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9 novembre : Fête de la dédicace de la Basilique Saint-Jean du Latran
Rappel historique
A. Corsini, Monument en l’honneur de Louis XV, chapelle Sainte Anne, sacristie, Saint-Jean-de-Latran, Rome, (stuc, marbre et lapis-lazuli). En 1729, Louis XV offrit au chapitre de Saint-Jean-de-Latran les revenus de deux prieurés dépendant de l’abbaye de Clairac. En remerciement, les chanoines décidèrent de lui élever un monument: l’œuvre en stuc, marbre, lapis-lazuli et bronze doré est toujours conservée dans la sacristie au-dessus d’une porte de la chapelle Sainte Anne.
Des documents retrouvés aux archives du chapitre du Latran permettent de retracer l’élaboration de ce monument resté jusqu’à présent totalement méconnu des historiens d’art. Le grand relief, qui s’inscrit dans la tradition des imposants monuments de la Rome baroque, fut sculpté par l’artiste bolonais Agostino Corsini de 1730 à 1733.
Si le monument fut connu à Versailles par l’envoi d’estampes gravées par Miguel Sorello, son érection semble avoir été ignorée à Rome. La correspondance de l’ambassadeur de France en Italie évoque à cette période divers problèmes diplomatiques soulevés à l’occasion de la construction de la façade orientale du Latran, et montre combien ce contexte historique très particulier était peu favorable à la célébration du monument en l’honneur de Louis XV.
Servant des servants de Dieu:
le Pape Innocent XIII officie au Latran
Extrait des Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803,
(Paris, Garnier Frères, s.d. – vers 1839),
Tome II, pp133-135:
Au moment où le pape Innocent XIII faisait son entrée dans la Basilique de Saint-Jean de Latran qui est l’église cathédrale de Rome, car celle de Saint-Pierre n’est, à proprement parler, qu’un grand oratoire et que la chapelle palatine du Vatican, ceci dans la hiérarchie sacerdotale, au moins, et suivant les traditions presbytérales de la ville sainte, je vous dirais que je m’y trouvais placée dans une tribune, à côté de la Duchesse d’Anticoli, belle-soeur du Pape, et qu’on y vit s’exécuter subitement, au milieu de la nef et du cortège, un temps d’arrêt, précédé par une sorte de mouvement tumultueux dont il était impossible de s’expliquer la cause. Nous vîmes ensuite que toute cette foule empourprée, solennelle et surdorée des Princes de l’Eglise et des Princes du Soglio, s’éloigna du Saint-Père en laissant un grand cercle vide autour de lui. Les douze caudataires du Pape avaient laissé tomber son immense robe de moire blanche qui couvrait, derrière lui, peut-être bien soixante palmes de ce beau pavé de Saint-Jean de Latran. (Je me rappelle que ces caudataires étaient revêtus de vastes simarres en étoffe d’or avec des bordures en velours cramoisi.) Cependant, le Pape était resté debout, tout seul au milieu de la nef, la tiare en tête et la crosse d’or à la main. — Chi sa? Chi non sa? Che sarà dunque? — C’était un transtevère, un villanelle, un soldat peut-être, et c’était dans tous les cas un homme du peuple avec un air sauvage et la figure d’un bandit, qui avait demandé à se confesser au Souverain Pontife, afin d’en obtenir l’absolution d’un caso particolar e pericoloso. Le Saint-Père n’avait pas voulu se refuser à cette demande, qu’il aurait pu trouver téméraire, en bonne conscience, et sans manquer à la charité pontificale ; il se fit spontanément, comme on a dit pour la première fois à l’assemblée nationale, un profond silence, et pendant cette confession, qui dura huit ou dix minutes, notre Saint Père eut constamment son oreille inclinée jusqu’à la bouche de ce villageois qui était agenouillé à ses pieds. Je remarquai que tout de suite après avoir entendu les premiers mots de cet aveu, la figure du Pape était devenue d’une pâleur extrême: il avait eu l’air d’éprouver un saisissement douloureux, un sentiment d’effroi compatissant et de consternation. Après avoir proféré quelques paroles à voix très basse, il imposa une de ses mains sur la tête du pénitent auquel il fit baiser l’anneau du Pêcheur, et Sa Sainteté (c’est un mot qui n’est pas ici de simple formule) éleva pour lors sa tête et ses yeux vers le ciel, avec un air de simplicité, de miséricorde et de majesté surhumaine! — Les Cardinaux chefs d’ordres, les Princes romains, les Patriarches latins et grecs, avec les autres Assistants du Soglio, reprirent leurs places auprès du Souverain Pontife: la magnifique procession se remit en marche, et cet homme alla se perdre dans la foule.
Sermon sur la dédicace de l’Eglise
La dédicace que nous commémorons aujourd’hui concerne, en réalité, trois maisons. La première, à savoir le sanctuaire matériel, est établie soit dans une maison réservée jadis à des usages profanes et convertie en église soit dans une construction neuve destinée au culte divin et à la dispensation des biens nécessaires à notre salut (…) Il faut certes prier en tout lieu et il n’y a vraiment aucun lieu où l’on ne puisse prier. C’est une chose pourtant très convenable que d’avoir consacré à Dieu un lieu particulier où nous tous, chrétiens qui formons cette communauté puissions nous réunir, louer et prier Dieu ensemble, et obtenir ainsi plus facilement ce que nous demandons, grâce à cette prière commune, selon la parole : « Si deux ou trois d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père.1 »
(…) La deuxième maison de Dieu, c’est le peuple, la sainte communauté qui trouve son unité dans cette église, c’est-à-dire vous qui êtes guidés, instruits et nourris par un seul pasteur ou évêque. C’est la demeure sprituelle de Dieu dont notre église, cette maison de Dieu matérielle, est le signe. Le Christ s’est construit ce temple spirituel pour lui-même, il l’a unifié et l’a consacré en adoptant toute les âmes qu’il fallait sauver et en les sanctifiant. Cette demeure est formée des élus de Dieu passés, présents et futurs, rassemblés par l’unité de la foi et de la charité, en cette Eglise une, fille de l’Eglise universelle, et qui ne fait d’ailleurs qu’un avec l’Eglise universelle. Considérée à part des autres Eglises particulières, elle n’est qu’une partie de l’Eglise, comme le sont toutes les autres Eglises. Ces Églises forment cependant toutes ensemble l’unique Eglise universelle, mère de toutes les Eglises. Si donc on la compare avec l’Eglise tout entière, cette Eglise-ci, notre communauté, est une partie ou une fille de toute l’Église et, en tant que sa fille, elle lui est soumise, puisqu’elle est sanctifiée et conduite par le même Esprit.
En célébrant la dédicace de notre église, nous ne faisons rien d’autre que de nous souvenir, au milieu des actions de grâce, des hymnes et des louanges, de la bonté que Dieu a manifestée en appelant ce petit peuple à le connaître. Nous nous rappelons qu’il nous a aussi accordé la grâce non seulement de croire en lui, mais encore de l’aimer, lui, Dieu, de devenir son peuple, de garder ses commandements, de travailler et de souffrir par amour pour lui.
(…) La troisième maison de Dieu est toute âme sainte vouée à Dieu, consacrée à lui par le baptême, devenue le temple de l’Esprit Saint et la demeure de Dieu. (…) Lorsque tu célèbres la dédicace de cette troisième maison, tu te souviens simplement de la faveur que tu as reçue de Dieu quand il t’a choisi pour venir habiter en toi par sa grâce.
Lanspergius le Chartreux2
1 Evangile selon saint Matthieu, XVIII 19.
2 Johannes-Justus Grecht est dit Lanspergius, du nom de sa ville natale, Landsberg (Lanspergius, en latin), qui est située sur le Lech, en haute Bavière. Né vers 1490, il étudia la philosophie à la faculté des arts de Cologne. Bachelier ès arts, il entra à la chartreuse Sainte-Barbe de Cologne où il fit profession en 1509. Après des études théologie, il fut ordonné prêtre. Selon ce qu’il écrivit dans une lettre de direction, il estimait beaucoup le silence cartusien et la curiosité excessive lui pesait ; « en dix ans, il ne rompit jamais le silence consciemment et de son propre mouvement. » Son confrère Bruno Loher, auteur de sa Vita, loue son ascèse rigoureuse, sa piété et ses vertus ; il mentionne notamment le témoignage de parfaite obéissance aux supérieurs exprimé peu avant sa mort. De 1523 à 1530, il fut vicaire et maître des novices. De 1530 à 1535, il fut prieur de la chartreuse de Vogelsang ; il était en même temps prédicateur à la cour de Jean III, duc de Juliers, Clèves et Berg, et confesseur de la duchesse Marie. Entre temps, il fut aussi co-visiteur de la province rhénane de son ordre. Malade, il revint comme vicaire à la chartreuse de Cologne. Il mourut le 11 août 1539, « après avoir mené pendant trente ans une vie sainte et digne de louanges dans le saint ordre des chartreux. » La chartreuse de Cologne étant un centre spirituel très actif, Lanspergius eut une grande influence jusqu’au XVIII° siècle où saint Alphonse-Marie de Ligori le tient pour un grand maître spirituel.
Sermon CCCXXXVI
La solennité qui nous réunit est la dédicace d’une maison de prière. La maison de nos prières, nous y sommes ; la maison de Dieu, c’est nous-mêmes. Si la maison de Dieu, c’est nous-mêmes, nous sommes construits en ce monde, pour être consacrés à la fin du monde. L’édifice, ou plutôt sa construction, se fait dans la peine ; la dédicace se fait dans la joie.
Ce qui se passait, quand s’élevait cet édifice, c’est ce qui se passe maintenant quand se réunissent ceux qui croient au Christ. Lorsque l’on croit, c’est comme lorsque l’on coupe du bois dans la forêt et que l’on taille des pierres dans la montagne ; lorsque les croyants sont catéchisés, baptisés, formés, c’est comme s’ils étaient sciés, ajustés, rabotés par le travail des charpentiers et des bâtisseurs.
Cependant, on ne fait la maison de Dieu que lorsque la charité vient tout assembler. Si ce bois et cette pierre n’étaient pas réunis selon un certain plan, s’ils ne s’entrelaçaient pas de façon pacifique, s’ils ne s’aimaient pas, en quelque sorte, par cet assemblage, personne ne pourrait entrer ici. Enfin, quand tu vois dans un édifice les pierres et le bois bien assemblés, tu entres sans crainte, tu ne redoutes pas qu’il s’écroule.
Le Christ Seigneur, parce qu’il voulait entrer et habiter en nous, disait, comme pour former son édifice : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres.3 C’est un commandement, dit-il, que je vous donne. » Vous étiez vieux, vous n’étiez pas une maison pour moi, vous étiez gisants, écroulés. Donc, pour sortir de votre ancien état, de votre ruine, aimez-vous les uns les autres.
Que votre charité considère encore ceci : cette maison est édifiée, comme il a été prédit et promis, dans le monde entier. En effet, quand on construisait la maison de Dieu après la captivité, on disait dans un psaume : « Chantez au Seigneur un chant nouveau ; chantez au Seigneur terre entière.4 » On disait alors : « un chant nouveau » ; le Seigneur a dit : « un commandement nouveau. » Qu’est-ce qui caractérise un chant nouveau, sinon un amour nouveau ? Chanter est le fait de celui qui aime. Ce qui permet de chanter c’est la ferveur d’un saint amour.
Ce que nous voyons réalisé ici physiquement avec les murs doit se réaliser spirituellement avec les âmes ; ce que nous regardons ici accompli avec des pierres et du bois, doit s’accomplir dans vos corps, avec la grâce de Dieu.
Rendons grâce avant tout au Seigneur notre Dieu : les dons les meilleurs, les présents merveilleux viennent de lui. Célébrons sa bonté de tout l’élan de notre coeur. Pour que soit construite cette maison de prière, il a éclairé les âmes de ses fidèles, il a éveillé leur ardeur, il leur a procuré de l’aide ; à ceux qui n’étaient pas encore décidés, il a inspiré la décision ; il a secondé les efforts de bonne volonté pour les faire aboutir. Et ainsi Dieu, « qui produit, chez les siens, la volonté et l’achèvement parce qu’il veut notre bien », c’est lui qui a commencé tout cela, et c’est lui qui l’a achevé.
Saint Augustin
(sermon pour une dédicace)
3 Evangile selon saint Jean, XIII 34.
4 Psaume XCVI (XCV) 1.
La liturgie
La liturgie de la dédicace vise essentiellement à préparer un lieu pour la célébration eucharistique, une demeure de Dieu parmi les hommes. « C’est, a écrit le R.P Louis Bouyer, la sacralisation du lieu où s’accomplit l’Eucharistie dans l’Eglise, mais on pourrait aussi bien dire du lieu où l’Eglise s’accomplit dans l’Eucharistie. »
La dédicace utilise largement le quadruple symbolisme de l’eau de l’huile, du feu et de la lumière. Certains de ses rites, de caractère apotropaïque remontent à la nuit des temps : toutes les religions, en effet, ont délimité des espaces sacrés en commençant par en détourner (c’est le sens du mot apotropaïque) les puissances maléfiques.
Il y a donc, dans la liturgie de la dédicace, une bénédiction de l’eau suivie d’une aspersion des fidèles et de l’autel : « O Dieu, cette eau, sanctifiez-la donc par votre bénédiction ; répandue sur nous, qu’elle devienne le signe de ce bain salutaire où, purifiés dans le Christ, nous sommes devenus le temple de votre Esprit. Nous vous en supplions, faites qu’elle soit délivrée de la maligne influence des esprits impurs et que tous les maux s’en éloignent par la vertu de votre bienveillante protection. Quant à nous qui, avec tous nos frères, allons célébrer les divins mystères, accordez-nous de parvenir à la Jérusalem céleste. »
Déjà apparaît dans cette oraison de bénédiction ce qui est sous-jacent à toute la liturgie de la dédicace son aspect eschatologique ; l’église de pierres est l’image et la préfiguration de l’Eglise du Ciel. Cette Eglise du Ciel, on n’y arrive que par le passage obligé de la Croix du Christ. Le mystère chrétien est mystère de mort et de résurrection ; cela est éclatant dans la liturgie baptismale. Le monde entier doit être reconquis par la Croix, cette Croix sur laquelle le Christ s’est offert à son Père dans le sacrifice par lequel il a racheté le monde. C’est pourquoi, dans le rite de la dédicace, douze croix sont tracées sur les murs de l’église et chacune d’elle est ointe de saint chrême par l’évêque après qu’il en ait largement répandu sur l’autel. En cette consécration de l’autel culmine d’ailleurs toute la liturgie de la dédicace.
Dans l’autel du sacrifice eucharistique on place solennellement des reliques de martyrs et de saints apportées en procession. Elles associent en quelque sorte, à l’unique sacrifice du Christ offert une fois pour toutes, les martyrs qui ont donné leur vie pour Lui et les autres saints qui ont vécu pour Lui, complétant, comme le dit saint Paul, ce qui manque à la Passion du Christ.
Après ce rite qui se déroule au chant de psaumes et d’antiennes, l’évêque embrase l’encens qu’il a répandu sur l’autel : au rite et au symbole de l’eau, puis de l’huile, s’ajoute celui du feu qui se complétera par l’illumination des cierges lorsque l’autel aura été recouvert de nappes neuves et blanches, tout comme les nouveaux baptisés sont revêtus de vêtements blancs. Des psaumes, des répons et des antiennes accompagnent ces rites significatifs par eux-mêmes mais dont les textes bibliques chantés accentuent encore le sens profond.
La prière consécratoire chantée par l’évêque, et la Préface qui introduit le canon de la messe qui suit, font percevoir « comment dans l’Eglise de la terre nous participons déjà à l’Eucharistie perpétuelle, à l’action de grâce perpétuelle des chœurs angéliques, et au culte éternel du Père par son Fils incarné. » L’une et l’autre formulent de la manière la plus expressive l’assomption et la rénovation, dans l’unique consécration du sacrifice chrétien, de toutes les formes de consécration antérieures, soit naturelles, soit de l’Ancien Testament.
« Nous vous supplions instamment, Seigneur, de daigner répandre votre grâce sanctificatrice sur cette église et sur cet autel, afin que ce.lieu soit toujours saint et cette table toujours prête pour le sacrifice du Christ. Qu’en ce lieu, l’onde de la grâce divine engloutisse les péchés des hommes afin que, morts au péché, vos fils renaissent à la vie céleste. »
« Qu’en ce lieu retentisse un sacrifice de louange qui vous soit agréable ; que monte sans cesse vers vous la voix des hommes unie aux chœurs des anges et la supplication pour le salut du monde. »
« Père Saint, vous qui avez fait du monde entier le temple de votre Gloire, afin que votre nom fût glorifié en tous lieux, vous ne refusez pas cependant que vous soient dédiés des lieux propres à la célébration des divins mystères : dans l’allégresse nous consacrons donc à votre majesté cette maison de prière que nous avons construite. »
« En ce lieu est abrité le mystère du vrai Temple et l’image de la Jérusalem céleste y est figurée d’avance : en effet, du Corps de votre Fils, né de la Vierge Marie, vous avez fait un temple qui vous est consacré et en qui habite la plénitude de la divinité. Vous avez établi l’Eglise comme la cité sainte, fondée sur les Apôtres. Elle a pour pierre d’angle le Christ Jésus et doit être construite de pierres choisies, vivifiées par l’Esprit et cimentées par la charité; Cité où vous serez tout en tous, à travers les siècles et où brillera éternellement la lumière du Christ. »