Pour une « éducation intégrale » : discours de Mgr Follo à l’UNESCO
20 octobre, 2009du site:
http://www.zenit.org/article-22384?l=french
Pour une « éducation intégrale » : discours de Mgr Follo à l’UNESCO
Le grand chantier de l’éducation
ROME, Lundi 19 octobre 2009 (ZENIT.org) – Dans le grand « chantier » de l’éducation, et d’une éducation « intégrale », Mgr Follo rappelle qu’il ne s’agit pas seulement de sélectionner « des savoirs enseignés » mais à côté des « connaissances à acquérir » de promouvoir des « valeurs à assimiler » et des « vérités à découvrir ».
Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, est intervenu le 13 octobre devant la 35ème Conférence générale de l’UNESCO sur le thème : « Pour une « éducation intégrale ».
M. le Président de la Conférence générale.
Excellences,
En ces moments cruciaux pour la vie de millions d’êtres fragilisés par la crise financière, économique et sociale qui affecte aujourd’hui le monde entier, on ne peut que se réjouir de voir l’UNESCO demeurer fidèle à son intuition fondatrice et souhaiter participer avec plus d’efficacité à l’humanisation de tout être humain et à l’éducation des plus pauvres. Le moyen choisi aujourd’hui est de sauvegarder et d’augmenter le budget éducatif de l’UNESCO, tout particulièrement le programme « Education pour tous ».
Cependant, doit-on se contenter, dans le cadre de l’UNESCO, de se limiter à définir des priorités fussent-elles dignes de louange comme celles dédiées à l’Afrique, continent pauvre et oublié, et à la promotion des femmes ? Si l’UNESCO veut pouvoir favoriser l’universalité et l’effectivité de normes éthiques à l’égard du développement de tous par l’éducation, particulièrement des plus démunis, il faut, comme dans d’autres débats, qu’elle ose engager une réflexion plus fondamentale sur l’exigence universelle du respect de l’être humain et sur le type d’éducation pour tous que cela suppose. Car le point faible de la multiplication des priorités que l’on définit actuellement, c’est de réduire le problème philosophique et éthique de l’éducation et du développement humain à des questions purement techniques. Seule une réflexion fondamentale sur « l’éducation intégrale » et sur l’anthropologie qu’elle suppose devrait nous conduire à désigner ce qui est effectivement humanisant pour toute l’humanité et particulièrement pour les plus pauvres et les femmes.
Mais que dit-on par « éducation intégrale » ? En adoptant l’expression « éducation intégrale », nous nous référons à l’acception utilisée en 1993 dans le Document final de la Conférence mondiale sur les Droits de l’homme organisée par les Nations Unies qui demandait : « d’orienter l’éducation vers le plein épanouissement de la personne et le renforcement des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’agit là d’une éducation intégrale capable de préparer des sujets autonomes et respectueux de la liberté et de la dignité d’autrui. » Dans cette ligne, nous le savons, la défense et la promotion du droit à l’éducation dont l’UNESCO a fait son axe majeur, concerne non seulement la possibilité pour chaque être humain de se cultiver, de développer ses talents et par-là de participer à la vie publique, économique et sociale, mais encore la capacité à s’humaniser véritablement et à jouir pleinement de la dignité inhérente à toute personne humaine. Il ne s’agit donc pas seulement de jouer une éducation interculturelle où enfants et adolescents d’ethnies, races, cultures et sexes différents apprendraient à se respecter par le dialogue même si une visée d’éducation interculturelle prend au sérieux les manquements et les entraves à l’égalité et à la justice qui résultent de la catégorisation ethnique. L’éducation intégrale doit aussi comprendre l’apprentissage de la vie en commun, de la solidarité. Cela passe par l’apprentissage des responsabilités.
Une deuxième acception à laquelle nous nous référons n’est pas très éloignée de celle prônée par l’ONU. Il s’agit de celle mise en valeur par l’Eglise catholique pour définir son projet éducatif comme « éducation intégrale de la personne humaine ». Ce projet d’éducation vise à former la personne dans l’unité intégrale de son être, intervenant avec les moyens de l’enseignement et de l’apprentissage là où se forment « les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie »1. Ce projet éducatif soutient que, « dans le contexte de la mondialisation, il convient de former des sujets capables de respecter l’identité, la culture, l’histoire, la religion et surtout les souffrances et les besoins des autres, dans la conscience que tous, nous sommes vraiment responsables de tous »2). Dans ce contexte, il devient particulièrement urgent d’offrir aux jeunes un parcours de formation scolaire qui ne se réduise pas à l’utilisation individualiste et institutionnelle d’un service qui aurait pour but la seule obtention d’un diplôme. L’immense avantage de ce projet éducatif est qu’il existe déjà en pratique travers le monde, riche de toute une histoire et d’une puissance d’imagination et de créativité. En dépit de réelles difficultés économiques ou politiques, ce projet éducatif se veut coresponsable du développement social et culturel des diverses communautés et des peuples, dont l’école catholique fait partie, en partageant leurs joies et leurs espérances, leurs souffrances, leurs difficultés et leur engagement pour un authentique progrès humain et communautaire. Dans cette perspective, il faut mentionner la précieuse contribution que ce type d’éducation intégrale offre au développement spirituel et matériel des peuples moins favorisés, en se mettant à leur service3. Des expériences comme celle mise en œuvre par les frères des écoles chrétiennes au Cameroun avec le programme EVA (éducation à la vie et à l’amour pour éviter le SIDA) montrent toute l’extension que peut prendre cette éducation intégrale : il s’agit ici de faire changer le comportement sexuel des jeunes en conformité avec les grands axes de l’action mondiale et régionale, tout en tenant compte du contexte psychoaffectif, social, culturel, religieux et familial.
Pour que cette éducation intégrale puisse permettre aux enfants et aux jeunes gens non seulement d’acquérir une maturité humaine, morale et spirituelle, mais aussi de s’engager dans la transformation de la société, l’Eglise catholique invite profondément à réfléchir l’anthropologie qui la porte. « On veut oublier que l’éducation présuppose et implique toujours une conception déterminée de l’homme et de la vie. A la prétendue neutralité scolaire correspond, le plus souvent, l’éloignement pratique de la référence religieuse du champ de la culture et de l’éducation. Une vision pédagogique adéquate est au contraire appelée à se mouvoir sur le terrain plus décisif des fins, à se préoccuper non seulement du « comment », mais aussi du « pourquoi », à dépasser la méprise d’une éducation aseptique, à rendre au processus éducatif ce caractère unitaire qui empêche la dispersion dans la diversité des connaissances et des acquisitions en mettant au centre la personne dans son identité globale, transcendantale et historique. »4 On ne peut pas éduquer l’homme quand, par exemple, on le réduit à une anthropologie dérivée d’une conception selon laquelle l’homme n’est que liberté, décision, subjectivité, séparées de la transcendance et de la vérité. On ne peut pas éduquer un être humain quand on n’arrive pas à articuler l’égalité des sujets dans leurs différences culturelles et sexuelles. Or l’a-t-on assez remarqué, la différence est un fait alors que l’égalité relève de la norme. Le principe de différence n’a donc pas ici le même statut que le principe d’égalité. Nul n’imagine que l’égalité soit un fait.
Dans l’aire culturelle occidentale, les philosophes restent souvent impuissants à comprendre l’égalité dans la différence ; l’égalité des sexes étant exemplaire de cette difficulté. Mais on ne peut pas en dire autant de la Bible et du message transmis par l’Eglise. Le texte fondateur qui contient « les vérités fondamentales de l’anthropologie » comme le notait le pape Jean-Paul II dans Mulieris dignitatem §6, est ici celui de la Genèse : « Dieu a fait l’homme (l’être humain) à son image et à sa ressemblance, mâle et femelle il les créa ; » (Gn 1, 27). La définition de l’être humain n’est perceptible que dans les deux sexes à la fois. « l’homme et la femme a un degré égal, tous deux crées à l’image de Dieu ». La foi chrétienne nourrit donc la conviction que nul ne peut jamais dénier à un être humain, homme ou femme, la valeur constitutive que Dieu a octroyée à chacun et qu’il n’aliène jamais. Elle garantit les droits de l’homme par sa référence à l’amour divin qui nous fonde et nous recrée toujours à nouveau.
En conclusion, cette éducation intégrale, qui est l’accès de l’homme à sa plein humanité, est une voie exigeante mais nécessaire. Elle est « une nécessité primordiale pour la lutte contre la pauvreté » afin que l’économie soit à service de l’homme. L’Education est une priorité, mais elle doit être intégrale parce que « une information technique et scientifique n’est pas suffisante pour éduquer des femmes et des hommes responsables dans leur famille et à tous les échelons de la Société »5.
L’éducation intégrale est à ce titre un chantier ouvert, difficile et nécessaire.
Un chantier ouvert, parce que elle doit être un événement, une approche systématique qui aide à vivre l’éducation comme rencontre dialogique avec d’autre personnes (du passé et du présent) et d’autres cultures, et pas uniquement comme instruction et comme apprentissage des données figées. Un chantier difficile, car il implique une approche critique quant à la sélection des savoirs enseignés et aux rapports à ces savoirs. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir. Une approche critique quant à l’interprétation des valeurs fondamentales des sociétés occidentales sécularisées. Le droit de la personne à recevoir une éducation adéquate selon son libre choix doit être assuré. Une approche critique enfin quant à la nature sociale de l’espace scolaire. La communauté éducative, globalement prise, est appelée à promouvoir l’objectif d’une école comme lieu de formation intégrale à travers la relation interpersonnelle et la responsabilité. C’est aussi un chantier nécessaire : le courant de réflexion sur l’éducation intégrale prend en charge spécialement la contradiction, patente dans la vie politique mais peu pensée en éducation, entre, d’un côté, les tensions identitaires, les discriminations et, de l’autre, les valeurs de la communion à l’intérieur du corps social et politique. C’est donc un des courants qui peut alimenter la réflexion, aujourd’hui très riche, sur l’éducation à la citoyenneté.
Merci de votre attention.