Archive pour la catégorie 'judaïsme'

SABBATAÏ TSEVI ( L’ouvrage magistral de Gershom Scholem… )

15 mai, 2013

http://www.lechampdumidrash.net/articles.php?lng=fr&pg=293

SABBATAÏ TSEVI

    L’ouvrage magistral de Gershom Scholem, Sabbataï Tsevi, le messie mystique illustre parfaitement le mode de production des élaborations messianiques.

  Cet ouvrage montre bien comment l’espoir messianique peut sommeiller de manière invisible, tel un volcan endormi, pour se réveiller brutalement lorsque certaines circonstances historiques extrêmes se trouvent réunies. La Sabbataïsme est une des répliques du tremblement de terre qu’avait constitué le mouvement messianiste chrétien. Certes, il y eut avant Sabbataï Tsevi d’autres éruptions messianistes, mais la particularité du séisme sabbatéen, c’est qu’il a été à deux doigts d’emporter la totalité du Judaïsme vers le rejet de sa propre identité et une apostasie générale, acceptée et consciente de surcroît. Ce qui s’est joué là, c’est rien moins que la fin du Judaïsme. Sans la brutale réaction des autorités rabbiniques, la majeure partie du Judaïsme serait actuellement une secte musulmane hérétique, évoluant au mieux vers un marranisme turc. La minorité restante se serait recroquevillée dans un ritualisme asséché, ou aurait implosé en un millier de sectes, à l’image du protestantisme.  
    Les conditions de ce réveil tellurique sont comme toujours l’excès, le comble. Or, pour ce qui est de la souffrance, les Juifs de l’époque sont comblés. L’expulsion d’Espagne avait préparé le terrain. Ce sont les terribles massacres commis en 1648 par les Cosaques de Chmielnicki, en Pologne, qui furent, semble-t-il, l’événement déclenchant.
    Les pogroms de Pologne passent dans la conscience juive à travers le colportage d’une rumeur, qui élabore le fait historique et lui donne le statut d’épreuve. Une telle tuerie devient un phénomène psychique de masse qui mobilise la culpabilité des auditeurs, exigeant une réponse rationnelle qui ne vient pas. À l’instar de l’exil, cet événement est alors interprété comme châtiment divin. Mais dans le registre de l’eschatologie, qui dit châtiment et épreuve, dit aussi expiation et rédemption imminente: C’est en éprouvant son peuple que Dieu le sauve. L’épreuve étant de taille, le Salut est donc proche. La monstruosité même des massacres devient l’indice de la proximité du Salut. On aurait là une sorte de pattern maniaco-dépressif, l’expiation entraînant une sorte d’euphorie mystique par dissipation momentanée du sentiment de culpabilité. Selon Scholem, Sabbataï Tsevi aurait déclaré qu’en Pologne, le messie fils de Joseph venait de mourir sous les traits d’une sorte de Juif Inconnu: Abraham Zalman. C’est dire si le salut final est imminent. Ceci est crucial pour penser rétrospectivement le mouvement messianiste chrétien. Nul besoin de l’existence historique d’un individu nommé Salut (Jésus) pour expliquer ce mouvement, tout massacre perpétré par les Romains, comme par exemple celui consécutif à la révolte de Bar Kokhba, est un événement potentiellement déclenchant. C’est sans doute ce que veut signifier le Talmud lorsqu’il nous rapporte que lors de la révolte de Bar Kokhba, Rabbi Aqiba ait pu dire: Celui-ci est le Roi messie. Et à son propos, il cita le verset: Un astre issu de Jacob… (Nb 24,17).
    Scholem montre que l’explosion sabbatéenne est née de la rencontre d’un homme souffrant de troubles psychiques et d’une sorte de thérapeute, Nathan de Gaza. Ce dernier connaissait un grand succès dans les milieux juifs marqués par la cabale lurianique.  Luria avait profondément renouvelé la cabale traditionnelle en réinterprétant l’Exil comme un phénomène cosmique et anthropologique, et non comme un simple événement historique et particulariste. De plus, il avait proposé, avec le concept de tiqun, une sorte de moyen d’action de l’homme sur le monde et sur l’évolution des choses. Analogue à ce qu’il faut bien appeler une sorte de magie, le tiqun donne un sens supportable à la vie exilique: l’homme peut agir pour la délivrance messianique. Il n’est pas condamné à une attente passive, il devient co-opérateur de la délivrance.
    Nathan de Gaza parvient à comprendre le malaise de ses “patients” et à leur prescrire le tiqun approprié à leur âme. Sa clé d’interprétation est la doctrine du messie. Il interprète toujours le désêtre de ses auditeurs comme désir de messie, et, grâce à la doctrine de Luria, il leur indique comment agir pour hâter la satisfaction de ce désir.
    Or, Sabbataï Tsevi souffre de graves troubles de l’humeur, que Scholem identifie à une psychose maniaco-dépressive. Dans ses phases maniaques, il se livre à des actes étranges, comme par exemple: rapporter chez lui un gros poisson et l’habiller en nourrisson, prononcer le nom divin ineffable, tenter d’arrêter la course du soleil, chanter, à l’office, de vielles chansons d’amour espagnoles ou déclarer recevoir de Dieu de nouvelles lois. Ces fantaisies, difficilement acceptables pour le Judaïsme de l’époque, aboutissent invariablement à son expulsion de la ville par les Rabbins du cru. Il est ainsi contraint à l’errance, à l’exil dans l’Exil. Ce rejet, et la dérision dont il est l’objet ne le guérissent pas de cette alternance de phases, elles semblent même la renforcer.
    Sabbataï Tsevi consulte donc Nathan de Gaza, et celui-ci va donner un sens eschatologique à ses troubles. L’alternance des phases de son humeur n’est-elle pas à l’image de l’alternance entre les phases de faveur divine et d’absence de Dieu? Lorsque Sabbataï tente d’arrêter le soleil (Hama), n’est-ce pas pour mettre fin à la colère divine (Hama) et ouvrir ainsi l’ère messianique? Isaïe ne décrit-il pas le messie comme malade dans son chapitre 53?
    La relation qui s’établit entre les deux hommes est-elle un délire à deux? Ce qui est certain, c’est que personne n’invente rien. On fouille (sens du mot midrash) les textes, à la recherche d’indices sur la venue messianique et, comme dans toute bonne tragédie, on découvre que le texte parle de soi. Cette étoile messianique dont parle l’Écriture, n’est-elle pas Sabbataï? (Sabbataï est le nom hébreu de la planète Saturne). Son nom tsevi signifie gazelle ou cerf, animal souvent associé à la biche, qui est en réalité un agent de l’eschatologie (ayelet ha-shaHar). Mais ce nom signifie aussi orgueil, parure, gloire. Ce nom porte donc en lui les significations contradictoires de l’animal pourchassé et de la gloire eschatologique. Si le messie représente en fin de compte Israël lui-même, à la fois objet précieux et objet de mépris dans le monde actuel, pourquoi Sabbataï Tsevi ne serait-il pas le messie? Isaïe ne dit-il pas clairement: Ce jour-là, le germe de Yahvé sera tsevi? (Is 4,2)
    Isaïe 13, 14 parle d’un cerf pourchassé, tsevi mudaH, ce dernier terme possède la valence messianique 52 comme d’ailleurs Hamad dont il est l’anagramme et qui sera la racine du nom que choisira de porter Sabbataï une fois converti (mehemed en turc). Comme on l’imagine, on va traquer toutes les occurrences des signifiants Sabbataï et Tsevi pour guetter les rapprochements de sonorités et de valences, et ces rapprochements seront à la base de nouvelles élaborations. On a vu que le midrash chrétien utilisait le même type de fouillage, en recherchant les termes de même valeur que le mot mashiaH (messie) et qu’il produisait des textes à l’aide de ces termes (Yohanan: Jean; Ashré: bienheureux, etc.)
Ainsi du verset: Et Babylone, la perle (tsevi) des royaumes, le superbe joyau des Chaldéens, sera comme Sodome et Gomorrhe, dévastées par Dieu. Ce verset contient le terme-clè du renversement eschatologique hapekha. Sabbataï Tsevi va désormais croire qu’il est appelé à détruire le mal, que telle est sa mission. La proximité de son nom tsevi avec tsava (combat) le conforte. tsevaot signifie à la fois gazelles et est l’un des noms de Dieu (tsebaot le Dieu des armées). Sabbataï Tsevi est né le 9 ab date de la destruction des deux Temples, et son nom Sabbataï contient le mot bayit. Or, un midrash fait coïncider la date de la naissance du messie avec celle la destruction du Temple.
    Les ouvrages de l’époque, qui rapportent la geste du nouveau messie, portent des noms issus de versets contenant le mot tsevi, comme tits nobel tsevi (la fleur fanée de sa superbe splendeur Is 28,1) splendeur qui, en Is 28,4 est reliée à une grasse vallée devenue célèbre depuis que les Évangiles l’ont translitérée en Gethsémani. Ou encore razi li (quelle épreuve! Is 24,16). Ce dernier verset semble résumer la vie de Sabbataï Tsevi puisqu’il commence par: Des confins de la terre nous avons entendu des psaumes: Tsevi le Juste, mais se conclut dans le comble de l’apostasie (bogdim bagadu uboged bogdim bagadu). bgd étant la racine de la trahison.
    Élaborée dans le dialogue entre Sabbataï et Nathan, la doctrine de la messianité de Sabbataï Tsevi émerge peu à peu: Sabbataï n’a pas besoin de tiqun, il est le messie. Ses actes étranges, voire insensés, peuvent être justifiés par l’idée de renouvellement eschatologique. Lors de la venue du messie, la loi prendra un autre sens, inconnu à ce jour.
    L’attente messianique est si forte que le cercle des croyants en Sabbataï s’accroît très vite et atteint l’ensemble du monde juif. Il n’est pas une communauté qui ne soit divisée en deux camps, comme cela s’était déjà produit, sans doute, lors du mouvement messianiste chrétien. Curieusement, cette nouvelle saga semble devoir repasser par les mêmes défilés que l’aventure chrétienne: La propagation du Sabbataïsme s’effectue par des Épîtres, car bien entendu, toute Bonne Nouvelle (besora) doit être annoncée par des lettres. On s’avise, autour du nouveau messie, que son nom est l’acrostiche du fameux verset du prophète Habacuc qui ouvre la lettre aux Romains: Le juste vivra par sa foi (TSadiq Be-émunato-YiHie). La foi (émuna) est ainsi replacée au principe même de l’espérance messianique. Un ouvrage de l’époque s’appelle rosh amana. Cette expression issue de Ct 4,8 est traduite en général par “le sommet de l’Amana”. Mais cette montagne est inconnue des Atlas. Dans cet ouvrage (le Principe de la Foi), l’auteur s’attaque à ceux qui refusent d’admettre que la foi en la venue du messie est le principe fondamental de la Loi. Curieusement, Ernst Bloch, appellera précisément son ouvrage le Principe Espérance, par quoi on peut traduire cette expression rosh amana, et qui fait l’apologie de l’utopie.
    Le travail de Scholem est une formidable anamnèse consécutive au refoulement massif de l’épisode sabbatéen par le Judaïsme rabbinique. Il ne reste en effet presque plus rien de l’immense littérature sabbatéenne de l’époque. L’apostasie de Sabbataï a été vécue comme un intense moment de honte dans le Judaïsme, car elle accroissait encore les sarcasmes et l’agressivité des Chrétiens et des Musulmans. Cette dérision elle-même a été interprétée dans les termes de l’eschatologie, et a sans doute accru la foi des croyants qui refusèrent d’abandonner Sabbataï.
    La conversion forcée de Sabbataï à l’Islam sera lue comme nécessité d’aller encore plus loin dans le mal. Le comble n’a pas encore été atteint, voila tout. Idée terrible qui prépare la voie à l’antinomisme de certains groupes sabbataïstes qui évolueront vers un nihilisme absolu. Ce qui compte, pour les croyants, c’est le drame cosmique qui se joue dans l’âme de Sabattaï Tsevi.
    La force du travail de Scholem a été de montrer la puissance quasi tellurique de l’imaginaire eschatologique, les effets dévastateurs de l’éruption messianique et la persistance de ses effets plusieurs siècles après l’explosion. Selon Scholem, la secte des Dunmeh, qui regroupait les sabattéens convertis à l’Islam, aurait été à l’origine de la révolution laïque d’Ataturk. Quant au mouvement frankiste, résurgence du Sabattaïsme en Pologne, il culmine avec un certain Junius Frey qui monte sur l’échafaud en tant que Jacobin, lors de la Révolution Française. Le mouvement frankiste va évoluer vers le nihilisme, et verra dans la Révolution de 1789 une confirmation des thèses de Jacob Frank.
    Le travail de Scholem devrait nous permettre de mieux comprendre les rapports entre l’eschatologie, le nihilisme et l’idée de Révolution. Le nihilisme frankiste est un rejeton inattendu de l’eschatologie, de l’indistinction propre aux temps messianiques. Ce n’est pas seulement ni juif ni grec. C’est un épuisement de toute distinction et de tout sens. Plus rien n’a de valeur. Au fond, les Gnostiques n’avaient fait que prendre Paul au pied de la lettre. Et après eux, les Frankistes refont la même expérience. Le monde n’a pas seulement vieilli subitement, il a fait naufrage, et Dieu avec.

Texte extrait de l’ouvrage « Comprendre les origines du Christianisme » de Maurice MERGUI
Date de création : 31/07/2008

HISTOIRE ET SYMBOLE DE PESSAH

25 mars, 2013

http://dafina.net/gazette/article/histoire-et-symbole-de-pessah

HISTOIRE ET SYMBOLE DE PESSAH

HISTOIRE
 Pessach est la fête la plus fréquemment citée dans la Tora. Elle commémore la libération de l’esclavage et la naissance de la nation juive. L’épisode biblique auquel elle se rattache n’est pas précisément daté dans la Bible, mais la plupart des exégètes le situent au XIIIième siècle avant n.è. Ramses II est généralement considéré comme le Pharaon oppresseur, et son fils Méneptah comme celui de l’Exode. L’esclavage n’est que très brièvement évoqué, le texte biblique mettant l’accent sur l’intervention divine qui mena à la délivrance finale. L’histoire commence donc avec l’accession au pouvoir d’un tyran qui décide d’asservir le peuple hébreu (Exode 1). Puis, sont évoquées la naissance et la survie quasi miraculeuse de Moïse (Exode 2). Enfin, au chapitre 3, débute la narration des événements miraculeux qui menèrent les Hébreux à la liberté. Les  » plaies « , fléaux que Dieu fait subir à l’Egypte, se succèdent. Mais seule la dixième, la mort des premiers-nés, fera fléchir le Pharaon. L’Exode débute alors et s’achève avec le passage de la Mer Rouge et l’anéantissement des troupes de Pharaon (13,17-15,21).

SYMBOLE
 La sortie d’Egypte est, dans la tradition juive, l’événement fondateur central de l’histoire d’Israël. La nuit qui la précède est marquée par un véritable Jugement de Dieu, qui  » punit Pharaon et ses sujets « , pour faire triompher la justice et rendre la liberté aux opprimés. La Pâque inaugure une ère nouvelle, dans laquelle la lumière triomphera des ténèbres et la liberté de la servitude. La sortie d’Egypte restera le symbole dune mutation profonde. Ce récit nest pas simplement celui d’un exode, mais celui dune nouvelle naissance (Moïse lui-même est  » né  » deux fois). Il est un véritable rite initiatique, qui reprend certains thèmes fondamentaux du récit de la Création: la séparation des eaux, et la séparation de la lumière et des ténèbres: la séparation des eaux se fait durant la nuit, mais Dieu éclaire son peuple, plongeant Pharaon dans les ténèbres. Le message essentiel de ce récit est la victoire du Bien sur le Mal et l’impérieuse nécessité de croire en la seine force positive, celle du Dieu d’Israël. La gloire de Dieu s’impose à tour, Hébreux comme Egyptiens, pour se manifester à nouveau lors de la Révélation au Sinaï, finalité ultime de l’intervention divine.
Notons, enfin, que Pessach ne commémore pas seulement le salut historique du peuple d’Israël, mais envisage aussi son salut éternel. L’événement passé est un point de départ, et doit devenir la préfiguration de la délivrance future. Passé, présent et avenir sont indissolublement liés, comme l’indique notamment la phrase que nous lisons le soir du Seder:  » C’est en mémoire de ce que Dieu a fait pour moi lorsque je suis sorti d’Egypte « . La libération des corps doit mener à la libération des âmes. Chacun a le devoir de participer pleinement à cette naissance et au salut du peuple. Cette sortie de  » l’Egypte intérieure « , gage du triomphe de la Liberté et du Bien, est la condition du Salut.

MARIE ET LA BÉNÉDICTION, CŒUR DE LA PRIÈRE HÉBRAÏQUE

14 mars, 2013

http://www.mariedenazareth.com/13323.0.html?&L=0

MARIE ET LA BÉNÉDICTION, CŒUR DE LA PRIÈRE HÉBRAÏQUE

Rabbi Me’ir disait:
« Chaque homme a l’obligation de dire cent bénédictions par jour. »
(Menahot 43b)
Au-delà du cadre officiel du culte à la synagogue, la bénédiction (berakah) est usuelle chez les Juifs dans les différentes actions de la journée: dans l’acte de se réveiller au matin et de se coucher le soir, dans les repas, dans le travail, dans les voyages, dans les événements ou rencontres significatives, dans les maladies et dans la mort elle-même.
« Grâce à la berakah l’univers devient un sanctuaire immense à pénétrer et à traverser avec vénération et contemplation. » [1]

La « berakah » (prière de bénédiction) opère un quadruple passage:
1. Du « moi » à Dieu, reconnu Seigneur de toutes les choses;
2. De la possession à l’accueil, parce que Dieu dans sa bonté fait bénéficier l’homme et il lui permet l’usage des réalités créées ;
3. De l’objet au cadeau, car le croyant considère la création comme effet de l’amour gratuit de Dieu;
4. De la manipulation à l’écoute obéissante, c’est-à-dire de l’utilisation des choses à des fins égoïstes au respect de leur intentionnalité voulue par Dieu. [2]

Marie entre dans la logique de la bénédiction, parce qu’elle se montre décentrée d’elle-même et projetée vers le Seigneur: se proclame sa « servante » (Lc 1,38 et 48), après en avoir écouté le message, elle loue Dieu de tout son être (Lc 1,46-47).

La « berakah » (prière de bénédiction) offre une double joie :
« la joie de se savoir objet de la bienveillance divine et la perception du monde comme parabole d’unité et d’harmonie » [3].
Marie l’a expérimenté, en effet le Magnificat est un hymne joyeux, motivé par l’expérience du regard bienveillant de Dieu sur son humble servante (Lc 1,48) et c’est un chant qui assume le « nous » communautaire (« comme il l’avait dit à nos pères »: Lc l,55)

En harmonie avec la pitié hébraïque, l’ancien apocryphe « Transitus » met sur les lèvres de la Mère de Jésus, au seuil de la mort, une double série de bénédictions adressées à son Fils ou au Père:
« Je te bénis, signe du ciel apparu sur la terre pour m’élire et demeurer en moi. [...]
Je te bénis toi et tes trois ministres que tu as envoyés pour le ministère des trois voies.
Je te bénis toi et la lumière éternelle dans laquelle tu habites. Je bénis la plantation de tes mains, qui dure à jamais. [...]
Je te bénis, Seigneur de chaque bénédiction, je bénis les domiciles de ta gloire;
je bénis le grand Chérubin de la lumière, devenu ton habitacle en mon sein. [...]
Je te bénis avec toute la force qui m’est promise. »

[1] C. DI SANTE, La preghiera di Israele, Casale Monferrato 1985, p.44.
[2] Ibid., p.45-46
[3] F. MANNS, La preghiera d’Israele al tempo di Gesù, Bologna 1996,61.

Stefano de Fiores,
Faculté théologique pontificale « Marianum » à Rome.

LES RELATIONS ENTRE BENOÎT XVI ET LES JUIFS, SELON LE RABBIN ROSEN

11 mars, 2013

http://www.zenit.org/fr/articles/les-relations-entre-benoit-xvi-et-les-juifs-selon-le-rabbin-rosen

LES RELATIONS ENTRE BENOÎT XVI ET LES JUIFS, SELON LE RABBIN ROSEN

« HUMILITÉ ET GRANDE OUVERTURE D’ESPRIT »

Rome, 11 mars 2013 (Zenit.org)

« Aucun recul sur les enseignements positifs de l’Église catholique vis-à-vis des juifs et du judaïsme », déclare le rabbin David Rosen, conseiller du Grand Rabbinat d’Israël, au lendemain de la renonciation de Benoît XVI à son ministère.
Dans un entretien au journal italien Il Messaggero, daté du 26 février dernier, le rabbin précise qu’au contraire, « dans le sillage de Jean-Paul II, Benoît XVI a confirmé les objectifs profonds de ces rapports entre les deux communautés, en les développant et en restant fidèle à la parole donnée ».
Directeur du département pour les questions interreligieuses à l’American Jewish Committee, il souligne que malgré certaines situations de crise, le pape Benoît XVI a contribué à renforcer le dialogue entre le Vatican et le monde juif, grâce surtout à cette « grande ouverture d’esprit » qui reste « l’héritage le plus important de son pontificat sur le chemin vers la paix ».
Le rabbin — qui était présent aussi bien au pèlerinage du pape en Terre sainte (8-15 mai 2009) qu’à la Journée de réflexion, de dialogue et de prière à Assise (27 octobre 2011) — relève que « Benoît XVI a poursuivi la transformation entreprise par Jean XXIII et par le Concile Vatican II, et a confirmé certaines initiatives historiques de Jean-Paul II, en allant à la synagogue de Rome mais également en Israël où il a rencontré les hautes autorités religieuses et politiques ».
David Rosen, qui est un interlocuteur privilégié dans les relations entre catholiques et juifs, affirme avoir eu la possibilité de bâtir des relations profondes, d’abord avec le cardinal Ratzinger puis avec Benoît XVI, qu’il définit comme un homme « d’une grande chaleur et douceur, avec un grand sense of humour, contrairement à ce que racontent les médias ».
Benoît XVI, ajoute-t-il, est une personne « sincèrement humble ». Le responsable juif se souvient à ce propos de l’attitude courtoise que le pape a eue à Assise, lors de la rencontre pour le 25e anniversaire de la Journée mondiale de prière pour la paix instituée par Jean-Paul II en 1986 : « Il s’était assis sur une chaise ordinaire, au milieu des autres. J’ai été frappé par cette attitude d’ouverture qu’il avait aussi envers les non-croyants, et par sa volonté de s’entretenir avec tout le monde, avec chacun, malgré l’effort physique que cela demandait. »
« Stupeur et admiration » : voilà ce que dit avoir ressenti David Rosen à l’annonce de « la démission du pape », même s’il dit qu’en « réfléchissant bien », il a compris que sa décision est en « totale cohérence avec l’homme et les paroles qu’ils avait dites par le passé ».
Dans cet entretien au quotidien italien, le rabbin parle aussi du prochain pape, de ses attentes, de ses espoirs : « Je voudrais que le prochain pape garantisse le même engagement dans les relations entre catholiques et juifs que Benoît XVI et Jean-Paul II, qu’il montre le même attachement et la même attention. Je pense que l’Église a besoin d’un cœur très grand, bien plus que d’un grand intellect. »
« Ce qu’il faut, c’est un facteur de réconciliation entre les différentes approches, les divers intérêts, les différentes aires géographiques et les différentes cultures qui sont en conflit dans l’Église d’aujourd’hui », ajoute-t-il avant de conclure : « C’est pourquoi le prochain pape devrait être surtout humain. »

Traduction d’Océane Le Gall

LE POURIM OU CARNAVAL JUIF

23 février, 2013

http://judaisme.sdv.fr/perso/stauben/purim/carnaval.htm

LE POURIM OU CARNAVAL JUIF

Son origine historique. – Le livre d’Esther ou la Meghila. – Le Pourim en Alsace. – La lecture de la Meghila.- Les marteaux. – La matinée du Pourim. -  L’après-midi ; le Schlach Moness. – Le repas du soir. – Un plat de rigueur. – Le personnel du repas. – Masques. – Deux représentations dramatiques.
Je voudrais, pour être le moins incomplet possible dans ces esquisses de mœurs, faire connaître au lecteur deux autres fêtes juives, moins solennelles, moins graves, beaucoup moins importantes que les précédentes fêtes et peu ou point observées d’ailleurs dans les villes ; et  pourtant ces deux fêtes ne laissent pas que d’être curieuses, moins encore à cause de leur origine historique que pour la manière toute patriarcale dont les célèbrent les pieuses populations de nos campagnes de l’Alsace.
L’une d’elles tombe à la fin, l’autre au commencement de l’hiver ou à peu près. Évoquons d’abord  les souvenirs de la première, celle du joyeux Pourim ou carnaval. Entendons-nous cependant, et n’allons pas  confondre : il y a carnaval et carnaval. Le Pourim des juifs n’a absolument rien de commun avec le carnaval chrétien ; celui-ci, on le sait, n’est après tout qu’une sorte de réminiscence des Lupercales grecques et des Saturnales romaines tempérées par l’esprit moderne.  C’est une époque de gaieté exubérante et de folies  admises comme dédommagement, soi-disant, de l’austérité du carême, gaieté, folies, arrivant à leur apogée dans les trois jours qui précèdent le lugubre mercredi  des Cendres.

SON ORIGINE HISTORIQUE
Tout autre est l’origine de notre Pourim, tout différent son but.  Pourim est la fête anniversaire et commémorative de la délivrance des juifs, sous le règne d’Assuérus, alors que la belle et vertueuse Esther fit révoquer le sanglant édit que le cruel Haman avait arraché au roi contre tous les juifs répandus, depuis la Captivité, dans le vaste empire des rois Persans successeurs des rois de Babylone.
Cet événement, qui ne le connaît ? Grâce au livre d’Esther et grâce aussi aux vers immortels de Racine qui a mis en drame la chronique sacrée.

LE LIVRE D’ESTHER OU LA MEGHILA
Résumons et feuilletons un peu, tour à tour, cette chronique connue encore dans le rite juif sous le nom de Meghila, et voyons qu’elle nous apprend :
Haman l’Amalécite, devenu tout puissant, ne peut pardonner au juif Mardochée, un des nobles descendants la tribu de Benjamin, le dédain et le mépris dont il accable le ministre parvenu ; il calomnie donc auprès du roi les juifs ses nouveaux sujets, et obtient l’autorisation de les faire massacrer, à un jour donné, dans toute l’étendue de l’empire. Cependant Esther, la fille adoptive de Mardochée, avait remplacé sur le trône l’altière Vasthi, et le roi qui ignorait sa religion jusqu’à ce jour, l’aimait tendrement.
«Et Mardochée, ayant appris ce qui avait été arrêté, déchira ses vêtements, se couvrit d’un sac, répandit des cendres sur sa tête, et parcourut les rues en poussant des cris lamentables» (Esther 4:1).
«Il arriva ainsi devant le palais, mais vêtu comme il l’était, il ne lui était pas permis d’y pénétrer» (Esther 4:2).
«Et Mardochée fit dire à Esther ce qui s’était passé et lui communiqua une copie du décret de proscription rendu contre les juifs de Suze, et lui ordonna d’entrer chez le roi afin de le supplier et de lui demander grâce pour son peuple» (Esther 4:8).
Mais il n’était permis à personne de pénétrer auprès du prince sans en avoir été mandé, et si on pénétrait néanmoins, on était condamné à mort, à moins qu’à l’instant même, en signe de grâce, il ne tendît son sceptre vers cette même personne. Esther hésita donc un instant mais Mardochée lui ayant fait comprendre qu’elle devait tout risquer pour sauver les siens,
«Esther fit  répondre à Mardochée  : Va, rassemble tous les juifs de Suze, qu’ils jeûnent à mon intention…, je jeûnerai de  même avec mes filles, et ainsi préparée, j’irai trouver le roi, contente de mourir, si je dois mourir» (Esther 4:16).
Esther parut devant le roi et obtint grâce à ses yeux  ; elle l’instruisit de tout, démasqua les odieuses menées d’Haman que le roi fit pendre au gibet même préparé par Haman pour Mardochée, et le terrible édit fut révoqué.
«Et ils firent appeler les écrivains du roi qui écrivirent tout ce que Mardochée ordonna concernant les juifs, aux pachas et gouverneurs des cent vingt-sept provinces de l’empire, à chaque pays suivant son langage et aux juifs selon leur langue. Et l’on écrivit au nom du roi, on scella les dépêches, et on les fit porter par des courriers montés sur des chevaux, des mulets ou des dromadaires» (Esther 8:9-10).
L’ordre de suspendre l’exécution était arrivé partout à temps. Et le quatorzième jour du douzième mois, du mois d’Adar (février-mars), jour fixé pour l’exécution ainsi arrêtée,
«Les juifs firent des illuminations, des  fêtes joyeuses, des réjouissances et des festins… et s’envoyèrent réciproquement des présents…, et firent des dons aux pauvres. Car Haman, fils d’Hamdatha, de la race d’Agag, persécuteur de tous les juifs, avait eu le projet de les exterminer tous, et il avait jeté des pour c’est-à-dire des sorts  pour connaître le jour qui lui serait le plus favorable pour les anéantir…, c’est pour cela que ces jours de fêtes s’appellent Pourim» (Esther 9:22-26).
Et l’on comprendra maintenant pourquoi on appelle encore le Pourim des juifs, assez improprement cependant, du nom de carnaval. On a voulu marquer ainsi, par ce rapprochement, toute la joie et toutes les réjouissances qui caractérisent le Pourim.

LE POURIM EN ALSACE
Nous sommes dans nos villages de l’Alsace ; aujourd’hui c’est le 14  du mois d’Adar, veille du Pourim. Hommes, femmes et enfants, tout le monde jeûne dans la communauté en souvenir du jeûneauquel s’étaient livrés les juifs de Suze, avec Mardochée et Esther pendant que la juive devenue reine, se préparait à obtenir du sévère Assuérus une audience favorable. Heureusement pour nos jeûneurs villageois que la journée du 14 Adar, qui correspond à fin février ou au commencement de mars, est assez courte ; et pourtant on l’a passablement allongée, attendu qu’il n’est permis de rompre le jeûne qu’une heure après la nuit close. Et pourquoi cela ? Parce que l’on inaugure le Pourim par la lecture faite en pleine synagogue, du livre d’Esther ; cette lecture ne peut commencer que lorsque le jour a complètement disparu, et elle dure au moins une bonne heure.
Entrons au temple. La kehila (communauté) tout entière est assemblée. Des cierges dits cierges de Pourim éclairent l’édifice sacré. Les hommes sont debout derrière leurs pupitres ; les femmes, dans des tribunes à elles réservées ; tous les gamins de la kehila sont rangés sous les yeux de leurs parents et tiennent dans leurs mains de superbes marteaux de bois tout frais fabriqués. En face du hazan, sur l’estrade sacrée se trouve étendu un rouleau de parchemin que le schamess déroulera tout à l’heure devant lui, au fur et à mesure qu’il en sera besoin. Sur ce parchemin se trouve écrit en caractères manuscrits le livre d’Esther appelé encore Méghila. Chacun des fidèles a devant soi un rouleau du même genre.

LA LECTURE DE LA MEGHILA
Soudain le ministre-officiant, sur un ton particulier et traditionnel, commence la lecture. Avec quel art le hazan sait interpréter les passages les plus saillants ce curieux et piquant récit ! Avec quel talent il en sait rendre toutes les intentions, toutes les nuances ! semblable en cela à quelque excellent acteur commentant de la voix et du geste les moindres paroles de son auteur. Arrive-t-il à l’endroit de la Meghila où, en parlant du festin donné par Assuérus à tous les grands de la cour, l’auteur sacré raconte que le vin le plus généreux circulait dans les coupes d’or, et que «ces coupes étaient plus riches les unes que les autres» (Esther 1:7), la voix du hazan, en prononçant ces derniers mots, devient triste et mélancolique. Ces coupes en effet n’étaient-elles pas celles-là mêmes, que les rois d’Assyrie avaient autrefois pillées dans le temple de Jérusalem ?
Avec quelle malice, au contraire, et quelle verve comique, il lit la scène fameuse de la déconvenue d’Haman, scène qui devrait servir de leçon à tous les courtisans : Le roi avait trop longtemps laissé sans récompense le dévouement du juif Mardochée, qui l’avait jadis soustrait aux coups de deux conspirateurs. Il mande Haman, ministre favori et tout-puissant, pour lui demander ce qu’Assuérus pourrait bien faire pour celui qu’il voudrait combler du plus insigne honneur.
«Haman se dit, dans son coeur : « Qui le roi peut-il songer d’honorer ainsi, si ce n’est moi ?» Et il dit au prince : «L’homme que le roi veut honorer… il faut le revêtir des habits royaux, et lui faire monter le cheval que le roi montait lui-même le jour de son couronnement, et le grand maréchal du palais conduisant le cheval par la bride, parcourra les places de Suze en criant : Voilà ce que l’on fait à l’homme que le roi veut honorer !» Et le roi dit à Haman : «Vite, prends les habits royaux et le cheval du roi, et fais ce que tu as dit au juif Mardochée, qui est assis à la porte du palais ; que rien ne manque à ce que tu as dit.» (Esther 6:6-10)
Haman, pris ainsi dans son propre piège, dut s’exécuter, sans mot dire. Et il faut entendre le hazan quand, remplissant le rôle plaisamment ridicule d’Haman, il crie, devant son public de village enthousiasmé, le fameux : « Voilà ce que l’on fait à l’homme que le roi veut honorer ! » (Esther 6:11)
Et plus loin, quand Haman, dénoncé au roi par Esther, veut profiter de l’absence momentanée du roi de la salle du festin, pour solliciter sa grâce aux pieds d’Esther, et que le roi, en rentrant soudain, s’écrie, en voyant Haman incliné vers le divan de la reine : «Comment, oserait manquer de respect à la reine dans mon palais ?» (Esther 7:8). Ces derniers mots, le hazan les prononce sur un ton de jalousie dédaigneuse et de despotisme conjugal, qui, dans cette grave réunion, fait sourire les maris et frémir les femmes.

LES MARTEAUX
Est-ce là tout ? et cette lecture n’offre-t-elle pas d’autres incidents ? Il en est encore un surtout, qu’il est de notre devoir d’historien de mentionner. Vous n’avez pas oublié nos gamins armés de marteaux de bois ? Ils se sont tenus là, suivant avec la plus minutieuse attention la voix du hazan, et à chaque fois qu’il a prononcé le nom d’Haman, fils d’Amdatha, vous les auriez pu voir, comme un seul homme, se courber à terre et faire pleuvoir, sans trêve ni merci, au moins pendant cinq minutes, sur le plancher de la synagogue, d’innombrables coups de marteau. Tous ces coups sont censés retomber sur Haman ; c’est un tribut régulier que la jeunesse juive de nos villages lui paie, chaque année, avec la même monnaie. Et si depuis plus de deux mille deux cents ans qu’on lui inflige cette punition, l’ancien ministre d’Assuérus n’en a pas le dos aplati, il faut convenir que la faute n’en est pas à ses jeunes ennemis, et qu’il a les épaules solides.
La lecture de la Méghila terminée, on rentre chez soi pour rompre le jeûne, et le Pourim est commencé.

LA MATINÉE DU POURIM
Le lendemain, à l’office du matin, le hazan relit la Méghila avec le même cérémonial et les mêmes inflexions de voix ; et les infatigables ennemis du fils d’Amalec, à certains moments donnés, frappent de plus belle le dos imaginaire d’Haman, et chantent en chœur avec le hazan, ce verset du livre d’Esther : «Et l’on pendit Haman au gibet qu’il avait préparé pour Mardochée» (Esther 7:10)
Avant de quitter le temple, la foule ne manque pas de passer devant l’arche sainte, où l’administration a eu soin de faire placer deux urnes portant, l’une, l’inscription de machzé hasekel, l’autre, celle de mavet Pourim. Dans la première, les fidèles déposent une valeur de 25 centimes à peu près ; cet argent sera envoyé aux pauvres israélites de la Palestine. Dans l’autre, chacun dépose une somme proportionnée à ses moyens ou à sa bonne volonté ; elle est destinée aux frères nécessiteux de la localité même. C’est encore et toujours le même esprit de solidarité que nous avons signalé et admiré ailleurs. Les Juifs, dans leurs jours de joie, n’oublient jamais leurs coreligionnaires malheureux !
Et, maintenant, règne partout le bruyant et joyeux Pourim. Aujourd’hui, bien que la loi ne défende aucun travail, on laisse là les affaires ; et en attendant le grand repas de Pourim, qui aura lieu le soir, et dont nous parlerons tout à l’heure, on a mille et mille moyens de passer gaîment la journée. De toutes les maisons juives, quelque modeste que soit la fortune de leurs habitants,s’exhalent de délicieux fumets de pâtisseries de toutes sortes ; les gâteaux, dits gâteaux de Pourim, consistent en babas, en beignets, en gaufres, dont un chacun fait son déjeuner. Puis, si le temps le permet, les jeunes gens sortent du village pour jouer au bouchon, tandis que les jeunes filles font un brin de  toilette et vont jacasser à droite et à gauche. Et la matinée se passe ainsi.

L’APRÈS-MIDI ; LE SCHLACH MONESS
L’après-midi est consacrée aux courses du schlach moness. Qu’est-ce que le schlach moness ? On va le voir. la meghila nous a appris que, dans l’excès de la joie que leur avait causée leur miraculeuse délivrance, les Juifs de Suze «s’envoyèrent réciproquement des présents», et le texte ajoute que Mardochée et Esther ordonnèrent  à tous les Juifs d’en agir ainsi à perpétuité, en commémoration du Pourim. Donc, cet ordre est encore aujourd’hui observé, à la lettre, dans nos villages. Voyez ces jeunes filles allant et venant, en habits de fête, et portant très gracieusement, dans leurs mains, des assiettes en faïence verte ou brune, recouvertes d’une blanche serviette. Ce sont les filles de la bourgeoisie qui apportent réciproquement, dans les familles, le schlach moness ou cadeaux. Ces cadeaux consistent en confiseries et bonbons de toute nature, fabriqués à Colmar ou à Strasbourg, selon qu’on demeure dans le Haut ou le Bas-Rhin, et arrivés tout frais, le matin même, au village.
Comme choix de cadeaux de ce genre, la tradition ne permet que très peu d’innovations, et les dons innombrables qui se font ainsi en ce jour, de bourgeois à bourgeois du moins, ne sont autre chose, si l’on veut me permettre cette expression, qu’une variation infinie sur un même thème ; ce thème est un gâteau de Savoie affectant tour à tour, avec plus ou moins de grandeur dans les proportions, la forme d’un melon à tranches bien marquées, d’un dôme, d’une étoile, d’un cercle, d’un cône ou d’une pyramide. Cet usage permet, on même temps, de faire, d’une manière délicate et sans les blesser, l’aumône à des pauvres d’une certaine classe : Ceux-ci, en vertu de la joie de commande régnant ce jour en Israël, font, dès la veille, provision d’un schlach moness à leur goût, le portent dans les maisons aisées, et, on rentrant, trouvent toujours sous la serviette de leur assiette quelques pièces d’argent. Les maîtresses de maisons y ont glissé cela après en avoir enlevé, non sans une feinte admiration, le schlach moness consistant, en général, en bonshommes, en pralines, en bottes ou souliers glacés à nœuds rouges, ou encore en bergères, ou en papillotes à devises. En retour de quoi les pauvres ont reçu leurs dons. C’est ce qu’a ordonné, on se le rappelle, le livre d’Esther.

LE REPAS DU SOIR – UN PLAT DE RIGUEUR
Mais le jour a baissé, la nuit est survenue, et dans chaque maison aisée se prend et se donne maintenant le repas de Pourim. Il y a là comme deux actes bien distincts. – Dans le premier, on ne voit apparaître que la famille se régalant d’un dîner confortable. Au second, c’est le festin proprement dit. « Ils (Mardochée et Esther) ordonnèrent à tous les Juifs de faire en ce jour des festins» (Esther 9:22). Le second service ne se sert qu’à neuf heures, alors que sont arrivés les convives de rigueur : étrangers, amis, voisins et quelques personnages ­officiels faisant, ces derniers, leur apparition dans toutes les maisons riches.
A ce second service figure un plat indispensable, dit le Plat d’Haman, ou tout simplement le haman. Ce plat consiste on un morceau de bœuf fumé très gras et très gros. Tout bon croyant est tenu de le faire servir à sa table, et tout convive présent, d’en goûter. Le hazan, les aides-chanteurs, l’ins­tituteur, le schamess arrivent à un moment donné, s’attablent, rompent la croûte, choquent le verre, et ensuite se lèvent pour en faire autant dans maintes et maintes maisons. Comme fonctionnaires publics, ils n’appartiennent à personne en particulier, et se doivent à tout le monde.

MASQUES
A un certain moment aussi, la maison, dont les portes hospitalières restent toutes grandes ou­vertes, est envahie par un flot de jeunes gens déguisés. Ils viennent chanter une chanson de circonstance dont le pauvre Haman fait tous les frais ; puis avec l’autorisation du maître de la maison, quelques masques se détachent du groupe pour donner une représentation dramatique. 

DEUX REPRÉSENTATIONS DRAMATIQUES     
On se range et la troupe ambulante vous joue très proprement les deux pièces d’usage, l’une, toute de circonstance, l’autre, essentiellement juive. La première est l’histoire découpée en actes de la délivrance des Juifs par Esther et Mardochée et à laquelle la fête présente donne un singulier à-propos ; la seconde a pour sujet le sacrifice d’Isaac, selon le récit de la Bible. Les acteurs qui représentent les différents personnages historiques, se laissent aller à leur verve et à leur entrain. Il faut voir arriver Mardochée revêtu des insignes de la royauté, monté sur un camarade faisant le rôle du cheval, et précédé d’un autre, jouant Haman déconcerté et s’écriant en hébreu et d’une voix qu’étoffent la honte et le dépit :« Voilà ce que l’on fait à l’homme que le roi veut honorer !» (Esther 6:11).
Quel moment aussi que celui où Abraham étend la main pour immoler, avec un immense couteau de bois, son fils Isaac étendu sur une chaise et garrotté, et quand l’acteur représentant l’ange du Seigneur accourt, non pas du haut du ciel, mais du fond du corridor où il s’était tenu caché, quand il accourt avec ses ailes de papier blanc cousues aux épaules, et s’écrie, cette fois on patois judaïco-alsacien, et sur un. ton qu’il s’efforce de rendre solennel : «Ne porte pas la main sur ton fils, et lui fais aucun mal ; je suis convaincu que tu crains Dieu, puisque tu ne lui as pas refusé ton fils unique ! » (Genèse 22:12).
Les applaudissements alors retentissent dans la salle ; on régale la jeune troupe, on lui distribue d’immenses tranches d’Haman qu’elle dévore avec une sainte gloutonnerie ; les verres se vident et se remplissent aussitôt et la joie se prolonge jusqu’à une heure avancée dans la nuit, et ainsi se trouvent mises à exécution les recommandations finales de la Meghila :
«Mardochée ordonna à tous les juifs de célébrer tous les ans le quatorzième et le quinzième jour du douzième mois, en commémoration de ce qu’en ces jours, les Juifs ont eu raison de leurs ennemis ; que les jours de douleur se sont changés en jours de fête, et il recommanda d’en faire des jours de joie et de festin» (Esther 9:20-22).
Dans chaque maison, les festins ont été si abondants, qu’ils défraient largement encore le jour suivant ; de là, dans le pays, cette maxime : « Voulez-vous voyager ? Que ce soit au lendemain du Pourim. » En d’autres termes : ce jour-là vous trouverez partout en Israël, joyeuse humeur et bons reliefs.    

27 JANVIER: LE JOUR DE LA MEMOIRE: LES CHAMBRES A GAZ

26 janvier, 2013

http://shoah-solutionfinale.fr/chambgaz.htm

27 JANVIER: LE JOUR DE LA MEMOIRE

(Quoi que j’essaie de me souvenir de l’Holocauste est terrible et vous ne pouvez pas et ne doit pas éviter, en italien j’ai trouvé les histoires, les témoignages, les écrits de Primo Levi parnoi dobbiamo ricodare quello che è accaduto exemple, mais en français, je ne sais pas comment chercher, nous devons nous rappeler ce qui s’est passé)

LES CHAMBRES A GAZ

La « Solution finale » était le nom de code nazi pour la destruction délibérée, programmée, des Juifs d’Europe

Gazage : David Olère

Les chambres à gaz constituent un dispositif essentiel de l’univers concentrationnaire nazi. Lors de la Première Guerre mondiale, les Allemands avaient utilisé des gaz toxiques dans les combats ; mais, pour la première fois dans l’histoire, des civils non combattants sont systématiquement gazés dans des pièces spécialement construites et conçues à cet effet.
Le gazage des Juifs et d’autres civils a connu trois phases. En 1940-1941, les victimes étaient enfermées dans des camions, à l’intérieur desquels les gaz d’échappement étaient envoyés jusqu’à ce que la mort s’ensuive par suffocation. Cette méthode et des injections de substances mortelles furent utilisées contre les handicapés mentaux ou physiques, jusqu’à ce que cette politique cesse sous la pression des familles, des amis et des pasteurs. Quand il fallut utiliser contre les Juifs, les chefs des Einsatzgruppen se plaignirent de la lenteur de cette méthode et du fait que l’évacuation des corps était pénible pour les soldats.
On construisit donc dans un deuxième temps une chambre à gaz à Chelmno (Kulmof) qui, le 8 décembre 1941, devenait le premier centre opérationnel d’extermination.
La troisième phase vit la construction des énormes chambres à gaz d’Auschwitz, de Treblinka et des autres camps de la mort, en 1943.
Source : Alan.Berger. « Le livre noir de l’humanité ». Encyclopédie mondiale des génocides. Éditions Privat. 2001.

LES ASSASSINATS PAR GAZAGES, UN BILAN
Par l’Institut für Zeitgeschichte. Introduction à la version française.
Ce texte est la traduction de la version anglaise d’un résumé publié en 1992 par l’Institut für Zeitgeschichte de Munich, l’un des principaux centres de recherche historique allemand sur le régime nazi et le génocide. Les remarques entre [] sont dues au traducteur (Gilles Karmasyn).
Sur l’assassinat par gazage dans les camps d’extermination et de concentration sous le régime nazi.
Le meurtre systématique d’êtres humains par l’utilisation de gaz pendant le régime nazi fut employé à partir de janvier 1940 dans le cadre de l’opération dite d’« Euthanasie », l’extermination des « vies ne valant pas la peine d’être vécues » des handicapés, handicapés mentaux et malades en phase terminale. À partir de l’automne 1941 cette opération fut continuée sur une bien plus grande échelle par les pogromes entrepris par les Einsatzgruppen de la Police de Sécurité [Sicherheitspolizei, N.d.T.] du SD [Sicherheitsdienst, Service de Sécurité, N.d.T.], dans les territoires conquis, à l’aide des camions à gaz itinérants.
A partir de décembre 1941, on a commencé à utiliser dans le camp de Kulmhof (le nom polonais de Chelmno) des camions à gaz fixes pour l’assassinat des Juifs, puis à partir de début 1942, des chambres à gaz furent construites dans différents camps, ou des bâtiments existant furent transformés dans ce but [en chambres à gaz, N.d.T.]. [Il s'agit des camps de l'opération Reinhard, Belzec, Sobibor, Treblinka, mais aussi d'Auschwitz-Birkenau, N.d.T.]
Il nous faut distinguer entre les gazages de masse des Juifs dans les camps d’extermination construits à cet effet et les gazages à plus petite échelle dans des camps déjà existant (où des patients, des déportés réduits en esclavage, des prisonniers de guerre et des prisonniers politiques, entre autres, furent également victimes [des gazages, N.d.T.]).
Liste des différents camps d’extermination :
Kulmhof (ou Chelmno), dans ce qui était alors le Wartheland, où, entre décembre 1941 et l’automne 1942, puis de nouveau de mai à août 1944, eurent lieu des gazages par monoxyde de carbone contenu dans les gaz d’échappement émis par des moteurs [diesel, N.d.T.]. Au total, plus de 150 000 Juifs ainsi que 5000 Tziganes y furent assassinés.
Belzec (dans le district de Lublin qui faisait alors partie du Gouvernement général) : de mars à décembre 1942, d’abord dans trois puis, plus tard, dans six grandes chambres à gaz, environ 600 000 Juifs furent assassinés par gazages au monoxyde de carbone de gaz d’échappement émis par des moteurs.
Sobibor (dans le district de Lublin, dans le Gouvernement général), fut dotée en avril 1942 de trois chambres à gaz, puis en septembre de la même année de six chambres à gaz et fonctionna jusqu’en octobre 1943. Pendant cette période, au moins 200 000 Juifs y furent assassinés par gazages au monoxyde de carbone.
Treblinka (district de Warschau, dans le Gouvernement général) fut dotée de trois chambres à gaz en juillet 1942, puis de dix chambres à gaz supplémentaires plus grandes début septembre 1942. Jusqu’au démantèlement du camp, en novembre 1943, environ 700 000 Juifs y furent assassinés par gazages au monoxyde de carbone.
Majdanek (district de Lublin, Gouvernement général) : le camp de concentration qui existait depuis septembre 1941 fut transformé en camp d’extermination lorsque, entre avril 1942 et novembre 1943 des exécutions de masse y eurent lieu. Ces exécutions [par balles, N.d.T.] firent 24 000 victimes juives. En octobre 1942, deux chambres à gaz furent construites, auxquelles une troisième serait ajoutée plus tard. Au début les meurtres y furent accomplis au moyen de monoxyde de carbone, mais on utilisa bientôt le Zyklon B (un insecticide extrêmement toxique à base d’acide cyanhydrique). Jusqu’au démantèlement du camp, en mars 1944, environ 50 000 Juifs y furent gazés.
Auschwitz-Birkenau (en haute Silésie, partie polonaise annexée au Reich en 1939, au sud-est de Kattowitz) : le camp d’extermination de Birkenau fut établi dans la seconde moitié de 1941. Il était associé au camp de concentration d’Auschwitz, qui existait depuis mais 1940 [Ce premier camp était désigné Auschwitz I et Birkenau Auschwitz II, N.d.T.]. A partir de janvier 1942 on entreprit la construction de cinq chambres à gaz, puis à la fin juin 1943 on construisit quatre grandes chambres à gaz supplémentaires. Jusqu’en novembre 1944, plus d’un million de Juifs et au moins 4000 Tziganes y furent assassinés par gazages [à l'acide cyanhydrique émis par le Zyklon B, N.d.T.]

LISTE DES CAMPS DE CONCENTRATION OÙ DES CHAMBRES À GAZ FURENT INSTALLÉES ET UTILISÉES :
Mauthausen (au nord de l’Autriche) : à l’automne 1941 une chambre à gaz utilisant du Zyklon B fut opérationnelle. D’autre part, des gazages au monoxyde de carbone eurent lieu dans des camions à gaz qui étaient conduits entre Mauthausen et son camp annexe, Gusen. Au total, plus de 4000 personnes furent assassinées par gazages.
Neuengamme (au sud-est de Hambourg) : à partir de l’automne 1942, des gazages avec du Zyklon B eurent lieu dans un « Bunker » spécialement aménagé. Ils firent environ 450 victimes.
Sachsenhausen (dans la province de Brandeburg, au nord de Berlin) a été doté à la mi-mars 1943 d’une chambre à gaz qui fonctionnait avec du Zyklon B. Plusieurs milliers de personnes y furent assassinées. Un chiffre plus précis ne peut être déterminé.
Natzweiler (à Struthof, en Alsace) : une chambre à gaz y fut utilisée d’août 1943 à août 1944. Entre 120 et 200 personnes y furent assassinées avec du Zyklon B dans le but de disposer de leur squelette pour l’Institut anatomique de Strasbourg. Cet institut était alors dirigé par un Haumptsturmführer SS, le professeur August Hirt.
Stutthof (à l’est de Danzig) fut doté en juin 1944 d’une chambre à gaz dans laquelle plus de 1000 personnes furent assassinées avec du Zyklon B.
Ravensbrück (dans le Brandeburg, au nord de Berlin) : c’est en janvier 1945 qu’une chambre à gaz y fut installée. Le nombre de personnes qui y furent assassinées s’élève à au moins 2300.
Dachau (au nord de la Bavière, au nord est de Munich) : au moment de l’érection d’un nouveau crématoire en 1942, une chambre à gaz y fut également installée. Le docteur et Haumptsturmführer SS Rascher y entreprit des gazages expérimentaux en relation avec ses expériences médicales. Ceci est confirmé par les recherches les plus récentes (voir Gunther Kimmel, The Concentration Camp Dachau. A study of the Nazi crimes of violence in Bavaria in the NS-time, II, Martin Broszat et Elke Froehlich éditeurs, R. Oldenburg Press, Munich, 1979, p. 391). Aucune opération de gazage de plus grande envergure n’eut lieu à Dachau.
Les victimes des Einsatzgruppen de la Police de Sécurité [Sicherheitspolizei, N.d.T.] du SD à l’arrière du front russe furent en majorité des Juifs. Leur nombre est estimé au minimum à 900 000 victimes [de récentes recherches semblent démontrer que le nombre réel fut beaucoup plus élevé, notamment chez les Juifs d'Union soviétique. Voir Jeremy Noakes et Geoffrey Pridham, Nazism 1919-1945. A documentary reader, Exceter 1983-1988, p. 1208, cité par Tim Kirk, The Longman companion to Nazi Germany, Longman, 1995, p. 172. N.d.T.]
La différence entre le total des victimes par gazage citées dans la liste ci-dessus ajoutées au nombre de victimes des Einsatzgruppen et le nombre de total d’environ 6 millions de victimes des persécutions nazies contre les Juifs, provient du fait qu’un pourcentage élevé des victimes sont mortes des suites de mesures d’extermination indirectes comme « la destruction par le travail », les mauvais traitements, la faim, les épidémies et l’épuisement durant les transports, etc.
Environ 120 000 personnes ont été assassinées dans le cadre de l’opération nazie dite d’« Euthanasie »
Complément bibliographique à la version française:
On renverra pour toutes les questions abordées dans ce texte à l’ouvrage de Eugen Kogon, Herrmann Langbein, Adalbert Rückerl, Les chambres à gaz secret d’État, Seuil, Points Histoire, 1987.
L’ouvrage de Germaine Tillion, Ravensbrück, Seuil, 1988, contient des études détaillées des chambres à gaz de Ravensbrück, Mauthausen, Harteim, Dachau, et de la tentative de construction d’une chambre à gaz à Buchenwald (construction sabotée par les prisonniers, ce qui fait qu’il n’y eut pas de chambre à gaz à Buchenwald). Traduction copyright © Gilles Karmasyn 2000

DESCRIPTION D’ UNE « ACTION SPÉCIALE » : LE GAZAGE DES DÉTENUS
Journal personnel tenu par le docteur Johan Paul Kremer, professeur à l’Université de Munster, l’un des médecins affectés au camp d’Auschwitz-Birkenau.
2 Septembre 1942. Ce matin à 3 heures, j’ai assisté pour la première fois à une « action spéciale ». En comparaison, l’enfer de Dante, me paraît une comédie. Ce n’est pas pour rien qu’Auschwitz est appelé un camp d’extermination.
5 septembre 1942. Aujourd’hui, à midi, « action spéciale » dans le camp de concentration des femmes : les « Musulmanes » (A Auschwitz on appelait « Musulmans » les détenus parvenus au dernier degré de la misère psychologique). Le plus horrible de l’horrible. le Dr Thilo avait bien raison de me dire ce matin que nous trouvons ici dans l’anus mundi . Ce soir, vers 8 heures, j’ai assisté à une « action spéciale » de Hollandais. Tous les hommes tiennent à prendre part à ces opérations, à cause des rations spéciales qu’ils touchent à cette occasion : 1/5 de litre de schnapps, 5 cigarettes, 100 grammes de saucisson et pain.
Dans une autre partie de son témoignage, le Dr Kremer décrit l’ »action spéciale » du 2 septembre et d’autres opérations de gazage.
Cet assassinat en masse eut lieu hors du camp de Birkenau, dans de petites maisons situées dans la forêt. Les SS les appelaient bunker dans leur argot. Tous les médecins du service de santé du camp prenaient part à ces gazages, à tour de rôle. Ma participation à ces gazages qualifiées d’ »actions spéciales » consistait à me tenir prêt à intervenir à un endroit au voisinage du bunker…
J’ai suivi un convoi jusqu’au bunker. On conduisait les prisonniers d’abord à des baraquements , où ils se déshabillaient ; de là, ils se rendaient nus dans les chambres à gaz. La plupart du temps, les choses se passaient calmement, car les SS tranquillisaient les gens en leur disant qu’ils allaient au bain et à l’épouillage. Quand tous avaient été poussés dans une chambre à gaz, on fermait la porte, et un SS muni d’un masque à gaz jetait le contenu d’une boite à gaz par une ouverture pratiquée sur le mur du côté. Par cette ouverture, on percevait les cris et les lamentations des victimes, on entendait leur agonie. Mais cela était très court. Je pense que cela ne durait pas plus de quelques minutes, mais je ne suis pas en mesure de le préciser.
Source : Journal du Dr Kremer , publié dans K. Smolené , Auschwitz vu par les SS, Musée d’État d’Oswiecim, 1974, pp. 212-217.

COMMENT LES FEMMES ET LES ENFANTS ÉTAIENT CONDUITS AUX CHAMBRES A GAZ
Enfants juifs de Lotz ( Pologne ) en partance pour les camps d’extermination
Témoignage du commandant du camp d’Auschwitz
Dans cette ambiance inhabituelle, les enfants en bas âge se mettaient généralement à pleurnicher. Mais après avoir été consolés par leur mère ou par les hommes du commando, ils se calmaient et s’en allaient vers les chambres à gaz en jouant ou en se taquinant, un joujou dans les bras.
J’ai parfois observé des femmes conscientes de leur destin qui, une peur mortelle dans le regard, trouvaient encore la force de plaisanter avec leurs enfants et de les rassurer.
L’une d’elles s’approcha de moi en passant et chuchota, en me montrant ses quatre enfants qui se tenaient gentiment par la main pour aider le plus petit à avancer sur un terrain difficile :  » Comment pouvez-vous prendre la décision de tuer ces beaux petits enfants ? Vous n’avez donc pas de coeur. »
J’entendis aussi les paroles cinglantes d’un vieil homme qui se tenait tout près de moi ;  » Ce massacre des Juifs, l’Allemagne le paiera très cher. » Je lisais la haine dans ses yeux. Mais il entra calmement dans la chambre à gaz, sans se préoccuper des autres.
Source : Rudölf Höss, Le Commandant d’Auschwitz parle, Paris, Julliard, 1959, p 176.

A L’ OUVERTURE DES PORTES DES CHAMBRES A GAZ:LES CADAVRES
Témoignage du Dr Nyizli, médecin légiste hongrois, qui a assisté à un grand nombre de gazages, mais qui par chance a réussi à survivre.
Un tableau horrible s’offre alors aux yeux des spectateurs. Les cadavres ne sont pas couchés un peu partout en long et en large dans la salle, mais entassés en un amas de toute la hauteur de la pièce. L’explication réside dans le fait que le gaz inonde d’abord les couches inférieures de l’air et ne monte que lentement vers le plafond. C’est cela qui oblige les malheureux à se piétiner et à grimper les uns sur les autres. Quelques mètres plus haut, le gaz les atteint un plus tard. Quelle lutte désespérée pour la vie ! Cependant il ne s’agissait que d’un répit de deux ou trois minutes. S’ils avaient su réfléchir, ils auraient réalisé qu’ils piétinaient leurs enfants, leurs parents, leur femme. Mais ils ne peuvent réfléchir. Leurs gestes ne sont plus que des réflexes automatiques de l’instinct de conservation. Je remarque qu’en bas du tas de cadavres se trouvent les bébés , les enfants, les femmes et les vieillards ; au sommet, les plus forts. Leurs corps, qui portent de nombreuses égratignures, sont souvent enlacés. Le nez et la bouche saignants, le visage tuméfié et bleu, déformé, les rendent méconnaissables.
Source : Dr Miklos Nyiszli, Médecin à Auschwitz : souvenirs d’un médecin déporté, Paris, Julliard, 1961, pp. 57-58.

LES CHAMBRES A GAZ A AUSCHWITZ
Le Zyklon B, un poison foudroyant pour l’être humain.
À Auschwitz, les locaux de gazage faisaient partie des crématoires (on appelle alors « crématoire » un bâtiment incluant en un même lieu les salles de déshabillage, chambres à gaz et salles des fours). À Auschwitz il y a cinq crématoires appelés K I, K II, K III, K IV et K V (K I à Auschwitz I, les autres à Auschwitz II c’est-à-dire Birkenau). Les crématoriums diffèrent dans leur conception; les K II et K III ont leurs salle de déshabillage et chambre à gaz enterrées alors que les K IV et K V ont toutes leurs pièces constitutives en terre plein. En plus de ces Krematorium, il y avait dans le bois à la lisière extérieure du camp de Birkenau des chambres à gaz dans deux lieux appelés Bunker. Les deux Bunker ont été utilisés avant la construction des K II à V. Il s’agissait au départ de chaumières paysannes existant antérieurement au camp et appartenant à des paysans polonais qui en ont été expropriés. Ils ont ensuite été l’objet de travaux destinés à les adapter à leurs fonctions sur ordre de R. Höß le commandant du camp, qui tenait lui-même ses ordres de Himmler. La capacité de ces Bunker était bien inférieure à celle des crématoires. Les Bunker 1 et 2 ont cessé d’être utilisés lorsque les Krematorium ont été terminés. Le Bunker 1 (deux chambres à gaz) a alors été détruit. Le Bunker 2 (quatre chambres à gaz) en revanche a été conservé et remis en service lors des transports massifs de Juifs hongrois durant l’année 44 car les quatre crématoires n’y suffisaient pas. Pour certaines, les chambres à gaz prenaient l’apparence anodine de salles de douches pouvant contenir simultanément jusqu’à 3 000 personnes pour les K II et III et 2 000 pour les K IV et V.
Méthode
Une fois les portes fermées, un officier SS versait les cristaux de Zyklon B par des ouvertures dans le toit qu’il obturait ensuite par des dalles en béton (aux K I, K II et K III) ou par des lucarnes de bois en haut des murs (aux Bunkers et aux K IV et K V). Dans le premier cas, le produit tombait dans des colonnes creuses jalonnant la chambre d’où le gaz commençait à diffuser. La mort survenait progressivement après 6 à 20 minutes (variable selon la quantité de personnes dans la salle et la chaleur) de convulsions et d’étouffement. Après un délai qui était jugé convenable par un médecin SS regardant pour cela dans la pièce par un judas, on ouvrait les portes. Peu après, dans les crématoires équipés de ventilation, les cadavres étaient sortis de la chambre à gaz. Là, un Kommando était chargé de raser les cheveux des femmes et de récupérer les objets de valeur, y compris les dents en or. Ensuite, ces prisonniers devaient empiler les cadavres dans des monte-charges vers la salle des fours aux K II et III parce que les chambres à gaz y étaient au sous-sol.
Source : © Extrait d’un article sur les chambres à gaz

Messie fils de Joseph et Messie fils de David (judaisme, etude)

17 janvier, 2013

http://ghansel.free.fr/messie.html

Messie fils de Joseph et Messie fils de David

selon le Rav Kook

Théodore Herzl meurt en 1904 et à son décès le Rav Kook publie un article remarquable de quelques pages intitulé Hamisped bierouchalaïm, Lamentation funèbre à Jérusalem. A cette occasion, en même temps qu’il explique un texte talmudique fort énigmatique, le Rav Kook s’élève au dessus de la contingence de l’événement et développe le sens et l’avenir de l’entreprise sioniste considérée dans sa plus grande généralité. L’objet de cette étude est de présenter ces idées du Rav Kook en me tenant au plus près de sa méthododologie.
L’énigme commence avec une prophétie de Zacharie dont voici la traduction selon la Bible du rabbinat1:
En ce jour, l’Éternel étendra sa protection sur les habitants de Jérusalem, et alors le plus vacillant parmi eux sera comme David, et ceux de la maison de David paraîtront à leurs yeux comme des êtres divins, comme des anges de l’Éternel. En ce jour, je m’appliquerai à détruire toutes les nations venues contre Jérusalem. Mais sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem je répandrai un esprit de bienveillance et de pitié, et ils porteront les regards vers moi à cause de celui qui aura été percé de leurs coups, ils le regretteront comme on regrette un [fils] unique, et le pleureront amèrement comme on pleure un premier-né. En ce jour, il y aura grand deuil à Jérusalem, comme fut le deuil de Hadadrimon dans la vallée de Meghiddon2. Et le pays sera en deuil, chaque famille à part, la famille de la maison de David à part et leurs femmes à part, la famille de la maison de Nathan à part et leurs femmes à part, la famille de la maison de Lévi à part et leurs femmes à part, la famille de Sémé! à part et leurs femmes à part; de même toutes les familles restantes, chaque famille à part et leurs femmes à part.
Ce texte est notoirement obscur, au point que Jonathan Ben Ouziel, qui a traduit la Bible en araméen, a estimé qu’il devait lui donner un sens plus explicite. Voici la « traduction » qu’il donne du verset 11 :
En ce temps là, il y aura à Jérusalem un grand deuil comme celui de Achab fils d’Amri qu’a tué Hadrimon fils de Tabrimon et comme le deuil de Josias fils d’Amon qu’a tué Pharaon le boîteux dans la vallée de Meguidon.
Jonathan Ben Ouziel a donc remplacé le deuil inconnu de Hadrimon dans la vallée de Meguidon par la référence à deux deuils bien connus : celui d’Achab, un roi d’Israël tué par Hadrimon et celui de Josias, un roi de Juda, tué par Pharaon dans la vallée de Meguidon.
Le Talmud, dans le traité Meguila, a remarqué cette substitution et a redoublé le caractère étrange de toute cette affaire avec le texte suivant3:
Lorsque Jonathan Ben Ouziel a traduit les prophètes, la terre d’Israël a tremblé sur une surface de 400 parses sur 400 parses. Une « fille de la voix » est sortie et a dit : « Qui est celui qui a révélé mes secrets aux hommes ? » Jonathan Ben Ouziel s’est dressé et a dit : « C’est moi qui ai révélé tes secrets aux hommes. Il est dévoilé et connu devant toi que je ne l’ai fait ni pour ma propre gloire ni pour celle de la maison de mon père mais pour que ne se multiplient pas les controverses en Israël »4… [En effet] les textes des prophètes contiennent des choses claires et des choses cachées telles que ce verset : Ce jour là il y aura un grand deuil à Jérusalem comme celui de Hadrimon dans la vallée de Meguidon. Rav Yossef a dit : « Sans la traduction de ce verset, je ne saurais pas ce qu’il veut dire ».
Le Rav Kook pose alors quelques questions : en quoi consiste l’importance du secret recelé dans ce verset ? Pourquoi ici spécialement une explicitation est-elle nécessaire pour éviter des controverses ? Cela paraît absurde, tant nous sommes habitués à ce que le moindre verset de la Torah ou de la Bible est l’objet de nombreuses interprétations. Enfin pourquoi ce secret est-il particulièrement un secret divin ? Mais, avant même toutes ces questions, de quoi parle Zacharie ? Quel est donc ce grand deuil à Jérusalem qu’il annonce en le comparant à des deuils du passé ?
A cette dernière question, le Talmud a répondu dans le traité Soucca5:
Rabbi Dossa et les autres savants en discutaient. Les uns disaient : il s’agit du Messie fils de Joseph qui est tué. Les autres disaient : il s’agit du penchant au mal qui est tué…
Dans le Midrach, le Messie fils de Joseph est un premier messie de la lignée de Joseph qui précède la venue du Messie fils de David. Le Messie fils de Joseph gagnera les guerres de la fin des temps, les guerres dites de Gog et Magog, mais il sera tué au cours de ces événements.
Le Rav Kook se demande alors : pourquoi faut-il donc qu’il y ait deux messies, alors que le but visé est qu’il n’y ait qu’un seul pouvoir qui règne sur les deux branches du peuple, la tribu de Joseph et ceux qui s’y rattachent d’un côté, la tribu Juda et ceux qui s’y rattachent de l’autre. Telle est en effet la prophétie d’Ezéchiel6:
Ainsi parle le seigneur Dieu : Voici je vais prendre l’arbre de Joseph qui est dans la main d’Ephraïm et les tiges d’Israël ses associées ; je les lui adjoindrai avec l’arbre de Juda, et j’en ferai un arbre unique… Voici, je vais prendre les enfants d’Israël d’entre les nations où ils sont allés,… Je les constituerai en une nation unie dans le pays, sur les montagnes d’Israël ; un seul roi sera le roi d’eux tous ; ils ne formeront plus deux nations, ils ne seront plus jamais fractionnés en deux royaumes.
En quoi consiste cette dualité qu’il faut réunir sous une même direction ? Pourquoi le peuple se divise-t-il en deux branches, celle de Joseph d’un côté, celle de Juda de l’autre ? Il y a visiblement là un problème sous-jacent qui traverse de part en part l’histoire du peuple juif et ne trouve sa solution que dans la perspective de la fin des temps. Par exemple nous constatons qu’aux temps hébraïques, après la mort de Salomon, le peuple hébreu s’est partagé en deux États, en deux royaumes, le Royaume d’Israël encore appelé Royaume d’Ephraïm7 et le Royaume de Juda. Pendant 250 ans, il n’y avait pas un État juif, il y en avait deux et qui parfois même se faisaient la guerre. Quelle chance qu’il n’y ait actuellement qu’un seul État juif ! Il nous faut élucider le sens de cette dualité, comprendre en quoi ce n’est pas un simple accident contingent de l’histoire.
Cette dualité trouve en fait sa source dans la réalité humaine au sens le plus fondamental. Schématiquement parlant, un homme est la synthèse d’un corps et d’un âme. Peu importe ici la philosophie précise à laquelle on se rattache quant à la manière dont doit être comprise cette dualité. Il y a présence d’une dualité dans la constitution de toute personne et, par voie de conséquence, d’une double direction dans ses efforts, dans son action, dans ses réalisations. D’un côté, il faut maintenir et développer une constitution physique, une vitalité, des forces, un équilibre biologique et psychique. Ces nécessités sont communes à tous les individus, elles sont un souci commun, un horizon commun, même s’il existe des différences entre les complexions personnelles. Mais d’un autre coté, l’homme a une âme, c’est-à-dire accède à des idées abstraites, à des perceptions esthétiques raffinées, à une culture ; il se construit un système de valeurs et une conception du monde, il se choisit un idéal et donne un sens à sa vie. Et en couronnement de tout apparaît l’éthique, avec ses diverses modalités de recherche de perfection et de responsabilité à l’égard d’autrui. C’est surtout dans cette deuxième direction, du côté de l’âme, que les différences personnelles apparaissent, que chaque individu découvre et construit son unicité, son irréductibilité.
Ce qui est vrai au niveau individuel le reste si l’on porte son regard sur un peuple et notamment le peuple juif. D’un côté, il doit assurer son existence, développer sa force politique, économique, militaire, se doter d’institutions solides, d’une administration efficace, d’un ordre social stable. En cela, le peuple juif est semblable aux autres peuples. Il est soumis aux mêmes impératifs matériels et cela constitue le fondement d’un langage commun, d’un tissu d’influences réciproques. Certes, son histoire est différente, elle est même exceptionnelle, mais cela reste l’histoire d’un peuple au sein de la famille des peuples. Pour l’indiquer, le Rav Kook met en valeur un verset de Samuel où David dit8:
Y a-t-il comme ton peuple Israël, une seule nation sur la terre (goï ehad baaretz), que des dieux soient allés délivrer pour en faire leur peuple, pour lui assurer un renom, en opérant des choses grandes et imposantes comme celles que tu as effectuées pour ta terre et pour ton peuple en le libérant de l’Égypte, de nations et de leurs divinités.
Le peuple juif est défini comme une nation parmi les autres, goï ehad baaretz, une nation sur la terre. Il y a donc un côté commun et par là-même un langage commun qui lie le peuple juif et le reste de l’humanité. C’est sur ce fondement que l’on peut comprendre que le peuple juif puisse jouer un rôle, puisse avoir une influence sur le monde extérieur, du moins en tant que vision d’avenir. Le Rav Kook cite à cet égard le prophète Isaïe. Ce que le prophète dit du Messie, le Rav Kook l’applique au peuple dans son ensemble9:
Ainsi parle le Dieu, l’Éternel qui a créé les cieux et les a déployés, qui a étendu la terre avec ses productions, qui donne la vie à la foule qui l’habite et le souffle à ce qui s’y déplace. Moi l’Éternel, je t’ai appelé pour la justice ; je te tiendrai par la main pour établir le peuple de mon alliance et être la lumière des nations.
C’est seulement sur la base d’une existence matérielle solidement établie qu’un rôle universel du peuple juif peut se concevoir. Mais il existe une deuxième perspective qui, elle, lui est complètement spécifique. Le peuple juif est aussi le véhicule de ce que le Rav Kook appelle une sainteté supérieure, une qedoucha eliona, qui l’isole de la communauté des peuples. Cette sainteté, issue de la révélation, a pour résultat que d’une certaine façon, on ne peut plus compter Israël comme élément d’un ensemble, comme appartenant à la famille des nations. La chira, le poème qui se trouve à la fin du Pentateuque et qui résume à sa manière le destin d’Israël, énonce10:
Car ce peuple est la part du Seigneur, Jacob est le lot de son héritage,… l’Éternel le conduit seul, il n’y a pas avec lui de puissance étrangère.
Cette situation exceptionnelle est reconnue par l’un des pires ennemis d’Israël, par le prophète Bileam, dans les malédictions qu’il voulait proférer et qui se sont transformées malgré lui en bénédictions11:
Comment maudirais-je celui que Dieu n’a pas maudit,… je le vois de la cime des rochers, je l’observe du haut des collines : ce peuple réside solitaire, il n’est pas compté parmi les nations (bagoïm lo ithachav).
Il convient de donner tout son sens à cette dualité, de maintenir fermement ses deux aspects, de ne pas gommer l’un au profit de l’autre. Elle ne se réduit pas à un discours convenu sur la double face particulariste et universaliste de la tradition d’Israël. En réalité, particularisme et universalisme sont tous deux encore relatifs à Israël en tant que membre de la famille des nations. Véhicule d’aspirations morales universelles, le peuple juif a également ses coutumes propres et un destin qui, du simple point de vue historique, est très particulier. Mais cela ne concerne pas encore Israël considéré comme support de sainteté supérieure, horizon en vertu duquel il échappe à l’histoire. Pour prendre une comparaison, le blanc est une couleur bien particulière au sein de la famille des couleurs. Elle est obtenue par combinaison de toutes les autres, mais c’est encore une couleur. Le blanc n’est pas encore la transparence, laquelle transcende la notion même de couleur. Il en est de même de l’exceptionnalité d’Israël : elle ne se confond pas avec un particularisme au sein de l’histoire, aussi éminent soit-il, mais elle signifie une échappée hors des catégories de l’histoire, même si elle se traduit en permanence dans l’histoire. En effet le dualisme dans la nature et la vocation d’Israël n’est pas seulement de nature théorique. Il est une constante inscrite dans son destin et l’impossibilité de concilier ses deux aspects est à l’origine de divisions tranchées dans le peuple et éventuellement même de catastrophes nationales.
Avant de le préciser, voyons avec le Rav Kook, comment c’est dès l’origine, dès l’histoire des patriarches, que la dissociation apparaît. Selon une formule du Midrach, maasé abot siman labanim, les événements de l’histoires des pères, des patriarches, sont un signe [annonciateur] pour les fils, pour les descendants. Les structures qui vont marquer l’histoire d’Israël sont déjà présentes à l’origine et les récits historiques de la Torah nous les explicitent.
D’emblée il y a conflit entre Joseph d’un côté et ses frères de l’autre dirigés par Juda. Et plus tard, c’est encore de la tribu de Joseph (ou plus spécialement d’Ephraïm) et de la tribu de Juda que seront issues les dynasties royales qui vont gouverner le peuple hébreu, le royaume d’Israël d’un côté, le royaume de Juda, de l’autre. Le destin de Joseph est d’un bout à l’autre marqué du sceau de la proximité avec le monde extérieur, avec le monde non juif. Joseph devient dirigeant politique en Égypte, c’est un économiste avisé, c’est lui qui va assurer la subsistance de sa famille pendant les années de famine.
Le Midrach insiste sur cette place de Joseph dans l’histoire universelle. Joseph est12 nivla bein haoumot, littéralement avalé parmi les peuples, il connaît les 70 langues (que lui a appris l’archange Gabriel) et Pharaon reconnaît en lui les caractéristiques d’un roi. Le Midrach Rabba dit encore13:
Lorsque Joseph est né, est né le satan d’Esaü et c’est alors que Jacob a dit à Laban : « laisse-moi partir pour que j’aille à mon propre lieu et à ma propre terre ». Rabbi Pinhas a dit: c’est une tradition que Esaü ne tombe que sous la main des fils de Rachel (Joseph et Benjamin)… Ce sont eux que le prophète Jérémie appelle les jeunes du troupeau (tseiré hatson), les plus jeunes des fils.
Toutefois Joseph lui-même conserve son identité juive en tant qu’éthique ; il est Iossef hatsadik, Joseph le juste. Joseph est donc le Juif engagé dans la vie politique et économique, au contact des non-Juifs ; sa présence est nécessaire à la subsistance du reste de la famille. Joseph a toutes les apparences du Juif assimilé, même s’il ne l’est pas réellement. Il est le point de contact entre le monde juif et celui de l’universel humain.
En revanche, Juda conduit le reste de la famille, il est le chef d’une communauté qui se tient dans sa sainteté en retrait du monde extérieur. Comme le dit le psaume14:
Quand Israël sortit de l’Égypte, la maison de Jacob d’un peuple à la langue barbare, Juda devint [pour Dieu] le lieu de sa sainteté, Israël le domaine de son empire.
La tension que la Torah décrit entre Juda et Joseph est autre chose qu’une simple querelle de famille. Elle résulte de l’affrontement entre deux modalités également indispensables de l’être juif.
Quelle solution peut-on apporter à cette contradiction, comment éviter qu’elle ne dégénère en affrontement irréductible entre les composantes du peuple ? Le Rav Kook décrit deux possibilités qui, historiquement, ont toutes les deux échoué. La première est celle du roi David. Il s’agit d’unifier les deux composantes sous une même souveraineté de sorte qu’elles coopèrent au sein d’une même structure et se fortifient l’une l’autre. Constituer un état puissant mais qui ne perde rien de ce qui fait la spécificité d’Israël, toutes les valeurs de sainteté qui doivent caractériser ce peuple en tant que tel et qui à l’extérieur ne se retrouvent qu’à l’état dispersé chez des personnes d’élite. Le Midrach va définir nettement quel est l’instrument qui permet cette unité. Esaü était roux et David aussi, mais, nous dit le texte, David avait de beaux yeux15:
[Esaü est né] roux ; Rabbi Aba bar Kahana a dit : comme quelqu’un qui verse le sang. Lorsque Samuel a vu que David [qu'il devait consacrer roi] était roux, il a eu peur. Il s’est dit: lui aussi va verser le sang comme Esaü. Le Saint Béni Soit-Il lui a dit : il est roux avec de beaux yeux. Esaü, c’est de son propre chef qu’il tue ; mais celui-là, c’est avec l’accord du Sanhédrin qu’il tue.
David est bien un roi, un chef politique, mais il agit sous le contrôle du Sanhédrin. Il exerce la violence mais sans arbitraire, une violence conforme au droit le plus exigeant. Avec David, la violence inévitable que doit mettre en œuvre le pouvoir politique reste au service de la justice. C’est cela, pour le Midrach, avoir de beaux yeux.
Je me permets d’introduire ici un parenthèse et d’insister sur l’enseignement que nous délivre ici le Midrach. Quel est le lieu où peuvent se retrouver les diverses composantes qui partagent notre peuple, le point d’intersection où les nécessités de la vie sociale d’un côté, les valeurs de l’esprit de l’autre, doivent se rencontrer ? Réponse : c’est le droit. C’est la constitution du droit qui est le lieu privilégié où ceux dont le souci primordial est la construction sociale et ceux qui veillent avant tout à la transmission des idéaux du judaïsme peuvent et doivent coopérer. Depuis l’Émancipation, la construction du droit juif s’est interrompue et le judaïsme s’est replié sur ses aspects cultuels. La synagogue a remplacé le tribunal comme centre de la vie juive. Là se trouve la cause première de nos divisions. L’avenir spirituel de notre peuple restera bouché tant que le fil de la construction du droit juif ne sera pas rétabli.
Je reviens maintenant au développement principal. La tentative unitaire de David a échoué. A la mort de Salomon, le royaume s’est scindé en deux États. le premier, le royaume de Juda, est resté fidèle à la dynastie de David, alors que le second, le royaume d’Israël, a fait scission, réunissant dix tribus sur douze entraînées par la tribu d’Ephraïm. Jéroboam, choisi pour sa prestance et son adresse pratique, a fondé une nouvelle dynastie qui s’est maintenue pendant plus de 200 ans. Les deux royaumes ont connu des développements séparés chacun selon sa vocation propre.
Le royaume d’Israël a laissé se développer tout ce qui rend semblable Israël aux autres peuples, notamment en organisant à Samarie une forme d’idolâtrie, un nouveau culte rival de celui de Jérusalem. Les rois d’Israël agissaient de façon arbitraire, étaient des débauchés, et les assassinats étaient monnaie courante. Ils ne restaient d’ailleurs pas longtemps sur le trône. Le prophète Osée décrit cette situation de dégénérescence et annonce16: Ephraïm s’assimile aux peuples (baamim hou itbolel), c’est un gâteau que l’on n’a pas retourné. Cette prophétie s’est réalisée. En 722, Samarie fut conquise par les Assyriens. Le royaume d’Israël disparut et les dix tribus furent dispersées dans la région environnante et s’assimilèrent. C’est l’une des plus grandes catastrophes nationales qu’a connu le peuple juif.
D’un autre côté, le royaume de Juda, avec des hauts et des bas, est plutôt resté fidèle aux valeurs juives. Mais, nous dit le Rav Kook, séparé de la force politique du royaume d’Israël avec lequel il était même parfois en conflit, cela n’a pas suffi. Pour compenser le manque de base matérielle, il aurait fallu un développement spirituel beaucoup plus vigoureux. Cela n’a pas été le cas et le royaume de Juda aussi, un siècle et demi plus tard, en 587, a été démantelé. Là encore le prophète synthétise cette situation17:
Je connais bien Ephraïm et Israël ne peut se cacher de moi ; oui vraiment tu t’es prostitué, Ephraïm, Israël s’est rendu impur. Leurs actions ne leur donnent pas la possibilité de revenir à leur Dieu, car un esprit de prostitution est présent en leur sein, et ils ne connaissent plus l’Éternel. La prétention d’Israël sera humiliée, Israël et Ephraïm trébucheront par leurs fautes, Juda trébuchera également avec eux.
L’analyse du Rav Kook ne s’arrête pas là. En dépit de la division en deux royaumes, une solution aurait pu être envisagée, fondée non plus sur l’unité d’un royaume mais néanmoins sur la coopération des deux royaumes. Que chaque partie développe sa caractéristique propre, sa tendance propre, avec toutefois des échanges laissant place à une influence réciproque. Que Juda apprenne d’Ephraïm les voies du renforcement national, tout ce qui est nécessaire au perfectionnement d’une société humaine en général. Et qu’inversement Ephraïm reçoive de Juda la force supérieure propre au peuple juif dans le domaine du sacré et notamment manifeste en ce temps là avec la présence permanente de la prophétie.
Cependant cela ne s’est pas réalisé. Il y a en effet un obstacle de taille à la mise en œuvre d’une telle coopération. Le Rav Kook, à la suite du Talmud, l’explicite. Par principe, on ne peut considérer que les deux orientations se situent au même niveau. Elles sont toutes deux indispensables mais la voie qui consiste à développer les valeurs propres à Israël doit obligatoirement avoir la primauté. C’est elle qui détermine le sens ultime de l’existence juive. Ce sens ultime ne saurait se trouver dans une normalisation politique et économique sans autre finalité. Le renforcement politique est nécessaire, il a une place totalement légitime, mais ce ne peut être lui qui fixe l’impulsion directrice. De même qu’à l’échelon individuel, c’est l’âme qui doit diriger le corps, de même à l’échelon collectif, l’idéal directeur ne peut et ne doit venir que de la Torah, de la prophétie, de ce qui constitue l’excellence et la spécificité d’Israël. Or le royaume d’Israël ne pouvait accepter une telle soumission. D’où l’échec irrémédiable qui s’en est suivi. La problématique que je viens de décrire apparaît clairement dans le midrach talmudique suivant18:
Il est écrit (I Rois, 13): Après ces choses là, Jéroboam n’est pas revenu de sa mauvaise voie. Après quoi ? Rabbi Aba a expliqué : Le Saint Béni-Soit-il a saisi Jéroboam par son vêtement. Il lui a dit : reviens sur ce que tu as fait et alors Moi, toi et le fils d’Ichaï (David), nous nous promènerons ensemble dans le jardin d’Eden. Jéroboam a répondu : [oui, mais] qui marchera devant ? [Dieu lui dit :] Le fils d’Ichaï marchera devant. [Alors Jéroboam dit :] S’il en est ainsi, je ne veux pas.
Toute l’histoire juive est marquée par cette opposition Juda-Joseph, cause d’une chaîne ininterrompue de difficultés ou de déchirements. Parfois l’exigence du renforcement de la puissance nationale et de l’universel humain occupe le devant de la scène, parfois au contraire, on assiste au réveil et au fleurissement des valeurs proprement juives, de ce qui se rattache à l’étude de la Torah et à ses idéaux. Mais la force unificatrice supérieure manque, la force englobante qui permettrait de donner leur juste place à chacune de ces tendances et à leurs représentants. Au lieu d’une nécessaire influence réciproque, chaque force tend à se développer séparément et dans l’affrontement avec sa voisine. Cette dispersion des forces, source d’incohérence, c’est cela que l’on appelle les havlei machiah, les traumatismes du Messie, des deux Messies, ajoute le Rav Kook.
Notamment, l’action du Messie fils de Joseph est frappée d’une contradiction interne. D’un côté elle est indispensable et de l’autre, réduite à sa nature propre, elle ne peut réussir, elle est vouée à l’échec. Un peuple juif ayant perdu sa spécificité, coupé des valeurs qui sont sa vocation, est tout aussi impensable qu’un monde qui aurait perdu un de ses points cardinaux, un monde qui aurait perdu le Nord. L’action du Messie fils de Joseph est nécessaire, mais réduite à elle-même, elle ne peut se maintenir. Tel est le sens de ce grand deuil qui va désoler Jérusalem, la mort du Messie fils de Joseph, préfiguration par le prophète Zacharie de catastrophes historiques.
Mais allons plus loin. Qu’est-ce que ce deuil collectif identifié par le prophète à celui que l’on prend pour un premier-né, que signifie cette insistance sur le fait que ce deuil frappe chaque famille à part ? Le premier-né, nous dit le Rav Kook, est l’enfant que les parents ont eu quand ils étaient encore jeunes, encore inexpérimentés. Ils ne savaient lui donner tous les soins nécessaires, et c’est pourquoi il est tombé malade et est décédé. Le deuil n’est pas seulement expression de tristesse. Il est également ici prise de conscience. Le peuple dans son ensemble doit prendre conscience que sa division est destructrice, qu’elle résulte d’une immaturité pouvant conduire à la catastrophe. Chacun des groupes, chacune des familles de pensée partie prenante au destin d’Israël, doit effectuer sa propre prise de conscience. Le drame de la mort du Messie fils de Joseph doit donner l’impulsion nécessaire pour établir une nouvelle situation. Il faut que ceux dont le souci principal est la reconstruction politique du peuple et ceux qui ont les yeux tournés vers ses valeurs idéales trouvent le moyen d’agir de concert. Si chacun peut et doit rester fidèle à sa vocation propre, il faut aussi qu’il y ait place pour une influence réciproque.
Mais pourquoi le prophète Zacharie évoque-t-il à mots couverts le deuil des rois Achab et Josias en corrélation avec celui du Messie fils de Joseph ? Commençons par Achab. La description qu’en fait la Bible n’est guère flatteuse, mais le Talmud en donne une image beaucoup plus contrastée. Il lui reconnaît des qualités éminentes. Achab aime Israël ; pour employer un terme moderne, c’est un patriote. Achab a suivi la voie tracée par son père Omri. Pourquoi Omri, malgré toutes ses fautes, a-t-il mérité de devenir roi d’Israël ? Parce qu’il a construit une nouvelle ville en terre d’Israël, la ville de Samarie. Achab, comme son père, est un bâtisseur.
Egalement Achab est un guerrier courageux. En raison de ses fautes, le prophète lui a annoncé qu’il doit périr dans la guerre contre Aram. Il est blessé par une flèche mais il se tient debout jusqu’à son dernier souffle pour ne pas décourager les troupes.
Plus étonnant encore. Bien qu’il laisse Jézabel exterminer les vrais prophètes, lui, par esprit national, respecte la Torah vis-à-vis du monde extérieur. Cet épisode inventé par le Talmud mérite d’être raconté19:
Ben-Hadad, roi de Syrie, rassembla toute son armée, assisté de 32 rois, avec chars et cavalerie, il alla assiéger Samarie… Il envoya des messagers à Achab, roi d’Israël, pour lui dire : A moi ton argent et ton or, à moi aussi tes femmes et tes fils, les meilleurs. Le roi d’Israël répondit : Comme tu l’as dit, seigneur roi, je suis à toi et tout ce qui m’appartient.
Des messagers revinrent [à nouveau] et dirent : Ainsi a parlé Ben-Haddad :… demain j’enverrai mes serviteurs chez toi ; ils fouilleront ta maison et emporteront ce que tu as de plus précieux.
Le roi manda les Anciens du pays et leur dit : cet homme a de mauvais desseins, car il m’a fait réclamer mes femmes et mes fils, mon argent et mon or, et je ne les lui ai pas refusés. Tous les anciens et tout le peuple lui dirent : Ne l’écoute pas et ne consens point.
Achab fit alors répondre par les envoyés de Ben-Haddad : Tout ce que tu as fait dire en premier lieu à ton serviteur, je le ferai ; mais cela, je ne peux le faire.
Qu’est-ce que Ben-Haddad a demandé en plus la seconde fois ? Le Talmud répond : il voulait s’emparer du Sepher Torah. C’est cela qui est le plus précieux et Achab, en garant intransigeant de la fierté nationale, a refusé. Achab honorait la Torah, non pas en tant que telle, mais comme élément du patrimoine d’Israël.
En revanche, sur le plan personnel, Achab a accumulé les errements et les vices. Développement sans précédent des cultes idolâtres, élimination des vrais prophètes, prostitution. Et le comble, ce pour quoi il devra périr, la mise à mort de Nabot à l’issue d’un procès truqué monté par Jézabel, la femme d’Achab. Cela afin de s’emparer de la vigne que Nabot avait refusé de lui céder.
Le roi Josias est l’antithèse d’Achab. La Bible décrit longuement le retour à la Torah institué par lui. Après avoir fait détruire les hauts lieux consacrés à diverses idoles bâtis aussi bien par des rois de Juda que par des rois d’Israël, Josias rétablit le respect des lois de la Torah20:
Le roi donna à tout le peuple l’ordre suivant : « Célébrez la Pâque en l’honneur de l’Éternel, votre Dieu, telle qu’elle est prescrite dans le livre de l’alliance ». De fait, on n’avait pas célébré une telle Pâque depuis l’époque des Juges qui avaient gouverné Israël, pendant toute la période des rois d’Israël et des rois de Juda… Nul roi n’était, autant que lui, revenu à l’Éternel de tout son cœur, de toute son âme et de tout son pouvoir, selon la doctrine entière de Moïse.
Mais comme on va le voir, il y a un revers à la médaille. Josias respecte les commandements mais est un mauvais politique. Il va être tué par Pharaon qu’il a eu le tort de vouloir combattre21:
Pharaon Nekho, roi d’Égypte, fit une expédition contre le roi d’Assyrie, vers l’Euphrate. Le roi Josias s’avança pour combattre Nekho et celui-ci le tua à Meghiddo dès qu’il l’eut aperçu.
Pharaon n’avait aucune intention belliqueuse envers Josias. Il voulait seulement traverser Israël pour aller faire la guerre à la Syrie. Josias refuse car, dit le Rav Kook, conformément à sa manière d’être, il ne veut pas de contact avec le monde extérieur. Son horizon est celui d’un peuple juif uniquement centré sur ses propres valeurs. Josias vit dans un monde idéal coupé de la réalité historique. Le Talmud l’explicite à sa manière22:
Rabbi Samuel fils de Nahmani a dit au nom de Rabbi Jonathan : Pourquoi Josias a-t-il été puni ? C’est parce qu’il aurait dû prendre l’avis de Jérémie et qu’il ne l’a pas fait. Voilà quel était son raisonnement : Il est annoncé [pour l'avenir] dans la Torah (Lévitique, ch. 26) : l’épée ne passera pas dans votre terre. S’il s’agit d’une épée belliqueuse, c’est inutile de le dire car il est écrit par ailleurs : Je mettrai la paix dans la terre. C’est donc pour dire que même une épée de paix [ne passera pas]. [Il s'est trompé car] il n’avait pas réalisé que la génération n’était pas à la hauteur. [Radak : des cultes idolâtres continuaient à être effectués clandestinement].
Josias se place dans la ligne d’un judaïsme pur et dur, d’une volonté de perfection idéale qui oublie les nécessités relatives à l’universel humain dans sa réalité concrète. On ne peut diriger un peuple avec des exigences de pureté trop éloignées de la situation historique.
Achab descendant de Joseph et Josias descendant Juda réactualisent ainsi la division apparue dès l’origine dans l’histoire des patriarches. Les voies qu’ils choisissent comportent chacune un noyau rigoureusement nécessaire à la construction d’un Israël complet mais la divergence dans laquelle ces voies sont empruntées ne peut conduire qu’à des échecs. Le grand deuil à la mort du Messie fils de Joseph est équivalent au double deuil d’Achab et de Josias. Il est la prise de conscience des désastres produits par l’unité manquée, de l’échec aussi bien de la voie d’Achab que de celle de Josias.
Mais pourquoi fallait-il le cacher ? Pourquoi Zacharie ne le dit-il qu’à mots couverts ? Peut-être nous aussi devrions nous abstenir d’en parler ? C’est qu’il y a ici un réel danger. La division peut entraîner des échecs, mais l’unité peut être encore plus néfaste. Le risque est qu’au lieu de s’influencer réciproquement mais en gardant leur vigueur, les voies de Juda et de Joseph se dissolvent dans une unité sans relief. Pour prendre une comparaison banale, la situation est analogue à celle d’une démocratie pour laquelle l’alternance peut être préférable à un gouvernement d’union nationale condamné à l’immobilisme. Si l’unité du peuple juif signifie l’établissement d’un traditionalisme sans aspérité, sans idéal radical, alors, à tout prendre, la controverse et la division sont préférables, en dépit des échecs qu’elles entraînent.
C’est pourquoi Zacharie a camouflé l’exigence ultime d’unité entre les bâtisseurs du collectif avec ses contraintes pratiques et ceux qui recherchent la perfection idéale. Mais de son côté, Jonathan Ben Ouziel a fait confiance à la raison. Il a pris courageusement sur lui de révéler le secret, non pas pour sa gloire personnelle, mais pour que ne se multiplient pas les divisions d’Israël. Quels que soient les vices personnels d’Achab, il ne faut pas oublier qu’il est un bâtisseur, un patriote qui aime son peuple jusqu’au sacrifice de soi. Et de l’autre côté, en dépit de ses outrances et de son irréalisme, l’exigence de perfection de Josias doit être reconnue comme structure indissociable de l’être d’Israël. Il faut faire confiance à la raison pour découvrir la voie d’une unité dans laquelle ces directions dissemblables conservent leur radicalité.
Et voilà, dit le Rav Kook23, qu’en notre génération, en 1900, en tant que trace du Messie fils de Joseph, est apparue la vision sioniste. Elle se définit essentiellement comme réalisation d’une tendance commune à tous les peuples. Le sionisme est encore frappé d’une imperfection qui empêche l’unité des forces qui le composent. Il ne saisit pas que le réveil d’Israël en tant que peuple vivant avec tous ses besoins matériels n’a de sens que comme fondement pour la réalisation de ses idéaux spécifiques. Le sionisme n’a pas encore trouvé le moyen de s’associer les élites du monde de la Torah et de bénéficier de leur influence.
Cette situation, ainsi que l’absence jusqu’à présent de résultats tangibles, a conduit à des dissensions extrêmes au sein du mouvement, conflits idéologiques ou brouille de frères. Elles sont devenues tellement dangereuses que le leader principal en est mort d’accablement et tristesse. Aussi nous devons prêter attention et mettre en œuvre l’aspiration à l’unification de l’arbre de Joseph et de l’arbre de Juda. Il faut nous réjouir du réveil du désir d’une vie saine et matérielle qui résonne dans l’ensemble du peuple et en même temps savoir que là n’est pas la finalité d’Israël. Ce réveil doit s’amplifier selon sa voie propre mais il doit s’orienter ultimement vers la soumission et l’aspiration aux idéaux l’esprit. Sinon il n’aurait pas plus de valeur que le royaume d’Ephraïm devenu gâteau que l’on n’a pas retourné, qui a abandonné la source d’eau vive, qui, comme le dit le prophète Osée, tantôt en appellent à l’Égypte, tantôt se rendent en Assyrie.
L’amertume nous saisit à juste titre à la mort de celui que l’on peut considérer comme trace du Messie fils de Joseph en raison de l’impulsion qu’il a donné au désir collectif de renaissance du peuple au sens matériel et au sein de l’universel humain. Mais cette amertume doit être productive et il nous faut supprimer les causes de l’abandon dans lequel cette impulsion s’est trouvée. La techouva, la réparation doit venir de nous et elle ne peut être véritable que si toutes les forces présentes et potentielles du peuple se développent avec vigueur mais en même temps se tournent en direction du Bien. Alors nous serons prêts pour que se réalise la volonté supérieure24: Et tu seras une couronne glorieuse aux mains de l’Éternel et un diadème royal dans la paume de ton Dieu.
Avec le début de la réalisation sioniste, la pensée du Rav Kook a connu un infléchissement. Les dissensions ont persisté mais elles commencent à prendre un tour moins aigu. Trente ans plus tard, en 1933, le Rav Kook en traite à nouveau dans un article intitulé Les pérégrinations des camps. Le Rav Kook parle désormais de la division entre religieux et laïcs et décrète qu’il s’agit là d’une pseudo-division, d’une division imaginaire manifestement gonflée par des abus de langage. Voici in extenso le texte de cet article25:

LES PERIGRINATIONS DES CAMPS
Alors que nous sommes à l’orée de la nouvelle année, – puisse-t-elle nous être favorable, ainsi qu’à tout le peuple d’Israël -, nous allons dire avec espoir et du fond du cœur : Que disparaisse l’année et ses malheurs et que débute l’année et ses bonheurs. Nous dirons cette prière avec d’autant plus d’ardeur que l’année qui s’achève fut accablante pour nous. Il nous faudra en plus l’accompagner d’un examen de nos actes passés et nous rapprocher du chemin de la techouva, le chemin du retour, seul capable, comme l’indique le traité talmudique Yoma, d’amener la guérison et la délivrance au monde. C’est notre devoir d’emprunter ce chemin, mais il nous faut en préciser le tracé, compte-tenu de notre situation dans le monde en général et dans notre pays en particulier.
Nous nous imaginons que notre peuple est scindé en deux camps, car nous entendons constamment tinter à nos oreilles le son de deux vocables, « religieux » (haredim), « laïcs » (hofchim), supposés, à tort, définir notre société. Or ce sont deux termes tout à fait nouveaux, n’ayant jamais jusqu’ici eu cours dans notre culture.
Nous savions que les êtres humains se situent à des niveaux différents, spécialement en ce qui concerne la vie de l’esprit, fondement de l’existence même. Mais que des termes décrivant cette différence puissent devenir des dénominations de clans ou de partis, cela, nous l’ignorions. Il apparaît à l’évidence que de ce point de vue, notre passé fut meilleur que notre présent. Si seulement nous pouvions faire disparaître complètement ces deux mots, obstacle sur le chemin de l’existence vigoureuse et pure que nous devons retrouver, éclairée de la lumière divine.
La mise en exergue de ces deux mots et le consensus imaginaire censé relier les individus, chacun proclamant avec satisfaction son appartenance à tel ou tel camp, constituent des deux côtés un obstacle à toute correction et à tout perfectionnement.
Le religieux, c’est-à-dire celui qui se pense appartenir au camp des religieux, regarde de haut en bas l’autre camp, celui des laïcs. Relativement à toute idée d’amendement, d’examen critique de ses actes et de retour au droit chemin, il porte d’emblée ses regards sur le camp d’en face, dénué de connaissance de la Torah et écarté de la pratique des commandements ; il considère que c’est là que la techouva dans la plénitude de son sens est nécessaire ; cela les regarde eux, « eux et pas lui ». Inversement, le laïc, c’est-à-dire celui appartenant à ce camp qui s’enorgueillit de son appellation moderne de laïc, pense bien évidemment que toute notion de techouva est par définition « religieuse » et ne le concerne en aucune manière. Nous sommes ainsi pris en tenailles de deux côtés. D’où viendrait alors le remède aux souffrances de notre âme ?
Tel est le premier handicap. Mais il y en un autre qui n’est pas moins grave : une sorte de rideau de fer est tiré entre les deux camps. Cela nous réduit au rang d’aveugles tâtonnant dans l’obscurité, car l’éclairage émanant de l’unité divine ne peut se poser que sur le peuple d’Israël dans sa globalité et donc se dérobe à nos yeux.
Nous n’avons donc d’autre choix que de nous débarasser de ces vocables fétiches. En vérité, nous sommes, depuis toujours, constitués non pas de deux camps, mais bel et bien de trois. En effet, c’est d’une tradition ancienne que nous apprenons que le terme hébraïque tsibour, communauté, est formé des initiales des mots justes, ordinaires et méchants, mais ces adjectifs ne peuvent s’appliquer qu’à des individus. Et pour ce qui est de chacun en particulier, il doit obéir au principe : même si le monde entier te dit « tu es juste », tu dois te considérer comme un méchant. Il est donc excellent que chacun fasse pour lui-même un bilan approfondi, examine ses défauts personnels, mais porte un regard bienveillant sur autrui dans la conscience de qui il pourrait bien découvrir un trésor de bien caché.
Nous devons décider, une fois pour toutes, qu’un dynamisme poussant à la marche vers le bien existe dans chaque camp et chaque personne de notre peuple et tout particulièrement chez ceux qui attachent du prix au destin collectif d’Israël et à ses aspirations, sous quelque modalité que ce soit.
Présentons-nous l’un à l’autre par notre nom commun, Israël, et non pas par nos noms partisans. Sachons que chaque camp a beaucoup à corriger et beaucoup de lumière à recevoir de son voisin d’en face. Alors apparaîtra pour nous la clarté supérieure et universelle grâce à laquelle nous obtiendrons un salut définitif et par laquelle s’accomplira cette prière, la plus sainte qui soit, que nous allons prononcer avec tant d’émotion : que tous constituent une même gerbe pour réaliser ta volonté avec un cœur parfait.
Ici s’arrête ma présentation des idées du Rav Kook. Sans aucunement les contredire et sans tomber dans le ridicule de prétendre les « améliorer », je souhaite toutefois les prolonger et mettre en évidence une nouvelle perspective. Comme on peut le constater, l’article du Rav Kook est encore d’actualité. Cependant, si on accepte de s’abstraire de l’effervescence médiatique qui hypostasie en permanence tel ou tel événement marginal de l’actualité immédiate, on doit conclure que l’état des choses s’est profondément modifié, et cela dans le bon sens.
La légitimité de l’existence de l’État d’Israël n’est pratiquement plus contestée par personne, ce qui n’était pas le cas auparavant. Pratiquement tous les courants de pensée sont partie prenante au jeu démocratique et, pour l’essentiel, en acceptent les règles. Au sein du monde politique, dans l’économie, dans les universités, et même de plus en plus au sein de l’armée, des représentants de toutes les tendances se rencontrent, coopèrent et dialoguent. Bref, à l’échelle des générations, les fossés irréductibles sont remplacés par des controverses normales. On observera en particulier que la violence physique n’apparaît que de façon tout à fait marginale, en tout cas sans aucune commune mesure avec ce que l’on observe dans les autres pays, même dans les pays appelés civilisés.
Toutefois le processus de reconstruction et d’unification en cours n’a pas encore atteint un état satisfaisant. Même si le fossé s’amenuise et est pour une large part imaginaire, il reste encore grand et, en tout cas, il est le plus souvent comme perçu comme tel. La raison en est que l’une des structures collectives fondamentales du peuple juif attend encore son rétablissement. Cette structure est le Droit. Le Droit est un élément essentiel de l’héritage culturel du peuple juif et il est commun à toutes les tendances, qu’elles se dénomment « religieuses » ou « laïques ». Le fil de la construction du droit juif s’est interrompu avec l’Émancipation et depuis, tout se passe comme si le peuple juif n’avait plus un héritage culturel commun.
Le peuple juif a retrouvé sa terre, sa langue, son État, son armée, sa capitale. Il n’a pas encore retrouvé son droit. Le système juridique de l’État d’Israël est un bric à brac de droit anglais, de droit musulman, de droit ottoman et seulement accessoirement de droit juif. Or c’est précisément la construction du Droit qui a vocation à être le lieu privilégié de la coopération entre les autorités du monde de la Torah et les représentants de la collectivité. Le rôle des autorités traditionnelles ne consiste ni à se cantonner à la sphère religieuse et morale, ni à se compromettre dans une participation politique au jour le jour pour laquelle ils n’ont pas de compétence particulière. Les autorités traditionnelles doivent retrouver le rôle social qui fait partie de leur vocation, c’est-à-dire la construction et la mise en œuvre du droit, en collaboration avec les représentants légitimes de la société civile. C’est dans cette construction et cette mise en œuvre que doit se réaliser la rencontre entre les nécessités inhérentes du développement social et les idéaux de justice issus de la révélation, entre le peuple juif selon Joseph et le peuple juif selon Juda. Tel est le sens de la royauté de David qui ressemble à Esaü mais qui a de beaux yeux. Le droit juif est le lieu même de l’unité du peuple juif. Il doit être rétabli et il le sera. C’est exactement ce qu’annonce le prophète Isaïe26: Je rétablirai tes juges comme à l’origine et tes guides comme au début et alors on t’appellera la Ville de la Justice.

Notes: sur le site

MUSIQUES JUIVES…MOSAÏQUE JUIVE

15 janvier, 2013

http://www.amj.ch/WMJ-MJUI.htm

MUSIQUES JUIVES…

…MOSAÏQUE JUIVE

Ce n’est pas notre propos, dans ces quelques lignes, de présenter davantage que quelques aspects saillants de la riche et complexe histoire de la musique juive. Nous espérons simplement réveiller la curiosité du lecteur, et l’inciter à écouter cette musique : car le mot de Wilhem Busch est ici tout à fait pertinent, « autant il est doux de l’entendre, autant il est ennuyeux d’en entendre parler..  » !
L’arbre généalogique de la musique juive puise sa sève dans la musique liturgique. De là, partent des rameaux qui portent des fruits aux saveurs multiples, musiques folkloriques aux sonorités slaves, orientales ou mauresques ; et une couronne de feuillage de musique d’art occidentale.
Donc, au commencement était la Bible…
On a recensé plusieures dizaines de références au chant ou à des instruments musicaux dans le Pentateuque ; mais déjà au chapitre 4 de la Genèse, la paternité de l’art musical est attribuée :  » …Jubal, l’ancêtre de tous ceux qui jouent le kinnor et l’ugav « .
Le kinnor c’est la lyre, instrument de prédilection du roi David, vénéré non pas comme guerrier ou conquérant mais comme  » le doux psalmiste d’Israël  » (Sam.23-1). L’ugav est un genre de pipeau, ancêtre lointain de la flûte et de la clarinette.
Cependant, c’est le chant plutôt que la musique instrumentale qui est le fonds principal de la vie musicale liturgique du peuple juif ; et c’est par le chant autant que par le Livre que ce peuple, déporté, expulsé tantôt d’un pays tantôt d’un autre, a su maintenir un sentiment d’appartenance et d’unité au travers de ses nombreux exils.
Du temps du 2ème Temple de Jérusalem, celui qui fut reconstruit par les Hébreux au retour de leur déportation à Babylone, le culte était accompagné d’une musique sacrée conçue comme un acte artistique, impressionnante par son faste : on parle de vingt-quatre groupes de douze chanteurs, accompagnés par une quinzaine d’instruments, des cordes, des vents et des cymbales.
Mais le Temple fut détruit (70 ap. J.-C), le pays conquis par les Romains, et une nouvelle ère commence pour les juifs, pour ceux qui restent comme pour ceux qui sont déportés par les Romains ou qui trouvent refuge ailleurs.
Il s’opère une mutation fondamentale dans le culte religieux : les communautés juives se rassemblent à présent dans les synagogues, lieux où on ne pratique plus un service sacrificiel comme au Temple, mais où l’on se réunit pour la prière et la méditation consacrée à la Parole, aux textes de la Bible.
En signe de deuil pour la perte de leur patrie et du Temple, la musique instrumentale fut bannie du culte et en reste généralement absente encore aujourd’hui, sauf pour le  » shofar « , corne de bélier dont le son rauque retentit au service du Nouvel An et du Jour du Pardon.
La récitation des Psaumes se fait en… psalmodiant ; et la lecture à haute voix des versets de la Bible est accompagnée par une intonation vocale, la cantillation. Ces intonations, transmises par tradition orale jusqu’au 10ème siècle, furent alors codifiées et acceptées par l’ensemble du monde juif.
Il est intéressant de noter que la psalmodie des Psaumes se perpétua dans le chant byzantin primitif et se retrouve dans le chant grégorien ; ce fut donc un important héritage musical que le judaïsme a légué au monde chrétien.
Ainsi, qu’il s’agisse de la prière, de la lecture des textes ou des Psaumes, c’est au son des voix des fidèles que se déroule la liturgie à la synagogue.
Une innovation musicale importante est attestée en Palestine dès le 6ème siècle : c’est le rôle du chantre, le  » hazan « . Celui-ci avait la tâche, en s’inspirant des écritures saintes, de composer des hymnes mis en musique, et de les chanter pendant le service religieux, en soliste. Le chantre devint une partie intégrante du service dans les synagogues du monde entier.
On admire encore de nos jours ces chanteurs de niveau professionnel, même virtuose, dont la prestation, richement ornée de mélismes luxuriants de type oriental, transmet une rare puissance d’évocation dramatique et d’émotion.
Quant à la musique instrumentale, elle faisait bel et bien partie de la vie juive lors de la célébration des fêtes religieuses mineures ainsi que de festivités familiales : naissances, circoncisions, ou mariages.
Une image qui vient à l’esprit est celle du pauvre violoneux d’un village ukrainien ou polonais, maintes fois représenté par Chagall ! A croire, d’ailleurs, que le violon est l’instrument de prédilection du musicien juif, tant Milstein, Menuhin, Oistrakh et  » les autres  » ont marqué la musique violonistique de notre temps. Y a-t-il une explication psychologique à ce phénomène, autre que la réponse acidulée de la blague juive :  » Vous avez déjà vu quelqu’un fuir un pogrom avec son piano sous le bras !  » ?
En Europe, au Moyen Age, des groupes de ménestrels juifs, danseurs et jongleurs, parcouraient les pays et se produisaient dans les villages et les marchés, comme leurs confrères provençaux.
Des orchestres de musiciens juifs ont pu trouver un terrain propice pour leur art au Maroc, en Perse, en Turquie, par exemple, partout où une interprétation stricte de la règle islamique imposa des restrictions à l’activité d’instrumentistes musulmans.
Au milieu du 18ème siècle, en réaction aux pogroms répétés et à la vie misérable que les juifs menaient en Europe de l’Est, naquit le mouvement mystique connu sous le nom de Hassidisme. Ces mystiques étaient persuadés que l’on ne peut ressentir la présence Divine en disséquant les textes, mais qu’il fallait approcher Dieu par la joie, par l’adoration de Sa création, en chantant – mélopées sans parole par lesquelles ils atteignaient l’Esprit Saint, qui devaient beaucoup aux danses et chants populaires de la région.
Les chants de l’est de l’Europe en yiddish sont inspirés du folklore roumain, polonais, et ukrainien, avec des tonalités qui rappellent une lointaine parenté avec l’Orient. Ils connaissent aujourd’hui une grande vogue dans la musique dite  » Klezmer « , chantée et jouée au violon, à la clarinette, avec accordéon, contrebasse et parfois aussi d’autres instruments.
Où qu’ils aient vécu, les juifs ont, certes, subi l’influence de la culture environnante ; mais ils en ont également préservé certains traits, alors que ceux-ci disparaissaient du répertoire d’origine.
Par exemple, le riche héritage des chants populaires espagnols du 15ème siècle a été conservé par les juifs lorsqu’ils furent chassés d’Espagne ; ce répertoire existe encore dans la langue castillane de l’époque, appelé judéo-espagnol sur le sol des pays péri-méditerranéens où ils trouvèrent refuge.
Si la diversité de cultures constitue une richesse, alors le peuple israélien est un peuple comblé ! Car tout cette mosaïque de traditions se retrouve de nos jours en Israël : tradition de l’Europe de l’Est, tradition orientale, musique du Maghreb et des pays islamiques du Proche Orient… sans compter la musique d’art de type occidental. D’ailleurs qui a entendu l’hymne national  » Hatikva « , ne peut s’empêcher de remarquer sa ressemblance avec une mélodie de  » La Moldau  » de Smetana ; et la ronde que l’on danse lors des fêtes populaires reproduit les pas et le rythme de la  » Hora  » roumaine.
La musique d’art des compositeurs d’origine juive – Mahler, Mendelssohn, Milhaud et tant d’autres – est trop bien connue pour qu’on en parle ici. D’ailleurs, ces musiciens ne se sont pas forcément inspirés de l’héritage judaïque, à part quelques exceptions ; et, d’un autre côté, des musiciens non-juifs tels que Shostakovitch ou Ravel ont composé des œuvres basées sur des thèmes hébreux ou juifs.
Les compositeurs sur lesquels nous voudrions attirer l’attention, par contre, sont ceux qui ont péri dans les camps nazis, Gideon Klein, Hans Krasa, Pavel Haas, Viktor Ullmann et Erwin Schulhof parmi d’autres. Leurs compositions commencent à être connues et appréciées par le public mélomane, et nous tenons à leur rendre ici un hommage.

Dina Levias

‘HANOUCCAH

5 décembre, 2012

http://www.fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/601900/jewish/La-lumire.htm

‘HANOUCCAH

(Du samedi 8 décembre au soir au dimanche 16 décembre 2012)

La lumière

Une lettre du Rabbi de Loubavitch

La fête de ‘Hanouccah se distingue de toutes les autres par sa Mitsva particulière : l’allumage des lumières. Celui-ci montre, aux yeux de tous, que, même lorsque le monde est obscur, les Juifs y amènent de la lumière et l’éclairent. Cette idée est soulignée par le fait que l’allumage doit être effectué « à partir du coucher du soleil » et que le chandelier de la fête doit être disposé « à l’entrée de la maison, vers l’extérieur », afin que la lumière se diffuse partout.      
Comment parvenir à faire monter cette lumière si nécessaire ? En prenant conscience que, bien que nous soyons, comme nos ancêtres dans l’histoire de ‘Hanoucca, matériellement « faibles » et « peu nombreux », nous ne craignons pas ceux qui sont, à l’inverse « puissants » et « nombreux » car nous restons toujours liés au judaïsme, à la Torah et aux Mitsvot avec un total et absolu dévouement. Ainsi la grossièreté du monde ne peut nous atteindre et encore moins nous vaincre. En effet, même si un acte simple est nécessaire en premier lieu  l’allumage de la flamme – cependant, cela donne naissance à une lumière infinie qui est celle de D.ieu et peut, par conséquent, chasser toute l’obscurité matérielle, aussi profonde soit-elle.
Cette leçon est essentielle et, pour cela, nous voyons que tous les Juifs ont choisi d’accomplir cette Mitsva de la meilleure manière possible en augmentant le nombre de flammes – et par conséquent la clarté – chaque jour. De cette manière, nous montrons que l’on ne se contente jamais des acquis de la veille mais que l’on rend le monde toujours plus lumineux. Ainsi, très bientôt, viendra le temps où nous « allumerons les lumières dans les cours de Ton sanctuaire » par la venue de Machia’h.

(d’après une lettre du Rabbi du 20 Kislev 5738-1978)

Roch Hachana 5773: Le couronnement de D.ieu

15 septembre, 2012

http://embassies.gov.il/marseille/NewsAndEvents/Pages/Roch-Hachana-57730913-5680.aspx

Roch Hachana 5773

Du 16 au 18 septembre 2012

Le couronnement de D.ieu

D’une façon ou d’une autre, chaque Juif participe à Roch Hachana ou à Yom Kippour. Ce n’est pas sans raison : la signification de ces jours est si profonde qu’elle atteint chaque âme juive quel que soit son niveau.
A Roch Hachana, (qui, littéralement, signifie la “tête de l’année”), D.ieu a achevé la création de ce monde en créant le premier homme, Adam. Et le premier geste d’Adam, lorsqu’il s’adressa à toutes les créatures, a été de Le proclamer Roi de l’univers en disant :
“Venez, inclinons-nous, prosternons-nous, plions genou devant D.ieu notre Créateur” (Psaumes 95, 6).
C’est pour cela qu’à Roch Hachana, nous aussi nous proclamons la Royauté de D.ieu et notre engagement à Le servir. Comme au premier Roch Hachana où D.ieu créa le monde, chaque année, Il reconsidère Sa création, examine la qualité des liens par lesquels nous nous unissons à Lui et détermine la nature de Sa relation avec nous pour l’année qui commence.

Repas du soir de Roch Hachana
Kidouche
Avant de commencer le repas de Roch Hachana, nous sanctifions la fête en récitant le kidouche sur une coupe de vin ou de jus de raisin.1

Le fruit nouveau
Le second soir de Roch Hachana, il est de coutume de placer sur la table pendant l’allumage des bougies et le kidouche un « fruit nouveau », c’est-à-dire un fruit de saison que nous n’avons pas encore goûté depuis que sa saison a commencé. En récitant la bénédiction de Chéhé’héyanou de l’allumage de bougies et du kidouche, on aura ce fruit en tête.2
Le fruit est consommé immédiatement après le kidouche, avant de se laver les mains pour le pain. Avant de consommer le fruit, nous disons la bénédiction suivante :
Barou’h ata Ado-naï Elo-hénou mélèkh haolam boré péri ha-èts
Béni sois-Tu Éternel notre D.ieu, Roi de l’univers, qui crée le fruit de l’arbre.

La ‘hallah dans le miel
Après le kidouche (et, le second soir, après le fruit nouveau), nous faisons les ablutions des mains avant la consommation de pain. Lorsque tous les convives sont revenus à table, nous levons les deux ‘hallahs et récitons la bénédiction de Hamotsi :
Barou’h ata Ado-naï Elo-hénou mélèkh haolam, hamotsi lé’hèm mine ha-arets.
Béni sois-Tu Éternel notre D.ieu, Roi de l’univers, qui fait sortir le pain de la terre.
Coupez la ‘hallah, trempez-la dans le miel (certains la trempent également dans le sel) et mangez-en un morceau. Faites-en passer des morceaux de sorte que tous les convives fassent de même.
Aliments symboliques
Le premier soir de Roch Hachana, après avoir mangé la ‘hallah trempée dans le miel, il est de coutume de consommer certains aliments qui symbolisent l’année que nous souhaitons avoir :
Nous trempons un morceau de pomme douce dans le miel. Avant de le manger, nous disons :
Barou’h ata Ado-naï Elo-hénou mélèkh haolam boré péri ha-èts
Béni sois-Tu Éternel notre D.ieu, Roi de l’univers, qui crée le fruit de l’arbre.
Yehi ratsone chete’hadèche alénou chana tova oumetouka
Puisse être Ta volonté de renouveler pour nous une bonne et douce année.
On sert la tête d’un poisson, ou d’un bélier ou d’un autre animal cachère. Cela symbolise notre désir d’être « en tête » cette année.
On mange de la grenade, symbolisant notre souhait d’avoir une année pleine de mitsvot et de bonnes actions, de même qu’une grenade est pleine de grains savoureux.
Au cours du repas, il est de coutume de consommer aussi des mets dont les noms dans la langue usitée évoquent la bénédiction et la prospérité. Par exemple, beaucoup ont l’habitude de manger un plat de carottes, car, en yiddish, carottes se dit meren, qui veut dire également « se multiplier ».
Gastronomie de Roch Hachana

À Roch Hachana, l’habitude est de ne pas consommer de plats acides ou amères le gefilte-fish se passe alors de raifort…). À la place, l’accent est mis sur les mets doux et sucrés, symbolisant notre désir d’avoir une année douce, une année de bénédictions et d’abondance. Il est également de coutume de ne pas manger de noix à Roch Hachana, car la valeur numérique du mot hébraïque noix (« egoz ») est la même que celle du mot hébraïque pour péché (« ‘het »).

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