La liberté religieuse selon l’Ancien Testament
28 mai, 2012http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=748
Maurice Gilbert
La liberté religieuse selon l’Ancien Testament
L’Ancien Testament apporte-t-il quelque témoignage de la liberté religieuse ? Dans son décret Dignitatis humanae, le concile Vatican II se réfère, au niveau biblique, au seul exemple du Christ et des apôtres. Peut-on remonter jusqu’à l’Ancien Testament ? La liberté en matière religieuse et de culte est un droit de chaque être humain que les États sont tenus de respecter. L’ancien Israël, même aux époques où il ne formait pas un État, a-t-il connu quelque chose de ce droit et l’a-t-il respecté ?
Il y eut tout d’abord deux périodes durant lesquelles, selon le texte biblique, les Hébreux, puis les Judéens ont joui de la tolérance en matière religieuse de la part de ceux chez qui ils demeuraient.
En Égypte et en Babylonie
D’après le récit de l’esclavage en Égypte (Ex 1 et 5), à l’époque de Moïse, les Hébreux étaient opprimés par des corvées, mais leur foi en Yahvé et leurs pratiques religieuses n’étaient pas contestées, comme telles, par le Pharaon et ses gens. Le récit de la Pâque ne signale pas une pratique interdite par le pouvoir (Ex 12). En fait, Yahvé avait ordonné à Moïse d’aller demander au Pharaon d’accorder au peuple hébreu la permission d’aller à trois jours de marche dans le désert pour y sacrifier à leur Dieu (Ex 3,18). Tel un refrain, cette requête revient continuellement dans le récit des plaies. Le Pharaon refusa parce que, traités de paresseux (Ex 5,4-5.17), les Hébreux ne travailleraient plus à la corvée. Le motif n’est donc pas religieux. Ensuite, plus les plaies ruinent l’Égypte, plus le Pharaon tergiverse, accordant la permission, puis se reprenant quand la plaie cesse. Finalement, à l’ultime plaie, il les laissa partir avec leurs troupeaux, comme ils le demandaient (Ex 12,31-32).
Une autre série de textes laisse entendre que, durant leur exil en Babylonie, les fidèles de Yahvé jouirent d’une certaine tolérance en matière religieuse. C’est parmi les exilés qu’Ézéchiel puis le second Isaïe exercèrent leur ministère prophétique, avec succès. La fin de l’exil et le retour à Jérusalem, grâce à Cyrus, manifestent une même tolérance, dont l’édit du nouveau maître de Babylone témoigne (2 Ch 36,23 ; Esd 1,2-4), même si une telle tolérance pouvait être plus une prudente stratégie politique que le fruit d’une conviction religieuse.
Dialogue et liberté
Autre contexte, celui qu’on trouve dans Josué 24 ; ce récit de la grande assemblée de Sichem est un ajout tardif au livre. La Bible de Jérusalem de 1998 en donne une interprétation classique :
La foi en Yahvé, apportée par le groupe que conduit Josué, est proposée par lui à d’autres groupes qui n’en ont pas encore entendu parler. Ils n’ont pas été en Égypte et n’ont pas bénéficié des merveilles de l’Exode et de la révélation du Sinaï ; cependant ce ne sont pas des Cananéens et ils ont une origine commune avec le groupe de Josué : il s’agit des tribus du Nord qui, par ce pacte, acceptent la foi en Yahvé et deviennent ainsi partie du peuple de Dieu (note a, p. 342).
Toutefois, Josué 24 pourrait refléter une situation plus récente, peut-être même du ve siècle, où les rapatriés de l’exil babylonien affrontent ceux qui, restés au pays, n’ont pas connu cet exil.
Après avoir résumé toute l’histoire ancienne depuis le père d’Abraham, Térah, et son frère Nahor (Gn 11,27) jusqu’à la conquête de la Terre promise – signe d’une rédaction tardive -, Josué propose aux tribus rassemblées soit de servir Yahvé, soit de se choisir les dieux qu’ils veulent servir : ou les dieux que servaient Térah et Nahor, ou ceux des Amorites dont ils habitent à présent le territoire. S’engage alors un dialogue entre les tribus et Josué, qui déclare immédiatement que lui et les siens serviront Yahvé. Pour faire comprendre aux autres tribus le sérieux de l’engagement à prendre, Josué leur fait remarquer que, s’ils s’engagent envers Yahvé, comme ils le disent, celui-ci ne tolérera pas leurs infidélités. La réponse des tribus est claire : « Non, c’est Yahvé que nous servirons. » Sur quoi, Josué les prend au mot : « Vous êtes témoins contre vous-mêmes de votre choix », ce que le peuple reconnaît. Par conséquent, conclut Josué : « Écartez les dieux étrangers qui sont au milieu de vous et inclinez votre cœur vers Yahvé » ; ce à quoi de nouveau le peuple acquiesça.
Ce dialogue est important, car il montre que le choix de la foi en Yahvé ne peut être fait à la légère. Josué, tel un bon catéchète, montre en même temps le sérieux et les conséquences du choix. Ceux qui acceptent la foi en Yahvé n’y sont nullement obligés. Par ce dialogue, Josué met en œuvre leur liberté de conscience.
En outre, Josué 24 veut probablement montrer que si, dès le livre des Juges, Israël est infidèle à son engagement, encourant alors la colère de Yahvé, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même.
Ruth est un autre cas où la liberté religieuse est clairement laissée à l’héroïne du récit.
Noémi et ses deux belles-filles sont toutes les trois veuves. Noémi pratique la religion d’Israël ; originaire du clan éphratéen (Rt 1,2), elle se décide à retourner à Bethléem. Ces belles-filles sont moabites et Noémi les invite à retourner chez les leurs. Après deux insistances de Noémi, l’une d’elles, Orpa, accepte de retourner chez son peuple. Quant à Ruth, Noémi lui dit pour la troisième fois : « Vois, ta belle-sœur s’en est retournée vers son peuple et vers son dieu ; retourne toi aussi, et suis-la » (Rt 1,15).