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L’ÉDUCATION DE LA FEMME SELON EDITH STEIN

3 novembre, 2015

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L’ÉDUCATION DE LA FEMME SELON EDITH STEIN

Isabelle Raviolo

« Je me souviens de ma première rencontre avec Edith Stein(…), ses exposés profonds sur la femme, sa mission selon la nature et selon la grâce, et sur la femme dans l’activité professionnelle. » Maria Wilkens, dans W. Herbstrith, Le vrai visage d’Edith Stein Le choix que j’ai fait de parler de l’éducation de la femme ne s’inscrit pas dans un sectarisme féministe ou dans une volonté de mettre l’homme à la seconde place. Je vais m’efforcer de poser les fondations d’une relation harmonieuse et juste entre l’homme et la femme, relation qui signifie un face à face sans fusion ni déséquilibre. Et celle-ci ne peut s’envisager que dans le cadre d’une éducation proprement féminine qui ouvre son esprit, lui permet de s’épanouir et donne ainsi à son être tout entier de trouver sa vocation propre, de recouvrer son sens ontologique premier.  »Aucune femme n’est que femme. Chacune a sa particularité et sa disposition au même titre que chaque homme et, dans cette disposition, le talent pour telle ou telle activité artistique, scientifique ou technique. En principe, la disposition individuelle peut se manifester dans n’importe quel domaine, même dans ceux qui n’ont rien à voir avec la spécificité féminine«  (E. Stein, La femme.Son devoir selon la nature et la grâce, p. 7). Il semble en effet nécessaire de sortir des schémas qui depuis des siècles ont enfermé la femme dans une fonction, une image niant toute affirmation personnelle qui sortirait de « la norme ». Toutes ces idées reçues asservissaient la femme à l’homme pour qui elle ne semblait alors qu’un moyen en vue d’arriver à ses fins. « Parce que l’on était d’avis il y a quelques décennies encore que la femme avait sa place à la maison et qu’elle n’était bonne à rien d’autre, il a fallu de longs et difficiles combats pour parvenir à élargir un terrain d’action devenu par trop étroit » (E. Stein, ibidem, p. 102). La lecture des textes d’Edith Stein permet de découvrir le véritable sens d’une éducation de la femme et son intérêt capital pour que l’homme puisse rencontrer une compagne, une véritable  »aide« . Je veux signifier par là que celle qui doit être sa compagne, semblable à lui par la place qu’elle occupe au-dessus des autres créatures, doit par une libre décision personnelle venir en  »aide«  à l’homme. Or l’homme ne peut trouver d’aide qu’en relation avec une personne libre et debout avec laquelle il puisse dialoguer, et trouver ainsi  »l’os de ses os et la chair de sa chair«  (Genèse II, 23). Car en effet, avant d’être un appui pour les autres, il faut que la femme soit d’abord elle-même fermement ancrée dans ses profondeurs. Le témoignage chrétien d’Edith Stein passe par sa tâche de professeur de philosophie : la formation et l’instruction des jeunes filles doit contribuer selon elle à marquer et à affirmer la nature particulière de la femme, et sa mission aux côtés de l’homme – et non à la place de celui-ci.  »Grâce à ses expériences pratiques et en vertu de sa finesse psychologique, Edith Stein fut vraiment la première à apporter une réponse essentielle, indépendante des circonstances, à la question de la définition et de la vocation de la femme. (…) Elle parvenait aussi à transmettre pour la première fois une image vraie de la femme au clergé présent«  (Père Erich Przywara, dans W. Herbstrith, op. cit., p. 64). « Homme et femme Il les créa. » Genèse I, 27 La création s’enracine dans une différence à partir de laquelle se noue la relation humaine. L’homme et la femme se reçoivent l’un de l’autre et ne peuvent donc s’accomplir dans la solitude. Car, s’il est dit que la femme a été créée pour l’homme, cela signifie également que celui-ci a besoin d’elle pour remplir le sens de son être :  »Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair«  (Genèse II, 24). Ainsi, à l’image du ciel et de la terre, l’homme et la femme ne semblent trouver de sens que dans leur embrassement. Toutefois, on ne remarque que trop le fossé creusé entre l’homme et la femme : la communication est parfois difficile, voire nulle, et induit souvent un repli sur soi douloureux et destructeur. Comment sortir de cette impasse qui aliène l’humain à des schémas ontologiques du masculin et du féminin ? Comment sortir de la fermeture normative qui classe et réduit l’être à une fonction en déformant le plus souvent le sens des Ecritures ? L’évangile apocryphe de Marie rapporte  »la désolation de Marie-Madeleine de ce que l’apôtre ait cru impossible que le Sauveur se soit entretenu en secret avec elle, une femme. Alors, se levant, Lévi prit la parole et dit :  »Pierre, tu as toujours eu un tempérament bouillant, je te vois maintenant argumenter contre la femme comme un adversaire. Pourtant si le Sauveur l’a rendue digne, qui es-tu toi pour la rejeter ? (…) Ayons plutôt honte, et revêtons-nous de l’Homme parfait, engendrons-le en nous comme Il nous l’a ordonné et proclamons l’Evangile en n’imposant d’autres règles ni d’autres lois que celle qu’a prescrites le Sauveur (…)«  (Evangile selon Marie, Bibliothèque copte de Nag Hammadi, publié par les presses de l’université Laval-Québec, 1983). L’éducation à la féminité est un moyen privilégié pour tenter de redonner vie et fécondité à la relation entre l’homme et la femme.  »Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance.«  Genèse I, 26 Comment envisager la fonction d’image de l’être féminin ? Doit-on penser qu’elle ne trouve sa réalisation que dans le mariage et la maternité, ou bien est-elle réalisable d’une autre façon ? Ces questions soulignent l’importance de la vocation propre de la femme, de sa détermination ontologique dans le projet de Dieu sur l’homme. On se souvient de la sentence divine prononcée par Dieu après le péché :  »Il dit à la femme :  »Je ferai qu’enceinte, tu sois dans de grandes souffrances ; c’est péniblement que tu enfanteras des fils. Ton désir te poussera vers ton homme, et lui te dominera.«  1 Il dit à l’homme :  »Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne pas manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs«  (Genèse III, 16-18). Le péché vient marquer la rupture de l’harmonie entre Adam et Eve. Or notons que la femme est condamnée aux douleurs de l’enfantement, tandis que la peine de l’homme ne dépend pas des liens qui l’attachent à sa progéniture. Mais Eve,  »Mère des vivants«  exprime sa joie quand Dieu lui donne un fils :  »Il installe au foyer la femme stérile en joyeuse mère de famille«  (Psaume XII, 9). Dans la tradition de l’Ancien Testament la femme était honorée et louée lorsqu’elle devait être mère. Elle avait pour rôle d’élever des enfants et de ne pas veiller seulement à leur bien-être physique, mais aussi de les éduquer dans la crainte du Seigneur. Cette haute considération accordée aux fonctions de la mère est née de la consolante promesse qui a été faite à la femme lorsqu’elle fut chassée du paradis :  »Le Seigneur Dieu dit au serpent : (…) Je mettrai l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci te meurtrira à la tête et toi, tu la meurtriras au talon«  (Psaume III, 15). Il est réservé à la femme et à sa descendance de poser le pied sur la tête du serpent. Conduire la lutte contre le mal, éduquer sa descendance, telle apparaît sa mission depuis Eve jusqu’à Marie, mère de Dieu. Il est intéressant de s’arrêter sur cette dernière figure qui ouvre le Nouveau Testament. La place de Marie dans l’éducation de la femme. Marie, jeune fille de la maison d’Israël, est choisie par Dieu pour enfanter le Verbe. Mais Il ne naîtra pas de sa rencontre avec Joseph. Marie restera vierge et sera fécondée par l’Esprit Saint. Ce mystère qui ouvre la nouvelle alliance apparaît complètement délirant à beaucoup de personnes qui refusent alors d’aller plus loin et de le méditer. Pourtant la bonne nouvelle commence sur cette conception virginale. Or que vient-elle nous apprendre sur la vocation de la femme ? En quel sens la Vierge apparaît-elle au centre de toute éducation, et plus particulièrement de celle de la femme ? Pour s’incarner, Dieu choisit de naître du sein d’une mère humaine, qu’il nous présente comme l’image accomplie de la mère. Dès le moment où elle sait qu’elle doit enfanter un fils, elle le reçoit de Dieu, et pour Dieu elle veillera sur lui. Edith Stein voit en la nouvelle Eve une sortie de l’ordre naturel :  »Elle participe à l’oeuvre du Sauveur et prend place à ses côtés. Tous deux sont issus de la race humaine, mais l’un et l’autre sont ‘libres’ de ce lien qui ne permet pas à l’homme de voir l’accomplissement de la vie ailleurs que dans l’union charnelle avec un être et par celle-ci«  (E. Stein, La femme. Son devoir selon la nature et la grâce). Marie et Joseph ne font qu’une seule chair sans avoir connu l’union charnelle, car la reproduction n’est pas le sens de ce mariage. Par l’institution de l’idéal de virginité, la règle de l’Ancien Testament selon laquelle la femme ne pouvait accéder au salut qu’en assurant une descendance à son mari est interrompue. Marie choisit librement la chasteté et en cela apparaît comme un modèle d’éducation pour l’homme et la femme, et plus particulièrement pour cette dernière puisqu’elle représente l’image originelle de l’être féminin (dans sa virginité elle est la pure et primitive image de la femme). Sa maternité spirituelle, qui dépasse l’ordre charnel, est une voie précieuse pour les femmes puisqu’elle les conduit à une image du Christ qui est propre à leur féminité. Un autre point reste à souligner à propos de Marie et de son enseignement pour le chrétien. Celui-ci s’exprime clairement par ces paroles où tout l’être de la Vierge est contenu :  »Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit!«  (Evangile selon Saint Luc I, 38) Par sa réponse elle dit sa ‘disponibilité’ sans partage au service du Seigneur. En cela tout son être dit une féminité transfigurée qui n’est qu’amour, c’est-à-dire donation pure de soi pour les autres. C’est pourquoi nous la voyons toujours aux côtés du Seigneur :  »Le service qu’elle lui rend est immédiat, et c’est immédiatement qu’elle intervient pour les hommes«  (E. Stein, La femme. Son devoir selon la nature et la grâce). Parler de Marie m’a paru essentiel pour ce thème de l’éducation de la femme, et je n’ai fait en cela que suivre l’intuition d’Edith Stein elle-même qui affirme dans La femme et sa destinée :  »Si Marie est l’image originelle de la pure féminité, l’imitation de Marie devra être le but de l’instruction des jeunes filles(…).«  Et d’ajouter :  »L’imitation de Marie n’est pas différente de l’imitation du Christ: pour la simple raison que Marie fut la première à imiter le Christ, qu’elle fut le premier et le plus parfait portrait du Christ. C’est pour cette raison que l’imitation de Marie n’est pas seulement affaire de femmes, mais le devoir de tous les chrétiens.` Cela ne nie pas la disposition individuelle de chacune : on se gardera de plaquer sur la femme une image mariale mal comprise. Car la femme ne peut comprendre et vivre cette imitation que si elle a trouvé son chemin propre, son individualité qui ne se laisse ni comparer ni réduire à des schémas. L’individualité. Toute créature a sa signification propre que l’on trouve dans sa manière particulière d’être une image de la réalité divine. Et par conséquent l’être féminin doit avoir lui aussi une part propre à cette fonction d’image. Cependant toute ââme humaine, femme ou homme, créée par Dieu, reçoit encore de lui une empreinte personnelle qui la distingue de toutes les autres : c’est précisément cette individualité ainsi marquée qui, avec ses qualités, est développée par la valeur de la formation qu’elle reçoit. Edith Stein montre la nécessité de  »reconnaître que cette humanité et cette féminité ne suffisent pas à déterminer notre but, et ne pourront se développer ailleurs que dans l’unité concrète d’une personnalité individuelle.«  La vocation de la femme s’enracine dans sa particularité personnelle, dont l’épanouissement doit être considéré comme l’un des buts essentiels de son éducation.  »Afin de réaliser une humanité et une féminité authentiques au sein d’un individu, il est indispensable d’utiliser une variété de moyens et de méthodes d’instruction souples et divers. Mais, bien plus, il faut la foi en la personne et le courage nécessaire en son accomplissement, la foi en une vocation individuelle, pour une mission personnelle déterminée, une oreille attentive à cette vocation et une disponibilité à la suivre«  (E. Stein, La femme et sa destinée, traduit de l’allemand par Marie-Laure Rouveyre, éd. Amiot-Dumot, Bibliothèque catholique). L’éducation a donc pour tâche d’élever la personne, de la conduire àà un véritable épanouissement de son individualité, de lui permettre de faire fructifier ses talents.  »L’éducation individuelle est la formation d’un être qui vive selon sa personnalité, qui suive son chemin et accomplisse son oeuvre. Son chemin n’est pas celui qu’il choisirait arbitrairement, mais le chemin où Dieu le conduit«  (E. Stein, La femme et sa destinée). Ainsi la valeur de l’éducation tiendra en cette mission d’ouvrir l’individu à la confiance en Dieu, en son dessein d’amour sur chacun de nous. Or cette ouverture à la foi est inséparable d’une éducation au discernement qui permet de prêter attention aux signes par lesquels la volonté de Dieu se manifeste, afin de pouvoir lui obéir. Cette obéissance scelle l’intimité d’une relation d’amour entre l’âme et le Christ :  »Le Christ a de tout temps appelé des femmes à s’unir àà lui le plus intimement possible, comme messagères de son amour, comme annonciatrices de sa volonté pour s’adresser aux rois et aux papes, pour préparer la voie de sa domination dans les coeurs des hommes : il ne peut y avoir de profession plus élevée que celle de sponsa Christi et celle qui voit ce chemin s’ouvrir devant elle n’en cherchera pas d’autre«  (E. Stein, La femme et sa destinée).

I.R.