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L’ESPÉRANCE ET LA JOIE

23 février, 2016

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L’ESPÉRANCE ET LA JOIE

Par Ethique Chrétienne dans Ressources spirituelles le 3 Mai 2014

Un texte écrit par Alain LEDAIN

Il est inspiré du livre de Chantal DELSOL, Les pierres d’angles – A quoi tenons-nous ?, paru aux éditions du Cerf, © 2014

« L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. » Georges BERNANOS

Aborder le thème de l’espérance peut sembler bien inapproprié dans une période de désillusion, de désenchantement, de désespérance. Il est vrai que les espérances politiques par exemple ont apporté, et apportent encore, bien des déceptions. Alors, par peur d’être de nouveau déçus, beaucoup de nos contemporains préfèrent mettre leur ardeur au service de petites affaires afin de se calmer des grandes[1] : La recherche du bien-être prévaut sur celle du Bien commun. C’est ainsi que l’on assiste au développement du matérialisme avec sa course effrénée au confort et à la sécurité. Parallèlement, les questions existentielles et les préoccupations métaphysiques ont été écartées. Les seules questions importantes tiennent dans le lieu de vacances et l’achat du dernier téléphone mobile… qui, par ailleurs, ne restera pas le dernier bien longtemps ! Pourquoi subir ce que l’on estime être d’inutiles souffrances : ces grandes questions angoissantes et sans réponses ? La tranquillité et la mise à l’écart des questions dernières qui obsèdent, imposent d’ignorer l’espérance, de ne pas vouloir davantage que ce que le monde propose, quitte à se réduire en mettant sous le boisseau toute passion, toute ambition – sinon individuelle ou professionnelle – et en évitant toute idée élevée. Bien sûr, le sentiment de sécurité, de bonne conscience et d’autosatisfaction qui en découle garantit une certaine douceur de vivre mais sans joie, avec cette sensation désagréable de l’ennui que l’on conjure par le divertissement et le goût du changement. Ceci étant, l’idée du changement, même si elle occupe une place importante parmi les priorités, n’amène qu’à prendre des risques fort modérés : dans les sociétés démocratiques, on a peur de se risquer ; on veut tout savoir et tout prévoir. Quand on cherche à tout prévoir, il n’y a pas l’espérance, mais le calcul. Oser l’espérance… savons-nous encore ce que cela signifie ? Et nous qui sommes chrétiens, savons-nous « quelle est l’espérance qui s’attache à notre appel » ? (Ep 1 : 18) Dans ce qui suit, je tenterai dans un premier temps de définir les caractéristiques de l’espérance et dans un deuxième temps de cerner les spécificités de l’espérance chrétienne.

L’espérance a partie liée avec l’aventure. Espérer, c’est refuser de se satisfaire de ce qui est et de croire que tout se limite au fini, au visible, au connu. Espérer, c’est marcher comme Abraham vers une terre promise inconnue, étrangère, porter la « nostalgie du pays qu’on ignore »[2] , se laisser emparer par l’angoisse de la curiosité. Espérer, c’est aimer l’aurore, c’est aimer les commencements. L’espérance ressemble aussi à ces départs en montagne par un matin neuf. Voyez ce chemin : je l’emprunte et il vire… Mon cœur bat plus vite, mon attente de l’inconnu s’éveille. Alors que j’y marche, quel nouveau paysage s’offrira à mon regard ? Je ne sais mais je me prépare à l’émerveillement. Mû par l’espérance, l’inattendu devient désirable, devient une promesse d’aventures qui suscite la soif de vivre. C’est aussi ce que nous éprouvons à la naissance d’un enfant : une espérance mêlée de la joie d’un commencement où tout est possible. Mais pour être vécue dans sa plénitude, l’espérance doit être ouverte sur l’infini que seul le Dieu transcendant peut offrir. Avec Lui, tout devient envisageable. Comme l’écrit le philosophe Emmanuel Levinas in De l’évasion, « l’espérance, c’est le refus de rester là assigné à résidence, ce que font les païens, c’est à dire ceux dont les dieux vivent ici-bas, dans le monde immanent. »

L’espérance est un risque à prendre et qui nous grandit. Le principe de précaution est emblématique de notre époque. On ne veut plus prendre de risques. L’incertitude est crainte, la décision est difficile. En effet, toute décision est un saut dans le vide et qui peut prétendre connaître à l’avance tou les risques ? La connaissance est préférée à la confiance et à l’espérance. On préfère être protégés de tout, quitte à se voir tout interdire. En définitive, on appelle une société maternante, infantilisante sans mesurer un autre risque : celui d’un état totalitaire, d’un despotisme doux prétendant se préoccuper du bonheur de ses sujets. L’espérance, à l’inverse, assume l’incertitude. Elle grandit à sa mesure celui qui la porte et l’honore ; elle ne le laisse pas dans le monde clos et chaud de l’enfance ; elle l’incite à entreprendre dans l’avenir inconnu. L’espérance ne laisse pas inactif, ne rend pas attentiste : elle pousse à l’engagement. Si l’espérance est à la mesure du Dieu infini, combien grandi sera l’homme qui espère[3] !

L’espérance a partie liée avec la joie. La joie est toujours du côté de l’espérance. Contrairement à la douceur, la joie est un élan, un tressaillement. Toute réalité, même banale peut être transfigurée par la joie. Chantal DELSOL écrit : « Il y a la joie des commencements et celle des accomplissements, celle de la rencontre et celle de la réalisation de soi, et aussi, plus rare, cette source ininterrompue par laquelle l’existence tout entière est considérée comme une grâce. » Même un présent pénible peut être vécu et accepté s’il est habité par la joie de l’espérance d’un terme grand, élevé qui justifie les efforts du chemin.

Espérer, c’est attendre, voir de loin. Or nous ne voulons plus attendre. Nous voulons tout, tout de suite, au claquement de doigt. La tension de l’attente nous est devenue insupportable. C’est pourquoi nous avons donné congé à l’espérance. Développons maintenant quelques spécificités de l’espérance chrétienne. Face à la question existentielle de la mort et quelles que soient les difficultés de sa vie présente, le chrétien sait que sa vie ne finira pas dans le néant ; il espère en la résurrection des morts (Ac 23 : 6 et 24 : 15). De fait, il peut affronter le martyre et la mort. Il a un avenir et une espérance (Jr 29 : 11). Cette espérance trouve sa source en Dieu, dans Son amour, dans Sa fidélité à Ses promesses. Il se sait connu, aimé inconditionnellement, attendu par Dieu et son Fils : Jésus dit : « Je vais vous préparer une place. Et, lorsque je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous y soyez aussi. » (Jn 14 : 2b-3) Dès à présent, nous qui suivons le Christ, nous goûtons les prémices, les arrhes de l’Esprit (Rm 8 : 23, 2Co 5 : 5), les puissances du siècle à venir (He 6 : 4). Le royaume de Dieu est au milieu de nous mais nous en attendons la plénitude ; nous attendons « de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera. » (2P 3 : 13). Nous aspirons à entrer dans notre héritage dont la marque sur nous du sceau du Saint-Esprit est le gage (Ep 1 : 13-14). Avec la création, nous gémissons… du fond du cœur. Nous avons reçu l’Esprit comme avant-goût de la gloire, « en attendant d’être pleinement établis dans notre condition de fils adoptifs de Dieu par la pleine libération de notre corps. » (Rm 3 : 23, traduction Semeur) Quand d’autres se meurent « sans espérance et sans Dieu dans le monde » (Ep 2 : 12), nous soupirons dans cette tension entre le déjà et le pas encore. Notre espérance nous porte vers l’avant et donne sens à nos vies, même au sein de l’adversité. Nos biens matériels peuvent être spoliés, nous savons que nous sommes « en possession de richesses plus précieuses, et qui durent toujours. » (He 10 : 24) Notre héritage, ceux sont nos « trésors dans le ciel » (Mt 7 : 20), et l’importance de nos revenus matériels s’en trouve ainsi relativisée. Notre héritage, c’est de vivre la vie du Christ dans sa totalité, d’avoir part à Sa gloire (Rm 8 : 17). Notre héritage, c’est la vie éternelle, la vraie vie, une vie pleinement déployée, une vie comblée de joie. Nous l’attendons ardemment. Pour l’instant, nous ne la vivons que très partiellement. Nous éprouvons tout à la fois la soif d’éternité et la prison du temps, l’enthousiasme et l’ennui, le contentement et la frustration, le dynamisme et la fatigue… Une grande espérance habite notre cœur mais nous avons besoin de demander à Dieu qu’il illumine notre intelligence pour (mieux) comprendre en quoi elle consiste (Ep 1 : 17s). Malgré le voile qui couvre encore nos pensées, nous attendons avec persévérance ce que nous espérons, au milieu de la souffrance inhérente à notre siècle, persuadés que « notre espérance ne risque pas d’être déçue » (Rm 5 : 5), une conviction qui vient de ce que déjà, « Dieu a versé son amour dans nos cœurs par l’Esprit Saint qu’il nous a donné ».

Espérance et espérances La grande espérance dont nous avons esquissé les contours produit des espérances, nécessairement plus petites mais qui donnent aussi du sens à notre vie terrestre. Le Dieu transcendant « crée une ouverture qui élargit à l’infini le champ des possibles. A vrai dire, tout devient envisageable. » (Chantal DELSOL, Les pierres d’angle, p. 145) Dans le Premier Testament, l’Eternel se révèle comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : le Dieu d’une lignée intergénérationnelle. C’est pourquoi, Il transmet des espérances allant au-delà de notre seule génération, au-delà de notre seule vie individuelle. L’espérance chrétienne n’est pas individualiste. Viennent alors ces questions : Quelles espérances peut-on nourrir pour notre société et pour notre monde ? Comment y manifester la grande espérance ?

Espérance et société Il faut l’affirmer d’emblée, même si ce qui précède le démontre : L’espérance chrétienne n’est pas politique. Jésus ne fut pas un combattant de l’occupation romaine d’Israël. Par contre, après son procès, la foule et les autorités religieuses qui ont choisi la libération du meurtrier Barabbas, un instigateur d’un soulèvement contre l’autorité romaine, ont en fait opté pour une réponse (une espérance) politique à leur oppression. Le Christ propose premièrement la liberté de l’être intérieur. Ensuite, par une transformation de la culture « de bas en haut », du cœur de chaque homme vers ses communautés d’appartenance, il se produit une transformation sociétale. La question de l’esclavage en est une bonne illustration. Les chrétiens des premiers siècles, et l’apôtre Paul en particulier, n’ont nullement réclamé l’abolition de l’esclavage. Dans la première épître aux Corinthiens, on peut lire : « 20 Que chacun demeure dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé. 21 As-tu été appelé étant esclave, ne t’en inquiète pas… » (1Co 7 : 20-21a) Ceci étant, le même apôtre Paul écrira à Philémon, le maître de l’esclave Onésime, que ce dernier est « ses propres entrailles » (Phm 1 : 12), « un frère bien-aimé » de lui particulièrement et de Philémon son maître chrétien, à plus forte raison (Phm 1 : 16). C’est montrer qu’en instaurant de nouveaux rapports humains fondés sur l’amour, sur la fraternité, sur la bienveillance, l’Evangile vécu ne pouvait qu’amener l’abolition de l’esclavage sur le long terme.

L’Evangile transforme la culture de l’intérieur. Nous abandonnons donc les fausses espérances ; d’autant que nous savons que des conditions politiques ou économiques favorables ne peuvent guérir le cœur de l’homme. Est-ce à dire que nous renonçons à toute amélioration notre environnement culturel ? Est-ce à dire que l’engagement public des chrétiens est une erreur, une incompréhension profonde de l’Evangile ? Non, et pour au moins  une raison : l’amour pour nos prochains qui pousse à la bienveillance active, qui pousse à ne pas aimer en paroles seulement mais en actes (1Jn 3 : 18). Cependant, nous avons une pleine conscience des limites de ce que l’on appelle progrès, quelle qu’en soit sa nature. Une autre raison justifie l’engagement public des chrétiens : Par leur vie individuelle et communautaire, ils sont appelés à révéler le Royaume de Dieu ; ils sont conduits à poser, « ici et maintenant […] des signes d’un autre avenir, des semences d’un monde renouvelé qui, le moment venu, porteront leur fruit. »[4] Nous nous tenons à la fois dans la société présente dont nous savons qu’elle sera toujours imparfaite – nous y sommes des étrangers et des voyageurs (He 11 : 13) –, et le Royaume de Dieu – la patrie céleste, la cité aux fondements inébranlables (He 11 : 10). Par la foi et nos engagements qu’elle porte, nous manifestons cette nouvelle cité dans le temps présent si bien que notre temps est touché par la réalité future. « En créant du lien social, en tissant des liens humains et humanisants, en rendant la société plus solidaire, les chrétiens traduisent dans l’aujourd’hui ce qui a été inauguré par la Pâque du Christ, ce qui est déjà acquis mais n’est pas encore pleinement réalisé. » (Alphonse Borras) Enfin, l’attente du jugement dernier n’est pas terrifiante pour nous, disciples du Christ, mais une espérance de justice qui nous responsabilisent. « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront rassasiés. » (Mt 5 : 6) L’injustice ne sera pas la fin ultime de l’Histoire. A nous de le manifester individuellement et communautairement, dès maintenant, par nos façons d’être et nos engagements. L’espérance ne rend pas passif, au contraire ! Elle donne de l’élan, nous met en marche, sans que nous ne  sachions parfois où nous allons (Cf. Abraham, He 11 : 8).

Pour conclure…L’espérance ne nous dégage ni du présent, ni de la réalité. Elle se vit au quotidien, dans l’aujourd’hui de Dieu, les yeux ouverts, dans la vérité. Comme l’écrivait Bernanos, « L’espérance est une vertu héroïque. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges… » (Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire?, Paris, Gallimard, « Idées », 1953, p. 107) Après un XX° siècle ravagé par les utopies messianiques (et/ou millénaristes), dans un siècle où chacun se demande « comment vivre ? » plutôt que « pourquoi vivre ? », l’espérance est désormais un acte de résistance face au fatalisme, au destin, à la résignation, aux « A quoi bon ! ». Un défi aussi à une époque qui préfère l’instantanéité (« Je veux tout, tout de suite ! »). A ce propos, Bernanos écrivait : « le monde vit beaucoup trop vite, le monde n’a plus le temps d’espérer. La vie intérieure de l’homme moderne a un rythme trop rapide pour que s’y forme et mûrisse un sentiment si ardent et si tendre, il hausse les épaules à l’idée de ces chastes fiançailles avec l’avenir. » Quel écrivain talentueux ce Bernanos !… L’espérance comme de « chastes fiançailles avec l’avenir »… A méditer. Avons-nous encore une vie intérieure pour être capable d’espérer ?… L’hyper-connectivité, l’hyperactivité ou au contraire la passivité devant la télévision sont les produits d’une civilisation moderne qui saccage toute vie intérieure. Comme l’écrivait déjà Pascal  au XVII° siècle, « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Briser la monotonie du temps pour différencier temps connectés et temps d’intériorité est une nécessité pour nourrir nos espérances. Si nous n’espérons plus – par oubli ou parce qu’il y a tant d’autres choses à faire – alors notre foi chrétienne est sans objet car « la foi est la substance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. » (He 11 : 1) Enfin, comme nous l’écrivions plus haut, l’espérance a partie liée avec la joie. L’une et l’autre, espérance et joie, devraient être les caractéristiques du peuple chrétien. N’oublions pas ce qu’affirmaient Gilbert K. Chesterton, « le contraire du christianisme n’est pas l’athéisme, mais la tristesse ». Alors, même si nous vivons dans une société sinistr(é)e où la foi est piétinée, ne perdons pas les marques de notre appartenance au Christ : la joie et l’espérance.

Parmi les sources de la partie sur l’espérance chrétienne : – La lettre encyclique SPE SALVI de Benoît XVI (disponible à l’adresse http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20071130_spe-salvi_fr.html) – La paroisse, foyer d’espérance – Alphonse Borras – http://beta.ecdq.org/wp-content/uploads/2012/09/La-paroisse-foyer-d%E2%80%99esp%C3%A9rance-Borras.pdf

[1] Je fais ici allusion à ce texte d’Alexis de Tocqueville in De la démocratie en Amérique (Vol. II, chap. III § 21) : « Les violentes passions politiques ont peu de prise sur des hommes qui ont attaché toute leur âme à la poursuite du bien-être. L’ardeur qu’ils mettent aux petites affaires les calme sur les grandes. » [2] Charles Baudelaire, L’invitation au voyage [3] « L’homme grandit si Dieu infini devient sa mesure. » (Søren Kierkegaard) [4] Frère Roger de la Communauté de Taizé