Archive pour la catégorie 'DIALOGUE JUIFS ET CHRÉTIENS'

L’ALLIANCE JUIFS-CHRÉTIENS SELON JEAN-MARIE LUSTIGER

20 janvier, 2016

http://laregledujeu.org/2011/03/18/5166/l%E2%80%99alliance-juifs-chretiens-selon-jean-marie-lustiger/

L’ALLIANCE JUIFS-CHRÉTIENS SELON JEAN-MARIE LUSTIGER

A PROPOS D’ALLIANCE, LE LIVRE POSTHUME DE LUSTIGER.

par Michaël de Saint-Cheron

18 MARS 2011

L’Alliance [1], ce livre posthume de Jean-Marie Lustiger, s’ouvre sur deux problématiques, celle de l’exergue d’abord : « Je le sais, je suis une provocation vivante qui oblige à s’interroger sur le christianisme historique du Messie. » Pourquoi la philosophie et la religion juives n’ont-elles pas provoqué des conversions ou des proximités de philosophes, de penseurs, comparables à celles exercées sur Bergson, Chestov, Simone Weil, Edith Stein, Lustiger, par le christianisme ? Pourquoi le destin de Lustiger n’a-t-il pas d’équivalent dans le monde juif ? La seconde problématique est celle de Paul de Tarse, que le cardinal juif ne pouvait pas ne pas reprendre en la questionnant avec son regard si spécifique quant à la réponse qu’il apportait. Pourquoi le peuple juif suscite-t-il la haine et le rejet de la part « des nations païennes et de leurs rois » ? En quoi et pourquoi la haine et la persécution à l’égard des Juifs touchent-elles aux fondements mêmes de l’Histoire sainte et du Salut, selon une lecture chrétienne mais aussi juive du monde ? La première partie du livre reprend parallèlement à son chapitre du Choix de Dieu sur sa conversion, son discours « Les Juifs et Nous Chrétiens », prononcé au lendemain de l’attentat de la rue Copernic (Paris, 1980). Ce « Nous chrétiens » employé ici, par Lustiger, renvoie inéluctablement à un autre texte dont je cite plusieurs lignes : « Ainsi donc, pour répondre à notre question : « Pourquoi Dieu s’est-il tu ? », la Torah nous invite à nous demander : « Pourquoi Dieu a-t-il été fidèle à l’alliance conclue avec Noé jusqu’à en faire payer le prix, insupportable, à son peuple ? » Je ne crois pas que nous ayons d’autre réponse que celle-ci : Ensemble, juifs, nous nous découvrons survivants de la Shoah, vivants [2]. » Ces paroles stupéfiantes, il les a prononcées le 26 avril 1995 à l’Université de Tel Aviv, lors du colloque sur la Shoah, « Le silence de Dieu ». Voilà une amphibologie percutante, passage de l’un à l’autre qui mérite la plus haute attention. Il faut comprendre que le cardinal Lustiger se voulait signe vivant dans les deux sens de la signifiance : Juif converti au regard des chrétiens, en particulier des catholiques et catholique d’appartenance juive, dont la mère (même s’il n’en parlait que fort rarement) fut victime de la barbarie nazie face aux Juifs. La question est donc double. À l’antisémitisme de tant de chrétiens à travers l’Histoire et à la question qui leur est posée par le destin juif, la Shoah et la création de l’État d’Israël, correspond celle qui touche le peuple juif en propre, qui « doit accepter d’être sans cesse jugé par le jugement dont il est le signe » (p. 16). Si en devenant chrétiens, les païens prennent sur eux la réalisation « encore en espérance [de] la promesse, faite à Israël, que les païens connaîtraient Dieu », les Juifs n’en sont pas pour autant quittes avec les chrétiens. La question est là encore double : si les chrétiens ne peuvent prétendre être le verus Israël, quel est leur statut de peuple de Dieu à côté de leurs frères juifs et acceptent-ils ce rôle de frères cadets, que Jean-Paul II avait le premier accepté au regard de toute l’Église, le jour où il traversa le Tibre pour se rendre à la grande Synagogue de Rome ? L’autre question est celle-ci : que sont les chrétiens pour les juifs croyants ? Des païens, des adorateurs du vrai Dieu, leurs frères cadets ? Et que font-ils de la personne de Jésus ? Ils n’y adhèrent pas certes, mais qu’est-il pour eux ? Depuis Jules Isaac et tant d’autres nobles juifs comme le grand-père d’Amos Oz, Jésus est parfois considéré comme la plus haute figure du peuple juif, pourtant les Juifs dans leur majorité ne peuvent le reconnaître comme Messie, ainsi que de Maïmonide à Rosenzweig et Levinas nos plus éminents penseurs et philosophes le réaffirmèrent. Elie Wiesel, lui, lors d’un dialogue mémorable avec le cardinal Lustiger, sur le plateau d’un certain Frédéric Mitterrand (« Du côté de chez Fred », Antenne 2, 7 septembre 1989), lui avait dit : « Tu n’es pas un païen pour moi. Tu es un homme de foi et je respecte ta foi. » Ce dialogue unique entre deux hommes d’exception, a été oublié dans ce volume de L’Alliance [3]. On peut le regretter. Moins que jamais donc les chrétiens comme les juifs ne peuvent faire l’économie de ces questions et, c’est là toute la force du livre du cardinal Lustiger que de nous obliger à les regarder de face et à y répondre au moins à titre individuel. Il est temps que les Églises reconnaissent également, ce qui est une évidence pour tant de chrétiens, que les « juifs sont auprès du Père depuis le Sinaï » et qu’ils n’ont aucun besoin de l’intercession de Jésus pour cela, ainsi que Franz Rosenzweig l’avait  écrit à la veille du premier conflit mondial. Portons attention aux cruciales questions théologiques, philosophiques  et humaines que lègue aux uns et aux autres, Jean-Marie Aron Lustiger, à  l’orée du XXIe siècle, qui verra s’éteindre non pas la mémoire juive, mais les derniers Témoins de la Shoah… Le cardinal portait en lui au plus haut degré de conscience la certitude qu’une nouvelle phase des relations judéo-chrétiennes s’ouvrait à nous, celle d’une mission commune. Cette mission, trop peu sans doute en ont une profonde conscience. De quoi s’agit-il ? D’une transmission du message éthique de la Bible selon lequel le visage humain porte sur lui la trace d’une transcendance et qu’il est inviolable. Pour le cardinal Lustiger il ne faisait pas de doute que juifs et chrétiens doivent témoigner pour et devant l’humanité d’une nouvelle approche – fût-elle agnostique ! – de l’unicité de l’homme.

[1] Presses de la Renaissance, 2010. [2] La Promesse, Parole et silence, 2002. [3] J’en avais, pour ma part, publié les extraits les plus saisissants dans mon Wiesel, ce méconnu (précédé de mes Entretiens avec Elie Wiesel), Parole et Silence, 2008.

LA SPÉCIFICITÉ DU DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN DANS LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX,

20 janvier, 2016

http://www.evangile-et-liberte.net/elements/numeros/208/article8.html

LA SPÉCIFICITÉ DU DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN DANS LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX,

PAR FLORENCE TAUBMANN

Dans les cercles de l’Amitié judéo-chrétienne, la spécificité du dialogue judéo-chrétien relève de l’évidence. Jésus n’était-il pas juif ? Le christianisme ne vient-il pas du judaïsme ? Et depuis sa naissance en 1947 le travail de dialogue accompli par des juifs et des chrétiens n’accumule-t-il pas preuve sur preuve de cette spécificité ? Pourtant, il ne faudrait pas prendre pour une évidence ce qui relève en réalité d’un choix, d’un travail intellectuel et d’un approfondissement spirituel. En effet, si le dialogue judéo-chrétien est devenu très spécifique par rapport à d’autres dialogues interreligieux, c’est en raison d’un investissement dans ce dialogue, pour des raisons diverses et variées selon les personnes : raisons historiques, raisons religieuses, raisons familiales. Pour certains chrétiens, la découverte de la Shoah et le questionnement qu’elle a ouvert sur la responsabilité historique des chrétiens et théologique du christianisme ont joué un rôle majeur dans ce désir d’investissement dans le dialogue. Car après s’être porté à l’écoute de nombreux témoignages de la souffrance juive, ils n’ont pas voulu en rester à cette mémoire tragique, et ont désiré faire connaissance du judaïsme. Alors le dialogue judéo-chrétien est né d’une passion ou est devenu une passion ; passion qui parfois devient communicative, et parfois effraie, comme toute passion. En ce cas l’argument de raison consistant à invoquer la judéité de Jésus et l’enracinement biblique et historique du christianisme dans le judaïsme ne suffit pas à convaincre de la spécificité du dialogue judéo-chrétien qui ne veut pas en être convaincu, ou qui est persuadé du contraire. Et les réticences peuvent provenir, soit d’une difficulté à appréhender le judaïsme lui-même, soit plus largement d’une réticence à dialoguer avec les autres religions quelles qu’elles soient.

Différentes attitudes chrétiennes face aux autres religions Notre contexte multiculturel et le pluralisme religieux de nos sociétés peuvent faussement nous faire croire que l’ouverture à l’autre est devenue à la fois nécessaire et évidente. Or rien n’est moins vrai, et s’il ne veut pas rester dans le vœu pieux ou son propre carcan religieux, le chrétien doit s’interroger en profondeur sur le regard qu’il porte sur l’autre religion. Dans une conférence, donnée il y a plusieurs années, sur la relation du christianisme avec les autres religions, le professeur de théologie André Gounelle répartissait les attitudes chrétiennes devant les autres religions en quatre catégories. Il peut être intéressant de les rappeler aujourd’hui : la première attitude est celle de ceux qui sont par principe hostiles à tout dialogue de type religieux. Le christianisme ayant pour eux le monopole de la vérité, sur le plan religieux, seule la conversion est possible pour assurer le salut. Et il n’y a rien à recevoir des autres religions. Cette attitude correspond à la position traditionnelle des Églises ; aujourd’hui les choses ont changé, mais ce point de vue existe encore, et il n’est pas que celui des intégristes. Il concerne aussi bien le judaïsme que les autres religions et peut d’ailleurs s’accompagner d’une grande tolérance envers les personnes. On peut qualifier cette position d’exclusiviste. la deuxième catégorie n’oppose pas les religions à la foi chrétienne, mais elle les traite en auxiliaires, en instruments préparatoires pédagogiques. Les religions sont donc subordonnées à la foi chrétienne, car sans le savoir elles sont en attente du Christ, ou bien elles sont visitées par lui de manière invisible, l’idée étant que le christianisme seul offre la plénitude à ce qui reste inachevé chez les autres. Cette attitude peut être qualifiée d’impérialiste. la troisième catégorie considère que toutes les religions ont une valeur spirituelle propre et qu’elles révèlent toutes quelque chose de la réalité ultime. Il n’y a pas de monopole de la vérité. Mais cette attitude aboutit facilement, soit à une vision multiculturaliste qui génère un renoncement à l’universalisme, soit à une vision syncrétiste qui tend à la recherche d’une religion universelle. Cette attitude est relativiste. la dernière catégorie a une attitude pluraliste. Elle considère qu’il y a plusieurs révélations de Dieu, mais qu’elles ne sont pas sur le même plan et qu’il faut donc des critères, des normes pour les évaluer. Par exemple ce peut être la norme éthique. Et André Gounelle cite Albert Schweitzer pour qui la norme éthique valable pour toutes les religions était ce qui favorise la vie ou ce qui la détruit. Ou encore il évoque le théologien Paul Tillich, pour qui la religion générant le meilleur et le pire, le critère d’évaluation de toute religion peut être sa capacité d’autocritique et de réformation. Ce qu’il y a de fécond dans cette approche, c’est qu’elle ouvre le processus de dialogue interreligieux par ce travail commun d’élaboration de normes d’évaluation, au-delà duquel le dialogue est invité à se poursuivre. Le christianisme s’est vécu comme héritier du judaïsme, mais dans une perspective de dépassement. Jésus était juif et n’a jamais cessé de l’être, ses disciples également. Le christianisme s’est d’abord développé à l’intérieur du judaïsme.

L’attitude chrétienne face au judaïsme Ce rappel des attitudes chrétiennes face aux autres religions nous aide à découvrir la spécificité de la relation entre christianisme et judaïsme. Cette spécificité est liée à un paradoxe : le christianisme s’est vécu comme héritier du judaïsme, mais dans une perspective de dépassement. Jésus était juif et n’a jamais cessé de l’être, ses disciples également. Le christianisme s’est d’abord développé à l’intérieur du judaïsme. Après la mort de Jésus, les premiers païens à devenir chrétiens sont devenus en fait juifs-chrétiens, avant que leur nombre et les exigences de la loi juive ne mettent en question la nécessité de cette entrée dans le judaïsme pour devenir chrétien. Ce débat est notamment présenté au chapitre 15 du Livre des Actes des apôtres, à l’assemblée de Jérusalem que l’on situe vers l’an 5 1. C’est Paul, ancien pharisien converti au Christ, qui incarne ce tournant majeur où christianisme et judaïsme vont se séparer et bientôt s’opposer violemment. Même si le souci de Paul pour les non-juifs n’est pas en totale contradiction avec la préoccupation juive du sort des nations de la terre, sa prédication d’un Évangile universel fera de l’Église le nouvel Israël et de la Nouvelle Alliance l’accomplissement de l’Ancienne. Ceci fondera la théologie de la substitution. Par ailleurs dès sa naissance, le christianisme a mené une ardente polémique contre la loi juive en lui opposant la grâce : seule la foi en Jésus assure le salut. À la génération de Paul, cet exclusivisme est d’autant plus fort que l’on croit vivre la fin des temps et que l’on attend la parousie, c’est-à-dire le retour du Christ. Même si la perspective de Paul est l’invitation à la foi et non l’exclusion, il sème avec zèle les germes du futur exclusivisme chrétien, qui ne voit aucun salut hors du Christ. De plus, la rédaction des quatre évangiles, qui s’étale de l’an 70 à l’an 100, est profondément marquée par les conflits, de plus en plus aigus, qui opposent pagano-chrétiens, judéo-chrétiens et juifs. Entre les attaques contre les scribes, les pharisiens et les sadducéens, et la narration du procès de Jésus, les évangiles vont être parsemés des ingrédients propres à générer l’accusation des juifs qui restera séculaire comme peuple déicide. Et plus tard, certains Pères de l’Église enfermeront l’Ancien Testament dans un sens christocentrique, c’est-à-dire qu’ils l’interprèteront exclusivement comme annonce du Christ. Dès lors, dans l’histoire chrétienne, il n’y aura plus pour les juifs qu’une solution pour être sauvés : celle de se convertir. De siècle en siècle se transmettra un antijudaïsme alimenté par l’argumentation théologique et des décisions doctrinales et politiques discriminantes. Les juifs, rendus errants et misérables, seront présentés comme les témoins permanents de la malédiction de Dieu, leur sort relevant du châtiment divin pour n’avoir pas cru au Christ et l’avoir tué. Pascal écrit encore dans Les Pensées : « C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention, de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années, et de le voir toujours misérable : étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ et qu’il subsiste pour le prouver, et qu’ils soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié : et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours, malgré sa misère… » Cet antijudaïsme aura des répercussions sociales importantes en livrant régulièrement les juifs à la vindicte populaire dans les temps de crise ou de malheur, et ce dans presque tous les pays d’Europe. S’il faut donc distinguer antijudaïsme et antisémitisme, l’histoire empêche de les séparer, et même s’il a existé un antisémitisme avant et en dehors du christianisme, les thèses de l’antijudaïsme chrétien, « l’enseignement du mépris » comme l’a qualifié l’historien Jules Isaac, ont été un terreau nourricier de l’antisémitisme. Il note dans son livre Jésus et Israël que même la Réforme protestante, qui se caractérise pourtant par un retour à la Bible, et en particulier au texte hébreu de l’Ancien Testament, n’apporta pas de grand changement et continua de professer des thèses anti-juives.

De la repentance à la reconnaissance du judaïsme par le christianisme Sur le plan théologique, il faudra attendre que le choc de la Shoah agisse sur les consciences, pour que des positions officielles expriment un revirement à l’égard du judaïsme. La naissance de l’Amitié judéo-chrétienne en 1947 allait ouvrir une époque de connaissance mutuelle et de travail en commun, se donnant pour but de « travailler à réparer les iniquités dont les juifs et le judaïsme ont été victimes depuis des siècles, à en éviter le retour, et à combattre l’antisémitisme et l’antijudaïsme dans toutes leurs manifestations », tout en excluant « de son activité toute tendance au syncrétisme et toute espèce de prosélytisme » (article 2 des statuts). Pour l’Église catholique, le concile Vatican II allait inaugurer un changement radical dans ses relations avec le judaïsme. L’article IV du document Nostra Aetate, encore ambigu et insuffisant à bien des égards, franchissait cependant un pas immense en rompant avec les thèses séculaires de l’antijudaïsme et en reconnaissant au peuple juif une vocation toujours actuelle. Pour l’affirmer, il s’appuyait sur cette parole de Paul dans l’épître aux Romains 11,29 : « Les dons gratuits et l’appel de Dieu sont irrévocables. » Les implications de cette ouverture allaient être importantes : non seulement la préparation des consciences à la démarche de repentance vis-à-vis du peuple juif, mais aussi l’affirmation des racines juives du christianisme et du lien vivant et privilégié qu’il doit entretenir avec son « frère aîné ». Le Père Jean Dujardin, dans son livre L’Église catholique et le peuple juif 1, relate tout ce parcours accompli en présentant les documents officiels qui en témoignent. Mais d’autres implications se faisaient entrevoir dès le début, qui expliquent la réserve de beaucoup de catholiques et notamment des patriarches des Églises orientales : la mise en cause de l’antijudaïsme séculaire entraîne une mise en cause de la Tradition, qui, dans le catholicisme, est une des deux sources de la révélation, avec la Bible. Côté protestant, un grand travail a été également accompli depuis la fin de la seconde guerre mondiale dans les différents pays d’Europe. Entre 1996 et 2000, la communion ecclésiale de Leuenberg, qui réunit depuis 1973 les Églises luthériennes et réformées d’Europe, a élaboré un document Église et Israël 2, dans lequel sont reconnues « les interprétations fautives de certaines affirmations et traditions bibliques », responsables pour une grande part de la malveillance des chrétiens à l’égard du peuple d’Israël. Le chapitre 11 de l’épître aux Romains est également sollicité pour rappeler les racines juives du christianisme, la pérennité de l’élection du peuple juif, et encourager les uns et les autres à la connaissance mutuelle et au dialogue. De ce fait la relation au judaïsme ne peut être considérée comme relevant du seul rapport externe du christianisme avec les autres religions, mais comme nécessaire à la compréhension interne que l’Église a d’elle-même. Cette affirmation est essentielle et a des conséquences à la fois théologiques et ecclésiologiques majeures, car elle suggère qu’un christianisme qui voudrait effacer ou refouler son lien avec le judaïsme d’hier mais aussi d’aujourd’hui se trahirait lui-même.

Devoirs du christianisme vis-à-vis du judaïsme et vis-à-vis de lui-même Tout en attendant les réponses du judaïsme à ce travail de réparation et de reconnaissance, le christianisme se doit de mener à bien le défi qu’il s’est lancé concernant sa relation nouvelle au judaïsme. Son premier devoir est d’ordre herméneutique et apologétique. Il s’agit de faire en sorte que les avancées théologiques réalisées par les groupes de chercheurs soient communiquées à la base et aient un impact sur les esprits. Ceci se fait à travers la formation, la catéchèse, l’enseignement biblique, la liturgie. C’est à ce niveau qu’il convient de rappeler un travail réalisé par une commission de l’Amitié judéo-chrétienne de France sur l’évangile de Jean : il s’agit d’une nouvelle traduction du mot « juif » dans l’évangile de Jean, visant à remettre en contexte ce qui apparaît souvent à la lecture comme une accusation sans appel des juifs en général 3. Et une nouvelle commission examine maintenant les liturgies chrétiennes et les lectionnaires, avec ce même souci d’analyse du rapport chrétien au judaïsme et de nouvelle pédagogie. Car c’est au niveau de la vie des Églises et des communautés que se situe l’épreuve de vérité. Y a-t-il un nouveau regard sur les juifs, sur le judaïsme, et en quoi le dialogue judéo-chrétien peut-il l’enrichir ? Cette question nous renvoie à deux autres questions : la formation des responsables d’enseignement et de prédication. Quels moyens se donnent les Églises pour assurer cette formation ? la baisse de fréquentation des Églises fait que de nombreuses personnes élevées dans le christianisme échappent aujourd’hui à son influence et à son enseignement. C’est ce que constate, avec beaucoup de justesse, Catherine Challier dans le livre écrit avec Marc Faessler Judaïsme et christianisme, l’écoute en partage : « La déchristianisation ne constitue-t-elle pas une donnée significative pour le dialogue entre un juif et un chrétien ? Des esprits qui ont reçu une culture religieuse chrétienne – ou juive d’ailleurs – dans leur enfance, puis s’en sont détachés afin de penser au diapason des valeurs du siècle, demeurent souvent peu disposés à chercher une pensée qui appelle à la vie et au dialogue derrière les préjugés dont ils restent héritiers sur leur Église ou sur le judaïsme 4. » Il y a donc aujourd’hui un énorme chantier à réaliser pour faire connaître les fruits du dialogue judéo-chrétien, mais il faut réaliser que cette communication doit se faire au-delà même des Églises chrétiennes, dans l’espace public. La télévision peut en être un outil performant, notamment le cadre des émissions religieuses du dimanche matin, qui sont très regardées par un public ne se rendant pas souvent aux offices, de même que sont écoutées les émissions religieuses sur France-Culture. Par ailleurs, l’Amitité judéo-chrétienne prépare pour l’automne prochain une semaine qui concentrera un certain nombre de rencontres et d’événements. Mais l’enjeu reste la sensibilisation de la jeunesse et la médiatisation auprès d’un large public. Un exemple dynamique a été donné par l’Amitié judéo-musulmane qui a su fêter joyeusement sa naissance il y a deux ans et organiser une sorte de tour de France. Mais le travail théologique doit également se poursuivre pour comprendre la vocation d’Israël et du judaïsme telle que celui-ci la conçoit. Jusqu’à présent, les travaux réalisés côté chrétien ont veillé à rendre justice au judaïsme mais aussi à ce que cet acte de justice ne touche pas vraiment au cœur de la révélation chrétienne. Or l’affirmation que la relation au judaïsme ne relève pas d’une relation extérieure mais affecte la compréhension que l’Église a d’elle-même conduit obligatoirement le christianisme à se repenser lui-même par rapport au judaïsme. Pour faire l’expérience de la vérité juive il ne suffit pas d’avoir abandonné les termes traditionnels et méprisants d’aveuglement et d’endurcissement. Il faut aller plus loin en remplaçant par exemple le mot « endurcissement » par « fidélité », et le mot « aveuglement » par « lucidité ». Il n’est de véritable dialogue judéo-chrétien qui n’interroge en profondeur la foi chrétienne, et qui ne comporte donc un risque pour elle. Le Cardinal Ratzinger, bien avant d’être pape, déclarait dans son livre L’Unique Alliance de Dieu et le pluralisme des religions : « La question demeure posée : la foi chrétienne, si on lui laisse sa gravité intérieure et sa dignité, est-elle apte, non seulement à tolérer le judaïsme mais, bien plus, à l’accepter dans sa mission historique ? Ou bien en est-elle incapable ? Peut-il y avoir une réconciliation réelle, sans abandon de la foi, ou toute réconciliation est-elle liée à un tel abandon 5 ? » Et le Cardinal dénonçait le piège qui consisterait à relativiser les grandes affirmations christologiques pour faciliter le dialogue ou éviter les questions fondamentales. Ceci dit, poser la vérité de la doctrine chrétienne en préalable permet-il d’opérer le renversement qui consiste à penser, non seulement le judaïsme par rapport au christianisme, mais également le christianisme par rapport au judaïsme ? Affirmer l’enracinement du christianisme dans le judaïsme relève d’un travail historique et exégétique nécessaire et prometteur. Mais cela ne suffit pas à rendre compte de la fraternité interne et de la complémentarité des vocations juive et chrétienne aujourd’hui. Nous ne pouvons rejouer de manière artificielle la scène primitive d’une sorte de judéo-christianisme retrouvé, et qui balaierait à la fois vingt siècles d’histoire et la simple question de la vérité en théologie. Autrement dit nous ne pouvons faire comme si nous étions les premiers chrétiens de l’histoire ou du mythe. Mais si nous acceptons pleinement la question théologique que le judaïsme nous pose sur la révélation chrétienne, nous faisons l’expérience d’une sorte de kénose 6 du christianisme, ou de nuit de la foi chrétienne, comme si nous ne savions plus rien du Christ. Cette proposition peut effrayer si l’on en saisit les conditions et l’enjeu, mais en même temps elle nous ramène au lieu d’humilité de la spiritualité chrétienne la plus profonde. Et n’est-ce pas là que le christianisme a aujourd’hui rendez-vous avec lui-même ? Dans son dialogue avec le judaïsme il s’agirait donc pour le christianisme d’interroger, dans une totale bonne foi, la non-conversion des juifs au christianisme, et la non-reconnaissance de Jésus comme Messie. Cette non-conversion et cette non-reconnaissance, au-delà des raisons historiques, sociologiques, religieuses, deviendraient un lieu théologique où le christianisme pourrait s’interroger lui-même et sur lui-même. Un lieu théologique où le christianisme, en faisant l’expérience de la vérité juive, ferait l’épreuve de sa propre vérité, laquelle ne relève pas des catégories logiques du vrai et du faux, mais de la fécondité symbolique, spirituelle et éthique. Mais pour faire l’expérience de la vérité juive il ne suffit pas d’avoir abandonné les termes traditionnels et méprisants d’aveuglement et d’endurcissement. Il faut aller plus loin en remplaçant par exemple le mot « endurcissement » par « fidélité », et le mot « aveuglement » par « lucidité ». En même temps qu’ils expriment le respect, ces deux mots font jaillir la grande question : quelle force de vérité, quelle promesse y avait-il à sauver, et à assurer, au point que pendant des siècles, à travers persécutions, exils, inquisition, extermination, cette fidélité juive perdure et maintienne vivants l’héritage et la transmission de la Parole du Dieu des Pères ? Le maître pharisien Gamaliel du Livre des Actes nous l’a enseigné, il ne peut être question seulement d’un trésor humain ethnographique ou religieux à sauvegarder, car ce qui vient des hommes disparaît avec le temps. Or l’enjeu de la fidélité juive est théologique : c’est le maintien de la vocation juive au milieu des nations et pour elles. Et cela peut s’exprimer justement en terme de lucidité – le contraire de l’aveuglement attribué à la synagogue. Mais de quelle lucidité s’agit-il ? La naissance de la foi chrétienne a été baignée de la lumière eschatologique d’un Christ ressuscité annonçant l’accomplissement final des temps. Loin d’être assignée aux questions de la cité politique et de l’histoire, l’Église primitive a eu pour mission de préparer l’avènement du Règne de Dieu. Les premiers chrétiens vivaient dans la perspective du Jour du Seigneur, c’est-à-dire d’un retour du Christ imminent. Les lettres de l’apôtre Paul en témoignent suffisamment : ils étaient en marche pour le Règne de Dieu, et non pour traverser l’histoire ou même la faire, comme ce fut finalement le cas pour le christianisme. Par rapport à cette vocation du christianisme qui doit témoigner de la lumière révélée dans le Christ, la vocation juive peut être comprise comme une vocation à la lucidité face au temps et à l’histoire. Alors la fidélité qui l’accompagne se présente comme fidélité au Dieu présent dans l’histoire, et imprimant sa marque dans le temps par le don de la Torah et du chabbat. C’est à entrer dans la compréhension de cette lucidité juive et de cette fidélité chabbatique que le chrétien est invité aujourd’hui. Cela signifie qu’il prête pleinement attention à ce que le dépassement déclaré de la loi par la grâce l’a conduit à méconnaître : à savoir l’intime et indestructible union entre la loi et la grâce. Mais s’il peut s’atteler à cette tâche, qui est comme l’apprentissage d’un autre regard, c’est en acceptant humblement que ce regard lui manque, et que tant qu’il lui manquera, il n’aura pas compris le judaïsme.

Chances offertes au christianisme par le dialogue judéo-chrétien Aujourd’hui, on peut penser que l’expérience de la vérité juive, ici traduite en termes de lucidité et de fidélité, offre au christianisme un lieu privilégié où il peut se ressaisir lui-même en revenant sur sa propre genèse et sa propre théologisation : comment est-on passé de la révélation chrétienne aux affirmations doctrinales, et comment aujourd’hui opérer une lecture inversée des affirmations doctrinales à la révélation ? Le vis-à-vis de la pensée midrachique – qui est commentaire et non systématisation – peut constituer un nouvel outil pour repenser, différemment, la relation d’interprétation aux Écritures et à la révélation. De plus le rôle de la tradition dans le judaïsme interroge forcément celui qu’elle a dans le catholicisme, et qu’elle n’a pas dans le protestantisme. Et ce dernier devrait se sentir encouragé à réexaminer les grands principes mis en avant par la Réforme, à savoir « l’Écriture seule, la Grâce seule au moyen de la Foi seule ». De principes libérateurs nés dans un contexte violemment polémique, ne sont-ils pas devenus parfois des dogmes qui nous enferment dans une vision restrictive de la vie de l’homme avec Dieu ? Entrer dans la compréhension chabbatique, rencontrer vraiment l’esprit de la Loi juive, pourrait nous permettre de découvrir « la loi de foi » comme l’a suggéré le Rabbin Rivon Krygier dans sa conférence du 5 juin 2006 à Montpellier : « Paul et Israël, du retranchement à la greffe ». Il y invitait juifs et chrétiens à « se dépêtrer de la doctrine unijambiste de la justification par la grâce seule ou par les œuvres seules, pour célébrer conjointement, avec Paul et Hillel, celle de la loi de foi. Dès lors, disait-il, l’Église pourrait se rattacher à une doctrine du salut “par le Christ seul”, comme la Synagogue au salut “par la Tora seule” sans se désavouer l’une l’autre puisque aussi bien, elles incluent en leur cœur, en dénominateur commun, l’impératif de l’amour et l’espérance de la délivrance, nourris de la conviction que nous sommes venus au monde, non pour y mourir mais pour y naître ». Alors il serait enfin possible, après tant de siècles, d’abandonner la logique de dissociation qu’exprime le mot « retranchement » pour s’atteler à la logique d’association pressentie dans le mot « greffe ». Enfin Paul le chrétien pourrait se réconcilier avec Paul le juif. feuille Florence Taubmann

Intervention à l’Assemblée générale de l’Association Judéo-Chrétienne de France, le 22 mai 2005

CHRÉTIENS ET JUIFS APPELÉS À COOPÉRER POUR UN MONDE PLUS JUSTE – Pape François

22 mai, 2014

http://www.zenit.org/fr/articles/chretiens-et-juifs-appeles-a-cooperer-pour-un-monde-plus-juste

CHRÉTIENS ET JUIFS APPELÉS À COOPÉRER POUR UN MONDE PLUS JUSTE

Le Comité juif américain au Vatican (texte intégral)

Rome, 13 février 2014 (Zenit.org) Pape François

« En plus du dialogue, il est aussi important de trouver des voies sur lesquelles juifs et chrétiens puissent coopérer dans la construction d’un monde plus juste et fraternel », déclare le pape François.
Il mentionne « les efforts communs pour servir les pauvres, les personnes marginalisées et celles qui souffrent » : « une responsabilité confiée par Dieu, une véritable obligation religieuse».
Le pape François a en effet reçu une délégation du « Comité juif américain » (« American Jewish Committee », AJC), ce matin, 13 février 2014, au Vatican.
Insistant sur « le patrimoine spirituel » qui unit juifs et chrétiens, il a fait observer que le fondement du dialogue n’était « pas simplement l’expression de respect et d’estime mutuels » mais qu’il était « théologique » et qu’il devait donc être « marqué par la conscience de [la] relation avec Dieu ».

Discours du pape François
Chers amis,
Je vous souhaite la bienvenue ici, en ce jour. Votre organisation, qui a rencontré mes vénérables prédécesseurs à plusieurs reprises, entretient de bonnes relations avec le Saint-Siège et avec de nombreux représentants du monde catholique. Je vous suis très reconnaissant pour la remarquable contribution que vous avez apportée au dialogue et à la fraternité entre juifs et catholiques, et je vous encourage à continuer sur cette voie.
L’année prochaine, nous commémorerons le cinquantième anniversaire de la Déclaration du concile Vatican II, Nostra aetate, qui constitue pour l’Église aujourd’hui le point de référence sûr de nos relations avec nos « frères ainés ». C’est à partir de ce document que notre réflexion sur le patrimoine spirituel qui nous unit et qui est le fondement de notre dialogue s’est développée avec une nouvelle vigueur. Ce fondement est théologique, il n’est pas simplement l’expression de notre désir de respect et d’estime mutuels. Il est donc important que notre dialogue soit toujours profondément marqué par la conscience de notre relation avec Dieu.
En plus du dialogue, il est aussi important de trouver des voies sur lesquelles juifs et chrétiens puissent coopérer dans la construction d’un monde plus juste et fraternel. À cet égard, je rappelle tout particulièrement nos efforts communs pour servir les pauvres, les personnes marginalisées et celles qui souffrent. Notre engagement dans ce service est ancré dans la protection des pauvres, des veuves, des orphelins et des réfugiés telle que l’enseigne l’Écriture sainte (cf. Ex 20,20-22). C’est une responsabilité qui nous est confiée par Dieu, qui reflète sa sainte volonté et sa justice ; c’est une véritable obligation religieuse.
Enfin, afin que nos efforts ne restent pas vains, il est important que nous nous appliquions à transmettre aux jeunes générations l’héritage de notre connaissance réciproque, de notre estime mutuelle et de notre amitié qui s’est développé grâce à l’engagement d’associations comme la vôtre. Par conséquent, je souhaite que l’étude des relations avec le judaïsme se poursuive dans les séminaires et les centres de formation pour les laïcs catholiques, et j’espère également que le désir de connaître le christianisme grandira parmi les jeunes rabbins et au sein de la communauté juive.
Chers amis, dans quelques mois, j’aurai la joie de me rendre à Jérusalem, lieu où nous sommes tous nés, comme le dit le psaume (cf. Ps 87,5), et où tous les peuples se rassembleront un jour (cf. Is 25,6-10). Accompagnez-moi, s’il vous plaît, par vos prières, afin que ce pèlerinage porte des fruits de communion, d’espérance et de paix. Shalom !

Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

‘RÉFLEXIONS SUR L’ALLIANCE ET LA MISSION’, (FIN DE LA CONVERSION DES JUIFS) – Washington, 13 août 2002

22 mai, 2014

http://www.debriefing.org/30993.html

‘RÉFLEXIONS SUR L’ALLIANCE ET LA MISSION’, (FIN DE LA CONVERSION DES JUIFS)

13/01/2012
Document publié par le Comité Episcopal des Affaires Œcuméniques et Interreligieuses et le Conseil National des Synagogues, disant que la conversion des Juifs est un but inacceptable.

Texte original anglais. Traduction française : Claude Detienne.

Washington, 13 août 2002

Les dirigeants des communautés juive et catholique romaine aux Etats-Unis, qui, depuis plus de vingt ans, se rencontrent, deux fois par an, pour discuter des sujets touchant les relations catholico-juives, publient aujourd’hui (13 août 2002) un document intitulé Réflexions sur l’Alliance et la Mission.
Evoquant le respect croissant pour la tradition juive, qui s’est développé depuis le Concile Vatican II, et l’approfondissement de l’appréciation catholique de l’alliance éternelle entre Dieu et le peuple juif, la partie catholique des Réflexions dit que des campagnes de conversion au christianisme qui visent les juifs ne sont plus théologiquement acceptables dans l’Église catholique.
Cette réflexion commune marque une avancée significative dans le dialogue entre l’Église catholique et la communauté juive dans ce pays, a dit le cardinal William Keeler, modérateur des évêques des Etats-Unis pour les relations catholico-juives. On peut voir ici, peut-être plus clairement que jamais auparavant, une compatibilité essentielle, de même que des différences également significatives, entre les compréhensions chrétienne et juive de l’appel de Dieu à nos deux peuples pour témoigner du Nom du Dieu unique au monde en harmonie. Ce qui fait écho aux paroles de Jean-Paul II, priant pour que, en tant que chrétiens et juifs, nous puissions être une bénédiction l’un pour l’autre, pour être ensemble une bénédiction pour le monde. (Pape Jean-Paul II, Sur le 50e anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie, 6 avril 1993).

Pour le rabbin Gilbert Rosenthal, directeur exécutif du Conseil national des synagogues :
Le communiqué commun catholico-juif sur la mission est une nouvelle étape qui tourne une nouvelle page dans la relation souvent tumultueuse entre le peuple juif et l’Église catholique romaine. Les deux groupes de foi croient que nous ne devrions pas faire de l’autre l’objet de la mission pour sauver des âmes par la conversion. Bien au contraire : nous croyons que les deux groupes de foi sont chéris de Dieu et assurés de Sa grâce. Le communiqué commun sur la mission a exprimé clairement un nouveau but, à savoir la guérison d’un monde malade et la nécessité impérieuse de réparer les dommages que nous, humains, avons causés aux créatures de Dieu. Nous croyons être des partenaires pour apporter des bénédictions à toute l’humanité car c’est la volonté de Dieu.
Les participants à la consultation permanente sont des délégués du Comité Episcopal pour les Affaires Oecuméniques et Interreligieuses (BCEIA = Bishops Committee for Ecumenical and Interreligious Affairs) et le Conseil National des Synagogues (NCS = National Council of Synagogues). Le NCS représente la Conférence Centrale des Rabbins Américains, l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur, l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines, et la Synagogue Unie du Judaïsme Conservateur. La consultation est co-présidée par le Cardinal Keeler, le rabbin Joel Zaiman, de l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur, et le rabbin Michael Signer, de l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines.

Ci-dessous, le texte intégral du document
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RÉFLEXIONS SUR L’ALLIANCE ET LA MISSION

Consultation du Conseil national des synagogues et du Comité Episcopal des affaires oecuméniques et interreligieuses, 12 août 2002

PRÉFACE
Pendant plus de vingt ans, des dirigeants de communautés juives et catholiques romaines aux Etats-Unis se sont réunis, deux fois par an, pour discuter d’un large éventail de sujets touchant aux relations catholico-juives. Actuellement les participants de ces consultations permanentes sont des délégués des délégués du Comité Episcopal pour les Affaires Oecuméniques et Interreligieuses (BCEIA = Bishops Committee for Ecumenical and Interreligious Affairs) et le Conseil national des synagogues (NCS = National Council of Synagogues). Le NCS représente la Conférence Centrale des Rabbins Américains, l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur, l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines, et la Synagogue Unie du Judaïsme Conservateur. La consultation est co-présidée par le Cardinal Keeler, le rabbin Joel Zaiman, de l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur et le rabbin Michael Signer, de l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines. Les Dialogues ont précédemment produit des communiqués publics sur des sujets comme les Enfants, l’Environnement et les Actes de haine religieuse.
Lors de la session qui s’est tenue le 13 mars 2002, à New York City, la consultation BCEIA-NCS a examiné comment les traditions juive et catholique romaine comprennent actuellement les notions d’«alliance» et de «mission». Chaque délégation a préparé des réflexions qui ont été discutées et clarifiées par la Consultation comme des formulations de l’état actuel de la question dans chaque communauté. La Consultation a décidé de publier ses considérations, pour encourager une réflexion sérieuse sur ces matières par les juifs et les catholiques dans tous les Etats-Unis. Après un certain délai pour affiner les formulations initiales, les réflexions catholiques romaines et juives sur les sujets «Alliance» et «Mission» sont présentées séparément ci-dessous.
Les réflexions catholiques romaines décrivent le respect croissant pour la tradition juive qui s’est développé depuis le Concile Vatican II. Un approfondissement de l’appréciation catholique de l’alliance éternelle entre Dieu et le peuple juif, de même qu’une reconnaissance de la mission donnée par Dieu aux juifs de témoigner de l’amour fidèle de Dieu, mènent à la conclusion que des campagnes qui visent à convertir des juifs au christianisme ne sont plus théologiquement acceptables dans l’Église catholique.
Les réflexions juives décrivent la mission des juifs et la perfection du monde. Cette mission semble revêtir trois aspects. Il y a d’abord les obligations qui résultent de l’élection aimante du peuple juif dans une alliance avec Dieu. Ensuite, il y a la mission de témoigner de la puissance rédemptrice de Dieu dans le monde. Enfin, le peuple juif a une mission qui s’adresse à tous les êtres humains. Les réflexions juives concluent en pressant juifs et chrétiens d’articuler un agenda commun pour guérir le monde.
La consultation NCS-BCEIA a exprimé sa préoccupation de l’ignorance et des caricatures continues de l’autre qui prévalent encore dans de nombreux segments des communautés catholique et juive. La Consultation espère que ces réflexions seront lues et discutées comme une partie d’un processus continu de compréhension mutuelle croissante.
La Consultation NCS-BCEIA réaffirme son engagement à approfondir notre dialogue et à promouvoir l’amitié entre les communautés juive et catholique aux Etats-Unis

RÉFLEXIONS CATHOLIQUES ROMAINES
Introduction
Les dons accordés par l’Esprit Saint à l’Église par l’intermédiaire de la déclaration Nostra Aetate, du Concile Vatican II continuent à se déployer. Les décennies qui se sont écoulées depuis sa proclamation en 1965 ont été le témoin d’un rapprochement régulier entre l’Église catholique romaine et le peuple juif. Même si des controverses et des malentendus continuent à se produire, il y a néanmoins eu un approfondissement progressif de la compréhension mutuelle et de la communauté d’intention.
Nostra Aetate a aussi inspiré une série d’instructions du magistère, incluant trois documents préparés par la Commission pontificale pour les relations religieuses avec les juifs: Orientations et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate No. 4 (1974); Notes pour une présentation correcte des Juifs dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique (1985); et « Nous nous souvenons » (1998). Le pape Jean Paul II a prononcé de nombreux discours et s’est engagé dans plusieurs actions importantes qui ont favorisé l’amitié entre catholiques et Juifs. De nombreuses déclarations concernant les relations catholico-juives ont aussi été composées par des Conférences nationales d’évêques catholiques dans le monde. Aux États-Unis, la conférence des évêques catholiques et ses comités ont publié de nombreux documents pertinents, dont: Directives pour les relations catholico-juives (1967, 1985); Critères pour l’évaluation des représentations dramatiques de la Passion (1988); La miséricorde de Dieu dure à jamais : directives pour la présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication catholique (1988); et, plus récemment : Enseignement catholique de la Shoah: Mise en œuvre de ‘Nous nous souvenons’ du Saint-Siège (2001).
Un examen de ces communiqués catholiques des dernières décennies montre qu’ils ont progressivement pris en considération de plus en plus d’aspects de la relation complexe entre les juifs et les catholiques, de même que leur impact sur la pratique de la foi catholique. Ce travail, inspiré par Nostra Aetate, a mis en oeuvre un dialogue interreligieux, des initiatives éducatives en collaboration et une recherche théologique et historique commune, de catholiques et de juifs. Cela continuera durant ce nouveau siècle.
Au stade actuel de ce processus de renouveau, les notions d »alliance’ et de ‘mission’ sont venus sur le devant de la scène. Nostra Aetate a déclenché cette réflexion en citant Romains 11, 28-29, et en décrivant le peuple juif comme «très cher à Dieu à cause des patriarches, puisque Dieu ne revient pas sur les dons qu’il a accordés, ni sur le choix qu’il a fait». Jean Paul II a enseigné explicitement que les juifs sont «le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, jamais révoquée par Dieu», «le peuple contemporain de l’Alliance conclue avec Moïse», et des «partenaires dans une Alliance d’amour éternel jamais révoquée».
Après Nostra Aetate, la reconnaissance de la permanence de la relation d’alliance du peuple juif avec Dieu a conduit à un nouveau regard positif, sans précédent dans l’histoire chrétienne, sur la tradition juive post-biblique ou rabbinique. Les Orientations publiées par le Vatican en 1974, insistaient sur le fait que les chrétiens «doivent s’efforcer d’apprendre par quels traits essentiels les Juifs se définissent eux-mêmes, à la lumière de leur propre expérience religieuse». Les Notes, publiées par le Vatican, en 1985, firent l’éloge du judaïsme post-biblique, pour avoir offert «au monde entier un témoignage – souvent héroïque – de sa fidélité au Dieu unique et ‘pour l’exalter face à tous les vivants’ (Tobie 13, 4)». Les Notes poursuivirent en citant Jean Paul II pressant les chrétiens de se rappeler «combien cette permanence d’Israël s’accompagne d’une créativité spirituelle continue, dans la période rabbinique, au Moyen-Âge, et dans la période moderne, à partir d’un patrimoine qui nous fut longtemps commun, si bien que «la foi et la vie religieuse du peuple juif telles qu’elles sont professées et vécues, encore maintenant, (peuvent) aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l’Église» (Jean Paul Il, 6 mars 1982)». Ce thème a été repris dans des déclarations d’évêques catholiques des Etats-Unis, comme « La miséricorde de Dieu dure à jamais », qui conseillait aux prédicateurs «de se sentir libres d’utiliser des sources juives (rabbiniques, médiévales et modernes) pour exposer le sens des Écritures hébraïques et des écrits apostoliques».

La « fécondité spirituelle » du judaïsme post-biblique continua dans des pays où les Juifs constituaient une faible minorité. Ce fut vrai dans l’Europe chrétienne, même si, comme l’a noté le cardinal Idris Cassidy, «à partir de l’époque de l’empereur Constantin, les Juifs furent isolés et victimes de discriminations dans le monde chrétien. Il y eut des expulsions et des conversions forcées. La littérature répandit des stéréotypes et la prédication accusa, de tout temps, les Juifs de déicide.» Ce résumé historique accentue l’importance de l’enseignement des Notes (Vatican, 1985), selon lesquelles «La permanence d’Israël (alors que tant de peuples anciens ont disparu sans laisser de traces) est un fait historique et un signe à interpréter dans le plan de Dieu.»
La connaissance de l’histoire de la vie des Juifs en chrétienté fait aussi relire des textes bibliques, comme Actes 5, 33-39, avec un regard nouveau. Dans ce passage, le pharisien Gamaliel déclare que seules des entreprises d’origine divine peuvent perdurer. Si ce principe néo-testamentaire est considéré aujourd’hui par les chrétiens comme valide pour le christianisme, alors, il doit être considéré comme tel également pour le judaïsme post-biblique. Le judaïsme rabbinique, qui s’est développé après la destruction du Temple, doit aussi être «de Dieu».
Outre ces considérations théologiques et historiques, dans les décennies qui ont suivi Nostra Aetate, de nombreux catholiques ont reçu en bénédiction l’opportunité de faire l’expérience personnelle de la riche vie religieuse et des dons divins de sainteté du judaïsme.

La mission de l’Église: Évangélisation
De telles réflexions et expériences de la vie d’alliance éternelle du peuple juif avec Dieu suscitent des questions sur le devoir chrétien de témoigner des dons de salut, que l’Église reçoit par sa «nouvelle alliance» en Jésus-Christ. Le Concile Vatican II résumait la mission de l’Église de la manière suivante :
Qu’elle aide le monde ou qu’elle reçoive de lui, l’Eglise tend vers un but unique: que vienne le règne de Dieu et que s’établisse le salut du genre humain. D’ailleurs, tout le bien que le Peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette réalité que l’Eglise est « le sacrement universel du salut », manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme.
Cette mission de l’Église peut se résumer en un mot: évangélisation. Le pape Paul VI a donné la définition classique :
« Évangéliser, pour l’Église, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même »
L’évangélisation renvoie à une réalité complexe qui est parfois mal comprise et réduite à la seule recherche de nouveaux candidats au baptême. C’est la continuation de la mission de Jésus-Christ par l’Église. Comme l’a expliqué le pape Jean-Paul II,
Le Royaume concerne les personnes humaines, la société, le monde entier. Travailler pour le Royaume signifie reconnaître et favoriser le dynamisme divin qui est présent dans l’histoire humaine et la transforme. Construire le Royaume signifie travailler pour la libération du mal sous toutes ses formes. En un mot, le Royaume de Dieu est la manifestation et la réalisation de son dessein de salut dans sa plénitude.
Il faudrait souligner que l’évangélisation, l’œuvre de l’Église pour le royaume de Dieu, ne peut pas être séparée de sa foi en Jésus-Christ, en qui les chrétiens trouvent le Royaume «présent et accompli». L’évangélisation comprend les activités de présence et de témoignage de l’Église ; l’engagement en faveur du développement social et de la libération de l’homme ; le culte chrétien, la prière et la contemplation ; le dialogue interreligieux ; et la proclamation et la catéchèse.
Cette dernière activité de proclamation et de catéchèse – «l’invitation à un engagement de foi en Jésus-Christ et à entrer par le baptême dans la communauté de croyants qu’est l’Église» – est parfois considérée comme synonyme d’«évangélisation». Cependant, c’est une interprétation très étroite, qui n’est, en fait, qu’un des nombreux aspects de la «mission évangélisatrice» de l’Église au service du Royaume de Dieu. Les catholiques qui participent au dialogue interreligieux – partage de dons, mutuellement enrichissant, sans aucune intention d’inviter le partenaire du dialogue au baptême, ne témoignent donc pas moins de leur propre foi dans le Royaume de Dieu incarné en Christ. C’est une forme d’évangélisation, un moyen de s’engager dans la mission de l’Église.

L’évangélisation et le peuple juif
Le christianisme a une relation totalement unique avec le judaïsme, puisque « nos deux communautés religieuses sont liées et étroitement apparentées au niveau de leurs identités religieuses respectives. »
L’histoire du salut clarifie notre relation spéciale avec le peuple juif. Jésus appartient au peuple juif, et il a inauguré son Église à l’intérieur de la nation juive. Une grande partie des Saintes Écritures, que nous chrétiens lisons comme la parole de Dieu, constitue un patrimoine spirituel que nous partageons avec les Juifs. Par conséquent, toute attitude négative à leur égard doit être évitée, puisque « pour être une bénédiction pour le monde, Juifs et chrétiens doivent d’abord être une bénédiction les uns pour les autres.”
Dans le sillage de Nostra Aetate, il y a eu une appréciation catholique, toujours plus profonde, de nombreux aspects de notre lien spirituel unique avec les Juifs. De manière spécifique, l’Église catholique en est venue à reconnaître que sa mission de préparer la venue du royaume de Dieu est partagée avec le peuple juif, même si les Juifs n’ont pas la même conception christologique de cette tâche que celle de l’Église. Les Notes du Vatican (1985) observaient :
Attentifs au même Dieu qui a parlé, suspendus à la même parole, nous avons à témoigner d’une même mémoire et d’une commune espérance en Celui qui est le maître de l’histoire. Il faudrait ainsi que nous prenions notre responsabilité de préparer le monde à la venue du Messie, en oeuvrant ensemble pour la justice sociale, le respect des droits de la personne humaine et des nations, pour la réconciliation sociale et internationale. A cela nous sommes poussés, Juifs et Chrétiens, par le précepte de l’amour du prochain, une espérance commune du Règne de Dieu et le grand héritage des Prophètes.
Si donc l’Église partage une tâche centrale et déterminante avec le peuple juif, quelles sont les implications pour la proclamation chrétienne de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ ? Les chrétiens devraient-ils inviter des Juifs au baptême ? C’est une question complexe, pas seulement en termes d’autodéfinition théologique chrétienne, mais aussi à cause de l’histoire des baptêmes forcés de Juifs par les chrétiens.
Dans une étude remarquable et toujours très pertinente, présentée à la sixième rencontre du Comité de liaison international catholico-juif, à Venise, il y a vingt-cinq ans, le Prof. Tommaso Federici examinait les implications missiologiques de Nostra Aetate. Sur des bases historiques et théologiques, il argumentait qu’il ne devrait y avoir dans l’Église aucune organisation, de quelque type que ce soit, dédiée à la conversion de Juifs. Telle a été la pratique de facto de l’Église catholique dans les années suivantes.
Plus récemment, le cardinal Walter Kasper, président de la Commission pontificale pour les relations religieuses avec les Juifs, expliquait cette pratique. Dans une déclaration formelle, faite d’abord à la dix-septième rencontre du Comité de liaison international catholico-juif en mai 2001, et répétée plus tard, la même année, à Jérusalem, le cardinal Kasper parlait de «mission», dans un sens étroit, pour signifier la «proclamation», ou l’invitation au baptême et la catéchèse. Il montrait pourquoi de telles initiatives ne s’adressaient pas de façon appropriée aux Juifs:
Au sens propre, le terme mission se réfère à la conversion de [la foi aux] faux dieux et idoles [à la foi] au Dieu vrai et unique, qui s’est révélé dans l’histoire du salut avec Son peuple élu. Au sens strict, mission ne peut donc pas être utilisé pour les Juifs, qui croient au Dieu unique et vrai. Aussi, et ceci est caractéristique, il y a un dialogue, mais aucune organisation missionnaire catholique pour les Juifs.
Comme nous l’avons dit précédemment, le dialogue n’est pas une simple information objective; le dialogue implique la personne tout entière. Dans le dialogue, les Juifs témoignent donc de leur foi, témoignent de ce qui les a soutenus dans les périodes sombres de leur histoire et de leur vie, et les chrétiens rendent compte de l’espoir qu’ils ont en Jésus-Christ. Ce faisant, ils sont très éloignés de toute forme de prosélytisme, mais ils peuvent apprendre les uns des autres et s’enrichir les uns les autres. Nous voulons tous partager nos plus profondes inquiétudes avec un monde souvent désorienté qui a besoin de tels témoignages et les recherche.
Du point de vue de l’Église catholique, le judaïsme est une religion qui découle de la révélation divine. Comme l’a noté le cardinal Kasper, «la grâce de Dieu, qui, selon notre foi, est la grâce de Jésus-Christ, est accessible à tous. Aussi l’Église croit-elle que le judaïsme, c’est-à-dire la réponse fidèle du peuple juif à l’alliance irrévocable de Dieu, est salvifique pour eux, parce que Dieu est fidèle à ses promesses.»
Cette déclaration à propos de l’alliance salvatrice de Dieu est tout à fait spécifique au judaïsme. Bien que l’Église catholique respecte toutes les traditions religieuses, et peut, par le dialogue avec elles, discerner les actions de l’Esprit Saint, et bien que nous croyions que la grâce infinie de Dieu est certainement accessible aux croyants d’autres fois, l’Église ne peut parler avec la certitude du témoignage biblique que de l’alliance d’Israël. Cela est dû au fait que les Ecritures d’Israël forment une partie de notre propre canon biblique et qu’elles ont une «valeur perpétuelle… qui n’a pas été annulée par l’interprétation postérieure du Nouveau Testament.»
Selon l’enseignement catholique romain, tant l’Église que le peuple juif se conforment à une alliance avec Dieu. Nous avons donc tous des missions devant Dieu à entreprendre dans le monde. L’Église croit que la mission du peuple juif ne se limite pas à son rôle comme peuple duquel Jésus est né «selon la chair» (Rm 9, 5) et d’où sont venus les apôtres. Comme l’a écrit récemment le cardinal Kasper, «la providence de Dieu… a manifestement confié à Israël une mission particulière en ce « temps des gentils ». Mais seul le peuple juif lui-même peut mener à bien sa mission «à la lumière de sa propre expérience religieuse.»
Néanmoins, l’Église réalise que la mission du peuple juif ad gentes (aux nations) continue. C’est une mission que l’Église poursuit aussi à sa façon selon sa compréhension de l’alliance. Le commandement de Jésus ressuscité, en Matthieu 28, 19, de faire des disciples «de toutes les nations» (en grec, ethnê, équivalent de l’hébreu goyim, c’est-à-dire les nations autres qu’Israël), signifie que l’Église doit témoigner dans le monde de la Bonne Nouvelle du Christ pour préparer le monde à la plénitude du Royaume de Dieu. Cependant cette tâche évangélisatrice n’inclut plus la volonté d’absorber la foi juive dans le christianisme et de mettre ainsi fin au témoignage spécifique que les Juifs rendent à Dieu dans l’histoire de l’humanité.
Ainsi, l’Église catholique, tout en considérant l’acte salvateur du Christ comme central dans le processus du salut pour toute l’humanité, reconnaît que les Juifs demeurent déjà dans une alliance salvatrice avec Dieu. L’Église catholique doit toujours évangéliser et témoignera toujours, devant les Juifs et tous les autres peuples, de sa foi en la présence du Royaume de Dieu en Jésus-Christ. Ce faisant, l’Église catholique respecte pleinement les principes de la liberté de religion et de conscience, de sorte que des conversions individuelles sincères, de toute tradition ou de tout peuple, y compris le peuple juif, seront bienvenues et acceptées.
Mais elle reconnaît maintenant que les Juifs sont aussi appelés par Dieu à préparer le monde au Royaume de Dieu. Leur témoignage du Royaume, qui ne tire pas son origine de l’expérience qu’a l’Église du Christ crucifié et ressuscité, ne doit pas être tronqué par la recherche de la conversion du peuple juif au christianisme. Le témoignage spécifique juif doit se maintenir, si les catholiques et les Juifs doivent vraiment être, comme annoncé, «une bénédiction les uns pour les autres». Cela est en accord avec la promesse divine, exprimée dans le Nouveau Testament, que les Juifs sont appelés à «servir Dieu sans crainte, dans la sainteté et la droiture devant Dieu tous les jours» (Luc 1, 74-75).
Avec le peuple juif, l’Église catholique, selon les termes de Nostra Aetate, «attend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d’une seule voix et « le serviront sous un même joug » (So 3, 9 ; cf. Is 66, 23, Ps 65, 4 ; Rom 11, 11-32)».

REFLEXIONS JUIVES
La mission des Juifs et la perfection du monde
Dans la quête sans fin visant à donner sens à la vie, les communautés, tout comme les individus, cherchent à définir leur mission dans le monde. Il en va certainement de même des Juifs.
La mission des Juifs fait partie d’une triple mission, enracinée dans l’Écriture et développée dans les sources juives postérieures. Il y a d’abord la mission d’alliance : l’élan, toujours formateur pour la vie juive, qui résulte de l’alliance entre Dieu et les Juifs. Ensuite, la mission de témoignage, par laquelle les Juifs se voient eux-mêmes (et sont souvent vus par les autres) comme les témoins éternels, devant Dieu, de Son existence et de Sa force rédemptrice dans le monde. Enfin, la mission d’humanité, une mission qui comprend l’histoire biblique des Juifs comme porteuse d’un message qui n’est pas destiné aux seuls Juifs. Elle présuppose un message et une mission destinés à tous les êtres humains.

La mission d’alliance
Les Juifs sont la descendance d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, l’incarnation de l’alliance de Dieu avec ces ancêtres.
Après avoir été appelé par Dieu, non seulement Abraham entreprend un voyage vers la terre de Canaan, mais, quand il a quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparaît et lui dit : «Marche en ma présence et sois parfait. J’institue mon alliance entre moi et toi, et je t’accroîtrai extrêmement.» L’alliance est décrite comme «perpétuelle… pour être ton Dieu et celui de ta race après toi». L’alliance implique la Terre de Canaan qui est une possession perpétuelle. Il y a un symbole physique de l’alliance : la circoncision de tous les mâles le huitième jour de leur vie.
L’alliance est à la fois physique et spirituelle. Les Juifs sont un peuple physique. L’alliance est une alliance de la chair. La Terre est un lieu physique. Mais c’est aussi une alliance de l’esprit car elle est liée à la «marche en Sa présence».
Les Juifs sont un peuple appelé à l’existence par Dieu, dans un choix d’amour. Pourquoi Dieu ferait-il une telle chose ? La Torah nous conte l’histoire d’un Dieu unique qui, si différent du Dieu d’Aristote, ne se contenta pas de se contempler lui-même. C’est un grand mystère, mais Dieu, qui dépasse essentiellement notre capacité d’entendement, a voulu faire accéder le monde à l’existence. Il a donné à ses créatures un seul commandement, de ne pas manger d’un certain fruit du Jardin d’Eden. Que font-elles ? Bien sûr, elles mangent ce fruit.
Ainsi, Dieu, qui avait décidé de partager son être ineffable, fut rejeté. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que la terre se corrompe devant Dieu. Alors, Il recommence, détruisant la création, réunissant les eaux primordiales et ne laissant subsister que Noé et sa famille. Mais cela ne marche pas non plus, car, à peine Noé est-il sorti de l’Arche, qu’il se saoule et se découvre. Nouvel échec – jusqu’à ce que la Torah commence le récit qui marche, qui est le cœur de la saga biblique : le récit d’Abraham et de sa descendance, les Juifs.
L’alliance n’est pas une simple promesse ou une exhortation générale à la perfection. Quand le peuple d’Israël est devenu une énorme communauté et a souffert sous le servage de Pharaon, le peuple est racheté d’Egypte par des miracles extraordinaires. Ils viennent au Sinaï et l’alliance acquiert son contenu : les lois et statuts qui sont donnés là, puis sous la Tente de la Rencontre.
« Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait aux Égyptiens, et comment je vous ai emportés sur des ailes d’aigles et amenés vers moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi. Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte. »
Pour les Juifs, ce n’est pas de la flatterie divine, mais le fardeau de l’obligation divine. Telle est donc la définition théologique des Juifs : un peuple physique appelé à vivre dans une relation spéciale avec Dieu. Cette relation a un contenu spécifique. Il y a des récompenses pour son observance et des punitions pour son abandon.
Une telle vision des Juifs ne correspond pas aux définitions sociologiques normales d’un peuple, d’une communauté ou d’une famille. Il est même possible que la plupart des Juifs seraient gênés de cette sociologie théologique. D’habitude, on préfère présenter les Juifs soit comme un groupe ethnique, soit comme une communauté religieuse non liée à un peuple. Mais ce n’est pas la notion des Juifs dans la Bible et dans la littérature juive ultérieure. Les Juifs sont, pour le meilleur ou pour le pire, pour la richesse ou la pauvreté, partenaires de Dieu, dans un roman, parfois tumultueux et parfois idyllique, dans un mariage d’amour qui lie ensemble Dieu et le peuple d’Israël pour toujours et donne son sens le plus profond possible à l’existence juive.
La conséquence pratique de tout cela, c’est que la première mission des Juifs est pour les Juifs. Cela signifie que la communauté juive est vouée à préserver son identité. Comme cela ne va pas toujours de soi, c’est la raison pour laquelle les Juifs parlent constamment des forces institutionnelles et de la capacité, qu’a la communauté, d’éduquer ses enfants. Cela crée une horreur du mariage mixte. Cela explique la passion pour l’étude de la Torah. Les enjeux sont élevés, dans la vie juive, et pour ne pas abandonner Dieu, la communauté juivdépense une grande quantité d’énergie à veiller à ce que la communauté d’alliance réussisse.

La mission de témoignage
Isaïe parle d’un rôle que jouent les Juifs et qui les dépasse. «C’est vous qui êtes mes témoins, oracle de [L'Eternel], vous êtes le serviteur que je me suis choisi.»
Les Juifs sont Ses témoins, qui témoignent qu’il y a, dans le monde, un Dieu qui est Créateur, qu’Il est unique et que les idoles n’ont pas de pouvoir – «Oui, devant moi tout genou fléchira, par moi jurera toute langue» -, et que la puissance de Dieu est une puissance rédemptrice, plus imposante que ce que les êtres humains peuvent concevoir.
Comment se manifeste la puissance de Dieu ? Dans la vie des nations, y compris dans la chute et le relèvement de la nation d’Israël. Et il est bien connu, par la Torah et les livres prophétiques, que la souffrance d’Israël est comprise comme un témoignage de l’alliance de Dieu avec Israël.
Ce qui n’est pas compris, en tout cas pas assez, c’est que Dieu veut que les nations voient la rédemption d’Israël et en soient impressionnées. C’est, par exemple, ce que Dieu veut que voient Pharaon et les Égyptiens. Il ne suffit apparemment pas de se contenter de racheter le peuple d’Israël de l’esclavage. Il est prévu que la rédemption soit publique, pleine de signes et de miracles. Car elle doit apprendre à la grande nation d’Égypte la puissance, la gloire et l’intérêt qu’a le Dieu d’Israël à racheter des esclaves.
C’est aussi dans ce sens que le prophète Isaïe parle des Juifs comme de la « lumière des nations ». «Je relève les tribus de Jacob et ramène les survivants d’Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne les extrémités de la terre.» Les nations regarderont et verront la rédemption du peuple d’Israël, et elles seront surprises. Elles apprendront ainsi, si elles ne l’avaient pas fait auparavant, que le Seigneur, Dieu d’Israël, rend Sa terre à Son peuple.
Le messager de joie pour Sion dit: «Que toute vallée soit comblée, toute montagne et toute colline abaissées, que les lieux accidentés se changent en plaine et les escarpements en large vallée». Ce n’est pas de la rhétorique à propos d’une quelconque manifestation mystique de Dieu transformant la nature. C’est une image vigoureuse qui parle de la création d’une grande route extraordinaire qui doit ramener les exilés dans leur pays.
Alors que nous passons beaucoup de temps à penser à nos péchés, ce n’est pas la souffrance qui est le message de Dieu. Le message de Dieu est le pouvoir du repentir et le pouvoir de Son amour manifesté dans la rédemption d’Israël. Aussi, l’un des besoins majeurs de la théologie est-il de se détacher du message de souffrance. Le grand message de Dieu est la puissance de la rédemption. Le grand espoir des Juifs est leur rédemption et la reconstruction de leur État-nation. Le témoignage à rendre est celui de Dieu qui rachète son peuple.

La mission d’humanité
Le message de la Bible n’est pas un message et une vision uniquement pour les Juifs, mais aussi pour toute l’humanité. Isaïe parle, à deux reprises, des Juifs comme lumière des peuples, et nous avons déjà fait référence à cette citation du chapitre 49. Que veut-il dire d’autre quand il parle des Juifs comme «peuple d’alliance et lumière des nations» ? Le commentateur médiéval, David Kimhi, voit, dans la lumière qui s’avance, la lumière qui sort de Sion. Comme le message de la Torah est paix, la lumière qui s’avance est porteuse du message de bénédiction de la paix qui devrait régner dans le monde entier. La vision messianique est : «Il annoncera la paix aux nations.» Ainsi, Isaïe note qu’en ces temps-là, «Il jugera entre les nations, il sera l’arbitre de peuples nombreux. Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes.»
C’est une erreur de penser, comme Jonas, que Dieu ne s’occupe que des Juifs. Quand il est invité à aller à Ninive, une grande ville païenne, Jonas refuse l’ordre de Dieu d’inviter les gens de Ninive à se repentir. Ce n’est que par la souffrance qu’il apprend que la parole de Dieu est aussi destinée aux Ninivites. Finalement, il y va, et les gens de Ninive proclament un jeûne. Petits et grands revêtent un sac, même le roi. Ils ne se contentèrent pas de jeûner, puisque la Bible dit qu’«ils se détournèrent de leur conduite mauvaise».
Alors qu’on eût pu penser que Jonas serait transporté par son succès, il est désespéré – et il y a probablement deux raisons à cela. D’abord il croyait que le péché devrait être puni et que la miséricorde de Dieu ne devrait pas exclure le châtiment. Ensuite, qui étaient les gens de Ninive ? Quel droit avaient-ils d’attendre l’intérêt personnel de Dieu et son amour indulgent ?
Jonas quitte la ville et s’assied à l’est, faisant une hutte et s’asseyant à son ombre. Et le Seigneur fait pousser un ricin au-dessus de lui, pour donner de l’ombre à sa tête. Jonas était si heureux ! Jusqu’à ce qu’à l’aube du lendemain, Dieu fît qu’un ver attaqua la plante jusqu’à ce qu’elle sèche. Puis, Dieu amena un léger vent d’est, et le soleil s’abattit sur la tête de Jonas jusqu’à ce qu’il défaille. Et il voulut mourir.
Alors Dieu dit à Jonas: «As-tu raison de te fâcher pour ce ricin ?… Toi, tu as de la peine pour ce ricin qui ne t’a coûté aucun travail et que tu n’as pas fait grandir, qui a poussé en une nuit et en une nuit a péri. Et moi, je ne serais pas en peine pour Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, ainsi qu’une foule d’animaux!»
Le Dieu de la Bible est le Dieu du monde. Ses visions sont des visions pour toute l’humanité. Son amour est un amour qui s’étend à toutes les créatures.
L’homme souffrant des Écritures, Job, n’est nullement présenté comme un Juif. Est-ce étonnant ? La souffrance de l’humanité n’est l’apanage d’aucun peuple en particulier. L’alliance peut faire, de cette question, une question particulièrement troublante pour les Juifs, mais chacun de nous essaye d’arriver à une solution du problème du juste qui souffre. Job est un être humain universel. L’appel que Dieu lui adresse, du sein de la tornade, est l’appel que Dieu adresse, dans le monde entier, aux justes qui essayent de comprendre le sens de leur destin.
Le Dieu qui a aimé Abraham – «Et toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j’ai choisi, race d’Abraham, mon ami» – aime tous les peuples. Car il est le Créateur du monde. Adam et Ève étaient Ses premières créatures et ils ont été créés bien avant les premiers Juifs. Ils ont été créés à «l’image de Dieu», comme tous leurs enfants, pour l’éternité. Seule la créature humaine est à l’image de Dieu.
Dieu a créé le monde avec un seul être originel, dit le Talmud, pour enseigner que quiconque détruit une seule âme, c’est comme s’il détruisait le monde entier. Quiconque sauve une seule âme, c’est comme s’il sauvait le monde entier. Cela enseigne le concept de paix dans le monde, de sorte que nul ne devrait dire : mon père est plus grand que ton père.
«N’êtes-vous pas pour moi comme des Kushites, enfants d’Israël ? – oracle de [L'Eternel] – N’ai-je pas fait monter Israël du pays d’Égypte, et les Philistins de Kaphtor et les Araméens de Qir ?» Tous sont le peuple de Dieu.
Quand Abraham soulève devant Dieu la question de la justice divine et de la pitié, il prend la défense des gens de Sodome, un groupe mauvais. Abraham conçoit sa mise en cause de Dieu en termes d’action juste de Dieu. L’innocent ne devrait pas souffrir. Et la mise en cause ne résulte d’aucune relation spéciale découlant de l’alliance de Dieu avec les Juifs. La Bible considère plutôt qu’il y a une justice et une pitié divines qui l’emportent dans le monde entier.
Quand Amos demande : «que le droit coule comme de l’eau, et la justice, comme un torrent qui ne tarit pas», c’est parce qu’il y a un Dieu du monde entier qui l’appelle à la justice. Quand Isaïe demande, de manière rhétorique, quelle est la signification du jeûne religieux, il répond que Dieu souhaite que les être humains «défassent les chaînes injustes, délient les liens du joug; renvoient libres les opprimés, et brisent tous les jougs. [En quoi consiste le jeûne, si ce n'est à] partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair?»
Le judaïsme considère que tous les peuples sont obligés d’observer une loi universelle. Cette loi, appelée les Sept Commandements de Noé, s’applique à tous les êtres humains. Ces lois sont : 1) l’établissement de cours de justice de sorte que la loi gouverne la société, 2) la prohibition du blasphème, 3) de l’idolâtrie, 4) de l’inceste, 5) de l’effusion de sang, 6) du vol, 7) et la consommation de la chair d’un animal vivant.
Malgré le fait de l’alliance, Maïmonide et les dcisionnaires postérieurs affirment que «les hommes pieux de toutes les nations du monde ont une place dans le monde à venir».
Aussi, dans le judaïsme, la valeur absolue des êtres humains, leur création à l’image de Dieu, de même que la préoccupation primordiale de Dieu pour la justice et la pitié sont à la base d’une communauté universelle des créatures, une communauté appelée à répondre à l’amour de Dieu en aimant les autres êtres humains, en mettant en place des structures sociales qui privilégient la pratique de la justice et de la miséricorde, et en s’engageant sans fin dans la quête religieuse de la guérison du monde brisé.
Une des prières centrales du judaïsme l’exprime comme suit :
«Nous espérons en toi, Seigneur notre Dieu, pour voir rapidement la beauté de ta puissance, pour que les idoles disparaissent de la terre et que les faux dieux soient détruits, pour parfaire le monde et en faire le Royaume du Tout-Puissant, où toute chair invoquera ton nom, où tous les méchants de la terre se tourneront vers toi.»
Letaqen ‘olam bemalkhut Shaddai, parfaire le monde par le Royaume du Tout-Puissant. Tiqun ha-‘olam, parfaire ou réparer le monde est une tâche commune aux Juifs et à toute l’humanité. Bien que les Juifs se considèrent comme vivant dans un monde qui n’est pas encore racheté, Dieu veut que ses créatures participent à la réparation du monde.

Chrétiens et Juifs
Après l’examen de la triple notion de « mission » dans le judaïsme classique, il y a quelques conclusions pratiques qui en découlent, conclusions qui suggèrent aussi un programme d’action commune pour les chrétiens et pour les Juifs.
Il devrait être évident que toute mission des chrétiens concernant les Juifs est en opposition directe avec la notion juive que l’alliance elle-même est cette mission. En même temps, il est important de souligner que, malgré l’alliance, les nations du monde n’ont pas besoin d’embrasser le judaïsme. Tandis qu’il y a des vérités théologiques comme la foi en l’unicité de Dieu, et des vertus sociales pratiques qui mènent à la création d’une société bonne, qu’il est possible à l’humanité tout entière de pratiquer, le judaïsme n’est pas indispensable pour racheter l’individu ou la société. Les hommes pieux de toutes les nations du monde ont une place dans le monde à venir.
Cependant, l’idée que le monde a besoin de perfection est importante également. Alors que chrétiens et Juifs comprennent de manière très différente l’espoir messianique impliqué dans cette perfection, que nous attendions encore le messie – comme le croient les Juifs – ou la seconde venue du messie – comme le croient les chrétiens -, nous partageons la foi que nous vivons dans un monde non encore racheté, qui rêve de réparation.
Pourquoi ne pas mettre au point un programme commun ? Pourquoi ne pas unir nos forces spirituelles pour affirmer et agir, en nous appuyant sur les valeurs qui nous sont communes et qui mènent à la réparation du monde non racheté ? Nous avons collaboré, dans le passé, en faisant avancer la cause de la justice sociale. Nous avons marché ensemble pour les droits civils ; nous nous sommes faits les champions de la cause des travailleurs et des ouvriers agricoles ; nous avons adressé des pétitions à notre gouvernement pour qu’il subvienne aux besoins des pauvres et des sans-abri ; et nous avons appelé le dirigeant de notre pays à rechercher le désarmement nucléaire. Ce ne sont que quelques-unes des questions que nous avons traitées en accord les uns avec les autres, Juifs et chrétiens.
Pour montrer ce que nous pourrions encore faire ensemble, examinons, dans le judaïsme classique, quelques manières concrètes de prendre des idées théologiques et de les transformer en modes de vie. Et si elles peuvent constituer des pierres d’un pavement sur lequel nous pouvons marcher ensemble, alors, nous serons capables de construire une grande route que nous emprunterons ensemble et qui mène à la réparation du monde et sa perfection.

Quelques pensées talmudiques sur la réparation du monde
Même si la préoccupation prophétique du sort du nécessiteux est bien connu, il faut souligner que c’est dans le Talmud que les détails de la bonne action sont exposés de telle façon qu’ils deviennent les pierres angulaires de la vie.
La Tzedakah (aumône) et les actes de miséricorde pèsent dans la balance aussi lourd que tous les commandements de la Torah. L’obligation de l’aumône a pour objet le pauvre, et les actes de miséricorde ont pour objets le pauvre et le riche. L’aumône a pour objets les vivants, et les actes de miséricorde ont pour objet les vivants et les morts. L’aumône fait appel à notre argent, alors que les actes de miséricorde font appel à notre argent mais aussi à notre être.
Déjà, à l’époque du Talmud, des institutions charitables pour s’occuper des pauvres étaient une part fondamentale et essentielle de la vie de la communauté. Quand, par exemple, la Mishnah enseigne qu’un Juif doit célébrer le seder de Pâque avec quatre coupes de vin, elle note que l’allocation publique (tamhui) doit fournir ce vin au pauvre. Le pauvre doit célébrer et éprouver la dignité d’être un peuple libre – et c’est de la responsabilité de la communauté. Mais même si les institutions charitables sont un élément central de la vie de la communauté, Maïmonide affirme que la forme la plus élevée de la charité est de permettre à quelqu’un de gagner sa vie.
L’énorme section du Talmud qui traite de la loi civile et criminelle, Neziqin ou Dommages, stipule et protège la compensation des ouvriers. Elle donne une forme concrète aux interdits de la Torah contre l’usure et étend les lois qui interdisent l’usure, pour y inclure de nombreux types de transactions financières qui semblent être de l’usure, même si elles ne le sont pas. Tout cela a pour but de créer une économie où les gens sont encouragés à s’aider les uns les autres financièrement, comme expression de leur communauté, plutôt que d’indiquer une façon de gagner de l’argent. Des instruments financiers sont créés pour permettre aux désargentés de devenir partenaires des autres plutôt qu’emprunteurs – ce qui est une autre manière de protéger la dignité humaine et d’encourager le développement d’une société où cette dignité se manifeste dans la vie de tous les jours.
Les actes de bonté requis et développés en détail par la loi comprennent l’obligation de visiter les maladies et de réconforter les gens en deuil. Les Juifs doivent racheter les captifs et fournir des dots, enterrer les morts et accueillir les gens à leur table. Le Talmud détaille l’obligation faite aux Juifs de respecter les personnes âgées. «Se lever» et manifester des signes particuliers de respect, sont des réponses aux problèmes physiques de l’âge. Quand le sentiment de dignité d’une personne diminue, la communauté est invitée à renforcer la dignité de l’individu.
Bien sûr, la loi juive concerne les Juifs, et son premier souci est d’encourager l’expression de l’amour envers les membres de la communauté. Elle ne traite pas de sentiments mais principalement d’actions. Mais il est important de noter que beaucoup de ces actions sont obligatoires envers tous les hommes. Ainsi le Talmud dit : «Il faut subvenir aux besoins du pauvre non juif comme du pauvre juif. Il faut visiter le malade non juif comme on visite le malade juif. Il faut s’occuper de l’enterrement d’un non-Juif comme il faut s’occuper de l’enterrement d’un Juif. [Ces obligations sont universelles] parce qu’elles sont les voies de la paix.»
Les voies de la paix de la Torah constituent une réponse concrète à la création sacrée de l’humanité à l’image de Dieu. Elles aident à parfaire le monde pour en faire le Royaume du Tout-Puissant.
L’humanité n’a-t-elle pas besoin d’un chemin commun qui cherche les voies de la paix ? L’humanité n’a-t-elle pas besoin d’une vision commune de la nature sacrée de notre existence humaine, que nous puissions enseigner à nos enfants et que nous puissions promouvoir dans nos communautés pour servir les voies de la paix ? L’humanité n’a-t-elle pas besoin d’un engagement de ses dirigeants religieux dans chaque religion et au-delà de chaque religion, pour se donner la main et créer des liens qui inspireront et guideront l’humanité vers sa promesse sacrée ? Pour les Juifs et les chrétiens qui ont entendu l’appel de Dieu à être une bénédiction et une lumière pour le monde, le défi et la mission sont clairs.
Ce qui est exigé de nous est rien moins que cela – et c’est le vrai sens de la mission à laquelle nous devons tous participer.

Première mise en ligne le 6 octobre 2002 sur le site de CJE, mise à jour le 11 novembre 2005 sur le site convertissez-vous.com.

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JUIFS ET CHRÉTIENS : TÉMOIGNER DE LA RÉCONCILIATION DANS LE MONDE (VI ET FIN)

30 mai, 2012

http://www.zenit.org/article-30955?l=french

JUIFS ET CHRÉTIENS : TÉMOIGNER DE LA RÉCONCILIATION DANS LE MONDE (VI ET FIN)

« Berrie Lecture » du card. Kurt Koch à l’Angelicum sur « Nostra Aetate »

Traduction d’Hélène Ginabat

(vous trouverez tous les articles sur Zenith)

ROME, mardi 29 mai 2012 (ZENIT.org) – « Que juifs et chrétiens, comme l’unique peuple de Dieu, témoignent de la paix et de la réconciliation dans le monde non réconcilié d’aujourd’hui et qu’ils puissent être ainsi une bénédiction non seulement les uns pour les autres, mais aussi ensemble pour l’humanité » : tel est le vœu que forme le cardinal Kurt Koch, dans ce dernier volet de sa conférence, donnée à Rome, à l’Angelicum, le 16 mai dernier, dans le cadre d’une « Berrie Lecture » (cf. Zenit des 15, 17, 21, 22, 23, 24 et 27 mai 2012).
6. Questions théologiques ouvertes dans le dialogue judéo-catholique
La Déclaration du Concile Vatican II sur le judaïsme, qui est le quatrième article de « Nostra Aetate », était située, comme on le voit sans doute clairement maintenant, dans un cadre résolument théologique. Cela ne signifie pas que toutes les questions théologiques qui se posent dans la relation entre le christianisme et le judaïsme ont été résolues. Elles y ont reçu un stimulus prometteur, mais elles nécessitent une réflexion théologique plus approfondie. C’est également manifesté par le fait que, contrairement à tous les autres textes du Concile Vatican II, ce document du Concile ne pouvait pas, dans ses notes, renvoyer à des documents et décisions doctrinaux antérieurs émanant de conciles précédents. Bien sûr, il y avait eu auparavant des textes du magistère qui mettaient l’accent sur le judaïsme, mais «Nostra Aetate» fournit le premier aperçu théologique de la relation de l’Eglise catholique avec les juifs.
C’était une telle nouveauté qu’il n’est pas rare que le texte du Concile soit sur-interprété, et on lui fait dire ce qu’il ne contient pas en réalité. Pour donner un exemple important, le fait que l’Alliance, que Dieu a conclue avec son peuple Israël, persiste et n’est jamais invalidée – bien que cette confession soit vraie – ne se trouve pas dans « Nostra Aetate ». Cette déclaration a été faite pour la première fois très clairement par le pape Jean-Paul II quand il a dit, lors d’une réunion avec des représentants juifs à Mayence, le 17 novembre 1980, que l’ancienne Alliance n’avait jamais été révoquée par Dieu : « La première dimension de ce dialogue, à savoir la rencontre entre le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, qui n’a jamais été révoquée par Dieu, et celui de la Nouvelle Alliance est en même temps un dialogue à l’intérieur de notre Eglise, en quelque sorte entre le premier et le second livre de sa Bible »[1].
Cette déclaration aussi a donné lieu à des malentendus, impliquant, par exemple, que si les juifs restent dans une relation d’Alliance valide avec Dieu, il doit y avoir deux modes différents de salut, à savoir le chemin du salut juif sans le Christ et le chemin du salut pour tous les autres, à travers Jésus-Christ. Cette réponse semble évidente à première vue ; mais elle n’est pas en mesure de résoudre de manière satisfaisante la question théologique très complexe qui est la suivante : comment la foi chrétienne en la signification salvifique universelle de Jésus-Christ peut-elle être conjuguée de manière conceptuelle en cohérence avec la conviction tout aussi claire de la foi dans l’Alliance jamais-révoquée de Dieu avec Israël [2] ? Le fait que l’Eglise et le judaïsme ne peuvent pas être présentés comme «deux voies de salut parallèles », mais que l’Église doit « témoigner du Christ rédempteur auprès de tous » a été déjà établi en 1985 dans le second document publié par la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec les juifs. La foi chrétienne se maintient ou disparaît selon que l’on confesse ou non que Dieu veut amener tous les hommes au salut, qu’il suit cette voie en Jésus-Christ comme médiateur universel du salut, et qu’il n’y a pas « sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12). Le concept de deux voies parallèles de salut mettrait en cause, ou même en danger, la compréhension fondamentale du Concile Vatican II selon laquelle les juifs et les chrétiens n’appartiennent pas à deux peuples de Dieu différents, mais forment un seul peuple de Dieu.
D’une part, dans la confession de foi chrétienne, il ne peut y avoir qu’un seul chemin de salut. D’autre part, cependant, il ne s’ensuit pas nécessairement que les juifs sont exclus du salut de Dieu parce qu’ils ne croient pas en Jésus-Christ comme le Messie d’Israël et le Fils de Dieu. Une telle affirmation ne trouverait pas de justification dans la compréhension sotériologique de saint Paul qui, dans la Lettre aux Romains, apporte définitivement une réponse négative à la question, qu’il avait lui-même posée, de savoir si Dieu avait répudié son propre peuple : « Car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11, 29). Le fait que les juifs ont part au salut de Dieu est théologiquement incontestable, mais comment cela est-il possible sans confesser le Christ explicitement ? C’est et cela demeure un mystère insondable de Dieu. Ce n’est donc pas par hasard si les réflexions sotériologiques de Paul (cf. Romains 9-11), sur le rachat irrévocable d’Israël dans le contexte du mystère du Christ, culminent dans une doxologie mystérieuse : « O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies impénétrables ! » (Rm 11, 33). Ce n’est pas non plus un hasard si, dans la deuxième partie de son livre sur « Jésus de Nazareth », le pape Benoît XVI fait dire à Bernard de Clairvaux, en référence au problème auquel nous sommes confrontés, que pour les juifs « un point déterminé dans le temps a été fixé, qui ne peut pas être anticipé » [3].
Cette complexité est également attestée par la reformulation de la prière du Vendredi saint pour les juifs dans la forme extraordinaire du rite romain, publiée en février 2008. Bien que la nouvelle prière du Vendredi saint confesse, sous la forme d’une supplication à Dieu, l’universalité du salut en Jésus-Christ dans un horizon eschatologique (« la plénitude des nations étant entrée dans ton Eglise») [4], elle a été vigoureusement critiquée par des juifs – et bien sûr aussi par des chrétiens – et interprétée à tort comme un appel à la mission explicite en direction des juifs [5]. Il est facile de comprendre que l’expression « mission en direction des juifs » est une question très délicate et sensible pour les juifs, car, pour eux, il s’agit de l’existence même d’Israël. D’un autre côté cependant, cette question se révèle aussi être difficile pour nous, chrétiens, parce que, pour nous, la signification salvifique universelle de Jésus-Christ, et par conséquent la mission universelle de l’église, sont d’une importance fondamentale. L’Eglise chrétienne est naturellement obligée de percevoir sa tâche d’évangélisation des juifs, qui croient dans le Dieu unique, différemment de celle des nations. En termes concrets, cela signifie que – contrairement à plusieurs mouvements fondamentalistes et évangéliques – L’Eglise catholique ne mène ni ne soutient aucune mission institutionnelle spécifiquement orientée vers les juifs. Dans son examen détaillé de la question d’une mission envers les juifs, le cardinal Karl Lehmann a discerné à juste titre qu’après une étude plus approfondie, on ne trouve « pour ainsi dire pas de mission institutionnelle envers les juifs dans l’histoire de la mission catholique ». « Nous avons notre part de responsabilité dans d’autres formes d’attitudes inappropriées envers les juifs et, par conséquent nous n’avons pas le droit de nous élever au-dessus des autres. Mais en ce qui concerne une ‘mission’ spécifique et exclusive ‘en direction des juifs’, il ne doit y avoir ni fausse consternation ni auto-accusation injustifiée à cet égard [6]. Le rejet de principe d’une mission institutionnelle en direction des juifs n’exclut pas, par ailleurs que les chrétiens témoignent auprès de ceux-ci de leur foi en Jésus-Christ, mais ils devraient le faire modestement et humblement, compte tenu en particulier de la grande tragédie de la Shoah.

7. Perspectives
Dans le cadre de cette conférence, il n’est bien évidemment pas possible de plonger plus profondément dans ces questions théologiques ouvertes. Un effort plus grand encore dans la réflexion théologique est nécessaire ; c’est ce qu’affirme également le projet publié en 2011, « Jésus-Christ et le peuple juif aujourd’hui », une initiative de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec les juifs, lancée de manière informelle par un groupe international de théologiens chrétiens, à laquelle des experts et des amis juifs ont été invités individuellement à participer en tant qu’observateurs critiques [7]. Peu importent les résultats de  cette tentative d’examiner de nouveau la question spécifique de savoir comment concilier la confession chrétienne de la signification sotériologique universelle de Jésus-Christ avec la conviction de foi également chrétienne que Dieu maintient fermement son alliance avec Israël avec une fidélité historico-sotériologique ; le cardinal Walter Kasper indique avec réalisme dans sa préface que même cette discussion n’est pas du tout encore  parvenue à une conclusion : « Nous ne sommes qu’au seuil d’un nouveau commencement. Beaucoup de questions exégétiques, historiques et systématiques sont encore ouvertes et il y aura sans doute toujours de telles questions ».

Le dialogue judéo-catholique ne sera donc jamais inactif, en particulier au niveau universitaire, d’autant plus que cette nouvelle voie historique concernant la relation entre juifs et chrétiens, tracée par le Concile Vatican II, est naturellement sans cesse mise à l’épreuve. D’une part, le fléau de l’antisémitisme semble être indéracinable dans le monde d’aujourd’hui et, même dans la théologie chrétienne, marcionisme et antijudaïsme séculaires reviennent sans cesse avec force, et cela non seulement du côté des traditionalistes, mais aussi parmi les tendances libérales de la théologie actuelle. Compte tenu de ces évolutions, l’Église catholique est contrainte de dénoncer l’antijudaïsme et le marcionisme comme une trahison de sa propre foi chrétienne, et de rappeler que la fraternité spirituelle entre les juifs et les chrétiens a son solide et éternel fondement dans l’Ecriture Sainte. D’autre part, il faut continuer d’accorder l’attention requise par le Concile Vatican II pour favoriser la compréhension mutuelle et le respect entre juifs et chrétiens. C’est la condition sine qua non pour garantir que l’éloignement dangereux entre chrétiens et juifs ne se reproduira pas mais pour qu’ils demeurent, au contraire, conscients de leur parenté spirituelle. Nous serons donc reconnaissants pour toutes les contributions apportées ici en vue d’élargir le dialogue avec le judaïsme sur le fondement de « Nostra Aetate » et d’arriver à une meilleure compréhension entre les juifs et les chrétiens afin que juifs et chrétiens, comme l’unique peuple de Dieu, témoignent de la paix et de la réconciliation dans le monde non réconcilié d’aujourd’hui et qu’ils puissent être ainsi une bénédiction non seulement les uns pour les autres, mais aussi ensemble pour l’humanité.

Traduction de ZENIT [Hélène Ginabat]

NOTES:
[1] Jean-Paul II, « La richesse de l’héritage commun nous ouvre au dialogue et à la collaboration. Rencontre avec les représentants de la communauté juive à Mayence, le 17 novembre 1980 », in : Enseignements de Jean-Paul II, III, 2 1980 (Cité du Vatican 1980) 1272-1276, cit. 1274.
[2] Cf. L’étude différenciée de T. Söding :  « Erwählung – Verstockung – Errettung. Zur Dialektik der paulinischen Israeltheologie in Röm 9-11 », in : Communio. Internationale katholische Zeitschrift 39 (2010) 382-417.
[3] J. Ratzinger-Benoît XVI, « Jésus de Nazareth, la Semaine Sainte : De l’entrée à Jérusalem à la résurrection » (éd. Du Rocher, 2011).
[4] Le pape Benoît XVI a expliqué qu’il avait modifié la prière du Vendredi saint de manière à « exprimer notre foi que le Christ est le Sauveur pour tous, qu’il n’y a pas deux voies de salut, de sorte que le Christ est aussi le rédempteur des Juifs, et pas seulement des Gentils. Mais la nouvelle formulation oriente la prière d’une demande directe pour la conversion des juifs, dans un sens missionnaire, à une requête pour que le Seigneur hâte l’heure de l’histoire où nous pourrons être tous unis ». Benoît XVI, « Lumière du monde. Le pape, l’Eglise et les signes des temps. Conversation avec Peter Seewald »,  (éd. Bayard, 2011).
[5] Vgl. W. Homolka / E. Zenger (Hrsg.), … « Damit sie Jesus Christus erkennen. Die neue Karfreitagsfürbitte für di Juden » (Freiburg i. Br. 2008).
[6] K. Cardinal Lehmann, „Judenmission“. Hermeneutische und theologische Überlegungen zu einer Problemanzeige im jüdisch–christlichen Gespräch, in: H. Frankemölle / J. Wohlmuth (Eds.), Das Heil der Anderen. Problemfeld „Judenmission“ (Freiburg i. Br. 2010) 142–167, cit. 165.
[7] P.A. Cunningham, J. Sievers, M. C. Boys, H. H. Hendrix & J. Svartvik ed., “Christ Jesus and the Jewish People Today. New Explorations of Theological Interrelationships” (Cambridge 2011)

« OUI À NOS RACINES JUIVES, NON À L’ANTISÉMITISME », PAR LE CARD. KOCH (I)

22 mai, 2012

 http://www.zenit.org/article-30873?l=french

« OUI À NOS RACINES JUIVES, NON À L’ANTISÉMITISME », PAR LE CARD. KOCH (I)

« Berrie Lecture » à l’Angelicum, sur « Nostra Aetate »

Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, lundi 21 mai 2012 (ZENIT.org) – « OUI à nos racines juives, NON à l’antisémitisme » : c’est par cette formule lapidaire que le cardinal Kurt Koch présente la déclaration conciliaire « Nostra Aetate », « document de base d’un dialogue systématique avec les juifs » qui n’a cessé d’évoluer depuis cinquante ans.
« Construire sur Nostra Aetate : 50 ans de dialogue judéo-chrétien » – « Building on Nostra Aetate: 50 Years of Christian-Jewish Dialogue » – c’était en effet le thème de la cinquième édition de la « Berrie Lecture », une initiative  promue aussi par la Fondation Russell Berrie de New York, pour favoriser la compréhension mutuelle entre la foi juive et la foi chrétienne (cf. Zenit des 15 et 17 mai 2012).
Elle a eu lieu le 16 mai, à Rome, à l’Université pontificale Saint-Tomas d’Aquin – l’Angelicum -, en coopération avec  le Centre Jean-Paul II pour le dialogue interreligieux, dirigé par le rabbin Jack Bemporad.
Président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, le cardinal Kurt Koch est en tant que tel président de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme.
Texte de la conférence du card. Kurt Koch (1ère partie)
C’est pour moi un honneur d’être ici aujourd’hui pour donner la Conférence Jean-Paul II sur la compréhension interreligieuse, la cinquième d’une série de conférences annuelles prestigieuses, organisées par le Centre Jean-Paul II pour le dialogue interreligieux à l’Université Angelicum. D’une manière particulière, cette université s’est engagée à favoriser le dialogue œcuménique et interreligieux au niveau académique. Le Centre Jean-Paul II est un partenariat entre l’Angelicum et la Fondation Russell Berrie, et je suis très heureux de saluer la présence d’Angelica Berrie, présidente de la Fondation, dont le nom semble refléter les aspirations communes qui ont motivé la création du Centre. Je tiens également à mentionner dans ce contexte, le Programme de bourses Russell Berrie, qui vise à développer des échanges d’idées et des liens d’amitié et de compréhension mutuelle qui, nous l’espérons, trouveront un écho bien au-delà du milieu universitaire. Le thème de cette présentation sera l’évolution historique du dialogue judéo-catholique, rendue possible par le document conciliaire « Nostra Aetate ».
I – « Nostra Aetate »: OUI à nos racines juives, NON à l’antisémitisme
Du côté catholique, la déclaration du deuxième Concile du Vatican sur la relation de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, «Nostra Aetate», peut être considérée comme le début d’un dialogue systématique avec les Juifs. Encore aujourd’hui, elle est considérée comme le « document de base » et la « Magna Charta » du dialogue de l’Eglise catholique romaine avec le judaïsme ; mon tour d’horizon de la conversation judéo-catholique doit donc commencer par là.
Celle-ci ne s’est pas développée dans le vide, puisque du côté chrétien, il y avait déjà eu des approches du judaïsme, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Eglise catholique, avant le Concile. Mais, surtout après le crime sans précédent de la Shoah, un effort a été fait, dans la période de l’après-guerre, en direction d’une redéfinition théologiquement fondée de la relation avec le judaïsme. Après l’assassinat en masse des Juifs d’Europe, planifié et exécuté par les nationaux-socialistes avec une perfection industrielle, un examen de conscience approfondi a été entrepris sur la façon dont un scénario aussi barbare était possible dans l’Occident chrétien. Faut-il supposer que les tendances anti-juives, présentes au sein de la chrétienté pendant des siècles, ont été complices de l’antisémitisme des nazis, raciste et égaré par une idéologie athée et néo-païenne, ou qu’elles ont été, tout simplement, ce qui lui a permis de suivre son cours ? Parmi les chrétiens aussi, il y a eu des auteurs et des victimes, mais la grande masse était certainement composée de spectateurs passifs qui ont gardé les yeux fermés face à cette réalité brutale. La Shoah est donc devenue une question et une accusation contre le christianisme : pourquoi la résistance chrétienne contre la brutalité sans limite des crimes nazis n’a-t-elle pas démontré la mesure et la clarté auxquelles on pouvait s’attendre à juste titre ? Les chrétiens et les juifs d’aujourd’hui ont-ils la volonté et la force d’une conciliation et d’une réconciliation sur la base commune de la foi dans le seul et unique Dieu d’Israël ? Quelle est l’importance du judaïsme, à l’avenir, pour les églises et communautés ecclésiales, et quelle relation théologique entretenons-nous aujourd’hui avec le judaïsme?
Peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale, le côté chrétien a abordé le phénomène de l’antisémitisme lors de la Conférence internationale d’urgence sur l’antisémitisme, qui eut lieu à Seelisberg du 30 Juillet au 5 Août 1947. Environ 65 personnes, juifs et chrétiens de diverses confessions, se sont réunies pour une large réflexion sur la façon dont l’antisémitisme pouvait être éradiqué à ses racines. La réunion de Seelisberg visait à jeter de nouvelles fondations pour le dialogue entre juifs et chrétiens et à donner une impulsion vers une compréhension mutuelle. Les perspectives, qui furent connues comme les «Dix points de Seelisberg», sont au fil du temps devenues pionnières et, d’une manière ou d’une autre, ont trouvé leur chemin dans la déclaration du Concile « Nostra Aetate », même si, dans ce texte, un cadre résolument théologique a été donné à la relation avec le judaïsme. Cette déclaration commence, en fait, par une réflexion sur le mystère de l’Église et un rappel du lien profond qui unit spirituellement le peuple de la Nouvelle Alliance avec la tribu d’Abraham. Les deux documents, «Nostra Aetate» et les «Dix points de Seelisberg» soulignent que le dédain, le dénigrement et le mépris du judaïsme doivent être évités à tout prix : les racines juives du christianisme sont donc explicitement mises en avant. Dans le même temps, les deux déclarations convergent – naturellement, chacune d’une manière différente – en rejetant l’accusation qui a malheureusement survécu pendant des siècles dans divers endroits, que les Juifs étaient « déicides ».
Dans la sphère chrétienne, réfléchir à la Shoah a certainement été l’une des motivations principales qui ont mené à la rédaction de «Nostra Aetate». Mais d’autres raisons peuvent sans doute également être identifiées : dans la théologie catholique, suite à la publication de l’encyclique « Divino afflante spiritu » en 1943, par le pape Pie XII, les études bibliques ont été ouvertes – bien qu’avec des mesures prudentes de débutants – à l’interprétation historico-critique de la Bible ; cela impliquait de commencer à lire les textes bibliques dans leur contexte historique et selon les traditions religieuses prévalant à leur époque. Ce processus a finalement trouvé son expression doctrinale dans le décret conciliaire sur la Révélation divine «Dei Verbum», ou plus précisément dans l’instruction adressée à l’exégète d’étudier soigneusement ce que les auteurs des textes bibliques voulaient vraiment dire : « Pour découvrir l’intention des hagiographes, on doit, entre autres choses, considérer aussi les “genres littéraires”. Car c’est de façon bien différente que la vérité se propose et s’exprime en des textes diversement historiques, ou prophétiques, ou poétiques, ou même en d’autres genres d’expression »[1]. L’observation précise de traditions religieuses historiques reflétées dans les textes de l’Écriture Sainte a eu comme conséquence que la figure de Jésus de Nazareth a été située de plus en plus clairement au sein du judaïsme de son temps. De cette façon, le Nouveau Testament a été replacé entièrement dans le cadre des traditions juives, et Jésus a été perçu comme un Juif de son temps qui se sentait une obligation vis-à-vis de ces traditions. Ce point de vue a également trouvé sa place dans la déclaration du Concile  » Nostra Aetate « , quand il affirme, en référence à la Lettre aux Romains (9, 5), que Jésus est issu, selon la chair, du peuple d’Israël, et l’Eglise « rappelle aussi que les Apôtres, fondements et colonnes de l’Église, sont nés du peuple juif, ainsi qu’un grand nombre des premiers disciples qui annoncèrent au monde l’Évangile du Christ »[2]. Depuis » Nostra Aetate « , cela fait donc partie du « cantus firmus » du dialogue judéo-chrétien de rappeler avec insistance les racines juives de la foi chrétienne. Au cours de sa visite à la synagogue de Rome, le 13 avril 1986, le pape Jean-Paul II a exprimé en ces mots nets et impressionnants: « La religion juive ne nous est pas “extrinsèque” mais, d’une certaine manière, elle est “intrinsèque” à notre religion. Nous avons donc envers elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés ».[3]
Cependant, ce ne sont pas seulement des approfondissements théologiques qui ont conduit, du côté chrétien, à rechercher un rapprochement théorique et pratique avec le judaïsme. En fait, des raisons politiques et pragmatiques ont également joué un rôle non négligeable dans ce domaine. Depuis la fondation de l’Etat d’Israël en 1948, l’Eglise catholique se voit confrontée, en Terre Sainte, à la réalité qu’elle doit développer sa vie pastorale au sein d’un État qui se comprend définitivement comme juif. Israël est la seule terre au monde avec une population à majorité juive et, pour cette seule raison, les chrétiens qui vivent là-bas doivent nécessairement engager un dialogue avec eux. À cet égard, le Saint-Siège a toujours poursuivi deux objectifs : permettre, d’une part, à l’activité pastorale des congrégations catholiques en Terre Sainte de se déployer sans entrave, et d’autre part, faciliter le libre accès aux lieux saints des chrétiens pour les pèlerins chrétiens. Cela nécessite, en première instance, un dialogue politique avec l’exécutif au pouvoir de l’Etat d’Israël, qui, du point de vue juif, doit naturellement toujours être intégré dans un dialogue avec les autorités religieuses du judaïsme. Les chrétiens semblent plutôt enclins à différencier et à délimiter les affaires politiques des affaires religieuses, tandis que le judaïsme s’efforce de faire converger et d’associer les deux dimensions.
Quels que soient les motifs et les facteurs qui peuvent avoir conduit individuellement à la rédaction de «Nostra Aetate», la déclaration reste la boussole essentielle de tous les efforts vers le dialogue judéo-catholique et, après 47 ans, nous pouvons affirmer avec gratitude que cette redéfinition théologique de la relation avec le judaïsme a directement porté de beaux fruits à travers l’accueil qui lui a été réservée. Il semble qu’en ce qui concerne le contenu, les Pères conciliaires, à ce moment-là, ont pris en considération presque tout ce qui, depuis, s’est avéré important dans l’histoire de ce dialogue. Du côté juif, on a souligné de façon particulièrement positive le fait que la Déclaration conciliaire a pris une position sans ambiguïté contre toute forme d’antisémitisme. C’est sur cette base, qui n’est pas la moindre, que les Juifs gardent l’espérance et l’assurance qu’ils ont, dans l’Église catholique, un allié fiable dans la lutte contre l’antisémitisme.
En ce qui concerne l’histoire de la réception des documents conciliaires, on peut sans doute oser affirmer que «Nostra Aetate» doit être compté parmi les textes du Concile qui ont permis, de manière convaincante, d’effectuer une réorientation fondamentale de l’Eglise catholique à la suite du Concile. Bien sûr, cela ne devient clair pour nous que lorsqu’on considère qu’il y avait en partie, auparavant, une grande réticence concernant les contacts entre juifs et catholiques, découlant pour une part de l’histoire du christianisme, avec sa discrimination contre les Juifs qui a été jusqu’à prendre la forme de conversions forcées. Au cours des dernières décennies, le principe fondamental du respect pour le judaïsme, exprimé dans « Nostra Aetate », a permis à des groupes qui, au départ, se considéraient mutuellement avec un certain scepticisme, de devenir petit à petit des partenaires fiables, voire même de bons amis, capables de faire face aux crises ensemble et de surmonter les conflits de manière positive.
(à suivre)

Traduction de l’original anglais par ZENIT

[1] Dei Verbum, N° 12.
[2] Nostra Aetate, N° 4.
[3] Jean-Paul II, Allocution dans la synagogue lors de la rencontre avec la communauté juive de la ville de Rome le 13 avril 1986 : « Nous remercions le Seigneur pour la fraternité retrouvée et pour la profonde entente entre l’Eglise et le judaïsme ».

« CONSTRUIRE SUR NOSTRA AETATE : 50 ANS DE DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN »

16 mai, 2012

http://www.zenit.org/article-30780?l=french

« CONSTRUIRE SUR NOSTRA AETATE : 50 ANS DE DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN »

La Berrie Lecture du card. Koch

Océane Le Gall

ROME, mardi 15 mai 2012 (ZENIT.org) – « Construire sur Nostra Aetate : 50 ans de dialogue judéo-chrétien » – « Building on Nostra Aetate: 50 Years of Christian-Jewish Dialogue »- : c’est le titre d’une conférence que donnera le cardinal Koch demain, 16 mai à Rome, à l’Angelicum.
Le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et – de ce fait – de la Commission du Saint-Siège pour les rapports religieux avec le judaïsme, donnera en effet la Berrie Lecture 2012 du Centre Jean Paul II pour le dialogue interreligieux.
La Lecture, qui en est à sa 5ème édition, aura lieu demain, à 16h, à l’Université pontificale Saint-Thomas d’Aquin, le fameux « Angelicum ».
Aussitôt après, le cardinal Koch, ainsi que le rabbin Jack Bemporad, directeur du Centre Jean Paul II pour le dialogue interreligieux, tiendront une conférence de presse.
L’intervention du cardinal sera consacrée à l’histoire, au développement et à l’état des relations entre juifs et catholiques depuis la Déclaration du concile Vatican II sur les rapports de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes Nostra Aetate. Ce document a en effet posé les bases d’un dialogue suivi entre l’Eglise catholique et le judaïsme.
« Nous sommes extrêmement heureux d’avoir avec nous une personne avec un tel bagage œcuménique et une telle expérience de dialogue entre les religions que le cardinal Koch », a déclaré le rabbin Bemporad.
Evoquant les efforts constants du cardinal Koch à faire en sorte que juifs et catholiques « ne cessent d’améliorer leurs relations », le rabbin américain a dit « accueillir positivement ses capacités et sa volonté à influer profondément sur les rapports interreligieux ».
La Lecture annuelle est une des initiatives les plus importantes du Centre Jean-Paul II pour le dialogue interreligieux, qui est né d’un partenariat entre la Fondation américaine Russell Berrie et l’Université pontificale Saint-Thomas d’Aquin.
Cette année, la Fondation et l’Université pontificale ont convenu de sponsoriser une prestigieuse Lecture consacrée à la compréhension mutuelle entre les religions, en l’honneur du travail effectué dans ce domaine par le pape Jean-Paul II, estimant que le dialogue interreligieux constitue la clef pour comprendre et affronter les défis religieux et éthiques de notre temps.
Le Centre se donne en effet pour objectif « de construire des ponts entre les catholiques, les juifs et les autres confessions, fournissant à la prochaine génération de leaders religieux les outils pour une vaste compréhension et pour une plus large attention aux thèmes interreligieux ».

LE « GRAND MIRACLE » DU DIALOGUE ENTRE JUIFS ET CHRÉTIENS (jeudi 19 janvier 2012)

15 mai, 2012

http://www.zenit.org/article-29931?l=french

LE « GRAND MIRACLE » DU DIALOGUE ENTRE JUIFS ET CHRÉTIENS

Et sa responsabilité particulière pour la paix

ROME, jeudi 19 janvier 2012 (ZENIT.org) – Le dialogue entre juifs et catholiques est « un grand miracle » : il engage la responsabilité particulière des deux partis, « depuis toujours dépendants l’un de l’autre », pour promouvoir la paix en ce monde, estime le P. Hofman.
A l’occasion de la « Journée du judaïsme », célébrée par l’Eglsie catholique en Italie le 17 janvier, le P. Norbert Hofmann, secrétaire de la Commission pontificale pour le dialogue religieux avec le judaïsme, publie un bilan plein d’espérance dans L’Osservatore Romano des 16-17 janvier 2012.
Pour le P. Hofmann, cette journée est l’occasion de se remémorer « les racines juives de la foi chrétienne », et de « considérer avec reconnaissance le dialogue en cours avec le judaïsme depuis le concile Vatican II » afin de « le promouvoir par des actions concrètes ».

Un grand miracle
Le dialogue entre juifs et catholiques a fêté ses 40 ans en 2011. Pour cet anniversaire, la 21e réunion du Comité international de liaison catholique-juif a donc été une session commémorative, à Paris, du 27 février au 2 mars 2011 (cf Zenit du 3 mars 2011).
Durant cette session, rappelle le P. Hofmann, le cardinal Kurt Koch, président de la Commission du Vatican, avait qualifié le dialogue entre juifs et chrétiens de « grand miracle »: « les relations ont changé de façon irréversible non seulement pour notre avantage réciproque mais également— ceci est important — pour le bien de tous ceux qui sont engagés dans la promotion du dialogue interreligieux. »
« J’ai l’impression qu’en quarante ans, avait ajouté le cardinal, beaucoup de vieux préjugés et d’inimitiés ont été dépassés, la réconciliation et la collaboration ont grandies et l’amitié personnelle s’est approfondie.»
C’est pourquoi, souligne le P. Hofmann, au cours de cette réunion, « la première expression de reconnaissance avait été adressée à Dieu, tout-puissant et éternel, qui lève sa main protectrice et pleine de bénédictions sur ce dialogue et l’accompagne avec son Esprit, le conduisant vers un futur riche d’espérance. »

Un engagement pour la paix particulier
Du point de vue théologique, poursuit le P. Hofmann, juifs et chrétiens doivent puiser dans leur « riche patrimoine commun », pour « promouvoir des valeurs communes dans la société, s’engager en faveur des droits de l’homme et collaborer dans le domaine social et humanitaire ».
Si le dialogue avec les autres religions a pour but de « maintenir et répandre la paix, promouvoir la justice et préserver la création dans un engagement commun », en revanche le dialogue entre judaïsme et christianisme est particulier : car tous deux ne recherchent « pas seulement la paix en ce monde » mais vivent aussi « dans l’espérance de la paix messianique ».
De ce point de vue, la paix est donc d’une part « promesse de la fin des temps ». Mais, ajoute le P. Hofmann, la paix est aussi un enjeu ici et maintenant : « Le judaïsme et le christianisme sont appelés de façon particulière à promouvoir la paix déjà en ce monde. Et ceci, ils doivent le faire ensemble, car ils sont depuis toujours dépendants l’un de l’autre. »
Le P. Hofmann cite à ce sujet le cardinal Joseph Ratzinger dans L’Osservatore Romano du 29 décembre 2000 : «Il est évident que notre dialogue de chrétiens avec les juifs se place sur un plan différent de celui des autres religions. La foi attestée dans la Bible des juifs, l’Ancien Testament des chrétiens, n’est pas une autre religion, pour nous, mais le fondement de notre foi».
Ce rapport particulier entre judaïsme et christianisme implique une « responsabilité particulière », insiste le P. Hofmann, qui est « l’engagement commun en faveur de la paix dans le monde, sans perdre de vue la promesse d’une paix qui nous sera donnée à la fin des temps. »
« Si juifs et chrétiens se font ensemble promoteurs de paix, conclut-il, alors ils deviendront une bénédiction pour le monde entier. »

Instituer des « Journées du judaïsme »
Le P. Hofmann revient par ailleurs sur le point de départ du dialogue entre juifs et chrétiens : la Déclaration conciliaire Nostra Aetate (promulguée le 28 octobre 1965), « document fondateur » de ce dialogue, qui « fournit encore une orientation indispensable pour chaque effort vers le rapprochement et la réconciliation entre juifs et chrétiens ».
A la suite de Nostra Aetate, en 1966, le pape Paul VI institua un bureau chargé de faire avancer le dialogue avec le judaïsme, au sein du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens. Du côté juif, de nombreuses entités entrèrent en contact avec l’Eglise. Puis, à la suggestion du Saint-Siège, pour faciliter le dialogue, ces entités s’organisèrent en un unique organisme en 1970 : le Comité juif international pour les consultations interreligieuses (Ijcic). 
A son tour, le Saint-Siège créa la Commission pour le dialogue religieux avec le judaïsme, le 22 octobre 1974. La première conférence internationale entre juifs et catholiques s’est tenue en 1971 à Paris.
La «Journée du judaïsme» est à ce jour suivie par les Conférences épiscopales d’Autriche, de Pologne, des Pays-Bas et de la Suisse. Le président de la Commission pour les rapports religieux avec le judaïsme, le cardinal Kurt Koch a demandé à certains pays, dans lesquels juifs et catholiques vivent côte à côte, de prendre en considération l’introduction d’une telle journée commémorative.

Anne Kurian