Archive pour la catégorie 'ÉTUDE'

LA CORPORALITÉ DANS LA PENSÉE ET L’ART DU JUDAÏSME – TATOUAGES SUR LA CHAIR ET L’ÂME

27 novembre, 2019

http://www.vatican.va/news_services/or/or_quo/cultura/2010/116q04a1.html

pen efrvmarc-chagall. over the town - Copia

Marc Chagall « Over the town »

LA CORPORALITÉ DANS LA PENSÉE ET L’ART DU JUDAÏSME – TATOUAGES SUR LA CHAIR ET L’ÂME

Google Traduction

Le 23 mai, l’exposition du Linceul se terminera à Turin. Au lieu de cela, l’exposition – organisée par Imago Veritatis et organisée par Timothy Verdon – se poursuit jusqu’au 1er août à la Venaria Reale – « Jésus. Le corps, le visage dans l’art ». À partir du catalogue (Cinisello Balsamo, Silvana Editoriale, 2010, pages 336, euro 35), nous publions presque intégralement l’essai écrit par l’Ambassadeur d’Israël près le Saint-Siège.

par Mordechay Lewy
La corporalité dans le judaïsme, par opposition à la spiritualité dans le christianisme, a fait l’objet de nombreuses controverses pendant des siècles, se terminant parfois de manière désastreuse pour les juifs. En écrivant cet essai, je n’ai pas l’intention de raviver le cercle des polémiques. Au contraire, je voudrais mettre en lumière certains aspects susceptibles de réduire la polarisation créée au cours des siècles. Ni le judaïsme ni le christianisme n’ont toujours adhéré pleinement à la corporalité ou à la spiritualité. Nous trouvons parfois des juifs qui développent leur doctrine en adoptant la philosophie hellénistique, comme par exemple Philon d’Alexandrie, ou même des conceptions aristotéliciennes de la vie après la mort, telles que Maïmonide. La Qabbalah juive a développé un concept très corporel de Dieu, y compris l’idée de réincarnation de l’âme. La plupart des chrétiens ont compris que Dieu était une entité corporelle en adoptant l’idée de l’incarnation, du Verbe incarné. L’idée de la transsubstantiation a contribué au culte deLe Corpus Christi a été créé en 1264. L’art chrétien est devenu corporel lorsque des peintures plus naturalistes ont été nécessaires pour diffuser la nouvelle doctrine. Cependant, tout en empruntant, Juifs et Chrétiens sont restés fidèles à leur propre vérité.
L’alliance de Dieu a été stipulée non seulement avec la nation juive présente physiquement dans le Sinaï, mais également avec les générations futures. L’arche d’abord, et le temple, ensuite, étaient considérés comme la demeure de Dieu.À partir de la destruction du deuxième temple, la présence divine s’est dispersée parmi le peuple juif; dans le Talmud, il est appelé Shekhina. Le texte écrit est devenu l’instrument de l’omniprésence du divin. Les offres matérielles ont été sublimées par des mots et des prières quotidiennes. Cette idée de l’omniprésence divine est bien adaptée au concept juif de Dieu invisible, dépourvu de corps ou de corporéité.
Parmi les résumés des articles de foi, les treize principes écrits par Maïmonide ont toujours fait l’objet d’une grande considération. Les trois premiers sont pertinents: « Que le Dieu vivant soit loué et loué. Il existe et son existence n’a pas de limite de temps »; « Il est un et il n’y en a pas d’autre aussi unique que son unité. Son unité est impénétrable et infinie »; « Il n’a pas de forme corporelle et n’est pas un corps. Rien ne peut être comparé à sa sainteté. Dieu est un, il est invisible et omniprésent et n’a pas de corporalité. »
Les princes de Maïmonide ont provoqué une rupture dans le monde rabbinique médiéval. Un de ses premiers critiques, proche des milieux kabbalistiques, fut le rabbin Moïse ben Hasdai Taku, qui n’accepta pas l’interprétation allégorique donnée par Maïmonide du langage anthropomorphique avec lequel le texte biblique du Pentateuque attribue des voix à Dieu. Pour Rabbi Moïse, la puissance de Dieu est infinie et il peut se « réduire », apparaître de manière inattendue et de même produire des sons ou des bruits à volonté. Le judaïsme continue de considérer Dieu comme invisible et omniprésent et n’a jamais soutenu l’idée d’une réincarnation de l’âme ( Gilgul Neshamot), en effet il les a complètement rejetés. Avec l’émergence de l’impact de la Kabbale entre le XIIe et le XIIIe siècle, l’idée de la réincarnation de l’âme est devenue une partie du mysticisme juif.
L’attitude différente à l’égard de l’incarnation dans le judaïsme et le christianisme trouve ses racines dans la manière d’interpréter la création de l’humanité. Le concept moniste de la créature humaine, selon lequel l’âme et le corps étaient créés comme une unité, revêtait une importance capitale pour le judaïsme. Le mot hébreu pour l’âme, Nefesh, est presque synonyme d’homme et de vie. En tant que tel, l’homme fait entrer son corps dans sa relation avec Dieu, d’autre part, Dieu confirme cette corporéité, y compris le corps dans son alliance par le biais de la circoncision. Le dualisme hellénistique, cependant, a également eu un impact sur divers mouvements du judaïsme durant la période du Second Temple. Philon d’Alexandrie est considéré comme son principal représentant dans la philosophie juive. Selon sa pensée, le corps est presque une prison de l’âme. Dans le Talmud, un certain Antonin apparaît à de nombreuses reprises tout en conversant avec un certain rabbin Yehuda, manifestement le président vénéré du Sanhédrin. Cela reflète une sorte de légitimation de l’échange de vues avec la philosophie grecque. C’est trop demander si Antonin représente par hasard un empereur de la dynastie des Antonins, probablement même Marc Aurèle lui-même? Certains sages juifs se sentaient menacés et opposés à l’impact hellénistique.
Un sujet de discorde était la question de la circoncision. Dans le Talmud, certains essais présentent la distinction selon laquelle, après la mort, la créature humaine se décompose en trois parties. L’âme vient de Dieu qui (re) prend ce qui lui appartient. La substance blanche provient de l’homme, et le cerveau et les os en sont constitués. La substance rouge provient de la femme et la peau, la chair et le sang en sont constitués. Les parties qui proviennent de l’homme et de la femme se décomposent après la mort. La mort sépare temporairement le corps et l’âme jusqu’à la résurrection. Il n’y a pas de description de la résurrection la plus suggestive de celle de la vision d’Ezekiel des os secs. Les Juifs ont adopté des coutumes funéraires visant précisément à préparer le corps humain à la résurrection future: le tout le corps doit être enterré le même jour, et la crémation n’est pas autorisée. L’intégrité du corps doit être maintenue malgré la décomposition mortelle, car avec la résurrection, le corps reviendra à la vie.
Qui n’a pas vu, après chaque attentat-suicide, des Juifs orthodoxes errant parmi des victimes civiles israéliennes pour rassembler des restes de corps humains, éparpillés un peu partout, même loin du site de l’attaque terroriste? En réalité, de tels efforts ne sont justifiés que si l’on croit en la résurrection du corps dans son intégralité. Mais probablement ils n’auraient pas trouvé Maïmonide, très contesté par les sages juifs de son temps (1135-1204) et même considéré comme un hérétique par certains, uniquement parce qu’il avait réclamé la séparation de l’âme du corps après la mort.
Il n’ya pas d’expression corporelle plus forte que la demande de Dieu à Abraham et à tous ses descendants de pratiquer le rite de la circoncision ( Brit Mila) sur leur chair, en signe d’alliance. Une autre contrainte corporelle, répétée quotidiennement par les juifs pratiquants, consiste à lier les phylactères ( téfilines ) au front ( totafot ) et au bras gauche, près du cœur ( ot ).
Ceci est une expression supplémentaire de la corporalité, qui inclut la propriété collective de Dieu de chaque individu juif en tant qu’esclave. Le corps du Juif mâle porte des signes permanents (circoncision) et des signes temporaires (les phylactères liés quotidiennement) comme signes mnémoniques, pour rappeler la bienveillance de Dieu depuis l’exode d’Egypte. Mais une signification anthropologique peut également être ajoutée à ces signes corporels. Ils semblent refléter l’évolution des anciens modèles socio-juridiques de la pratique du marquage des propriétés. Les anciennes cultures orientales marquaient la propriété sur les biens, qu’il s’agisse d’objets, de corps d’animaux ou de corps humains. L’état d’esclavage permanent dans les cultures mésopotamiennes était marqué par un tatouage plutôt que par une image de marque, mais la Bible ne tolérait pas de signes corporels permanents. Je crois que jetéfilinesont été introduits en remplacement; l’interdiction des marques et des tatouages ??visait à établir une distinction entre la nouvelle religion monothéiste et les cultures polythéistes de la région, a répété Maïmonide au XIIIe siècle. Cependant, la circoncision continuait à être pratiquée par les Juifs dans la mesure où seuls les peuples égyptien et cananéen étaient habitués à le faire. Il n’existe aucune preuve linguistique, ni autre, que les cultures mésopotamiennes ont pratiqué la circoncision. Par conséquent, la tradition qui voit dans la circoncision d’Abraham un héritage mésopotamien me semble douteuse; probablement quelqu’un avait intérêt à cacher l’influence de la culture égyptienne sur les juifs. L’hellénisme a très probablement hérité de la coutume babylono-persane de rejeter la circoncision et L’influence hellénistique, la pratique de la circoncision ne fut plus suivie par tous les Juifs, à tel point que la restauration du prépuce n’était pas inhabituelle. La culture gréco-romaine a rejeté la circoncision, considérée comme une mutilation de la beauté du corps.
Les mnémotechniques utilisées dans le judaïsme ancien à travers les signes du corps avaient un brillant avenir dans le christianisme médiéval. Le Nouveau Testament a donné naissance à la vision organique de la communauté en tant que corps en communion avec Jésus. L’idée de Dieu (la Parole ou Logos)) qui devient chair (c’est-à-dire qui prend une forme humaine) n’était pas étranger à la tradition hellénistique, égyptienne et mésopotamienne. En même temps, la nature divine et humaine de Jésus devint une doctrine contraignante lors du premier concile de Nicée en 325. Les premiers chrétiens adoptèrent des coutumes similaires à celles de la culture juive, mais à un niveau symbolique et non corporel. Le meilleur exemple est le baptême en tant que rite d’initiation. De la même manière que la circoncision, le baptême crée une marque indélébile, mais dans l’âme. Le contraste entre la corporalité juive et la spiritualité chrétienne a été marqué par une controverse entre les deux religions, dont la plus ancienne remonte probablement à la Michna . Rabbi Eliezer Hamodai disait dans les Maximes des Pèresque ceux qui annulent l’alliance d’Abraham « n’ont aucune part dans le monde à venir ». Saint Augustin a exprimé cette polarisation polémique, affirmant que les chrétiens ont une compréhension plus profonde de la signification spirituelle, tandis que les Juifs restent dans le royaume « inférieur » de la charalité, comprise uniquement sous sa forme physique et matérielle. Néanmoins, Augustin considérait la circoncision comme une sorte de sceau du salut. Cependant, Pietro Lombardo l’a comprise comme une simple marque, car Abraham était déjà justifié par la foi. Lombardo, s’appuyant sur Augustin, considérait la circoncision depuis Abraham comme un remède contre le péché originel, hérité de génération en génération par le biais de la concupiscence des parents.
Dans l’iconographie chrétienne depuis le XIIIe siècle, le rite de la circoncision juif apparaît souvent dans le cycle de la vie de Jésus, presque toujours sans allusions négatives. À partir du XIIIe siècle, les sentiments religieux chrétiens incluaient une corporéité émergente suivie par l’art figuratif. En conséquence, le culte des signes du corps grandit sous les formes les plus diverses, telles que la vénération du Corpus Christi , les cinq blessures de Jésus, les stigmates de saint François ou la vénération de l’ Arma Christi . L’ imitatio Christiil devint l’idéal corporel de la religiosité mystique à la fin du Moyen Âge. Le sang a changé de signification normative, contrairement à ce qui était écrit dans la Bible, dans lequel il était associé à la vie, à la pureté et à la prospérité. La Kabbale a adopté des valeurs différentes et contradictoires. Tant pour les chrétiens que pour les juifs du Moyen Âge, le corps de Dieu, et en particulier son sang, est devenu le centre d’un nouveau sens de la corporalité; Les deux cultures, comme l’écrit David Biale, partageaient le culte du sang de Dieu.
Il ne fait aucun doute que les juifs et les chrétiens des villes médiévales partageaient une société issue de la cohabitation dans un environnement urbain densément peuplé. Ils avaient appris à connaître les rites de chacun, mais, en compétition pour la bienveillance divine, cela ne suffisait pas pour réduire leur animosité. Juifs et chrétiens souventils « interprétaient » ou se moquaient mutuellement des rites, contribuant ainsi à alimenter un cycle de controverses. La seule différence était que les Juifs constituaient une minorité qui non seulement risquait leur vie, mais était également marquée de préjugés profondément enracinés.
En considérant la liturgie comme langage corporel dans une religion, on pourrait retracer les similitudes et les différences entre les gestes corporels juifs et chrétiens et leurs liturgies respectives. Dans l’acte de pénitence au début de chaque messe, les fidèles frappent trois fois le poing de la main droite sur le côté gauche de la poitrine; le même geste est principalement accompli par les Juifs Ashkénazes dans la prière quotidienne du Vidui (confession) pour chacun des vingt-quatre péchés énumérés. On ne sait pas quelle religion a adopté le geste en premier, mais il a probablement été introduit au Moyen Âge. Lorsque le rouleau de la Torah est extrait de l’arche sacrée, la communauté de la synagogue se lève. De même, lors des verbes de liturgiepour la lecture de l’Evangile, l’assemblée de l’église se lève. L’Évangile est une dignité réservée semblable à celle de la Torah, les deux sont en fait exposés en procession autour de l’autel ou de l’arche du Saint, respectivement. Alors que l’Évangile est vénéré de loin, les Juifs recherchent une proximité physique avec le rouleau de la Torah pendant la procession, l’embrassant ou le touchant avec la frange de cordes entrelacées ( Zizit ) placées aux extrémités du manteau de prière ( Tallith). La même manifestation de contact physique se produit parmi les Juifs au début et à la fin de chaque lecture d’un passage du rouleau de la Torah. Cependant, même la liturgie chrétienne a développé sa propre expression authentique de corporalité. Le carré de toile blanche sur l’autel, sur lequel sont placées les espèces eucharistiques, porte déjà le titre de caporal depuis le XIVe siècle, puisqu’il sert à envelopper le corps du Christ lors de la liturgie eucharistique. Le signe de la croix avec les doigts sur les objets, sur le corps de quelqu’un ou dans les airs a créé une grande variété de gestes liturgiques. Le baroque espagnol a réalisé des sculptures votives en bois peintes de façon si naturaliste qu’on les appelait encarnación . Cet art post-tridentin donna à la doctrine de la Parole devenue chair une très grande visibilité.
Le Pentateuque reflète déjà une attitude iconoclaste interdisant la création d’images. Les Juifs ont par la suite développé la capacité de sublimer la corporéité en immatérialité, par exemple en transformant des offrandes en prières. Les mots et les écrits canonisés ont renforcé l’aptitude à l’expression artistique non picturale. Dérivé, comme dans l’art islamique, de dessins ornementaux et de micrographies. L’instauration d’une culture presque dépourvue d’images sous la domination musulmane constituait une rupture avec la tradition gréco-romaine classique de l’expression picturale, qui dominait la Méditerranée depuis l’Antiquité. Le christianisme est allé dans d’autres directions, sublimant la spiritualité de la Parole dans l’incarnation de Dieu par Jésus. Grâce à cette corporéité, le christianisme pourrait facilement emprunter des modèles d’art pictural de la tradition gréco-romaine. Sous l’influence hellénistique, les mosaïques des synagogues de Terre Sainte reproduisaient des représentations iconographiques d’épisodes bibliques. La richesse des images bibliques dans les fresques de la synagogue Doura-Europos, du 3ème siècle, est unique.
La culture hellénistique a admis les images comme vérité, comme l’a exprimé Filostrato; Platon s’est opposé à la peinture(et les sophistes) dans le Phèdre , car aucun ne pouvait créer la vie et la vérité. À son avis, seules l’âme et sa vérité pourraient créer la vie. Les réserves platoniques contre la peinture existent également dans les traditions des hadiths musulmans . L’hostilité aux images a été globalement maintenue par les juifs et les musulmans. Dans sa polémique contre l’approche iconoclaste, Giovanni Damasceno a affirmé que, depuis que Jésus était devenu l’incarnation de la parole divine, il pouvait être représenté.
Bede le Vénérable a essayé d’harmoniserInterprétation de l’Ancien et du Nouveau Testament l’un comme préfiguration de l’autre. L’émergence de la corporalité dans l’art chrétien était presque une nécessité didactique. Cette approche fondamentale du catholicisme favorable à l’image n’est pas identique à l’attitude iconophilique byzantine (iconodule). William Durand (1220-1296) expliqua clairement qu ‘ »une chose est d’adorer une image et une autre, à travers une image, d’apprendre historiquement ce que l’on doit adorer ». Les docteurs de l’Église étaient bien conscients du fait que, dans les conflits médiévaux avec les juifs et les musulmans, le christianisme était perçu comme une idolâtrie.L’argument principal partait du principe que, si Jésus avait été une simple nature humaine, son image serait vénérée comme une idolâtrie. Si, au contraire, Jésus avait eu une nature divine, il aurait été impossible de le représenter. La nouvelle doctrine de la transsubstantiation et la vénération du Corpus Christi nécessitaient une diffusion parmi les croyants qui, sans miracles apparents, avaient du mal à les comprendre. Maïmonide, dans sa classification des cinq types d’infidélité, définit le chrétien « celui qui admet qu’il n’y a qu’un seul Dieu, mais qu’il a un corps et une forme ».
Le moyen d’expression le mieux préservé dans l’art juif médiéval est constitué par les manuscrits juifs enluminés d’origine ashkénaze (en Europe centrale et occidentale). Ce qui frappe, en les observant, ce sont les représentations figuratives des animaux et des humains. Comment concilier ce phénomène avec l’approche iconoclaste du judaïsme? Maïmonide écrit dans Mishe Torah: « Il est permis de bénéficier de figures faites par des gentils pour la décoration, mais celles faites pour le culte des idoles sont interdites ». L’opinion admise aujourd’hui est que ces manuscrits sont le produit de la collaboration entre des scribes juifs et des enlumineurs chrétiens. Les créatures, souvent bizarres et déformées, ont essentiellement répondu à la demande des clients juifs de ne pas représenter les êtres humains. En tout état de cause, tout en ne nous poussant pas plus loin que Ruth Melnikoff, nous pouvons dire que les Juifs, opposés aux images humaines, semblent fermer les yeux sur ces miniatures.Dans les manuscrits hébreux d’origine italienne ou espagnole, ce type de déformation volontaire de la figure humaine n’est pas retrouvé. J’exclus la possibilité que des peintres juifs aient été embauchés dans ces pays; Si nous considérons les normes prescrites par Maïmonide contre les idoles, la peinture et la sculpture ne pourraient être un métier pour les Juifs. Seul le processus d’assimilation au sein d’une société aimable, comme cela s’est produit dans certaines parties de l’Europe à la fin du XIXe siècle, a provoqué un changement radical. Il fallut près de huit cents ans à l’époque de Maïmonide pour que Chagall crée pour la première fois un art figuratif juif authentique.

Texte d’origine

L’opinione accettata oggigiorno è che quei manoscritti sono il prodotto della collaborazione fra scribi ebrei e miniatori cristiani.
Proposer une meilleure traduction
La corporalité dans la pensée et l’art du judaïsme
Tatouages ??sur la chair et l’âme

Le 23 mai, l’exposition du Linceul se terminera à Turin. Au lieu de cela, l’exposition – organisée par Imago Veritatis et organisée par Timothy Verdon – se poursuit jusqu’au 1er août à la Venaria Reale – « Jésus. Le corps, le visage dans l’art ». À partir du catalogue (Cinisello Balsamo, Silvana Editoriale, 2010, pages 336, euro 35), nous publions presque intégralement l’essai écrit par l’Ambassadeur d’Israël près le Saint-Siège.

par Mordechay Lewy
La corporalité dans le judaïsme, par opposition à la spiritualité dans le christianisme, a fait l’objet de nombreuses controverses pendant des siècles, se terminant parfois de manière désastreuse pour les juifs. En écrivant cet essai, je n’ai pas l’intention de raviver le cercle des polémiques. Au contraire, je voudrais mettre en lumière certains aspects susceptibles de réduire la polarisation créée au cours des siècles. Ni le judaïsme ni le christianisme n’ont toujours adhéré pleinement à la corporalité ou à la spiritualité. Nous trouvons parfois des juifs qui développent leur doctrine en adoptant la philosophie hellénistique, comme par exemple Philon d’Alexandrie, ou même des conceptions aristotéliciennes de la vie après la mort, telles que Maïmonide. La Qabbalah juive a développé un concept très corporel de Dieu, y compris l’idée de réincarnation de l’âme. La plupart des chrétiens ont compris que Dieu était une entité corporelle en adoptant l’idée de l’incarnation, du Verbe incarné. L’idée de la transsubstantiation a contribué au culte deLe Corpus Christi a été créé en 1264. L’art chrétien est devenu corporel lorsque des peintures plus naturalistes ont été nécessaires pour diffuser la nouvelle doctrine. Cependant, tout en empruntant, Juifs et Chrétiens sont restés fidèles à leur propre vérité.
L’alliance de Dieu a été stipulée non seulement avec la nation juive présente physiquement dans le Sinaï, mais également avec les générations futures. L’arche d’abord, et le temple, ensuite, étaient considérés comme la demeure de Dieu.À partir de la destruction du deuxième temple, la présence divine s’est dispersée parmi le peuple juif; dans le Talmud, il est appelé Shekhina. Le texte écrit est devenu l’instrument de l’omniprésence du divin. Les offres matérielles ont été sublimées par des mots et des prières quotidiennes. Cette idée de l’omniprésence divine est bien adaptée au concept juif de Dieu invisible, dépourvu de corps ou de corporéité.
Parmi les résumés des articles de foi, les treize principes écrits par Maïmonide ont toujours fait l’objet d’une grande considération. Les trois premiers sont pertinents: « Que le Dieu vivant soit loué et loué. Il existe et son existence n’a pas de limite de temps »; « Il est un et il n’y en a pas d’autre aussi unique que son unité. Son unité est impénétrable et infinie »; « Il n’a pas de forme corporelle et n’est pas un corps. Rien ne peut être comparé à sa sainteté. Dieu est un, il est invisible et omniprésent et n’a pas de corporalité. »
Les princes de Maïmonide ont provoqué une rupture dans le monde rabbinique médiéval. Un de ses premiers critiques, proche des milieux kabbalistiques, fut le rabbin Moïse ben Hasdai Taku, qui n’accepta pas l’interprétation allégorique donnée par Maïmonide du langage anthropomorphique avec lequel le texte biblique du Pentateuque attribue des voix à Dieu. Pour Rabbi Moïse, la puissance de Dieu est infinie et il peut se « réduire », apparaître de manière inattendue et de même produire des sons ou des bruits à volonté. Le judaïsme continue de considérer Dieu comme invisible et omniprésent et n’a jamais soutenu l’idée d’une réincarnation de l’âme ( Gilgul Neshamot), en effet il les a complètement rejetés. Avec l’émergence de l’impact de la Kabbale entre le XIIe et le XIIIe siècle, l’idée de la réincarnation de l’âme est devenue une partie du mysticisme juif.
L’attitude différente à l’égard de l’incarnation dans le judaïsme et le christianisme trouve ses racines dans la manière d’interpréter la création de l’humanité. Le concept moniste de la créature humaine, selon lequel l’âme et le corps étaient créés comme une unité, revêtait une importance capitale pour le judaïsme. Le mot hébreu pour l’âme, Nefesh, est presque synonyme d’homme et de vie. En tant que tel, l’homme fait entrer son corps dans sa relation avec Dieu, d’autre part, Dieu confirme cette corporéité, y compris le corps dans son alliance par le biais de la circoncision. Le dualisme hellénistique, cependant, a également eu un impact sur divers mouvements du judaïsme durant la période du Second Temple. Philon d’Alexandrie est considéré comme son principal représentant dans la philosophie juive. Selon sa pensée, le corps est presque une prison de l’âme. Dans le Talmud, un certain Antonin apparaît à de nombreuses reprises tout en conversant avec un certain rabbin Yehuda, manifestement le président vénéré du Sanhédrin. Cela reflète une sorte de légitimation de l’échange de vues avec la philosophie grecque. C’est trop demander si Antonin représente par hasard un empereur de la dynastie des Antonins, probablement même Marc Aurèle lui-même? Certains sages juifs se sentaient menacés et opposés à l’impact hellénistique.
Un sujet de discorde était la question de la circoncision. Dans le Talmud, certains essais présentent la distinction selon laquelle, après la mort, la créature humaine se décompose en trois parties. L’âme vient de Dieu qui (re) prend ce qui lui appartient. La substance blanche provient de l’homme, et le cerveau et les os en sont constitués. La substance rouge provient de la femme et la peau, la chair et le sang en sont constitués. Les parties qui proviennent de l’homme et de la femme se décomposent après la mort. La mort sépare temporairement le corps et l’âme jusqu’à la résurrection. Il n’y a pas de description de la résurrection la plus suggestive de celle de la vision d’Ezekiel des os secs. Les Juifs ont adopté des coutumes funéraires visant précisément à préparer le corps humain à la résurrection future: le tout le corps doit être enterré le même jour, et la crémation n’est pas autorisée. L’intégrité du corps doit être maintenue malgré la décomposition mortelle, car avec la résurrection, le corps reviendra à la vie.
Qui n’a pas vu, après chaque attentat-suicide, des Juifs orthodoxes errant parmi des victimes civiles israéliennes pour rassembler des restes de corps humains, éparpillés un peu partout, même loin du site de l’attaque terroriste? En réalité, de tels efforts ne sont justifiés que si l’on croit en la résurrection du corps dans son intégralité. Mais probablement ils n’auraient pas trouvé Maïmonide, très contesté par les sages juifs de son temps (1135-1204) et même considéré comme un hérétique par certains, uniquement parce qu’il avait réclamé la séparation de l’âme du corps après la mort.
Il n’ya pas d’expression corporelle plus forte que la demande de Dieu à Abraham et à tous ses descendants de pratiquer le rite de la circoncision ( Brit Mila) sur leur chair, en signe d’alliance. Une autre contrainte corporelle, répétée quotidiennement par les juifs pratiquants, consiste à lier les phylactères ( téfilines ) au front ( totafot ) et au bras gauche, près du cœur ( ot ).
Ceci est une expression supplémentaire de la corporalité, qui inclut la propriété collective de Dieu de chaque individu juif en tant qu’esclave. Le corps du Juif mâle porte des signes permanents (circoncision) et des signes temporaires (les phylactères liés quotidiennement) comme signes mnémoniques, pour rappeler la bienveillance de Dieu depuis l’exode d’Egypte. Mais une signification anthropologique peut également être ajoutée à ces signes corporels. Ils semblent refléter l’évolution des anciens modèles socio-juridiques de la pratique du marquage des propriétés. Les anciennes cultures orientales marquaient la propriété sur les biens, qu’il s’agisse d’objets, de corps d’animaux ou de corps humains. L’état d’esclavage permanent dans les cultures mésopotamiennes était marqué par un tatouage plutôt que par une image de marque, mais la Bible ne tolérait pas de signes corporels permanents. Je crois que jetéfilinesont été introduits en remplacement; l’interdiction des marques et des tatouages ??visait à établir une distinction entre la nouvelle religion monothéiste et les cultures polythéistes de la région, a répété Maïmonide au XIIIe siècle. Cependant, la circoncision continuait à être pratiquée par les Juifs dans la mesure où seuls les peuples égyptien et cananéen étaient habitués à le faire. Il n’existe aucune preuve linguistique, ni autre, que les cultures mésopotamiennes ont pratiqué la circoncision. Par conséquent, la tradition qui voit dans la circoncision d’Abraham un héritage mésopotamien me semble douteuse; probablement quelqu’un avait intérêt à cacher l’influence de la culture égyptienne sur les juifs. L’hellénisme a très probablement hérité de la coutume babylono-persane de rejeter la circoncision et L’influence hellénistique, la pratique de la circoncision ne fut plus suivie par tous les Juifs, à tel point que la restauration du prépuce n’était pas inhabituelle. La culture gréco-romaine a rejeté la circoncision, considérée comme une mutilation de la beauté du corps.
Les mnémotechniques utilisées dans le judaïsme ancien à travers les signes du corps avaient un brillant avenir dans le christianisme médiéval. Le Nouveau Testament a donné naissance à la vision organique de la communauté en tant que corps en communion avec Jésus. L’idée de Dieu (la Parole ou Logos)) qui devient chair (c’est-à-dire qui prend une forme humaine) n’était pas étranger à la tradition hellénistique, égyptienne et mésopotamienne. En même temps, la nature divine et humaine de Jésus devint une doctrine contraignante lors du premier concile de Nicée en 325. Les premiers chrétiens adoptèrent des coutumes similaires à celles de la culture juive, mais à un niveau symbolique et non corporel. Le meilleur exemple est le baptême en tant que rite d’initiation. De la même manière que la circoncision, le baptême crée une marque indélébile, mais dans l’âme. Le contraste entre la corporalité juive et la spiritualité chrétienne a été marqué par une controverse entre les deux religions, dont la plus ancienne remonte probablement à la Michna . Rabbi Eliezer Hamodai disait dans les Maximes des Pèresque ceux qui annulent l’alliance d’Abraham « n’ont aucune part dans le monde à venir ». Saint Augustin a exprimé cette polarisation polémique, affirmant que les chrétiens ont une compréhension plus profonde de la signification spirituelle, tandis que les Juifs restent dans le royaume « inférieur » de la charalité, comprise uniquement sous sa forme physique et matérielle. Néanmoins, Augustin considérait la circoncision comme une sorte de sceau du salut. Cependant, Pietro Lombardo l’a comprise comme une simple marque, car Abraham était déjà justifié par la foi. Lombardo, s’appuyant sur Augustin, considérait la circoncision depuis Abraham comme un remède contre le péché originel, hérité de génération en génération par le biais de la concupiscence des parents.
Dans l’iconographie chrétienne depuis le XIIIe siècle, le rite de la circoncision juif apparaît souvent dans le cycle de la vie de Jésus, presque toujours sans allusions négatives. À partir du XIIIe siècle, les sentiments religieux chrétiens incluaient une corporéité émergente suivie par l’art figuratif. En conséquence, le culte des signes du corps grandit sous les formes les plus diverses, telles que la vénération du Corpus Christi , les cinq blessures de Jésus, les stigmates de saint François ou la vénération de l’ Arma Christi . L’ imitatio Christiil devint l’idéal corporel de la religiosité mystique à la fin du Moyen Âge. Le sang a changé de signification normative, contrairement à ce qui était écrit dans la Bible, dans lequel il était associé à la vie, à la pureté et à la prospérité. La Kabbale a adopté des valeurs différentes et contradictoires. Tant pour les chrétiens que pour les juifs du Moyen Âge, le corps de Dieu, et en particulier son sang, est devenu le centre d’un nouveau sens de la corporalité; Les deux cultures, comme l’écrit David Biale, partageaient le culte du sang de Dieu.
Il ne fait aucun doute que les juifs et les chrétiens des villes médiévales partageaient une société issue de la cohabitation dans un environnement urbain densément peuplé. Ils avaient appris à connaître les rites de chacun, mais, en compétition pour la bienveillance divine, cela ne suffisait pas pour réduire leur animosité. Juifs et chrétiens souventils « interprétaient » ou se moquaient mutuellement des rites, contribuant ainsi à alimenter un cycle de controverses. La seule différence était que les Juifs constituaient une minorité qui non seulement risquait leur vie, mais était également marquée de préjugés profondément enracinés.
En considérant la liturgie comme langage corporel dans une religion, on pourrait retracer les similitudes et les différences entre les gestes corporels juifs et chrétiens et leurs liturgies respectives. Dans l’acte de pénitence au début de chaque messe, les fidèles frappent trois fois le poing de la main droite sur le côté gauche de la poitrine; le même geste est principalement accompli par les Juifs Ashkénazes dans la prière quotidienne du Vidui (confession) pour chacun des vingt-quatre péchés énumérés. On ne sait pas quelle religion a adopté le geste en premier, mais il a probablement été introduit au Moyen Âge. Lorsque le rouleau de la Torah est extrait de l’arche sacrée, la communauté de la synagogue se lève. De même, lors des verbes de liturgiepour la lecture de l’Evangile, l’assemblée de l’église se lève. L’Évangile est une dignité réservée semblable à celle de la Torah, les deux sont en fait exposés en procession autour de l’autel ou de l’arche du Saint, respectivement. Alors que l’Évangile est vénéré de loin, les Juifs recherchent une proximité physique avec le rouleau de la Torah pendant la procession, l’embrassant ou le touchant avec la frange de cordes entrelacées ( Zizit ) placées aux extrémités du manteau de prière ( Tallith). La même manifestation de contact physique se produit parmi les Juifs au début et à la fin de chaque lecture d’un passage du rouleau de la Torah. Cependant, même la liturgie chrétienne a développé sa propre expression authentique de corporalité. Le carré de toile blanche sur l’autel, sur lequel sont placées les espèces eucharistiques, porte déjà le titre de caporal depuis le XIVe siècle, puisqu’il sert à envelopper le corps du Christ lors de la liturgie eucharistique. Le signe de la croix avec les doigts sur les objets, sur le corps de quelqu’un ou dans les airs a créé une grande variété de gestes liturgiques. Le baroque espagnol a réalisé des sculptures votives en bois peintes de façon si naturaliste qu’on les appelait encarnación . Cet art post-tridentin donna à la doctrine de la Parole devenue chair une très grande visibilité.
Le Pentateuque reflète déjà une attitude iconoclaste interdisant la création d’images. Les Juifs ont par la suite développé la capacité de sublimer la corporéité en immatérialité, par exemple en transformant des offrandes en prières. Les mots et les écrits canonisés ont renforcé l’aptitude à l’expression artistique non picturale. Dérivé, comme dans l’art islamique, de dessins ornementaux et de micrographies. L’instauration d’une culture presque dépourvue d’images sous la domination musulmane constituait une rupture avec la tradition gréco-romaine classique de l’expression picturale, qui dominait la Méditerranée depuis l’Antiquité. Le christianisme est allé dans d’autres directions, sublimant la spiritualité de la Parole dans l’incarnation de Dieu par Jésus. Grâce à cette corporéité, le christianisme pourrait facilement emprunter des modèles d’art pictural de la tradition gréco-romaine. Sous l’influence hellénistique, les mosaïques des synagogues de Terre Sainte reproduisaient des représentations iconographiques d’épisodes bibliques. La richesse des images bibliques dans les fresques de la synagogue Doura-Europos, du 3ème siècle, est unique.
La culture hellénistique a admis les images comme vérité, comme l’a exprimé Filostrato; Platon s’est opposé à la peinture(et les sophistes) dans le Phèdre , car aucun ne pouvait créer la vie et la vérité. À son avis, seules l’âme et sa vérité pourraient créer la vie. Les réserves platoniques contre la peinture existent également dans les traditions des hadiths musulmans . L’hostilité aux images a été globalement maintenue par les juifs et les musulmans. Dans sa polémique contre l’approche iconoclaste, Giovanni Damasceno a affirmé que, depuis que Jésus était devenu l’incarnation de la parole divine, il pouvait être représenté.
Bede le Vénérable a essayé d’harmoniserInterprétation de l’Ancien et du Nouveau Testament l’un comme préfiguration de l’autre. L’émergence de la corporalité dans l’art chrétien était presque une nécessité didactique. Cette approche fondamentale du catholicisme favorable à l’image n’est pas identique à l’attitude iconophilique byzantine (iconodule). William Durand (1220-1296) expliqua clairement qu ‘ »une chose est d’adorer une image et une autre, à travers une image, d’apprendre historiquement ce que l’on doit adorer ». Les docteurs de l’Église étaient bien conscients du fait que, dans les conflits médiévaux avec les juifs et les musulmans, le christianisme était perçu comme une idolâtrie.L’argument principal partait du principe que, si Jésus avait été une simple nature humaine, son image serait vénérée comme une idolâtrie. Si, au contraire, Jésus avait eu une nature divine, il aurait été impossible de le représenter. La nouvelle doctrine de la transsubstantiation et la vénération du Corpus Christi nécessitaient une diffusion parmi les croyants qui, sans miracles apparents, avaient du mal à les comprendre. Maïmonide, dans sa classification des cinq types d’infidélité, définit le chrétien « celui qui admet qu’il n’y a qu’un seul Dieu, mais qu’il a un corps et une forme ».
Le moyen d’expression le mieux préservé dans l’art juif médiéval est constitué par les manuscrits juifs enluminés d’origine ashkénaze (en Europe centrale et occidentale). Ce qui frappe, en les observant, ce sont les représentations figuratives des animaux et des humains. Comment concilier ce phénomène avec l’approche iconoclaste du judaïsme? Maïmonide écrit dans Mishe Torah: « Il est permis de bénéficier de figures faites par des gentils pour la décoration, mais celles faites pour le culte des idoles sont interdites ». L’opinion admise aujourd’hui est que ces manuscrits sont le produit de la collaboration entre des scribes juifs et des enlumineurs chrétiens. Les créatures, souvent bizarres et déformées, ont essentiellement répondu à la demande des clients juifs de ne pas représenter les êtres humains. En tout état de cause, tout en ne nous poussant pas plus loin que Ruth Melnikoff, nous pouvons dire que les Juifs, opposés aux images humaines, semblent fermer les yeux sur ces miniatures.Dans les manuscrits hébreux d’origine italienne ou espagnole, ce type de déformation volontaire de la figure humaine n’est pas retrouvé. J’exclus la possibilité que des peintres juifs aient été embauchés dans ces pays; Si nous considérons les normes prescrites par Maïmonide contre les idoles, la peinture et la sculpture ne pourraient être un métier pour les Juifs. Seul le processus d’assimilation au sein d’une société aimable, comme cela s’est produit dans certaines parties de l’Europe à la fin du XIXe siècle, a provoqué un changement radical. Il fallut près de huit cents ans à l’époque de Maïmonide pour que Chagall crée pour la première fois un art figuratif juif authentique.

 

SAINT BONAVENTURE (1217-1274)

6 septembre, 2017

http://philosophie-marseille.com/textes-et-videos/textes-gratuits-les-philosophes-medievaux/saint-bonaventure.html

20_Hepworth_The beginning the light

(Dieu dit: « Que la lumière soit » et la lumière fut)

SAINT BONAVENTURE (1217-1274) -

Conférence par Brigitte Boudon

Bonaventure et Thomas d’Aquin, l’un franciscain et l’autre dominicain, sont nommés ensemble maîtres de l’Université de Paris en 1257, lorsque est créé le Collège de la Sorbonne. En dépit d’une complémentarité de leurs perspectives, leurs visées demeurent cependant profondément divergentes en raison d’intuitions fondatrices différentes : saint François et saint Dominique.

I – la Vie de Bonaventure
1217 : naissance de Jean Fidanza en Italie centrale.
1226 : guérison miraculeuse (légende du 0 Buona Ventura !)
1235 – 1242 : Etudes à la Faculté des arts à Paris ( trivium et quadrivium ; trivium (méthode) : grammaire, dialectique, rhétorique ; quadrivium ( contenus ) : arithmétique, géométrie, astronomie, musique)
1243 : entrée de Bonaventure à l’âge de 26 ans chez les Frères Mineurs à Paris
1243 – 1248 : Bonaventure est étudiant en théologie à Paris, sous la régence du maître augustinien Alexandre de Halès
1248 – 1252 : Bonaventure devient bachelier et obtient sa licence de professeur
1252 – 1257 : Bonaventure est maître de théologie à l’Ecole des Frères mineurs. Il écrit le Breviloquium et d’autres traités théologiques.
Le 12 août 1257 : Bonaventure (40 ans) est nommé Maître de la Faculté de théologie de Paris.
1257 : Bonaventure est élu Ministre général de l’ordre des Franciscains. Activité pastorale intense (visites, sermons …) jusqu’à sa mort en 1274. Pendant deux années, 1259 et 1260, retour aux sources et expérience mystique. Il écrit l’Itinerarium mentis in Deum, ou Itinéraire de l’esprit vers Dieu.
1267 – 1273 : deux séjours de Bonaventure à Paris et querelles doctrinales entre Franciscains et Dominicains sur l’entrée d’Aristote à l’Université et le problème du statut de la théologie face à la philosophie.
1273 : Bonaventure cardinal, évêque d’Albano
15 juillet 1274 : mort de Bonaventure au concile de Lyon
1482 : canonisation de Bonaventure
1588 : Saint Bonaventure, Docteur de l’Eglise

Ses œuvres :
. le Breviloquium (traités de théologie) , L’itinerarium ou Itinéraire de l’esprit vers Dieu, Conférences sur les dix commandements, Conférences sur les sept dons de l’Esprit saint, Conférences sur les 6 jours de la création, l’Hexaëmeron.
II – Ce qui le distingue de Saint Thomas
A partir des visions de Bonaventure et de Thomas d’Aquin, deux voies distinctes peuvent se dégager : la voie mystique et la voie spéculative.
. Le Christ comme figure de l’intériorité
Il s’oppose à la théologie positive afin de préserver l’irréductibilité de Dieu et de ce fait, la théologie de Bonaventure débouche sur l’intériorité. La connaissance de Dieu que l’on peut avoir est fonction de l’homme que l’on est. Ce lien mystique entre l’homme et Dieu met en évidence pourquoi le Christ apparaît comme le « prince des philosophes » et le maître par excellence.
Correspondance entre Dieu fait homme de la révélation chrétienne et le fait de devoir passer par l’homme intérieur pour accéder à Dieu. La médiation par le Christ n’est pas l’expression d’une contrainte empêchant de se relier immédiatement et directement à Dieu, mais elle est en réalité l’expression du fait que rien ne peut se faire sans la médiation de l’homme intérieur. Sans le Christ donc, pas d’homme intérieur réalisé.
Bonaventure s’oppose à la théologie rationnelle de Thomas, à laquelle il reproche d’être un intermédiaire superflu entre l’homme et Dieu.
Il opère une refonte complète de la problématique théologique en situant comme enjeu majeur de celle-ci non plus de savoir si Dieu existe ou pas, mais de faire exister l’homme intérieur à travers la figure du Christ. A l’opposition croyance – incroyance, saint Bonaventure substitue le couple intérieur-extérieur, en ayant l’audace de rabattre une certaine forme de théologie spéculative sur le plan de l’extériorité.
. Il s’oriente vers Saint Augustin et le néoplatonisme.
Selon lui, Aristote aurait manqué l’essentiel parce qu’il n’a pas reconnu la théorie des Idées platoniciennes et, de ce fait, a ignoré l’existence d’archétypes de tous les êtres dans l’esprit de Dieu. Il développe une métaphysique de la lumière.
C’est la multiplicité des créatures qui permet de louer Dieu. Le monde sensible est une trace ou un vestige de Dieu. Dieu se reflète dans le monde sensible. Le corps humain est le lieu de la manifestation de l’amour de Dieu. Il est l’expression de Dieu. Saint François reçoit les stigmates de Dieu : l’amour de Dieu imprègne tellement l’âme de Saint François qu’il l’imprime sur son corps.
L’ontologie de la pauvreté : devenir soi-même pauvre et pas seulement aider les pauvres. La classe des pauvres est une 4ème classe, en plus des guerriers, des prêtres et des marchands. La pauvreté constitue l’être franciscain. Elle est le don de soi et l’imitation du Christ. C’est le sens de l’abandon, le don du don. Etre pauvre, c’est être comme Dieu, qui, toujours s’abandonne.
Pour Bonaventure, la pauvreté est l’être de Dieu et pas seulement un idéal mystique.
L’étude n’a qu’un seul but : la mise en pratique de la foi. L’étude confirme et conforte la foi.
Pour Bonaventure, la théologie est une sagesse, une sapience (sapientia, vient de sapor, c’est ce qui donne goût, piment à la vie). Alors que pour Thomas, la théologie est une science.
III – Les deux voies ascendante et descendante de l’Itinerarium
Bonaventure se rend en 1259 au Mont Alverne, là où Saint François reçut les stigmates, grande expérience mystique. Il écrit l’Itinerarium, ouvrage mystique et théologique : la vie chrétienne est un itinéraire ou une voie ; le texte va expliquer la structure du chemin, de l’itinéraire de l’Amour et de la charité.
L’auteur souhaite décrire les chemins de la sagesse chrétienne et montrer comment l’esprit peut s’élever à Dieu, se préparer à l’union mystique. La création est une échelle pour s’élever vers Dieu. Les trois principaux moyens d’élévation à Dieu sont :
. la méditation sur le monde sensible
. la réflexion de l’âme sur elle-même
. la contemplation du Transcendant.
Ces trois degrés se dédoublent en six manières de rejoindre Dieu : par le monde sensible, dans le monde sensible, par notre âme, dans notre âme, par l’idée de l’Etre, dans les processions du Bien.
Exemple de la 1ère étape :
l’homme s’élève à Dieu par lui-même (mouvement ascendant appelé « par ») : il utilise alors les sens extérieurs. Mais les cinq sens ne suffisent pas pour voir Dieu dans le monde, car ils sont trompeurs. Il faut donc un second mouvement qui est descendant, appelé « dans ».
Dieu descend jusqu’à l’homme : ce sont les sens intérieurs et notamment l’imagination. Ce sont les sens charnels convertis par la lumière de Dieu. Quand, par les sens, l’homme s’élève vers Dieu, alors Dieu intervient pour convertir les sens.
L’Itinerarium est composé de sept chapitres :
. les deux premiers parlent de Dieu en fonction du monde sensible, vestige du Créateur ; en dehors de nous : sens extérieurs et sens intérieurs ; corps ou substance corporelle.
. le troisième et le quatrième parlent de Dieu en fonction de l’âme, image de la Trinité ; en nous ; conscience : raison et intellect.
. le cinquième et le sixième parlent de Dieu en fonction de la ressemblance ; au dessus de nous ; substance divine ; intelligence et esprit ; double nom divin : l’Etre et le Bien.
Le dernier en parle comme du terme de l’ascension mystique, dans la ferveur de l’extase

Titres des 7 chapitres de l’Itinerarium :
I. Degrés d’élévation à Dieu et contemplation de Dieu par ses vestiges dans l’univers.
II. Contemplation de Dieu dans ses vestiges à travers le monde sensible.
III. Contemplation de Dieu par son image gravée dans nos facultés naturelles.
IV. Contemplation de Dieu dans son image réformée par les dons de la grâce.
V. Contemplation de l’unité divine par son premier nom : l’Etre
VI. Contemplation de la bienheureuse Trinité dans son nom : le Bien
VII. De l’extase mystique, où notre intelligence se tient en repos, tandis que notre ferveur passe tout entière en Dieu.
Le but ultime de l’Itinéraire est que la volonté humaine s’unisse à la Volonté de Dieu.
La pensée de l’Itinerarium est d’inspiration multiple. Cette pensée est toute franciscaine, puisqu’elle est une mystique d’amour et de paix. Elle est augustinienne, voire platonicienne, puisqu’elle admet un primat du bien, qu’elle adhère aux Idées éternelles, qu’elle n’admet comme vraie philosophie que celle des causes exemplaires. Elle est néo-platonicienne par sa théorie de l’image ou du vestige qui tient lieu de participation.
On peut dire que Bonaventure réinvente le platonisme à partir de son expérience franciscaine. Il s’agit d’une reconstruction personnelle. L’Itinerarium est cette réussite : l’œuvre d’un franciscain qui, fort librement, réécrirait le Banquet, de Platon, l’œuvre d’un mystique qui philosophe.
Saint Bonaventure distingue trois modes de théologie :
. la théologie symbolique ou du bon usage du sensible
. la théologie spéculative ou science.
. la théologie mystique ou sagesse,
d’où les trois étapes : purification (symbolique), méditation (spéculatif),) et contemplation (mystique).

Conclusion
Les différences d’intention et la complémentarité des philosophies de Saint Bonaventure et de Saint Thomas d’Aquin
Ce sont deux philosophies chrétiennes et chaque menace contre la foi les trouve unies pour faire front contre elle.
L’une et l’autre enseignent la création ex nihilo et maintiennent une distance entre l’être en soi et l’être participé. Elles nient formellement que Dieu puisse être vu par la pensée humaine dès cette vie. L’une et l’autre coordonnent l’effort de l’intelligence à l’acte de foi.
Mais elles n’en restent pas moins deux philosophies, l’une se présentant comme une sagesse à la manière augustinienne (platonicienne) et l’autre comme une science (à la manière aristotélicienne). Et c’est sans doute pourquoi dès 1588 Sixte V proclamait, et en 1879 Léon XIII rappelait, qu’ils furent deux à construire la synthèse de la pensée scolastique au Moyen Age et qu’aujourd’hui encore, ils restent deux à la représenter. Deux nourritures et deux lumières. Elles se complètent comme les deux interprétations les plus universelles du christianisme, et c’est parce qu’elles se complètent qu’elles ne peuvent ni s’exclure, ni coïncider.

L’ESPRIT DE LA LITURGIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE

5 mai, 2015

http://www.assomption.org/fr/spiritualite/saint-augustin/revue-itineraires-augustiniens/la-celebration-de-l2019eucharistie/ii-augustin-maitre-spirituel/l2019esprit-de-la-liturgie-chez-les-peres-de-l2019eglise-par-jean-paul-perier-muzet

L’ESPRIT DE LA LITURGIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE, PAR JEAN-PAUL PÉRIER-MUZET

Recension du livre de François Cassingena-Tréverdy : Les Pères de l’Eglise et la liturgie, DDB, 2009, 384 pages

Le chrétien célébrant

Cette grosse étude, enrichie de notes très fournies et très érudites, englobe l’âge d’or de la Patristique tant occidentale qu’orientale du IVème au VIème siècle, c’est-à-dire du règne de Constantin à celui de Justinien, sans s’interdire d’ailleurs des débordements au-delà de cette période (ex. Grégoire le Grand et Maxime le Confesseur). Elle nous présente le portrait liturgique des communautés chrétiennes en acte de célébrer, à travers l’œuvre et la réflexion de ses représentants les plus prestigieux et les plus brillants, à commencer par celles de deux ‘spécialistes reconnus’ : saint Augustin en Occident et saint Jean Chrysostome en Orient. C’est à travers une riche mosaïque de textes et de citations patristiques, notamment des sermons, que l’auteur de l’étude, un bénédictin de Solesmes, tente de capter l’esprit et l’expérience liturgique de cette Grande Eglise des IVème et VIème s.
La liturgie y est définie comme le service de Dieu par l’ensemble du système culturel, que ce soient les rites et les personnes. On connaît au sujet de la célébration eucharistique la formule heureuse et bien frappée de l’évêque d’Hippone : Sacramentum pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis. Quant à l’épiphanie de cette liturgie ou à son déploiement habituel, elle ne se réduit pas à une participation factuelle de quelques fidèles ou acteurs, mais à une conception plus globale et plus intérieure de la célébration qui fait de chaque participant de l’assemblée en prière un membre communiant à la vie du Christ, à la façon, dixit Augustin, d’une fourmi de Dieu, faisant au retour de l’office une secrète provision des grains qu’elle a récoltés sur l’aire. Le mot liturgie et l’acte liturgique n’ont de sens d’ailleurs pour les Pères de l’Eglise dans l’Antiquité chrétienne que compris et vécus dans un sens communautaire et ecclésial large : la prière liturgique possède une haute teneur d’ecclésialité. On n’est chrétien qu’en assemblée, qu’ensemble, formule que ne renieraient pas les utilisateurs du moderne Prions en Eglise.
Une articulation charpentée
L’ouvrage est composé sur un mode à quatre temps, comme un moteur à explosion bien rodé ! Il commence par une présentation de l’assemblée, continue par la description de l’accès à la célébration, se poursuit avec celle de l’action liturgique et se conclut par une réflexion sur l’expérience de la liturgie.
Constituer l’assemblée
Premier pas pour cette assemblée en prière, l’évêque prédicateur doit d’abord la constituer et la fidéliser : ce n’est déjà pas une mince affaire avec la concurrence d’autres rassemblements festifs et attractifs comme les jeux du cirque, l’hippodrome ou le théâtre, d’où des plaintes fortes des pasteurs contre l’absentéisme et des rappels sonores en faveur de l’assiduité : « A quoi sert-il que l’Eglise aime ses enfants, si elle ne voit leur visage qu’aux jours de grande fête » ? Assiduité quotidienne – chaque jour et même tout le jour – qui assimile de façon trop radicale, sous la plume du Patriarche de Constantinople, la condition monastique à celle du baptisé ! Le travail liturgique qu’est la prédication, marqueur de l’assiduité, peut être source de fatigue à la fois pour l’orateur mais aussi pour les fidèles, par l’attention qu’elle exige et par la longueur du discours que favorise volontiers le genre oral. Augustin aime conjuguer les trois termes constitutifs selon lui de l’assemblée : congregatio (foule), lectio (Parole de Dieu) et sermo (prédication), trilogie emblématique d’une véritable participation liturgique.
Avec le temps, l’assemblée s’organise et se codifie à l’unisson de l’architecture basilicale et de la tenue des conciles pour l’orthodoxie des dogmes: le Peuple de Dieu est hiérarchisé et même hiératisé selon des états de vie bien distingués et selon un bon ordre harmonieux qui entend signifier quelque chose de la dimension morale de la vie chrétienne, une expression communautaire qui discipline les charismes individuels en vue de l’édification de tous. L’assemblée fonctionne à la manière d’un navire de navigation avec pilote, marins, matelots et passagers, chacun à son poste, dans le calme, selon un rang ‘ordonnant’, à la fois ferme et souple.
On comprend que le chant trouve dans ce contexte de la prière d’assemblée à la fois sa place et sa valeur d’harmonie ecclésiale. Avec pédagogie, Augustin sait évoquer son importance avec les expressions d’ordo, de dispositio et de modus, trois touches musicales transposées à l’acte liturgique. Le même souci de bon ordre fait prohiber chez les Pères toute idée de festin, de licence mondaine ou d’excès dans la toilette féminine dans les maisons et aux temps de la prière commune. Le seul critère radical retenu en matière de beauté, c’est celle de Dieu et, par conséquent, celle de l’être humain image de Dieu. A privilégier donc en toute circonstance, pour le sujet liturgique qu’est l’assemblée, tout ce qui porte à son orchestration communautaire : communion, unisson et harmonie, pour la joie spirituelle de l’être-ensemble, en d’autres termes célébrer sur terre d’un seul cœur et d’une seule âme, véritable miroir de la liturgie céleste, véritable symphonie des anges.
Accéder au mystère
Deuxième démarche de l’auteur, l’accès de l’assemblée au mystère liturgique est finement délivré par les Pères grâce à leur pédagogie du seuil. Il convient d’accomplir pour l’acte liturgique une démarche initiale qui est l’approche du mystère, c’est-à-dire pour l’homme l’accueil de Dieu qui se fait proche de son peuple et qui par le fait même le rend proche de lui-même, plus intérieur en quelque sorte. Pour accéder à cette transcendance du mystère et franchir la dénivellation qui sépare la vie ordinaire de la vie liturgique, l’homme est conduit à une attitude de purification par la prière, la réflexion théologique et la célébration. Trois attitudes ou prodromes de l’agir liturgique sont recommandés : foi, crainte et silence pour ce rapport vertical de l’homme à la transcendance divine, car de même que c’est dans le silence que l’on parle de Dieu (théologie), c’est dans le silence que l’on parle à Dieu (prière), terme ultime de l’expérience mystique selon la vision augustinienne d’Ostie (contemplatio) et condition indispensable de l’écoute de la Parole dans la célébration des mystères liturgiques.
Entrer dans le mystère
Il est temps maintenant, après ces préliminaires, d’entrer dans l’action ecclésiale mêùe où s’épanouit la liturgie ou plutôt la fête liturgique avec sa note distinctive de solennité, son caractère de rassemblement massif et sa dimension proprement politique en raison de la couverture officielle impériale. Le temps liturgique se structure avec les notions de cycle dominical, temporal, sanctoral qui déploient à travers l’année entière la célébration unique du Mystère chrétien en autant de scènes ou d’actes multiples empruntés à la dramaturgie pascale, avec le renfort de mouvements ambulatoires comme stations, processions, pèlerinages. La mentalité antique rappelle que la fête est d’institution divine, qu’elle marque un repos, qu’elle se fonde sur une alternance-échange et qu’elle fait jouer entre les hommes une instance rythmique avec musique et danse, d’où sa dominante joyeuse, et où la prestation oratoire est comme inhérente. Le christianisme n’a eu aucune peine à se couler dans l’héritage hellénique comme dans la romanité païenne de la panégyrie antique et, avec son déploiement fastueux de cérémonial, en se l’appropriant tout en le revisitant.
On retrouve dans la conception mystique de l’idéal festal antique les assises de l’institution chrétienne de la fête liturgique : la fête construit les mots, les pierres et les hommes. Lorsqu’elle devient chrétienne, le Christ-Kyrios, nouvel Empereur par sa victoire pascale, confisque en sa personne tous les rôles traditionnels empruntés à la fête païenne, hiérophante, chorège et agonothète[1] , bref tout l’arsenal notionnel et métaphorique de la « festalité » traditionnelle en le dépouillant du vêtement du mythe et de son attirail sensible et sensuel. Le temps liturgique manifeste à la fois cohérence et dynamique, le paysage et l’architecture des fêtes formant une véritable christologie avec la trinité de Noël, de Pâques et de l’Ascension célébrant toute la terre et toute la vie, l’intime solidarité du visible et de l’invisible dans la cohésion du mystère : une sorte de fête sans fin à travers son aujourd’hui. Le rendez-vous liturgique de la fête manifeste ce Dieu-Emmanuel avec son Peuple dans la perspective même d’une eschatologie en marche vers sa plénitude, au terme de l’histoire où l’homme intérieur, piéton du ciel, rejoint spiritualisé le champ de la divinité dans la grande Fête divine.
Faire l’expérience du mystère dans toute l’extension de la vie
Dernier stade d’examen, comment se réalise la suture entre la liturgie et la conscience de ceux qui y participent, quelle assimilation ou réception en est-elle faite d’ordre théologal, sacramentel et ecclésial ? L’être-chrétien individuel et collectif est-il modifié sur les plans intellectuel, affectif et éthico-existentiel ?
Dans la liturgie, grâce au don de présence de l’Esprit, tout est appelé à faire signe et à faire progresser vers une intelligence savoureuse des paroles entendues et des gestes posés (intellectus fidei) de la part des fidèles dont les yeux de l’âme sont occupés à regarder Jésus. Cette attention à penser et peser la Parole, à écouter le Maître intérieur, témoigne de cette intentio cordis qui caractérise l’homme intérieur selon le mot d’Augustin, pour faire concorder son esprit et sa voix avec l’intelligence du Mystère célébré par toute l’Eglise. Par la grâce de la prière liturgique, le cœur du fidèle est comme transporté au-delà de lui-même pour être introduit et déplacé dans l’univers méta-cosmique. Ce motif récurrent du Sursum corda dans la prédication augustinienne désigne et récapitule la dimension anagogique de l’existence chrétienne invitée au dépassement dans la vie mystique pour atteindre le port de la sérénité d’une vie parfaite, promesse de la trêve au monde, à ses passions et à ses tempêtes. Car une des composantes essentielles du tempérament liturgique dans la célébration, c’est la joie spirituelle d’atteindre le bien-être profond, le repos dans la détente, la récréation et l’union des cœurs dans la communion ecclésiale. Joie spirituelle que symbolise le chant d’un Alléluia qui perdure, signe de vitalité et de santé de la part d’une assemblée en réaction par ses applaudissements, ses acclamations, ses cris, ses chants, ses larmes…étant entendu, comme l’exprime Augustin, que la voix qui va vers les hommes est le son ; mais celle qui va vers Dieu est le sentiment (affectus). Cette adhérence profonde de tout l’être conduit le fidèle liturgique jusqu’à l’union mystique à Dieu dans le secret du cœur-à-cœur, sommet d’intériorisation et de contemplation.
Cette commotion du cœur aboutit évangéliquement à la conversion de vie qui permet au sortir de la liturgie d’emporter avec soi ou en soi l’actualité du Christ pascal et de diviniser l’existence du baptisé. Vivre avec le Christ en participant au mystère liturgique débouche sur le vivre avec le frère, sacrement existentiel, en assumant la condition responsable d’être chrétien au monde. La porte de l’église ouvre sur le monde des frères, à commencer par celui des pauvres, grâce à la charité sociale, grâce au devoir de l’aumône, grâce à l’exercice concret de l’agapè, ce transfert du sacré de l’action liturgique au champ social. La fin divinisante de l’action liturgique appelle sa fin humanisante en vertu de cette nécessité structurelle de l’être chrétien, à l’image de leur union parfaite dans le Christ. Une manière de redire avec les Pères au terme de cette belle étude que l’homme n’est homme qu’à l’église dans la mesure même où l’homme a pour vocation de faire de la ville entière ou de la cité humaine une véritable église.
En guise de conclusion ouverte
Ce livre n’est pas d’une lecture forcément reposante : très documenté, il requiert une attention coûteuse, mais il récompense inversement le lecteur de sa dépense d’énergie par le fruit lumineux de son exposé, la richesse de son contenu et la complexité évidente de son sujet. D’une écriture choisie qui ne nous épargne pas le jargon disciplinaire, il évoque en tout cas à la perfection la beauté majestueuse qui entoure les célébrations liturgiques aussi bien orientales, version syro-antiochienne de conception mimétique, que celles occidentales, de facture augustinienne au volet social plus ouvert. Favorisée par le pouvoir impérial à partir du IVème siècle, la liturgie n’est plus matière à libre improvisation en passant de l’oralité à l’écriture et en s’adressant à des communautés nombreuses. Même si l’on perçoit déjà des facteurs de diversification entre l’Orient et l’Occident du fait des cultures et des langues, elle reste soudée à un tronc commun hérité de la tradition baignant dans la mentalité et dans l’esprit de l’homme classique, à travers l’aire/ère de l’âge romanisé.

Jean-Paul PERIER-MUZET
Augustin de l’Assomption
Paris

JEAN-PAUL II, LES DROITS DE L’HOMME ET LA FOI EN DIEU

22 janvier, 2015

http://www.revue-kephas.org/11/2/editorial.html

JEAN-PAUL II, LES DROITS DE L’HOMME ET LA FOI EN DIEU

Bruno le Pivain

Avril–Juin 2011

On a coutume de rappeler le fort engagement du Bienheureux Jean-Paul II pour la défense et la promotion des droits de l’homme, sur tous les fronts, dans tous les continents. À n’en pas douter, ce fut en effet un souci permanent dans son pontificat, maintes fois réaffirmé.
On a pu souvent cependant confondre cette insistance avec un blanc-seing ferme et définitif accordé sans sourciller à la théorie qui verrait dans l’assomption de ces droits la divinisation de la Raison affranchie de la loi naturelle et coupée de la foi en Dieu, certains pour s’y engouffrer jusqu’à transformer le catholicisme en une sorte d’humanisme horizontal, un humanisme contre l’homme puisqu’il est sans Dieu, où le mot « tolérance » devient la clé de voûte de tous les dogmes, d’autres pour fustiger ce pape des « droits de l’homme sans Dieu » qui désertait son premier devoir et introduisait une rupture dans la Tradition de l’Église. Défaut de compréhension ? Dans le premier cas, c’est comme si l’on n’aimait pas vraiment Dieu, un peu encombrant par ce qu’il pourrait contrarier notre vie mondaine et consumériste ; dans le deuxième cas, c’est comme si l’on n’aimait pas l’homme et cette enveloppe charnelle dont on voudrait se dispenser pour n’avoir pas su l’apprivoiser. Dans l’un et l’autre cas, c’est la grâce reçue sous le régime de l’Incarnation qui n’est pas reçue en vérité, matérialisme individualiste ou spiritualisme orgueilleux.
Étrange interprétation de toute façon – la même en l’un et l’autre cas – qui contredit visiblement le témoignage éclatant de la sainteté d’un homme fidèle à la grâce – ou il faudrait trouver au lutteur de Dieu une incohérence profonde, lui dont toute la vie fut un doigt levé vers le ciel – et ignore son enseignement constant sur la primauté de Dieu dans la vie des hommes.
Est-ce bien le même qui affirmait le 10 octobre 1980, dès les premiers mots d’un discours au Congrès international sur évangélisation et athéisme, pour situer le cours de son propos : « Comme il est facile de le constater, l’athéisme est sans conteste l’un des phénomènes majeurs, et il faut même dire, le drame spirituel de notre temps » ? Constat que l’on peut facilement rapprocher des premières lignes de l’un des ouvrages majeurs du Cardinal de Lubac, Le drame de l’humanisme athée :
Sous les innombrables courants de surface qui portent dans tous les sens la pensée de nos contemporains, il nous a semblé en effet qu’il existait un courant profond, ancien déjà, ou plutôt une sorte d’immense dérive : par l’action d’une partie considérable de son élite pensante, l’humanité occidentale renie ses origines chrétiennes et se détourne de Dieu. […] De plus en plus, l’athéisme contemporain se veut se veut positif, organique, constructif.1
Jean-Paul II le situe quant à lui de façon précise dans l’histoire : « Voici que, en un gigantesque défi, l’homme moderne, depuis la Renaissance, s’est dressé contre ce message de salut, et s’est mis à refuser Dieu au nom même de sa dignité d’homme. » Poursuivant le raisonnement et l’adaptant à l’époque – trente ans après –, il constate l’évolution des sociétés occidentales, à partir de ces influences idéologiques. Celles-ci, d’une certaine manière, ont disparu dans leur expression formelle, faute aussi de serviteurs suffisamment instruits ou aguerris. C’est aussi ce que constatait, non sans humour, Etienne Gilson, dans ce remarquable opuscule qui faisait suite aux Constantes philosophiques de l’être, L’athéisme difficile. Au sortir des années 70, celles du déclin des idéologies d’après-guerre et de la montée en puissance du matérialisme… d’après-guerre – le deuxième est moins astreignant et plus flatteur, plus sûr aussi à première vue –, l’athéisme n’est plus seulement réservé à une aristocratie de la pensée ; il s’est diffusé dans toutes les couches de la société occidentale via les moyens de communication, « l’opinion publique » et le mode de vie consumériste. Mais plus encore, parce que les chrétiens sont dans le monde et ne sont pas toujours armés, spirituellement, intellectuellement ou moralement pour y faire face, cet état d’esprit va se répandre chez eux, être même véhiculé par les baptisés, cette fois avec plus d’autorité puisqu’ils sont sensés connaître les chemins du Royaume des cieux :
D’abord réservé à un petit groupe d’esprits, l’intelligentsia qui se considérait comme une élite, l’athéisme est aujourd’hui devenu un phénomène de masse qui investit les Églises. Bien plus, il les pénètre de l’intérieur, comme si les croyants eux-mêmes, y compris ceux qui se réclament de Jésus-Christ, trouvaient en eux une secrète connivence ruineuse de la foi en Dieu, au nom de l’autonomie et de la dignité de l’homme. C’est d’un « véritable sécularisme » qu’il s’agit, selon l’expression de Paul VI dans son Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi : « Une conception du monde d’après laquelle ce dernier s’explique par lui-même sans qu’il soit besoin de recourir à Dieu ; Dieu devenu ainsi superflu et encombrant. Un tel sécularisme, pour reconnaître le pouvoir de l’homme, finit donc par se passer de Dieu et même par renier Dieu ». Tel est le drame spirituel de notre temps.
La conséquence est inévitable, à cause de la tendance incoercible de l’être humain vers le bonheur : l’homme va se tromper de ciel, ou d’espérance – c’est ce que relevait Benoît XVI dans sa deuxième encyclique en appelant à entrer dans la « grande espérance », Dieu n’étant plus qu’une projection de ses désirs ou des fantasmes. C’est le drame ici, non seulement de l’humanisme athée, mais d’un catholicisme aplati en humanisme, qui justifie toutes les démissions et encourage tous les compromis, jusqu’à dénaturer la charité elle-même.
En germe, l’on retrouve aussi dans cette puissante intervention tout le fil de la réflexion de la grande encyclique Fides et Ratio, où le pasteur reste le philosophe :
Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la mort ? Depuis qu’il y a des hommes qui pensent, ces questions fondamentales n’ont cessé d’habiter leur esprit. Depuis des millénaires, les grandes religions se sont efforcées d’y apporter leurs réponses. L’homme lui-même n’apparaissait-il pas, au regard pénétrant des philosophes, comme étant, indissociablement, homo faber, homo ludens, homo sapiens, homo religious ?
Le raisonnement qui suit entre en plein cœur d’un débat qui a beaucoup agité les théologiens sur l’interprétation du Concile et sur la doctrine même de Paul VI : quelle place tient l’homme dans le monde ? Par rapport à Dieu ? Est-il à lui-même sa propre fin ? N’a-t-on pas absolutisé la dignité de l’homme, jusqu’à rendre inutile le salut et l’intervention divine ? Il convient ici de reprendre soigneusement les explications de Jean- Paul II, qui procède étape par étape. Voici tout d’abord la citation maintes fois reprise de Paul VI lors de la clôture du Concile :
L’humanisme laïque et profane, a dit Paul VI lors de la clôture du Concile, est apparu dans sa terrible stature et a en un certain sens défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion – car c’en est une – de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver, mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile.
Voici ensuite ce commentaire qui reprend à son compte le constat de son prédécesseur, et qui, lu sans lunettes déformantes, apporte la réponse entière au dilemme apparent :
Telle est la conviction de notre humanisme plénier, qui nous porte au-devant même de ceux qui ne partagent pas notre foi en Dieu, au nom de leur foi en l’homme – et c’est là le tragique malentendu à dissiper. À tous, nous voulons dire avec ferveur : nous aussi, autant et plus que vous, s’il est possible, nous avons le respect de l’homme. Aussi voulons-nous vous aider à découvrir et à partager avec nous la joyeuse nouvelle de l’amour de Dieu, de ce Dieu qui est la source et le fondement de la grandeur de l’homme, lui-même fils de Dieu, et devenu notre frère en Jésus-Christ.
On le constate : il est bien question de dissiper un « tragique malentendu », celui qui mettrait en concurrence la dignité de l’homme et la nécessité du salut, donc de la grâce, et arrêteraient ceux qui « ne partagent pas notre foi en Dieu au nom de leur foi en l’homme ». Malentendu contraire en effet aussi bien à l’Évangile qu’à la Tradition de l’Église tout entière, au bon sens tout simplement. Si Dieu s’est incarné en son Fils, c’est bien par amour pour l’homme, et par amour infini, jusqu’à la mort sur la Croix. On sait la clé de l’Évangile : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 17). Ce n’est pas péché que de servir l’homme (« Le Fils de l’Homme n’est pas venu dans le monde pour être servi, mais pour servir » (Mc 10, 45), que d’aimer l’homme, que de professer un « humanisme plénier », c’est- à-dire une doctrine de la Rédemption qui permette à l’homme de vivre en plénitude, racheté de ce qui le diminue ou le tue, dans sa vocation d’image de Dieu et d’enfant adoptif.
Si l’on doutait encore, voici la suite, qui vient confirmer le paragraphe précédent :
Qu’y a-t-il apparemment de commun, en effet, entre des pays où l’athéisme théorique, pourrait-on dire, est au pouvoir, et d’autres au contraire dont la neutralité idéologique professée recouvre un véritable athéisme pratique ? Sans doute la conviction que l’homme est, à lui seul, le tout de l’homme. Certes, le psalmiste déjà allait, répétant : « Insensés, ceux qui disent qu’il n’y a pas de Dieu ». Et l’athéisme n’est pas d’aujourd’hui. Mais il était comme réservé à notre temps d’en faire la théorisation systématique, indûment prétendue scientifique, et d’en mettre en œuvre la pratique à l’échelle de groupes humains et même d’importants pays.
Cette conviction profonde habitait le Bienheureux Jean-Paul II, qui a pu à loisir étayer son raisonnement, au-delà des heures de prière où apparaît le juste rapport entre l’homme et Dieu, aussi bien sous les régimes nazi ou communiste que dans l’Occident sécularisé contre lequel il mit en garde les pays de l’est tout de suite après la chute du mur de Berlin. Il n’est ici que de reprendre les discours ou homélies prononcés en Tchécoslovaquie en avril 1990, qui ne sont qu’une application pratique et un rappel des enseignements délivrés lors de ce Congrès, ou d’une autre manière la grande encyclique Laborem exercens (14 septembre 1981) qui renvoie dos à dos communisme et capitalisme matérialistes.
Suit alors, après cet état des lieux sans concession, l’exhortation de l’homme de foi et d’espérance, du pasteur. Si l’on cherche quelque part une clé pour discerner les chemins de la Nouvelle évangélisation, si l’on veut savoir le pourquoi du discours de Benoît XVI aux Bernardins, l’initiative du Parvis des Gentils – sur laquelle nous reviendrons dans le prochain numéro de Kephas –, la création du Conseil Pontifical pour la Nouvelle évangélisation, il suffit de lire ces quelques mots :
Et pourtant, comment ne pas le reconnaître avec admiration, l’homme résiste devant ces assauts répétés et ces feux croisés de l’athéisme pragmatiste, néopositiviste, psychanalytique, existentialiste, marxiste, structuraliste, nietzscheen… L’envahissement des pratiques et la déstructuration des doctrines n’empêchent pas, bien au contraire, parfois même elles suscitent, au cœur même des régimes officiellement athées, comme au sein des sociétés dites de consommation, un indéniable réveil religieux. Dans cette situation contrastée, c’est un véritable défi que l’Église doit affronter, et une tâche gigantesque qu’il lui faut réaliser, et pour laquelle elle a besoin de la collaboration de tous ses fils : réacculturer la foi dans les divers espaces culturels de notre temps, et réincarner les valeurs de l’humanisme chrétien.
Et de citer Pascal, en cette phrase jamais vraiment explorée qui renvoie elle aussi dos à dos les critiques des deux bords : « l’homme passe infiniment l’homme ». Cela suppose une attitude d’âme hardie, résolue, lucide, une conscience droite et sans faux-fuyants :
L’athéisme proclame la disparition nécessaire de toute religion, mais il est lui-même un phénomène religieux. N’en faisons pas, pour autant, un croyant qui s’ignore. Et ne ramenons pas ce qui est un drame profond à un malentendu superficiel. Devant tous les faux dieux sans cesse renaissants du progrès, du devenir, de l’histoire, sachons retrouver le radicalisme des premiers face aux idolâtres du paganisme antique, et redire avec saint Justin : « Certes, nous l’avouons, nous sommes les athées de ces prétendus dieux. »
Pourtant, la nature a horreur du vide, et la vie entière de Jean-Paul II l’illustre à sa manière, avec cette foi qui soulève les montagnes, mais aussi germe en silence et se développe sans bruit, ainsi que le relève encore Henri de Lubac à la lecture de L’idiot de Dostoïevski :
En ce siècle, l’Europe est devenue savante. L’Europe perd la foi. Versillov, cet homme plein de songes, contemple avec effroi ce crépuscule, et il entend sonner sur elle un glas d’enterrement. Il pleure sur « la vieille idée qui s’en va. Mais l’athéisme occidental n’aura qu’un temps. Car « l’homme ne peut vivre sans Dieu » (L’Adolescent), et les pauvres femmes du peuple l’emporteront sur les savants, parce qu’en elles s’exprime, plus simplement mais plus complètement aussi que par la voix de l’homme souterrain, l’élan incoercible de l’âme faite à l’image de Dieu.2
C’est d’ailleurs le Père de Lubac, précisément, que cite Jean-Paul II :
Il n’est pas vrai que l’homme ne puisse organiser la terre sans Dieu. Ce qui est vrai, c’est que, sans Dieu, il ne peut en fin de compte que l’organiser contre l’homme. L’humanisme exclusif est un humanisme inhumain.
Qu’on nous pardonne ici de citer le long extrait qui va suivre. À sa petite place, c’est très exactement l’objectif qui a présidé à la naissance de la revue Kephas. Il reste aujourd’hui d’une singulière actualité pour tous les catholiques ; il est même d’une urgence renouvelée, à l’heure où tant de forces se dispersent dans des arguties byzantines, dans des discussions de salon qui se concluent sur le constat amer – mais rassurant par son unanimité et le sérieux appliqué de son argumentation – des dérives du monde moderne et des dangers qui le guettent, dans des heures passées à courir sur internet et ses magistères virtuels – quoiqu’il s’y trouve aussi beaucoup de bon, voire de très bon, et de très utiles outils de discernement ou d’information – ou dans des foliocules à la quête de la dernière information croustillante. Rarement le devoir du catholique dans le monde moderne aura-t-il été décrit avec autant de précision, de lucidité et de force, d’intelligence et de foi :
Quelle invitation à revenir au cœur de notre foi : « Le Rédempteur de l’homme, Jésus-Christ, est le centre du cosmos et de l’histoire ». L’écroulement du déisme, la conception profane de la nature, la sécularisation de la société, la poussée des idéologies, l’émergence des sciences humaines, les ruptures structuralistes, le retour de l’agnosticisme, et la montée du néopositivisme technicien ne sont- ils pas autant de provocations pour le chrétien à retrouver dans un monde vieillissant toute la force de la nouveauté de l’Évangile toujours neuf, source inépuisable de renouvellement : « Omnem novitatem attulit, semetipsum afferens ? ». Et saint Thomas d’Aquin, à onze siècles de distance, prolongeait le mot de saint Irénée : « Christus initiavit nobis viam novam. »
C’est au chrétien qu’il appartient d’en donner témoignage. Il porte certes ce trésor dans des vases d’argile. Mais il n’en est pas moins appelé à placer la lumière sur le candélabre, pour qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. C’est le rôle même de l’Église, dont le Concile nous rappelait qu’elle est porteuse de Celui qui, seul, est Lumen Gentium. Ce témoignage doit être à la fois un témoignage de pensée et un témoignage de vie. Puisque vous êtes des hommes d’étude, j’insisterai en terminant sur la première exigence, la seconde en effet nous concerne tous.
Apprendre à bien penser était une résolution que l’on professait hier volontiers. C’est toujours une nécessité première pour agir. L’apôtre n’en est pas dispensé. Que de baptisés sont devenus étrangers à une foi qui jamais peut-être ne les avait vraiment habités parce que personne ne la leur avait bien enseignée ! Pour se développer, le germe de la foi a besoin d’être nourri de la parole de Dieu, des sacrements, de tout l’enseignement de l’Église et ceci dans un climat de prière. Et, pour atteindre les esprits tout en gagnant les cœurs, il faut que la foi se présente pour ce qu’elle est, et non pas sous de faux revêtements. Le dialogue du salut est un dialogue de vérité dans la charité.
Qui s’y dérobera ? Il est bien question de l’homme, et de Dieu.

Bienheureux Jean-Paul II : le pape des droits de l’homme et l’athlète de Dieu. C’est tout comme, si l’on sait lire et voir.

Henri de Lubac, Le drame de l’humanisme athée, Spes 1950, p. 7.
Henri de Lubac, Le drame de l’humanisme athée, p. 336–337

AIMER SON PROCHAIN? AIMER SES ENNEMIS?

13 janvier, 2015

http://home.scarlet.be/amdg/pn/pn99-3d.html

AIMER SON PROCHAIN? AIMER SES ENNEMIS?

Un prochain différent

Au risque d’énoncer une énorme évidence, je dirai que ce qui est le plus insupportable dans le prochain, c’est d’abord qu’il soit différent de moi. Si je voulais aller au fond de ce que je pense vraiment, je devrais bien l’avoue, il n’y a d’intéressant à mes yeux que moi-même; je ne fais qu’un avec moi-même; je suis à moi-même mon milieu naturel le plus immédiat, et lorsque je porte le regard autour de moi, c’est moi-même à n’en pas douter que je veux y retrouver: je n’admets, tout compte fait, que ce qui m’apparaît comme un prolongement de mon propre moi.
C’est déjà merveille que dans de nombreuses occasions l’amour s’éveille spontanément entre des êtres humains: l’amour des gens mariés, l’amour des parents pour leurs enfants, l’amour d’un maître pour son disciple. Mais, à y regarder de près, et loin de toute illusion, ces formes en apparence les plus désintéressées de l’amour sont parfois entachées par le fait que dans le penchant même qui nous porte vers les autres, c’est encore et toujours nous-mêmes que nous recherchons.
Ainsi, combien de fois l’amour des époux ne souffre-t-il pas de ce que, dans leur conjoint, ce n’est qu’une extension d’eux-mêmes qu’ils veulent retrouver? De jeunes mariés se réjouissent, par exemple, de ce qu’ils ne peuvent se passer l’un de l’autre, de ce que leurs sorties sont communes, de ce que les mêmes goûts les unissent. C’est fort beau; peut-être même est-ce touchant. Mais ce n’est là encore qu’une forme inférieure de l’amour, où l’autre ne m’apparaît
que comme le miroir qui me renvoie ma propre image. Il faudra souvent de longues années, et bien des conflits, pour que l’amour de deux époux devienne à ce point profond et calme que chacun laisse exister l’autre dans ce qu’il a de différent, voire d’opposé, et, pour tout dire, dans cette qualité d’étranger dont un être humain ne cesse jamais de porter la marque vis-à-vis d’un autre.
Il en va de même de l’amour spontané des parents à l’égard de leurs enfants. De quels dévouements, de quels renoncements les parents ne sont-ils pas capables en faveur de leurs enfants tant que ceux-ci se trouvent sous leur dépendance? Mais quand vient le moment où les premiers signes de l’autonomie se manifestent chez eux, combien de parents, sans abdiquer d’ailleurs leurs responsabilités, sont capables de comprendre ces éveils subits de la liberté? Combien de parents ne cèdent pas alors à la tentation de vouloir que leurs enfants leur présentent, dans leurs tendances et dans leur choix de vie, la copie conforme de ce qu’eux-mêmes sont ou ont été?
Et on pourrait en dire autant d’un maître dans son rapport à son disciple: il lui sera parfois bien difficile d’admettre que celui-ci s’engage dans d’autres voies que celles qu’il lui aura inculquées.
Le Père Teilhard de Chardin, ce savant qu’il serait difficile de taxer de pessimisme, écrit dans son livre intitulé Le Milieu divin: « Mon Dieu, je vous l’avoue, j’ai bien longtemps et, et je suis encore, hélas, réfractaire à l’amour du prochain… Ce qui, dans l’Univers, est au-dessus ou au-dessous de moi…, je l’intègre facilement dans ma vie intérieure: la matière, les plantes, les animaux, et puis les Puissances, les Dominations, les Anges, – je les accepte sans peine. Mais ‘l’autre’, mon Dieu, non pas seulement le pauvre, le boiteux, le tordu, l’hébété…., mais l’autre simplement, l’autre tout court – celui qui par son Univers en apparence fermé au mien semble vivre indépendamment de moi… – serais-je sincère si je vous disais que ma réaction instinctive est de le repousser…?1.i

Un prochain proche
Il n’est donc pas naturel d’aimer son prochain pour cette première raison que nous venons de voir, et qui est tout simplement qu’il est différent de nous.
Il n’est pas naturel non plus d’aimer son prochain dans la mesure, précisément, où il est proche de nous. Dans son roman Les frères Karamazov, Dostoievski met dans la bouche d’lvan Karamazov ces paroles qu’il adresse a son frère Aliocha: « Je dois t’avouer une chose… Je n’ai jamais pu comprendre comment on peut aimer son prochain. C’est précisément, à mon idée, le prochain qu’on ne peut aimer: du moins ne peut-on l’aimer qu’à distance ». Et Ivan ajoute ce propos terrible: « J’ai 1u quelque part, à propos d’un saint, ‘Jean le Miséricordieux’, qu’un passant affamé et transi vint un jour le supplier de le réchauffer: le saint se coucha sur lui, le prit dans ses bras et se mit à insuffler son haleine dans la bouche purulente du malheureux, infectée une horrible maladie. Je suis persuadé qu’il fit cela avec effort, en se mentant à lui-même, dans un sentiment d’amour dicté par le devoir, et par esprit de pénitence. Il faut qu’un homme soit caché pour qu’on puisse l’aimer: dès qu’il montre son visage, l’amour disparaît » 2.
C’est à moi que vous l’avez fait…
On dira peut-être que de telles considérations ne sont guère optimistes. Ne seraient-elles pas simplement réalistes? Lorsque dans l’Ancien Testament déjà, au Livre du Lévitique, nous lisons ce précepte: Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Lv 19, 18), nous devons bien . avouer que ce commandement se situe à la limite du possible. « …comme toi-même… »: il nous faut tenter de réaliser avec précision à quel arrachement de nous-mêmes une telle exigence peut nous conduire; car le prochain, redisons-le, n’est pas toujours de soi immédiatement aimable.
Comme on pouvait s’y attendre, Jésus n’apporte aucune restriction à ce précepte de l’Ancien Testament. Au contraire. Un scribe s’approche de lui pour lui demander quel est le premier de tous les commandements. Le premier, lui répond-il, le voici: Ecoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute
ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Mais à ce premier commandement, Jésus en accole immédiatement un second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et il ajoute:
Il a n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là (Mc 12, 28-32). Un commandement un et double, donc: l’amour de Dieu est inséparable de celui du prochain. Pas question d’oser dire qu’on aime Dieu si l’on n’aime pas aussi les autres comme soi-même. Comme soi-même,
toujours …
Saint Jean, dans sa première épître, renforcera encore le lien entre ces deux amours: l’un ne peut aller sans l’autre. Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous avons reçu de lui: celui qui aime Dieu, qu’ ’il aime aussi son frère. (1 Jn 4 , 20-21).
Mais pourquoi ce caractère indissociable des deux amours? Il tient en fait à la volonté qu’a eue Jésus de s’identifier à nous. Chacun de nos frères, si étranger qu’il nous paraisse? c’est lui, Jésus. Les « justes » (en sommes-nous?), lorsque le Roi; viendra dans sa gloire et qu’il leur donnera en héritage le royaume préparé pour eux depuis la création du monde, s’étonneront de ce que cet héritage leur revienne. Mais, leur répondra le Fils de l’homme, il vous revient parce que chaque fois que vous aurez fait du bien à votre prochain, à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25, 34-40).
Et si l’on veut comprendre le fin fond des exigences de Jésus au sujet du prochain ainsi que l’identification qu’il établit entre ce prochain et lui-même, il faut remonter jusqu’à l’amour dont lui, le Fils fait homme, a donné la preuve à notre égard. dans la situation désespérée où nous nous trouvions. Car, alors que nous n’étions encore capables de rien, écrit saint Paul, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions. – Accepter de mourir pour un homme de bien, c’est déjà difficile: peut-être donnerait-on sa vie pour un homme de bien.- Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs (Rm 5, 6-8).
On ne peut aller plus loin. Le Christ nous a aimés jusqu’à la mort, nous, pécheurs séparés de lui. C’est dans cet amour qui vient du plus haut qui soit que s’inscrit l’amour du prochain auquel il a voulu, comme à nous, s’identifier.
Aimer ses ennemis?
Mais Jésus va plus loin encore. Dans le prochain à aimer, il inclut l’ennemi. Il fallait s’y attendre: Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions… Alors…
Soit, mais il n’y a là plus rien de « naturel ». Il faut bien en convenir. Voici que quelqu’un nous gifle, par exemple. Nikita Khrouchtchev, l’homme d’Etat soviétique bien connu de la fin des années cinquante et du début des années soixante, disait un jour que, si par hasard quelqu’un en venait à le gifler, il lui rendrait une gifle telle que sa tête volerait en éclats. Voilà la façon naturelle d’agir. Or Jésus, lui, nous dit: Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui
encore l’autre (Mt 5, 39). Mais où va le sentiment bien légitime de la dignité personnelle si l’on capitule de la sorte? Et Jésus donne encore un autre exemple: Si quelqu’un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau (Mt 5. 40). Il faut savoir que la tunique, c’est. chez les Anciens,. le vêtement dont on ne peut absolument se passer. C’est le vêtement qu’on enlève à quelqu’un au moment où on le vend comme esclave: nus voyons ainsi les frères de Joseph. dans le Livre de la Genèse (Gn 27, 31-37), lui ôter sa tunique pour le livrer aux marchands madianites. Celui qui me réclame ma tunique va donc vraiment trop loin. C’est un ennemi. Eh bien, dit Jésus, il faut le laisser aller plus loin encore en lui cédant même son manteau, le manteau qui est l’habit indispensable dont on se sert pour se couvrir la nuit.
Vraiment, de telles exigences de la part de Jésus ne sont pas naturelles, et elle constituent sans aucun doute une menace pour le bon sens le plus élémentaire. Mais voilà, être chrétien, l’être à la manière de Jésus qui, lorsqu’on l’a crucifié, a abandonné ses vêlements tout en pardonnant à ses bourreaux, c’est littéralement ne pas être dans son bon sens. Un chrétien ne peut apparaître, aux yeux du monde, que comme un anormal. Il est dans le monde, mais ii n’est pas du monde, et c’est pourquoi le monde ne peut que le prendre en haine (Jn 17, 11-17). Un chrétien qui l’est vraiment procède de la folie de l’amour divin. Dieu construit pour lui une demeure dans les cieux (2 Co 5, 1) et, tout en demeurant sur la terre, le chrétien y répand cette folie qui est la bonne odeur du Christ (2 Co 15).
Beaucoup de chrétiens, et nous en faisons peut-être partie, ne sont pas encore prêts à suivre Jésus dans une telle aventure. Seuls les saints risquent le tout pour le tout. Il est vrai que pour ce faire ils ont renoncé à toute mesure humaine.

Chanoine Jean LEONARD,
Notes:
1 Seuil, Paris, 1975, pp. 184-185.
2 Coll. La Pléiade, Gallimard, Paris, 1952, pp. 256.

(article reposté avec l’aimable autorisation de la rédaction)
Pâque Nouvelle est une revue trimestriele de formation catholique-romaine.
Le rédacteur en chef est le chanoine M. Dangoisse (professeur au Grand Séminaire à Namur et à l’école de la Foi du diocèse de Namur-Luxembourg, doyen des chanoines du diocèse)

CHATEAUBRIAND ET DOSTOÏEVSKI [1].

12 novembre, 2014

http://www.samizdat.qc.ca/arts/lit/c&d_al.htm

CHRISTIANISME ET CRÉATION LITTÉRAIRE:

CHATEAUBRIAND ET DOSTOÏEVSKI [1].

Andrea Link

Beaucoup de contrastes frappent le regard lorsqu’on compare les vies de François René de Chateaubriand (1768-1848) et Fiodor Dostoïevski (1822-1881). Ils venaient d’époques, de cultures et de traditions de famille différentes. Leurs tempéraments différaient beaucoup aussi. Chateaubriand grandit aristocrate et royaliste à Combourg à l’aube de la Révolution française. Toute au cours de sa vie, des sentiments de mélancolie et de désillusion au sujet du monde pesaient lourdement dans son cœur. Comme co-fondateur du romanticisme français il vivait comme héros romantique dont les souffrances devenaient une source de « fierté qui se limite elle-même » (Jackson, p. 29).
Fiodor DostoïevskiDostoïevski, appartenait à la basse aristocratie et fut élevé de manière modeste à Moscou. Il grandit sous l’ombre de l’insurrection décembriste de 1825 qui incita le tsar Nicolas I de gouverner avec une discipline militaire et bureaucratique sévère. Contrairement à Chateaubriand, Dostoïevski avait un tempérament énergique et une fierté « nerveuse et qui s’illuminait elle-même » (Jackson, p. 29).
Dostoïevski tentait de la comprendre par un examen profond de soi-même, des personnes qui l’entouraient ainsi que de leur environnement. Par conséquent Dostoïevski devenait un écrivain post-romantique ou romantique-réaliste. Tout de même, ces deux auteurs partagent un point commun: leur développement spirituel et religieux suivit un cheminement similaire. Chacun fut élevé dans une tradition religieuse; Chateaubriand était catholique romain et Dostoïevski un orthodoxe russe. Leurs mères servaient comme les modèles pleins de foi, dévots et religieux de leurs familles et c’était leur foi qui planta la semence de foi dans les cœurs de ces jeunes écrivains. Pourtant lorsqu’ils furent de jeunes hommes, Chateaubriand et Dostoïevski éprouvaient des périodes de doute. Au lieu de s’attacher fortement à leurs traditions chrétiennes, ils devenaient des rêveurs ardents, recherchant des notions idéales comme la beauté et la justice. Leurs désirs de trouver la vérité les attirait a étudier les idéologies courantes de leur époque. Par exemple, Chateaubriand embrassait quelques-unes des idées de Rousseau, et Dostoïevski s’engagea dans un groupe d’utopistes socialistes. Mais leurs quêtes romantiques laissèrent Chateaubriand et Dostoïevski déçus et désillusionnés lorsqu’ils comprirent que ces idéologies courantes ne leur apportait pas la vérité. Ces deux hommes éprouvaient une pauvreté humiliante et des souffrances psychique lorsqu’ils furent exilés de leurs patries. En tant qu’aristocrate, Chateaubriand était considéré un ennemi de la Révolution franchise et pour sauver sa vie il devint un émigré en Angleterre au début des années 1790. Tsar Nicolas I exila Dostoïevski en 1849 pour son engagement politique. À cause de leurs souffrances extrêmes, les deux écrivains eurent des expériences de conversion qui les conduisirent à embrasser la foi chrétienne. Quand la mère de Chateaubriand mourut, le chagrin le fit accepter la foi de sa mère. De manière similaire, lorsque Dostoïevski se trouva en face de la vie de prisonnier, il eut une renaissance de son âme.
François René de ChateaubriandTandis que tous deux éprouvaient des transformations similaires de leurs cœurs par leur foi en Christ, Chateaubriand et Dostoïevski développèrent des perspectives différentes du monde chrétiennes. Chateaubriand développait une perspective dualiste du christianisme. Le monde déchu qui est gouverné par Satan demeure séparé du monde spirituel de Dieu, le royaume des cieux. Ainsi la vie dans ce monde déchu d’ici-bas est tout à fait pénible, plein de désespoir et sans signification. Les idéaux du christianisme, y compris l’amour, la paix et la joie, ne seront réalisés qu’aux cieux. Chateaubriand croyait que « le chrétien se considère comme rien de plus qu’un pèlerin voyageant ici-bas à travers une vallée de larmes et qui ne trouve aucun repos jusqu’a ce qu’il arrive à la tombe » (Chateaubriand, 1976, p. 297). Les chrétiens peuvent espérer seulement qu’ils mourront bientôt et entreront aux cieux ou ils recevront leur rédemption et le bonheur éternel en communion avec Dieu.
À l’encontre de Chateaubriand, Dostoïevski développa une vue de la christianisme réconciliée. Ce monde-ci est déchu et les chrétiens éprouveront a la fin de toutes choses l’abondance complète du Royaume des cieux lorsqu’ils mouront. Pourtant un chrétien peut commencer d’éprouver la communion avec Dieu même tandis qu’il vit dans un monde déchu. Pour Dostoïevski, les mots du Christ, « Repentissez-vous, car le royaume des cieux est proche » (Matthieu 4: 17) impliquait qu’une réconciliation avec Dieu commence lorsqu’une personne se repens et accepte la mort de Christ comme sacrifice pour ses péchés. Dostoïevski croyait que le chrétien peut commencer d’éprouver le royaume des cieux dans son cœur. L’esprit de Dieu, Son amour et Son pouvoir peuvent commencer à sanctifier et transformer les cœurs de ceux qui ont foi.
Bien que tous les deux embrassaient la foi chrétienne, des questions de doute continuaient à attaquer leurs convictions. P. L. Jackson écrit que Chateaubriand et Dostoïevski partageaient « une affirmation de foi paradoxale (Jackson, p. 30). À la fin de sa vie, Chateaubriand dit, « quand elle grandissait, ma conviction religieuse a dévoré mes autres convictions, (mais) dans ce monde-ci il n’y a pas de chrétien plus croyant et plus remplis de doutes que moi » (ibid.) D’une manière similaire Dostoïevski écrivit en 1854: « Si quelqu’un prouvait pour moi que Christ était en dehors de la vérité, et si c’était ainsi que la vérité était en dehors de Christ, alors je resterais plutôt avec Christ qu’avec la vérité. Je suis un enfant de cet âge, un enfant du manque de foi et de doute jusqu’a maintenant et (je le sais bien) ce sera vrai jusqu’à ce que ma bière soit fermée … » (ibid.). Comme Chateaubriand et Dostoïevski comprenaient la dynamique d’être à la fois un fort croyant et un douteur vacillant, ils etaient capables de décrire vivement cette bataille intérieure éprouvée par les caractères dans leurs livres lorsqu’ils sont confrontés avec la foi chrétienne (par exemple, Chactas, René, et Raskolnikov).
Par conséquent, les batailles spirituelles de Chateaubriand et de Dostoïevski les aidèrent à discuter des idéologies de leurs temps qui sapaient le christianisme. Puisque Chateaubriand et Dostoïevski croyaient que leurs pays éprouvaient des crises spirituelles, ils voyaient leur mission comme celle d’apologistes de la foi chrétienne. Chateaubriand grandit à une époque de doute religieux et l’athéisme des Lumières, comme il le décrit dans Le Génie du christianisme: « La religion fut attaquée par tous les genres d’armes, du pamphlet au folio, de l’épigramme au sophisme. Aussitôt qu’un livre religieux apparut, l’auteur fut couvert de ridicule, tandis que des œuvres que Voltaire lui-même était le premier à moquer parmi ses amis furent louées jusqu’au ciel » (Chateaubriand, 1899, p. 124). Beaucoup de philosophes, comme Denis Diderot, Jean le Pond d’Alembert et Voltaire, etaient sceptiques envers la foi chrétienne parce qu’ils croyaient qu’elle était fondée sur la superstition et l’irrationnelle. Les Lumières supposaient que les problèmes de l’humanité et de la société pouvaient être résolus simplement par l’application de lois et de réformes fondées sur la raison humaine. Un grand nombre de penseurs au cours de « l’age de raison » aspiraient au positivisme et au scientisme au lieu de la foi en Dieu comme l’espoir de l’humanité. Lorsqu’éclata la Révolution française en 1789, des révolutionnaires furieux détruirent des vitraux, des statues religieuses et des cathédrales entières pour affirmer que l’Église Catholique doit être extirpée parce qu’elle représentait l’oppression et la corruption de la monarchie déchue.
Chateaubriand s’opposait à la notion des Lumières que l’humanité est rationnelle par nature. Il dit, « Le cœur de l’homme est le jouet de tout; et personne ne peut dire quelle circonstance frivole peut causer ses joies et ses chagrins » (Chateaubriand, 1899, p. 124). Il était en désaccord complet avec l’idée que des réformes rationnelles résoudraient les problèmes de l’humanité car il avait observé la violence inhumaine de la Révolution Française. Chateaubriand croyait que c’était sa mission de montrer que le christianisme était une religion inspirée par Dieu. Il raisonnait que la beauté esthétique du Christianisme y compris les rituels mystiques et les cathédrales ornées prouvait que Dieu seul pouvait avoir inspiré le christianisme. Par ses écrits, Chateaubriand appelait la France à retourner à sa foi chrétienne, ses valeurs et ses traditions.
Au cours de la dernière partie du dix-huitième siècle et la première partie du dix-neuvième siècle le scepticisme des Lumières dominait les idéologies des intellectuels russes. La pensée matérialiste devenait dominante parmi les fondateurs du socialisme russe (qui fondaient aussi la critique littéraire russe), y compris Vissarion Belinsky, Alexandre Herzen, Nicolay Chernyshevsky et Nicolay Dobrolyubov. Ils acceptaient les idéaux du positivisme, du scientisme, du matérialisme et de l’utilitarisme de l’occident européen. Par ses œuvres, comme Souvenirs de la maison des morts et Crime et châtiment, Dostoïevski s’opposait à l’idéal des Lumières qui affirme que l’humanité est rationnelle, perfectible et que toute la connaissance peut être atteint par la science. Pour Dostoïevski, le seul salut de l’humanité est dans la foi chrétienne; il considérait le rejet de Dieu et de Christ dangereuse puisqu’elle conduisait les gens à « s’engager dans l’impossible et dans la destruction de soi-même » pour transcender leur condition de vie (Frank, 1986, p. 198). Dostoïevski supposait que la crise spirituelle de l’Europe de l’ouest finirait par mener à son déclin et à son autodestruction et que la foi orthodoxe de la Russie deviendrait la grâce qui sauverait l’Europe. Comme Chateaubriand, Dostoïevski estimait que la beauté esthétique et la perfection morale du christianisme prouvait que Dieu l’inspirait divinement. Ainsi la mission d’évangélisation de Dostoïevski était d’appeler son pays à retourner et à demeurer fidèle à son héritage orthodoxe.
Chateaubriand et Dostoïevski incarnaient leur défense du christianisme dans des personnages féminines. Atala et Amelia dans les récits de Chateaubriand Atala et René, et Sonia dans le roman Crime et châtiment de Dostoïevski montrent la foi chrétienne. La symbolisation de femmes comme des figures rédemptrices dans les œuvres de Chateaubriand et de Dostoïevski peut être expliqué en partie par le fait que des femmes jouèrent un rôle majeur dans leur propre conversion au christianisme. Leurs mères étaient les gardiennes de la foi chrétienne puisqu’elles transmettaient la foi à leurs enfants. De plus, l’âme féminine à été décrit de manière traditionnelle dans la littérature comme incarnant les vertus chrétiennes de la compassion, le sacrifice de soi, la gentillesse, la fidélité, la dévotion et l’amour. Chateaubriand et Dostoïevski utilisèrent ces personnages pour défendre l’idée que les vérités transcendantes de Dieu ne sont pas révélées par la raison humaine. Atala, Amelia, et Sonia sont des femmes dont la foi passionnée domine leur raison, mais toutefois elles possèdent la sagesse de Dieu. Chateaubriand et Dostoïevski décrivent la foi de ces femmes comme divinement belles, ce qui coïncide avec leur vue de la perfection esthétique du christianisme comme la base de l’inspiration divine.
Néanmoins, la description de ces femmes par Chateaubriand et Dostoïevski diffère à cause de leurs perspectives du monde chrétien différentes. Atala et Amelia désirent la mort pour quitter le désespoir de ce monde et pour aller au ciel. Les désirs charnels d’Atala et d’Amelia, surtout le désir d’aimer un homme, les tourmentent parce qu’elles croient que ces désirs sont mauvais et inférieurs à un désir spirituel pour Dieu. Elles espèrent que le jour arrivera lorsqu’elles seront libérées de leurs désirs charnels. Seule leur réunion spirituelle avec Dieu au ciel soulagera la peine de leurs cœurs d’être profondément aimées.
De l’autre côté, Sonia voit que sa vie éternelle a commencé sur la terre. Ainsi sa foi en Dieu lui donne de l’inspiration et de l’espoir au milieu de la peine et du chagrin qui l’entourent. Sa communion avec Dieu lui donne la force de persévérer même au milieu de l’humiliation, de la pauvreté et de la prostitution. Sonia connaît bien sa nature pécheresse, mais puisqu’elle accepte la rédemption de Dieu, elle peut éprouver Son amour, donné sans conditions et Sa compassion ici-bas dans ce monde déchu. Atala, Amelia et Sonia servent toutes les trois comme messagères de la vérité de Dieu pour les personnages masculins incroyants, Chactus, René, et Raskolnikov. Tandis qu’Atala et Amelia communiquent leur foi ferme à Chactus et à René, leurs témoignages n’ont pas d’effet transformant sur eux. Chactus et René sont emprisonnés dans ce monde d’ici-bas, ce qui les empêche d’éprouver le royaume spirituel et éternel de Dieu.
Chez Dostoïevski, Sonia, en tant que messagère du salut de Dieu, conduit Raskolnikov à la foi et au salut. Ses paroles, ses prières et ses actions reflètent l’amour et le pardon de Dieu, et c’est son témoignage qui aide à produire un changement de cœur chez Raskolnikov. D’après la perspective chrétienne de Dostoïevski, l’esprit de Dieu peut transformer le cœur humain dans un monde déchu. Ainsi Chateaubriand et Dostoïevski répondent aux crises spirituelles de leurs pays par la création littéraire. Ces deux écrivains utilisèrent des voix féminines de foi dans l’espoir de combattre le scepticisme grandissant de leurs époques.

 

DIEU ET LE TEMPS

6 novembre, 2014

http://www.promesses.org/arts/102p22-24f.html

DIEU ET LE TEMPS

Henri Larçon

Dieu est le maître du temps (Dan 2.21) Dieu est le créateur de toutes choses (Gen3.9). Tu as créé toutes choses, et c’est par ta volonté qu’ elles existent et qu’elles furent créées (Apoc 4.11). C’est par le Christ que Dieu a tout créé dans les cieux et sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible (Col 1.16).
Tout ce qu’il a fait est beau en son temps, et même il a mis dans le cour la pensée de l’éternité, bien que l’homme ne puisse pas saisir l’ouvre que Dieu a faite du commencement jusqu’à fa fin (Ecc 3.11).

Origines
Dieu seul existe depuis toujours, avant les choses, les lois et les êtres, qui ont eu un commencement et ont été créés par lui. l’homme, quoique limité, est un être privilégié, créé à l’image de Dieu. Il est doté d’un sentiment de l’éternité, cependant il a de la difficulté à concevoir parfaitement l’absence de commencement de Dieu, ainsi que l’infini sans limite. D’autres privilèges constituent sa liberté de choix, sa volonté, sa capacité d’inventer et de créer. Ils lui permettent d’imaginer l’existence de pouvoirs semblables mais plus grands, d’où la conscience d’un créateur éternel, souverain et tout puissant. De ces vérités, il résulte que Dieu a créé des lois que nous qualifions de spirituelles, morales, physiques; parmi elles, il a créé les temps ou le temps (Pr 18.22-23). Il est plausible qu’un temps ait été créé à notre intention: en réglant les mouvements du soleil et de la lune (Gen 1.14), Dieu nous a permis une mesure facile du temps de notre planète. En même temps, parmi tous ses dons, il nous a donné la notion d’un temps qui s’écoule, et notre vie est formée d’instants qui se succèdent, toujours dans le même sens, du passé vers le futur, comme un fleuve qui nous entraîne. Cela nous paraît une loi physique nécessaire à l’intelligence reçue et à la mission de gestionnaires de la terre. Dieu utilise aussi un temps dont la valeur précise nous échappe pour expliciter notre création, et la jalonner dans un ordre que les savants acceptent aujourd’hui en fonction de leurs dernières connaissances (Gen 1).

Notre esclavage du temps
Nous ne saurions nous passer du temps, qui est indispensable à notre vie sociale. Cependant nous en sommes esclaves, car il ne revient jamais vers le passé. Nous sommes esclaves de la minute qui vient de s’écouler de la même façon que nous le sommes d’un secret que nous avons trahi: nous ne pouvons pas revenir en arrière et corriger la faute commise. Nous pouvons quelquefois lui apporter un palliatif, mais son historique subsistera dans notre mémoire. Etre esclave d’une action, c’est être esclave du temps passé dans lequel elle a été enregistrée.
Dans un autre sens, nous sommes aussi esclaves du temps futur, car il ne nous appartient pas et nous ne le connaissons pas. Où serons-nous dans un an? Demain, il sera peut-être trop tard pour se repentir. Vous ne savez pas ce que sera votre vie demain (lac 4.14). Si nous avons peur de la minute prochaine qui nous inquiète, cette peur ne permet pas de la retarder. Et si nous vivons une minute heureuse, nous ne pouvons pas la retenir: elle s’écoule, elle s’échappe, et quand elle est passée, elle n’est plus qu’un souvenir. Mais le souvenir lui-même s’estompera avec le temps.

La liberté du créateur
L’homme, petit créateur, peut être esclave de ce qu’il a créé, tandis que Dieu n’est esclave de rien, et n’est assujetti à aucune création: il est souverain sur elle, elle le sert, il peut lui donner des ordres, la modifier ou la supprimer selon son bon plaisir. C’est le cas pour le temps: il peut le modifier, effacer notre mauvaise action qu’il a pardonnée, comme si elle n’avait pas eu lieu, et il peut même l’oublier, ce qui est un élément de la perfection du salut: Je suis tel que, par égard pour moi, J’efface tes révoltes et ne garde pas tes fautes en mémoire (Es 43.25 Tob). Donc, malgré sa mémoire parfaite, Dieu est capable d’oublier nos fautes, comme si elles n’avaient pas eu lieu. Il est parfaitement libre par rapport au temps. Il vit hors du temps, mais il utilise le nôtre pour communiquer avec nous dans un langage accessible, Il montre aussi sa maîtrise sur notre temps: il a arrêté le cours du soleil et de la lune pour permettre à Josué de terminer la bataille de Gabaon dans la même journée; c’était vraiment le jour le plus long (Jos 10.12-14). Et pour rassurer le roi Ezéchias, il a fait reculer le soleil dans sa course (2 Rois 20.8-11).
Les théologiens furent les premiers a suggérer que toutes choses ne sont pas dans le temps. Des philosophes leur ont emprunté cette idée, et actuellement des savants font de même. Einstein a découvert que le temps est relatif dans l’univers, et la Bible dit que pour Dieu un jour est aussi long que 1000 ans, et 1000 ans aussi courts qu’un jour (Ps 90.4; 2 Pi 3.8). Cela nous rend sa patience plus accessible.
Lorsque le Seigneur Jésus est venu accomplir l’ouvre de rédemption, il y était prêt «de toute éternité»; c’est-à- dire que depuis toujours, avant toute création, cette oeuvre était dans son plan pour notre salut éternel. A 1′heure terrestre voulue, il est «descendu» dans sa création et il y a vécu les jours et les années nécessaires à sa justice. Pour nous remplacer, il s’est laissé contraindre, notamment par notre temps. Mais il nous devient évident que Dieu ne vit pas au 20è siècle du calendrier grégorien, malgré sa liberté de le faire. Il n’y a pour lui ni passé, ni présent, ni futur obligatoires: il peut utiliser tous nos temps simultanément, sans qu’ils ne s’usent ou ne lui échappent. il n’a pas besoin d’écrire un livre de souvenirs, ni de faire des photos: il peut voir et entendre ce qui se passe depuis toujours jusqu’à toujours. Ralph Shallis traduisait cela en disant que «Dieu vit un éternel présent» (Le miracle de l’Esprit).

Quelques conséquences sur nos vies de croyants
Si nous acceptons cette logique sur Dieu et le temps, nous acceptons aussi que toute la création obéisse à Dieu au même titre que le temps. Nous voyons différemment le déluge, le poisson de Jonas, les miracles qui fourmillent dans la Bible, car nous avons une idée plus précise de la souveraineté de Dieu. Nous comprenons mieux la nature des livres qui seront ouverts lors des jugements à venir. Ces livres ne sont pas des parchemins antiques, des reliures, des films cinéma ou vidéo, mais on pourra tout voir et tout entendre sans barrière de temps. Rien ne s’effacera, sauf si Dieu décide de l’effacer.
Parallèlement, nous comprenons que lorsque Dieu considère ce qui arrivera demain, il ne le prévoit pas à la manière d’un prophète qui a une révélation de l’avenir: il le voit de ses yeux, il le vit, et il l’entend de ses oreilles. Et pour le présent, sa souveraineté sur le temps lui permet de s’ occuper de tous les siens en même temps.
Il est attentif à chacun de nous: il ne s’occupe pas de nous en bloc. Chacun de nous peut être seul avec lui et profiter de toute son attention. A l’heure de la croix, Christ a expié les péchés de tous, c’est vrai; mais plus encore, il savait exactement pour qui il donnait sa vie et pour quelle action déplaisante le Père déchaînait sa colère; il en connaissait exactement le poids et la nature pour chacun de nous, nom par nom.
Nous pourrions être tentés de penser que la vie humaine du Seigneur sur la terre, les créations, le temps passé à l’éducation d’Adam et des autres, les événements célestes, sont des épisodes de l’histoire de Dieu. Mais «Dieu n’a pas d’histoire», a dit C.S. Lewis (Etre ou ne pas être). Avoir une histoire signifie en avoir terminé avec une période passée et commencer la période suivante; mais la création seule a une histoire. Comme dit plus haut, quand on a une histoire, on n’est maître que de l’instant présent; et encore s’envole-t-il dès qu’il a commencé. Le créateur de temps ne peut donc être vu comme ayant une histoire.
Ainsi, lorsque les prérogatives du créateur (notamment sur le temps) sont reconnues, de nombreux textes de la Bible s’éclairent; on comprend mieux la souveraineté de Dieu et certaines de ses vertus, on est éclairé sur des vérités spirituelles importantes dont on ne parle pas, et on grandit dans la connaissance du Seigneur (2 Pi 1.3-8; 3.18).

 

RESSUSCITER L’ANGÉLUS : UNE URGENCE.

6 novembre, 2014

http://blog.institutdubonpasteur.org/spip.php?article162

RESSUSCITER L’ANGÉLUS : UNE URGENCE.

mardi 11 janvier 2011, par Abbé Philippe Laguérie

Ce post de mon blog pourra paraître obsolète et poussiéreux aux esprits superficiels et rationalistes. Tant pis pour eux s’ils ne comprennent qu’il est malheureusement d’une brulante actualité. « Que celui qui a des oreilles pour entendre… ». Et s’ils savaient comme je m’en moque !
On sait les merveilles de grâces obtenues par la récitation du chapelet et l’insistance renouvelée des apparitions mariales comme des Pontifes Romains pour que les fidèles s’en acquittent pieusement.
Pourtant, à bien regarder l’histoire et les documents officiels, l’insistance qu’ont mis les papes, au cours de longs siècles, à promouvoir la récitation, par tous les chrétiens, de cette minuscule prière de l’Angélus est sans proportion et proprement impressionnante. Le décalage apparent entre le côté rudimentaire, j’allais dire dérisoire, de cette prière et les effets qu’on en attend est simplement spectaculaire. La raison en est simple : l’Angélus est la prière de tous les chrétiens contre les dangers, les périls même, qui menacent l’Eglise, les chrétiens, la chrétienté…Mais d’abord un peu d’histoire.
La récitation de la première partie du « Je vous salue Marie » est attestée en Occident dès saint Grégoire le grand (594-610) et le pape la recommande en certaines occasions, pendant l’Avent, avant et après l’office divin, à l’offertoire de la messe. Notre « Je vous salue Marie » en sa forme actuelle (Avec sa seconde partie qui n’est pas dans l’Ecriture) nous vient d’Orient et se trouve attestée dès le 7ème siècle. On la trouve intégrale dans le « Traité des rites du baptême » de Sévère, Patriarche d’Alexandrie (647). Elle remonterait, selon la tradition, au Concile d’Ephèse lui-même (437). Cette formule complète ne parvient en Occident qu’au 10èm siècle (Tolède). Ce sont les fils de Saint-François qui rajoutent le « Maintenant et à l’heure de notre mort » au 12ème siècle. Saint-Bonaventure, et son ordre, sera le principal propagandiste de ces « trois Ave au son de la cloche » du matin et du soir.
L’Angélus, proprement dit, nait au 11ème siècle. Le pape Urbain II en 1090, lorsqu’il met en marche la première croisade, ordonne que toute la chrétienté, au triple son de la cloche, matin et soir, récite trois fois la salutation angélique. Il s’agit de soutenir la marche des croisés… Ce pieux pape était justement persuadé que si l’ensemble des chrétiens priaient sur la même intention, ils seraient nécessairement exaucés. Les évêques répercutent dans toute la chrétienté, par des ordonnances et même des conciles locaux ces volontés du pape. L’engouement des fidèles est partout unanime. L’Angélus est né, bien avant le chapelet donc et dans un but précis…
Au 13ème siècle le pape Grégoire IX relance l’Angélus contre les atteintes à l’Autorité de l’Eglise incarnées par l’empereur Frédéric II. Comme la ville de Saintes (17, eh oui) se distinguait par son zèle à la récitation de l’Angélus, le pape Jean XXII l’en félicita par un Bref, peu de temps avant de produire le document capital sur le sujet. Sa bulle, datée du 13 octobre 1318 universalise la récitation et l’assortit d’indulgences. Il avait été très frappé, tout juste avant, par un miracle spectaculaire dû à l’Angélus survenu à Avignon. Je laisse la parole à Mgr Gaume. « La justice de cette ville (Pas l’Eglise !) venait de condamner deux criminels à être brûlés vifs. L’exécution avait lieu la veille de l’Annonciation de la BVM. Le bûcher était allumé. Comme il en approchait, un des coupables ne cessait d’implorer la Sainte Vierge, lui rappelant les hommages qu’il lui avait rendus (Ces fameux trois Ave). Cependant les bourreaux le jettent dans le feu. Mais, ô miracle ! Il en sort comme les hébreux de la fournaise de Babylone : sain et sauf et ses habits intacts. Quant à son compagnon, il fut en un instant dévoré par les flammes. Saisi de nouveau, celui qui avait échappé à la mort est rejeté dans le bûcher. Il en ressort sans brûlure et plein de vie, comme la première fois. Sa grâce lui est accordée et on le conduit en triomphe à l’église de la Sainte Vierge, pour rendre grâce à sa libératrice ». La ville d’Avignon dressa un procès verbal authentique de l’événement. Force de l’Angélus !
Et l’Angélus de midi ? De pieux auteurs, tous un peu gallicans, en attribuent la paternité au roi Louis XI qui ordonne, en 1472, « afin d’obtenir la paix publique », d’adjoindre la sonnerie de midi aux deux précédentes. Soit. Cependant c’est en 1455 que le pape Calixte III avait déjà prescrit la sonnerie de midi et l’on va comprendre pourquoi. Il semble que Louis XI n’ait fait qu’appliquer à la France, et en édulcorant leurs visées, les sages décisions du pape, sensiblement plus précises. Le terrible Mahomet II venait de prendre Constantinople (1453) et avait juré, en faisant manger de l’avoine à son cheval sur le maître-autel de Sainte Sophie, qu’il en ferait rapidement de même sur l’autel majeur de Saint-Pierre ! Sa formidable armée de 300 000 hommes, ses canons de 12 mètres et sa cruauté légendaire faisait de ses propos plus qu’une vantardise de vainqueur grisé. D’autant qu’il commençait de s’installer tranquillement, sans coup férir, sur les comptoirs de l’Italie et que les princes chrétiens, impuissants et complices, lui ouvraient leurs portes et lui graissaient la patte. Eternel recommencement de l’histoire… C’est bien contre ce fléau, qui aurait dû anéantir la chrétienté d’Occident comme il avait vaincu celle d’Orient que Calixte III eut l’inspiration de créer le troisième Angélus. Malgré les vociférations du pape, qui ne se contentait pas de faire prier mais hurlait vers les princes chrétiens, personne ne bougea. Pas même la France de Louis XI (1461-1483) qui possédait la seule armée capable (Et encore) de s’opposer. Les pieuses dispositions de ce grand roi sont bien tardives et…seulement pieuses. Brusquement, en 1481, Mahomet II s’effondre, frappé d’un mal inconnu, à l’âge de 49 ans. Ouf ! C’est bien Calixte III et son Angélus de midi qui l’ont stoppé.
Alexandre VI relance l’Angélus aux mêmes intentions que Calixte III. Léon X le réactive, surtout celui de midi et en Allemagne, contre la déchirure luthérienne de la chrétienté : il avait connu une telle efficacité. Pendant les guerres de religion, ce sont les Chartreux qui imposent à toutes leurs maisons sa récitation, contre les exactions huguenotes. C’est le pape Saint-Pie V (toujours lui) qui publie l’Angélus complet, tel qu’il se récite depuis, dans édition officielle du petit office de la Sainte Vierge. Par la suite nombreux sont les papes qui relanceront la récitation de l’Angélus et l’assortiront d’indulgences nouvelles : Benoît XIII en 1724, Léon XII qui accorde l’indulgence plénière à la récitation continue pendant un mois. Les papes, jusqu’aux plus récents conservent l’habitude de leurs devanciers de le réciter place Saint-Pierre avec les nombreux fidèles chaque fois présents.
Et nous autres ? On se souvient que le succès de l’Angélus, d’après le pape Urbain II son instigateur tient aussi à la masse de ceux qui le récitent ? C’est l’Evangile à l’état pur : « là où deux ou trois se rassemblent en mon nom… ». Que dire d’une masse de chrétiens qui se remettraient à réciter quotidiennement cette merveilleuse et courte prière trois fois le jour ? Les motifs en sont, hélas, toujours les mêmes et plus impérieux que jamais. Voyons cela.
Les vrais historiens m’ont appris que l’histoire se réalise toujours, à moyens et longs termes, sur la seule question de la démographie. Jean de Viguerie, Jean Dumont, Michel de Jaeghère et tous les autres démontrent que les péripéties des politiques, bons ou mauvais, ne gèrent que le court terme. L’empire romain s’est écroulé de sa démographie insuffisante et du recours nécessaire aux barbares, jusque dans son armée quasi invaincue depuis cinq siècles. Quand lesdits barbares s’aperçurent qu’ils commandaient aussi bien que les généraux romains des troupes qu’ils composaient pour moitié, ils se mirent à leur compte. Le génie militaire de Bonaparte est incontestable ; mais eût-il tenu tête quinze ans à l’Europe sans cette France de 26 millions d’habitants quand l’Angleterre n’en comptait que 4,5 ? Et l’Allemagne prussienne de Bismarck nous le fit bien savoir quand, forte de ses 80 millions de ressortissants, elle entreprit une France qui avait à peine dépassé les 30. La boucherie de 1914 en est une parce que les deux pays étaient à peu près égaux en matériel humain et alignaient l’un et l’autre environ 105 divisions…Les plus grands civilisateurs de tous les temps, comme Alexandre le Grand ou Charlemagne, sans préjudice de leur singulier génie personnel, ne le purent que grâce à un capital humain aussi exceptionnel.
L’affreuse médiocrité des politiques d’aujourd’hui ne fait que renforcer cette constatation. Ils ne sont même plus efficaces sur le court terme. Il n’y a plus d’enjeux, de victoires ou de défaites, de trouvailles ou de sanctions. On en prend d’autres, on recommence et c’est chaque fois la même chose. Plus de roi ni de reine, plus de fou ni de cavalier, que des pions interchangeables ! C’est dire l’extraordinaire importance, seule déterminante, que revêt le facteur humain, démographique.
Humainement parlant, c’est-à-dire que, sans une intervention divine spéciale, la cause de la religion de J.C. est politiquement dépassée parce que démographiquement perdue. Les masses islamiques qui s’installent (presque) pacifiquement en tous les pays de l’Europe, tiennent déjà le moyen et l’extrême orient et font basculer l’Afrique, l’emporteront à terme sur toutes autres considérations. Que ça nous plaise ou non, c’est le Colonel Kadhafi qui a raison. Il n’y a pas de miracle politique et je n’attends nullement de la récitation de l’Angélus, que je propose massivement, un tel événement. Sainte Jeanne d’Arc elle-même fut le déclencheur miraculeux d’une rénovation politique et religieuse, mais n’a point accompli de miracles : parce que Dieu n’en fait point de cette sorte. Jamais Dieu ne fait l’économie des causes secondes dont la principale est l’homme. Autant prier pour que les 80 millions de turcs se réveillent demain matin catholiques et baptisés ou que tous les dirigeants des Etats occidentaux ouvrent les yeux en cette même nuit (ce qui me parait plus improbable encore) ! J’attends de la reprise massive de l’Angélus que Dieu relève des causes secondes moribondes, change le cours d’une histoire irréversiblement néfaste, léthale pour le nom chrétien. Si humainement les jeux sont faits, reste le recours surnaturel à Dieu, ne serait-ce que pour garder la Foi, que vos enfants soient baptisés, fiers vos jeunes-gens et vos jeunes-filles libres d’épouser qui elles veulent à visage découvert. Sinon, dans 25 ans, on vous les lapidera.
Je n’ai rien contre articles, pétitions, lettres, plaintes, procès et manifestations en ce sens, mais je n’y crois plus guère. L’aveuglement de nos intellectuels, la démission de nos politiques et, osons-le, la pusillanimité des clercs qui se contentent d’invoquer contre l’islamisation la réciprocité que supposerait une liberté religieuse proprement hégélienne (Quelle blague !) sont tels que rien n’y fera plus. Revenons aux méthodes des papes ou résignons nous à une future dhimmitude, déjà bien instaurée à l’est. Il ne faudra pas gémir dans quelques années.
L’islam propose 5 points. Je ne vous en propose que trois ! La récitation de l’Angélus, tous les jours, trois fois, le matin, le midi et le soir, au son de la cloche si vous en avez une sous la main. Seul, en famille, en voiture ou à pieds qu’importe, mais toujours dans l’intention des papes. Il se trouve que beaucoup de nos clochers, sur demande des riverains, qui pourtant ne savent même plus pourquoi, sonnent encore l’Angélus. C’est tout de même la meilleure manière de le réciter, avec l’Eglise, dans l’Eglise, pour l’Eglise. Et je vous dis que Dieu fera le reste, par la Vierge Marie, comme d’habitude.

Allez : on prend cette résolution aujourd’hui même, sans faute ; c’est parti !

« L’AMOUR QUI EMBRASSE » PAR NICOLAS P. PAPAS

25 août, 2014

http://www.iconsexplained.com/iec/iecf_citation_serge_boulgakov.htm#citation

« L’AMOUR QUI EMBRASSE » PAR NICOLAS P. PAPAS

Ré-imprimé avec permission, courtoisie Nicholas Papas

Traduit de l’anglais par P.W. de Ruyter avec l’aide d’un moine

L’icône « Plus spacieux que les Cieux » occupe une place très en vue dans une église orthodoxe, peut-être parce qu’elle exprime quelques unes de nos croyances essentielles au centre de notre Foi, principalement la volonté de notre Mère, l’Église, de nous recevoir avec ses bras grand-
ouverts qui nous attendent.
L’icône est souvent connue par son nom grec « Platytera Ton Ouranon », ou tout simplement « Platytera ». Dans la plupart des églises orthodoxes, on la retrouve à une place la mettant bien en évidence — en position haute dans l’abside — et souvent ses proportions énormes mettent toutes les autres icônes dans l’ombre. Ceci peut donner une impression un peu étrange à un visiteur non-orthodoxe. Ses grandes dimensions peuvent d’ailleurs causer un dilemme même chez les orthodoxes. Comment se peut-il, dans une église chrétienne, lieu où la vie tourne autour du Christ, qu’une image de Sa mère semble tout dominer? En réalité, il y a une image du Christ, le Tout-Puissant, reproduite à une place d’honneur : sur le plafond [ou dans le dôme, si le bâtiment de l'église en a un]. Deuxièmement, le Christ se trouve au centre du Platytera, sur les genoux de Marie.
Cela nous montre une équilibre dans la perspective, de l’Église, de la place et du rôle de Marie. Elle est essentielle et significative en raison de sa relation avec le Christ. Le Christ n’aurait pas pu naître sans son libre consentement. Elle est rendue significative par Celui qu’elle a porté. Elle fournit le trône. Elle est à l’arrière-plan. Ces caractéristiques révèlent son humilité, et paradoxalement l’icône la glorifie à sa manière propre, à cause de cela.
Elle est significative pour nous comme exemple de ce qui peut résulter d’une soumission libre à la bonté de Dieu. Elle est indispensable parce que, sans elle, la naissance du Christ n’aurait pas eu avoir lieu. La position architecturale de la Platytera nous enseigne clairement qu’elle est la personne par laquelle le ciel et la terre sont unis, parce que la peinture murale est l’endroit où le plafond et le plancher se rencontrent. Son icône « unit » l’icône du Christ représentée au plafond à nous qui sommes debout sur le plancher.
Une chose remarquable s’est passée avec la venu de l’Esprit Saint à la Pentecôte: Dieu révéla à l’humanité que chacun a la capacité que Dieu demeure dans son intérieur. Cela représentait un concept radicalement différent pour les Juifs de cette époque qui voyaient le trône de Dieu comme une structure physique, le Temple à Jérusalem. Maintenant, tous les croyants pouvaient être comme Marie — la première et la plus belle exemple que le corps physique de chaque croyant « est un temple de l’Esprit Saint » (1 Corinthiens 6:19). En raison du fait que Marie est cet exemple premier et parfait de « temple », la sagesse du choix de l’emplacement de la Platytera s’avère confirmée. Dans une même manière la Pentecôte portait les gens à repenser leur croyance concernant la demeure exacte de Dieu. D’une façon concrète, il nous faut prendre conscience de cette question : comment Dieu vit-il en nous, les croyants?
Dans cette icône les mains de Marie sont ouvertes et tendues. C’est une attitude de prière. Nous pouvons voir clairement qu’elle prie toujours pour nous, comme la bonne mère qu’elle est. En même temps nous pouvons voir dans ses bras ouverts une invitation qui signifie son désir intense de nous laisser embrasser par elle. Dans un sens spirituel, personne ne peut nous embrasser plus parfaitement qu’elle. En tant que Marie est une image de « l’Église », nous pouvons voir comment nous sommes « embrassés ».
Comme chaque bonne mère, notre Mère l’Église voit tous nos besoins. Et avec l’Église, nos besoins les plus profonds et les plus vrais sont finalement comblés. Elle nous donne à manger avec le « Pain de Vie » (Jean 6:35), elle nous habille avec une « vêtement de salut » et un « manteau de justice » (Isaïe 61:10), elle nous lave de nos péchés (Actes 22:16) avec « l’eau qui régénère », elle nous donne à boire de la « Source de Vie », elle nous abrite « sous l’ombre » des Ses ailes (Psaume 17:8), et elle nous donne une place pour trouver du « repos pour nos âmes ». Notre bonne Mère qui nous aime inconditionnellement est toujours prête et elle nous attend. Dans la superbe image de la Platytera elle se montre prête à nous embrasser. C’est une image précise et véridique qui nous montre le mystère merveilleux de la volonté intense mais patiente de Dieu de nous donner l’amour inconditionnel. Il y a un message simple dans l’image de Marie « Platytera »: viens et laisse-toi embrasser par l’amour parfait. »

 

Livre de Jonas

21 janvier, 2012

http://fr.wikipedia.org/wiki/Livre_de_Jonas

Livre de Jonas

Le livre de Jonas est un livre de la Bible hébraïque qui décrit un évènement de la vie du prophète Jonas. L’idée principale du livre est que le dieu d’Israël est le dieu de toutes les nations. Il souligne la difficulté pour les enfants d’Israël d’accepter que Dieu puisse pardonner ceux qui les ont persécutés, et qu’Israël ne doit cependant pas se détourner des nations.
Jonas est envoyé à Ninive, symbole d’oppression et de violence, pour condamner la ville mais il s’enfuit dans la direction opposée, embarquant sur un navire en partance pour Tarsis (peut-être Tartessos, en Espagne) afin d’échapper à la parole de Dieu, et fuir sa mission dangereuse de prophète en pays païen. Selon Isaïe, Tarsis est en effet le lieu où la parole divine n’arrive pas1. Jonas monte dans un bateau, puis descend dans la cale, et s’endort. Le navire est pris dans une grande tempête. Les marins jettent les sorts afin de découvrir la cause de ce malheur, et les sorts désignent Jonas : Il est lancé à la mer, qui se calme. Avalé par un grand poisson durant trois jours et trois nuits, Jonas regrette sa fuite et se voit vomi sur une plage. Il annonce le futur jugement aux habitants de Ninive, qui se repentent. Dieu leur pardonne, et ne détruit pas la ville. Jonas s’irrite d’avoir annoncé pour rien la destruction de Ninive, qui n’a pas eu lieu, mais Dieu le réprimande.
Le Nouveau Testament fait mention de Jonas. Jésus enseigna que Jonas avalé par le poisson annonçait sa mort et sa résurrection (Mt 12:39–40 ; 16:4 ; Lu 11:29–30). L’Évangile selon Matthieu fait mention au chapitre 12 d’un signe de Jonas qui semble être l’annonce de la mort de Jésus Christ pendant trois jours complets, suivis de sa résurrection. Dans l’Évangile selon Luc au chapitre 11: « (…)parce qu’ils se sont repentis à la prédication de Jonas(…) », le signe de Jonas semble plutôt consister dans le simple fait qu’il y ait un prédicateur.
La tonalité du Livre de Jonas peut être qualifiée de sarcastique, le prophète éponyme étant tourné en ridicule dans son attitude intransigeante de refus d’accepter le fait que le peuple de Ninive ait été sauvé par Dieu. Il s’agit d’un pastiche des textes de prophètes plus anciens qui refusaient la conversion des peuples étrangers à Juda et leur prédisaient la destruction due à la colère divine comme le fait Jonas pour Ninive. Le message du Livre de Jonas prend le contrepied de ses discours en expliquant que tous les peuples de la Terre peuvent se convertir, ce qui explique pourquoi la plupart d’entre eux n’a pas eu à subir de destructions malgré les prédictions de certains prophètes.
Le Livre de Jonas a été écrit à l’époque post-exilique, donc bien après la destruction de Ninive, et il ne fait référence à cette ville qu’en tant que symbole de ville gigantesque, à laquelle il attribue de façon fantaisiste plus de 120 000 habitants et une taille telle qu’il faut trois jours de marche pour la traverser (ou en faire le tour). Le propos du rédacteur du texte est de s’en servir comme modèle de ville qui ne connaît pas Dieu avant la venue du prophète, située dans un pays étranger mentionné dans d’autres textes bibliques, l’Assyrie, qui est un ancien oppresseur d’Israël et de Juda.