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LA FOI À LA VÉRITÉ DE L’ÉGLISE

16 mai, 2017

http://www.revue-kephas.org/03/2/editorial.html

LA FOI À LA VÉRITÉ DE L’ÉGLISE

Abbé Bruno Le Pivain

L’expression se trouve dans le catéchisme du concile de Trente, qui commente l’article du Credo : « Je crois la sainte Église catholique, la communion des saints. »

L’Église, mystère de foi
Deux « considérations » rappelaient aux pasteurs l’importance de la prédication sur ce neuvième article du Symbole. Les voici, dans le style de l’époque, qui ne s’embarrasse certes pas de circonlocutions :
« La première, c’est que, suivant la remarque de saint Augustin, les prophètes ont parlé plus clairement et plus longuement de l’Église que de Jésus-Christ, car ils prévoyaient qu’il y aurait beaucoup plus d’erreurs volontaires et involontaires sur ce point que sur le mystère de l’Incarnation. En effet, il ne devait point manquer d’impies pour prétendre, à l’imitation du singe qui veut faire croire qu’il est homme, pour prétendre avec autant d’orgueil que de méchanceté, qu’eux seuls sont catholiques, que l’Église catholique est parmi eux, et seulement parmi eux.
La seconde considération, c’est que celui qui aura gravé profondément dans son cœur la foi à la vérité de l’Église, n’aura pas de peine à éviter le terrible danger de l’hérésie. On n’est pas hérétique par le fait seul qu’on pèche contre la foi, mais parce qu’on méprise l’autorité de l’Église, et qu’on s’attache avec opiniâtreté à des opinions mauvaises. »
D’où l’on retient trois éléments essentiels :
1 – L’existence, la nature, les missions de l’Église, avant d’être une réalité accessible à la raison, relèvent essentiellement de la lumière de la foi, laquelle ne contraint pas la raison de l’extérieur (ou ce n’est plus la foi, ni la raison), mais la libère de l’intérieur.
2 – Parmi les articles de foi, le mystère de l’Église tient une place centrale, au point qu’il est médiateur non seulement dans l’ordre de la grâce, par les sacrements, mais dans celui de la connaissance des vérités de foi, en disposant droitement l’intelligence et la volonté.
3 – Ce mystère se situe dans la parfaite continuité de celui de l’Incarnation. Achopper sur l’Église, c’est buter sur le « scandale de l’Incarnation ». L’Église, c’est bien le Christ, « répandu et communiqué ».
On s’interroge un peu partout aujourd’hui dans l’Église sur l’attitude à adopter devant la situation inédite à laquelle l’ont conduite tant les bouleversements de la modernité que sa propre évolution. On suppute à l’envi, sur tous les tons et tous les modes, à propos des « restructurations », des « recompositions », des « réaménagements », des « réévaluations ».
Existe-t-il une crise de la foi dans nos pays d’ancienne chrétienté ? Ce serait naviguer dans les galaxies interplanétaires que d’en nier l’évidence, ou même d’en minimiser la profondeur. On voudrait ici exposer que cette crise se concentre en quelque sorte sur une crise de la foi à la vérité de l’Église, à la vérité sur la nature de l’Église. C’est une pratique malheureusement assez répandue, à l’heure où l’accidentel, le sensationnel, le dramatique font recette, de considérer « le contexte actuel » de l’Église comme déterminant au point de prendre plus d’importance que l’Église elle-même, de considérer la maladie, ou la « crise », plus que le corps lui-même, qui ici reste le Corps mystique. La crise, en effet, n’ayant d’existence que par défaut, c’est l’être lui-même, c’est la personne de l’Église, qu’il faut d’abord considérer. Cet état de fait permet de mieux prendre la mesure du caractère providentiel (de pro-videre, voir en avant) du dernier concile dans son insistance résolue à placer le mystère de l’Église au cœur de sa démarche et de sa réflexion.
Les trois regards
Comment regarder l’Église ? C’est la question que se pose le cardinal Journet dans les premières pages de sa Théologie de l’Église, dont voici les traits essentiels :
« L’Église est une réalité dans le monde. Elle s’offre à la rencontre de tous, mais tous ne la connaissent pas. On peut, en effet, porter sur elle trois regards différents. C’est le troisième seulement qui la révèle. »1 Ici, le grand théologien suisse, à l’instar du passage cité plus haut du catéchisme romain comme de la constitution dogmatique Lumen gentium (Lumière des nations, qui désigne le Christ, et en lui, l’Église), étaye son approche en faisant le lien immédiat avec les « trois façons possibles de regarder Jésus ».
Il distingue en premier lieu ceux qui « l’ont rencontré et n’ont su voir en lui qu’un homme parmi les autres », qui « l’ont croisé sur les chemins de Palestine sans le deviner », et qui, finalement, n’ont pas « dépassé l’écorce des choses »… « N’est-il pas ce Jésus, fils de Joseph dont nous connaissons le père et la mère ? » (Jn 6, 42) Viennent ensuite ceux qui « ont porté sur le Christ un regard plus pénétrant », qui « ont perçu dans son enseignement une sagesse surprenante » et « dans la sainteté de sa vie quelque chose d’unique », qui ont lu « dans les faits dont il était l’auteur, le signe d’une puissance qui n’est pas celle de l’homme. » « Ils ont vu le miracle de Jésus. Mais ils n’ont pas songé au mystère de Jésus. »… « Pour les uns, il est Jean-Baptiste, pour d’autres Elie, pour d’autres encore Jérémie ou l’un des prophètes. » (Mt 16, 13–14) Certains, enfin, « purent lever sur Jésus le regard de la foi surnaturelle. Ils ont cru au mystère du Verbe fait chair. Par surcroît s’est expliqué à leurs yeux le miracle de sa vie. » C’est l’apôtre Pierre, « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », et c’est Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Ainsi de l’Église. Il y a d’abord « le regard de l’observateur superficiel, du statisticien, de l’historien des religions quand il se borne à faire œuvre descriptive », qui peut, de l’extérieur, « décrire son type de gouvernement, ses structures, son enseignement et ses usages cultuels, son sacrifice, ses sacrements et ses prières liturgiques ou paraliturgiques. » Apparaissent ensuite ceux qui savent « reconnaître la qualité des valeurs qui signalent l’Église catholique », et voient « dans sa constance, dans son unité et son universalité, dans ses effets de sainteté, un ensemble de caractères extraordinaires, en quelque sorte miraculeux. » Et Journet de citer Bergson, dans Les deux sources de la morale et de la religion, comme on pourrait le faire de Chateaubriand avec Le génie du christianisme ou bien d’autres. Et puis : « Il y a enfin un troisième regard sur l’Église. Le regard de la foi. L’Église apparaît alors dans son mystère, dans sa réalité profonde, comme le Corps du Christ, habité par l’Esprit-Saint, qui la dirige et demeure en elle comme son Hôte. L’église mystère de foi, voilà ce que l’assemblée des chrétiens proclame chaque dimanche solennellement : Credo unam sanctam catholicam et apostolicam Ecclesiam. A la lumière de la foi s’explique par surcroît le caractère miraculeux extérieurement constatable de cette société religieuse et s’éclaire le paradoxe vivant qu’elle ne cesse d’être pour l’étonnement du monde. »
Faut-il donc, comme parfois le bon éducateur, « pour bien voir, savoir fermer les yeux » ? Faut-il ignorer les statistiques, mépriser le langage de la réalité, cesser de réfléchir, s’abandonner mollement à la tentation récurrente du fidéisme ? C’est inutile. Simplement prendre toute la réalité, à chacun de ses degrés, telle qu’elle est, non telle qu’on la voudrait. « De quoi s’agit-il ? », avait coutume de lancer Foch à ses officiers d’état-major devant la carte déployée.
De trois écueils
Quittons un instant Journet pour voir, a contrario, les écueils qui guettent l’observateur chez le chrétien. On en relèvera trois principaux, en contrepoint de sa triple distinction. La particularité du regard de foi est de pouvoir tout intégrer, y compris les réalités très concrètes, en fournissant à la raison, qui possède le sien propre, un principe de réflexion supérieur, qu’on appelle d’ordinaire le sensus fidei, lequel est mesuré par le sensus Ecclesiae. En effet, le caractère personnel de la foi, l’adhésion à Dieu dans le Christ Jésus, ne va pas sans un deuxième aspect, tout aussi essentiel, ainsi présenté par le Cardinal Ratzinger : « Il n’y a pas de foi sans Église. Henri de Lubac a montré que le ‘Je’ de la confession de foi chrétienne n’est pas le ‘Je’ isolé de l’individu, mais le ‘Je’ collectif de l’Église. Quand je dis ‘Je crois’, cela veut dire que je dépasse les frontières de ma subjectivité pour m’intégrer au ‘Je’ de l’Église, en même temps que je m’intègre à son savoir dépassant les limites du temps. »2 La foi ne va ni sans la Tradition portée et continuée par le magistère vivant, ni sans la communion qui en est le fruit et la garantie d’authenticité.
La nature a horreur du vide : lorsque faiblit le sensus Ecclesiae, un autre principe viendra fortifier la volonté, sinon éclairer la raison. Par commodité, on parlera d’une vision sociologique, d’une vision politicienne (non politique), d’une vision spiritualiste.
Sociologique. Ici, les chiffres sont rois. Comme il faut les faire parler selon un point de vue d’ordinaire prédéterminé, il faut aussi les choisir. Le principe d’autorité reste le magistère médiatique. Les discours du pape sont triés suivant la dialectique droite-gauche, ignorés si l’on éprouve quelque difficulté à les cataloguer. Les « tendances » ou les « courants » sont considérés comme des blocs en opposition dans lesquels il faut à force faire entrer tout événement ou toute prise de position.
Politicienne. La science politique, fort utile dans son ordre propre, peut jouer de mauvais tours quand elle s’aventure en des continents qui lui sont des terra incognita. La tentation est grande de développer toute une argumentation savamment peaufinée sur les tenants et les aboutissants de la crise de l’Église ou au contraire de son embellie significative (vue de ci ou de là, en arrière ou en avant), de gloser sur les perspectives à venir (plutôt que de prêter ses bras aux semailles et à la moisson), de choisir, non plus dans les chiffres (l’approche est plus instruite), mais dans l’histoire, lue « partiellement », l’évidence rassurante de l’acuité singulière de son propre jugement. Le magistère ici, c’est la liberté de conscience au sens des Lumières, qu’aucune autorité, et spécialement pas l’autorité légitime, ne doit contraindre, pour que puissent en profiter ceux qui pensent déjà « bien ». Le cadre, ce ne sont plus les grands media, mais plutôt les groupes de pensée, les « tendances » particulières où fleurissent les maîtres à penser (n’est pas Socrate qui veut) jaloux de leur influence intellectuelle sur des groupes particuliers.
Spiritualiste. Sa devise est maritime : « Pas de vagues ! » Alors que la vision politicienne, intellectualiste, en tient plutôt pour le « Tout va mal, je sais pourquoi et vous l’explique de nouveau », celle-ci préfère le « Tout va bien, je sais pourquoi et ne vous en dis rien ». Ceux-là n’ont en général pas de responsabilités, ou pas celles que devraient leur promettre leurs capacités, ceux-ci portent le faix d’une charge sereinement acceptée qui les oblige au devoir de réserve et leur commande de rassurer les foules. Ce n’est plus tant le jugement propre que l’amour-propre, voire le respect humain, qui paralyse la liberté dans la réflexion.
L’Église, la foi et les vocations
Ce numéro de Kephas vous propose un dossier sur l’Église, la situation de la foi en général, la question des vocations en particulier. Sur ce point, qui niera le caractère d’urgence de la situation, détaillée dans le « cri d’alarme » opportunément lancé par le Fr. T.-D. Humbrecht dans l’hebdomadaire Famille chrétienne,3 qui commence sur ce simple constat : « Cette année en France, le nombre de vocations a baissé de moitié. »
L’esprit de ce dossier tient en trois mots : voir (en détaillant les données, les faits, les statistiques), comprendre (en les analysant, en ayant recours à l’enseignement de l’histoire, en confrontant les points de vue), croire (en laissant en tout la primauté au regard de foi).
Il n’est nul besoin de services de renseignements pour constater, ainsi que le soulignait le Saint-Père en octobre 2000, qu’« aujourd’hui plus que jamais, l’humanité est à la croisée des chemins. » L’Église, en particulier, se trouve dans une situation inédite, très variable suivant les continents, qui laisse présager des bouleversements non négligeables, ou tout au moins une forte évolution, notamment dans les pays au tissu autrefois chrétien. Nous n’avons pas l’ambition ici de jouer les pythies.
Par exemple, qui seront les prêtres de demain dans les diocèses de France ? Viendront-ils de Pologne, d’Afrique ou d’Amérique du sud ? Faut-il « miser » sur le prêtre diocésain et se méfier des communautés nouvelles (qu’elles soient de style plus ancien ou plus charismatique) comme d’une menace pour l’unité ? Faut-il au contraire faire du tissu diocésain table rase et inventer la mission en voyant dans ces communautés l’Arche du salut ? Faut-il encore retrouver les Ordres plus anciens ? Allons-y pour un oracle : dans quelques années, la question ne se posera plus.
Certes, les diocèses, en contrepartie de leur grande stabilité, doivent faire face à l’immobilisme des structures, plus pesant quand les hommes se font plus rares pour les supporter. Certes aussi, les communautés nouvelles de toutes tendances, comme corollaire de leur rapide expansion, connaissent très habituellement des difficultés notables de croissance. Certes enfin, les différences culturelles sont parfois notables, au point de susciter de part et d’autre appréhensions et méfiances dans un « corps de métier » d’ordinaire très conservateur (quel que soit ce qu’on y conserve) et peu aventurier. Ici et là, malgré tout, le nombre n’est pas pléthorique et les chiffres sont têtus.
La communion, vérité de l’Église
Alors ? C’est l’Église, c’est la foi à la vérité de l’Église qui, par-delà toutes les supputations essayées, les éventuelles suspicions ou les blessures, reste toujours d’actualité, d’une brûlante actualité, parce qu’elle est évangélique, parce qu’elle a fait ses preuves et qu’elle demeure en ce domaine la seule vérité que n’atteindra jamais l’injure du temps. Cette vérité, nous la prolongeons dans notre Credo par un mot qui en dit toute la substance : communion. Je crois la sainte Église catholique, la communion des saints. Laquelle communion est essentiellement eucharistique, sacramentelle pour se prolonger en communion de charité : « Il est encore une autre espèce de communion à considérer dans l’Église. La charité en est le principe. […] Pour marquer cette communion de biens dans l’Église, nos saints Livres emploient souvent la comparaison si juste des membres du corps humain. »4
« Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17, 21)
En commentant ces mots de la prière sacerdotale du Christ, le pape Jean-Paul II écrivait dans l’exhortation apostolique Christifideles laici : « Cette communion est le mystère même de l’Église, comme le rappelle le Concile Vatican II, par le mot bien connu de saint Cyprien : “L’Église universelle apparaît comme un peuple qui tire son unité de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint.”5 »6
Quelques lignes plus loin, cette affirmation sans équivoque : « L’ecclésiologie de communion est l’idée centrale et fondamentale des documents du Concile. » C’est la substance même du mystère de l’Église, tel que l’a mis en lumière le concile Vatican II.

*

En lançant voici deux ans cette revue, nous l’avions placée sous le patronage de sainte Catherine de Sienne. Voici quelques semaines, lors d’un pèlerinage inopiné et bienvenu dans la Ville éternelle, avec les époux Gardeil, voici que nous avons pu présenter Kephas au Saint-Père, l’espace d’un instant. C’était le jour de la sainte Catherine de Sienne. Nous permettez-vous simplement de vous faire part de ce clin d’œil de la Providence pour partager notre action de grâces ?
La croisée des chemins… Nous y sommes depuis que le Christ a étendu les bras sur le bois de la Croix. C’est aussi la Croix qui structure l’Église, depuis qu’elle est née du côté ouvert du Rédempteur. Que conclure ? « Unissons-nous à cette prière de feu de sainte Catherine de Sienne qui invite ceux qui aiment l’Église à former un contrefort de prière autour de ses murs. O très doux amour, écrit-elle, tu as vu en toi la nécessité de la sainte Église, et le remède dont elle a besoin, et tu le lui as donné : c’est-à-dire la prière de tes serviteurs, dont tu veux faire un mur, sur lequel appuyer les murs de la sainte Église et auxquels la clémence de ton Esprit Saint infuse des désirs de feu pour sa réforme. »7

Ch. Journet, Théologie de l’Église, DDB 1958, p. 11. Les citations suivantes sont à suivre aux pages 11–13.
J. Ratzinger, Transmission de la foi et sources de la foi, Conférence du 16 janvier 1983 à Paris.
« Famille chrétienne » no 1319 à 1322, 26 avril au 23 mai 2003.
Catéchisme du concile de Trente.
Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium, n. 4.
Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, 30 décembre 1988, n. 18.
Raniero Cantalamessa, Carême 2003 à Rome.

LE PUZZLE: UNE PARABOLE

28 juin, 2016

http://www.centre-biblique.ch/echanges/1998/1998-1-a.htm

LE PUZZLE: UNE PARABOLE

Qui n’a pas fait un puzzle une fois ou l’autre ? Peut-être même un 2000 pièces, avec patience et courage. Ayant choisi le support, on prend les bords et les angles, et le cadre est posé en quelques heures. Si cette première étape n’est pas terminée, il ne sert à rien de mettre beaucoup de pièces à l’intérieur. Il n’est pas facile de trouver le bon emplacement pour chaque pièce, il faut souvent reprendre, permuter. Chaque morceau d’un puzzle a une place précise qu’on ne change pas sans dégâts. Ensuite, on peut assembler des morceaux qui paraissent correspondre, et il en sort l’ébauche d’un visage, d’une maison ou de quelque objet connu. A un certain moment, l’ami qui s’approche n’y voit encore rien. Ses réflexions négatives ne sont pas propres à nous encourager. Et pourtant un jour, le puzzle est terminé ! L’Eglise du Seigneur est comme un puzzle

Son cadre Le cadre a été établi dès le début de la formation de l’Eglise. C’est le domaine de la foi : « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus » (Gal. 3. 26). La grâce de Dieu est offerte à tous, mais seuls ceux qui l’acceptent font partie de la vraie Eglise de Christ. La foi en la personne et en l’oeuvre de Jésus mort et ressuscité pour nos péchés donne un salut éternel. Cette foi est accompagnée ou suivie de la confession et de la repentance. Les vraies pièces du puzzle correspondent à ces personnes. Au delà du pourtour, il peut se trouver des personnes religieuses qui diront peut-être : Je ne suis pas un païen, j’ai été baptisé. Ce qui compte pour Dieu, c’est l’état des coeurs : ont-ils été lavés par le sang de Jésus et régénérés par l’Esprit de Dieu ? Si tel n’est pas le cas, ils ne font pas partie de l’Eglise de Christ ; ils sont comme les pièces d’un autre puzzle qui ne trouvent pas leur place.

Sa formation L’assemblage des pièces se fait par petites zones. Un dessin se profile en un endroit, mais il faut lui trouver sa vraie place, et ce n’est pas toujours évident. Lorsqu’un deuxième motif prend forme, on est parfois plus perplexe encore, ne voyant pas comment ces deux groupes peuvent s’ajuster. Il manque les pièces qui feront apparaître clairement ce qui les unit. L’ouvrage continue patiemment, laissant voir toujours mieux quelle en sera la finalité. Il en est ainsi de l’Eglise sur la terre. En cours de formation, son visage ne laisse pas facilement voir une véritable beauté. Tant de groupes épars, de diversité, de morcellement ! Le puzzle n’est pas facile à rassembler. Si l’on essaie, il faut vite abandonner. Mais heureusement, cela ne nous appartient pas ! Le Seigneur poursuit son oeuvre avec patience. Il a aimé cette Eglise en se livrant pour elle jusqu’à la mort. Il la sanctifie pour lui, il la purifie en la lavant par le moyen de sa Parole. Bientôt, il se la présentera glorieuse, sans tache, ni ride, sainte et irréprochable (Eph. 5. 25-27). Dieu a établi son plan, et il l’accomplira. Le tableau final sera visible dans le ciel. Sur la terre on ne voit que les pièces disparates d’un puzzle en travail. De petits groupes peuvent être une faible anticipation de ce que sera le tableau complet, mais il y manque encore bien des éléments pour qu’ils puissent se joindre. Lorsqu’un puzzle est en cours de réalisation, il doit être protégé. Sans mauvaise intention, un étranger risque de tout gâter en y mettant la main. Et si un farceur y introduit de fausses pièces, ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage que celles-ci pourront être ôtées. La parabole de l’ivraie semée parmi le blé donne cet enseignement (Matt. 13. 24-30). L’aide de quelqu’un peut parfois être acceptée, à condition que cette personne s’y applique sérieusement. Il en est ainsi au cours de la formation de l’Eglise. Comparée à une construction, elle est à la responsabilité de l’homme. Chacun y apporte les éléments que le Seigneur manifestera un jour. Les matériaux nobles comme l’or, l’argent ou les pierres précieuses, subsisteront ; les autres comme le bois, le foin ou le chaume seront détruits (1 Cor. 3. 12-15). L’ouvrage n’a aucune apparence avant d’être terminé. Ne nous érigeons pas en juges du travail d’autrui. Les récompenses viendront plus tard. Pour l’instant, ayons une vision anticipée du résultat de l’oeuvre parfaite de notre Sauveur.

Ce qu’on en voit aujourd’hui Même quand les pièces d’un puzzle sont encore en vrac avant d’être vendues, chacun sait qu’il s’agit d’un puzzle. Lorsqu’il est en cours de construction, bien que nul ne puisse en discerner le dessin final, on sait aussi que c’est un puzzle. Pourquoi a-t-on tant de peine à parler de l’unité de l’Eglise, corps de Christ sur la terre ? Elle est en formation et Dieu seul peut vraiment la connaître. Ne soulignons pas ce qui semble démentir cette unité, voyons plutôt ce qui en est la preuve. De la vision qu’on en a aujourd’hui résulte la réalité de notre témoignage : « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour entre vous » (Jean 13. 35). Le Seigneur Jésus a parlé de l’unité des siens quand il a prié pour eux. Il demande d’abord à son Père de les garder afin, dit-il, « qu’ils soient un comme nous » (Jean 17. 11). Cette unité-là est garantie par Dieu le Père. Elle est inaltérable, étant basée sur l’oeuvre de Jésus accomplie à la croix. C’est l’unité de ses propres disciples et de tous ceux qui ont été ajoutés au cours des siècles. Ensuite, le Seigneur précise qui sont ceux pour lesquels il prie : « Je ne fais pas seulement des demandes pour ceux-ci, mais aussi pour ceux qui croient en moi par leur parole » (v. 20). Sachant que la dispersion des disciples dans le monde est inévitable, Jésus dit alors : « afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que toi tu m’as envoyé » (v. 21). Cette unité-là n’est pas évidente pour le monde, un peu comme un puzzle en préparation. Cependant, une vérité est soulignée : « qu’eux aussi soient un en nous ». C’est donc en Jésus et en Dieu le Père que l’unité des croyants est établie. Dans la mesure où ils se tiennent près du Seigneur, ils peuvent aussi faire voir autour d’eux la nature identique qui les caractérise. Leurs différences ne sont pas effacées, mais utilisées par Dieu pour être complémentaires. Un peu comme les pièces d’un puzzle qui s’emboîtent les unes dans les autres.

L’ouvrage est bientôt complet Le but final sera atteint quand Jésus introduira son Eglise dans la gloire céleste. Alors tous seront dans une unité parfaite et le monde connaîtra que le Père a envoyé son Fils et qu’il a aimé ses rachetés du même amour que son Fils lui-même (v. 23). Le tableau merveilleux que présentera l’ensemble des rachetés du Seigneur, son Eglise bien-aimée, son Epouse pour l’éternité, sera tout à la gloire de Jésus qui sera, « dans ce jour-là, glorifié dans ses saints et admiré dans tous ceux qui auront cru » (2 Thes. 1. 10). Chaque chrétien est une pièce du puzzle, mais chacun est aussi l’un des constructeurs. Ne nous permettons pas de préparer notre petite zone et de la placer où bon nous semble. Sa position dépend du plan d’ensemble et de sa relation avec les autres pièces. Aucun espace vide ne subsistera quand tout sera terminé. Pour l’instant, alors que l’image se concrétise, laissons le maître d’oeuvre attribuer à chacun sa place en faisant se joindre parfaitement toutes les pièces et tous les groupes de pièces. L’Eglise est comparée à un corps dont tous les membres et tous les organes ont leur place et leur fonction. Il est en formation sur la terre, mais il possède déjà les caractéristiques d’un organisme fonctionnel (1 Cor. 12). Il sera complet lorsque le Seigneur recueillera ses rachetés et que l’Assemblée lui sera unie comme le corps l’est à la Tête (Eph. 1. 22, 23). Pour qu’une église locale puisse déjà maintenant montrer quelque chose de l’image finale, elle se tiendra séparée du mal sous toutes ses formes et sera réunie au seul nom de Jésus (Matt. 18. 20).

F. Gfeller

 

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI HOMÉLIE – CONSÉCRATION DE CETTE NOUVELLE ÉGLISE PAROISSIALE (2006)

9 novembre, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2006/documents/hf_ben-xvi_hom_20061210_star-evangelization.html

VISITE PASTORALE À LA PAROISSE ROMAINE SAINTE MARIE ÉTOILE DE L’ÉVANGÉLISATION

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI – CONSÉCRATION DE CETTE NOUVELLE ÉGLISE PAROISSIALE

II Dimanche de l’Avent, 10 décembre 2006

Chers frères et soeurs de la paroisse « Sainte Marie Etoile de l’Evangélisation »!

Je suis heureux de me trouver parmi vous pour la consécration de cette nouvelle et belle église paroissiale:  la première que, depuis que j’ai assumé la charge d’Evêque de Rome, je consacre au Seigneur. La liturgie solennelle de la consécration d’une église est un moment d’intense joie spirituelle commune pour le peuple de Dieu qui vit sur ce territoire:  je m’unis de tout coeur à votre joie. Je salue avec affection le Cardinal Vicaire de Rome, Camillo Ruini; l’Evêque auxiliaire du Secteur sud, Mgr Paolino Schiavon, et l’Auxiliaire, Mgr Ernesto Mandara, Secrétaire de l’Oeuvre romaine pour la préservation de la Foi et pour la réalisation de nouvelles églises à Rome. Mes remerciements sincères s’adressent à eux et à ceux qui, à divers titres, ont contribué à la réalisation de ce nouveau centre paroissial. Cette paroisse est inaugurée pendant la période de l’Avent que, depuis désormais seize ans, le diocèse de Rome consacre à la sensibilisation et à la récolte de fonds pour la réalisation des nouvelles églises dans les banlieues de la ville. Cette dernière s’ajoute aux plus de cinquante complexes paroissiaux déjà réalisés au cours de ces années, grâce au soutien économique du Vicariat, à la contribution de nombreux fidèles et à l’attention des autorités civiles. Je demande à tous les fidèles et aux citoyens de bonne volonté de poursuivre leur engagement avec générosité, afin que les quartiers qui en sont encore privés puissent avoir au plus tôt un siège pour leur paroisse. Dans notre contexte social largement sécularisé, la paroisse est surtout un phare qui fait rayonner la lumière de la foi et qui vient ainsi à la rencontre des désirs les plus profonds et vrais du coeur de l’homme, donnant une signification et de l’espérance à la vie des personnes et des familles. Je salue votre curé, les prêtres qui sont ses collaborateurs, les membres du Conseil pastoral paroissial et les autres laïcs engagés dans les diverses activités pastorales. Je salue chacun de vous avec affection. Votre communauté est vivante et jeune! Jeune en raison de sa fondation, qui a eu lieu en 1989, et encore davantage en raison du début effectif de ses activités. Jeune, car dans ce quartier Torrino Nord la grande majorité des familles est jeune et les enfants et les adolescents sont donc nombreux. A votre communauté revient donc la tâche difficile et fascinante d’éduquer ses enfants à la vie et à la joie de la foi. Je suis certain qu’ensemble, dans un esprit de communion sincère, vous vous engagerez dans la préparation aux sacrements de l’initiation chrétienne et aiderez vos enfants, qui dès aujourd’hui pourront trouver ici des locaux accueillants et des structures adaptées, à croître dans l’amour et dans la fidélité au Seigneur. Chers frères et soeurs, nous consacrons une église – un édifice dans lequel Dieu et l’homme veulent se rencontrer; une maison qui nous réunit, dans laquelle on est attiré vers Dieu, et où être ensemble avec Dieu nous unit réciproquement. Les trois lectures de cette liturgie solennelle veulent nous montrer sous des aspects très différents la signification d’un édifice sacré comme maison de Dieu et comme maison des hommes. Dans les trois lectures que nous avons entendues, trois grands thèmes nous sont apparus:  la Parole de Dieu qui rassemble les hommes, dans la première lecture; la cité de Dieu qui, dans le même temps, apparaît comme l’épouse, dans la deuxième lecture et, enfin, la confession de Jésus Christ comme Fils de Dieu incarné, exprimée en premier par Pierre, qui a ainsi marqué le début de cette Eglise vivante qui se manifeste dans l’édifice matériel de chaque église. Ecoutons à présent de manière plus attentive ce que nous disent les trois lectures. Il y a tout d’abord le récit de la ré-édification du peuple d’Israël, de la ville sainte de Jérusalem et du temple, après le retour de l’exil. Après la grande euphorie du retour dans sa patrie, le peuple – une fois arrivé – se trouve face à un pays désert. Comment le ré-édifier? La reconstruction extérieure, si nécessaire, ne peut pas progresser si, auparavant, n’est pas reconstitué le peuple lui-même en tant que peuple – si n’est pas appliqué un critère de justice qui unisse chacun et qui réglemente la vie et l’activité de tous. Le peuple de retour a besoin, pour ainsi dire, d’une « constitution », d’une loi fondamentale pour sa vie. Et il sait que cette constitution, si elle doit être juste et durable, si elle conduit en définitive à la justice, ne peut pas être le fruit d’une invention autonome. La véritable justice ne peut pas être inventée par l’homme:  celle-ci doit plutôt être découverte. Elle doit, en d’autres termes, venir de Dieu, qui est la justice. La Parole de Dieu réédifie donc la cité. Ce que la lecture nous raconte est un rappel à l’esprit de l’événement du Sinaï. Une façon de rendre présent l’événement du Sinaï:  la Parole sainte de Dieu, qui indique aux hommes la voie de la justice, est solennellement lue et expliquée. Ainsi, celle-ci devient présente comme une force qui, de l’intérieur, édifie à nouveau le pays. Cela a lieu le jour de l’an. La Parole de Dieu inaugure une nouvelle année, inaugure une nouvelle heure de l’histoire. La Parole de Dieu est toujours une force de renouveau qui donne un sens et un ordre à notre temps. A la fin de la lecture se trouve la joie:  les hommes sont invités au banquet solennel; ils sont exhortés à donner à ceux qui n’ont rien et à unir ainsi chacun dans la communion de la joie, qui se fonde sur la Parole de Dieu. La dernière parole de cette lecture est cette belle expression:  la joie du Seigneur est notre force. Je crois qu’il n’est pas difficile de voir combien ces paroles de l’Ancien Testament sont à présent une réalité pour nous. L’édifice de l’Eglise existe pour que la Parole de Dieu puisse être écoutée, expliquée et comprise parmi nous; il existe, pour que la Parole de Dieu agisse parmi nous comme une force créatrice de justice et d’amour. Il existe, en particulier, pour qu’en lui puisse commencer la fête à laquelle Dieu veut faire participer toute l’humanité, non seulement à la fin des temps mais dès à présent. Il existe pour que soit éveillée en nous la connaissance de la justice et du bien, et il n’y a pas d’autre source pour connaître et donner force à cette connaissance de la justice et du bien que la Parole de Dieu. Il existe pour que nous apprenions à vivre la joie du Seigneur qui est notre force. Prions le Seigneur de nous rendre heureux de sa Parole; de nous rendre heureux de la foi, pour que  cette  joie nous renouvelle nous-mêmes, ainsi que le monde! La lecture de la Parole de Dieu, le renouvellement de la révélation du Sinaï après l’exil sert donc alors à la communion avec Dieu et entre les hommes. Cette communion s’exprima dans la réédification du Temple, de la cité et de ses murs. Parole de Dieu et réédification de la cité sont, dans le Livre de Néhémie, en étroite relation:  d’une part, sans la parole de Dieu il n’y a ni cité ni communauté; de l’autre, la Parole de Dieu ne reste pas seulement un discours, mais conduit à édifier, c’est une parole qui construit. Les textes qui suivent, dans le Livre de Néhémie, sur la construction des murs de la ville apparaissent, à une première lecture détaillée, très concrets et même prosaïques. Toutefois, ils constituent un thème vraiment spirituel et théologique. Une parole prophétique de cette époque nous dit que Dieu lui-même élève un mur de feu autour de Jérusalem (cf. Zc 2, 8sq). Dieu lui-même est la défense vivante de la cité, non seulement à cette époque, mais toujours. Ainsi, le récit vétéro-testamentaire nous introduit à la vision de l’Apocalypse que nous avons écoutée en deuxième lecture. Je ne voudrais mettre en lumière que deux aspects de cette vision. La cité est l’épouse. Elle n’est pas seulement un édifice de pierre. Tout ce que l’on dit sur la cité, à travers des images grandioses, renvoie à quelque chose de vivant:  à l’Eglise de pierres vivantes, dans laquelle se forme dès à présent la cité future. Cela renvoie au peuple nouveau qui, dans la fraction du pain, devient un seul corps avec le Christ (cf. 1 Co 10, 16sq). De même que l’homme et la femme, dans leur amour, deviennent « une seule chair », ainsi le Christ et l’humanité rassemblée dans l’Eglise deviennent, à travers l’amour du Christ, « un seul esprit » (cf. 1 Co 6, 17, Ep 5, 29sq). Paul appelle le Christ, le nouveau, le dernier Adam:  l’homme définitif. Et il l’appelle « l’être spirituel qui a donné la vie » (1 Co 15, 45). Avec Lui nous devenons une seule chose; avec Lui l’Eglise devient esprit dispensateur de vie. La Cité sainte, dans laquelle il n’existe plus de temple parce qu’elle est inhabitée par Dieu, est l’image de cette communauté qui se forme à partir du Christ. L’autre aspect que je voudrais mentionner sont les douze fondements de la cité, sur lesquels se trouvent les noms des douze Apôtres. Les fondements de la ville ne sont pas des pierres matérielles, mais des êtres humains – ce sont les Apôtres avec le témoignage de leur foi. Les Apôtres demeurent les fondements de base de la nouvelle cité, de l’Eglise, à travers le ministère de la succession apostolique:  à travers les Evêques. Les cierges que nous allumons contre les murs des églises dans les lieux où seront faites les onctions rappellent, précisément, les Apôtres:  leur foi est la véritable lumière qui illumine l’Eglise. Et dans le même temps, elle est le fondement sur laquelle celle-ci repose. La foi des Apôtres n’est pas une chose dépassée. Puisqu’elle est la vérité, elle est le fondement sur lequel nous nous trouvons, elle est la lumière grâce à laquelle nous voyons. Venons-en à l’Evangile. Combien de fois l’avons-nous écoutée! La profession de foi de Pierre est le fondement inébranlable de l’Eglise. Avec Pierre nous disons à Jésus:  « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». La Parole de Dieu n’est pas seulement parole. En Jésus Christ celle-ci est présente parmi nous comme Personne. Tel est le but le plus profond de l’existence de cet édifice saint:  l’église existe car en elle nous rencontrons le Christ, le Fils du Dieu vivant. Dieu a un visage. Dieu a un nom. Dans le Christ, Dieu s’est fait chair et se donne à nous dans le mystère de la Très Sainte Eucharistie. La Parole est chair. Elle se donne à nous sous les apparences du pain et devient ainsi véritablement le Pain dont nous vivons. Nous les hommes, nous vivons de la Vérité. Cette Vérité est Personne:  celle-ci nous parle et nous lui parlons. L’église est le lieu de rencontre avec le Fils du Dieu vivant et, ainsi, elle est le lieu de rencontre entre nous. Telle est la joie que Dieu nous donne:  Il s’est fait l’un de nous, que nous pouvons presque toucher et qui vit avec nous. La joie de Dieu est réellement notre force. Ainsi, l’Evangile nous introduit finalement dans l’heure que nous vivons aujourd’hui. Il nous conduit vers Marie, que nous honorons ici comme l’Etoile de l’Evangélisation. A l’heure décisive de l’histoire humaine, Marie a offert sa propre personne à Dieu, son corps et son âme comme demeure. En elle, et d’elle, le Fils de Dieu a assumé la chair. A travers elle, la Parole s’est faite chair (cf. Jn 1, 14). Ainsi, Marie nous dit ce qu’est l’Avent:  aller à la rencontre du Seigneur qui vient à notre rencontre. L’attendre, L’écouter, Le regarder. Marie nous dit dans quel but existent les édifices des églises:  ils existent pour que soit faite en nous une place à la Parole de Dieu; pour qu’en nous et à travers nous la Parole puisse aujourd’hui aussi se faire chair. Ainsi nous la saluons comme l’Etoile de l’Evangélisation:  Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour nous, afin que nous vivions l’Evangile. Aide-nous à ne pas cacher la lumière de l’Evangile sous le boisseau de notre peu de foi. Aide-nous à être, en vertu de l’Evangile, lumière pour le monde, afin que les hommes puissent voir le bien et rendre gloire au Père qui est dans les cieux (cf. Mt 5, 14sq). Amen!

LES PREMIERS CHRÉTIENS : COMMENT VIVAIENT-ILS ? UN EXEMPLE DE VIE (1)

25 août, 2014

http://www.hermas.info/article-les-premiers-chretiens-comment-vivaient-ils-1-55995044.html

LES PREMIERS CHRÉTIENS : COMMENT VIVAIENT-ILS ? UN EXEMPLE DE VIE (1)

(Il existe d’autres articles sur le sujet)

Publié le 26 août 2010 par L’Equipe d’Hermas

SECTION I : UN EXEMPLE DE VIE

1. Une vie de sainteté
Les premiers chrétiens « observent strictement (les) commandements (du Christ), vivant saintement et justement, comme le Seigneur Dieu le leur a ordonné, lui rendant grâces à toute heure pour la nourriture, la boisson ou les autres biens » (1).
« Tel est, ô Roi [l'empereur Adrien], le commandement de la loi des chrétiens, et telle est leur manière de vivre. Comme des hommes qui connaissent Dieu, ils lui présentent des demandes qui sont convenables pour lui d’accorder et pour eux de recevoir. C’est ainsi qu’ils emploient toute leur vie. Et comme ils connaissent l’amour bienfaisant de Dieu pour eux, ils voient que toutes les glorieuses choses qui sont répandues sous nos yeux dans le monde ont été faites pour eux. Ce sont eux, vraiment, qui ont trouvé la vérité qu’ils ont recherchée, et de ce que nous avons examiné, nous avons appris que ce sont les seuls qui se soient approchés de la connaissance de la vérité » (2).
« La tempérance habite parmi (les chrétiens), ils honorent la continence, ils respectent le mariage, ils gardent la chasteté ; l’injustice est proscrite, le péché détruit, la justice pratiquée, la loi accomplie ; on rend à Dieu le culte qui lui est dû et on célèbre ses louanges ; la vérité domine, la grâce conserve, la paix met en sûreté ; la parole sainte conduit, la sagesse enseigne, la véritable vie est connue, et Dieu règne » (3).

2. Le service des autres
« Ils secourent ceux qui les offensent, en faisant en sorte qu’ils deviennent leurs amis ; ils prennent soin de faire du bien à leurs ennemis ; ils sont doux et d’un commerce agréable ; ils s’abstiennent de toute conversation malsaine et de toute impureté ; ils ne méprisent pas la veuve, n’oppressent pas l’orphelin ; et celui qui possède donne sans rechigner à celui qui n’a rien ; s’ils voient un étranger, ils l’accueillent sous leur toit, et se réjouissent de sa présence comme s’il était véritablement leur frère ; c’est pourquoi ils se donnent le nom de frères, non pas selon la chair, mais selon l’esprit ».
« Si l’un de leurs pauvres vient à mourir, chacun, selon ses possibilités, contribue à ses funérailles ; s’ils apprennent que quelqu’un d’eux est emprisonné ou persécuté au nom de leur Messie, alors tous pourvoient avec empressement à ses nécessités, et s’il leur est possible de le libérer, alors ils s’y emploient. Si parmi eux quelqu’un est pauvre, ou dans le besoin, et qu’ils n’ont pas assez de nourriture, alors ils jeûnent deux ou trois jours pour pourvoir au besoin de nourriture du nécessiteux » (4).

3. Citoyens de la terre et du ciel
« Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l’avenir » (Hébreux, 13,14).
« Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère.
« Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire. Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On ne les connaît pas, mais on les condamne ; on les tue et c’est ainsi qu’ils trouvent la vie. Ils sont pauvres et font beaucoup de riches. Ils manquent de tout et ils ont tout en abondance. On les méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent. Alors qu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs. Tandis qu’on les châtie, ils se réjouissent comme s’ils naissaient à la vie » (5).
« Ils ont reçu de Dieu des commandements qu’ils ont gravés dans leurs esprits et qu’ils observent dans l’espoir et l’attente du monde qui doit venir. C’est pourquoi ils ne commettent pas d’adultère ni de fornication, ne portent pas de faux témoignages, ne détournent pas ce qui ne leur appartient pas. Ils honorent leurs pères et leurs mères, et manifestent de la tendresse à leurs proches ; et lorsqu’ils jugent, ils le font avec droiture. Ils n’adorent pas les idoles faites à l’image de l’homme, et tout ce qu’ils ne veulent pas qu’on leur fasse, ils ne le font pas eux-mêmes aux autres ; ils ne mangent pas la nourriture qui est consacrée aux idoles, car ils sont purs. Ils apaisent leurs oppresseurs et en font leurs amis ; ils font du bien à leurs ennemis ; et leurs femmes, ô Roi, sont pures comme des vierges, et leurs filles sont modestes ; et leurs hommes se gardent eux-mêmes de toute union illégitime et de toute impureté, dans l’espoir d’une récompense à venir dans l’autre monde » (6).

4. L’eucharistie
Dans l’un des premiers textes chrétiens, saint Justin explique comment on célèbre l’eucharistie dans les premiers temps.
« Le jour du soleil, comme on l’appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres ou les écrits des prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour exhorter à l’imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous levons tous et nous prions (…) pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l’espoir d’obtenir, avec la connaissance que nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des oeuvres et dans l’observance des préceptes, et de mériter ainsi le salut éternel.
« Ensuite on apporte à celui qui est le chef des frères du pain, de l’eau et du vin. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du Père de l’univers, par le nom du Fils et du Saint-Esprit, et fait une longue action de grâces, pour tous les biens que nous avons reçus de lui (…).
« Quand le chef des frères a fini les prières et l’action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous appelons diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l’eau eucharistiés, et ils en portent aux absents.
« Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part, s’il ne croit la vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu l’ablution pour la rémission de ses péchés et sa régénération, et s’il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut ; de même aussi cet aliment, qui par l’assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est devenu, par la vertu de l’action de grâces, contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le propre sang et la propre chair de Jésus incarné : telle est notre foi. Les apôtres, dans leurs écrits, que l’on nomme Evangiles, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé d’en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit : “Faites ceci en mémoire de moi: ceci est mon corps” ; et semblablement ayant pris le calice, et ayant rendu grâces: “Ceci est mon sang”, ajouta-t-il ; et il le leur distribua à eux seuls (…).
« Après l’assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui s’y est passé. Si nous avons du bien, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons toujours ; et dans toutes nos offrandes, nous louons le Créateur de l’univers par Jésus-Christ son Fils et par le Saint-Esprit » (7).

5. La dimension chrétienne du travail
Les premiers chrétiens gardèrent très présent à l’esprit l’exemple de la vie de travail du Christ lui-même, car « il était considéré comme charpentier, et ce fut comme tel qu’il fabriqua des charrues et des attelages tandis qu’il vivait parmi les hommes, en enseignant de la sorte la nécessité d’une juste vie de travail » (8).
Le message chrétien sur cette structure du travail manifeste que le travail même le moins estimé aquiert une dimension nouvelle dans le Christ (9). La dimension surnaturelle du travail sera comme une incitation divine à dépasser largement l’impact des conditionnements sociaux, mais sans violence ni rébellion. Le travail avait, pour les premiers chrétiens, une valeur de signe distinctif entre le véritable croyant et le faux frère, et constituait aussi une manière délicate de vivre la charité pour n’être à la charge d’aucun frère (10).
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les premiers chrétiens étaient immergés dans un monde où le travail était conçu de manière péjorative. « Comme le travail était ce qui déterminait la vie de l’esclave, s’est imposée la distinction connue entre le travail “servile” et le travail “libre”, en identifiant le premier au travail proprement dit et le second à toute cette gamme d’activités qui, outre la culture, comprend les loisirs et les arts » (11).

LE MYSTÈRE DE L’ÉGLISE ET DE L’EUCHARISTIE À LA LUMIÈRE DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ

17 juin, 2014

http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/chrstuni/ch_orthodox_docs/rc_pc_chrstuni_doc_19820706_munich_fr.html

COMMISSION MIXTE INTERNATIONALE DE DIALOGUE THÉOLOGIQUE
ENTRE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE ET L’ÉGLISE ORTHODOXE

IIème RÉUNION PLÉNIÈRE

Munich, 30 juin – 6 juillet 1982

LE MYSTÈRE DE L’ÉGLISE ET DE L’EUCHARISTIE À LA LUMIÈRE DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ
(cfr. Communiqué, p. 64 supra)

Fidèle au mandat reçu à Rhodes, ce rapport aborde le mystère de l’Église par un seul de ses aspects, mais un aspect particulièrement important dans la perspective sacramentelle de l’Église, à savoir le mystère de l’Église et de l’Eucharistie à la lumière du Mystère de la Sainte Trinité. En effet, on demandait de partir de ce que nous avons en commun et, en le développant, d’aborder de l’ intérieur et progressivement tous les points sur lesquels nous ne sommes pas en accord.
En rédigeant ce document, nous entendons montrer que ce faisant, nous exprimons ensemble une foi qui est la continuation de celle des apôtres.
Ce document marque la première étape de cet effort pour réaliser le programme de la commission préparatoire approuvé lors de la première réunion de la commission de dialogue.
Puisqu’il s’agit d’une première étape, abordant le mystère de l’Église par un seul de ses aspects, bien des points n’y sont pas encore traités. Ils le seront dans les étapes suivantes, telles qu’elles sont prévues dans le programme mentionné ci-dessus.

I
1. Le Christ, Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité, est le seul qui a vaincu le péché et la mort. Parler de la nature sacramentelle du mystère du Christ, c’est donc évoquer la possibilité donnée à l’homme et, à travers lui, au cosmos, de faire l’expérience de la nouvelle création, Royaume de Dieu, hic et nunc, par les réalités sensibles et créées. Tel est le mode (tropos) dans lequel l’unique Personne et l’unique événement du Christ existent et opèrent dans l’histoire depuis la Pentecôte et jusqu’à la Parousie. Cependant, la vie éternelle, que Dieu a donnée au monde dans l’événement du Christ, son Fils éternel, est portée dans des vases d’argile. Elle n’est donnée encore qu’en avant-goût, comme arrhes.
2. A la dernière Cène, le Christ a affirmé qu’il donnait son Corps aux disciples pour la vie de la multitude, dans l’Eucharistie. Ce don y est fait par Dieu au monde, mais sous forme sacramentelle. A partir de ce moment, l’Eucharistie existe comme sacrement du Christ lui-même. Elle devient l’avant-goût de la vie éternelle, le remède d’immortalité, le signe du Royaume à venir. Le sacrement de l’événement du Christ passe ainsi dans le sacrement de l’Eucharistie. Sacrement qui nous incorpore pleinement au Christ.
3. L’incarnation du Fils de Dieu, sa mort et sa résurrection ont été réalisées dès le départ selon la volonté du Père, dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, qui procède éternellement du Père et se manifeste par le Fils, a préparé l’événement du Christ et il l’a réalisé pleinement dans la résurrection. Le Christ, qui est le Sacrement par excellence, donné par le Père pour le monde, continue de se donner pour la multitude, dans l’Esprit, le seul qui vivifie (Jean, 6). Le sacrement du Christ est aussi une réalité qui ne peut exister que dans l’Esprit.
4. L’Église et l’Eucharistie:
a) Bien que les Evangélistes, dans le récit de la Cène, se taisent sur l’action de l’Esprit, il était pourtant conjoint plus que jamais au Fils incarné pour l’accomplissement de l’oeuvre du Père. Il n’est pas encore donné, reçu comme Personne, par les disciples (Jean 7, 39). Mais quand Jésus est glorifié, alors l’Esprit lui aussi se répand et se manifeste. Le Seigneur Jésus entre dans la gloire du Père et, en même temps, par l’effusion de l’Esprit, dans son tropos sacramentel en ce monde-ci. La Pentecôte, achèvement du mystère pascal, inaugure du même coup, les derniers temps. L’Eucharistie et l’Église, Corps du Christ crucifié et ressuscité, deviennent lieu des énergies de l’Esprit Saint.
b) Les croyants sont baptisés dans l’Esprit au nom de la Sainte Trinité pour former un seul corps (cf. 1 Cor 12,13) Quand l’Église célèbre l’Eucharistie, elle réalise «ce qu’elle est», Corps du Christ (1 Cor 10,17). Par le baptême et la chrismation, en effet, les membres du Christ sont joints par l’Esprit, greffés sur le Christ. Mais par l’Eucharistie, l’événement pascal se dilate en Église. L’Église devient ce qu’elle est appelée à être de par le baptême et la chrismation. Par la communion au Corps et au Sang du Christ, les fidèles croissent en cette divinisation mystérieuse qui accomplit leur demeure dans le Fils et le Père, par l’Esprit.
c) Ainsi, d’une part, l’Église célèbre l’Eucharistie comme expression, en ce temps-ci, de la liturgie céleste. Mais, d’autre part, l’Eucharistie édifie l’Église, en ce sens que par elle l’Esprit du Christ ressuscité façonne l’Église en Corps du Christ. C’est pourquoi l’Eucharistie est en vérité le Sacrement de l’Église, à la fois comme sacrement du don total que le Seigneur fait lui-même aux siens et comme manifestation et croissance du Corps du Christ, l’Église. L’Église pérégrinante célèbre l’Eucharistie sur la terre jusqu’à ce que son Seigneur vienne remettre la Royauté à Dieu le Père, afin que Dieu soit tout en tous. Elle anticipe ainsi le jugement du monde et sa transfiguration finale.
5. La mission de l’Esprit demeure conjointe à celle du Fils. La célébration de l’Eucharistie révèle les énergies divines manifestées par l’Esprit à l’oeuvre dans le Corps du Christ:
a) L’Esprit prépare la venue du Christ en l’annonçant par les Prophètes, en guidant vers lui l’histoire du peuple élu en le faisant concevoir de la Vierge Marie, en ouvrant les coeurs à sa Parole.
b) L’Esprit manifeste le Christ dans son oeuvre de Sauveur, l’Evangile qu’il est lui-même. La célébration eucharistique est l’Anamnèse (le Mémorial): vraiment, mais sacramentellement, aujourd’hui, l’Ephapax est et advient. La célébration de l’Eucharistie est le kairos par excellence du mystère.
c) L’Esprit transforme les Dons sacrés dans le Corps et le Sang du Christ (metabolè), pour que s’accomplisse la croissance du Corps qui est l’Église. En ce sens, la célébration entière est une épiclèse, qui s’explicite davantage à certains moments. L’Église est perpétuellement en état d’épiclèse.
d) L’Esprit met en communion avec le Corps du Christ ceux qui participent au même pain et au même calice. A partir de là, l’Église manifeste ce qu’elle est: le sacrement de la koinônia trinitaire, la «demeure de Dieu avec les hommes» (cf. Ap 21,4).
L’Esprit en actualisant ce que le Christ a fait une fois pour toutes — l’événement du mystère — l’accomplit en nous tous. Cette relation au mystère, plus évidente dans l’Eucharistie, se retrouve dans les autres sacrements, tous des actes de l’Esprit. C’est pourquoi l’Eucharistie est le centre de la vie sacramentelle.
6. La célébration eucharistique prise en son ensemble rend présent le mystère trinitaire de l’Église. On y passe de l’audition de la Parole, culminant dans la proclamation de l’Evangile — annonce apostolique de la Parole faite chair — à l’action de grâce envers le Père, au mémorial du sacrifice du Christ et à la communion en celui-ci grâce à la prière épiclétique faite dans la foi. Car, dans l’Eucharistie, l’épiclèse n’est pas uniquement une invocation pour la transformation sacramentelle du pain et de la coupe. Elle est aussi une prière pour le plein effet de la communion de tous au mystère révélé par le Fils.
De cette manière, la présence de l’Esprit lui-même s’étend par le partage du sacrement de la Parole faite chair, à tout le corps de l’Église. Sans vouloir encore résoudre les difficultés suscitées entre l’Orient et l’Occident au sujet de la relation entre le Fils et l’Esprit, nous pouvons déjà dire ensemble que cet Esprit qui procède du Père (Jean 15,26), comme de la seule source dans la Trinité, et qui est devenu l’Esprit de notre filiation (Rom 8,15) car il est aussi l’Esprit du Fils (Gal 4,6), nous est communiqué, particulièrement dans l’Eucharistie, par ce Fils sur lequel il repose, dans le temps et dans l’éternité (Jean 1,32).
C’est pourquoi le mystère eucharistique s’accomplit dans la prière qui conjoint les paroles par lesquelles la Parole faite chair a institué le sacrement et l’épiclèse dans laquelle l’Église mue par la foi, supplie le Père, par le Fils, d’envoyer l’Esprit pour que dans l’unique oblation du Fils incarné tout soit consommé dans l’unité. Par l’Eucharistie, les croyants s’unissent au Christ, qui s’offre au Père avec eux, et reçoivent le pouvoir de s’offrir en esprit de sacrifice les uns aux autres comme le Christ lui-même s’est offert au Père pour la multitude, se donnant ainsi aux hommes.
Cette consommation dans l’unité, accomplie inséparablement par le Fils et l’Esprit, agissant dans la référence au Père et à son dessein, est l’Église en sa plénitude.

II
1. En se référant au Nouveau Testament, on remarquera d’abord que l’Église désigne une réalité «locale». L’Église existe dans l’histoire comme Église locale. Pour une région, on parle plutôt des Églises, au pluriel. Il s’agit toujours de l’Église de Dieu, mais dans un lieu.
Or l’Église qui existe dans un lieu n’est pas formée, radicalement, par les personnes s’ajoutant pour la constituer. Il existe une «Jérusalem d’en haut», qui «descend de chez Dieu», une communion fondatrice de la communauté elle-même. L’Église est constituée par un don gratuit, celui de la nouvelle création.
Il est cependant clair que l’Église «qui est en» tel lieu se manifeste comme telle lorsqu’elle est «assemblée». Cette assemblée elle-même dont les éléments et les exigences sont indiqués par le Nouveau Testament, est pleinement telle lorsqu’elle est synaxe eucharistique. En effet, quand l’Église locale célèbre l’Eucharistie, l’événement advenu «une fois pour toutes» est actualisé et manifesté. Dans l’Église locale, il n’y a alors ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, ni juif ni grec. Une nouvelle unité se trouve communiquée, qui surmonte les divisions et restaure la communion dans l’unique Corps du Christ. Cette unité transcende l’unité psychologique, raciale, socio-politique ou culturelle. Elle est la «communion de l’Esprit Saint» rassemblant les enfants de Dieu dispersés. La nouveauté du baptême et de la chrismation porte alors tout son fruit. Et par la puissance du Corps et du Sang du Seigneur, rempli de l’Esprit Saint, le péché, qui ne cesse d’assaillir les chrétiens, faisant obstacle au dynamisme de «la vie pour Dieu dans le Christ Jésus» reçu au baptême, est guéri. Ceci vaut aussi du péché de division, dont toutes les formes contredisent le dessein de Dieu.
L’un des textes majeurs à rappeler est 1 Cor. 10, 15-17: un seul Pain, un seul Calice, un seul Corps du Christ dans la pluralité des membres. Ce mystère de l’unité dans l’amour de plusieurs personnes constitue proprement la nouveauté de la koinônia trinitaire communiquée aux hommes, dans l’Église, par l’Eucharistie. Tel est le but de l’oeuvre salvifique du Christ, répandue dans les derniers temps, depuis la Pentecôte.
C’est pourquoi l’Église trouve son modèle, son origine et sa fin dans le mystère du Dieu un en trois Personnes. Bien plus, l’Eucharistie ainsi comprise à la lumière du mystère trinitaire constitue le critère pour le fonctionnement de la vie ecclésiale en son entier. Les éléments institutionnels ne doivent être qu’un reflet visible de la réalité mystérique.
2. Le déroulement de la célébration eucharistique de l’Église locale montre comment la koinônia s’actualise dans l’Église célébrant l’Eucharistie. Dans la célébration de l’Eucharistie par la communauté entourant activement l’évêque ou le presbytre en communion avec lui, on relève les aspects suivants, intérieurs l’un à l’autre, même si tel ou tel moment de la célébration accentue particulièrement tel ou tel aspect.
La koinônia est eschatologique. Elle est la nouveauté qui vient dans les derniers temps. C’est pourquoi tout commence, dans l’Eucharistie comme dans la vie de l’Église, par la conversion et la réconciliation. L’Eucharistie présuppose la repentance (métanoia) et la confession (exomologèse), qui trouvent ailleurs leur expression sacramentelle propre. Mais l’Eucharistie remet et guérit aussi les péchés, puisqu’elle est le Sacrement de l’amour divinisant du Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint.
Mais cette koinônia est également kérygmatique. Cela se vérifie dans la synaxe non seulement parce que la célébration «annonce» l’événement du mystère, mais aussi parce qu’elle l’actualise aujourd’hui dans l’Esprit. Cela implique l’annonce de la Parole à l’assemblée et la réponse de foi de tous. Ainsi s’actualise la Communion de l’assemblée dans le kérygme, donc l’unité dans la foi. L’orthodoxie est inhérante à la koinônia eucharistique. Cette orthodoxie s’exprime le plus clairement par la proclamation du symbole de la foi qui est le condensé de la tradition apostolique dont l’évêque est le témoin en vertu de sa succession. Ainsi l’Eucharistie est-elle indissociablement, Sacrement et Parole puis-qu’en elle c’est le Verbe incarné qui sanctifie dans l’Esprit. C’est pourquoi la liturgie tout entière, et non seulement la lecture des Saintes Ecritures, constitue une proclamation de la Parole sous forme de doxologie et de prière. Inversement, la parole proclamée est la Parole faite chair, et devenue sacramentelle.
La koinônia est à la fois ministérielle et pneumatique. C’est pourquoi l’Eucharistie en est la manifestation par excellence. Toute l’assemblée, chacun à son rang, est «liturge» de la koinônia, et elle ne l’est que par l’Esprit Saint. Tout en étant don du Dieu trinitaire, la koinônia est aussi réponse des hommes. Ceux-ci, dans la foi qui vient de l’Esprit et de la Parole, mettent en oeuvre la vocation et la mission reçues au baptême: devenir, chacun à son rang, membres vivants du Corps du Christ.
3. Le ministère de l’évêque ne s’épuise pas dans une fonction tactique ou pragmatique (parce qu’il faut bien un président), mais c’est une fonction organique. L’évêque, reçoit le don de la grâce épiscopale (1 Tim 4,14) dans le sacrement de la consécration, accomplie par les évêques qui ont eux-mêmes reçu ce don, grâce à l’existence d’une succession ininterrompue des chirotonies épiscopales, en commençant par les saints apôtres. Par le sacrement de l’ordination, l’Esprit du Seigneur «confère» à l’évêque, non pas juridiquement, comme une pure transmission du pouvoir, mais sacramentellement, l’exousia de Serviteur que le Fils a reçu du Père et qu’il a humainement accueilli par son consentement dans sa Passion.
La fonction de l’évêque est étroitement liée à l’assemblée eucharistique qu’il préside. L’unité eucharistique de l’Église locale implique la communion entre celui qui préside et le peuple auquel il livre la Parole du Salut et les dons eucharistiés. D’ailleurs, le ministre est aussi celui qui «reçoit» de son Église, fidèle à la tradition, cette parole qu’il transmet. Et la grande intercession qu’il fait monter vers le Père n’est autre que celle de son Église tout entière avec lui. Pas plus que celle-ci ne peut être coupée de son évêque, l’évêque ne peut être séparé de son Église.
L’évêque se tient au coeur de l’Église locale comme ministre de l’Esprit pour discerner les charismes et veiller à ce qu’ils s’exercent dans la concorde, en vue du bien de tous, dans la fidélité à la tradition apostolique. Il se situe au service des initiatives de l’Esprit pour que rien ne les empêche de contribuer à l’édification de la koinônia. Il est ministre d’unité, serviteur du Christ Seigneur, dont la mission est de «rassembler dans l’unité les enfants de Dieu». Et puisque l’Église est édifiée par l’Eucharistie, il est celui qui, revêtu de la grâce du ministère sacerdotal, préside à celui-ci.
Mais cette présidence doit être comprise. L’évêque préside à l’oblation qui est celle de sa communauté tout entière. Consacrant les dons pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang que la communauté offre, il célèbre non seulement pour elle ni seulement avec elle et en elle, mais par elle. Il apparaît alors comme ministre du Christ faisant l’unité de son Corps, créant la communion par son corps. L’union de la communauté avec lui est d’abord de l’ordre du Mystérion, non primordialement de l’ordre juridique. C’est cette union exprimée dans l’Eucharistie qui se prolonge et s’actualise dans l’ensemble des relations «pastorales» du magistère, gouvernement, vie sacramentelle. La communauté ecclésiale est ainsi appelée à être l’ébauche d’une communauté humaine renouvelée.
4. Il y a communion profonde entre l’évêque et la communauté dont l’Esprit lui confère la responsabilité pour l’Église de Dieu. L’ancienne tradition l’évoquait, avec bonheur, par l’image des noces. Mais cette communion se situe à l’intérieur de la communion avec la communauté apostolique.
Dans la tradition ancienne (dont fait foi notamment la Tradition apostolique d’Hippolyte), l’évêque élu par le peuple — qui se porte garant de sa foi apostolique, en conformité avec ce que l’Église locale confesse — reçoit la grâce ministérielle du Christ par l’Esprit dans la prière de l’assemblée et par l’imposition des mains (chirotonia) des évêques voisins, témoins de la foi de leur propre Eglise. Son charisme, venant directement de l’Esprit, lui est donné dans l’apostolicité de son Église (reliée à la foi de la communauté apostolique) et dans celle des autres Églises représentées par leur évêque. Par là, son ministère s’insère dans la catholicité de l’Église de Dieu.
La succession apostolique dit donc plus qu’une pure transmission de pouvoirs. Elle est succession dans une Eglise, témoin de la foi apostolique, en communion avec les autres Églises, témoins de la même foi apostolique. La sedes (la cathedra) joue un rôle capital dans l’insertion de l’évêque au coeur de l’apostolicité ecclésiale. D’autre part, une fois ordonné, l’évêque devient dans son Église le garant de l’apostolicité, celui qui la représente au sein de la communion des Églises, son lien avec les autres Églises. C’est pourquoi, dans son Église, toute Eucharistie ne peut se célébrer en vérité que présidée par lui ou par un presbytre en communion avec lui. Sa mention dans l’anaphore est essentielle.
Par le ministère des presbytres, chargés de présider à la vie et à la célébration eucharistique des communautés qui leur sont confiés, celles-ci croissent dans la communion avec toutes les communautés dont l’évêque a la responsabilité première. Dans la situation actuelle, le diocèse lui-même est une communion de communautés eucharistiques. L’une des fonctions essentielles des presbytres est de les relier à l’Eucharistie de l’évêque et de les nourrir à la foi apostolique dont l’évêque est le témoin et le garant. Ils doivent aussi veiller à ce que, nourris du Corps et du Sang de celui qui a livré sa vie pour ses frères, les chrétiens soient des témoins authentiques de l’amour fraternel, dans le sacrifice réciproque nourri du sacrifice du Christ. En effet, selon la parole de l’apôtre, «si quelqu’un voit son frère dans le besoin et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui?». L’Eucharistie détermine la manière chrétienne de vivre le mystére pascal du Christ et le don de Pentecôte. Grâce à elle s’opère une profonde transformation de l’existence humaine toujours confrontée à la tentation et à la souffrance.

III
1. Le Corps du Christ est unique. Il n’existe donc qu’une Église de Dieu. L’identité d’une assemblée eucharistique avec une autre, vient de ce que toutes, avec la même foi, célèbrent le même mémorial, que toutes par la manducation du même corps et la participation au même calice deviennent le même et unique Corps du Christ auquel elles ont été intégrées par le même baptême. S’il y a multiplicité de célébrations, il n’y a qu’un seul et unique mystère célébré auquel on participe. En outre, quand le fidèle communie au Corps et au Sang du Seigneur, il ne reçoit pas une partie du Christ, mais le Christ total.
De même, l’Église locale qui célèbre l’Eucharistie autour de l’évêque n’est pas une section du Corps du Christ. La multiplicité des synaxes locales ne divise pas l’Église, mais au contraire en manifeste sacramentellement l’unité. Comme la communauté des apôtres rassemblés autour du Christ, chaque assemblée Eucharistique est en vérité la Sainte Église de Dieu, le Corps du Christ, en communion avec la première communauté des disciples et toutes celles qui par le monde célèbrent et ont célébré le Mémorial du Seigneur. Elle est aussi en communion avec l’assemblée des saints dans le ciel qu’évoque chaque célébration.
2. Loin d’exclure la diversité sur la pluralité, la koinônia la suppose et elle guérit les blessures de la division, transcendant celle-ci dans l’unité.
Puisque le Christ est un pour la multitude, ainsi dans l’Église, qui est son Corps, l’un et le plusieurs, l’universel et le local, sont nécessairement simultanés. Plus profondément encore, parce que le Dieu un et unique est la communion de trois Personnes, l’Église une et unique est communion de plusieurs communautés, et l’Église locale communion de personnes. L’Église une et unique s’identifie à la koinônia des Églises. Unité et multiplicité apparaissent à ce point liées que l’une ne saurait exister sans l’autre. C’est cette relation constitutive de l’Église que les institutions rendent visibles et, pourrait-on dire historicisent.
3. Puisque l’Église catholique se manifeste dans la synaxe de l’Église locale, deux conditions surtout doivent être réalisées pour que l’Église locale qui célèbre l’Eucharistie soit en vérité dans la communion ecclésiale.
a) En effet, l’identité du mystère de l’Église vécu dans l’Église locale avec le Mystère de l’Église vécu par l’Église primitive — catholicité dans le temps — est fondamentale. L’Église est apostolique parce que fondée et sans cesse soutenue dans le Mystère du Salut révélé en Jésus Christ, transmis dans l’Esprit par ceux qui furent ses témoins, les apôtres. Ses membres seront jugés par le Christ et les apôtres (cf. Luc 22,30).
b) La reconnaissance mutuelle, aujourd’hui, entre cette Église locale et les autres Églises, est elle aussi capitale. Chacun doit reconnaître dans les autres, à travers les particularités locales, l’identité du Mystère de l’Église. Il s’agit d’une reconnaissance mutuelle de catholicité comme communion dans l’intégrité du mystère. Cette reconnaissance s’accomplit d’abord au plan régional. La communion dans un même patriarcat ou dans quelque autre forme d’unité régionale, est d’abord une manifestation de la vie de l’Esprit dans une même culture ou de mêmes conditions historiques. Elle implique également l’unité du témoignage et appelle l’exercice de la correction fraternelle dans l’humilité.
Cette communion à l’intérieur d’une même région doit se dépasser dans la communion entre Églises soeurs.
Mais cette reconnaissance mutuelle n’est vraie qu’aux conditions, exprimées dans l’Anaphore de Saint Jean Chrysostome et les premières anaphores antiochiennes. L’une est la communion dans le même kérygme, donc la même foi. Déjà contenue dans le baptême, cette exigence s’explicite dans la célébration eucharistique. Mais il faut en outre la volonté de la communion dans l’agapé et dans la diaconie, non en paroles seulement, mais en actes.
Tant permanence à travers l’histoire que reconnaissance mutuelle sont particulièrement évoquées lors de la synaxe eucharistique par la mention des Saints au Canon et aux dyptiques celle des responsables d’Église. On comprend ainsi pourquoi ces derniers sont signes de l’unité catholique dans la communion eucharistique, responsables, chacun à son plan, du maintien de la communion dans la symphonie universelle des Églises et leur fidélité commune à la tradition apostolique.
4. On retrouve donc entre ces Églises les liens de communion que le Nouveau Testament présente: communion dans la foi, dans l’espérance et dans l’amour, communion dans les sacrements, communion dans la diversité des charismes, communion dans la réconciliation, communion dans le ministère. De cette communion, l’agent est l’Esprit du Seigneur ressuscité. De par lui, l’Église universelle, catholique, intègre la diversité ou la pluralité en en faisant un de ses éléments essentiels. Cette catholicité représente l’accomplissement de la prière du chapitre 17 de l’Evangile selon Jean, reprise dans les épiclèses eucharistiques.
Le rattachement à la communion apostolique relie l’ensemble des évêques assurant l’épiskopé des Églises locales au collège des apôtres. Ils forment eux aussi un collège enraciné par l’Esprit dans le «une fois pour toutes» du groupe apostolique, témoin unique de la foi. Ceci signifie non seulement qu’ils doivent être unis entre eux par la foi, la charité, la mission, la réconciliation mais aussi qu’ils communient dans la même responsabilité et le même service de l’Église. Parce que dans son Église locale l’Église une et unique s’accomplit, chaque évêque ne peut séparer le souci de son Église du souci de l’Église universelle. Et lorsque par le sacrement de l’ordination, il reçoit le charisme de l’Esprit pour l’épiskopé d’une Église locale, la sienne, il reçoit du fait même le charisme de l’Esprit pour l’épiskopé de toute l’Église.
Dans le peuple de Dieu, il l’exerce en communion avec tous les évêques hic et nunc et charge d’Églises et en communion avec la tradition vivante que les évêques du passé ont transmise. La présence d’évêques de sièges voisins à son ordination épiscopale «sacramentalise» et actualise cette communion. Elle produit une osmose de sa sollicitude pour la communauté locale et du souci de l’Église répandue par toute la terre. L’épiskopé de l’Église universelle se trouve confiée, par l’Esprit à l’ensemble des évêques locaux, en communion les uns avec les autres. Cette communion s’exprime traditionnellement dans la pratique conciliaire. Nous aurons à examiner ultérieurement la manière dont celle-ci est conçue et réalisée, dans les perspectives de ce que nous venons de préciser.

 

UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

17 janvier, 2013

http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=747#nb1

Marie-Thérèse Desouche & Jean-François Chiron

UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE

À la suite du dernier Concile, on aime voir dans l’Église le sacrement de l’unité entre Dieu et les hommes (Lumen gentium, n° 1) ou le sacrement du salut (n° 48). Ce thème théologique peut sans difficulté être rapproché des situations qui sont aujourd’hui celles de l’Église.
Il y a deux façons de rendre compte de la mission de l’Église. L’Église peut être considérée comme destinée à rassembler tous les peuples ; on peut aussi l’envisager comme appelée à les représenter. Sans doute les deux perspectives doivent-elles être tenues simultanément. S’agissant de la première, on rappelle que, eschatologiquement, l’Église a vocation à rassembler l’humanité tout entière. De fait, pendant des siècles, le salut a été conçu uniquement sous mode d’appartenance à l’Église, seule arche du salut. La découverte de ce que l’Église ne regroupait qu’une partie de l’humanité a conduit à admettre explicitement un salut pour les non-baptisés de bonne foi. Le thème de l’Église sacrement du salut permet d’énoncer que l’Église peut être signe, mais aussi instrument de salut pour ceux qui ne lui appartiennent pas. Le salut peut ainsi être envisagé aujourd’hui sous le mode d’une relation à l’Église, autant que d’une appartenance (la première phrase de LG, n° 16 évoque une « ordination » au peuple de Dieu de ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile).
Une identité ouverte : représenter le monde
On considérera donc que, si l’Église est destinée à rassembler tous les peuples, elle doit d’abord les représenter. On peut parler de fonction sacerdotale : la mission du peuple de Dieu, un peuple minoritaire, est une fonction d’intercession pour le grand nombre, pour ceux de l’extérieur, pour le monde. Fonction de médiation : il revient au petit nombre d’assumer, devant Dieu, un rôle de représentation, qui est aussi un rôle de mise en relation, et même de réconciliation : il s’agit de réconcilier le monde avec Dieu. Rôle qui est celui du Christ (« sacrement » premier) ; qui est donc, à son rang, celui de l’Église : être le sacrement de la mission du Christ, la représenter. Celui qui est sans péché, l’Unique, meurt pour le péché de tous. Il intercède pour tous. Ainsi l’Église intercède pour tous, et d’abord pour les pécheurs. Elle représente le grand nombre auprès de Dieu, elle qui est le petit nombre. Il lui faut vivre pour ce monde, pour présenter ce monde, avec le Fils, en lui, au Père. Cela, elle le fait avant tout dans son eucharistie, célébrée « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » (qu’a fait le Christ Jésus, sinon vivre et mourir « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » ?).
C’est cela qui doit induire l’ » être au monde » de nos communautés, y compris de la façon la plus concrète qui soit : représenter le monde, intercéder pour lui. Un « être pour le monde », à la suite de celui qui a été envoyé « pour sauver les hommes ». Donc tenir une ouverture au monde, à ce monde, à cette société, sans perdre pour autant son être propre et sans cesser d’exercer une fonction critique par rapport à ce monde.
Dans la représentation ainsi comprise, l’Église pourra trouver le fondement théologique d’une culture de la minorité qui ne soit pas sectaire : une identité qui ne soit pas identitaire, une identité ouverte. Nos communautés devront continuer à honorer le statut de minorités humainement et évangéliquement positives : non pas repliées, ni agressives, cultivant le ressentiment ou la nostalgie ; mais des minorités témoins, au sens sacramentel.
Parler de l’Église comme sacrement, c’est comprendre la centralité de l’Esprit Saint. C’est dans cette ligne qu’il faut entendre l’usage que fait le concile Vatican II du mot sacrement à propos de l’Église. De son utilisation analogique du mot sacrement, ressort « le rapport de l’Église avec la puissance de l’Esprit Saint, celui qui seul donne la vie : l’Église est le signe et l’instrument de la présence et de l’action de l’Esprit vivifiant [2] ». L’Église saisit ici son identité sacramentelle épiclétique, dont l’expression la plus complète est l’eucharistie : dans l’eucharistie, l’Église se met sous l’alliance du Père en Jésus-Christ livrant son Esprit sur le monde. Elle annonce que Dieu est Dieu, qu’il sauve gratuitement, en son Fils Jésus-Christ, présent et agissant par la puissance de son Esprit. L’Église est « l’instrument » de ce mystère de vie pour l’humanité. Elle est l’espace de la rencontre entre Dieu et l’humanité.
[L'Église] œuvre pour rétablir et renforcer l’unité du genre humain à ses racines mêmes, dans le rapport de communion entre l’homme et Dieu, son Créateur, son Seigneur, et son Rédempteur [3].
Se nourrir de la Parole de Dieu
Il ne faudrait pas oublier dans cette réflexion sur l’Église comme sacrement la deuxième Table, celle de la Parole de Dieu, comme le précise le concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique Dei Verbum (n° 21) [4] : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas de prendre le pain de vie sur la Table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ. » L’exhortation apostolique Verbum Domini, qui fait suite au Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église en octobre 2008, parle explicitement des deux Tables [5] et approfondit la dimension sacramentelle de la Sainte Écriture en la fondant sur l’Incarnation du Christ et sur l’inspiration de l’Écriture, de façon plus développée que ne le faisait Dei Verbum.
Le corps eucharistique du Seigneur et son corps scripturaire sont Parole de Dieu et elles sont Pain pour le Corps de l’Église, qui est le Corps du Christ. Les diocèses l’ont bien compris, qui développent les possibilités de formations bibliques, de maisons de l’Évangile, d’écoles de la Parole, de partage de la Parole de Dieu, de lectio divina, etc. : la Parole de Dieu devient la nourriture vivante du peuple de Dieu.
La vision sacramentelle de l’Église invite à prendre en compte dans la vie quotidienne de cette Église les médiations, à commencer par les médiations institutionnelles. C’est à ce niveau notamment que la grâce doit assumer la nature et non pas l’ignorer. Il n’y a pas de vie en Église qui ne passe par les médiations fondamentales que sont l’Écriture, la communauté, les ministères, les sacrements, la liturgie, etc. Bref, ces réalités tangibles par lesquelles, à des titres divers, le salut vient à nous. Mais ne comptent pas moins, sur un plan humain, des réalités comme la parole, le pouvoir, l’argent, l’affectivité, etc. Toutes réalités sans lesquelles il n’y a ni communauté chrétienne, ni existence humaine  ; réalités qui font, selon la façon dont les croyants s’y confrontent, que leurs communautés peuvent devenir, ou non, lieux d’évangélisation et d’humanisation.
On rappellera simplement, à titre d’exemple, l’importance de ces lieux que sont les conseils, notamment presbytéraux et pastoraux (à l’échelle des diocèses ou des paroisses) : le droit canon, appuyé sur la Tradition catholique, donne le dernier mot à l’évêque ou au curé, la décision ultime, celle qui relève du ministre ordonné, peut aller contre la majorité des voix ; le tout est de savoir comment elle a été prise. Il doit être manifeste que, même dans une situation conflictuelle, tous les partenaires du débat ont été traités en personnes majeures. Cela exige, de la part du ministre ordonné (curé, aumônier… comme pour l’évêque) quelques qualités humaines de base (comme celles que rappelle PO, n° 3 – voir encadré). Il est vital, pour la bonne santé des corps que sont un presbyterium diocésain ou une communauté paroissiale, qu’un dialogue en vérité soit possible sur les questions pastorales essentielles.
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[1] Suite de l’article paru dans Esprit & Vie n° 239, p. 2-8.
[2] Jean-Paul II, encyclique Dominum et Vivificantem (1986), n° 64.
[3] Ibidem.
[4] Voir aussi Presbyterorum Ordinis n° 18.
[5] Benoît XVI, exhortation apostolique Verbum Domini, n° 68 : « Le sens théologique des deux tables de la Parole et de l’eucharistie », avec l’expression latine geminae mensae, qui présente les tables de la Parole et de l’eucharistie comme des tables jumelles.

LES 4 PRINCIPES DE LA LIBERTÉ DE L’EGLISE

16 janvier, 2013

http://www.zenit.org/article-33130?l=french

LES 4 PRINCIPES DE LA LIBERTÉ DE L’EGLISE

Note du Saint-Siège sur l’autonomie institutionnelle de l’Eglise

ROME, Wednesday 16 January 2013 (Zenit.org).
La doctrine de l’Eglise catholique relative aux aspects de la liberté religieuse affectés par les deux affaires susmentionnées peut être présentée, en synthèse, comme fondée sur les quatre principes suivants : la distinction entre l’Eglise et la communauté politique, la liberté à l’égard de l’Etat, la liberté au sein de l’Eglise, le respect de l’ordre public juste.
C’est ce qu’explique une note de la Représentation permanente du Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe, publiée ce 16 janvier 2013, dans le cadre de deux affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme (cf. Zenit du 16 mai 2012).
Note sur la liberté et l’autonomie institutionnelle de l’Eglise catholique
à l’occasion de l’examen des affaires
Sindicatul ‘Pastorul cel Bun’ contre la Roumanie (n° 2330/09)
et Fernandez-Martinez contre l’Espagne (n° 56030/07)
par la Cour européenne des droits de l’homme.
La doctrine de l’Eglise catholique relative aux aspects de la liberté religieuse affectés par les deux affaires susmentionnées peut être présentée, en synthèse, comme fondée sur les quatre principes suivants : 1) la distinction entre l’Eglise et la communauté politique, 2) la liberté à l’égard de l’Etat, 3) la liberté au sein de l’Eglise, 4) le respect de l’ordre public juste.
1. La distinction entre l’Eglise et la communauté politique
L’Eglise reconnait la distinction entre l’Eglise et la communauté politique qui ont, l’une et l’autre, des finalités distinctes ; l’Eglise ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique. La communauté politique doit veiller au bien commun et faire en sorte que, sur cette terre, les citoyens puissent mener une « vie calme et paisible ». L’Eglise reconnaît que c’est dans la communauté politique que l’on trouve la réalisation la plus complète du bien commun (cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 1910), entendu comme « l’ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (ibid., n. 1906). Il revient à l’Etat de le défendre et d’assurer la cohésion, l’unité et l’organisation de la société de sorte que le bien commun soit réalisé avec la contribution de tous les citoyens, et rende accessibles à chacun les biens nécessaires – matériels, culturels, moraux et spirituels – à une existence vraiment humaine. Quant à l’Eglise, elle a été fondée pour conduire ses fidèles, par sa doctrine, ses sacrements, sa prière et ses lois, à leur fin éternelle.
Cette distinction repose sur les paroles du Christ : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. S’agissant des domaines dont la finalité est à la fois spirituelle et temporelle, comme le mariage ou l’éducation des enfants, l’Eglise considère que le pouvoir civil doit exercer son autorité en veillant à ne pas nuire au bien spirituel des fidèles. L’Église et la communauté politique ne peuvent pas cependant s’ignorer l’une l’autre ; à des titres divers, elles sont au service des mêmes hommes. Elles exercent d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, selon l’expression du Concile Vatican II (cf. Gaudium et spes, n. 76).
La distinction entre l’Eglise et la communauté politique est assurée par le respect de leur autonomie réciproque, laquelle conditionne leur liberté mutuelle. Les limites de cette liberté sont, pour l’Etat, de s’abstenir de prendre des mesures susceptibles de nuire au salut éternel des fidèles, et, pour l’Eglise, de respecter l’ordre public.
2. La liberté à l’égard de l’Etat
L’Eglise ne revendique pas de privilège, mais le plein respect et la protection de sa liberté d’accomplir sa mission au sein d’une société pluraliste. Cette mission et cette liberté, l’Eglise les a reçues ensemble de Jésus-Christ et non pas de l’Etat. Le pouvoir civil doit ainsi respecter et protéger la liberté et l’autonomie de l’Eglise et ne l’empêcher en aucune manière de s’acquitter intégralement de sa mission qui consiste à conduire ses fidèles, par sa doctrine, ses sacrements, sa prière et ses lois, à leur fin éternelle.
La liberté de l’Eglise doit être reconnue par le pouvoir civil en tout ce qui concerne sa mission, tant s’agissant de l’organisation institutionnelle de l’Eglise (choix et formation des collaborateurs et des clercs, élection des évêques, communication interne entre le Saint-Siège, les évêques et les fidèles, fondation et gouvernement d’instituts de vie religieuse, publication et diffusion d’écrits, possession et administration de biens temporels …), que de l’accomplissement de sa mission auprès des fidèles (notamment par l’exercice de son magistère, la célébration du culte, l’administration des sacrements et le soin pastoral).
La religion catholique existe dans et par l’Eglise qui est le corps mystique du Christ. Dans la considération de la liberté de l’Eglise, une attention première doit donc être accordée à sa dimension collective : l’Eglise est autonome dans son fonctionnement institutionnel, son ordre juridique et son administration interne. Les impératifs de l’ordre public juste restant saufs, cette autonomie doit être respectée par les autorités civiles ; c’est une condition de la liberté religieuse et de la distinction entre l’Eglise et l’Etat. Les autorités civiles ne peuvent pas, sans commettre d’abus de pouvoir, interférer dans ce domaine religieux, par exemple en prétendant réformer une décision de l’Evêque relative à une nomination à une fonction.
3. La liberté au sein de l’Eglise
L’Eglise n’ignore pas que certaines religions et idéologies peuvent opprimer la liberté de leurs fidèles ; quant à elle cependant, l’Eglise reconnaît la valeur fondamentale de la liberté humaine. L’Eglise voit en toute personne une créature douée d’intelligence et de volonté libre. L’Eglise se conçoit comme un espace de liberté et elle prescrit des normes destinées à garantir le respect de cette liberté. Ainsi, tous les actes religieux, pour être valides, exigent la liberté de leur auteur. Pris dans leur ensemble et au-delà de leur signification propre, ces actes accomplis librement visent à faire accéder à la « liberté des enfants de Dieu ». Les relations mutuelles au sein de l’Eglise (par exemple le mariage et les vœux religieux prononcés devant Dieu) sont gouvernées par cette liberté.
Cette liberté est en dépendance à l’égard de la vérité (« la vérité vous rendra libre », Jn 8,32) : il en résulte qu’elle ne peut pas être invoquée pour justifier une atteinte à la vérité. Ainsi, un fidèle laïc ou religieux ne peut pas, à l’égard de l’Eglise, invoquer sa liberté pour contester la foi (par exemple en prenant des positions publiques contre le Magistère) ou pour porter atteinte à l’Eglise (par exemple en créant un syndicat civil de prêtres contre la volonté de l’Eglise). Il est vrai que toute personne dispose de la faculté de contester le Magistère ou les prescriptions et les normes de l’Eglise. En cas de désaccord, toute personne peut exercer les recours prévus par le droit canonique et même rompre ses relations avec l’Eglise. Les relations au sein de l’Eglise étant toutefois de nature essentiellement spirituelle, il n’appartient pas à l’Etat d’entrer dans cette sphère et de trancher de telles controverses.
4. Le respect de l’ordre public juste
L’Eglise ne demande pas que les communautés religieuses soient des zones de « non-droit » dans lesquelles les lois de l’Etat cesseraient de s’appliquer. L’Eglise reconnaît la compétence légitime des autorités et juridictions civiles pour assurer le maintien de l’ordre public ; cet ordre public devant respecter la justice. Ainsi, l’Etat doit assurer le respect par les communautés religieuses de la morale et de l’ordre public juste. Il veille en particulier à ce que les personnes ne soient pas soumises à des traitements inhumains ou dégradants, ainsi qu’au respect de leur intégrité physique et morale, y compris à leur capacité de quitter librement leur communauté religieuse. C’est là la limite de l’autonomie des diverses communautés religieuses, permettant de garantir la liberté religieuse tant individuelle que collective et institutionnelle, dans le respect du bien commun et de la cohésion des sociétés pluralistes. En dehors de ces cas, il appartient aux autorités civiles de respecter l’autonomie des communautés religieuses, en vertu de laquelle celles-ci doivent être libres de fonctionner et de s’organiser selon leurs propres règles.
A cet égard, il doit être rappelé que la foi catholique est totalement respectueuse de la raison. Les chrétiens reconnaissent la distinction entre la raison et la religion, entre les ordres naturel et surnaturel, et ils estiment que « la grâce ne détruit pas la nature », c’est-à-dire que la foi et les autres dons de Dieu ne rendent pas inutiles ni ignorent la nature humaine et l’usage de la raison humaine, mais au contraire encouragent cet usage. Le christianisme, à la différence d’autres religions, ne comporte pas de prescriptions religieuses formelles (alimentaires, vestimentaires, mutilations, etc.) susceptibles le cas échéant de heurter la morale naturelle et d’entrer en conflit avec le droit d’un État religieusement neutre. D’ailleurs, le Christ a enseigné à dépasser de telles prescriptions religieuses purement formelles et les a remplacées par la loi vivante de la charité, une loi qui, dans l’ordre naturel, reconnaît à la conscience le soin de distinguer le bien du mal. Ainsi, l’Eglise catholique ne saurait imposer aucune prescription contraire aux justes exigences de l’ordre public.

Saint Paul et le mystère de l’Eglise.

14 février, 2012

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Saint Paul et le mystère de l’Eglise.

Conférence du Carême 2009

La face collée à la poussière, au milieu de la route bruyante, aveuglé par la lumière qui s’abat sur lui, sur ce chemin de Damas en plein midi, Saul, le zélé, découvre que la Loi a un visage, que la grâce a le Nom, que sa quête a un sens. Il entend une voix, et ce qu’il entend change à jamais sa vie.
« Je me rendais un jour à Damas… J’étais en chemin, ô roi, lorsque vers midi je vis venir du ciel, plus resplendissante que le soleil, une lumière qui m’enveloppa de son éclat ainsi que mes compagnons de route » (Ac 26, 12).
Il donc était en chemin. Chemin de zèle, chemin de flamme. Il était en chemin pour sauver Israël d’une communauté qui ne voulait plus vivre ni selon les lois du monde païen, ni selon les traditions des pères. Ô, ces traditions si saintes et si solides, cette haïe sacrée, élevée par les docteurs autour de la Loi vivifiante, pour la protéger, pour la garder ! Si Saul est en route, c’est qu’il aime ! Il aime cette Loi, il aime ce peuple, il aime cette belle tradition qui fait fondre le peuple et la Loi en une unité indissoluble : le peuple est la Loi vécue, la Loi est la vie du peuple. Sur ce chemin de zèle il se retrouve face dans la poussière. Une voix s’adresse à lui en langue sacrée, hébraïque :
« Saoul, Saoul, pourquoi me persécuter ? Il est dur de te rebiffer contre l’aiguillon ! » Je répondis : « Qui es-tu, Seigneur ? » Le Seigneur repris : « Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes » (Ac 26, 14-15).
Celui qu’il persécutait n’était pas une idée, ce n’était pas une conception du monde, ni un système de valeurs. Bien plus, celui qu’il persécutait, c’était plus qu’une communauté, qu’un ramassis de gens, qu’une secte. Il persécutait quelqu’un. Et ce quelqu’un est le Seigneur. Jésus, le Seigneur.
Entendons ce que Paul entend. Cela est central pour notre propos. Paul persécute une doctrine, Paul persécute une communauté, et il découvre avec une évidence qui s’abat sur lui et qui l’écrase par sa majesté que cette doctrine, que cette communauté, c’est quelqu’un.
La voix du ciel ne lui dit pas : Je suis Jésus dont tu persécutes la doctrine. Elle ne dit pas : Je suis Jésus dont tu persécutes les disciples. Non. Le Seigneur lui dit : Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes. Non pas « mon Evangile », ni « mes disciples », c’est moi que tu persécutes.
Comment est-ce possible ? Le Seigneur, n’est-il pas par définition dans la gloire : majestueux, lumineux, impassible ? Jésus, élevé dans la gloire du Père, après l’humiliation et l’ignominie de la Passion, n’est-il pas hors d’attente des hommes, qui ne sont  que l’ombre qui passe ? et pourtant, et pourtant – c’est moi que tu persécutes. Paul l’a entendu : Jésus et son Eglise ne font qu’un. Jésus et son Evangile, c’est tout un. Le Christ et son Eglise, c’est tout un. Nul ne peut se séparer de l’un sans s’exclure de l’autre. Moi et mon Père, nous sommes un, et nul ne vient au Père que par moi.
Sur cette route de Damas, Paul comprend ce que les Apôtres ont entendu de la bouche de Jésus le soir où il entrait librement dans sa Passion. Le Christ disait ceci à son Père : « Pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17, 19-23).
L’union dans sa gloire et donc l’union aussi dans les persécutions : « Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tiré du monde, pour cette raison, le monde vous hait. Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront ; s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont. Mais tout cela, ils le feront contre vous à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé » (Jn 15, 18-21).
Pour Paul, cette sublime doctrine johannique se résulte en une seule phrase : Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes. Il n’y a pas d’autre accès au cœur du Père que par son Fils, mort et ressuscité pour nous. Jésus est ce don que le Père nous a fait pour nous unir à lui. S’unir au Christ, n’être plus qu’un avec lui pour s’unir en lui au Père. Et nous tous, unis au Christ, nous ne formons plus qu’un Corps, celui du Christ, nous sommes animé par l’Esprit du Christ. La communauté des croyants c’est le Christ lui-même, vivant par son Esprit en plusieurs. Conclusion pratique et nécessaire : aimer le Christ, c’est aimer l’Eglise. Persécuter l’Eglise, c’est persécuter le Christ. A cette vérité Paul restera fidèle jusqu’à sa mort ; cette vérité il la prêchera jusqu’à mourir pour elle.
Sur la route de Damas, Jésus s’est révélé à Paul. Comme il le dira, celui qui m’a appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils (Ga 1, 16). Cette révélation du Fils de Dieu et suivie d’une mission : « Relève-toi, debout sur tes pieds ! Voici pourquoi je te suis apparu : je t’ai destiné à être serviteur et témoin de la vision où tu viens de me voir ainsi que des visions où je t’apparaîtrai encore. C’est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t’envoie, moi, pour ouvrir les yeux, afin qu’elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l’empire de Satan à Dieu, et qu’elles obtiennent par la foi en moi la rémission de leurs péché et une part d’héritage, avec les sanctifiés » (Ac 26 16-18).
Voilà donc la mission de Paul, voilà son Evangile : les nations païennes sont admises au même héritage que le peuple élu, elles sont lavées du même sang et ont un même Père dans les cieux. Ecoutons-le en parler : « Dieu s’est plu à faire habiter en [Christ] toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. Vous-mêmes, qui étiez devenus jadis des étrangers et des ennemis, par vos pensées et vos œuvres mauvaises, voici qu’à présent Il vous a réconciliés dans son corps de chair, le livrant à la mort, pour vous faire paraître devant Lui saints, sans tache et sans reproche. Il faut seulement que vous persévériez dans la foi, affermis sur des bases solides, sans vous laisser détourner de l’espérance promise par l’Evangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi, Paul, je suis devenu le ministre » (Col 1, 19-23).
Au moment d’écrire ces paroles, Paul est déjà bien âgé. Il est à Rome, il est tout proche de son martyre. Il contemple l’œuvre de sa vie, il contemple le bon combat (II Tm 4, 6) qu’il a livré par fidélité à cette rencontre de la route de Damas. Il peut dire de nouveau, tout comme il disait à un roi à propos de sa conversion : « Dès lors, roi Agrippa, je n’ai pas résisté à cette vision céleste » (Ac 26, 19). Toute sa vie est là : dès lors, je n’ai pas résisté à cette vision. La vie de Paul est désormais livrée en spectacle au monde et aux anges, car il est établi ministre de l’Evangile – nous venons de l’entendre (l’espérance promise par l’Evangile… dont moi, Paul, je suis devenu le ministre), ministre de l’Eglise, inséparablement, car, nous l’avons vu – le Christ, son Evangile, son Eglise, c’est tout un. Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes !
Reprenons notre lecture de l’épître aux Colossiens, un texte si poignant et si riche ! Paul n’a jamais connu personnellement cette jeune Eglise, elle a été fondée par un de ses disciples, Epiphras. Peu avant sa mort, Paul, l’apôtre des nations, écris à cette petite communauté gravement ébranlée par la crise. En effet, il y a des docteurs – il y en aura toujours ! – qui voudraient que l’Eglise vive selon les éléments du monde. Quelle déchéance pour un baptisé que de se plier au monde ! Paul s’écrie : « Du moment que vous êtes morts avec Christ et donc soustraits aux éléments du monde, pourquoi vous plier à ses règles, comme si votre vie dépendait encore du monde ! »(Col 2, 20)
Face à cette crise, Paul répond par son ministère. Car, certes, il a été établi ministre de l’Evangile, mais inséparablement aussi – ministre de l’Eglise, car Le Christ, l’Evangile et l’Eglise c’est tout un.
« En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise. Car je suis devenu ministre de l’Eglise, en vertu de la charge que Dieu m’a confiée, de réaliser chez vous l’avènement de la Parole de Dieu, ce mystère resté caché depuis les siècles et les générations et qui maintenant vient d’être manifesté à ses saints : Dieu a bien voulu leur faire connaître de quelle gloire est riche ce mystère chez les païens : c’est le Christ parmi vous! l’espérance de la gloire! Ce Christ, nous l’annonçons, avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait dans le Christ. Et c’est bien pour cette cause que je me fatigue à lutter, avec son énergie qui agit en moi avec puissance » (Col 1, 24-29).
Je suis devenu ministre de l’Eglise. Ministre du Christ, crucifié et glorifié, ministre de sa Parole, non pas celle de la sagesse du monde, mais de l’amour du Père qui n’est que folie aux yeux du monde. Ministre de l’Eglise. De cette charge Paul s’acquitte de bon cœur, généreusement. En quoi consiste ce ministère ? Il prêche, il enseigne, il témoigne. Il encourage, il intercède, il voyage pour porter la Bonne Nouvelle toujours plus loin. Il écrit pour donner une compréhension toujours plus profonde de l’Evangile. Il baptise, peu, rarement, mais il baptise. Il veille sur l’unité ecclésiale : l’idée d’une séparation lui est insupportable. En effet, si l’Eglise est le Corps du Christ, peut-on déchirer la communauté sans profaner le Corps du Christ ? Ne pas guérir une séparation, en pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir l’unité de l’Eglise, c’est comme profaner l’Eucharistie, c’est comme déchirer le Christ. Il ramasse les fonds pour les chrétiens persécutés ou éprouvés. Il sert et ce service est sa grande joie. Ce ministère est aussi son immense souffrance.
Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous. Souffrir pour l’Eglise est une joie pour Paul. Un enfant nous était né, le Fils nous a été donné. Comment avec lui Dieu ne nous donnerait-il pas tout ? Et si son avènement chez nous, dans notre vie ne se passera pas sans résistances – avant tout de notre propre part, car la conversion coûte ! – alors c’est une joie et l’honneur que de souffrir pour cet avènement.
Le salut est accompli, il est advenu. Une fois pour toutes le Christ a lavé les péchés du monde par le sang de sa Croix. Désormais il est dans la gloire du Père. Pour lui, sa mission sur terre est terminée. Mais la nôtre ? Nous, nous sommes bien loin de la gloire. Nous ne jouissons que trop imparfaitement de cette vie que le Christ nous a apportée. De son côté, le don est fait, accomplit, parfait. De notre – il faut encore le recevoir. L’Esprit Saint, le Don dans le cœur de Dieu, le troisième de la Trinité est là pour cela – nous introduire dans la gloire que le Christ nous a donnée. Former dans notre sein le cœur du Fils. Nous faire des enfants de Dieu. Le salut est acquis, mais il n’est pas encore pleinement communiqué. C’est là, la place de l’Eglise, c’est là, le ministère de l’Apôtre : réaliser chez nous l’avènement de la Parole de Dieu, ce mystère qui demeurait cachée depuis des siècles et qui s’est manifesté à ses saints. Ce qui est déjà réalisé en Christ doit encore s’accomplir en nous. Sa Passion doit devenir la nôtre, sa gloire doit devenir la nôtre, son Père – le nôtre, son Esprit – le nôtre, sa vie éternelle – la nôtre, sa joie et ses peines – les nôtres. L’Apôtre nous engendre dans pour cette vie, et cet engendrement n’est pas sans douleur.
Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise. Dans la souffrance, l’Apôtre, comme une mère, donne naissance à ce corps historique du Christ, son Eglise. Mais que peut-il bien manquer aux souffrances du Christ ? Que pouvons-nous ajouter à cette Passion parfaite et surabondante du Christ ? Il manque aux souffrances du Christ de s’accomplir dans la chair de Paul. Tout comme il manque à la gloire du Christ de se réaliser dans ma vie, il manque à son Règne d’advenir dans mon âme et dans l’univers qui m’entoure, de même il manque à ses souffrances de s’accomplir en moi. Si le Christ a souffert, ce n’est pas pour lui, c’est pour moi. Si l’apôtre porte le fardeau de mépris, ce n’est pas pour lui, c’est pour moi. « Car Dieu, ce me semble, nous a, nous les apôtres, exhibés au dernier rang, comme des condamnés à mort ; oui, nous avons été livrés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. Nous sommes fous, nous, à cause du Christ, mais vous, vous êtes prudents dans le Christ ; nous sommes faibles, mais vous, vous êtes forts ; vous êtes à l’honneur, mais nous dans le mépris » (I Co 4, 9-10). Et les souffrances de l’Eglise, le monde les lui procure généreusement. Dès qu’une âme se met à suivre le Christ, dès qu’elle témoigne de sa vérité sans fléchir et tricher, elle y trouvera une immense joie, une récompense éternelle, sans aucune mesure avec les souffrances d’ici-bas. Mais cette âme trouvera aussi en abondance le mépris, l’incompréhension et la haine du monde.
L’œuvre de l’Apôtre est bien plus profonde que de fonder, d’organiser, de gérer ou d’instruire. Il n’est pas là pour augmenter sa popularité, son taux d’approbation. L’apôtre est là pour donner le salut du Christ. Cette œuvre est un véritable engendrement : « Auriez-vous en effet des milliers de pédagogues dans le Christ, que vous n’avez pas plusieurs pères ; car c’est moi qui, par l’Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus » (I Cor 4, 15). Regardez – dans le Fils, Paul devient un enfant de Dieu par son Esprit. Et comme le Père a envoyé son Fils pour engendrer des multitudes à la vie nouvelle et éternelle, son Fils, Jésus, envoie ses disciples donner cette nouvelle naissance à quiconque veut la recevoir, à quiconque veut vivre de son Esprit. Engendré dans l’Esprit, l’Apôtre engendre à son tour. Il est un Père de l’Eglise, dans le Fils, dans l’Esprit, par la bienveillance du Père céleste, de qui toute paternité sur terre et au ciel tire son nom (Eph 3, 15).
Non, ces disciples ne sont pas ses enfants à lui, exclusivement – ce n’est pas Paul qui est mort pour eux sur la Croix, ce n’est pas Paul qui les a régénérés par son Sang, ce n’est pas au nom de Paul qu’ils ont été baptisés (I Cor 1, 13). Mais c’est par Paul que la parole du salut et la grâce de la Croix sont parvenus jusqu’à eux ; c’est Paul qui leur a donné l’Evangile pur et solide et non pas une doctrine frelatée selon l’esprit du monde.
Qui est Paul pour l’Eglise ? Le persécuteur zélé qui devient l’Apôtre après avoir entendu sur la route de Damas ce fameux « pourquoi me persécutes-tu ? » Qui est l’Eglise pour cet Apôtre qui souffre pour elle et qui se réjouit pour elle, qui l’enseigne et qui l’engendre ? Cette Eglise est avant tout le Corps du Christ, elle est aussi son Epouse, le mystère du salut pour tout homme venant dans le monde.
Le Corps du Christ n’est pas simplement une image, ni une métaphore, c’est la réalité même de la vie chrétienne. Toujours à propos du comportement selon les éléments du monde, Paul remarque : « Que nul ne s’avise de vous critiquer sur des questions de nourriture et de boisson, ou en matière de fêtes annuelles, de nouvelles lunes ou de sabbats. Tout cela n’est que l’ombre des choses à venir, mais la réalité, c’est le corps du Christ » (Col 2 16-17). Le Corps eucharistique, bien sûr, mais le Corps ecclésial aussi. Ce monde n’est que l’ombre des réalités à venir, c’est le Corps du Christ qui est la réalité déjà présente.
Le Corps Eucharistique, car l’Eglise vit de l’Eucharistie. Et l’Eucharistie n’est pas non plus une image, un pieux souvenir, une célébration de notre vivre-ensemble, rien de tel ! Pour Paul, l’Eucharistie, c’est le Christ présent, mort pour nous en venant dans la gloire ! Pour les repas du « vivre-ensemble » vous avez vos propres maisons (Cf. I Cor 11, 22). L’Eucharistie n’est pas une fête de quartier où nous célébrons – et c’est une chose bonne et saine – la joie de notre proximité. Le repas du Seigneur est d’abord la communion à sa passion et à son avènement, et parce que tous nous ne communion qu’au seul Corps d’unique Seigneur, nous devenons un seul corps social.
« J’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi. » De même, après le repas, il prit la coupe, en disant: « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi. » Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (I Co 11, 23-26).
Saint Paul n’invente pas l’Eucharistie, il la reçoit. Il la reçoit du Seigneur lui-même (serait-ce en révélation ? serait-ce par son Eglise ?), cette coupe et ce pain ne son rien d’autre que son Corps et son sang, c’est pourquoi un respect absolu et précautionneux leur est dû. « Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne le Corps » (I Co 11, 27-29). Ce Corps est donc bien réel mais il a besoin d’être discerné comme tel. Pour s’en approcher il faut avoir la foi en cette présence et les mœurs qui vont avec, car ce Corps fait de notre pauvre corps le Temple de l’Esprit Saint.
« Le corps n’est pas pour la fornication; il est pour le Seigneur, et le Seigneur pour le corps. Et Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera, nous aussi, par sa puissance. Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? Et j’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ! Jamais de la vie ! Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps ? Car il est dit : Les deux ne seront qu’une seule chair. Celui qui s’unit au Seigneur, au contraire, n’est avec lui qu’un seul esprit » (I Co 6, 13). Pourquoi la fornication est-elle impossible pour le chrétien ? Parce que son corps est au Christ comme le corps du Christ est aux chrétiens. Le Corps de Jésus est livré pour nous dans l’Eucharistie, notre corps se livre au Christ dans ce même repas sacrificiel. En communion au Corps du Ressuscité nous communion à sa Résurrection même. Le Père qui a tiré son Fils de l’abîme de la mort par son esprit de vie, ressuscitera de même nos pauvres corps mortels. Vous le voyez bien, si la sexualité humaine doit être vécue comme humaine et non pas comme bestiale, cela ne vient pas du mépris du corps, absolument étranger à la pensée biblique, mais de la haute estime que l’Apôtre a du corps humain. Ce Corps est au Seigneur, il est déjà héritier de la gloire, je ne peux pas le traiter sans le respect profond, qui est dû. Donc du respect dû au Corps eucharistique du Seigneur – pour ne pas boire et manger sa propre condamnation ! (cf. I Co 11, 29) – naît le respect pour son propre corps, pour le corps de son prochain. De là naît aussi l’unité du Corps ecclésial.
« Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (Ep 4, 4-6).
Ce Corps personnel de Jésus, né de la Vierge, mort et ressuscité le troisième jour se donne dans son Corps eucharistique pour former son Corps ecclésial. C’est le seul et même Seigneur qui agit. Nous, qui étions loin, nous qui étions étrangers à Dieu, il nous intègre par la foi et les sacrements dans son Corps. Plus encore, il donne de prendre part à l’édification de ce corps historique de son Fils.
« C’est lui encore qui « a donné » aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l’erreur. Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le nourrissent et l’actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même, dans la charité » (Eph 4, 11-15).
Il n’y a pas de vocation plus haute, il n’y a pas de destin plus digne que de prendre part à la construction de ce Corps. Car c’est en s’unissant au Christ, notre Tête, que chaque homme reçoit le salut et la vie éternelle. L’Eglise est cet appel de Dieu adressé à tous les hommes de s’unir à lui dans son Fils, dans la chair de son Fils, l’unique Médiateur et l’unique grand prêtre de l’Alliance éternelle. Nul n’est exclut de cet appel, nul n’est de trop dans l’Eglise, mais nul ne répond sans le vouloir, sans le choisir, sans lutter.
« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tm 2, 4), affirme saint Paul. Cela signifierait-il que quelle que soit la position de l’homme, quelle que soit sa vie morale ou sa foi, le salut lui est garantit ? Non. Le salut est proposé à tous, mais il n’advient pas sans une réponse libre et sincère, ce salut n’advient pas non plus hors de la médiation du Christ. « Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués et dont j’ai été établi, moi, héraut et apôtre » (I Tm 2, 5-7). De même que Dieu est unique, que son médiateur est unique et que sa médiation est universelle, de même l’Eglise une, seule, totale accueille dans son Corps l’innombrable diversité des vocations.
« De même, que le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, en dépit de leur pluralité, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ. Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit. Aussi bien le corps n’est-il pas un seul membre, mais plusieurs » (I Co 12, 12-14).
L’unité de l’Eglise ne vient pas de nous, nous la recevons d’en-haut. Mais l’unité de l’Eglise ne se réalisera pas sans nous, nous avons à y coopérer, chacun selon la mission que Dieu lui a donnée. Comme le salut ne vient pas de nous, nous avons radicalement besoin d’être sauvés. En même temps, Dieu ne nous sauve pas sans nous : notre engagement radical est nécessaire pour que le salut divin devienne réellement le nôtre.
Il n’y a pas de base dans l’Eglise – au nom de ma jeunesse soviétique, je vous supplie, laissons à jamais ce discours pseudo-marxiste sur « un catholique de base ». Quand j’entends « moi, simple catholique de base, je m’élève, m’insurge et j’exprime mon indignation devant les inacceptable propos d’un tel », j’ai l’impression de me retrouver dans l’Union Soviétique, et en plus dans ce qu’il avait de moins glorieux… Il n’y a pas de catholiques de bases pour saint Paul. Il y a la Tête du Corps, c’est le Christ. Puis, il y a une multitude de dons, de ministères, de charismes, de service que l’Esprit du Christ accorde à ses membres de réaliser. A chacun – selon le bon vouloir de Dieu, à chacun – pour le bien du Corps tout entier, à chacun pour l’édification dans la charité dans la diversité irréductible.
« Vous êtes, vous, le corps du Christ, et membres chacun pour sa part. Et ceux que Dieu a établis dans l’Eglise sont premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les docteurs… Puis il y a les miracles, puis les dons de guérisons, d’assistance, de gouvernement, les diversités de langues. Tous sont-ils apôtres? Tous prophètes? Tous docteurs?… » (I Co 12, 27-30).
Il y a la différence essentielle des fonctions, une différence irréductible des ministères, il y a l’unité foncière de charité et l’égalité parfaite dans l’appel à la sainteté. C’est l’appel à la sainteté qui est universel, l’appel à tel ou tel ministère ne l’est jamais. Tous n’ont pas à gouverner dans l’Eglise, tous n’ont pas à enseigner, tous n’ont pas à faire des miracles, mais tous ont à aimer. Tous ont à être configuré au Christ dans le don total de soi –c’est là, le sacerdoce véritable. Tous ont à témoigner de la vérité – c’est là, le prophétisme des baptisés. Tous ont à mener sa vie et celle du monde selon la volonté aimante et sainte de Dieu – c’est là, la royauté des rachetés. A force de se mêler du ministère qui n’est pas le sien propre, nous risquons fort de passer à côté de la sainteté qui est notre appel individuel. Un des signes de cette erreur de perspective est que nous essayons de sauver l’Eglise au lieu d’être sauvés par et en elle. Paul sait que le salut du Christ est pour tout homme, il se met au service de ce salut. La communication de ce salut – c’est cela, l’Eglise. Paul ne la sauve pas, Paul la sert. Ne tâchons pas en cela être plus grand que Paul, nous risquerons fort à passer à côté de ce qui fait notre véritable grandeur – la charité qui est l’âme même de l’Eglise.
Paul est jaloux de son ministère. Oh non, il n’est pas marri de voir un autre prêcher dans l’Eglise. Mais il ne supporte pas de voir prêcher autre chose que l’Evangile dans l’Eglise. Sa jalousie est celle d’un ami d’Epoux, pas d’époux lui-même. Ce n’est pas à lui qu’il exige la fidélité, mais au Christ. Car l’Eglise ne peut pas trahir l’Evangile sans devenir adultère, prostituée, sans être infidèle à son époux. Car, vous l’avez bien saisi, l’Eglise n’est pas simplement le Corps du Christ, elle est aussi son Epouse.
Voilà ce que saint Paul dit lorsqu’il est accusé d’ambition hors normes : « Oh! si vous pouviez supporter que je fasse un peu l’insensé! Mais, bien sûr, vous me supportez. J’éprouve à votre égard en effet une jalousie divine ; car je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ… Si le premier venu en effet prêche un autre Jésus que celui que nous avons prêché, s’il s’agit de recevoir un Esprit différent de celui que vous avez reçu, ou un Evangile différent de celui que vous avez accueilli, vous le supportez fort bien » (II Co 11, 1-2).
L’Eglise est donc une Vierge pure, fiancée par l’Apôtre au Christ, son Unique Epoux. Ces fiançailles – c’est par la prédication évangélique que l’Apôtre les célèbre. Dévier de cet Evangile, c’est trahir, c’est déchoir, c’est aliéner l’œuvre de Dieu.
L’analogie du Corps mettait en lumière l’unité profonde entre le Christ et son Eglise – le corps en effet n’a pas d’autre vie que celle qu’il reçoit de la Tête. Vous ne pouvez pas appartenir au Christ sans être unis à lui par un lien vital de l’Esprit de charité qui est l’âme incréée de l’Eglise. L’analogie de l’Epouse – si présente dans la prédication de Jean le Baptiste, de Jésus lui-même, dans l’enseignement de saint Jean aussi – cette analogie là fait ressortir que l’Eglise et le Christ sont comme dans un face à face. Ils s’aiment. Ils se contemplent. Ils s’admirent. En même temps, cette réciprocité n’est pas parfaite – car c’est le Christ qui sauve, l’Eglise est sauvées. C’est le Christ qui enseigne, l’Eglise reçoit son enseignement. C’est le Christ qui glorifie, l’Eglise, elle, est glorifiée et purifiée.
Ces deux images – celle du Corps et celle de l’Epouse – sont intimement liées. Toute la mystique sponsale s’y résume. Reprenons ensemble le fameux passage de l’épître aux Ephésiens pour voir ces articulations.
« Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur : en effet, le mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l’Eglise, lui le sauveur du Corps ; or l’Eglise se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leurs maris. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise: il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée. De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Eglise : ne sommes-nous pas les membres de son Corps? Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : ce mystère est de grande portée; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise. Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari » (Ep 5, 22-33).
Admirons tout d’abord une parfaite harmonie et proportionnalité des devoirs des époux chrétiens. Tous les deux, ils sont sauvés. Tous les deux, ils doivent l’obéissance au Christ. Tous les deux ont la dignité inaliénable et égale. C’est uniquement là, où il y a une soumission de charité de tous à l’égard du Christ, que la soumission des hommes est possible. Puis, remarquez-le bien, ce ne sont pas les rapports conjugaux qui fondent les rapports du Christ et de l’Eglise, bien au contraire, c’est le mystère du salut qui est fondamental. Le mari doit se sacrifier pour sa femme, car le Christ l’a fait pour son Eglise. La femme doit respecter son mari car en elle se vit l’image de l’Eglise. Hors de ce don total de soi dans la fidélité inaliénable du Christ tout cela devient vite souffrance et hypocrisie. Le service devient domination et la responsabilité – la manipulation. Dès le moment où l’attachement vital au Christ, unique sauveur, est en cause, le Corps du Christ devient une caricature d’un parti politique (car l’Eglise n’est pas un parti politique) ; l’Epouse du Christ devient une hystérique courant au dernier divertissement du monde et se justifiant devant le monde. Si vous trouver cette image dure, relisez le chapitre 2 de Jérémie, 16 d’Ezéchiel ou les trois premiers chapitres du prophète Osée. Vous serez frappés par le réalisme avec lequel Dieu parle de la prostitution de son peuple.
Qui est Paul pour l’Eglise ? Un persécuteur qui a su entendre la voix qui lui a été adressé sur la route de Damas. Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes. En donnant foi à cette parole, il découvre en Jésus de Nazareth l’accomplissement des promesses faites à ses pères. Il reçoit en même moment une mission de porter cette nouvelle du salut à des nations lointaines qui semblaient être exclues de la miséricorde de Dieu. Lui, qui avait toutes les raisons d’être exclu de la miséricorde, devient le missionnaire de la miséricorde auprès de ceux qui vivaient sans la Loi et sans la miséricorde. Il a reconnu en Jésus le Premier-Né de toute créature et en même temps – le Premier-Né d’entre les morts, la Têtes de l’Eglise. Le Christ, son Evangile, son Corps – c’est tout un, et Paul en devient l’Apôtre.
Qui est l’Eglise pour Paul ? Le mystère. Cela ne veut pas dire une absurdité ou une insulte à l’intelligence. Le mystère – c’est le dessein bienveillant du salut, né dans le cœur du Père, réalisé par le Fils, communiqué par l’Esprit.
Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi. Que puis-je faire en retour ? Lui donner ma vie ? Mais il est dans la gloire, ce don ne lui apportera rien. Je peux donner ma vie pour son Corps qui est l’Eglise, qui rassemble les enfants de Dieu dispersé pour les mener à la lumière. Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise. Car je suis devenu ministre de l’Eglise, en vertu de la charge que Dieu m’a confiée, de réaliser chez vous l’avènement de la Parole de Dieu… (Col 1, 24-25).

fr. Pavel Syssoev

L’Église a besoin de guérison

30 juin, 2010

du site:

http://www.spiritualite2000.com/page-2349.php

L’Église a besoin de guérison

Denis Gagnon

L’Église entre dans la semaine sainte. Elle aurait sans doute souhaité y pénétrer dans un grand silence, toute occupée à méditer la passion et la résurrection de son Seigneur. Mais les scandales des prêtres et religieux pédophiles bousculent le recueillement qui convient à la mémoire du Christ.

D’un bout à l’autre des continents de l’hémisphère nord résonnent les mauvaises nouvelles. Comme la grippe, il ne suffit que d’un cas pour révéler l’épidémie. Les victimes exposent leur lourd secret et dénoncent. Honteux, des agresseurs avouent leurs crimes. Les autorités de l’Église, embarrassées, reconnaissent, condamnent ou défendent. Certains démissionnent et demandent pardon. On cherche maladroitement la transparence.

Les agressions de toute sorte – et pas seulement sexuelles – il en existe depuis les tout premiers soubresauts de vie sur la terre. Même dans les civilisations les plus raffinées, le mal fait des ravages. L’être humain a beau rêver à la perfection, le cauchemar du mal l’atteint jusqu’en ses zones les plus intimes.

Mais comment se fait-il qu’on retrouve des dépravés dans une classe de gens qui placent le respect à un haut niveau comme dans le christianisme? dans une religion qui accorde la première place aux enfants dans le royaume? dans une institution qui a une sainte horreur du mensonge?

Qui faut-il accuser? Qui est coupable? Le célibat? Mais on rencontre des criminels sexuels parmi les gens mariés. Ceux-là sont peut-être plus nombreux encore que parmi les célibataires. La loi du silence est lourde dans les familles. On ose difficilement étaler sur la place publique la honte familiale.

Les délinquants prêtres ou religieux sont peut-être plus conscients qu’on pense de leur déviance. Peut-être ont-ils cru la dépasser en choisissant un état de vie qui a donné des saints, des grands saints. Peut-être croient-ils se guérir ou, du moins, se protéger en choisissant un idéal de perfection qui a fait ses preuves. Peut-être pensent-ils qu’ils pourront arriver à sublimer leur sexualité par une vie spirituelle intense.

Dans ce drame, nous avons plus de questions que de réponses. Chaque situation est unique. Elle doit être traitée personnellement. Chaque victime a droit à sa guérison personnelle. Chaque agresseur, en toute justice, doit faire face à la situation réelle qu’est la sienne.

En cette grande semaine, l’Église prend le relai du Christ. Elle vit à son tour la passion. Comme son Seigneur, elle doit consentir à épouser les traits du serviteur souffrant en Isaïe : «Devant Dieu, le serviteur a poussé comme une plante chétive, enracinée dans une terre aride. Il n’était ni beau ni brillant pour attirer nos regards, son extérieur n’avait rien pour nous plaire. Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne; nous l’avons méprisé, compter pour rien.» (Isaïe 53, 2-3)

C’est toute l’Église qui souffre dans les victimes d’agression sexuelle. C’est toute l’Église qui est blessée dans ces gestes abominables commis sur des faibles. C’est toute l’Église qui porte l’odieux de ces crimes : les victimes, les agresseurs, les autorités, tous les membres du peuple de Dieu, tous nous sommes appelés à vivre un processus de guérison, nous engager dans une démarche de justice réparatrice, et ultimement à parvenir au pardon. La solidarité avec le Christ nous appelle à la solidarité avec nos frères et nos sœurs en humanité.

Plus que de retrouver sa crédibilité, l’Église a besoin de guérison pour être fidèle à son Seigneur et être sa présence au sein de l’humanité.