plus pauvre et les personnes sont réduites à un objet dont on tire profit. C’est seulement si l’on accepte de se déplacer dans le vaste espace assuré par cette ouverture à Celui qui aime chaque homme et chaque femme, que la politique et l’économie réussiront à se structurer sur la base d’un authentique esprit de charité fraternelle et qu’elles pourront être un instrument efficace de développement humain intégral et de paix. Nous les chrétiens nous croyons que dans l’Église nous sommes tous membres les uns des autres, tous réciproquement nécessaires, parce qu’à chacun de nous a été donnée une grâce à la mesure du don du Christ, pour l’utilité commune (cf. Ep 4, 7.25 ; 1Co 12, 7). Le Christ est venu dans le monde pour nous apporter la grâce divine, c’est-à-dire la possibilité de participer à sa vie. Ceci implique de tisser une relation fraternelle, empreinte de réciprocité, de pardon, de don total de soi, selon la grandeur et la profondeur de l’amour de Dieu offert à l’humanité par celui qui, crucifié et ressuscité, attire tout à lui : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35). C’est cette bonne nouvelle qui réclame de chacun un pas de plus, un exercice persistant d’empathie, d’écoute de la souffrance et de l’espérance de l’autre, y compris de celui qui est plus loin de moi, en s’engageant sur le chemin exigeant de l’amour qui sait se donner et se dépenser gratuitement pour le bien de tout frère et de toute sœur. Le Christ embrasse tout l’homme et veut qu’aucun ne se perde. « Dieu a envoyé son fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 17). Il le fait sans opprimer, sans contraindre personne à lui ouvrir les portes de son cœur et de son esprit. « Le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place de celui qui sert » – dit Jésus-Christ – « moi je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 26.27). Toute activité doit être, alors, contresignée d’une attitude de service des personnes, spécialement celles qui sont les plus lointaines et les plus inconnues. Le service est l’âme de cette fraternité qui construit la paix. Que Marie, Mère de Jésus, nous aide à comprendre et à vivre tous les jours la fraternité qui surgit du cœur de son Fils, pour porter la paix à tout homme sur notre terre bien-aimée.

Du Vatican, le 8 décembre 2013.

LE « VISAGE » DE DIEU ET DE L’HOMME, CLEF DE LECTURE POUR LA PAIX

22 juin, 2011

du site:

http://www.zenit.org/article-23105?l=french

LE « VISAGE » DE DIEU ET DE L’HOMME, CLEF DE LECTURE POUR LA PAIX

Messe de la solennité de Marie, Mère de Dieu et Journée mondiale de la Paix

ROME, Vendredi 1er janvier 2010 (ZENIT.org) – Pour le pape Benoît XVI, le « visage », celui de Dieu et celui de l’homme, constitue une clef de lecture pour la question de la paix, car la paix « commence par un regard respectueux ». Le pape indique la direction : l’humanité est appelée à devenir « une famille de familles et de peuples ». Et il indique les moyens : se convertir « à des projets de paix » et « investir dans l’éducation ».
Le pape Benoît XVI a centré son homélie pour la messe de la solennité de Marie Mère de Dieu, célébrée en la basilique vaticane, en ce 1er janvier 2010, 43e Journée mondiale de la Paix, sur le thème du visage.
Ce thème lui a été inspiré par la bénédiction du livre des Nombres « Que le Seigneur tourne vers vous son visage et vous accorde de la paix » (cf. Nb 6,26).
Visage de l’homme, visage de Dieu
« Le visage, a expliqué le pape, est l’expression par excellence de la personne, ce qui la rend reconnaissable, et où transparaissent les sentiments, les pensées, les intentions du cœur. Dieu, par nature, est invisible, cependant la Bible applique cette image à lui aussi. Montrer son visage, c’est l’expression de sa bienveillance, alors que le cacher, indique sa colère, son indignation. »
Soulignant que les psaumes indiquent ce « désir » de l’homme de voir le visage de Dieu, le pape ajoute que « tout le récit biblique peut être lu comme un dévoilement progressif du visage de Dieu, jusqu’à arriver à sa pleine manifestation dans le Christ. »
Car, explique le pape, dans le Christ, « le visage de Dieu a pris un visage humain, en se laissant voir et reconnaître dans le fils de la Vierge Marie, que nous vénérons pour cela avec le titre très haut de « Mère de Dieu ». Elle qui a gardé dans son cœur le secret de la maternité divine, a été la première à voir le visage de Dieu fait homme dans le petit fruit de son sein. La mère a un rapport très spécial, unique et d’une certaine façon exclusive avec le fils à peine né. Le premier visage que l’enfant voit est celui de sa mère, et ce regard est décisif pour son rapport à la vie, à soi-même, aux autres et à Dieu ; il est décisif aussi pour qu’il puisse devenir un « fils de la paix » (Lc 10, 6). » Une voie privilégiée qui conduit à la paix
Le pape a ensuite offert une méditation sur les icônes dites de la « tendresse », où le visage de la Vierge et de l’Enfant s’embrassent et le pape a souligné que cette Vierge de la tendresse représente aussi l’Eglise.
Mais revenant au thème de l’homélie, le pape a voulu affirmer à nouveau : « méditer sur le mystère du visage de Dieu et de l’homme est une voie privilégiée qui conduit à la paix », car la paix « commence par un regard respectueux qui reconnaît dans le visage de l’autre une personne, quelle que soit la couleur de sa peau, sa nationalité, sa langue, sa religion ».
Benoît XVI relie le visage humain et la présence de Dieu : « Mais qui, sinon Dieu, fait observer le pape, peut garantir, pour ainsi dire, la « profondeur » du visage de l’homme ? En réalité, ce n’est que lorsque nous avons Dieu dans notre cœur que nous sommes en mesure d’accueillir dans le visage de l’autre un frère en humanité, non un moyen mais une fin, non un rival ou un ennemi, mais un autre moi-même, une facette du mystère infini de l’être humain ».
Il souligne cette présence de Dieu dans l’homme : « Notre perception du monde et, en particulier, de nos semblables, dépend esentiellement de la présence en nous de l’Esprit de Dieu (…). Plus nous sommes habité par Dieu et plus nous sommes aussi sensibles à sa présence dans ce qui nous entoure : dans toutes les créatures et spécialement dans les autres hommes, bien que parfois justement le visage humain, marqué par la dureté de la vie et du mal, puisse être difficile à apprécier et à accueillir comme une épiphanie de Dieu ».
L’éducation au respect de l’autre
Benoît XVI médite sur l’universalité de la fraternité qui tire son origine de la paternité divine : « A plus forte raison, renchérit le pape, pour nous reconnaître et nous respecter tels que nous sommes vraiment, c’est-à-dire des frères, nous avons besoin de nous référer au visage d’un Père commun, qui nous aime tous, en dépit de nos limites et de nos erreurs ».
Il en appelle à une vraie éducation : un thème cher au pape, qui l’a indiqué comme une priorité pastorale de son diocèse de Rome. Il explique : « Dès la petite enfance, il est important d’être éduqués au respect de l’autre, même lorsqu’il est différent. Désormais l’expérience de classes composées d’enfants de différentes nationalités est de plus en plus commune, mais même lorsque ce n’est pas le cas, leurs visages sont une prophétie de l’humanité qui nous sommes appelés à former : une famille de familles et de peuples. »
Les douloureuses images des enfants du monde
Les visages des enfants, souligne encore le pape « sont comme un reflet de la vision de Dieu sur le monde : pourquoi alors éteindre leurs sourires ? Pourquoi empoisonner leur cœurs ? »
« Hélas, fait observer le pape, l’icône de la Mère de Dieu de la tendresse trouve son contraire tragique dans les douloureuses images de tant d’enfants et de leurs mères en proie à la guerre et aux violences : déplacés, réfugiés, migrants forcés. Des visage creusés par la faim et les maladies, des visages défigurés par la douleur et par le désespoir. Les visages des petits innocents sont un appel silencieux à notre responsabilité : face à leur situation sans défense, toutes les fausses justifications de la guerre et de la violence s’écroulent. »
Un monde plus digne de l’homme
Le pape en tire cette conséquence immédiate : « Nous devons nous convertir à des projets de paix, déposer les armes en tout genre, et nous engager tous ensemble à constuire un monde plus digne de l’homme ».
Benoît XVI a replacé le thème de son message pour cette 43e Journée mondiale de la Paix – « Si tu veux construire la paix, protège la création » – à l’intérieur de cette perspective du visage de Dieu et du visage de l’homme.
« L’homme, a déclaré le pape, est capable de respecter les créatures dans la mesure où il porte dans son esprit un sens plénier de la vie, autrement, il sera porté à se mépriser lui-même et ce qui l’entoure, à ne pas respecter l’environnement dans lequel il vit, la création ».
« Qui sait reconnaître dans le cosmos le reflet du visage invisible du Crateur, est porté à avoir un plus grand amour des créatures, une plus grande sensibilité à leur valeur symbolique », a affirmé le pape – non sans des accents franciscains -, en citant les psaumes et en soulignant la dimension « cosmique » de la fête de Noël.
Il rappelle ce qu’il entend, dans son message par « écologie humaine » et le « lien très étroit entre respect de l’homme et sauvegarde de la création », diagnostiquant que la « culture qui tend vers un nihilisme pratique, sinon théorique » en fait « payer les conséquences » à la nature (cf. Enc. Caritas in veritate, 51).
Le pape « renouvelle » son « appel à investir dans l’éducation, en proposant comme objectif, outre la nécessaire transmission de notions techniques et scientifiques, une « responsabilité écologique » plus ample et plus approfondie, fondée sur le respect de l’homme et de ses droits et de ses devoirs fondamentaux. »
C’est, conclut le pape, la condition pour qu’un « engagement pour l’environnement » devienne « éducation à la paix et construction de la paix ».
Anita S. Bourdin