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APPORT DU JUDAISME À LA LITURGIE CHRÉTIENNE DU MARIAGE – POINTS DE CONTACT ET RUPTURE
ADRIEN NOCENT
L’espace habituellement accordé à un article ne permet évidemment pas de traiter ce sujet dans sa totalité ni même dans ses dimensions bibliques, liturgiques, théologiques et culturelles. Je retiendrai ici quelques éléments qui intéressent particulièrement, me semble-t-il, cette revue.
Rappel de quelques points fondamentaux
Quand on parle de la liturgie chrétienne du mariage, il convient de distinguer, dès la IVe siècle, les liturgies orientales de celles d’Occident. Dans le cas présent cette distinction est d’autant plus importante qu’elle comporte, de la part de ces deux Eglises, des attitudes différentes.
En Orient, dès le Die siècle semble-t-il, on trouve déjà une liturgie spécifique du sacrement du mariage qui se rapproche assez sensiblement de l’Ancien Testament. Aussi n’est-il pas étonnant que cette liturgie des fiançailles et du mariage soit plus ou moins proche des célébrations juives.
En Occident, à part la bénédiction de l’épouse, qui n’est pas le sacrement proprement dit, on ne trouve pas de liturgie spécifique du mariage avant le XIe siècle finissant. La cérémonie se calque sur les usages courants, surtout à Rome, dès que ces usages ne contrarient pas la foi ni les moeurs chrétiennes. La lettre à Diognète est nette à ce sujet: les chrétiens se marient comme les autres.’ Le mariage occidental chrétien sera avant tout marqué par le Droit, et E consensus sera signifié, selon les diverses cultures, pat les arrhes, l’anneau, et, dans les Gaules par exemple, par la bénédiction de la chambre nuptiale.
Quand le mariage devra se faire en présence du ministre de l’Eglise, in fade Ecclesiae,2 le rituel romain « païen » des fiançailles et celui du mariage seront réunis. Aujourd’hui encore, quelque peu corrigé par un choix très riche de lectures, le mariage chrétien reste fort juridique dans la liturgie même du sacrement, sans qu’une place suffisante soit faite à la théologie du mariage et à l’Alliance dont les deux époux sont l’image?
I. Liens de la liturgie chrétienne du mariage avec l’Ancien Testament
La bénédiction de l’épouse, déjà mentionnée dans le Sacramentaire de Vérone révèle de façon évidente ses liens avec la formule de bénédiction par laquelle Raguel donne sa fille Sarah en mariage à Tobie (Tob. Vulg. 8,5). On peut dire que l’ensemble des rituels chrétiens du mariage ont été inspirés par cette bénédiction. Dans l’Ancien Testament, on ne trouve pas mentionnée la présence de prêtres à la célébration qui se fait habituellement chez le fiancé, mais parfois aussi chez l’épouse (Gen. 29,21-24; Jug. 14,12; Tob. Vulg. 8,23)? Cela correspond à ce que nous voyons, au moins dans les Eglises chrétiennes d’Occident, et particulièrement en Gaule, où se trouve attestée en premier cette coutume des nuits de Tobie (Tob. Vulg. 6,16; 8,4) dans les mariages chrétiens, Ritzer, tentant une reconstitution de la bénédiction nuptiale de la femme dans le Sacramentaire de Vérone, souligne dans son texte les références. Donnons ici quelques fragments qui nous intéressent:
…Père, c’est toi qui as engendré tout ce qui vit (Gen. 1,24), qui as donné aux hommes la mission de se multiplier (Gen. 1,28; 9,1-7) et qui as créé de tes propres mains une compagne pour Adam, afin que l’os sorti de son os présente la même forme, malgré la différence admirable des sexes (Gen. 2,18-24). Ainsi ton ordre de partager /a couche nuptiale, de croître et de multiplier en si grand nombre, a noué des alliances dans le genre humain, afin de lier entre eux les habitants de toute la terre (Gen. 1,28; 9,1-7) le sexe le plus faible uni au plus fort réalise une unité à partir des deux (Cf. Gen. 1,24)… Veuille sanctifier la vigueur juvénile de ta servante que voici, qui se marie, afin qu’introduite dans une communauté de vie bonne et bénie, elle garde les préceptes de la loi éternelle (Cf. Eccli. 17,9 et suiv.); qu’elle se souvienne qu’elle n’est pas tant appelée à jouir de ce qui est permis dans le mariage qu’à se soucier avec amour des gages de la fidélité conjugale (Tob. Vulg. 6,22; 8,9)3
Malheureusement, comme le souligne Ritzer: «Le contenu biblique et théologique de cette oraison est voilé, au point d’être méconnaissable, par le vêtement de la rhétorique de l’Antiquité finissante ».
Dans le rituel de Vatican II, les lectures de l’Ancien Testament sont intéressantes; elles donnent un apport nouveau; nous les étudierons plus loin sommairement.
Outre la bénédiction nuptiale, les formulaires de la Messe prouvent leur dépendance de l’Ancien Testament. Ainsi, dans le Veronense, la seconde oraison du début de la Messe, exprimée d’une manière si concise: …et cuita creator es operis, esta dispositor;° le prologue à la bénédiction de la femme: … et instituis Luis quibus propagationem humani generis ordinasti,° et le début de cette bénédiction: Pater, mundi conditor, multiplb candae originis institutor, qui Adae comitem luis manb bus addidisti, cuius ex ossibus osso crescentia parem formam admirabili diversitate signarent, déjà cité plus haut.’° Les allusions à la Genèse sont évidentes.
Le sacramentaire gélasien comporte une Préface, reprise telle quelle, en son texte authentique, dans le rituel du mariage de Vatican II. La doctrine qui s’y exprime est nettement biblique; sa théologie est riche et correspond à une saine vision du mariage: … ut mull tiplicandis adoptivorum les sanctorum conubiorum
cunditas pudica serviret – « qu’une chaste fécondité serve à multiplier les fils d’adoption ». Malgré la christiani. sation du texte qui parle des « fils d’adoption de Dieu », la signification profonde du mariage est développée selon la Genèse. »
II. Points de contact avec la liturgie judéorabbinique
Nous reprenons ici très sommairement certains points qui nous intéressent pour souligner les liens de la liturgie chrétienne du mariage avec la liturgie juive. Nous voulons seulement retenir ici quelques usages: les dons en argent, un document qui reconnaît l’union contractée et qui assimile en quelque sorte les fiançailles au mariage lui-même, le rôle de la couronne, l’usage de la huppah et la coupe de vin.
Si la formule de Mishnah Qiddushin » note que l’on prend une femme en mariage par de l’argent, par un document écrit ou par le concubitus, en pratique on ne connaît que les fiançailles dites du Kesef (argent) et de la Ketubah (document). La formule était plus ou moins celle-ci: « Sois-moi consacrée par le moyen de cette pièce d’argent». Plus tard, une formule écrite remplacera cette remise d’argent, mais la mention de la remise de l’argent y restera incluse. » Le rituel des fiançailles assimile en fait les fiancés aux mariés.
En Orient les fiançailles restent, encore de nos jours, un rite important aussi bien pour le Droit que pour la liturgie. Les fiançailles, telles que les voit saint Jean Chrysostome, sont des fiançailles avec « arrhes », celles-ci étant une garantie. L’anneau les remplacera par la suite. Nous voyons que Justinien dans ses Novelles force les mariés d’un certain rang social à un contrat écrit. »
L’usage de couronner les deux époux, que l’on trouve dans le rituel juif du mariage, constitue, depuis les VI`-VII` siècles et jusqu’à nos jours, un acte important de la liturgie gréco-byzantine chrétienne. Déjà à cette époque, selon le témoignage de saint Grégoire de Naziance, le prêtre accomplissait souvent lui-même ce couronnement des époux. » Saint Jean Chrysostome donne la signification chrétienne de ce geste: « On met une couronne sur la tête des époux, symbole de leur victoire, car ils s’avancent invaincus vers le port du mariage, eux qui n’ont pas été esclaves du plaisir. Si quelqu’un, esclave du plaisir, s’est livré aux prostituées, pourquoi a-t-il encore une couronne sur la tête, lui qui n’est qu’un vaincu ». » Quand se formera une liturgie du mariage proprement dite, la célébration ne se fera plus dans la famille mais dans l’église, devant le prêtre qui donnera les couronnes. Le couronnement, dans les eucologes imprimés, reprend les usages mentionnés déjà dans les manuscrits. Le prêtre couronne d’abord l’époux en disant: « Le serviteur de Dieu, N. est couronné avec la servante de Dieu N., au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », formule reprise pour le couronnement de l’épouse. Quand le prêtre enlève les couronnes, il dit à l’époux:
« Sois loué comme Abraham, béni comme Isaac et fécond comme Jacob, marchant dans la paix et observant dans la justice les commandements de Dieu ».
A l’épouse, il dit:
« Et toi, épouse, sois louée comme Sarah, heureuse comme Rébecca et féconde comme Rachel, trouvant la joie auprès de ton mari et observant les prescriptions de la Loi, car c’est là ce qui plaît à Dieu ». »
Le couronnement est devenu tellement important qu’il signifie en fait « marier ». Les rites orientaux donnent diverses interprétations de ce geste, toutes d’une grande richesse théologique. Le rite copte est particulièrement intéressant par ses recours à l’Ancien Tes. tament:
« Toi qui as couronné tes saints de couronnes impérissables, bénis ces couronnes… Qu’elles soient pour les époux couronnes de gloire et d’honneur (Ps. 8,6), de salut et de bénédiction, de joie, de concorde, de réjouissance et d’allégresse, de vertu et de justice, de sagesse, d’intelligence, de force et de stabilité. Couronne-les de gloire et d’honneur. Le Père bénit, le Fils couronne, l’Esprit Saint perfectionne ». »
Que dire de l’usage juif de la huppah et de ce qui lui correspond peut-être dans certains rituels de l’Occident?
Dans les fiançailles judéo-rabbiniques, après le repas, le couple prend place sous la huppah (tente ou balda. quin).’° Ce rite apparaît comme le sommet de la célébration; c’est la première fois que les époux sont réunis ensemble.
Ici se pose un problème en ce qui concerne le rituel du mariage chrétien. Le titre donné, dans le Sacramentaire de Vérone, à la bénédiction de l’épouse après le Pater de la Messe est: « velatio sponsae il° On sait, par ailleurs que, dans le rituel « païen » romain, la fiancée se voilait d’un voile rouge, le flammeum, et qu’elle se couronnait de lauriers. Le rituel romain aurait-il voulu reprendre ce rite du voile pour la bénédiction de l’épouse? On peut légitimement en douter. Assez nombreux sont ceux qui pensent qu’il s’agissait ici d’un autre voile. Le Pape Sirice, à la fin du IVe siècle et, de même, Ambroise de Milan citent dans leurs lettres le voile qui est étendu sur les époux durant la bénédiction?’ Il s’agit donc d’un autre voile qui est ici étendu durant la bénédiction et qui couvre les deux époux, comme le rapporte saint Paulin de Nole (milieu du V’ siècle), lorsqu’il décrit le mariage d’un lecteur. » Le même rite se retrouve en Normandie comme en Espagne.
On a pensé que cette « velatio », qui concerne en fait les deux époux, rite qui, encore de nos jours, est observé dans certains diocèses de France, se rapproche plutôt du rite juif de la buppah, qui symbolise l’union des deux époux destinés à vivre ensemble, et qui légitime leur cohabitation. Dans le mariage judéo-rabbinique, les paroles finales de la bénédiction qui, en fait, se rapportent, comme le rite de la huppah, aux fiançailles, sont les suivantes: « Béni sois-tu, Seigneur, toi qui as sanctifié Israël par la huppah et les fiançailles»?’
Ce rite est à rapprocher de la bénédiction de la chambre nuptiale, si importante en Gaule romano-mérovingienne où elle a été la forme la plus ancienne de la liturgie du mariage. Plusieurs textes anciens nous le prouvent et nous pourrions citer ici de nombreux textes de bénédiction, si nous pouvions prolonger cet article?’ On trouve les mêmes rites, ou à peu près, dans la liturgie hispanique et en Angleterre. »
Un autre rite, celui de la bénédiction d’une coupe de vin, trouve des parallèles dans la liturgie juive. Le mariage judéo-rabbinique comporte une bénédiction ou plutôt plusieurs bénédictions qui se font sur une coupe de vin. » Dans l’Eglise gréco-byzantine on voit que la bénédiction de la coupe commune se fait après la cominunion des époux. » Cette bénédiction rappelle les noces de Cana et le don que le Christ fit alors aux époux. Cependant il s’agit ici d’une coupe de vin consacré. La Gaule aura comme coutume plus tard de bénir le pain et le vin, en rappelant, surtout quand il s’agit seulement de la bénédiction du vin, les noces de Cana. Les divers « Ordos » ( = cérémoniaux), à partir du XIe siècle, prévoient que le prêtre donne le plus souvent cette bénédiction après le mariage et devant la porte de la maison des époux. L’époux et l’épouse boivent à cette coupe qui leur est donnée par le prêtre ou qu’ils se donnent mutuellement. » Il s’agit ici surtout d’usages populaires, importés souvent, d’Angleterre 29 en Normandie par exemple, qui pouvaient parfaitement entrer dans le cadre de la liturgie du mariage, sans en faire toutefois strictement partie, et qui étaient ainsi reconnus par les Eglises romano-franques. Cet usage, se référant aux noces de Cana, signifie aussi que les époux prennent ensemble la responsabilité de leur vie commune. Vers la fin du XIIIe siècle, ce rite prend de l’extension dans le centre de la France: l’époux mord dans le pain et sa femme fait de même, puis l’époux et l’épouse boivent ensemble la coupe de vin. Normalement cela se faisait après la célébration de la messe; mais parfois le rite était lié à celui de la bénédiction de la chambre nuptiale, comme nous le voyons dans un rituel de Paris du XV` siècle. »
III L’apport chrétien à la liturgie du mariage
L’Eglise chrétienne a voulu déclarer nettement que le mariage consiste non pas dans le « concubitus » mais dans le « consensus ». Cette précision du Droit a pu parfois, à certaines époques, voiler le contenu théologique très riche du sacrement de mariage pour lui conférer un caractère avant tout juridique. /1 faut reconnaître que la liturgie, celle d’Occident en particulier, a souvent de la peine à dépasser cet aspect juridique et à établir une théologie profonde qui rejoigne la vie des conjoints. Et cependant le Nouveau Testament fournissait des textes d’une théologie fort profonde et riches d’enseignements vitaux.
Il nous faut ici faire un retour à l’Ancien Testament. Nous aurions pu le faire au début de cet article; il nous a paru meilleur de résumer ici la doctrine de l’Ancien Testament, en montrant comment celle du Nouveau Testament est à la fois en continuité et en discontinuité avec elle.
Le concept de mariage et son évolution
Dans les pays de l’Ancien Orient, la sexualité était sacralisée, ce qui se manifeste dans la création de mythes divers et dans l’organisation de divers rituels? L’histoire de l’amour des dieux en constitue le fondement, une sorte d’archétype que la societé cherche à reproduire. La sexualité coïncide alors avec l’histoire des dieux. La fécondité, la procréation, est liée à la création, oeuvre d’un dieu père et mère, et la sacralisation de la sexualité est en relation étroite avec cet archétype divin. L’amour, en tant que sentiment et volupté, est donc souvent décrit dans la mythologie et signifié dans les rites?
La révélation biblique est en continuité, d’une certaine manière, avec cette vision sociologique païenne, mais elle rompt avec elle sur le plan idéologique et rituel. En effet, puisque le Seigneur est unique (Deut. 6A), les mythes sexuels tombent, car il n’y a qu’un seul Dieu et il n’existe aucune déesse. De la même manière disparaissent les rites sexuels comme la prostitution sacrée (Dent. 23,18-19) ou l’acte magique de l’union sexuelle avec les animaux (Is. 22,18; Deut. 27,21; Lev. 18,23). Cependant Israël continue à considérer comme sacrée la sexualité parce que la vie s’origine en Dieu; ce qui explique les lois du Lévitique concernant l’impureté. Deux textes bibliques sont significatifs. Le plus ancien, celui de la Genèse chap. 2, montre comment l’homme et la femme se possèdent mutuellement; ils sont semblables et forment une seule chair (2,21-23; 2,18; 2,24). Le texte, plus récent, de Genèse 1,27 souligne l’identique dignité de l’homme et de la femme, dans le respect de la monogamie; tous les deux sont maîtres de la création (1,28-29). La fécondité a sa source en Dieu et la création des deux sexes est l’oeuvre de Dieu qui est bonne (1,31). La parole créatrice de Dieu, qui exprime sa volonté, est donc la source d’où le mariage tire son caractère sacré, et le premier couple créé est, de soi, le modèle idéal de la société familiale. Les rapports interpersonnels du couple sont marqués par la chair, et le couple a une fonction sociale qui est sa fécondité. Sous la motion des prophètes, on chemine vers l’idéal matrimonial post-exilien. Cependant nous trouvons des exemples intéressants de mariages dans la tradition antérieure, datant d’avant le VII? siècle. Dans le couple Abraham-Sarah, le concubinat est encore légal et la femme est encore quasi-esclave de son mari (Gen. 13,10-19); il s’agit d’ailleurs d’assurer la fécondité pour la formation d’un peuple (Gen. 29,32). Cependant il serait injuste d’exclure le vrai amour de ces unions; voir par exemple Jacob qui reste quatorze ans au service de Laban pour obtenir Rachel comme épouse (Gen. 29,20-30). Mais ce qui est premier, c’est la fécondité et la race, même si nous trouvons pour le moins étranges les procédés employés à cette fin. Tout le chapitre 38 de la Genèse en est un exemple. »
Cependant, à partir de l’Exil, la vision du mariage change profondément. Parmi les livres prophétiques et sapientiaux, ceux du prophète Malachie, des Proverbes, du Siracide et de Tobie nous livrent des textes importants sur l’indissolubilité du mariage (Mal. 2,14-16): pour la sauvegarder, il faut être prudent avec l’étrangère, l’amour physique et sensuel ne se conçoit pas en-dehors de la fidélité (Prov. 5,1-14; 7,1-27) et le livre nous fait un portrait de l’épouse parfaite (Prov. 31). Le Siracide, lui, décrivant les traits de l’épouse méchante, donne aussi un catalogue des vertus de l’épouse-modèle (25,13 – 26,18). Pour la théologie biblique, le livre de Tobie est de première importance: le couple est sans doute toujours dans une condition dramatique, exposé au mal (Tob. Vulg. 6,14-15). Cependant un amour chaste et saint est possible, et la procréation en sera le fruit, but du mariage (Tob. Vulg. 6,21-22). On admirera la prière de Tobie et de Sarah, laquelle sera reprise par la liturgie chrétienne qui y introduit le thème de l’Alliance de Dieu avec son peuple, celle du Christ avec son Eglise. Quoiqu’il en soit des diverses thèses à propos du Cantique des Cantiques, on doit noter que la fécondité n’est pas évoquée dans le livre, mais bien la joie de l’amour humain et physique. Nous sommes dans un milieu paradisiaque et, du point de vue théologique, on peut y voir l’image d’un couple dont la condition est déjà restaurée, une vision eschatologique du couple humain?
Quand le Christ parle du mariage, il renvoie au texte de la Genèse (1,27; 2,24); il renvoie donc à l’image de l’archétype idéal avant la faute. Le Christ est venu reconstruire le Royaume et il ne peut y voir que le couple idéal. S’il était permis jadis de renvoyer sa femme proprer duritiam cordis (à cause de leur dureté de coeur), cela n’est maintenant plus possible dans le Royaume nouveau qui se construit (Mt 19,1-9). La polygamie n’a donc plus de place dans ce royaume, ni le divorce non plus (Mt 19,6); comment pourrait-on répudier sa femme et en épouser une autre? Ce serait un adultère (Mt 5,32; 19,9). Et pourtant les difficultés du couple subsistent, et la miséricorde y trouve sa place: la femme adultère est pardonnée (Jn 8,3-9); le Christ est venu « appeler les pécheurs à la conversion » (Mc 2,15-17; Lc 18,9-14; Jn 8,11). La loi nouvelle est plus exigeante que l’ancienne: regarder une femme avec désir est déjà un adultère; cependant la charité peut tout effacer et « les pécheurs et les prostituées précéderont beaucoup d’autres dans le Règne du ciel » (Mt 21(31,32).
L’Eglise, dans sa vie et son expérience, fait de l’idéal du Christ une décision et une règle de vie ferme et définitive, et le divorce est sévèrement prohibé (I Cor. 7,10-11). Sans doute le couple ne cesse de se heurter à des problèmes qui ne sont pas abstraits et qui exigent des solutions pratiques et urgentes. Si déjà l’Ancien Testament s’en préoccupait, les Lettres des Apôtres tentent de donner une solution (Cf. Col. 3,18-19; Eph. 5,21-23; I Tim. 2,9-15; I Pet. 3,1-7). Cependant il reste difficile pour un baptisé, malgré sa conformité de principe au Christ, d’intégrer la sexualité dans sa vie chrétienne.
C’est à cette intégration de la sexualité dans leur vie d’époux chrétiens que saint Paul veut aider les fidèles de Corinthe (I Cor. 7,1-9). En ces temps de déséquilibre où ils vivent, la continence peut être un péril qu’il dénonce (I Cor. 7,1,3,5); aussi les époux ont des droits et des devoirs mutuels (I Cor. 7,3-4). Si la continence, dans la vie du royaume en formation, se présente comme un idéal, elle ne peut être le fait de tous: les dons sont divers, selon la ligne de vie que Dieu indique (I Cor. 7,5-6; 7,7,17,20,24). Pourtant le mariage ne supprime pas la chasteté, il la suppose, dans un don réciproque et le rejet de tout égoïsme (I Cor. 7,3-4), et cela exige que la sexualité soit quelque peu dominée par l’ascèse (I Cor. 7,2,5). Heureusement l’Esprit aide le baptisé à faire mourir en lui les oeuvres du corps (Rom. 8,13). Le baptisé est celui qui veut avoir part à la mort du Seigneur pour avoir part aussi à sa résurrection (Rom. 6,1-14).
Le mystère du Christ et l’Eglise
Il y a un élément que l’Eglise du Christ a mis en relief dès ses débuts: le mystère du Christ et de l’Eglise. Pour les prophètes, l’archétype divin du couple était l’Alliance de Dieu avec les hommes, imparfaite mais que l’on recherchait en l’espérent pour le dernier jour. Le Christ, par son mystère pascal, est venu réaliser pleinement cette Alliance; elle est devenue objectivement parfaite. La mort et la résurrection du Christ sont un tournant décisif dans la vie du monde. Le modèle des épousailles n’est plus abstrait mais il existe en fait, et l’Alliance de Dieu avec les hommes devient un mystère nuptial par le Christ. D’ailleurs le Christ lui-même se considère comme l’Epoux, et il ne pourrait comprendre que les invités à la noce soient dans le deuil et la pénitence quand l’Epoux est avec eux; viendront les jours où il ne sera pas là, alors on jeûnera (Mt 9,15; Mc 2,19-20; Lc 5,34,35). La parabole des noces, que Jésus raconte à ses disciples, est fort nette à ce sujet: le Roi prépare un repas de fête pour son fils. On ne peut en douter: le Roi est Dieu et le fils est le Christ. Il s’agit du mystère nuptial du Royaume assimilé au mystère du Christ-Epoux (Mt 8,11). La parabole des vierges met aussi en relief la personne du Christ comme Epoux (Mt 25,1-13). Le récit de l’Apocalypse qui décrit l’Agneau et le rite de ses noces ne peut qu’impressionner le lecteur: la fiancée ornée, présentée à son époux, c’est toute l’humanité représentée tantôt par une femme, tantôt par une cité, la Jérusalem céleste et nouvelle (Apoc. 21,2,10-27), annoncée déjà par Ezéchiel (chap. 40) et par Isaïe (chap. 54 et 60-62).
Mais c’est surtout dans la lettre aux Ephésiens que ce mystère nuptial sera présenté avec une doctrine ferme (Eph. 5,21-32). Saint Paul y établit le lien du mystère du Christ avec l’Eglise. Adam était la figure, l’annonce de l’Adam qui devait venir (Rom. 5,14). Si le premier Adam a transmis à tous les hommes le péché, le second Adam a renouvelé le monde entier, et le Christ donne au monde de pouvoir participer à son état de Ressuscité (Rom. 5,15-18,21; 6,5-11; 1 Cor. 15,49; Eph. 4,23-24). Face au Christ qui renouvelle ainsi la face du monde se trouve le monde lui-même. Le Christ se comporte envers l’humanité comme le fait l’époux envers son épouse; le Christ l’a aimée et s’est donné à elle (Gal. 2,20). La lettre aux Ephésiens résume clairement et succintement cette doctrine: « Et vous, maris, aimez vos épouses comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est donné lui-même pour elle, pour la rendre sainte en la purifiant par le bain d’eau accompagné de la parole, pour faire paraître devant lui son Eglise, toute glorieuse, sans tache ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée (Eph. 5,25-27). L’amour du Christ a transformé l’homme avant de se l’unir; pour devenir épouse pure du Christ, la race humaine a été transformée. C’est le premier miracle de l’amour nuptial du Christ qui, pour le réaliser, s’est totalement offert. Son amour est rédempteur et son épouse est devenue son propre corps (Eph. 5,28-31). Nous avons ici l’origine de ce qui fait de l’homme et de la femme un seul corps (Gen. 2,24): le Christ « qui est avant toute chose et en qui tout subsiste; il est la tête du corps, c’est-à-dire de l’Eglise » (Col. 1,15-17). Cette doctrine est appliquée au couple humain que Dieu a crée â son image (Gen. 1,26-27). Si la sexualité appartient à la création primitive, ce n’est pas cependant à ce fait qu’elle doit son caractère sacré: le prototype originel se référait déjà à la plénitude des temps (Gen. 4,4). La signification du couple devait déjà être entrevue dans le mystère des rapports entre Dieu et l’homme. L’amour de l’homme pour la femme a été signifié de manière suprême par le Verbe de Dieu qui a racheté l’humanité. La femme, par rapport à l’homme, trouve son vrai sens à cause du Verbe de Dieu, son Créateur et Rédempteur. Si bien que pour le christianisme, le type du mariage est réalisé dans l’Incarnation du Fils de Dieu, par laquelle toute l’humanité est introduite en une union d’amour indissoluble. La liturgie de l’Epiphanie a lié magnifiquement le thème des noces de Cana à celui de l’Alliance et du mariage: « Hodie coelesti Sponso iuncta est Ecclesia, quoniam in Iordane lavat Christus eius crimina: currunt curn numeribus magi ad regales nuptias, et ex aqua facta vino laetantur convivae (Antienne du Benedictus des Laudes). « Aujourd’hui l’Eglise est unie à son Epoux, car dans le Jourdain le Christ lave ses fautes; les mages s’empressent avec leurs présents aux noces royales, et les convives se réjouissent de l’eau devenue vin»?’
Ainsi dans l’Evangile de saint Jean, à l’eau de la purification des juifs, liée à l’Ancienne Alliance, est substitué le vin, signe de la Nouvelle Alliance dans le sang du Christ, et le thème de l’Alliance a comme toile de fond l’évènement de Cana dont le cadre est un mariage et un banquet nuptial.
On peut penser, évidemment, qu’il s’agit ici de la présentation littéraire et mystique d’un idéal que nous sommes incapables de vivre. Mais nous savons que, sur le plan de la foi, toute vie chrétienne est nuptiale et chaque chrétien vit ce mystère dans sa situation particulière et selon son charisme, non sans difficultés et sans luttes, divisé entre la chair et l’esprit (Gal. 5,16-17; Rom. 7,14-25). Saint Paul, conscient de ce drame, ajoute que, comme membre du Christ, de l’Eglise-Epouse, le chrétien a été purifié par le bain d’eau (Eph. 5,26). Il a été tiré de la corruption de l’humanité pécheresse pour respecter l’Alliance dans sa pureté. Aussi l’Apôtre ose-t-il dicter aux époux leur manière de vivre, une vie morale liée au sacrement de mariage par lequel se reproduit en eux le mystère nuptial du Christ. Les relations mutuelles du Christ et de l’Eglise deviennent ainsi principe et modèle pour la vie des époux (Eph. 5,21-32). Chacun d’eux, lié par l’Alliance et la communion avec Dieu, trouve la vraie union avec l’autre; l’amour charnel est transfiguré par l’amour et la charité; ils sont « une seule chose dans le Christ » (Gal. 3,27-28).
IV La Liturgie de Vatican II
Il faut bien le dire, à part le Lectionnaire qui offre des lectures spécifiant fort bien ce qu’est le mariage ainsi que ses fondements vétéro- et némtestamentaires, le rituel du mariage lui-même reste trop au niveau du juridisme, des promesses, trop exclusivement au niveau humain sacralité, sans suffisamment montrer qu’ici l’amour humain se surpasse dans l’Alliance, assumée par Dieu et réalisée pleinement en lui par son Fils dans l’Esprit.
Nous serions cependant injustes, si nous ne corrigions pas immédiatement ce que nous venons d’affirmer. En fait, jusqu’ici le mariage se faisait avant la célébration de la Messe, remontant ainsi à l’époque où les promesses étaient échangées à la maison ou, plus tard, « in facie ecclesiae ». Dans le rituel Vatican II, le sacre ment du mariage est introduit dans la célébration même de la messe, et aussi bien les lectures proclamées que la célébration eucharistique lui donnent la signification d’Alliance qui nous réclamions. Sans doute cela se réalise d’une manière trop discrète pour être évidente pour tous. Il aurait fallu que la formule même du mariage soit précédée d’une phrase qui puisse indiquer nettement et concrètement que la promesse faite par les époux reproduit celle de l’Alliance entre Dieu et l’humanité dans le Christ et l’Esprit, et que les époux deviennent ainsi pour le monde type de cette Alliance.
Si nous voulons préciser un peu davantage ces défectuosités du nouveau rituel, deux points seraient à retenir, en plus de celui que nous venons de souligner plus haut: le manque de référence à l’Alliance dans le sacrement lui-même, trop exclusivement centré sur le contrat et le fait que les époux se donnent mutuellement l’anneau. Cette coutume remonte déjà au XIe siècle, en Allemagne par exemple, tandis qu’en Normandie on garda très longtemps le rite de l’unique anneau donné à la femme par l’époux, rite qu’on voit encore pratiqué
Paris au XVe siècle et qui exprimait bien l’Alliance, celle du mari (Christ) avec son épouse (Eglise). On a glissé, de nos jours, vers un déplorable égalitarisme. En effet, il y avait là une complémentarité soulignée par la bénédiction réservée seulement à l’épouse et que la réforme de Vatican II a, cette fois, fait donner aux deux époux, autre forme d’égalitarisme assez simpliste.
N’eût-il pas été plus significatif de revenir à la pratique de l’unique anneau, en donnant une catéchèse de ce geste qui symbolise l’Alliance rendue possible par le Christ, et de laisser par ailleurs à l’épouse sa bénédiction qui la consacrait comme collaboratrice dans la construction du Royaume? e Ce sont là des suggestions qui pourront sembler bien loin des conceptions de l’anthropologie actuelle; mais, précisément, cette anthropologie ne devait-elle pas être dépassée et instruite, afin d’être élevée au niveau du don de Dieu et du Christ qui, avant tout, consacre l’Alliance et la fidélité?
Cependant, plutôt que d’en rester à la critique négative, voyons comment, pour sa part, le Lectionnaire a enrichi la théologie et l’expérience du mariage. Ici encore nous trouvons le recours à l’Ancien Testament et aux perspectives du Nouveau. Il n’est pas possible d’examiner toutes les lectures proposées au choix des époux. Nous voulons au moins en donner les références en les situant chacune brièvement.
Les lectures de l’Ancien Testament sont au nombre de huit. La première, tirée de la Genèse, raconte la création de l’homme et de la femme (Gen. 1,26-28, 31a). Nous avons souligné plus haut les implications théologiques de ce passage. Dans les deux autres lectures de la Genèse, nous trouvons une affirmation insistante de l’unité du mariage: « Les deux seront une seule chair » (Gen. 2,18-24) et la bénédiction de Rebecca: « O toi, notre soeur, puisses-tu devenir milliers de myriades et que ta race puisse conquérir la porte de ses ennemis » (Gen. 24,48-51, 58-67). Rebecca se voile en rencontrant son futur mari et Isaac introduit Rebecca dans la tente: « Il prit Rebecca comme femme et l’aima ».
Deux lectures du livre de Tobie sont encore offertes au choix. La première (Tob. Vulg. 7, 9c-10, 11c-17) nous donne une idée du rituel du mariage dans l’Ancien Testament: Raguel prend la main droite de sa fille et la met dans la main droite de Tobie en disant: « Le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob soit avec vous, qu’il vous unisse et accomplisse en vous sa bénédiction ». Ensuite est rédigé le document du mariage et ils mangent ensemble. La seconde lecture est prise en Tobie Vulg. 8,5-10. Ici le texte souligne comment le mariage juif ne peut se passer comme celui des païens. Suit la prière bien connue où nous trouvons l’affirmation que le mariage ne consiste pas seulement dans l’amour physique mais aussi dans celui d’une postérité.
Les trois autres lectures proposées sont celles que nous avons déjà rencontrées plus haut: le passage du Cantique des Cantiques (chap. 8) « L’amour est plus fort que la mort » dont nous avons souligné les particularités, entre autres cette vision paradisiaque du couple que le mariage chrétien voudrait concrétiser dans la vie d’aujourd’hui; le passage du Siracide (26,1-4; 16-21) décrivant les qualités de la bonne épouse; et celui de Jérémie (31,31-32a-33-34) qui annonce l’Alliance nouvelle, et laquelle nous trouvons l’archétype du mariage chrétien.
Comme secondes lectures, le lectionnaire propose onze textes écrits par les Apôtres, lettres ou vision de l’Apocalypse. La lettre de saint Paul aux Romains, au chapitre 8, a besoin d’être expliquée pour que son choix se justifie. Le centre de ce passage (Rom. 8,316-35; 37-39) est cette phrase: « Qui nous séparera de l’amour du Christ »? C’est une référence aux épousailles du Christ et de l’Eglise, et par conséquent à celles de tout chrétien, et particulièrement de ces deux époux qui deviennent types de l’Alliance. Un autre passage de la lettre aux Romains est proposé aux époux: « Offrez vos corps comme un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu » (Rom. 12,1-2; 9-18). Le texte se réfère au culte spirituel. On pourrait n’en rester ici qu’au plan de la vie morale, saint Paul énumérant par la suite les attitudes que ce culte exige.
Mais l’offrande de nos corps à Dieu se réalise, dans le mariage, par l’offrande mutuelle des corps; ainsi la sexualité s’insère dans cette oblativité, image de l’Alliance du Christ avec l’Eglise. Saint Paul écrit aux Corinthiens (I Cor. 6 13c-15a; 17-20): « Votre corps est le temple de l’Esprit ». Le corps du baptisé appartient au Seigneur et il est membre du Corps du Christ. Le texte cité plus haut le rappelle: si le chrétien est une personne libre, en raison même de sa liberté, la perversion lui est prohibée. Et certains mariages, tel celui contracté avec une prostituée, ne pourraient être qu’une profanation du Temple de l’Esprit. L’union au Christ est intime comme l’union charnelle, et le couple chrétien doit, dans ses relations, tenter d’imiter la sainteté de l’intimité divine, sans profanation aucune.
Dans la première lettre aux Corinthiens (12,31-13,8a), saint Paul affirme l’importance de la charité et en énumère les qualités. Cet enseignement convient à tous les chrétiens et à tous les moments de la vie; cependant, dans le contexte du mariage, il parait opportun de rappeler ce primat de la charité. Une autre lecture le fait encore: la lettre aux Colossiens (3,12-17) qui s’adresse encore à tous les chrétiens mais qui trouve bien sa place dans le contexte du mariage, car seule la charité permet l’oblation, le don total à l’autre, sans retour égoïste sur soi. La première lettre de saint Pierre, elle aussi, est un appel fervent à l’union entre frères.
Deux autres lectures sont tirées de la première lettre de saint Jean: l’une spécifie que l’amour doit se concrétiser « en actes et en vérité » (I Jn. 3,18-24); l’autre est l’affirmation que Dieu est amour (I Jn. 4,7-12): amour de Dieu pour son peuple et amour du Christ pour l’Eglise qui sont les archétypes du mariage, lequel devient lui-même présence de l’Alliance divine parmi nous. C’est ce mystère nuptial que présente Paul dans une autre lecture de la messe (Eph. 5,2a; 21-33) utilisée fréquemment dans les lectionnaires anciens: « Ce sacrement est grand, je l’affirme, dans le Christ et l’Eglise », qui est le point de départ de la théologie du mariage.
Le Lectionnaire de la messe de mariage comporte aussi dix péricopes évangéliques dont le choix a été délicatement réalisé et qui suppose de la part des futurs époux et du prêtre qui bénit leur union une réflexion quelque peu approfondie.
Quelques-unes concernent tous les chrétiens, mais s’adaptent à la situation concrète des mariés: ainsi les Béatitudes (Mt 5, 1-12). « Réjouissez-vous, car grande est votre récompense dans les cieux ». Le couple chrétien doit se préoccuper de réaliser en lui ces béatitudes qui guideront ses progrès et sa marche vers l’eschatologie. Nous l’avons rappelé, le thème de l’Alliance, du renouvellement, de la palingenèse est évoqué par saint Jean dans son récit des noces de Cana (In 2,1-11). Ce serait diminuer sensiblement la portée du choix de ce texte pour les noces chrétiennes, que s’attarder seulement au fait que le Christ les a bénites en y prenant part. Nous avons voulu insister, plus haut, sur la valeur de ce texte, indiquant comment la fête de l’Epiphanie lie ensemble le thème de l’Alliance et celui du mariage qui en est une reproduction. Les époux chrétiens sont donc « lumière » pour le monde. C’est ce que rappelle la lecture choisie dans saint Matthieu (5,13-16). Les époux sont lumière pour les autres chrétiens, parce qu’ils sont un signe de la réalisation de l’Alliance de Dieu avec son peuple et du Christ avec l’Eglise. «Cc que Dieu a uni, l’homme ne peut le séparer », c’est le thème d’une autrelecture (Mt 19,3-6). « Car ils ne sont plus deux mais une seule chair », affirme Marc dans une autre péricope proposée (Mc 10,6-9).
Plusieurs autres lectures magnifient l’amour; il est le plus grand commandement (Mt 22,35-40); il s’agit de s’aimer les uns les autres (Jn 15,12-16), de rester dans l’amour de Dieu (Jn 15,9-12). En fait, nous ne sommes pas seulement « réunis » dans le Christ, mais nous sommes « une seule chose » (Jn 17,20-26) et si cela vaut pour tous les chrétiens, cela est signifié plus concrètement par les époux; unis au Christ; ils «construisent leur maison sur le roc » (Mt 7,21; 24-29), et leur union peut résister à toutes les tempêtes, parce que fondée sur ce qui en est l’archétype: l’amour du Christ et de l’Eglise.
Comme nous le voyons, Vatican II a fait un grand effort pour offrir, à l’occasion du mariage, un choix de lectures qui en éclairent le fondement doctrinal. Nous aurions pu partir de ce Lectionnaire pour exposer l’apport chrétien à la doctrine du mariage que nous trouvons dans l’Ancien Testament. Cependant la liturgie n’est pas d’abord un cours ni un corps de doctrine. Il faut la laisser nous parler, car c’est le Christ lui-même qui nous parle et qui « proclame encore aujourd’hui son évangile »?
La liturgie chrétienne est donc en réelle continuité avec la liturgie juive du mariage. Cependant, ici comme pour l’Eucharistie par exemple, des formes semblables peuvent avoir un contenu plus riche et souvent nouveau.
Adrien Nocent, O.S.B. – Professeur de liturgie, à l’Institut Pontifical St. Anselme, Rome