BENOÎT XVI : CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL ITALIEN 2011
7 août, 2015VISITE PASTORALE À ANCÔNE CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE
EN CONCLUSION DU XXVe CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL ITALIEN
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI
Chantiers navals d’Ancône
Dimanche 11 septembre 2011
Très chers frères et sœurs!
Il y a six ans, le premier voyage apostolique en Italie de mon pontificat me conduisit à Bari, pour le XXIVe Congrès eucharistique national. Aujourd’hui, je suis venu conclure solennellement le XXVe, ici à Ancône. Je rends grâce au Seigneur pour ces intenses moments ecclésiaux qui renforcent notre amour pour l’Eucharistie et nous voient unis autour de l’Eucharistie! Bari et Ancône, deux villes tournées vers la mer Adriatique; deux villes riches d’histoire et de vie chrétienne; deux villes ouvertes à l’Orient, à sa culture et à sa spiritualité; deux villes que les thèmes des congrès eucharistiques ont contribué à rapprocher: à Bari, nous avons rappelé que «sans le Dimanche, nous ne pouvons pas vivre»; aujourd’hui nos retrouvailles sont à l’enseigne de l’«Eucharistie pour la vie quotidienne».
Avant de vous soumettre quelques réflexions, je voudrais vous remercier pour votre participation à tous: à travers vous, j’embrasse spirituellement toute l’Eglise qui est en Italie. J’adresse un salut reconnaissant au président de la Conférence épiscopale, le cardinal Angelo Bagnasco, pour les paroles cordiales qu’il m’a adressées également en votre nom à tous; à mon légat à ce congrès, le cardinal Giovanni Battista Re; à l’archevêque d’Ancône-Osimo, Mgr Edoardo Menichelli, aux évêques de la région, des Marches et à tous ceux qui sont venus nombreux de tout le pays. Avec eux, je salue les prêtres, les diacres, les personnes consacrées, et les fidèles laïcs, parmi lesquels je vois un grand nombre de familles et beaucoup de jeunes. Ma gratitude va aussi aux autorités civiles et militaires et à tous ceux qui, à divers titres, ont contribué au succès de cet événement.
«Elle est dure, cette parole! Qui peut l’écouter?» (Jn 6, 60). Face au discours de Jésus sur le pain de la vie, dans la synagogue de Capharnaüm, la réaction des disciples, dont un grand nombre abandonnèrent Jésus, n’est pas très éloignée de nos résistances face au don total qu’il fait de lui-même. Parce qu’accueillir vraiment ce don veut dire se perdre soi-même, se laisser impliquer et transformer, jusqu’à vivre de Lui, comme nous l’a rappelé l’apôtre Paul dans la seconde Lecture: «Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Donc, dans la vie comme dans la mort, nous appartenons au Seigneur» (Rm 14, 8).
«Elle est dure, cette parole!», elle est dure parce que souvent nous confondons la liberté avec l’absence de liens, avec la conviction de pouvoir nous suffire à nous-mêmes, sans Dieu, considéré comme une limite à la liberté. C’est une illusion qui ne tarde pas à se transformer en déception, engendrant inquiétude et peur et portant, paradoxalement, à regretter les chaînes du passé: «Que ne sommes-nous morts de la main du Seigneur au pays d’Egypte…» — disaient les juifs dans le désert (Ex 16, 3), comme nous venons de l’entendre. En réalité, ce n’est que dans l’ouverture à Dieu, dans l’accueil de son don, que nous devenons vraiment libres, libérés de l’esclavage du péché qui défigure le visage de l’homme et capables de servir le vrai bien de nos frères.
«Elle est dure, cette parole!»; elle est dure parce que l’homme tombe souvent dans l’illusion de pouvoir «transformer les pierres en pain». Après avoir marginalisé Dieu, ou l’avoir toléré comme un choix privé qui ne doit pas intervenir dans la vie publique, certaines idéologies ont visé à organiser la société à travers la force du pouvoir et de l’économie. L’histoire nous démontre, de façon dramatique, combien l’objectif d’assurer à tous le développement, le bien-être matériel et la paix en se passant de Dieu et de sa révélation a signifié en fin de compte donner aux hommes des pierres à la place du pain. Le pain, chers frères et sœurs, est «le fruit du travail de l’homme», et dans cette vérité est renfermée toute la responsabilité confiée à nos mains et à notre intelligence; mais le pain est aussi, et avant tout, le «fruit de la terre», qui reçoit d’en haut le soleil et la pluie: c’est un don à demander, qui nous ôte tout orgueil et nous fait invoquer avec la confiance des humbles: «Notre Père (…), donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien» (Mt 6, 11).
L’homme est incapable de se donner la vie de lui-même, il se comprend seulement à partir de Dieu: c’est la relation avec Lui qui donne sa consistance à notre humanité et qui rend bonne et juste notre vie. Dans le Notre Père, nous demandons que soit sanctifié Son nom, que vienne Son règne, que s’accomplisse Sa volonté. C’est avant tout le primat de Dieu que nous devons retrouver dans notre monde et dans notre vie, parce que c’est ce primat qui nous permet de retrouver la vérité de ce que nous sommes, et c’est en connaissant et en suivant la volonté de Dieu que nous trouvons notre vrai bien. Donner du temps et de la place à Dieu, pour qu’Il soit le cœur vital de notre existence.
D’où partir, comme de la source, pour retrouver et réaffirmer le primat de Dieu? De l’Eucharistie: là Dieu se fait si proche qu’Il se fait notre nourriture, là Il se fait force sur le chemin souvent difficile, là Il se fait présence amie qui transforme. Déjà, la Loi donnée par l’intermédiaire de Moïse était considérée comme un «pain du ciel», grâce auquel Israël devint le peuple de Dieu, mais en Jésus, la parole ultime et définitive de Dieu se fait chair, vient à notre rencontre comme Personne. Lui, Parole éternelle, est la vraie manne, il est le pain de la vie (cf. Jn 6, 32-35) et accomplir les œuvres de Dieu, c’est croire en Lui (cf. Jn 6, 28-29). Au cours de la Cène, Jésus résume toute son existence en un geste qui nous inscrit dans la grande bénédiction pascale à Dieu, un geste qu’il vit en tant que Fils comme une action de grâce au Père pour son immense amour. Jésus rompt le pain et le partage, mais avec une profondeur nouvelle, parce qu’Il fait don de Lui-même. Il prend la coupe et Il la partage afin que tous puissent boire, mais avec ce geste, Il donne la «nouvelle alliance dans son sang», Il fait don de Lui-même. Jésus anticipe l’acte d’amour suprême, en obéissance à la volonté du Père: le sacrifice de la Croix. La vie lui sera ôtée sur la Croix, mais dès à présent, Il l’offre de lui-même. Ainsi, la mort du Christ ne se réduit pas à une exécution violente, mais elle est transformée par Lui en un acte d’amour libre, en un acte de don de soi, qui traverse victorieusement la mort elle-même et réaffirme la bonté de la création sortie des mains de Dieu, humiliée par le péché et enfin rachetée. Ce don immense nous est accessible dans le sacrement de l’Eucharistie: Dieu se donne à nous, pour que nous Lui ouvrions notre existence, pour l’impliquer dans le mystère d’amour de la Croix, pour la faire participer au mystère éternel dont nous provenons et pour anticiper la nouvelle condition de la pleine vie en Dieu, dans l’attente de laquelle nous vivons.
Mais que comporte pour notre vie quotidienne cette décision de partir de l’Eucharistie pour réaffirmer le primat de Dieu? La communion eucharistique, chers amis, nous arrache à notre individualisme, nous communique l’esprit du Christ mort et ressuscité, et nous configure à Lui; elle nous unit intimement à nos frères dans ce mystère de communion qu’est l’Eglise, où l’unique Pain fait de la multitude un seul corps (cf. 1 Co 10, 17), en réalisant la prière de la communauté chrétienne des origines rapportée dans le livre de la Didachè: «De même que ce pain rompu, était dispersé sur les collines, et que rassemblé, il est devenu un (seul tout), qu’ainsi soit rassemblée ton Eglise des extrémités de la terre dans ton royaume» (IX, 4). L’Eucharistie soutient et transforme toute la vie quotidienne. Comme je le rappelais dans ma première encyclique, «dans la communion eucharistique, sont contenus le fait d’être aimé et celui d’aimer les autres à son tour», c’est pourquoi «une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée» (Deus caritas est, n. 14).
L’histoire bimillénaire de l’Eglise est constellée de saints et de saintes, dont l’existence est le signe éloquent du fait que c’est précisément à partir de la communion avec le Seigneur, à partir de l’Eucharistie que naît une nouvelle et intense prise de responsabilité à tous les niveaux de la vie communautaire, que naît par conséquent un développement social positif, qui a pour centre la personne, en particulier lorsqu’elle est pauvre, malade ou en difficulté. Se nourrir du Christ, c’est la voie pour ne pas rester étrangers ou indifférents aux sorts de nos frères, mais pour entrer dans la même logique d’amour et de don du sacrifice de la Croix; celui qui sait s’agenouiller devant l’Eucharistie, qui reçoit le corps du Seigneur ne peut manquer d’être attentif, dans la vie de tous les jours, aux situations indignes de l’homme, et sait se pencher le premier vers ceux qui sont dans le besoin, sait rompre son pain avec celui qui a faim, partager son eau avec celui qui a soif, vêtir celui est nu, rendre visite au malade et au prisonnier (cf. Mt 25, 34-36). En toute personne, il saura voir ce même Seigneur qui n’a pas hésité à se donner totalement pour nous et pour notre salut. Une spiritualité eucharistique, alors, est le vrai antidote à l’individualisme et à l’égoïsme qui souvent caractérisent la vie quotidienne. Elle porte à la redécouverte de la gratuité, de la place centrale des relations, à partir de la famille, avec une attention particulière pour soulager les blessures de celles qui sont séparées. Une spiritualité eucharistique est l’âme d’une communauté ecclésiale qui dépasse les divisions et les différends et met en valeur la diversité des charismes et des ministères en les mettant au service de l’unité de l’Eglise, de sa vitalité et de sa mission. Une spiritualité eucharistique est la voie pour rendre sa dignité aux jours de l’homme et donc à son travail, dans la recherche de sa conciliation avec les temps de la fête et de la famille et dans l’engagement à surmonter l’incertitude du travail précaire et le problème du chômage. Une spiritualité eucharistique nous aidera aussi à aborder les diverses formes de fragilité humaine, conscients qu’elles ne portent pas atteinte à la valeur de la personne, mais exigent la proximité, l’accueil et l’aide. C’est du Pain de la vie que tirera sa vigueur une capacité éducative renouvelée, attentive à témoigner des valeurs fondamentales de l’existence, du savoir, du patrimoine spirituel et culturel; sa vitalité nous fera habiter la cité des hommes avec la disponibilité de nous dépenser à l’horizon du bien commun pour la construction d’une société plus équitable et plus fraternelle.
Chers amis, repartons de cette terre des Marches avec la force de l’Eucharistie dans une osmose constante entre le mystère que nous célébrons et le cadre de notre quotidien. Il n’y a rien d’authentiquement humain qui ne trouve dans l’Eucharistie sa forme adéquate pour être vécu en plénitude: que la vie quotidienne devienne ainsi un lieu du culte spirituel, pour vivre en toute circonstance le primat de Dieu, à l’intérieur du rapport avec le Christ et comme offrande au Père (cf. Exhort. ap. post-syn. Sacramentum caritatis, n. 71). Oui, «ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu» (Mt 4, 4): nous vivons dans l’obéissance à cette parole, qui est pain vivant, jusqu’à faire don de nous-mêmes, comme Pierre, avec l’intelligence de l’amour: «Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu» (Jn 6, 68-69).
Comme la Vierge Marie, devenons nous aussi un «sein» disponible à offrir Jésus à l’homme de notre temps, en réveillant le désir profond de ce salut qui vient uniquement de Lui. Bonne route, avec le Christ Pain de vie, à toute l’Eglise qui est en Italie! Amen.