TRACES GÉOLOGIQUES – DU DÉLUGE
25 février, 2016http://bible.archeologie.free.fr/delugegeologie.html
TRACES GÉOLOGIQUES – DU DÉLUGE
Le Déluge mésopotamien
En fouillant en 1929 les ruines de l’ancienne cité d’Ur en Mésopotamie, l’archéologue britannique Sir Leonard Woolley fit une découverte sensationnelle. Creusant une tranchée profonde pour reconnaître les plus anciens niveaux d’occupation, il trouva au fond du puits de sondage une couche d’argile stérile. La transition dans la nature du sous-sol était nette, le niveau d’occupation archéologique étant soudain remplacé par de l’argile pure exempte de toute trace de vie humaine. Cela signifiait à première vue que l’on avait atteint le sol vierge. Mais Woolley décida de faire continuer à creuser, et son ouvrier plutôt sceptique s’exécuta non sans une certaine mauvaise humeur. Ayant dégagé de l’argile pure sur plus de trois mètres de profondeur supplémentaires, il vit à sa grande surprise l’argile s’interrompre brusquement pour laisser apparaître un deuxième niveau archéologique contenant d’autres traces d’occupation humaine. Cette couche inférieure correspondait aux vestiges d’une seconde cité plus ancienne, les tessons de céramique présents dans cette strate montrant que les poteries avaient été façonnées à la main, alors que celles de la ville située au niveau supérieur avaient été confectionnées avec la technique du tour de potier [1].
La Mésopotamie antique
Comment expliquer la présence d’une épaisse couche de sédiments intercalée entre deux terrains riches en vestiges d’habitations ? Pour Woolley, cette couche d’argile ne pouvait être qu’un ancien dépôt boueux, qui avait dû se déposer lors d’une importante inondation. Mais en considérant l’impressionnante épaisseur de la couche, il eut l’idée de proposer une hypothèse audacieuse : c’était le déluge de Noé. La stratigraphie impliquait à l’évidence que deux cités antiques avaient été bâties successivement au même endroit à deux époques différentes. Pour vérifier son hypothèse, Woolley fit faire d’autres sondages dans le même secteur. La moitié des forages qui furent réalisés (quatorze en tout) montrait le même type de dépôt, quoique d’épaisseurs différentes selon l’altimétrie. Les plus grandes épaisseurs (jusqu’à 3,70 m) correspondaient aux dépôts les moins élevés en altitude. A l’aide des céramiques, il put estimer l’âge de la couche d’argile à environ 3500 av. J.-C. [2].
L’archéologue Leonard Woolley
La large plaine du Tigre et de l’Euphrate constitue une immense zone inondable. Encadrée par la chaîne montagneuse du Zagros au nord-est, les monts Ararat au nord et les pentes désertiques de l’Arabie au sud-ouest, elle draine les eaux de ravinement d’un immense territoire ; en cas de pluies exceptionnelles dans ces régions, la vallée irakienne est rapidement en crue. Woolley et ses collaborateurs imaginèrent que le Déluge de la Bible a pu correspondre à une inondation de ce genre, affectant toute ou une grande partie de la Mésopotamie. Pour estimer son étendue, il fallait entreprendre de nouveaux sondages dans d’autres cités chaldéennes voisines. Ce fut le travail de plusieurs autres missions archéologiques qui s’y attelèrent durant les années 1920-1930. – A Kish, située au nord de Ur, une équipe anglo-américaine dirigée par Stephen Langdon fouilla les ruines de la ville entre 1923 et 1932. Elle trouva là aussi des couches alluviales intercalées entre plusieurs niveaux archéologiques. Elles étaient cependant moins épaisses qu’à Ur, réparties sur trois ou quatre niveaux différents et elles furent datées dans une tranche d’âge plus récente, entre 3200 et 3000 av. J.-C. [3]. – A Shuruppak (l’actuelle Tell Fara), le docteur Eric Schmidt de l’Université de Pennsylvanie trouva en 1931, entre plusieurs strates historiques, un lit d’argile d’une épaisseur de soixante centimètres, datant d’à peu près 2900 avant notre ère. Ce dépôt était constitué de treize couches de sable et d’argile alternées [4]. – A Uruk, des fouilles entreprises par l’archéologue Julius Jordan, de la Deutsche Orient Gesellschaft, mirent en évidence en 1929 un dépôt sédimentaire épais d’un mètre cinquante, remontant à 2800 ans environ av. J.-C. [5][6]. – A Ninive, qui fut fouillée en 1931 et 1932 par l’archéologue britannique Max Mallowan, un ou plusieurs niveaux d’argile apparurent sur une hauteur de deux mètres, difficiles à dater, peut-être entre 5500 et 3100 avant notre ère [7]. – A Lagash, l’archéologue français André Parrot signala un dépôt d’argile qui semblait dater d’autour de 2800 av. J.-C. [8].
Le Déluge mésopotamien
Ces résultats sont cependant à nuancer, car d’autres cités mésopotamiennes également fouillées n’ont pas révélé de telles couches alluviales. C’est le cas d’Eridu, proche de Ur de douze kilomètres seulement et qui n’a livré aucune trace d’inondation de ce type. D’autre part, on voit bien que les âges attribués aux dépôts alluviaux ne coïncident pas. Si l’on tient compte de ces écarts, les inondations apparaissent comme très locales, et dès lors l’hypothèse d’un déluge unique affectant toute la Mésopotamie devient plus improbable. A-t-on creusé suffisamment profond ? Quoi qu’il en soit, l’ensemble des dates attribuées aux dépôts ainsi mis en évidence s’étendent sur une gamme de 5500 à 2800 av. J.-C. Cette fenêtre chronologique est plus ou moins cohérente avec les informations données par les tablettes cunéiformes. En effet, la liste royale sumérienne précise que la capitale changea de Shuruppak à Kish juste après le Déluge. Un tel changement de capitale et de dynastie semble effectivement avoir eu lieu historiquement vers 2900 av. J.-C. Par ailleurs, dans les trois versions du Déluge tirées des tablettes cunéiformes, le héros est un habitant de Shuruppak, ville dont les ruines ont livré un dépôt d’argile de soixante centimètres et datant d’environ 2900. C’est donc autour de 2900 que semble se dessiner la meilleure convergence de données. En définitive, la conclusion de l’enquête semble revenir à l’assyriologue Samuel Noah Kramer, de l’Université de Pennsylvanie, qui en 1967 écrivait [9] : (…) L’histoire du déluge mésopotamien, et la version de l’Ancien Testament qui en provient, fut inspirée par un désastre réellement catastrophique, mais aucunement universel, qui eut lieu non pas immédiatement après la période d’Ubaid (c’est-à-dire vers 3500 av. J.-C.) comme Woolley l’a déclaré, mais plutôt autour de 3000, et qui laissa des traces à Kish, Shuruppak et probablement en de nombreux autres sites restant à découvrir ».
Le Déluge et la mer Noire
Une théorie alternative tentant de relier le Déluge biblique à des indices géologiques a été proposée bien plus récemment par deux géologues américains de l’Université de Columbia. En 1998, William Ryan et Walter Pitman formulèrent l’hypothèse d’une inondation exceptionnelle qui aurait eu lieu non pas en Mésopotamie, mais en mer Noire. Ils s’appuyaient sur les résultats des missions scientifiques marines de l’International Ocean Drilling Program, qui ont mis en évidence au fond de la mer Noire de curieux indices, suggérant que dans la période préhistorique cette mer n’existait pas, et qu’il y avait à sa place un ancien lac. Des plages de galets englouties, des coquillages d’eau douce et des traces d’aménagements humains rudimentaires dorment en effet au fond de la mer. Pou expliquer la présence de ces éléments immergés, les océanographes ont mis l’idée que la mer Noire se serait remplie brusquement, conséquence indirecte de la fin de la dernière glaciation d’il y a 10 000 ans. En effet, à chaque réchauffement climatique, la fonte des glaces provoque une lente remontée générale du niveau des mers. L’eau de la Méditerranée aurait alors rompu le barrage naturel que devait constituer l’actuel détroit du Bosphore. Des millions de tonnes d’eau se seraient déversés dans la dépression, engloutissant les populations qui y vivaient. C’est à cet évènement supposé que les deux chercheurs tentent de relier le Déluge de la Bible [10][11].
Ce rapprochement présente plusieurs points faibles, les caractéristiques de cette catastrophe différant nettement du récit biblique par plusieurs aspects. Il s’agit d’abord de l’ouverture d’un immense barrage et non pas de pluies torrentielles. Ensuite l’évènement décrit peut difficilement être relié aux témoignages des tablettes cunéiformes chaldéennes. En outre, l’évènement de la mer Noire peut paraître trop ancien pour avoir été enregistré dans la mémoire humaine (l’écriture fut inventée vers 3300 av. J.-C.). Enfin, l’aspect brutal du déversement d’eau reste à confirmer. Il n’est donc pas certain que la naissance de la mer Noire et le Déluge Biblique représentent le même évènement.
Références (sur le site)