CONVERSION DE SAINT PAUL – HOMÉLIE – 25 JANVIER
23 janvier, 2019Conversion de Saint Paul
HOMÉLIE DU DIMANCHE 25 JANVIER – CONVERSION DE SAINT PAUL
En cette fête de la conversion de saint Paul, c’est Paul lui-même qui nous raconte, ce matin, sa conversion. Il nous dit, dans la première lecture : « Comme j’étais en route et que j’approchais de Damas, vers midi, une grande lumière venant du ciel m’enveloppa soudain. Je tombais sur le sol, et j’entendis une voix qui me disait : ‘‘Saul, Saul, pourquoi me persécuter’’ ?» Ac.22,6.
Il faut se dire que toute véritable conversion commence toujours par une initiative de Dieu. C’est lui qui vient nous chercher dans le concret de notre vie, (dans le concret) de notre quotidien, sur nos chemins vers Damas.
Et souvent, la première chose que Dieu doit faire pour nous aider à nous convertir, à ouvrir nos yeux sur ce qui est essentiel, c’est, finalement, de nous les fermer tout un temps. Voilà pourquoi, il est important pour Dieu, quelque part, de nous ‘‘désarçonner’’, c’est-à-dire de venir nous secouer du haut de nos certitudes, là où nous sommes cramponnés et totalement centrés sur nous-mêmes. Et cela, il va le faire par des événements qui nous déstabilisent, et à la suite desquels nous nous retrouvons parfois les fesses par terre, c’est vrai, c’est le cas de le dire.
Je ne crois pas non plus que ce soit un hasard si Paul, dans le récit de sa conversion, a choisi de mettre en évidence ce qui pourrait ne sembler qu’un détail. Il dira, en effet : « vers midi, une grande lumière venant du ciel m’enveloppa ».
Ce ‘‘midi’’, c’est bien plus qu’un indicateur de temps chronologique. Sur le chemin de la vie, c’est plutôt un indicateur d’ordre existentiel. Il nous renvoie à une étape très précise de vie, caractérisée bien souvent par toute une série de remises en question. C’est cette fameuse crise du milieu de vie, cette crise de la quarantaine.
Il y a, en effet, des moments charnières dans la vie, où nous sommes plus sensibles à cette remise en question.
Il est intéressant de voir qu’on appelle souvent ces moments : ‘‘crises’’, parce qu’ils nous secouent, dans ce qui jusque-là était pour nous des repères, des évidences.
On a parlé de la crise des 40 ans, mais avant celle-ci, qui ne se souvient plus de sa crise d’adolescence? Et même si vous l’avez oubliée, allez demander à vos parents, je crois qu’eux sont loin de l’avoir oubliée. (Ils en ont bavé)
Ce sont les deux crises majeures dont on parle le plus souvent. Mais n’oublions pas une troisième crise, qui peut survenir, plus tard. Elle aussi, comme les deux autres, peut nous déstabiliser très sérieusement ; par exemple lorsque le temps de la retraite arrive, ou que l’on fait l’expérience de la vieillesse, de la séparation du conjoint, de la maladie…
Et bien, qu’elle arrive avant les 15 ans, ou entre les 35-45 ans, ou après les 65 ans, cette étape peut être vécue comme un moment très riche et très beau. Elle ne devient une vraie crise, au sens négatif du terme, avec tout son caractère dramatique et désespérant, que si on n’arrive pas à faire le deuil de l’étape de vie précédente.
C’est pourquoi il faut bien comprendre, que tourner la page ne veut pas dire arracher la page !
Trop souvent, je rencontre des personnes qui traversent l’une ou l’autre de ces crises majeures et qui sont confrontées à une tentation très dangereuse : celle de vouloir tout arrêter et de tout recommencer à zéro. Cela peut commencer tout simplement par un changement de coiffure, un changement de voiture, un changement de fréquentations, pour en arriver à un changement radical de travail, un changement de pays, voir même un changement de partenaire, par le divorce.
Comprenons que si arracher la page précédente est de l’ordre de la rupture, tourner la page est de l’ordre de la continuité, de l’évolution, de la maturité.
Prenez l’exemple de notre fameuse chrysalide. A un moment donné, elle aussi passe par une crise de croissance. Elle doit choisir de rester toute sa vie une chrysalide, en assumant le risque d’étouffer dans une carapace qui ne sait plus la contenir, ou bien passer à autre chose.
Toute la question est de savoir vers où aller. Pour cette chrysalide, vouloir devenir un oiseau serait de l’ordre de la rupture, tandis que devenir un papillon est de l’ordre de la continuité. Quelle est la différence entre les deux choix ? Les deux ouvrent sur un changement, mais seul le deuxième, celui de l’évolution et de la maturité, respecte profondément la chrysalide dans ce qu’elle est au plus intime d’elle-même.
C’est la même chose pour saint Paul. À un moment donné, lui aussi est confronté à une remise en question très sérieuse. C’est le jour où il doit reconnaître qu’il porte en lui plus de questions que de réponses : « Qui es-tu, Seigneur ? » et plus loin : « Que dois-je faire ? ».
C’est seulement à ce moment là que pour Paul s’ouvre la possibilité de la vraie conversion, celle qui ‘‘décoiffe’’ !
Et il ne fera pas sa petite crise d’ado, en claquant la porte et en allant vendre des kebabs dans une friterie de Jérusalem. Non. Il ne rejettera pas toute son éducation pharisienne et sa culture romaine, mais il les intégrera profondément et il s’en servira pour les mettre au service de sa vraie vocation : l’amour pour les païens, pour les lointains.
Ce n’est pas lui, Paul, qui a changé, mais son regard ! À partir de ce moment, son critère ultime ne sera plus la règle, la Loi, mais l’amour. La règle sera toujours là, mais elle retrouvera sa juste place dans sa vie, comme moyen de tenir sur la durée et non pas comme but d’une vie.
Et s’il y a des ruptures inévitables à faire, dans notre vie, des distances à prendre, ce n’est que pour nous permettre de retrouver notre vraie identité, notre vraie place dans la vie. Non pas pour nous coller dessus encore un autre masque, pour nous cacher derrière une autre identité ou pour nous protéger derrière une autre carapace.
Je souhaite pour nous tous dans cette remise en question, mais à plus forte raison pour ceux qui se reconnaissent dans cette étape de croissance qui est la crise, que cette phase de conversion les ouvre sur un temps de discernement. Que cette crise personnelle, tant au niveau du cœur, qu’à celui de l’argent, du travail, de la santé, ou de la conscience ne nous décourage pas. Peut-être que le Seigneur n’est pas si loin et qu’il nous attend pour ouvrir, devant nous, un nouvel horizon.
Mais surtout ne laissons pas ou ne laissons plus notre argent, notre pouvoir, notre plaisir, notre esprit de contradiction, notre sensualité, ou notre colère être le moteur de notre vie et décider pour nous, à notre place.
Que nous sachions tourner la page, oui, mais sans l’arracher.
Et que le Seigneur mette toujours sur notre chemin des ‘‘Ananie’’, c’est-à-dire ces témoins inspirés de son amour et capables de nous écouter en profondeur et de nous encourager à oser faire des choix d’authenticité, qui nous respectent.
Abbé Pietro CASTRONOVO – Vicaire de Saint-Martin