Archive pour la catégorie 'Eglise Réformée'

LE DÉSERT: FOI ÉPROUVÉE

19 février, 2015

http://le-refuge.over-blog.fr/article-le-desert-foi-eprouvee-122242965.html

LE DÉSERT: FOI ÉPROUVÉE

Blog d’Expression Protestante

Le désert, de prime abord, n’évoque rien de réjouissant : chaleur, aridité, sècheresse, soif, bêtes sauvages, danger, silence, solitude, peur, etc.
Pourtant, on y trouve aussi, en des lieux précis, des pâturages, prairies, sources d’eau (même d’eau chaude), oasis, puits …
Pour nous qui sommes chrétiens, ces réalités peuvent nous enseigner de profondes et édifiantes leçons si nous savons y discerner le sens spirituel.
Entre autre, le désert peut s’avérer être un lieu privilégié pour rencontrer Notre Créateur car notre oreille sera devenue attentive à Sa Voix.
C’est ce que nous dit, par exemple, le prophète Osée :
« C’est pourquoi voici, je veux l’attirer et la conduire au désert, et je parlerai à son cœur. » (Osée 2 :16)
Le désert nous fait peur, parce que c’est un lieu hostile, inconfortable, mais si nous sommes conduits par Dieu dans le désert, ce dernier peut alors devenir une réelle source de grandes bénédictions spirituelles.
Dans le désert nous sommes dépouillés.
Il n’y a guère d’occasions de se distraire, et nous nous retrouvons face à nous-mêmes, face à Dieu, même si nous ne sommes pas forcément et toujours conscients de cette réalité.
Dans le désert nous pouvons aussi bien y mourir, ou alors, crier à Dieu.
Si nous voulons marcher avec Dieu, sachons-le : nous connaitrons le désert.
Non seulement le désert, mais voire même plusieurs déserts durant notre pèlerinage ici-bas.
La sanctification fait partie du programme du Seigneur pour ses enfants, et le désert est un lieu de sanctification.
Nous y serons tentés et éprouvés, comme le fut Jésus lorsqu’Il dût affronter le malin, même si c’est dans une moindre mesure.
Nous y serons éprouvés par la chaleur de l’épreuve, comme nous le rappelle entre autre, l’apôtre Pierre dans son épître :
« Mes bien-aimés, ne trouvez pas étrange d’être dans la fournaise de l’épreuve, comme s’il vous arrivait quelque chose d’extraordinaire. » (1 Pierre 4 :12)
J’ai entendu dans un reportage, un vigneron dire la chose suivante :
« Le pied de vigne a besoin d’être dans une terre aride et de souffrir, pour donner une bonne récolte. Plus il souffre, meilleur sera le vin. Lorsque la terre est aride, le cep fait descendre ses racines en profondeur jusqu’à ce qu’il trouve de l’eau ».
Sans le réaliser, ce vigneron nous livre une leçon spirituelle très enrichissante.
Bénissons Dieu pour Sa Fidélité.
Les déserts dans nos vies sont inévitables, et c’est tant mieux quoi qu’on en pense ou dise.
Ils sont des bénédictions de Dieu si nous les acceptons non par résignation ou fatalisme, mais pour apprendre, savoir que Dieu nous aime comme Filles et Fils, rachetés par le Sang de Son Fils.
Dieu veut quelquefois nous libérer de notre superficialité, Il veut que nous croissions, que notre foi aille en profondeur, et que nous devenions des chrétiens affermis.
N’oublions pas le « puits » de sa Parole où nous pouvons nous désaltérer à tout moment, mais encore davantage lorsque nous sommes en pèlerinage dans le désert.
Abreuvons-nous de cette eau vive qui vient du ciel et remplissons-en notre outre pour la route.
Désaltérés par cette eau pure de la Parole, notre foi en sera affermie, et ainsi, monterons vers Dieu nos prières, supplications, intercessions, mais aussi nos actions de grâce, nos louanges, notre reconnaissance.
Gardons à l’esprit que Dieu est avec nous dans le désert.
Le Seigneur se prépare des ouvriers dans le désert afin qu’ils puissent devenir des instruments de choix au travers desquels Il pourra se glorifier lorsque nous accomplirons avec joie les bonnes œuvres que Dieu a préparé d’avance, car ne l’oublions surtout pas :
« La moisson est grande mais il y a peu d’ouvriers » ((Luc 10:2).
L’Eglise a besoin d’ouvriers qui œuvreront pour le royaume de Dieu.
Il y a du travail pour tous les enfants du Seigneur, que ce soit dans la prière ou en nous mettant au service de Dieu avec les talents dont Il nous a pourvus.
Il ne s’agit pas de tomber dans l’activisme, pour être dans « le faire », mais surtout parce que formés à l’école du désert, nous serons différents.
Etant dans « l’être » au lieu du « faire », ce que nous ferons sera le fruit de ce que Dieu aura fait de notre être.

Martin Luther disait :
« Il ne sert à rien à un arbre de croître, de fleurir si, avec ses fleurs, il ne porte pas de fruits. Beaucoup, justement, périssent tout en fleurs. »
Ne vivons donc plus exclusivement selon la tendance de ce siècle qui accentue sur le « bien-être », mais prions que Dieu nous montre ce qu’Il attend de chacun de nous individuellement dans « l’être » selon LUI.

Amen,

Dietrich Bonhoeffer : la création

3 juillet, 2012

http://www.erf-auteuil.org/protestantisme/bonhoeffer-la-creation.html

BONHOEFFER : la création

Les grandes figures du protestantisme et leur rapport à la Bible n°4

A l’université de Berlin, lorsque Dietrich Bonhoeffer y faisait ses études, prévalait la méthode historico-critique de la Bible. Cette méthode ne le satisfit pas puisqu’il déclara un jour que la critique historique des textes bibliques n’était que  » poussière et cendre « . Plus tard, il révisa quelque peu son opinion et reconnut que le travail historique sur les textes devait être fait, même si la critique avait peu à dire concernant le message de l’Ecriture. Son ami et biographe Eberhard Bethge raconte qu’il aimait, en parlant de l’exégèse biblique, évoquer l’image de la traversée d’une rivière gelée en sautant d’un caillou à l’autre.(1) Progres-sivement Bonhoeffer se détacha de la méthode historico-critique et dans le séminaire qu’il dirigea à l’université de Berlin, il pratiqua ce qu’on appelait alors l’ » exégèse pneumatique « . Dans l’Ecriture, disait-il, il y a la révélation, parce que Dieu y parle ; certes, c’est indémontrable, mais c’est de là qu’il faut partir. Pendant l’hiver 1932-1933, il donna un cours sur Genèse 1-3. Il appela sa méthode une  » Exégèse théologique  » (autre nom pour l’exégèse pneumatique) : le texte devait être lu moins comme un document du temps passé que comme parole vivante et présente.
Ce cours fut publié sous le titre Création et Chute ; l’édition française date de 1999.(2) Dans son introduction, il déclare :  » Une exégèse théologique va considérer la Bible comme le livre de l’Eglise, et c’est en cette qualité qu’elle va l’interpréter. Sa méthode n’est rien d’autre que cette présupposition et elle consiste à revenir constamment du texte à cette présupposition (le texte devant être analysé au moyen de toutes les techniques de la recherche philologique et historique). Telle est l’objectivité de la méthode de l’exégèse théologique « .
Création et Chute est un petit ouvrage fascinant, très dense du point de vue de la réflexion théologique et du langage. Les thèmes abordés sont naturellement le  » commencement  » et le  » péché  » inséparables dans la pensée de Bonhoeffer ; mais deux autres notions essentielles dans son interprétation sont la  » liberté  » et la  » limite « . Etant donné l’impossibilité de tracer ces notions-clés de l’exégèse du théologien allemand en deux pages, je me propose de vous présenter aujourd’hui  » La Création  » et de traiter  » La Chute  » dans le prochain bulletin.
Prenons pour point de départ Gen. 1, 1-2 :  » Au commencement Dieu créa le ciel et la terre « . Ce qui signifie, explique Bonhoeffer que le créateur (dans sa liberté) a créé la créature. Le rapport entre les deux n’est conditionné que par la liberté, c’est-à-dire qu’il est inconditionnel. Ce qui exclut tout recours à des catégories causales pour la compréhension de la création. Créateur et créature ne peuvent absolument pas être interprétés dans une relation de cause à effet. Il n’y a entre eux ni règle concernant la pensée ni règle concernant l’effet, ni quoi que ce soit d’autre. Entre créateur et créature, il n’y a tout simplement que le néant. On ne saurait donc avancer une nécessité qui aurait dû conduire à l’acte de la création. En somme, rien ne motive la création. C’est de ce néant que sort la création. Mais, ajoute-t-il,  » le néant n’a aucun caractère angoissant pour la première création ; au contraire, c’est la louange éternelle à la gloire du créateur qui a fait le monde à partir de rien. Le monde repose sur le néant, au commencement, et cela ne veut rien dire d’autre que ceci : le monde repose entièrement sur la liberté de Dieu. La créature appartient au créateur qui est libre « . Cela signifie aussi pour Bonhoeffer, que le Dieu du commencement, celui qui a créé dans la liberté, à partir du néant, est le Dieu de la résurrection :  » Dès le commencement, le monde est sous le signe de la résurrection de Christ d’entre les morts. Bien plus, c’est parce que nous avons connaissance de la résurrection que nous connaissons aussi la création par Dieu, au commencement, la création par Dieu à partir du néant. Le Jésus-Christ mort du vendredi saint – et le Seigneur ressuscité du dimanche de Pâque, c’est cela la création à partir du néant, la création à partir du commencement « .(3) C’est seulement à partir du Christ, de sa mort et de sa résurrection, que l’homme peut comprendre ce que veut dire  » création  » et donc ce que nous sommes. Mais d’un autre côté, ajoute Bonhoeffer,  » c’ est par la création que nous connaissons la puissance de sa résurrection car il demeure le maître du néant « . (4)
Si au commencement est Dieu, la créature, l’homme, ne se trouve pas au  » commencement « , à l’origine, ni à la fin. Il est entre. Il est, dit Bonhoeffer, dans  » l’entre-deux terrifiant « .(5) Ce n’est par une question de lieux mais de niveaux. L’homme ne se trouve pas sur le même plan que son origine. Il aimerait se projeter vers le commencement, mais ce commencement n’est pas à sa portée. La place de l’homme est l’ » entre-deux « . Il est libre, mais il lui a été donné une limite qu’il ne peut dépasser sous peine de mourir et cette limite est située au centre.
Examinons son commentaire de Gen 2, 8-17. Bonhoeffer s’interroge d’abord sur la place dans le Jardin de l’arbre de vie et de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car les notions de  » centre « , et de  » limite « , sont essentielles dans sa pensée pour comprendre le péché. A propos de l’arbre de Vie, il écrit :  » La vie qui vient de Dieu est donc au centre, ce qui signifie que Dieu, qui donne la vie, est au centre « . Cette vie, l’homme la reçoit en présence de Dieu, en qualité d’être humain ; il la reçoit  » dans son obéissance, dans son innocence, dans son ignorance, ce qui veut dire qu’il l’a dans la liberté. Le fait que l’être humain vive, c’est quelque chose qui se produit dans l’obé-issance et pour cause de liberté « .(6) Dieu n’a pas interdit à Adam de toucher à l’arbre de vie. Pourquoi voudrait-il y toucher ? Il a en effet la vie.
Il n’en est pas de même de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. De façon magistrale, Bonhoeffer démontre que l’ordre donné à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance marque la limite de la liberté de l’homme et renforce son statut de créature.  » Par l’interdiction, Adam est interpellé sur sa liberté et sur sa situation de créature, et cette interdiction se situe dans l’essence de sa propre personne « . Dans le langage imagé de la Bible, le  » mélange singulier  » qui est celui de la liberté et de la condition de créature, s’exprime par le fait que l’arbre interdit est situé au centre :  » La limite de l’être humain est au centre de son existence, dit-il, pas sur ses marges. La limite que l’on cherche sur les marges de l’être humain, c’est la limite de sa nature, de sa technique, de ses possibilités. Mais la limite qui est située au centre, c’est celle de sa réalité, tout simplement celle de son être … Reconnaître la limite au centre entraîne la limitation de toute l’existence, de l’existence humaine dans n’importe quelle attitude. Là où se trouve la limite – l’arbre de la connaissance – là aussi se trouve l’arbre de la vie – c’est-à-dire le Dieu source de vie en personne. Il est à la fois limite et centre de notre existence « . (7)
La grande originalité de sa réflexion est de démontrer que cette  » limite  » doit être comprise comme un  » don  » de Dieu, comme une grâce. Cette limite située au centre de l’être qui définit l’homme dans son rapport à Dieu, est aussi pour le théologien allemand, nous le verrons la prochaine fois, la limite qui définit l’homme par rapport à l’autre homme.

Liliane CRÉTÉ

(1) Eberhard Bethge, Dietrich Bonhoeffer, Pensée, Témoignage, Génève, Labor et Fides, 1969, p. 73.
(2) Dietrich Bonhoeffer, Création et chute, traduction Roland Levet, revue par Hans Christoph Askani, Paris, Les Bergers et les Mages, 1999.
(3) Ibid. p. 32-33.
(4) Ibid. p. 33.
(5) Ibid. p. 29.
(6) Ibid. p. 67.
(7) Ibid. p. 68.
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Myriam: une préfiguration de Marie dans l’Ancien Testament (par L’Eglise Réformée de L’Étoile)

27 juillet, 2011

du site:

http://www.eretoile.org/elements/predications/Myriam.html

Myriam: une préfiguration de Marie dans l’Ancien Testament

Exode 2, 1 à 10, et 15, 20 à 21.Nombres 12, 1 à 16.

(par L’Eglise Réformée de L’Étoile)

Prédication du pasteur Louis PERNOT le dimanche 28 novembre 2004 au Temple de l’Etoile à Paris

Qui est Marie, et quel est son rôle dans le processus du salut, c’est-à-dire dans la venue du Christ ? Le Nouveau Testament, dans les quelques passages où il est parlé de Marie, nous apporte un certain nombre d’éléments, mais pour essayer de mieux comprendre le rôle de Marie, on peut s’intéresser à toutes les Marie que l’on rencontre dans l’Ancien Testament. Les références à l’Ancien Testament sont en effet toujours essentielles dans le Nouveau. Lorsqu’un personnage dans le Nouveau Testament porte le nom d’un personnage de l’Ancien, il y a presque toujours une congruence entre ces personnages, qui se ressemblent, ou dont l’un hérite de la personnalité de l’autre par le simple fait qu’il hérite de son nom. Ainsi, par exemple, Jésus porte le nom de Josué, celui qui a fait entrer le peuple dans la Terre Promise, et c’est effectivement ainsi qu’on peut comprendre le rôle du Christ dans nos vies, puisqu’il est celui qui nous fait sortir du désert pour entrer dans la présence de Dieu.
Dans l’Ancien Testament, il n’y a qu’un seul personnage s’appelant Marie (ou Myriam, si l’on garde la translittération hébraïque) : c’est la sœur de Moïse. Et ce n’est pas un hasard si Myriam, la Marie de l’Ancien Testament, est bien la femme qui est à l’origine même de l’histoire du salut, puisqu’elle est présente au moment où Moïse va être sauvé des eaux, c’est elle qui provoque ce miracle qui sauvera Moïse. Myriam est donc à l’origine même du salut du peuple, en sauvant la vie de Moïse, tout comme Marie le sera en donnant la vie au Christ.
Myriam aura en plus l’insigne importance d’être une prophétesse, la première de l’Ancien Testament, qui n’en compte que peu. En Exode 15, elle rend grâce à Dieu d’une façon très similaire au Magnificat prononcé plus tard son homonyme Marie quand elle rendra grâce à Dieu pour la naissance du Christ. Ainsi leurs vies sont parallèles en ce qu’elles sont l’image d’une humanité toute dévouée au service de Dieu, à l’écoute de sa parole et à sa transmission, ce qui est le rôle du prophète.
Mais voilà, la vie de Myriam n’est pas que ça: elle ne vivra pas que de pure perfection, nous le voyons dans cet épisode difficile de sa jalousie à l’égard de la femme de Moïse, ce qui attire sur elle une punition : elle est frappée de la lèpre, exclue du peuple pendant sept jours, et n’y sera réintégrée qu’à la suite de l’intercession de Moïse. Cet épisode qui entache la réputation de Myriam a de l’importance dans l’Ancien Testament, car dans plusieurs livres il sera fait référence à « la lèpre de Myriam ».
Pour continuer à étudier le parallèle entre Marie et Myriam, trouve-t-on dans la vie de Marie un équivalent de ces sept jours d’exclusion du peuple à la suite desquels Marie serait réintégrée ? Et bien, précisément, ce parallèle existe, dans l’Evangile de Luc, où l’on nous dit qu’après la naissance du Christ, le huitième jour (donc au bout de sept jours) elle va offrir au Temple, selon la Loi, une paire de pigeons et faire circoncire l’enfant. Il suffit de chercher dans la Loi juive, au chapitre douze du Lévitique, la signification de cette offrande : il est écrit que toute mère qui met au monde un enfant est considérée comme impure pendant sept jours, et que le huitième, elle doit amener l’enfant pour être circoncis et apporter deux pigeons qui servent à l’expiation du péché de la mère. La mère, qui s’était tenue à l’écart, peut alors réintégrer le peuple.
On retrouve donc l’exact parallèle de l’exclusion de Myriam. Mais cela pose des problèmes en regard de la doctrine que l’on trouve à partir d’une certaine époque dans le chritianisme prétendant que Marie est née et restée toujours indemne de tout péché. Cette doctrine qui n’a été définie officiellement qu’il y a une centaine d’années, a eu cependant toujours eu de nombreux opposants. Thomas d’Aquin en particulier s’y opposait, précisément à cause de ce texte, disant que si Marie avait été sans cesse sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’offrir les deux tourterelles. Pour Thomas d’Aquin, Marie a été une femme tout à fait exceptionnelle, unique, digne de reconnaissance, d’admiration, de piété, mais ne devant pas être considérée comme ayant été absolument sans péché.
On peut penser, en effet, que l’idée que Marie soit restée toujours sans péché est fort fâcheuse : dans la piété mariale, Marie est considérée comme l’image de l’humanité rachetée qui accepte de recevoir Dieu en elle, et qui accepte le Christ dans sa vie. Cela est vrai, mais n’implique pas qu’elle soit absolument parfaite, car elle ne serait plus alors notre image à nous qui ne sommes pas parfaits. L’image de l’humanité parfaite, sans aucun péché, c’est le Christ, le seul qui mériterait absolument le salut, étant en totale union avec Dieu. Le débat sur la nature de Marie est celui des conditions dans lesquelles le Christ, le Sauveur, peut naître dans un cœur humain.
Considérer que Marie est parfaite va de pair avec un courant théologique regrettable de théologie qui a existé dans le Catholicisme et dans le Protestantisme, avec le puritanisme, ou le moralisme d’une théologie des œuvres affirmant que l’homme doit se faire son salut en progressant vers la pureté, monter vers un degré de perfection suffisant pour mériter de recevoir le Christ.
Or on peut penser que le message de l’Evangile est au contraire que le Christ peut venir dans toute humanité, même pécheresse, même bien avant d’atteindre la perfection. Nos erreurs, nos fautes, nos imperfections, nos jalousies, nos mesquineries, ne sont pas forcément des obstacles à la venue du Christ dans nos vies. C’est pourquoi je tiendrais à la non-totale perfection de Marie, en tant qu’elle est celle qui reçoit le Christ.
Si l’on regarde sans a priori ce qui est dit de Marie, la mère de notre Seigneur, dans le Nouveau Testament, on se rend compte qu’elle reste un personnage ambigu : à côté de cette dimension merveilleuse de Marie qui accepte Dieu en elle, il y a d’autres passages moins glorieux : Marie oublie Jésus à Jérusalem lorsqu’il a 12 ans, et s’en va sans lui, et lorsqu’elle revient, elle ne comprend rien quand il lui dit qu’il doit « s’occuper des affaires de a son Père ». Or oublier le Fils de Dieu, c’est le sens-même du péché chrétien. Et puis il y a ce passage très dur où elle veut voir Jésus et où il refuse d’aller vers elle en disant : Qui sont mes frères et ma mère ceux-là qui font la volonté de mon Père. Et même si l’on veut croire Jean qui dit contrairement aux autres que Marie était au pied de la croix, il y a tous ces moments où elle est totalement absente, il faut bien reconnaître que dans l’Evangile, Marie mère de Notre Seigneur, n’est pas très présente.
Mais il faut aller plus loin, et quand on cherche à savoir qui est Marie dans le Nouveau Testament, on est confronté à une invraisemblable complexité de Marie différentes : il y a Marie de Magdala, dont ont été chassés sept démons (encore un signe de péché sous le nombre sept) ; il y a Marie de Béthanie qui couvre les pieds de Jésus de parfum et les essuie avec ses cheveux ; il y a Marie la sœur de Marthe, image de la fidélité et de l’écoute du Christ ; et encore d’autres Marie que l’on n’arrive pas à déterminer. Il y a des Marie merveilleuses comme celle du Magnificat, et des Marie pécheresses comme cette prostituée qui est aux pieds de Jésus. Toutes ces Marie sont fort mélangées, et les exégètes sont en incapables de s’y retrouver, ne pouvant même pas se mettre d’accord pour savoir si Marie de Magdala est la même que celle de l’onction de Béthanie, ou la sœur de Marthe et de Lazare.
Finalement, on pourrait dire que « Marie » est un terme générique dans le Nouveau Testament, qui recouvre à la fois le meilleur et le pire, les sommets de la foi et les abîmes du péché. Cette ambiguïté, qui à mon avis est constitutive de la personne symbolique de Marie, (mais nonnécessairement de la mère de Notre Seigneur), se retrouve dans l’étymologie même du mot: on n’arrive pas à savoir ce que veut dire « Marie » en hébreu, car selon la racine choisie, cela peut venir de moras qui signifie espérance, ou de morr qui signifie amertume; cela peut venir de mora qui veut dire être belle, gracieuse, rayonnante, importante; mais aussi venir de mara qui veut dire être rebelle, révoltée.
Pour illustrer cette confusion, Marie de Magdala, Marie Madeleine, est souvent associée à la pécheresse qui parfume les pieds du Christ; et c’est à cette même Marie de Magdala, pécheresse, qu’apparaît le Christ ressuscité dans l’Evangile de Jean. Mais curieusement dans ce récit de résurrection, on nous dit qu’il apparaît à Marie, sans préciser laquelle, et ce n’est qu’à la fin du récit que Jean précise: qu’il s’agit de Marie de Magdala. Qui est-elle? On peut penser simplement qu’elle habitait Magdala. Mais en analysant le Magnificat, que Marie, mère de Jésus, n’a certainement pas prononcé en grec mais en hébreu, on remarque que Mon âme exalte le Seigneur se dit « Magdela nafshi et Adonai ». Ce qu’on traduit par Magnificat se dit en hébreu Magdala, et certains exégètes ont pensé que « Marie de Magdala » serait en fait celle que nous appellerions aujourd’hui: la « Marie du Magnificat » c’est-à-dire la mère du Christ.
C’est ainsi que l’on peut en arriver à considérer toutes les Marie du Nouveau Testament comme un terme générique pour la pâte humaine, qui comprend la mère du Seigneur et la pécheresse, un ensemble logique qui n’est pas perfection pure, mais simplement l’humanité telle que nous sommes, avec ses élans magnifiques et aussi ses mesquineries et ses fautes. La bonne nouvelle est là : la perfection totale n’est pas une nécessité, notre imperfection n’est pas un obstacle, mais cependant le Christ n’apparaît pas n’importe où.
Dans toutes ces Marie, il y a un péché, mais ce qui est particulier, c’est que ce péché est toujours assumé, reconnu, et qu’un effort est fait pour le corriger : soit l’intercession de Moïse et les sept jours où Myriam est exclue ; soit les deux tourterelles offertes sept jours après la naissance du Christ ; soit les sept démons sortis par le Christ ; soit le parfum et la demande de repentance de la pécheresse qui vient en pleurant sur son péché. Dans tous les cas, la condition pour la venue du Christ n’est pas une pure perfection, mais c’est une humilité à l’égard de sa situation, de sa propre possibilité d’imperfection. C’est le sens du Magnificat : Il a baissé les yeux sur son humble servante : c’est cela qui a permis à Marie d’être la mère de Notre Seigneur, plus qu’une éventuelle pureté, c’est sa réceptivité, son humilité, son accueil du plan de Dieu dans son cœur.
Le Christ, pour nous, est un idéal un peu lointain : qui pourrait, en effet, devenir semblable au Christ ? Mais s’il est présomptueux de vouloir ressembler au Christ, nous devrions essayer de ressembler à Marie, ou plutôt aux Marie, c’est-à-dire à cette image de l’humanité qui nous est donnée dans le Nouveau Testament, telle qu’elle est, avec ses défauts et ses qualités, mais qui sait qu’elle vit sous la grâce, qui sait que le salut ne se gagne pas mais se reçoit, et qui sait qu’on ne doit pas tant essayer de ressembler au Christ que de le recevoir dans son cœur.
Là est l’essence même du Christianisme : savoir que nous ne pouvons nous arracher à notre condition pour devenir de plus en plus parfaits et progresser pour ressembler au Christ ; mais nous devons apprendre à nous ouvrir, à recevoir le Christ comme une réalité jusqu’au fond de notre cœur, à laquelle nous devons donner le jour dans notre vie, à laquelle nous devons donner naissance.
Voici donc ce que nous enseigne Marie : partout dans l’Evangile, là où sont les Marie, là se trouve la clé de voûte du salut, c’est en elles que nous comprenons qui nous sommes, et comment être en position de recevoir le Christ dans nos vies. C’est dans ces Marie, de l’Ancien et du Nouveau Testament, que nous devons être pour l’humilité, la fidélité, la joie, et pour le service.