Archive pour la catégorie 'exégèse'

DIEU QUI PARDONNE MILLE GÉNÉRATIONS… MAIS EN PUNIT TROIS ?

17 février, 2014

http://www.eretoile.org/Archives-Reflexions/dieu-qui-pardonne-mille-generations-mais-en-punit-trois.html

ÉGLISE PROTESTANTE UNIE de l’étoile

DIEU QUI PARDONNE MILLE GÉNÉRATIONS… MAIS EN PUNIT TROIS ?

On aime ce passage : Dieu qui a compassion, qui fait grâce, lent à la colère, plein de bonté et de fidélité, qui garde sa bonté pour des milliers (de générations)… (Exode 34 :6-7), c’est le Dieu qu’on aime, le Dieu que l’on veut entendre prêcher le dimanche, un Dieu d’amour, de tendresse, de bonté, de pardon, de fidélité, de douceur. Mais le texte se continue par : et qui punit la faute des pères sur les fils et sur les fils des fils sur la troisième et la quatrième génération… ce qui gâche un peu le passage il faut bien le dire. Que peut faire le lecteur moderne d’une telle affirmation ?  Une théologie dépassée ? Le plus simple, c’est de mettre cela sur le compte d’une théologie vétérotestamentaire archaïque. Notre pensée, c’est celle du Nouveau Testament, et nous savons que Dieu ne garde que le bon, le mauvais, il se contente de le laisser de côté, il le brûle et l’oublie, il ne punit pas, ni encore moins fait porter la faute des uns par les autres. Donc ne gardons que la première partie du passage et oublions le reste.

Mais cette solution est un peu brutale, on peut certainement faire mieux. Les juifs appellent ce passage : les 13 attributs de la miséricorde divine, or pour eux, le dernier point fait partie des 13 attributs, il est donc vu non pas comme mauvais, mais au contraire, une manifestation de son amour. Est-ce possible ?   Dieu punit par amour ? Sans doute est-il bon qu’il y ait en Dieu de la réaction par rapport au mal. Un Dieu qui ne serait que douçâtre et bon serait inefficient, ou alors un Dieu indifférent. Peut-être faut-il penser que Dieu peut être en colère, ou punir, sinon son amour et son pardon ne voudraient rien dire. Il est bien dit d’ailleurs dans ce même passage que Dieu ne tient pas le coupable pour innocent, c’est la base du bon pardon : ne pas faire comme si le mal n’existait pas, mais aller au delà. Certes, cela est un peu dur, mais il faut bien mettre les choses à leur place : le texte dit qu’en Dieu, il y a mille générations de bonté pour seulement trois ou quatre de punition. S’il y a de la dureté en Dieu, ce ne serait qu’à 3 pour 1000 de colère, et 997 pour 1000 d’amour et de pardon, mais ce 3 pour 1000 sont essentiels comme levier de son amour et pour nous remettre dans le bon chemin. Cette tentative de justification est méritoire, mais elle n’explique pas tout, ce qui est choquant, c’est l’expression « sur les fils de leurs fils ». Cela semble effectivement injuste, que le coupable soit puni passe encore, mais les innocents, c’est impossible. Il y a plusieurs solutions là aussi.

La faute qui retombe sur les fils La plus simple, encore et toujours : c’est d’y voir un vestige de théologie archaïque, mais pas pour l’écarter cette fois, pour mieux la comprendre et la transposer dans un autre système théologique qui est celui de l’Evangile. Autrefois on avait tendance à attribuer à Dieu tout ce qui arrive, le bien, le mal, la pluie le beau temps, la vie, la mort. Nous aujourd’hui, nous avons idée que Dieu n’est que source de bien. Il nous faut donc transposer, et quand l’Ancien Testament dit que le mal vient de Dieu, il ne faut pas le prendre au pied de la lettre, mais comprendre que c’est comme ça, ça ne dépend pas de nous. Il ne s’agirait alors là pas d’une punition, mais d’une conséquence inéluctable. Or c’est vrai, et il est bon de le rappeler, notre mal peut avoir des conséquences sur les autres. Et en particulier les enfants sont les premiers à pâtir des péchés de leurs parents. Il ne faut donc pas se contenter du pardon de Dieu, mais savoir qu’on est aussi responsables de ses actes. Dieu peut effacer la culpabilité de nos actes, pas leurs conséquences, malgré le pardon ils peuvent peser sur des êtres innocents. Mais où est Dieu là-dedans alors ? Si ce n’est pas lui qui punit ? Nous laisse-t-il nous débrouiller avec notre responsabilité écrasante ? Non, pas tout à fait…   Dieu ne punit pas, il visite. Le verbe « punir » d’ailleurs ne se trouve pas dans le texte, ce sont les traducteurs qui l’ont ajouté : en hébreu, le verbe « PaQaD » utilisé là, signifie au sens premier : «visiter», «surveiller», ce verbe a pu dériver  dans le sens de «punir», parce qu’un surveillant peut en effet punir… mais pas forcément, et c’est secondaire. C’est ce même verbe que l’on retrouve en Exode 4:31 : « Le peuple apprit que l’Éternel avait visité les enfants d’Israël, qu’il avait vu leur souffrance, et ils se prosternèrent ». Il n’y a donc pas forcément dans ce texte l’idée d’un Dieu qui punit, mais plutôt qui visite, accompagne, surveille, comme il a visité les enfants d’Israël dans leur souffrance. Il est vrai que le péché des parents peut faire souffrir les enfants, mais Dieu ne les laisse pas seuls, il les visite pour leur venir en aide, pas pour les accabler davantage. Ce qui est dit, c’est que bien que le coupable ne soit pas pris pour innocent, Dieu visite les fils des fils… C’est une vraie source d’espérance, il y a du bonheur à reconstruire, il y a tant de choses à restaurer : et toujours c’est possible, il n’y a pas de malédiction toute-puissante, pas de transmission délétère de génération en génération dont on ne puisse sortir, parce qu’aucune génération n’est seule, chacune a à ses côtés le Dieu de la création qui peut faire « toute chose nouvelle ».   Louis Pernot

 

26° dimanche du Temps ordinaire (26 septembre 2010) (bible-service site)

25 septembre, 2010

du site:

http://www.bible-service.net/site/432.html

26° dimanche du Temps ordinaire (26 septembre 2010)

La parole de Dieu de ce dimanche met en perspective les riches et les pauvres. Le prophète Amos (1° lecture) critique violemment ces riches qui ne pensent qu’à manger et à boire, sans aucune attention aux pauvres et au devenir du peuple. Contre cette attitude, le Seigneur déclare heureux les pauvres (psaume). L’évangile de Luc, quant à lui, fait l’éloge de la pauvreté et critique les richesses qui aveuglent. Paul (2° lecture) dépeint le portrait du juste responsable.

• Amos 6,1…7
Attention, les richesses peuvent provoquer des aveuglements ! Tel est en substance le message du prophète Amos, que nous avons déjà lu dimanche dernier (25° dimanche). Ce dimanche, le prophète se fait plus incisif. Les mots sont durs. Les riches sont “ couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans… ” On imagine très bien le spectacle. Ils sont insouciants, se sentent en sécurité, protégés par leur opulence. Mais les excès de cette “ bande de vautrés ” les empêchent de voir la menace d’invasion qui approche, ni le danger de déportation qui guette l’ensemble du peuple. Les bruits de guerre devraient les inciter à plus de retenue et les rendre plus solidaires du reste du peuple, pour revenir à Dieu avant qu’il ne soit trop tard. Sinon, ils seront les premiers déportés loin de leur terre.

• Psaume 145
C’est un psaume de louange, qui contient une béatitude : Heureux…. Cette prière est comme le prolongement inversé du passage d’Amos (1° lecture). L’homme déclaré heureux est celui qui trouve sa protection, non pas dans les richesses, mais dans le Seigneur. Cet homme-là n’a rien à craindre. Cet homme, c’est l’enchaîné, l’aveugle, l’accablé, le juste, l’étranger, la veuve et l’orphelin, bref tous ceux qui sont mis an ban de la société. Ce sont ces pauvres-là que le Seigneur aime, tandis qu’il égare les pas du méchant.

1 Timothée 6,11-16
L’auteur des lettres pastorales est lucide sur le danger des richesses mais il encourage les riches à faire un bon usage de leurs biens. Ce qui est en cause c’est bien la vie éternelle, comme dans l’Évangile.
Il s’agit aussi de se battre pour la foi, c’est-à-dire de marcher sur les pas de Jésus, le témoin fidèle. À partir du verset 13, dans une adjuration solennelle, les affirmations de la profession de foi sont posées : Dieu est celui qui donne vie à toutes choses. Le Christ a rendu son témoignage devant Ponce Pilate (Jean 18, 37). Il reviendra au temps fixé, pour sa manifestation dans la gloire.
Le tout se termine par une doxologie typiquement liturgique : c’est une acclamation qui attribue à Dieu honneur et puissance. Dans une affirmation de foi monothéiste, Dieu est présenté comme l’unique Souverain qui habite la lumière inaccessible et que personne ne peut voir. Mais heureusement, le Christ est le révélateur du Père.

• Luc 16,19-31
L’Évangile de dimanche dernier rappelait le danger des richesses et qu’il n’est pas possible de servir deux maîtres à la fois : Dieu et l’Argent.  L’Évangile d’aujourd’hui nous rappelle que les possessions matérielles, et surtout la façon dont nous pouvons les accumuler, les utiliser, les protéger, peuvent engendrer des injustices. 
Un aspect important de récit évangélique – et cela est le cas de presque toutes les paraboles de Jésus – est qu’il nous confronte simplement aux faits, et que nous – comme les auditeurs immédiats de Jésus – devons déduire des leçons et des règles de vie de ces faits eux-mêmes.  L’Évangile nous livre les faits bruts et laisse à chacun de nous d’en tirer les conclusions pour sa propre vie, et nous tous ensemble, pour la société qui est la nôtre.
Les faits racontés sont simples, à la limite de la caricature : il y avait un riche et un pauvre et ils ne sont pas qualifiés (ni bons ni mauvais).  Cela est secondaire.  L’Évangile nous dit simplement comment ils se conduisirent l’un en présence de l’autre durant leur vie. Un détail intéressant à noter est que le pauvre a un nom ; il est une personne ; il s’appelle Lazare. Quant au riche, il n’est pas nommé.  Il représente tous ceux qui se sont laissé enfermer par leur avoir. Les prophètes – comme Amos – avaient parlé fortement contre l’oppression des pauvres et l’avaient condamnée.  L’attitude de Jésus est différente.  Il s’adresse dans cette parabole directement aux Pharisiens et se place en quelque sorte sur leur terrain.  Le riche n’est pas décrit comme quelqu’un qui commet l’oppression et l’injustice.  Il est tout simplement riche et il jouit de ses richesses, sans se poser aucune question.  Le pauvre est tout simplement pauvre.  Il ne demande rien, même s’il aimerait bien manger de quelque chose qui tombe de la table du riche.
Vient ensuite le renversement des rôles, après la mort de l’un et de l’autre.  Le pauvre, qui gisait par terre, est emporté par les anges dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire au ciel.  Quant au riche, qui reposait sur des divans somptueux pour manger, il est tout simplement mis en terre.  Il n’était pas méchant, mais il a vécu toute sa vie dans l’inconscience.  Il s’est lié aux réalités d’ici-bas qui l’ont totalement absorbé, et il y reste après sa mort.  Il en souffre terriblement, maintenant, et voudrait épargner cette souffrance à ses frères, en leur envoyant des messagers.  Ce serait inutile, lui répond Abraham.  Ils ont Moïse et les prophètes et ils ne comprennent pas. Le message est simple : pour comprendre la volonté de Dieu, il suffit de lire l’Ecriture, de la comprendre et de la mettre en pratique.

Dimanche de la Pentecôte (23 mai 2010) (exégèse)

22 mai, 2010

du site:

http://www.bible-service.net/site/432.html

Dimanche de la Pentecôte (23 mai 2010)

Nous célébrons ce dimanche le don de l’Esprit Saint aux disciples du Ressuscité, l’acte de naissance de ce qui deviendra l’Eglise. Quelque chose a commencé ce jour-là : les disciples se mettent à parler en langues et tous les comprennent (1° lecture). Mais attention, l’Esprit Saint n’agit pas seulement à l’extérieur de nous ; il nous est donné pour que nous devenions, comme le Christ, des fils de Dieu (2° lecture). Décidément, l’Esprit Saint renouvelle complètement la face de la terre, comme le chante le Psaume 103.

• Actes 2,1-11

St Luc, auteur de l’Evangile qui porte son nom, et des Actes des Apôtres, a le souci de souligner la continuité entre Jésus de Nazareth (Evangile) et le Ressuscité à l’œuvre par les disciples (Actes). Ainsi, tout comme il avait commencé son Evangile par le récit d’une naissance, celle de Jésus, il inaugure les Actes des Apôtres par un autre récit de naissance, celle de l’Eglise, “ quand arriva la Pentecôte ”.

Dans son récit, St Luc nous présente l’irruption de l’Esprit Saint sur les disciples comme une manifestation visible, bruyante, dérangeante, qui rappelle la manifestation de Dieu sur la Montagne du Sinaï, dans le Livre de l’Exode. Souvenons-nous que dans le judaïsme, la Pâque célébrait la sortie de l’esclavage en Egypte (récit dans l’Exode) et, au cinquantième jour de cette fête, on se rappelait le don de la Loi au Sinaï. St Luc, comme les premiers chrétiens, a eu le souci de montrer que Jésus-Christ accomplissait la première Alliance avec Moïse, tant dans la Pâque, devenue le passage de la mort à la vie, que dans la Pentecôte, don de l’Esprit Saint, “ le cinquantième jour après Pâques ”, précise le texte liturgique. La nouvelle Loi, ce ne sont plus des commandements de Dieu gravés sur des tables de pierre, mais le don de l’Esprit de Dieu. La Pentecôte, pour les chrétiens, fait le même “ bruit venant du ciel ”, comme l’éclair et le tonnerre au Sinaï : violent coup de vent sur la maison des disciples, langues de feu… Mais l’événement ne s’arrête pas à la maison des disciples ; il touche tous les peuples. L’Esprit Saint permet à tous les hommes de communiquer, d’entendre les merveilles de Dieu dans sa langue. Les quinze peuples cités balayent un espace qui va du Proche-Orient jusqu’à Rome, le monde entier en somme…

• Psaume 103

Ce psaume célèbre la création de Dieu, qui fait vivre toute chose par son souffle. Dans la langue hébraïque, un même mot désigne le souffle et l’esprit. L’Esprit de Dieu est le souffle créateur, qui refait sans cesse la création. Ce psaume chanté au jour de la Pentecôte rend témoignage au Dieu créateur, sans le souffle duquel personne ne peut vivre, ni l’Eglise, ni chaque croyant.

• Romains 8,8-17

La foi au Christ ressuscité nous fait participer aux fruits de la résurrection de Jésus ; le pardon des péchés est le don de l’Esprit : « Vous êtes devenus justes », non par nous-mêmes mais par le don de Dieu qui nous a réconciliés dans l’offrande du Christ en croix. Le don de l’Esprit est la face positive des fruits de la résurrection. En effet Dieu a ressuscité Jésus en le comblant de toute la force de l’Esprit et le Christ ressuscité nous communique à son tour l’Esprit qui nous fait vivre de sa vie.
On pourrait dire que la foi est la conscience certaine donnée par l’Esprit d’être des enfants de Dieu. Si nous le savons, nous sommes pleinement libres puisque seule nous importe la volonté de notre Père accomplie dans l’amour.
Le chant au Saint Esprit qui suit est une belle méditation sur les fruits de l’Esprit.

• Jean 14,15…26

Pas de récit de la Pentecôte dans l’évangile de Jean, mais l’évangéliste parle plusieurs fois de l’Esprit Saint qui sera donné aux disciples. Il porte un nom : le Paraclet. La liturgie traduit par “ le Défenseur ”. Jean situe cette promesse de don dans le discours d’adieux de Jésus, au moment de la Pâque. Les disciples étaient-ils désemparés par cette annonce du prochain départ de Jésus ? L’évangéliste ne le dit pas – à ce moment-là du moins. Mais Jésus promet en même temps de ne pas les abandonner, que le Père leur enverra un Défenseur. Le Défenseur sera le témoin de Jésus, celui qui interprétera son message devant ses ennemis, qui soutiendra ses disciples au moment opportun, tout comme le faisait Jésus lorsqu’il était avec eux. Plus encore, c’est cet Esprit-Défenseur qui leur fera se souvenir de tout ce que Jésus leur a dit. L’Esprit Saint, le Paraclet, est un autre Jésus, en quelque sorte. Il assure la présence de Jésus au milieu de ses disciples, de la communauté nouvelle qui naîtra de la Pentecôte. Après l’Ascension, Jésus ne se retire pas de l’histoire de l’humanité ; il instaure un nouveau mode de présence, toujours effectif.

Pentecôte

22 mai, 2010

du site:

http://paulissimo.dominicains.com/spip.php?article53&lang=fr

Pentecôte

Le texte qui nous intéresse ici est celui de Ac 2, 1-13. L’événement a lieu lors de la fête de Pentecôte, autrement dit lors d’une grande fête juive des moissons conduisant un grand nombre de pèlerins vers Jérusalem : le verset 5 traduit cette ambiance. Ambiance de fête et de communion : on remarquera une fois de plus l’abondance des emplois de l’adjectif « tout » ou « tous » dans nos versets (1, 2, 4, 5, 7, 12), qui marquent l’insistance sur l’unité et la communion.
Les disciples, représentés dans notre texte par un « ils » indéterminé et globalisant, sont rassemblés un même lieu : insistance sur la communion que, paradoxalement, le don des langues va rompre et recréer. Le phénomène du don des langues est décrit de manière apocalyptique : c’est en effet une manifestation de Dieu lui-même ; feu et vent sont donc au rendez-vous (Ex 3,2 ; 9,23 etc.). Sa description donne sans doute l’accent théologique dominant de nos versets : l’Esprit Saint individualise les personnes (« il s’en posa une sur chacun d’eux », v. 3) et les langues (« selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer », v. 4) tout en rassemblant, à partir d’une même expérience.
Le don de l’Esprit induit un phénomène particulier, qui est en fait double : celui de parler d’une part, en d’autres langues d’autre part, et très précisément, pour reprendre le texte grec, « hétéroglossie ». La première opération de l’Esprit est donc de délier les langues, de pousser à parler. Mais il ne s’agit pas ou plus de n’importe quelle parole : c’est celle que veut l’Esprit. Autrement dit, c’est Dieu qui parle par la bouche des disciples, et plus spécialement pour Luc, par celle des apôtres : de fait, la suite du livre des Actes sera pour une large part composée de discours. Et de quoi va-t-il s’agir par ces discours ? D’éclairer, d’interpréter pour les auditeurs les faits, les événements, nous dirions aujourd’hui les signes des temps, autrement dit les traces de la présence et de l’action de Dieu dans notre monde.

Excursus : Les signes des temps 
Peut-être peut-on rappeler ici que cette expression « signes des temps » est revenue à plusieurs reprises au Concile Vatican II, en particulier dans la constitution sur l’Église dans le monde de ce temps : « l’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques » (4, §1).
Et encore : « Le peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec d’autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu » (11, §1).
On comprend, à partir du texte des Actes, que cette lecture n’est pas tant le fruit de l’intelligence personnelle que d’une révélation et d’une plénitude d’Esprit Saint. 
Le deuxième effet de cette « plénification » par l’Esprit est donc de parler en d’autres langues. L’idée est à nouveau exprimée dans les versets 6, 8 et 11. S’agit-il bien d’hétéroglossie ou de glossolalie, autrement dit du « parler en langues » dont il sera question en 10,46 ou 19,6 et, bien sûr, longuement en 1 Co 12 ou 14 ? Ce qui peut conduire à s’interroger, c’est en particulier la remarque des gens alentour : « ils sont pleins de vin doux » (v. 13). Mais le frère Claude-Jean-Marie [1] trouve d’autres motifs de s’interroger :
Le texte n’affirme pas que les disciples aient parlé mède ou élamite ou quelque autre langue que ce soit, mais que les mèdes, élamites et autres les entendaient parler dans leur langue.
En outre, ils parlaient à plusieurs à la fois, devant une grande foule, et il ne pouvait donc s’agir que d’un brouhaha.
Pour notre auteur, il y a donc eu un phénomène classique de parler en langues, accompagné d’un miracle d’audition. Le frère Claude-Jean-Marie rappelle d’ailleurs que, dans la première lettre aux Corinthiens, le phénomène de glossolalie doit s’accompagner d’un charisme d’interprétation destiné à édifier l’assemblée (12, 10. 30 ; 14, 5. 13. 27-28).
À mon avis, comme souvent chez Luc, la discontinuité constatée doit plutôt être le signe d’un mixage de traditions diverses. Autrement dit, il est à la fois question de glossolalie et d’hétéroglossie. Claude-Jean-Marie a raison de constater que le texte évoque plutôt un phénomène de glossolalie, mais il n’en reste pas moins que Luc parle d’hétéroglossie : n’a-t-il pas une intention précise pour ce faire, pour réinterpréter l’événement ? Cette intention est claire : pour notre auteur, la Pentecôte est une reprise inversée de l’événement de Babel rapporté en Gn 11,1-9.
Ce texte étrange évoque à première lecture une sorte de vengeance de Dieu devant les entreprises des hommes : ceux-ci parlent une seule langue, et peuvent donc se permettre de se lancer dans la construction d’une tour qui va les rapprocher du ciel et de Dieu. Dieu alors se dit : « Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres » (Gn 11,7). Le résultat de l’initiative divine est la dispersion des hommes qui sont incapables de s’unir dans leur entreprise.
Ne nous appesantissons pas sur l’initiative divine : sa valeur a été fort bien expliquée par Marie Balmary dans son ouvrage Le Sacrifice interdit (Grasset, 1986) ; disons, en simplifaint à l’extrême, que la dispersion opérée par Dieu se fait en réalité au profit de l’homme, dans la mesure où elle restaure une différenciation menacée et pourtant porteuse de salut. Le texte des Actes évoque donc lui aussi une foule rassemblée, à partir de gens de toutes les nations, et un phénomène linguistique. Lorsqu’on le lit sur l’arrière-plan du récit de Babel, on comprend la nouveauté de la Pentecôte : ce qui fait l’unité des peuples, ce n’est plus l’identité de langue, et une initiative personnelle, mais le don de l’Esprit et la volonté de Dieu. Cette réinterprétation théologique est certainement l’œuvre de Luc : dans les Actes des Apôtres, il ne cesse en effet de manifester son souci de l’unité, et il en donne ici en quelque sorte la recette. Mais cette réinterprétation se laisse donc percevoir sur le plan littéraire, phénomène que l’on retrouvera dans le récit de la mise à mort d’Étienne.

notes:
[1] Prier en langues, Pneumathèque, 2004.