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JOSEPH RATZINGER – MON CONCILE VATICAN II

21 janvier, 2014

http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=3035

JOSEPH RATZINGER

MON CONCILE VATICAN II

P. Bernard Xibaut Perpignan, Artège, 2011. – Esprit & Vie n°235 – mai 2011, p. 51-53.

Paru presque en même temps que le second tome du Jésus de Nazareth, ce titre en a surpris plus d’un lorsqu’il l’a découvert… Mais plutôt qu’un nouvel opus fraîchement rédigé, c’est une compilation de textes existants ou de conférences prononcées dans le prolongement du Concile. Il n’en demeure pas moins que ces pages sont importantes, elles apportent un éclairage utile sur les options théologiques de l’actuel pape. La première impression laissée par cet ouvrage est une certaine perplexité : il est en effet difficile de comprendre d’emblée la manière dont il a été composé. La signature « Joseph Ratzinger » semble indiquer qu’il ne s’agit pas d’une œuvre « pontificale », mais d’un témoignage antérieur, mais renvoie-t-elle au jeune théologien, à l’archevêque de Munich ou au cardinal-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi ? Ajoutons – pour compliquer les choses – que le livre s’achève par le fameux discours du 22 décembre 2005 au cours duquel c’est bien le pape qui s’exprime : Benoît XVI oppose, dans l’interprétation du Concile, une « herméneutique de la réforme » à une « herméneutique de la discontinuité ». Au dos de la page de titre, l’éditeur précise qu’il s’agit d’une traduction et d’une adaptation française ayant reçu le copyright en mars 2011, mais aucune mention n’est faite de la version originale : quel est son titre ? Où et quand a-t-elle paru ? S’agit-il d’un livre unique ou de publications éparses ? Plusieurs indices militent en faveur de cette seconde hypothèse : l’avant-propos du chapitre II évoque un mystérieux « premier volume » et celui du chapitre III un « opuscule » en plusieurs parties. Grâce à une préface de Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, les choses s’éclaircissent quelque peu : l’essentiel de l’ouvrage est constitué de Conférences sur les grands enjeux de Vatican II données par le jeune prêtre théologien choisi par le cardinal Frings comme expert, au fil même des sessions conciliaires et de la discussion des schémas. Dès lors, le livre s’apparente au genre littéraire des journaux rédigés par des participants du Concile, à cela près que ces derniers n’étaient pas tous écrits en vue d’être publiés du vivant de leur auteur, tandis que les conférences de Joseph Ratzinger étaient par nature destinées à un public, ce qui excluait tout commentaire d’ordre confidentiel. S’agissant d’un personnage aussi considérable que le pape, il eût probablement été sage de s’en tenir strictement à la publication de ces conférences, datées du temps du Concile, ou d’établir de manière plus visible la distinction entre l’introduction de l’abbé Éric Iborra, qui occupe une cinquantaine de pages, les conférences proprement dites et les deux textes ajoutés en annexe, à savoir une conférence donnée à Bamberg en 1966 et le discours de 2005, auquel il a déjà été fait allusion. Cela étant dit, au-delà de la manière dont elles ont été mises en forme et présentées, l’ouvrage présente bien évidemment un intérêt majeur à travers toutes ses parties : le texte de l’abbé Iborra – qui pose clairement le problème de la réception du Concile -, les différentes conférences, situées à chaque intersession et par conséquent localisées en dehors de Rome, et… les deux textes ajoutés en annexes. Au cœur du Concile Parce que le jeune Ratzinger y explique les tenants, les aboutissants et les enjeux de certaines décisions prises par les évêques lors de chaque session qui précède, ses conférences présentent un incontestable intérêt didactique. Cela vaut d’abord pour la narration de la dynamique conciliaire : la question du choix des commissions lors de l’ouverture de la première session, la manière dont s’est posée la question œcuménique au début de la deuxième session, la mise en place de la doctrine de la collégialité, le combat autour du « schéma XIII ». Tous ces rebondissements de Vatican II, nous les connaissons depuis longtemps dans le moindre détail par d’autres chroniques, mais il n’est pas inintéressant d’enregistrer le témoignage particulier de l’expert Ratzinger. Fait notable à signaler : le conférencier aborde les événements sans offenser les personnes ; on ne trouve guère dans sa bouche de propos outranciers sur tel ou tel évêque. Lorsqu’il parle d’ » intégristes » pour désigner Mgr Lefebvre et ses amis du Coetus internationalis Patrum, on aimerait vérifier la version allemande : Ratzinger emploie probablement le vocable « Fundamentalist ». À moins d’être prophète, il ne pouvait utiliser durant le Concile une expression qui prendra tout son sens lors du schisme ultérieur. Quant au mot allemand traduit par « progressistes », il induit une simple signification d’ » hommes de progrès », sans la nuance d’excès que comporte le vocable français. On voit donc que la traduction de certains mots aurait mérité une note de commentaire pour éviter les contresens : rappelons-nous le tollé suscité par l’emploi, dans la bouche du cardinal Ratzinger, du mot « restauration », qui évoque en France un « retour en arrière », depuis la « Restauration » monarchique de 1815, alors qu’il voulait désigner une « rénovation ». On peut penser que Ratzinger nuance les oppositions entre conservateurs et novateurs en rappelant une autre ligne de fracture, apparue entre théologiens français et théologiens allemands, sur laquelle les commentateurs francophones se montrent généralement assez discrets : en cela, il amorce déjà son herméneutique de la continuité. La réflexion théologique Au-delà de l’apport sur l’histoire du Concile, les conférences de Joseph Ratzinger manifestent un intérêt proprement théologique. En même temps qu’il présente à ses auditeurs la tournure des différents débats, il apporte en effet sa propre contribution. Comment ne pas citer ici le développement autour du problème de la liturgie ? En ce domaine délicat, le lecteur relève plusieurs critiques assez acerbes de la « liturgie fossilisée », accompagnées d’un appel audacieux aux « questions posées par les protestants », susceptibles d’ » aiguillonner la réflexion sur l’héritage de l’Église ancienne ». Ajoutons, pour être complet, que le conférencier subordonnait la réussite de la réforme liturgique alors en cours à un certain nombre de conditions dont il peut dire aujourd’hui qu’elles n’ont pas été réalisées… L’apport théologique du futur pape se révèle encore dans les grandes questions ecclésiologiques : doctrine de la collégialité épiscopale, de la sacramentalité de l’épiscopat, question de la liberté religieuse, etc. Au fil de la lecture, on ne peut s’empêcher de relever avec malignité que le jeune théologien regrettait que le Synode des évêques reste soumis à la seule convocation du pape et qu’il affirmait que « l’Église se réalise d’abord et surtout dans chacune des Églises locales », lui qui deviendra le plus chaud partisan de l’antériorité chronologique et ontologique de l’Église universelle sur l’Église locale ! Progressivement, l’intérêt se déplace donc du Concile proprement dit vers l’interprétation de la pensée de Joseph Ratzinger : « son Concile », tel qu’il le présentait entre 1963 et 1966, est-il encore celui qu’il commente aujourd’hui ? En d’autres termes, doit-on invoquer « une herméneutique de la continuité » ou « une herméneutique de la rupture » pour évaluer cinquante ans de pensée de Benoît XVI : simple apport de « nuances » – comme il le concède dans Le Sel de la terre – ou maintien de l’ » impulsion fondamentale » ? Ce n’est certainement pas le moindre intérêt de cette publication, à quelques mois du cinquantième anniversaire de l’ouverture de Vatican II.

LE CONCILE DANS LES CONFIDENCES DU PAPE JEAN XXIII – par Sandro Magister (23 octobre 2012)

4 juin, 2013

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350349?fr=y

LE CONCILE DANS LES CONFIDENCES DU PAPE JEAN XXIII

« La Civiltà Cattolica » publie les journaux intimes du père Roberto Tucci, qui en était le directeur à l’époque du concile. Voici le compte-rendu des cinq entretiens qu’il eut avec le pape qui convoqua Vatican I

par Sandro Magister

ROME, le 23 octobre 2012 – La documentation concernant le concile Vatican II s’est enrichie, il y a quelques jours, d’un nouveau texte inédit jusqu’à hier. Un texte d’une valeur notable.
Il s’agit de quelques extraits des journaux intimes du cardinal Roberto Tucci (photo), qui était, à l’époque du concile, directeur de « La Civiltà Cattolica ».
Et c’est précisément cette revue des jésuites de Rome qui – en prenant ces journaux intimes comme base – a ouvert son dernier numéro sur le compte-rendu des cinq entretiens que Tucci a eus avec le pape Jean XXIII entre 1959 et 1962, c’est-à-dire entre l’annonce et le début de Vatican II.
« La Civiltà Cattolica » est une revue très particulière. Avant impression, ses articles sont passés au crible par les autorités vaticanes, qui tantôt les approuvent, tantôt les modifient, ou encore les éliminent.
Au temps de Pie XII, c’était le pape en personne qui revoyait les articles. Jean XXIII confia cette charge à son secrétaire d’état.
Mais il continua à rencontrer le directeur de la revue. Et celui-ci, après chaque entretien, en faisait un compte-rendu dans son journal intime.
Le journal intime du père Tucci donne ainsi une description très fidèle de la manière dont Jean XXIII s’est approché du concile qu’il avait décidé.
Par exemple, on a la confirmation du fait que le pape fut frappé par le silence qu’il provoqua lorsque, en 1959, il annonça son projet de concile aux cardinaux réunis à Saint-Paul-hors-les-Murs : « Il a proposé la chose, leur a demandé de lui donner franchement leur avis et personne n’a parlé ».
À propos d’autres moments de la marche d’approche du pape vers le concile, il y a dans le journal intime de Tucci quelques notations inattendues.
Par exemple, l’idée du voyage en train par lequel Jean XXIII se rendit à Lorette afin d’appeler la protection de la Vierge sur le concile paraît avoir été le résultat de calculs politiques :
« En ce qui concerne son voyage à Lorette, le pape a dit qu’il devait le faire pour donner satisfaction au ministre des Travaux publics, qui a effectué d’importants investissements dans cette région, et pour donner l’occasion d’une rencontre au président Gronchi : celui-ci voulait que l’on trouve un moyen de faire venir le pape au Quirinal ».
On est également impressionné par les propos brusques de Jean XXIII contre « le mal subtil » dont souffrait la curie, un mal fait de carriérisme et de népotisme, et par sa répugnance pour l’apparat du Vatican.
Le pape Jean était encore plus irrité par ceux qu’il devait qualifier ultérieurement de « prophètes de malheur » dans le discours mémorable qu’il prononça pour ouvrir le concile.
Mais il y a encore bien d’autres choses dans les extraits du journal intime de celui qui était dans ces années-là le directeur de « La Civiltà Cattolica », extraits que cette revue a publiés dans son numéro daté du 20 octobre 2012.
On trouvera ci-dessous les passages marquants de cet article.
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LE PAPE JEAN ET LE CONCILE, DANS LE JOURNAL INTIME DU CARDINAL TUCCI

par Giovanni Sale
Grâce au journal intime du P. Roberto Tucci, directeur de la revue « La Civiltà Cattolica » à l’époque du concile et aujourd’hui cardinal, qui fut reçu à plusieurs reprises par Jean XXIII en raison de ses fonctions, il est possible de retrouver, pour les trois années de préparation de l’événement conciliaire, les thèmes auxquels le pape accordait le plus d’importance et les stratégies d’action qu’il mit en place pour donner plus d’élan au futur concile. [...]
La première audience fut fixée tout de suite après que le P. Tucci eut été nommé au poste de directeur de la revue romaine des jésuites. Elle eut lieu à Castel Gandolfo le 12 septembre 1959. À cette occasion, le directeur notait : « Simplicité impressionnante et affabilité de manières qui fait disparaître tout embarras et qui émeut. Ai été accueilli à la porte et raccompagné presque jusqu’au seuil ». Le pape, faisant plus que ne l’exigeait le protocole, était venu au-devant du jeune P. Tucci, qui avait alors 38 ans, et, restant debout, il s’entretint aimablement avec lui : il s’étonna de son jeune âge, parla des jésuites qu’il avait connus et de l’ouvrage que lui-même avait consacré aux visites pastorales de saint Charles Borromée dans le diocèse de Bergame.
A la fin de l’audience, écrivait le jésuite, le pape « est revenu sur le sérieux et la sûreté doctrinale de notre périodique et il a fait allusion au fait que, à l’époque où il était nonce à Paris, les bons pères jésuites français de la revue ‘Études’ s’étaient quelque peu laissé prendre, eux aussi, par le mouvement d’idées novatrices. Il a évoqué une forme de néo-modernisme qui, ‘d’après ce que l’on me dit’, s’introduit dans l’enseignement, y compris ecclésiastique : tout devient problème et les jeunes finissent par tout remettre en question ».
Le pape faisait référence aux théologiens de la « nouvelle théologie », condamnée à cette époque par Rome et regardée d’un œil soupçonneux dans certains milieux catholiques. Beaucoup de ces théologiens, en effet, étaient des jésuites ; parmi eux, les pères de Lubac, Daniélou, Teilhard de Chardin, Rahner et d’autres ; à la différence de leurs collègues romains de « La Civiltà Cattolica », ceux qui écrivaient dans la revue jésuite parisienne étaient des partisans enthousiastes de ce courant « novateur ». [...]
L’audience suivante, qui eut lieu cinq mois plus tard, c’est-à-dire le 1er février 1960, fut d’une grande importance ; à cette occasion, le pape parla abondamment du futur concile. [...]
« Il a montré clairement – notait le directeur de « La Civiltà Cattolica » – qu’il envisage le concile œcuménique en connexion avec le problème de la réunion, à tout le moins, avec les Églises orientales séparées. Il ne se fait pas d’illusions, mais il constate que le climat spirituel s’est grandement amélioré depuis l’époque de Léon XIII […]. On me dit de faire attention, mais comment puis-je répondre avec dureté à des gens qui s’adressent à moi d’une manière tellement amicale ? Mais je garde toujours les yeux un peu ouverts, pour ne pas me laisser tromper ».
Le pape parla, tout de suite après, de la nécessité de mettre à jour le langage de la théologie et de la doctrine catholique formulées au cours des siècles : « Il fait d’ailleurs – continuait le directeur – une distinction assez explicite entre le dogme proprement dit, les mystères qu’il faut accepter humblement, et les explications théologiques ». [...] Il dit ensuite qu’il fallait parler de l’enfer aux fidèles, mais en soulignant « que le Seigneur sera bon avec un grand nombre de gens ». Il ajouta encore, sur le ton de la plaisanterie : « Il est certain que nous pouvons tous y aller, mais je me dis : Seigneur, tu ne vas quand même pas permettre que ton vicaire y aille ? ». [...]
Lors de l’audience du 7 juin 1960, Jean XXIII se mit à parler avec le directeur de « La Civiltà Cattolica » de la préparation du concile. À cette date, la phase anté-préparatoire était déjà terminée et le pape avait déjà nommé les commissions chargées de rédiger les schémas à présenter au concile.
« L’intention du pape – écrivait le P. Tucci – est de faire entrer dans l’effort de préparation non seulement la curie romaine, mais un peu toute l’Église. Il fait remarquer que souvent, hors de Rome, les gens en veulent à la curie romaine, comme si l’Église était tout entière dans les mains des ‘romains’. Il y a également beaucoup de belles énergies ailleurs ; alors pourquoi ne pas chercher à les employer ? ». [...]
« [Le pape] reconnaît – écrivait le jésuite – qu’il y a eu une certaine résistance de la part des cardinaux [de curie] et que lui, d’autre part, ne veut pas agir sans ceux qui sont à ses côtés justement pour l’aider dans le gouvernement de l’Église. Il prévoit que, maintenant, une lutte plutôt tenace va commencer, parce que les cardinaux ont leurs secrétaires ou leurs protégés qu’ils veulent placer dans les commissions pour des motifs qui ne sont certainement pas surnaturels […]. C’est le mal subtil de la curie romaine : les prélatures, les avancements […]. Mais il souhaite utiliser aussi des étrangers : il a donc demandé à tous les évêques et à tous les nonces d’établir des listes de personnes qualifiées pour ce travail ». L’Église – concluait le pape – doit s’adapter d’une manière ou d’une autre à l’époque et il en est de même pour la curie romaine et pour la cour pontificale.
Il évoquait ensuite sa situation de « prisonnier de luxe » au Vatican et l’excès de faste et de cérémonial qui entourait sa personne. « Je n’ai rien contre ces bons gardes nobles – confiait le pontife – mais toutes ces révérences, toutes ces formalités, tout ce faste, toute cette parade, me font souffrir, croyez-moi. Lorsque je descends [à la basilique] et que je me vois précédé par tous ces gardes, j’ai l’impression d’être un détenu, un malfaiteur ; alors que je voudrais être le ‘bonus pastor’ de tous, proche du peuple. […] Le pape n’est pas un souverain de ce monde. Il raconte combien il a trouvé désagréable, au début, d’être porté sur la sedia gestatoria à travers les salles, précédé par des cardinaux souvent plus vieux et plus mal en point que lui (ajoutant que, en plus, ce n’était même pas tellement rassurant pour lui parce que, au fond, on est toujours un peu en équilibre instable) ». [...]
Lors de l’audience du 30 décembre 1961, Jean XXIII fit part au directeur de « La Civiltà Cattolica » du regret et du mécontentement qu’il avait éprouvés en lisant un article du P. Antonio Messineo, rédigé par celui-ci à la demande du Saint-Office et attaquant Giorgio La Pira en raison de ses prises de position en matière de politique, considérées comme trop indulgentes ou naïvement optimistes en ce qui concernait les partis de gauche. « On n’écrit pas de cette façon contre quelqu’un qui est catholique pratiquant et qui a des intentions droites – dit le pape au P. Tucci – même s’il est un peu fou et si parfois ses idées ne sont pas bien fondées doctrinalement». [...]
Au cours de cette même audience, le pape parla également de la situation politique et de la nécessité pour l’Église de sortir des vieux schémas d’opposition idéologique et de travailler à la réconciliation des hommes.
Il se plaignit des critiques dont il avait fait l’objet même dans certains milieux ecclésiastiques pour avoir répondu au message de vœux qui lui avait été envoyé par le président de l’Union Soviétique, Nikita Khrouchtchev, et il ajouta : « Le pape n’est pas un naïf, il savait très bien que le geste de Khrouchtchev était dicté par des objectifs politiques de propagande ; mais ne pas répondre aurait été un acte d’impolitesse non justifiée. En tout cas, la réponse était calibrée. Le Saint-Père se laisse guider par le bon sens et par le sens pastoral ». [...]
Le pape se plaignit, d’autre part, de certains de ses détracteurs qui l’accusaient d’être un « esprit accommodant » ; il affirma qu’il ne s’était jamais « détaché, pas même sur un seul point, de la saine doctrine catholique » et que ceux qui portaient cette accusation auraient dû en apporter les preuves. « Ensuite il s’en est pris – notait le P. Tucci – aux ‘zélotes’ qui veulent sans cesse se battre. Il y en a toujours eu dans l’Église, il y en aura toujours et il faut de la patience et du silence ! ». [...]
Par ailleurs, à propos de la politique italienne, le pape donna au directeur de « La Civiltà Cattolica » des indications très fortes et très contraignantes. « Le pape souhaite – notait le P. Tucci – une ligne moins engagée dans les affaires politiques italiennes». [...]
Le pape indiqua par ailleurs, gentiment mais fermement, qu’il n’appréciait pas beaucoup l’esprit militant, intransigeant, de la revue et il demanda à ce qu’elle s’adapte, dans son style et dans son contenu, aux temps nouveaux. Citant le commentaire de l’un de ses amis, il dit : « Les bons pères de ‘La Civiltà Cattolica’ sont toujours en train de pleurer pour une chose ou pour une autre ! Et qu’ont-ils obtenu ? [...] Il faut voir le bien et le mal – commenta-t-il – et ne pas être toujours pessimiste à propos de toutes choses ». [...]
Au cours des derniers mois de la longue phase préparatoire, peu de temps avant qu’elle ne s’achève, Jean XXIII était occupé à la lecture attentive des schémas rédigés par les commissions, avant qu’ils ne soient envoyés aux pères conciliaires. [...] Jean XXIII n’était pas très satisfait des schémas qui avaient été préparés et il fit part de cette insatisfaction au directeur de « La Civiltà Cattolica » lors de l’audience qu’il lui accorda le 27 juillet 1962.
Le pape, nota le P. Tucci, « m’a parlé de la révision des textes conciliaires à laquelle il est en train de procéder. [...] Il m’a montré quelques-unes des notes qu’il a rédigées dans la marge des textes : [entre autres] sur un texte dans lequel, sur une page et demie, étaient énumérées uniquement des erreurs, il a indiqué qu’il faudrait faire preuve de moins de dureté. Il m’a également expliqué qu’il avait dû faire comprendre qu’il avait l’intention de revoir les textes avant qu’ils ne soient envoyés aux évêques. Mais que cette intention n’avait pas été prise en compte dès le début, ce qui fait que certains textes avaient déjà été envoyés sans qu’il ait eu la possibilité de les voir ». [...]
Pour en revenir à la politique, rappelons que, à cette époque-là, il y avait chez les catholiques italiens, ainsi que chez les leaders de la Démocratie Chrétienne eux-mêmes, des discussions pour déterminer s’il était nécessaire ou non d’accepter la collaboration des socialistes de P. Nenni au gouvernement. Cette perspective [...] était fortement critiquée par le président de la conférence des évêques d’Italie, le cardinal Giuseppe Siri, et également par de nombreux prélats de la curie romaine, au premier rang desquels figurait le [cardinal Alfredo Ottaviani] pro-secrétaire du Saint-Office. L’administration américaine suivait cette question avec beaucoup d’appréhension et elle incitait son ambassadeur en Italie à faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher l’élargissement de l’équipe gouvernementale à la gauche. À cette époque-là, il y avait un grand nombre de catholiques qui considéraient que, du point de vue idéologique et politique, il n’y avait pas, en pratique, une grande différence entre la position des socialistes et celle des communistes, et que, par conséquent, accepter la collaboration des premiers signifiait implicitement accueillir également les seconds.
« Il faut que nous fassions très attention – confiait le pape au P. Tucci – parce que, aujourd’hui, les hommes politiques, y compris les démocrates-chrétiens, cherchent à attirer l’Église de leur côté et qu’ils finissent par se servir de l’Église dans des buts qui ne sont pas toujours de très haut niveau. [...] Je ne m’y connais pas mais, franchement, je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas accepter la collaboration d’autres personnes, qui ont une idéologie différente, pour faire des choses qui sont bonnes en elles-mêmes, pourvu qu’il n’y ait pas de concessions en matière de doctrine ».

LE CULTE MARIAL ET VATICAN II – L’IMPORTANCE DE « LUMEN GENTIUM »

14 mai, 2013

http://www.zenit.org/fr/articles/le-culte-marial-et-vatican-ii

LE CULTE MARIAL ET VATICAN II

L’IMPORTANCE DE « LUMEN GENTIUM »

Rome, 14 mai 2013 (Zenit.org) Carmine Tabarro

La Mère de Dieu a joué un rôle clef dans l’histoire du salut de l’homme et tant de documents de l’Eglise offrent des critères de lecture pour bien comprendre ce rôle et mesurer toute son importance. 
Mais aucun concile œcuménique avant Vatican II n’a produit de document doctrinal sur Marie aussi structuré que le chapitre VIII de la constitution dogmatique « Lumen Gentium », qui constitue le point d’orgue de tout le document, souligne Carmine Tabarro, de la communauté Shalom.
Dans le cadre du cinquantième anniversaire du concile, ce document, peu connu par les chrétiens de ces 60 dernières années, apporte une série d’indications importantes sur le culte marial qui, en ce mois de mai consacré à Marie, mérite une attention particulière.
Expert en doctrine sociale de l’Église, Carmine Tabarro revient pour Zenit sur deux points essentiels mis en lumière dans ce document : l’incarnation du Verbe et la maternité de Marie.
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Avant de commencer il convient de rappeler que l’on trouve d’autres indications dans la constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium (103), dans le décret Presbyterorum ordinis (18), dans le décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad gentes (42), dans le décret sur la formation des prêtres et des séminaristes Optatam totius (8) et dans le décret sur le renouvellement de la vie religieuse Perfectae caritatis (25).
Mais ce qui intéresse ici c’est l’incarnation du Verbe et la maternité de Marie. Une maternité que les Saintes écritures présentent comme étant l’œuvre du Saint Esprit et qui constitue le cœur de l’enseignement conciliaire : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1,35).
Le concile reconnaît par là le cœur de la dignité de Marie. Il écrit Lumen gentium (chap. VIII, n°56): « Epousant à plein cœur, sans que nul péché ne la retienne, la volonté divine de salut,  (Marie) se livra elle-même intégralement, comme la servante du Seigneur, à la personne et à l’œuvre de son Fils, pour servir, dans sa dépendance et avec lui, par la grâce du Dieu tout-puissant ».
Les pères du concile reconnaissent chez Marie l’acceptation du dessin de Dieu et sa coopération qui doit etre bien comprise : d’une part l’initiative de Dieu dépend seulement de son amour libre et absolu ; de l’autre le consentement (fides et ratio) de Marie libre et total.
Marie a-t-elle bien compris et en profondeur ce que Dieu lui demandait ? Le concile enseigne que Marie, «  enrichie de dons correspondant à sa si haute fonction »,  a pris part à l’incarnation de manière  active et responsable, sans que cela fut le fruit d’un choix ex ante de sa part. Marie est la terre qui a accueilli la Parole, la terre offerte et ouverte à l’œuvre de Dieu : « La terre a donné son fruit ; Dieu, notre Dieu, nous bénit.” (Ps 67,7).
Marie est l’icône du tout singulier, où la grâce produit la vie et lui donne forme.
Voici comment les pères du concile décrivent la présence de Marie aux côtés de Jésus-Christ : « [...] La bienheureuse Vierge avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la croix où, non sans un dessein divin, elle était debout , souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d’un cœur maternel à son sacrifice » (Lumen gentium, chap.VIII, n° 58).
Marie, appelée par l’Histoire du Salut à participer au projet divin, nous rappelle qu’elle est la porte qui conduit au Christ; comprendre avec l’intelligence de la foi la place que le Père a attribué à Marie veut dire construire sur la roche notre foi en Jésus-Christ ; c’est pour sauver la vérité du Christ que l’Eglise a reconnu et défini le rôle de Marie.
Pour conclure, retournons aux notes du chapitre VIII de la constitution Lumen gentium; plus précisément aux numéros 55-59, présentant toute une série de notes critiques, de références bibliques et patristiques très importantes, qui aident au discernement d’un culte marial correct.
Approfondir avec fides et ratio le rôle de Marie dans la vie de l’Eglise et des fidèles est important pour savoir éviter les multiples déformations (toujours présentes dans l’histoire de l’Eglise)  qui empêchent une foi mariale correcte: d’un côté la tentative généralisée de démystifier le cultute marial, de l’autre le risque de tomber dans le sentimentalisme ou dans une espèce de repli affectif ; jusqu’aux extrémistes qui arrivent à mettre le Christ en état de subordination par rapport à Marie.
Le Concile Vatican II a apporté une grande contribution au juste culte de la fille de Sion.

Italie :  HYPERLINK « http://www.zenit.org/it/articles/il-culto-mariano-e-il-vaticano-ii » http://www.zenit.org/it/articles/il-culto-mariano-e-il-vaticano-ii

Traduction d’Océane Le Gall

UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

17 janvier, 2013

http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=747#nb1

Marie-Thérèse Desouche & Jean-François Chiron

UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE

À la suite du dernier Concile, on aime voir dans l’Église le sacrement de l’unité entre Dieu et les hommes (Lumen gentium, n° 1) ou le sacrement du salut (n° 48). Ce thème théologique peut sans difficulté être rapproché des situations qui sont aujourd’hui celles de l’Église.
Il y a deux façons de rendre compte de la mission de l’Église. L’Église peut être considérée comme destinée à rassembler tous les peuples ; on peut aussi l’envisager comme appelée à les représenter. Sans doute les deux perspectives doivent-elles être tenues simultanément. S’agissant de la première, on rappelle que, eschatologiquement, l’Église a vocation à rassembler l’humanité tout entière. De fait, pendant des siècles, le salut a été conçu uniquement sous mode d’appartenance à l’Église, seule arche du salut. La découverte de ce que l’Église ne regroupait qu’une partie de l’humanité a conduit à admettre explicitement un salut pour les non-baptisés de bonne foi. Le thème de l’Église sacrement du salut permet d’énoncer que l’Église peut être signe, mais aussi instrument de salut pour ceux qui ne lui appartiennent pas. Le salut peut ainsi être envisagé aujourd’hui sous le mode d’une relation à l’Église, autant que d’une appartenance (la première phrase de LG, n° 16 évoque une « ordination » au peuple de Dieu de ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile).
Une identité ouverte : représenter le monde
On considérera donc que, si l’Église est destinée à rassembler tous les peuples, elle doit d’abord les représenter. On peut parler de fonction sacerdotale : la mission du peuple de Dieu, un peuple minoritaire, est une fonction d’intercession pour le grand nombre, pour ceux de l’extérieur, pour le monde. Fonction de médiation : il revient au petit nombre d’assumer, devant Dieu, un rôle de représentation, qui est aussi un rôle de mise en relation, et même de réconciliation : il s’agit de réconcilier le monde avec Dieu. Rôle qui est celui du Christ (« sacrement » premier) ; qui est donc, à son rang, celui de l’Église : être le sacrement de la mission du Christ, la représenter. Celui qui est sans péché, l’Unique, meurt pour le péché de tous. Il intercède pour tous. Ainsi l’Église intercède pour tous, et d’abord pour les pécheurs. Elle représente le grand nombre auprès de Dieu, elle qui est le petit nombre. Il lui faut vivre pour ce monde, pour présenter ce monde, avec le Fils, en lui, au Père. Cela, elle le fait avant tout dans son eucharistie, célébrée « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » (qu’a fait le Christ Jésus, sinon vivre et mourir « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » ?).
C’est cela qui doit induire l’ » être au monde » de nos communautés, y compris de la façon la plus concrète qui soit : représenter le monde, intercéder pour lui. Un « être pour le monde », à la suite de celui qui a été envoyé « pour sauver les hommes ». Donc tenir une ouverture au monde, à ce monde, à cette société, sans perdre pour autant son être propre et sans cesser d’exercer une fonction critique par rapport à ce monde.
Dans la représentation ainsi comprise, l’Église pourra trouver le fondement théologique d’une culture de la minorité qui ne soit pas sectaire : une identité qui ne soit pas identitaire, une identité ouverte. Nos communautés devront continuer à honorer le statut de minorités humainement et évangéliquement positives : non pas repliées, ni agressives, cultivant le ressentiment ou la nostalgie ; mais des minorités témoins, au sens sacramentel.
Parler de l’Église comme sacrement, c’est comprendre la centralité de l’Esprit Saint. C’est dans cette ligne qu’il faut entendre l’usage que fait le concile Vatican II du mot sacrement à propos de l’Église. De son utilisation analogique du mot sacrement, ressort « le rapport de l’Église avec la puissance de l’Esprit Saint, celui qui seul donne la vie : l’Église est le signe et l’instrument de la présence et de l’action de l’Esprit vivifiant [2] ». L’Église saisit ici son identité sacramentelle épiclétique, dont l’expression la plus complète est l’eucharistie : dans l’eucharistie, l’Église se met sous l’alliance du Père en Jésus-Christ livrant son Esprit sur le monde. Elle annonce que Dieu est Dieu, qu’il sauve gratuitement, en son Fils Jésus-Christ, présent et agissant par la puissance de son Esprit. L’Église est « l’instrument » de ce mystère de vie pour l’humanité. Elle est l’espace de la rencontre entre Dieu et l’humanité.
[L'Église] œuvre pour rétablir et renforcer l’unité du genre humain à ses racines mêmes, dans le rapport de communion entre l’homme et Dieu, son Créateur, son Seigneur, et son Rédempteur [3].
Se nourrir de la Parole de Dieu
Il ne faudrait pas oublier dans cette réflexion sur l’Église comme sacrement la deuxième Table, celle de la Parole de Dieu, comme le précise le concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique Dei Verbum (n° 21) [4] : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas de prendre le pain de vie sur la Table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ. » L’exhortation apostolique Verbum Domini, qui fait suite au Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église en octobre 2008, parle explicitement des deux Tables [5] et approfondit la dimension sacramentelle de la Sainte Écriture en la fondant sur l’Incarnation du Christ et sur l’inspiration de l’Écriture, de façon plus développée que ne le faisait Dei Verbum.
Le corps eucharistique du Seigneur et son corps scripturaire sont Parole de Dieu et elles sont Pain pour le Corps de l’Église, qui est le Corps du Christ. Les diocèses l’ont bien compris, qui développent les possibilités de formations bibliques, de maisons de l’Évangile, d’écoles de la Parole, de partage de la Parole de Dieu, de lectio divina, etc. : la Parole de Dieu devient la nourriture vivante du peuple de Dieu.
La vision sacramentelle de l’Église invite à prendre en compte dans la vie quotidienne de cette Église les médiations, à commencer par les médiations institutionnelles. C’est à ce niveau notamment que la grâce doit assumer la nature et non pas l’ignorer. Il n’y a pas de vie en Église qui ne passe par les médiations fondamentales que sont l’Écriture, la communauté, les ministères, les sacrements, la liturgie, etc. Bref, ces réalités tangibles par lesquelles, à des titres divers, le salut vient à nous. Mais ne comptent pas moins, sur un plan humain, des réalités comme la parole, le pouvoir, l’argent, l’affectivité, etc. Toutes réalités sans lesquelles il n’y a ni communauté chrétienne, ni existence humaine  ; réalités qui font, selon la façon dont les croyants s’y confrontent, que leurs communautés peuvent devenir, ou non, lieux d’évangélisation et d’humanisation.
On rappellera simplement, à titre d’exemple, l’importance de ces lieux que sont les conseils, notamment presbytéraux et pastoraux (à l’échelle des diocèses ou des paroisses) : le droit canon, appuyé sur la Tradition catholique, donne le dernier mot à l’évêque ou au curé, la décision ultime, celle qui relève du ministre ordonné, peut aller contre la majorité des voix ; le tout est de savoir comment elle a été prise. Il doit être manifeste que, même dans une situation conflictuelle, tous les partenaires du débat ont été traités en personnes majeures. Cela exige, de la part du ministre ordonné (curé, aumônier… comme pour l’évêque) quelques qualités humaines de base (comme celles que rappelle PO, n° 3 – voir encadré). Il est vital, pour la bonne santé des corps que sont un presbyterium diocésain ou une communauté paroissiale, qu’un dialogue en vérité soit possible sur les questions pastorales essentielles.
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[1] Suite de l’article paru dans Esprit & Vie n° 239, p. 2-8.
[2] Jean-Paul II, encyclique Dominum et Vivificantem (1986), n° 64.
[3] Ibidem.
[4] Voir aussi Presbyterorum Ordinis n° 18.
[5] Benoît XVI, exhortation apostolique Verbum Domini, n° 68 : « Le sens théologique des deux tables de la Parole et de l’eucharistie », avec l’expression latine geminae mensae, qui présente les tables de la Parole et de l’eucharistie comme des tables jumelles.