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LES RACINES CHRÉTIENNES DE L’EUROPE

23 juillet, 2015

http://www.steinbach68.org/racineschre.htm

LES RACINES CHRÉTIENNES DE L’EUROPE

Le cinquantenaire du traité de Rome offre à l’Église catholique de réinsister auprès des États sur l’héritage chrétien de l’Union européenne

D’où vient l’expression « racines chrétiennes de l’Europe »?
«Sans référence à Dieu, l’Europe ne pourra se construire sur des bases solides » : en 1948, Pie XII se réjouissait qu’au congrès de La Haye, première manifestation de l’Europe commune, une motion se réfère à
«l’héritage religieux de l’Europe» . L’attention de l’Église catholique, et en particulier du Saint-Siège, au caractère chrétien de la construction européenne est aussi ancienne que cette construction elle-même. Pie XII n’avait pas ménagé ses efforts au moment du traité de Rome de 1957, et on compte ultérieurement 93 interventions de Paul VI sur le sujet.
C’est avec Jean-Paul II, pape polonais marqué par les divisions internes du continent, que l’accent sur cet héritage devient le plus fort, dans un contexte occidental de plus en plus sécularisé. À Compostelle en 1982, il utilise pour la première fois le terme de « racines » , qui va devenir l’une des constantes de la diplomatie vaticane : «Je lance vers toi, vieille Europe, un cri plein d’amour: Retrouve-toi toi-même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines. Revis ces valeurs authentiques qui ont rendu ton histoire glorieuse, et bienfaisante ta présence sur les autres continents. »
Vingt années plus tard, en 2003, l’exhortation apostolique post synodale Ecclésia in Europa reprend la même exhortation : « Les racines chrétiennes sont pour l’Europe la principale garantie de son avenir. Un arbre sans racines pourrait-il vivre et se développer ? »

Pourquoi une polémique ?
Coup de téléphone le 22 septembre 2000 de Lionel Jospin, premier ministre français, à Roman Herzog, président allemand: «La France est une République laïque et la référence à l’héritage religieux de l’Union européenne est inacceptable pour elle.» Tout est dit: la France ne souscrira jamais une charte où figure le mot « religion ». L’explication ? « Cela pose des problèmes philosophiques, parce que nos sociétés sont diverses du point de vue des religions; politiques, car nous sommes très attachés au principe de la laïcité; constitutionnels, parce que dans notre Constitution il n’existe aucune forme de référence à un héritage religieux» , commentera peu après Pierre Moscovici, ministre français des affaires européennes.
Ce refus provoque des réactions agacées des catholiques de l’Hexagone. «À vouloir rayer d’un trait de plume toute la dimension religieuse de notre héritage européen, on s’interdit de penser non seulement le passé, mais aussi le présent et l’avenir de l’Europe », avertit Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont et représentant de la France au sein de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece), alors que des intellectuels catholiques signent une pétition de même esprit dans l’hebdomadaire Témoignage chrétien . La rédaction finale de la Charte, autour de la notion de « spiritualité », ne satisfait personne. Et deux ans plus tard, lors de l’élaboration de la Constitution (appuyée par les nouveaux adhérents de l’Europe de l’Est), le Saint-Siège demande une mention de l’héritage chrétien. En fond de tableau : le débat sur l’entrée de la Turquie.

L’expression « héritage culturel, religieux et humaniste » semble un compromis acceptable pour les épiscopats de l’Union.
Dans la rédaction finale du texte constitutionnel en 2003, l’expression «héritage culturel, religieux et humaniste» semble un compromis acceptable pour les épiscopats de l’Union. En réalité, comme le souligne Bérengère Massignon dans
Esprit (1), «deux idées de l’Europe s’affrontèrent, renvoyant à deux modes de construction de l’identité européenne» . D’un côté, un modèle allemand, se fondant sur le rappel des héritages passés communs; de l’autre, un modèle français, contractuel et universaliste. Pour les tenants du premier, la référence à l’héritage chrétien permettrait d’emporter l’adhésion des citoyens à la future Constitution; les autres voyaient dans l’Europe une identité déterminée d’abord par les droits de l’homme, sans référence explicite à Dieu.

Quel lien avec le cinquantenaire du traité de Rome ?
«Le Saint-Siège est reparti dans une offensive diplomatique sur les racines chrétiennes de l’Europe» , constate un diplomate en poste à Rome. Lorsqu’il sait avoir face à lui une oreille attentive (chefs de gouvernement allemand, irlandais ou d’un pays d’Europe de l’Est), Benoît XVI redit sa conviction à ce sujet. L’échec des référendums français et hollandais sur la Constitution lui donne des arguments: «On voit bien aujourd’hui que les peuples ne se sentent pas intégrés dans ce projet européen» , confie-t-on au Vatican. La remise de l’ouvrage sur le métier semble ouvrir une fenêtre: l’Église catholique s’active pour que «les racines chrétiennes» figurent dans l’appel de Berlin, qui sera proclamé ce 25 mars à l’occasion des 50 ans du traité de Rome. L’éloignement de la perspective d’ une entrée(du moi ns rapide) de l a Turquie dans l’UE permet aussi à l’Église d’exprimer ses convictions sans avoir l’air ’entrer en croisade. À Ankara, en novembre dernier, Benoît XVI avait précisé qu’il n’avait rien contre cette adhésion, appelant cependant au respect de la liberté religieuse comme socle de l’Europe.
L’offensive est menée avec prudence: «Le Saint-Siège est conscient qu’avec certains pays, toute intervention trop explicite serait plutôt contre-productive» ,constate un expert de l’Église catholique à Bruxelles. Tout dépend de la future Constitution, notamment de sa première partie. De ce point de vue, l’élection présidentielle française est regardée avec beaucoup d’attention à Rome. L’insistance sur les racines chrétiennes de l’Europe figure d’ores et déjà comme un des points d’ancrage de ce pontificat , dont le titulaire a choisi comme patronyme un grand saint dont les disciples évangélisèrent l’Europe: Benoît.

La Croix , ISABELLE DE GAULMYN
(1) Esprit, mars-avril 2007.

DES INSPIRATEURS CHRÉTIENS DU TRAITÉ
Trois hommes particulièrement, Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide De Gasperi, formant une sorte de «directoire» européen après la Seconde Guerre mondiale, ont posé les bases de la future Union européenne. Le premier est lorrain né au Luxembourg, le second rhénan allemand, le troisième du Trentin italien. Tous trois sont catholiques. De langue germanique, ils appartiennent à des zones frontières.Les trois s’engagèrent en politique au début du XX e siècle. Tous trois s’opposèrent aux dictatures durant la guerre et connurent la prison. Mais leur point commun essentiel ,c’est l’appartenance à un parti chrétien, dans la ligne tracée par l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII(1891),à laquelle chacun d’eux se réfère souvent. Dans les racines de l’Union européenne se trouve ainsi une génération de catholiques pratiquants, convaincus que leur foi chrétienne devait être l’armature de leur engagement politique.

Robert Schuman
«Réserver le christianisme à la seule pratique du culte et des bonnes œuvres signifie en méconnaître et en limiter la mission.
Le christianisme, au contraire, est une doctrine qui entend définir le devoir moral dans tous les domaines, au moins dans ses principes généraux. Si elle n’a pas la prétention de donner une recette infaillible à tous les problèmes d’ordre pratique, où c’est l’opportunité qui doit dicter le choix, l’Église se préoccupe de voir protégés les grands intérêts de la personne humaine: sa liberté, sa dignité et son développement.»
Konrad Adenauer (signataire du traité de 1957)
«À la conception matérialiste du monde doit se substituer la vision chrétienne; aux principes fondamentaux du matérialisme nous devons opposer les principes de l’éthique chrétienne qui doivent devenir déterminants pour la construction de l’État et la limitation des pouvoirs, pour les droits et les devoirs des individus, pour la vie économique et sociale, pour les relations réciproques des peuples.»
In Aux racines chrétiennes de l’Union européenne (cité par Gerlando Lentini)

Alcide De Gasperi
«Quelle voie faut-il choisir pour maintenir ce qu’il y a de noble et d’humain dans les forces nationales ?Cela ne peut se faire qu’en vivifiant les forces nationales avec les idéaux communs de notre histoire, et en leur donnant comme champ d’action les différentes et grandioses expériences de la civilisation européenne commune.»
Discours devant le Conseil de l’Europe,1951

DISCOURS AU PRÉSIDENT D’IRLANDE, S.E.M. PATRICK J. HILLERY* (1989)

16 mars, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/speeches/1989/april/documents/hf_jp-ii_spe_19890420_pres-rep-irlanda.html

DISCOURS AU PRÉSIDENT D’IRLANDE, S.E.M. PATRICK J. HILLERY*

20 avril 1989

Monsieur le Président,

(en gaélique) «Soyez cent mille fois le bienvenu au Vatican».

1. J’ai le grand plaisir de vous accueillir ici aujourd’hui et, par votre intermédiaire, d’adresser mes chaleureuses salutations au peuple irlandais bien-aimé qui occupe incontestablement une place particulière dans le cœur du successeur de l’apôtre Pierre. Dans le dessein de Dieu envers son Église, la prédication de saint Patrick aux Irlandais apparaît comme une des illustrations les plus extraordinaires de l’Évangile, comparable au semeur qui est sorti pour aller semer. Des grains sont tombés sur la bonne terre et ont donné de nombreux fruits (cf. Mt 13, 8). La contribution particulière que l’Irlande a apportée à l’évangélisation de l’Europe et au développement de la culture européenne, ainsi qu’à l’expansion missionnaire mondiale de l’Église en des temps plus récents, a créé des liens sacrés entre votre pays et le Saint-Siège.
Au cours de mon inoubliable visite de 1979, j’ai expérimenté personnellement la profondeur de cette «union de charité entre l’Irlande et la Sainte Église romaine» (Homélie au Phoenix Park, 29 septembre 1979). En raison de tout ceci, j’ai considéré ma visite comme «une grande dette envers Jésus-Christ, qui est le Seigneur de l’histoire et l’auteur de notre salut» (Ibid.). Notre rencontre de ce jour est une reconnaissance solennelle et une célébration joyeuse de cette authentique amitié qui, pour ma part, embrasse tout le peuple d’Irlande, sans oublier ceux qui suivent d’autres traditions religieuses.
2. L’Irlande moderne fut fondée selon la vision d’une société capable de répondre aux aspirations les plus profondes de son peuple et d’assurer le respect de la dignité et des droits de tous ses citoyens. Cette vision est liée au désir ardent et incessant d’une réalisation effective des valeurs chrétiennes et humaines les plus profondes qui n’ont jamais cessé de résonner dans les esprits et les cœurs des Irlandais. L’Irlande peut certainement être fière des progrès réalisés. Les difficultés – même très sérieuses – n’ont pas manqué, mais elle est, dans son ensemble. Une société chaleureuse et bienveillante, sûre du rôle de la loi et enracinée dans les idéaux les plus élevés de justice, de liberté et de paix.
Dans le forum international, l’Irlande occupe une place d’une importance particulière. Des millions de personnes vivant dans d’autres parties du monde font remonter leurs origines à ce pays et un grand nombre d’Irlandais et d’Irlandaises de l’Église, ainsi que des volontaires dans les activités sociales et de développement, œuvrent dans presque tous les coins de la terre. Il faut également souligner le fait que votre pays s’est efforcé d’être un partenaire engagé et actif dans les organisations telles que les Nations Unies et la Communauté européenne.
Vous-même, en qualité de Ministre des affaires étrangères, avec négocié l’entrée de l’Irlande dans la Communauté européenne et avez servi comme Vice-Président de la Commission des Communautés européennes en assumant une responsabilité particulière pour les affaires sociales. J’ai noté, d’après la lecture de Jean Monet, que l’an dernier, vous avez transmis à l’Institut de l’Université européenne la profondeur de votre engagement personnel à l’idéal d’une communauté européenne commune qui tient compte en même temps de la richesse de ses différentes cultures et de l’unicité de l’histoire de chaque peuple. La voix de l’Irlande en Europe et dans le monde est particulièrement adaptée pour être une voix d’amitié, de bonne volonté et de paix. L’Irlande peut contribuer à la sagesse d’une réflexion calme et impartiale sur les leçons de l’histoire, une réflexion menée dans le contexte du profond humanisme chrétien qui est son ethos le plus authentique.
3. Comme vous le savez, Excellence, dans la basilique Saint-Pierre, se trouve une chapelle dédiée, au grand saint irlandais saint Colomban. La mosaïque derrière l’autel montre Colomban et ses disciples en tant que «pelegrinantes pro Christo», ambassadeurs et messagers de l’Évangile du Christ. Que de fois ce rôle n’a-t-il pas été réitéré par des Irlandais et des Irlandaises qui ont été et continuent d’être des témoins du Christ dans chaque continent! La mosaïque porte cette inscription: «Si tollis libertatem tollis dignitatem» – si vous enlevez la liberté à l’homme, vous détruisez sa dignité (Lettre n. 4, A. Attala, in S. Columbani Opera, Dublin 1957, p. 34). La phrase peut avoir été prononcée non seulement par saint Colomban au début du 7ème siècle, mais aussi par l’un de vos patriotes ou par un contemporain qui considère le monde et s’aperçoit avec regret et tristesse que tous les peuples ne sont pas vraiment libres. En plus des anciennes oppressions, les sociétés modernes sont exposées à de nouvelles formes de sujétion. Ces nouveaux esclavages sont particulièrement destructeurs de la dignité humaine.
C’est ce que j’avais à l’esprit pendant ma visite en Irlande, il y a dix ans, lorsque j’ai parlé d’une confrontation de valeurs et de tendances étrangères à la société irlandaise. Les sociétés avancées voient trop souvent les principes les plus sacrés «minés par de faux semblants» (cf. Homélie au Phoenix Park, n. 3). L’égoïsme prend la place du courage moral et de la solidarité. La propre valeur est alors mesurée en termes d’avoir, non d’être. Par conséquent, se crée un climat composé de petites et grandes in justices, et d innombrables formes de violence. Ce qui est accepté comme véritable liberté n’est en réalité qu’une nouvelle forme d’esclavage.
Dans de telles circonstances, les paroles conservées dans la chapelle de saint Colomban retentissent comme un écho dans toute leur sagesse et leur avertissement: si la véritable liberté – la disposition à choisir le bien et la vérité – est perdue, alors la dignité, la valeur et les droits inaliénables de la personne sont menacés. L’Irlande possède les ressources spirituelles et humaines pour poursuivre la voie du véritable développement qui doit respecter et encourager toutes les dimensions de la personne humaine, dans l’exercice d’une solidarité juste et généreuse, spécialement envers les membres les plus faibles de la société. Je sais, Excellence, que vous partagez cet intérêt et cette conviction. Je puis vous assurer que ma prière fréquente pour vos concitoyens reflète la confiance que l’Irlande réussira à relever ce défi.
4. Comme pays, l’Irlande se tient fermement du côté de la paix et les Irlandais chérissent la paix dans leurs cœurs. Cependant, la vie de toute l’île est bouleversée par le climat de mort, d’intimidation et de violence qui a causé tant de souffrances aux deux communautés dans le nord de l’Irlande au cours de ces vingt dernières années. Ce type de violence qui est perpétré dans l’Irlande du Nord n’offre aucune solution aux problèmes réels de la société. Ce n’est pas la méthode qui a été choisie démocratiquement par le peuple, de chaque côté. Elle n’offre aucune vérité capable d’attirer et de convaincre les esprits et les cœurs des personnes. Son seul argument est la terreur et la destruction qu’elle engendre.
Seule l’authentique bonne volonté de s’engager dans le dialogue et des gestes courageux de réconciliation vont au cœur même des causes sous-jacentes de la complexe situation actuelle de conflit. Comme je l’ai écrit dans le Message de cette année pour la Journée mondiale de la paix, là où cohabitent des communautés marquées par différentes origines ethniques, traditions culturelles ou croyances religieuses, chacune a droit à son identité collective qui doit être protégée et encouragée (cf n.3). En même temps, toutes doivent examiner consciencieusement la légitimité de leurs revendications à la lumière de la vérité qui inclue développements historiques et réalité présente. Agir différemment impliquerait le risque de rester prisonnier du passé, sans aucune perspective d’avenir (cf n.11).
Mais l’avenir est déjà devant nous. Il est représenté par les jeunes d’Irlande, catholiques et protestants, qui aspirent désespérément à hériter d’un pays en paix et d’une société construite sur la justice et le respect de tous ses membres. Lorsqu’ils constatent combien la jeunesse de l’Europe réagit positivement à l’unité croissante entre les peuples des différents pays et de différentes cultures, ne réclament-ils pas la même chance pour eux? Qui pourrait revendiquer le droit de leur refuser leur avenir et leur liberté?
Un impératif moral plane sur toutes les parties en cause, afin de parvenir à un consensus politique qui respecterait les droits légitimes et les aspirations de tout le peuple d’Irlande du Nord. Pourtant, des signes d’espoir ne manquent pas et nous prierons en toute confiance pour qu’un processus guidé par la raison et le consentement mutuel ne tarde pas à mettre fin à l’effusion de sang et à assurer une juste réconciliation et une reconstruction pacifique. Que Dieu soutienne la persévérance et le courage de ceux qui travaillent de manière réaliste et animés d’un amour fraternel, pour accélérer l’arrivée de ce jour.

*L’Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.20 p.4.