MESSAGE DE MGR GARNIER À LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
6 février, 2012http://www.zenit.org/article-30079?l=french
MESSAGE DE MGR GARNIER À LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
« Nous avons beaucoup à recevoir de votre expérience missionnaire »
ROME, lundi 6 février 2012 (ZENIT.org) – « Nous avons beaucoup à recevoir de votre expérience missionnaire », déclare Mgr François Garnier, archevêque de Cambrai, président de la Commission épiscopale de la Mission Universelle. Il s’est adressé à l’Assemblée constitutive de la Conférence épiscopale régionale de l’Afrique de l’Ouest (CERAO) à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire).
Les 200 évêques africains se sont en effet réunis du 23 au 29 janvier 2012, pour fonder une unique conférence épiscopale pour l’Afrique de l’Ouest. Un texte publéi par la conférence épiscopale française (http://www.eglise.catholique.fr/actualites-et-evenements/actualites/message-de-mgr-garnier-a-la-conference-episcopale-regionale-de-l-afrique-de-l-ouest-13544.html).
Notre mission commune
La mission de toute l’Église, où qu’elle soit, est de faire connaître Jésus le Christ, de le faire aimer et de tout faire pour le suivre. Tout simplement parce qu’en lui, chacun peut découvrir toute la beauté d’un Dieu enfin aimable et toute la beauté d’un homme enfin réussi. Cela est vrai depuis toujours et pour toujours. Cela est à découvrir comme on découvre un trésor, quelque soit sa culture, son histoire, ses fragilités et les groupes auxquels il appartient. La mission est claire, elle est de dévoiler le Christ. En France, vous le savez, nous sommes devant les faits massifs de la déchristianisation et de la sécularisation. Nous avons à vivre cette épreuve comme le temps que le Seigneur nous donne pour revenir tout simplement à sa Parole. De très nombreux diocèses de France proposent au plus grand nombre des baptisés des méthodes très simples pour redécouvrir et goûter la Bonne Nouvelle qu’est le Nouveau Testament. Je trouve que ce retour au cœur du cœur de la foi est l’accent le plus nouveau de la mission chez nous.
Nous avons beaucoup à recevoir de votre expérience missionnaire
Notre grand défi est celui de rendre plus missionnaires toutes les communautés de baptisés avec désormais un très petit nombre de prêtres. Pour cela, nous avons tout intérêt à regarder comment se vit la mission dans les pays où les prêtres sont encore beaucoup moins nombreux que chez nous et au service d’espaces géographiques infiniment plus grands et plus inaccessibles que les nôtres. Nous avons beaucoup à recevoir de vos expériences missionnaires, ici, en Afrique. Je prends deux exemples vécus récemment.
Le premier : j’ai rencontré dans la grande banlieue de Kinshasa, dans des quartiers de misère, des CEVB (Communautés Ecclésiales Vivantes de Base) : on m’en avait parlé et j’étais curieux de voir ce qu’elles vivaient. Dans chacune d’entre elles, quelques hommes et quelques femmes, des baptisés tout simples, la plupart du temps sans prêtre proche, savent prier, lire l’Évangile et en vivre très concrètement : en aidant financièrement de leurs maigres ressources les veuves, les jeunes filles abandonnées, les enfants mis à la porte des écoles parce que plus personne ne paie pour eux « l’écolage », je les ai vus s’occuper des enfants des rues, des filles en particulier qu’il faut loger la nuit pour les protéger ; en ouvrant une boulangerie financée au départ par le Secours Catholique et le CCFD : elle fait vivre une trentaine de femmes ; je les ai vus lutter contre les chauffeurs de taxi qui avaient, sans prévenir, doublé le prix de leurs courses ; je les ai vus aider financièrement une femme qui venait de perdre son mari, elle n’avait que le bois de la porte de sa maison pour commencer la fabrication du cercueil ; j’ai vu de mes yeux vu à quel point des hommes et des femmes tout simples qui prient savent prouver leur foi au Christ par leur charité effective.
Le second : un récent voyage aux frontières du Niger, au Burkina Faso, m’a fait découvrir la vie d’un prêtre africain ami. Sa paroisse fait une bonne soixantaine de kilomètres de long sur trente de large sans route goudronnée. Il n’a qu’une petite moto de rien du tout pour se déplacer. Dans un certain nombre de communautés, une bonne soixantaine, il ne peut passer que quelques fois par an. Or, ces communautés vivent, elles lisent l’Évangile ! Elles prient ! Elles apprennent à vivre selon l’Esprit du Christ sans la présence habituelle du prêtre. Et ces communautés annoncent l’Évangile : elles accompagnent de très nombreux catéchumènes (dans cette paroisse, il y en a plus de 600). Elles enterrent évidemment leurs morts, elles savent préparer au baptême et au mariage. Et lorsque le prêtre passe, j’ai vu la joie de l’accueillir ! Il n’avait plus qu’à vivre la mission qui est la sienne depuis son ordination : celle d’annoncer la Parole de Dieu en vérifiant qu’on ne lui fait pas dire n’importe quoi, celle de guider la communauté, celle de réconcilier ceux et celles qui se sont désunis, celle d’ouvrir le groupe à la mission pour qu’il ne s’enferme pas sur lui-même ; le catéchiste et le responsable de la communauté, le premier nommé par l’évêque et le second reconnu par lui, vont savoir le guider et lui dire où célébrer l’Eucharistie, où célébrer le pardon, où réunir ceux qui ont à se réconcilier, où rencontrer les catéchumènes, où assurer une catéchèse… Je crois vraiment que vous avez beaucoup à nous apprendre pour nous aider à relever le défi qui est le nôtre. Bien sûr, nous ne négligeons pas l’appel aux vocations sacerdotales. Bien sûr, nous nous réjouissons chaque fois qu’un jeune ou un moins jeune accepte de suivre le Christ à la manière des apôtres. Bien sûr aussi, nous savons bien que les conditions de vie ne sont pas les mêmes en Afrique qu’en France, que nous ne venons pas de la même histoire, que les moyens de communication sont infiniment plus faciles, mais notre défi demeure : les baptisés, chez nous de plus en plus comme chez vous dès aujourd’hui, doivent devenir au plus près de tous les responsables habituels de Jésus, de l’Évangile et de l’Église, dans les plus petites communautés, qu’elles soient géographiques ou non ; et les pasteurs aussi peu nombreux soient-ils, doivent consentir à passer de communauté en communauté pour en être, au nom de Jésus et de leur ordination, les entraîneurs et s’il le faut les arbitres.
A l’heure où près de 800 prêtres venus d’Afrique et de Madagascar sont en France
A l’heure actuelle, il y a près de 1500 prêtres et près de 4000 religieuses venus d’ailleurs qui sont insérés de multiples façons dans les différents diocèses de France. Parmi eux, 800 prêtres viennent de l’Afrique francophone et de Madagascar. La formation et l’accueil de ces prêtres et de ces religieuses nous mobilisent. Les sessions du « premier accueil » (dite « welcome »), imaginées et réalisées par les Pères Pierre-Yves Pecqueux et Jean Forgeat, que nombre d’entre vous connaissent, leur sont offertes et sont de mieux en mieux suivies. Pour la plupart des prêtres et des religieuses venus d’Afrique et de Madagascar, il y a un vrai choc culturel durant les premiers mois de leur présence parmi nous. Il n’est pas si facile de s’habituer au langage et au climat. Il n’est pas si facile d’apprendre à gérer le temps à la manière occidentale et d’accepter les contraintes de l’agenda. Il y a l’épreuve de voir très peu de jeunes aux messes dominicales. Nous voulons, nous vous l’assurons, soigner leur premier accueil. Avec eux, nous voulons vivre un échange aussi véritable que fécond entre Églises, une véritable expérience d’Église Universelle.
Si j’avais un seul appel à vous adresser de la part des évêques de France, ce serait celui-ci : qu’avant chaque envoi d’un prêtre, il y ait un véritable échange entre évêques sur les raisons de la mission et sur sa durée. Des prêtres se proposent à nous d’eux-mêmes, apparemment sans vous : nous ne voulons pas et ne pouvons pas donner suite à leur demande, sans que la demande vienne clairement de vous. Par ailleurs, ils nous disent assez souvent vouloir venir en paroisse pour une « année sabbatique ». Il nous semble alors qu’un véritable contrat Fidei Donum de trois ans, moyennant un discernement commun et positif au bout d’un an, est préférable pour tout le monde. Lorsque la mission confiée et sa durée sont claires, l’échange est toujours fécond et pour nous et pour vous.
L’Église de France a publié l’Exhortation Apostolique « Africae Munus » !
En France, nous avons reçu avec attention l’Exhortation Apostolique « Africae Munus » que vous a donnée le Saint-Père à Cotonou le 19 novembre dernier lors de son voyage au Bénin.
Avec l’Église en France, nous avons choisi de l’éditer et nous sommes heureux de l’avoir fait. A l’heure où tant de relations se multiplient entre nous, à l’heure où nous avons tant à recevoir les uns des autres, il nous est bon de recevoir avec vous la mission que le Saint Père vous confie, celle « de servir la réconciliation, la justice et la paix ».
Le Saint-Père nous y rappelle les cicatrices qui vous ont marqués, celles de l’esclavage et de la colonisation. Les blessures dont vous souffrez encore : les luttes ethniques fratricides et les corruptions de toutes sortes. Il fait la liste des pandémies que vous affrontez : le paludisme, le sida et la tuberculose, pour ne citer qu’elles. Le Saint-Père note toutefois que l’Afrique garde cette étonnante joie de vivre que nous vous envions quand nous voyons la tristesse et l’inquiétude répandues si largement dans la France d’aujourd’hui. Quand il appelle toutes vos Églises à donner le signe d’ »une vraie fraternité et d’une réconciliation enfin réussies », quand il vous dit « L’unique médecin de ces blessures, c’est Jésus », quand il vous appelle à « suivre sans concession les pas de Jésus-Christ, à rechercher Dieu, Amour éternel et Vérité absolue », les appels qu’il vous lance, il nous les lance aussi. Cette exhortation qui vous est adressée, elle nous touche, nous aussi.
On nous demande souvent si nous sommes optimistes quant à l’avenir de l’Église en France ?
Vous savez que l’optimisme et le pessimisme ne sont pas des vertus chrétiennes. La seule vertu est l’Espérance, laquelle les premiers chrétiens dessinaient comme une ancre marine. Nous sommes ancrés sur le Christ, nous n’avons rien à craindre de l’avenir de la mission où qu’elle se vive et quelles que soient les épreuves à traverser. J’aime beaucoup le texte de Sœur Odette Prévost, Petite Sœur du Sacré Cœur du Père de Foucauld tuée en Algérie le 25 novembre 1995 : dans sa poche on a trouvé un papier et sur le papier ces quelques mots magnifiques :
« Le moment présent est une frêle passerelle.
Si tu la charges des regrets d’hier
ou de l’inquiétude de demain,
la passerelle cède et tu perds pieds.
Le passé, Dieu le pardonne
L’avenir, Dieu le donne
Vis le jour d’aujourd’hui » !
Mgr François Garnier
Archevêque de Cambrai
Président de la CEMUE ( Commission Episcopale de la Mission Universelle)