Pour une théologie du dialogue interreligieux
10 juin, 2007
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07.06.2007 @ 16:33
Pour une théologie du dialogue interreligieux
SBF Dialogue
Le Journal “La croix” publie sous la plume d’Elodie Maurot le résumé d’une conférence du Père Claude Geffré donnée à l’Institut catholique de Paris sur le Dialogue interreligieux. Avec la permission de Bayard Presse nous reproduisons cet article qui aborde un problème théologique important.
“Hasard du calendrier, la conférence du dominicain sur l’actualité de la théologie chrétienne des religions, programmée depuis un an, se tenait quelques semaines à peine après le refus de la Congrégation pour l’éducation catholique d’autoriser la remise d’un doctorat honoris causa au théologien français.
Claude Geffré n’est pas revenu sur ses difficultés actuelles. Il s’est attaché à offrir un vaste panorama théologique de la situation du dialogue interreligieux depuis Vatican II, repartant de la déclaration Nostra ætate de Vatican II sur l’Église et les religions non chrétiennes. Il a rappelé l’affirmation décisive des pères conciliaires, qui a ouvert 40 années de recherches et de dialogue : « L’Église ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions » (n°2).
Le P. Geffré a toutefois souligné que la déclaration Nostra ætate proposait « une certaine éthique du dialogue avec les autres religions », mais qu’« elle ne fournissait pas un fondement théologique qui justifie clairement le dialogue encouragé par l’Église ».
Les limites d’une « théologie de l’accomplissement »
Telle a donc été la tâche de nombreux théologiens depuis quarante ans. Des théologiens qui ont peu à peu ressenti les limites d’une « théologie de l’accomplissement » dont on trouve encore des traces dans la déclaration conciliaire. Selon la « théologie de l’accomplissement », les religions non chrétiennes jouent le rôle de « préparation évangélique » : « Tout ce qu’il y a de juste et de bon dans les autres religions ne peut être qu’une dégradation ou au mieux une préparation lointaine de ce qui se trouve en plénitude dans le christianisme. »
Claude Geffré a expliqué comment le « courant théologique dominant » à l’intérieur du catholicisme a cherché à « dépasser la théologie de l’accomplissement dans le sens d’une théologie du pluralisme religieux ». Les théologiens se sont efforcés de penser autrement un pluralisme religieux insurmontable à vue humaine, pluralisme qui ne peut être simplement mis sur le compte de l’aveuglement des non-chrétiens, ou sur celui d’un échec de la mission de l’Église.
« Ce qui n’est pas pris au sérieux par la théologie de l’accomplissement, c’est l’altérité des autres traditions religieuses dans leur différence irréductible », a évalué le dominicain. Depuis plusieurs années, la théologie du pluralisme religieux s’interroge donc sur la signification de cette pluralité de traditions religieuses à l’intérieur du dessein de Dieu. « Sans compromettre l’unicité du mystère du Christ », a souligné le P. Geffré, elle s’ouvre à une « reconnaissance des valeurs propres aux autres religions ».
Une position en tension avec Dominus Iesus
Le théologien a lui-même reconnu que cette position pouvait entrer en tension avec la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi Dominus Iesus (2000). La déclaration, signée du cardinal Joseph Ratzinger, émet un jugement sévère à l’égard des théologiens distinguant pluralisme de fait et pluralisme de droit.
Tout en reconnaissant le caractère maladroit de l’expression « pluralisme de droit », le théologien a souligné que ceux qui « acceptent de distinguer entre un pluralisme religieux de fait et un pluralisme de droit ne sacrifient nullement à l’idéologie d’un pluralisme qui désespère de toute vérité objective ».
La déclaration Dominus Iesus doit néanmoins, à ses yeux, être reçue comme un avertissement très sérieux adressé à certains théologiens tentés de remettre en cause l’universalité salvifique du Christ. C’est le cas de certains théologiens anglo-saxons, comme les Américains Paul Knitter et Roger Haight, le Britannique John Hick et de certains théologiens indiens tentés d’adopter une position dite « pluraliste », qui sacrifie le christocentrisme au profit d’un théocentrisme radical. « Ils franchissent alors la ligne rouge, le Rubicon tracé par la déclaration du magistère romain », a reconnu Claude Geffré.
Un chantier “encore ouvert”
Jamais ce dernier n’a cherché à minimiser l’abîme des questions posées par le dialogue théologique avec les autres religions. Mais sa contribution a montré que le christianisme avait des ressources pour les penser.
L’une des possibilités ouvertes par des théologiens tels que Claude Geffré est de disjoindre l’universalité du salut offert par le Christ et l’universalité du christianisme. « La théologie des religions sera de plus en plus invitée à ne pas confondre l’universalité de la religion chrétienne avec l’universalité du mystère du Christ », explique-t-il. Une différence que « seul un approfondissement du paradoxe de l’incarnation » peut aider à penser. « Si le christianisme peut dialoguer avec les autres religions, c’est parce qu’il porte en lui-même ses propres principes de limitation », a souligné le dominicain.
En conclusion, Claude Geffré a élargi vers ce que pourrait être une véritable « théologie interreligieuse », une théologie chrétienne qui se laisserait transformer par ce qu’elle apprend du mystère de Dieu grâce au dialogue avec les autres religions.
Ce chantier « encore ouvert » toucherait au statut de la vérité en théologie et impliquerait « une nouvelle réinterprétation des grandes vérités de la foi en fonction des rayons de vérité dont témoignent les autres traditions religieuses ». Nul doute qu’avec un tel cahier des charges, la théologie des religions ne soit l’un des chapitres les plus vivants – et donc sensibles – de la théologie contemporaine”.