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DIMANCHE 21 AVRIL: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

20 avril, 2013

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DIMANCHE 21 AVRIL: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Ac 13, 14. 43-52
Paul et Barnabé
14 étaient arrivés à Antioche de Pisidie.
 Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue.
43 Quand l’assemblée se sépara,
 beaucoup de Juifs et de convertis au judaïsme
 les suivirent.
 Paul et Barnabé, parlant avec eux,
 les encourageaient à rester fidèles à la grâce de Dieu.
 44 Le sabbat suivant,
 presque toute la ville se rassembla
 pour entendre la parole du Seigneur.
45 Quand les Juifs virent tant de monde,
 ils furent remplis de fureur ;
 ils repoussaient les affirmations de Paul avec des injures.
46 Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance :
 « C’est à vous d’abord
 qu’il fallait adresser la parole de Dieu.
 Puisque vous la rejetez
 et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
 eh bien ! nous nous tournons vers les païens.
47 C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :
 J’ai fait de toi la lumière des nations
 pour que, grâce à toi,
 le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
48 En entendant cela, les païens étaient dans la joie
 et rendaient gloire à la parole du Seigneur ;
 tous ceux que Dieu avait préparés pour la vie éternelle
 devinrent croyants.
49 Ainsi, la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.
50 Mais les Juifs entraînèrent les dames influentes
 converties au judaïsme,
 ainsi que les notables de la ville ;
 ils provoquèrent des poursuites contre Paul et Barnabé,
 et les expulsèrent de leur territoire.
51 Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds
 et se rendirent à Iconium,
52 tandis que les disciples étaient pleins de joie dans l’Esprit Saint.

Nous sommes à la synagogue d’Antioche de Pisidie (en plein milieu de l’Asie Mineure, c’est-à-dire l’ouest de la Turquie actuelle) un samedi matin pour une célébration du shabbat. Le public est plus mélangé que nous ne le pensons spontanément : pour prendre une image, on pourrait dire qu’il y a trois cercles concentriques ; il y a d’abord, évidemment, les Juifs de naissance ; le deuxième cercle, ce sont les prosélytes : c’est-à-dire des non-Juifs de naissance qui ont été attirés par la religion juive au point de se convertir et d’en accepter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Luc les appelle « les convertis au Judaïsme ».
Le troisième cercle, ce sont les « craignant Dieu » ; Luc ici les appelle les « païens », mais vous voyez qu’ils ne sont plus tout à fait des païens, puisqu’ils ont été attirés eux aussi par la religion juive et qu’ils se rendent le samedi matin à la synagogue pour le shabbat ; ils connaissent donc les Ecritures juives. En revanche, ils ne sont pas allés jusqu’à la circoncision et à l’ensemble des pratiques juives.
 Au départ, le projet de Paul est clair : à peine arrivé dans la ville, il compte se rendre à la synagogue le plus tôt possible pour s’adresser à ses frères juifs ; il leur parlera de Jésus de Nazareth ; pour lui, c’est la démarche qui s’impose de toute évidence ; les Apôtres qui sont tous juifs, ne l’oublions pas, considèrent le Christ comme le Messie attendu par tous les Juifs : ils vivent un accomplissement ; dans leur logique, un Juif qui lit l’Ecriture deviendra forcément chrétien : ils ont donc tout naturellement commencé par essayer de rallier les autres Juifs à leur découverte… et Paul compte bien faire la tournée des synagogues ; dans son idée, quand tout le peuple juif sera converti, on entreprendra la conversion des païens.
 Car, aux yeux de Paul, comme de tous ses contemporains, le plan de Dieu comportait deux étapes : d’abord le choix du peuple élu à qui Dieu s’est révélé (c’est ce qu’on appelle « l’élection d’Israël » ) et ensuite c’est ce peuple élu qui devait annoncer le salut de Dieu aux autres peuples, aux païens ; pour exprimer cette « logique de l’élection » dans le plan de Dieu, le prophète Isaïe disait : « J’ai fait de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ». D’ailleurs, dans un premier temps, Jésus, lui-même, avait donné cette consigne à ses apôtres : « Ne prenez pas le chemin des païens… allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 10, 5).
 Donc, dès le premier sabbat, Paul et Barnabé se rendent à la synagogue d’Antioche de Pisidie ; et ils reçoivent au premier abord un accueil plutôt favorable ; du coup, ils peuvent espérer que certains deviendront chrétiens à leur tour. Le sabbat suivant (c’est-à-dire le samedi suivant), ils recommencent à prendre la parole à la synagogue, et, apparemment, beaucoup de gens se sont dérangés pour les écouter ; mais cette fois leur succès commence à énerver les gens influents ! Luc dit : « quand les Juifs virent tant de monde, ils furent remplis de fureur, ils repoussaient les affirmations de Paul avec des injures. » Là, nous avons un petit problème de vocabulaire, parce que Luc ici appelle « Juifs » ceux qui vont s’opposer à Paul ; en réalité, il y a des Juifs qui deviendront chrétiens (comme Paul lui-même), et des Juifs qui refuseront absolument de reconnaître Jésus comme le Messie (ce sont ceux que Luc appelle « Juifs » ici).
 En revanche, Luc note que les païens (c’est-à-dire les craignant Dieu) semblent mieux disposés, il dit : « Les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux que Dieu avait préparés pour la vie éternelle devinrent croyants. »
 Alors se produit un grand tournant dans la vie de Paul ; car c’est là, à Antioche de Pisidie qu’il va décider de modifier ses plans ; voilà comment le problème se pose : d’une part, seuls quelques Juifs acceptent de les suivre, et il faut abandonner l’espoir de convertir l’ensemble du peuple juif au Christianisme. D’autre part, le refus de la majorité des Juifs ne doit pas retarder l’annonce du Messie aux païens. Alors Paul se souvient qu’Isaïe avait déjà prédit que le petit Reste d’Israël sauverait l’ensemble du peuple et l’humanité. Concrètement, Paul comprend que c’est ce petit Reste qui assumera la vocation d’apôtre des nations qui était celle du peuple juif tout entier. Paul et Barnabé et ceux qui voudront bien les suivre seront ce petit Reste.
 C’est exactement ce que Paul et Barnabé disent à Antioche : « C’est à vous, d’abord qu’il fallait adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez, et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! Nous nous tournons vers les païens. » Et donc, à partir de ce moment-là, ils tournent leur énergie missionnaire vers les « craignant Dieu » d’abord, puis plus tard, vers les païens.

 Décidément, à Antioche de Pisidie, un tournant décisif vient d’être pris dans la vie des premiers Chrétiens !

DIMANCHE 14 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – DEUXIEME LECTURE – APOCALYPSE DE SAINT JEAN 5, 11-14

13 avril, 2013

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DIMANCHE 14 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

DEUXIEME LECTURE – APOCALYPSE DE SAINT JEAN 5, 11-14

Moi, Jean,
11 dans ma vision,
 j’ai entendu la voix d’une multitude d’anges
 qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens :
 ils étaient des millions, des centaines de millions.
 12 Ils criaient à pleine voix :
 « Lui, l’Agneau immolé, il est digne
 de recevoir puissance et richesse,
 sagesse et force,
 honneur, gloire et bénédiction. »
13 Et j’entendis l’acclamation de toutes les créatures
 au ciel, sur terre, sous terre et sur mer ;
 tous les êtres qui s’y trouvent proclamaient :
 « A celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau,
 bénédiction, honneur, gloire et domination
 pour les siècles des siècles. »
14 Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! »
 Et les Anciens se prosternèrent pour adorer.

Avec l’Apocalypse, nous voici en présence d’une vision, avec tout ce que cela comporte d’inhabituel ; mais d’avance nous savons une chose : c’est que le livre entier de l’Apocalypse est un chant de victoire ; dans le passage ci-dessus, c’est clair ! Au ciel, des millions et des centaines de millions d’anges crient à pleine voix quelque chose comme « vive le roi! »… et, dans tout l’univers, que ce soit sur terre, sur mer, ou même sous la terre, tout ce qui respire acclame aussi comme on le fait au jour du sacre d’un nouveau roi. Le nouveau roi, ici, bien sûr, c’est Jésus-Christ : c’est lui, « l’Agneau immolé », qui est acclamé et reçoit « puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction. » Pour décrire la royauté du Christ, cette vision utilise un langage symbolique, fait d’images et de chiffres. C’est dire la richesse et aussi la difficulté de ces textes. La richesse, parce que, seul, le langage symbolique peut nous faire pénétrer dans le monde de Dieu ; l’ineffable, l’indicible ne se décrit pas ; il peut seulement être suggéré ; par exemple, il faut être attentif à certaines images, à certaines couleurs, à certains chiffres qui reviennent fréquemment et ce n’est certainement pas par hasard.
 Mais la difficulté réside dans l’interprétation des symboles. Notre imagination est sollicitée, elle peut nous aider, mais jusqu’où pouvons-nous faire confiance à notre intuition pour comprendre ce que l’auteur a voulu suggérer ? Il faut donc toujours rester très humble dans l’interprétation des symboles ! Nous ne pouvons pas prétendre comprendre le sens caché d’un texte biblique quel qu’il soit. L’expression « les quatre Vivants » en est un bon exemple : le chapitre précédent de l’Apocalypse nous les a décrits comme quatre animaux ailés ; le premier a un visage d’homme, les trois autres ressemblent à des animaux, un lion, un aigle, un taureau… et nous avons l’habitude de les voir sur de nombreuses peintures, sculptures et mosaïques… et nous croyons savoir sans hésitation de qui il s’agit ; c’est Saint Irénée qui, au deuxième siècle, en a proposé une lecture symbolique : pour lui, les quatre vivants sont, à n’en pas douter, les quatre évangélistes : Matthieu, le Vivant à face d’homme, Marc le lion (les amoureux de Venise ne peuvent pas l’oublier !), Luc le taureau, Jean l’aigle. Mais les biblistes ne sont pas bien à l’aise avec cette interprétation : car il semble bien que l’auteur de l’Apocalypse ait repris ici une image d’Ezéchiel dans laquelle quatre animaux soutiennent le trône de Dieu, et ils représentent tout simplement le monde créé.
 Parlons des chiffres, justement : toutes ces précautions prises, il semble bien que le chiffre 3 symbolise Dieu ; et 4 le monde créé, peut-être à cause des quatre points cardinaux ; 7 (3+4) évoque à la fois Dieu et le monde créé ; il suggère donc la plénitude, la perfection… du coup, 6 (7-1) est incomplet, imparfait. L’acclamation des Anges revêt donc une portée singulière : « Lui, l’Agneau immolé, il est digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction » : quatre termes de réussite terrestre ajoutés à trois termes réservés à Dieu (honneur, gloire, bénédiction) ; au total sept termes : c’est dire que l’Agneau immolé (les lecteurs de Jean savent qu’il s’agit de Jésus) est pleinement Dieu et pleinement homme ; et là on voit bien la force de suggestion d’un tel langage symbolique !
 Continuons notre lecture : « J’entendis l’acclamation de toutes les créatures au ciel, sur terre, sous terre et sur mer » ; (là encore quatre termes : il s’agit bien de toute la création) ; tous les êtres qui s’y trouvent proclamaient : « A celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination pour les siècles des siècles. » C’est le monde créé qui proclame sa soumission à celui qui siège sur le Trône (Dieu bien sûr), et à l’Agneau. Ce n’est pas un hasard, non plus, si les Vivants qui soutiennent le trône de Dieu chez Ezéchiel et qui représentent le monde créé sont au nombre de quatre.
 Toute cette insistance de Jean, ici, vise à mettre en valeur cette victoire de l’Agneau immolé : apparemment vaincu, aux yeux des hommes, il est en réalité le grand vainqueur ; c’est le grand mystère qui est au centre du Nouveau Testament, ou le paradoxe, si l’on préfère : le Maître du monde se fait le plus petit, le Juge des vivants et des morts a été jugé comme un criminel ; lui qui est Dieu, il a été traité de blasphémateur et c’est au nom de Dieu qu’il a été rejeté. Pire, Dieu a laissé faire. Quand Saint Jean développe cette méditation à l’adresse de sa communauté, on peut penser que son objectif est double : premièrement, il faut trouver une réponse au scandale de la croix, et donner des arguments aux Chrétiens en ce sens. Quand Jean écrit l’Apocalypse, Chrétiens et Juifs sont en pleine polémique sur ce sujet : pour les Juifs, la mort du Christ suffit à prouver qu’il n’était pas le Messie ; le livre du Deutéronome avait résolu la question : « Celui qui a été condamné à mort au nom de la Loi, exécuté et suspendu au bois est une malédiction de Dieu » (Dt 21, 22). Or c’est bien ce qui s’est passé pour Jésus.
 Pour les Chrétiens, témoins de la Résurrection, ils y voient au contraire l’oeuvre de Dieu. Mystérieusement, la Croix est le lieu de l’exaltation du Fils. Jésus l’avait annoncé lui-même dans l’évangile de Jean : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, vous connaîtrez que « Je Suis » (Jn 8, 28). Ce qui veut dire « vous reconnaîtrez enfin ma divinité » (puisque « Je Suis » est exactement le nom de Dieu). Il faut donc apprendre à lire sur les traits défigurés de ce misérable condamné la gloire même de Dieu. Dans la vision que Jean nous décrit, l’Agneau reçoit les mêmes honneurs, les mêmes acclamations que celui qui siège sur le Trône. Deuxième objectif de Jean, aider ses frères à tenir bon dans l’épreuve : les forces de l’amour ont déjà vaincu les forces de la haine ; c’est tout le message de l’Apocalypse.

DIMANCHE 7 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – DEUXIEME LECTURE – Apocalypse 1, 9…19

5 avril, 2013

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DIMANCHE 7 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

DEUXIEME LECTURE – Apocalypse 1, 9…19

9 Moi, Jean,
 votre frère et compagnon
 dans la persécution, la royauté et l’endurance avec Jésus,
 je me trouvais dans l’île de Patmos
 à cause de la parole de Dieu
 et du témoignage pour Jésus.
10 C’était le jour du Seigneur ;
 je fus inspiré par l’Esprit,
 et j’entendis derrière moi une voix puissante,
 pareille au son d’une trompette.
11 Elle disait :
 « Ce que tu vois, écris-le dans un livre
 et envoie-le aux sept Eglises
 qui sont en Asie Mineure. »
12 Je me retournai pour voir qui me parlait.
 Quand je me fus retourné,
 je vis sept chandeliers d’or ;
13 et au milieu d’eux comme un fils d’homme,
 vêtu d’une longue tunique ;
 une ceinture d’or lui serrait la poitrine.
17 Quand je le vis,
 je tombai comme mort à ses pieds,
  mais il posa sur moi sa main droite, en disant :
 « Sois sans crainte.
 Je suis le Premier et le Dernier,
18 je suis le Vivant :
j’étais mort,
 mais me voici vivant pour les siècles des siècles,
 et je détiens les clefs de la mort et du séjour des morts.
19 Ecris donc ce que tu auras vu :
 ce qui arrive maintenant,
 et ce qui arrivera ensuite. »

Pendant six dimanches de suite, nous allons lire en deuxième lecture des passages de l’Apocalypse de Saint Jean : c’est une chance qui nous permettra de faire un peu connaissance avec l’un des textes les plus attachants du Nouveau Testament ; livre difficile à première vue, il nous demande un effort mais nous serons vite récompensés. Aujourd’hui donc, premier contact. Le mot « Apocalypse » vient du grec : cela signifie « révélation », « dévoilement » au sens de « retirer un voile » ; il s’agit pour Jean de nous révéler le mystère de l’histoire du monde, mystère caché à nos yeux. Parce qu’il s’agit de nous révéler ce que nos yeux ne voient pas spontanément, le livre se présente sous forme de visions : par exemple, le verbe « voir » est employé cinq fois dans le simple passage d’aujourd’hui !
 Ce mot « d’Apocalypse » malheureusement n’a pas eu de chance : il est devenu presque un épouvantail, ce qui est le pire des contresens ! Car, à sa manière, l’Apocalypse est, comme tous les autres livres bibliques, une Bonne Nouvelle. Toute la Bible, dès l’Ancien Testament, est le dévoilement du mystère du « dessein bienveillant de Dieu », (comme dit la Lettre aux Ephésiens), le projet d’amour de Dieu pour l’humanité. Les Apocalypses sont un genre littéraire particulier, mais comme tous les autres livres bibliques, elles n’ont pas d’autre message que l’amour de Dieu et la victoire définitive de l’amour sur toutes les formes du mal. Si nous ne sommes pas convaincus de cela en ouvrant les Apocalypses, et en particulier celle de Jean, mieux vaut ne pas les ouvrir ! Nous risquons de les lire de travers !
 Ce qui fait l’une des difficultés de ce genre littéraire, ce sont les visions souvent fantastiques et difficiles à décrypter, pour nous tout au moins. Tout est là : ce n’était pas difficile pour les destinataires, c’est difficile pour nous qui ne sommes plus dans leur situation. Pourquoi parler sous forme de visions ? Pourquoi ne pas parler en clair ? Ce serait tellement plus simple… non, justement ; l’Apocalypse de Saint Jean, comme tous les livres du même genre (il y a eu plusieurs apocalypses écrites par des auteurs différents entre le deuxième siècle av. JC et le deuxième siècle ap. JC), est écrite en temps de persécution ; on le lit bien ici : « Moi, Jean, votre frère et compagnon dans la persécution… je me trouvais dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage pour Jésus. » A Patmos, Jean ne fait pas du tourisme, il y a été exilé.
 Parce qu’on est en pleine persécution, une Apocalypse est un écrit qui circule sous le manteau, pour remonter le moral des troupes ; le thème majeur, c’est la victoire finale de ceux qui actuellement sont opprimés. Le discours, en gros, c’est : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage ; Christ a vaincu le monde : regardez, il est vainqueur. Il a vaincu la mort. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Le vrai roi, c’est le Christ ; ceci, Jean le dit dès la première phrase : « Moi, Jean, votre frère et compagnon dans la persécution, la royauté et l’endurance avec Jésus. »
 Evidemment, un tel discours ne peut pas être trop explicite, puisque le danger est grand de le voir saisi par le persécuteur ; alors on raconte des histoires d’un autre temps et des visions fantasmagoriques, tout ce qu’il faut pour décourager la lecture par des non-initiés. Par exemple, Saint Jean dit tout le mal possible de Babylone, qu’il appelle « la grande prostituée ». Pour qui sait lire entre les lignes, il s’agit évidemment de Rome. Le message de toute Apocalypse, c’est celui-là : les forces du mal pourront se déchaîner, elles ne l’emporteront pas !
 C’est ce qui explique le triste contresens que nous faisons souvent sur le mot « Apocalypse » : car on y trouve effectivement la description du mal déchaîné, mais on y trouve bien plus encore l’annonce de la victoire de Dieu et de ceux qui lui seront restés fidèles.
 Je reviens à l’Apocalypse de Saint Jean : puisqu’elle fait partie du Nouveau Testament, son personnage central est bien évidemment Jésus-Christ : il est au centre de toutes les visions.
 Dans la lecture de ce dimanche, cette victoire du Christ nous est présentée dans une vision grandiose : c’est un dimanche, également, c’est-à-dire le jour où l’on célèbre la Résurrection du Christ. Jean a l’impression de revivre comme une nouvelle Pentecôte : une voix puissante comme une trompette, le souffle de l’Esprit… il est saisi… au milieu de sept chandeliers d’or, un être de lumière lui apparaît ; un « fils d’homme » ; dans le vocabulaire du Nouveau Testament, le fils de l’homme est l’une des expressions pour dire le Messie ; pour Jean, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, c’est le Christ. Alors, comme tout homme mis soudainement en présence de Dieu, Jean tombe à ses pieds et il s’entend dire « Sois sans crainte »… et il entend les paroles de victoire : « Je suis » (le nom même de Dieu)… « Je suis le Premier et le Dernier… Je suis le Vivant… le victorieux de la mort… je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. »
 Et comme toujours, ce genre de vision est vocation, pour une mission au service de ses frères : « Ecris ce que tu auras vu… » sous-entendu va encourager tes frères ; le passé, le présent, l’avenir m’appartiennent : on entend résonner ici la promesse du Christ : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25).
 ———————–
 Note
1 – Les exégètes s’entendent pour dire que l’Apocalypse de Jean a été écrite sous le règne de l’empereur Domitien (81-96). Or cet empereur ne s’est pas livré à une persécution systématique des Chrétiens. Le climat d’insécurité dans lequel vit la communauté de Jean vient peut-être d’une part des exigences du culte impérial promu par Domitien et d’autre part de l’opposition des Juifs restés réfractaires au Christianisme. C’est ce qui semble ressortir des lettres aux sept Eglises.

 Compléments
 Dans l’Ancien Testament, le message du livre de Daniel était de type apocalyptique : écrit vers 165 av.J.C. pour encourager ses frères persécutés par le roi grec Antiochus Epiphane, Daniel n’attaquait pas directement le problème : il racontait les actes d’héroïsme accomplis par des Juifs fidèles sous la persécution de Nabuchodonosor quatre cents ans plus tôt ; ce n’était qu’une leçon d’histoire, en apparence ; mais, pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair.

 Un exemple de texte de style « apocalyptique » dans l’histoire récente : au temps de la domination russe sur la Tchécoslovaquie, une jeune actrice tchèque a composé et joué de nombreuses fois dans son pays une pièce sur Jeanne d’Arc : franchement l’histoire de Jeanne d’Arc boutant les Anglais hors de France au quinzième siècle n’était pas le premier souci des Tchèques ; et si le scénario tombait entre les mains du pouvoir occupant, ce n’était pas trop compromettant ; mais pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair : ce que la jeune fille de dix-neuf ans a su faire, avec l’aide de Dieu, nous le pouvons nous aussi.

DIMANCHE 24 MARS : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE – Isaïe 50, 4-7

22 mars, 2013

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DIMANCHE 24 MARS : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Isaïe 50, 4-7
4 Dieu mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme 
 qui se laisse instruire,
 pour que je sache à mon tour 
 réconforter celui qui n’en peut plus. 
 La Parole me réveille chaque matin, 
 chaque matin elle me réveille 
 pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire.
5 Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille 
 et moi, je ne me suis pas révolté, 
 je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, 
 et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. 
 Je n’ai pas protégé mon visage des ourages et des crachats.
7 Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : 
 c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, 
 c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme pierre : 
 je sais que je ne serai pas confondu.

Depuis des années, nous avons lu et relu ces textes étonnants qui font partie du livre d’Isaïe et qu’on appelle les « Chants du Serviteur » ; ils nous intéressent tout particulièrement, nous Chrétiens, pour deux raisons : d’abord par le message qu’Isaïe lui-même voulait donner par là à ses contemporains ; ensuite, parce que les premiers Chrétiens les ont appliqués à Jésus-Christ.
Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains : une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av.J.C., pendant l’Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
 Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe ; « Ecouter » la Parole, « se laisser instruire » par elle, cela veut dire vivre dans la confiance. « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »… « La Parole me réveille chaque matin »… « J’écoute comme celui qui se laisse instruire »… « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille ».
 « Ecouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; on a pris l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne… ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu… et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.
 Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Ecoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu…? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Ecoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et Saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (c’est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8, 28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
 C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus ». En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »… Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.
 Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé… » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.
 Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour… d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille… Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages… » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu mon visage dur comme pierre »1 : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », eh bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »
 Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Ecoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
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 * Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : il dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9, 51 ; mais nos traductions disent « Jésus prit résolument la route de Jérusalem »)

Dimanche 10 mars 2013 : commentaires de Marie Noëlle Thabut

8 mars, 2013

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Dimanche 10 mars 2013 : commentaires de Marie Noëlle Thabut

PREMIERE LECTURE – Josué 5, 10- 12
Après le passage du Jourdain,
10 les fils d’Israël campèrent à Guilgal
 et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois,
 vers le soir, dans la plaine de Jéricho.
11 Le lendemain de la Pâque,
 ils mangèrent les produits de cette terre :
 des pains sans levain et des épis grillés.
12 A partir de ce jour, la manne cessa de tomber,
 puisqu’ils mangeaient les produits de la terre.
 Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël,
 qui mangèrent cette année-là
 ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan.

Tout le monde sait que Moïse n’est pas entré en Terre Promise ; il est mort au mont Nebo (c’est-à-dire au niveau de la Mer Morte du côté que nous appellerions aujourd’hui la rive Jordanienne) : mais, ne le plaignons pas, il est entré ainsi tout de suite dans la véritable Terre Promise ; ce n’est donc pas lui qui a fait entrer le peuple d’Israël en Palestine, c’est son serviteur et successeur, Josué.
 Et tout le livre de Josué est le récit de cette entrée du peuple en Terre Promise, depuis la traversée du Jourdain. S’il a fallu le traverser, c’est parce que les tribus d’Israël sont entrées en Palestine par l’Est. Ceci dit, la Bible ne fait jamais de l’histoire pour de l’histoire ; ce qui l’intéresse, ce sont les leçons de l’histoire ; on ne sait pas qui a écrit le livre de Josué, mais l’objectif est assez clair : si l’auteur du livre rappelle l’oeuvre de Dieu en faveur d’Israël, c’est pour exhorter le peuple à la fidélité.
 Dans le texte d’aujourd’hui, c’est plus vrai que jamais ; sous ces quelques lignes un peu rapides, c’est un véritable sermon qui se cache ! Un sermon qui tient en deux points : ce qu’il ne faudra jamais oublier, c’est premièrement, Dieu nous a libérés d’Egypte ; deuxièmement, si Dieu nous a libérés d’Egypte, c’était pour nous donner cette terre comme il l’avait promis à nos pères. La grande leçon c’est que nous recevons tout de Dieu ; et quand nous l’oublions, nous nous mettons nous-mêmes dans des situations sans issue.

 C’est pour cela que le texte fait des parallèles incessants entre la sortie d’Egypte, la vie au désert et l’entrée en Canaan. Par exemple, au chapitre 3 du livre de Josué, la traversée du Jourdain est racontée très solennellement comme la répétition du miracle de la Mer Rouge. Ici, dans notre texte de ce dimanche, l’auteur insiste sur la Pâque : il dit « ils célébrèrent la Pâque, le quatorzième jour du mois, vers le soir » : la célébration de la Pâque avait marqué la sortie d’Egypte et le miracle de la Mer Rouge ; cette fois-ci, la nouvelle Pâque suit l’entrée en Terre promise et le miracle du Jourdain.
 Ces parallèles sont évidemment intentionnels. Le message de l’auteur, c’est que d’un bout à l’autre de cette incroyable aventure, c’est le même Dieu qui agissait pour libérer son peuple, en vue de la Terre Promise. La méditation du livre de Josué suit de très près ici celle du Deutéronome. D’ailleurs, « JOSUE », ce n’est pas son nom, c’est un surnom donné par Moïse : au début, il s’appelait simplement « Hoshéa » (ou « Osée » si vous préférez) qui signifie « Il sauve »… Son nouveau nom, « JOSUE » (« Yeoshoua ») contient le nom de Dieu ; il signifie donc plus explicitement que c’est Dieu et Dieu seul qui sauve ! Effectivement, Josué a bien compris que ce n’est pas lui-même, pauvre homme qui, seul, peut sauver, libérer son peuple !
 Dans le même esprit, le Psaume 114/115 reprend à sa manière le parallèle entre les deux traversées miraculeuses de la mer Rouge et du Jourdain : « La mer voit et s’enfuit, le Jourdain retourne en arrière ; qu’as-tu, mer, à t’enfuir ? Jourdain, à retourner en arrière ? Tremble, terre, devant la face du Maître, devant la face du Dieu de Jacob. » Désormais la célébration annuelle de la Pâque sera le mémorial, non seulement de la nuit de l’Exode, mais aussi de l’arrivée en Terre Promise : ces deux événements n’en font qu’un seul ; c’est toujours la même oeuvre de Dieu pour libérer son peuple ! La deuxième partie du texte d’aujourd’hui est un peu surprenante, tellement le texte est laconique ; apparemment, il n’est question que de nourriture, mais là encore, il s’agit de beaucoup plus que cela : « Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. A partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient les produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan. » Ce changement de nourriture est significatif, il fait penser à un sevrage : une page de l’histoire est tournée, une nouvelle vie commence ; on dit quelque chose d’analogue pour les enfants petits : ils passent progressivement (sur le plan de l’alimentation ) de ce que l’on appelle le premier âge, à un deuxième puis un troisième et un quatrième âges…
 Ici, on a un phénomène analogue : la période du désert est terminée, avec son cortège de difficultés, de récriminations, de solutions-miracle aussi ! Désormais, Israël est arrivé sur la Terre donnée par Dieu : il ne sera plus nomade, il va devenir sédentaire, il sera un peuple d’agriculteurs ; il mangera les produits du sol. Peuple adulte, il est devenu responsable de sa propre subsistance.
 Autre leçon : à partir du moment où le peuple a les moyens de subvenir lui-même à ses besoins, Dieu ne se substitue pas à lui : il a trop de respect pour notre liberté. Mais on n’oubliera jamais la manne et on retiendra la leçon : à nous de prendre exemple sur la sollicitude de Dieu pour ceux qui ne peuvent pas (pour une raison ou une autre) subvenir à leurs propres besoins ; le Targum du Livre du Deutéronome (c’est-à-dire la traduction en araméen qui était lue dans les synagogues à partir du 6ème sièce avant notre ère, parce que de nombreux Juifs ne comprenaient plus l’hébreu) (à propos de Dt 34, 6) le dit très bien : « Dieu nous a enseigné à nourrir les pauvres pour avoir fait descendre le pain du ciel pour les fils d’Israël » ; sous-entendu à nous d’en faire autant.
 Pour finir, ne l’oublions pas : en hébreu, Josué et Jésus, c’est le même nom ; les premiers Chrétiens ont évidemment fait le rapprochement ! Du coup, la traversée du Jourdain, entrée en Terre Promise, la terre de liberté, faisait mieux comprendre le Baptême dans le Jourdain : il signe notre entrée dans la véritable terre de liberté !
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 Note
 1 – Après le retour de l’Exil à Babylone, Cyrus, nouveau maître du Moyen Orient a imposé sa langue, l’araméen, comme langue commune pour tout son empire. On a désormais pris l’habitude dans les synagogues en Israël de traduire le texte biblique hébreu en araméen. C’est cette traduction, agrémentée parfois de commentaires, que l’on appelle le « Targum ».

DIMANCHE 24 FÉVRIER: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE

22 février, 2013

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DIMANCHE 24 FÉVRIER: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Genèse 15, 5-12. 17-18

Le SEIGNEUR parlait à Abraham dans une vision.
5 Puis il le fit sortir et lui dit :
 « Regarde le ciel,
 et compte les étoiles si tu le peux… »
 Et il déclara :
 « Vois quelle descendance tu auras ! »
6 Abraham eut foi dans le SEIGNEUR,
 et le SEIGNEUR estima qu’il était juste.
7 Puis il dit :
 « Je suis le SEIGNEUR,
 qui t’ai fait sortir d’Ur en Chaldée
 pour te mettre en possession de ce pays. »
8 Abraham répondit :
 « SEIGNEUR mon Dieu, comment vais-je savoir
 que j’en ai la possession ? »
9 Le SEIGNEUR lui dit :
 « Prends-moi une génisse de trois ans,
 une chèvre de trois ans,
 un bélier de trois ans,
 une tourterelle et une jeune colombe. »
10 Abraham prit tous ces animaux,
 les partagea en deux,
 et plaça chaque moitié en face de l’autre ;
 mais il ne partagea pas les oiseaux.
11 Comme les rapaces descendaient sur les morceaux,
 Abraham les écarta.
12 Au coucher du soleil,
 un sommeil mystérieux s’empara d’Abraham,
 une sombre et profonde frayeur le saisit.
17 Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses.
 Alors un brasier fumant et une torche enflammée
 passèrent entre les quartiers d’animaux.
18 Ce jour-là, le SEIGNEUR conclut une Alliance avec Abraham

 en ces termes :

 « A ta descendance

 je donne le pays que voici. »

A l’époque d’Abraham, lorsque deux chefs de tribus faisaient alliance, ils accomplissaient tout un cérémonial semblable à celui auquel nous assistons ici : des animaux adultes, en pleine force de l’âge, étaient sacrifiés ; les animaux « partagés en deux », écartelés, étaient le signe de ce qui attendait celui des contractants qui ne respecterait pas ses engagements. Cela revenait à dire : « Qu’il me soit fait ce qui a été fait à ces animaux si je ne suis pas fidèle à l’alliance que nous contractons aujourd’hui ». Ordinairement, les contractants passaient tous les deux entre les morceaux, pieds nus dans le sang : ils partageaient d’une certaine manière le sang, donc la vie ; ils devenaient en quelque sorte « consanguins ». Pourquoi cette précision que les animaux devaient être âgés de trois ans ? Tout simplement parce que les mamans allaitaient généralement leurs enfants jusqu’à trois ans ; ce chiffre était donc devenu symbolique d’une certaine maturité : l’animal de trois ans était censé être adulte.

 Ici Abraham accomplit donc les rites habituels des alliances ; mais pour une alliance avec Dieu, cette fois. Tout est semblable aux habitudes et pourtant tout est différent, précisément parce que, pour la première fois de l’histoire humaine, l’un des contractants est Dieu lui-même.

 Commençons par ce qui est semblable : « Abraham prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les morceaux, Abraham les écarta. » La mention des rapaces est intéressante : Abraham les écarte parce qu’il les considère comme des oiseaux de mauvais augure ; cela nous prouve que le texte est très ancien : Abraham découvre le vrai Dieu, mais la superstition n’est pas loin.
 Ce qui est inhabituel maintenant : « Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux s’empara d’Abraham, une sombre et profonde frayeur le saisit. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d’animaux. » A propos d’Abraham, le texte parle de « sommeil mystérieux » : ce n’est pas le mot du vocabulaire courant ; c’était déjà celui employé pour désigner le sommeil d’Adam pendant que Dieu créait la femme ; manière de nous dire que l’homme ne peut pas assister à l’oeuvre de Dieu : quand l’homme se réveille (Adam ou Abraham), c’est une aube nouvelle, une création nouvelle qui commence. Manière aussi de nous dire que l’homme et Dieu ne sont pas à égalité dans l’oeuvre de création, dans l’oeuvre d’Alliance ; c’est Dieu qui a toute l’initiative, il suffira à l’homme de faire confiance : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste »…
 « Un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d’animaux » : la présence de Dieu est symbolisée par le feu comme souvent dans la Bible ; depuis le Buisson ardent, la fumée du Sinaï, la colonne de feu qui accompagnait le peuple de Dieu pendant l’Exode dans le désert jusqu’aux langues de feu de la Pentecôte.
 Venons-en aux termes de l’Alliance ; Dieu promet deux choses à Abraham : une descendance et un pays. Les deux mots « descendance » et « pays » sont utilisés en inclusion dans ce récit ; au début, Dieu avait dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux… Vois quelle descendance tu auras !… Je suis le SEIGNEUR qui t’ai fait sortir d’Ur en Chaldée pour te mettre en possession de ce pays » et à la fin « A ta descendance je donne le pays que voici. » Soyons francs, cette promesse adressée à un vieillard sans enfant est pour le moins surprenante ; ce n’est pas la première fois que Dieu fait cette promesse et pour l’instant, Abraham n’en a pas vu l’ombre d’une réalisation. Depuis des années déjà, il marche et marche encore en s’appuyant sur la seule promesse de ce Dieu jusqu’ici inconnu pour lui. Rappelons-nous le tout premier récit de sa vocation : « Va pour toi, loin de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation… » (Gn 12, 1). Et dès ce jour-là, le texte biblique notait l’extraordinaire foi de l’ancêtre qui était parti tout simplement sans poser de questions : « Abraham partit comme le SEIGNEUR le lui avait dit. » (Gn 12, 4).
 Ici, le texte constate : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR, et le SEIGNEUR estima qu’il était juste. » C’est la première apparition du mot « Foi » dans la Bible : c’est l’irruption de la Foi dans l’histoire des hommes. Le mot « croire » en hébreu vient d’une racine qui signifie « tenir fermement » (notre mot « Amen » vient de la même racine). Croire c’est « TENIR », faire confiance jusqu’au bout, même dans le doute, le découragement, ou l’angoisse. Telle est l’attitude d’Abraham ; et c’est pour cela que Dieu le considère comme un juste. Car, le Juste, dans la Bible, c’est l’homme dont la volonté, la conduite sont accordées à la volonté, au projet de Dieu. Plus tard, Saint Paul s’appuiera sur cette phrase du livre de la Genèse pour affirmer que le salut n’est pas une affaire de mérites. « Si tu crois… tu seras sauvé » (Rm 10, 9). Si je comprends bien, Dieu donne : il ne demande qu’une seule chose à l’homme…. y croire.

DEUXIEME LECTURE – Romains 10, 8 – 13 – COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

15 février, 2013

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DIMANCHE 17 FÉVRIER: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

DEUXIEME LECTURE – Romains 10, 8 – 13

Frères,
8 nous lisons dans l’Ecriture :
 « La Parole est près de toi,
 elle est dans ta bouche et dans ton coeur. »
 Cette Parole, c’est le message de la foi que nous proclamons.
9 Donc, si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur,
 si tu crois dans ton coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts,
 alors tu seras sauvé.
10 Celui qui croit du fond de son coeur
 devient juste ;
 celui qui, de sa bouche, affirme sa foi
 parvient au salut.
11 En effet, l’Ecriture dit :
 « Lors du jugement, aucun de ceux qui croient en lui
 n’aura à le regretter. »
12 Ainsi, entre les Juifs et les païens,
 il n’y a pas de différence :
 tous ont le même Seigneur,
 généreux envers tous ceux qui l’invoquent.
13 Il est écrit en effet :
 « Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur
 seront sauvés. »

Tout le raisonnement de Paul aboutit à la conclusion : « Entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence ». Précisons tout de suite que ces Juifs et ces païens dont parle Paul sont tous des Chrétiens : soit d’origine juive, soit d’origine païenne. Et c’est bien cela le fond de son discours : que vous soyez des Juifs convertis au christianisme, ou que vous soyez d’anciens païens convertis au christianisme, vous êtes « avant tout » des Chrétiens. « Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent. »
 Si Paul insiste, c’est que le problème était bien là. Probablement parce que, à Rome comme dans toutes les communautés chrétiennes du premier siècle, la même question s’est posée. Etait-il bien normal de traiter de la même manière des Juifs et des païens ? Que des Juifs deviennent Chrétiens, c’était évidemment conforme au plan de Dieu. Puisque Dieu avait préparé son peuple pendant de longs siècles à recevoir le Messie, une fois celui-ci venu et reconnu, tous les Juifs auraient pu devenir Chrétiens. C’était évidemment le souhait de Paul. Mais les choses se sont passées autrement. C’est une minorité seulement du peuple juif qui a adhéré à Jésus-Christ ; en revanche, ce sont des païens qui ont constitué le noyau le plus important des communautés chrétiennes. Entre ces Chrétiens d’origines si diverses (soit juive, soit païenne), la cohabitation posait inévitablement des problèmes : sur le plan des habitudes quotidiennes, tout les séparait et les sujets de discussion ne manquaient pas : la loi, la circoncision, les coutumes alimentaires.
 Plus profondément, pour certains Juifs devenus Chrétiens, c’était une affaire de principe : ils acceptaient de mauvais gré l’entrée dans l’Eglise des anciens païens, ceux qu’ils appelaient les « incirconcis ». Car Israël était le peuple élu ; c’est en son sein que devait naître le Messie ; logiquement, les Juifs devaient être les fondements de l’Eglise ; alors une question revenait souvent : accepter des non-Juifs dans l’Eglise, n’était-ce pas une infidélité à l’Alliance, à l’élection du peuple juif ?
 Cette question-là, lorsque Paul écrit aux Romains, il y a longtemps qu’il l’a résolue. Car si on fermait l’entrée de l’Eglise aux païens, si on leur refusait le baptême, cela reviendrait à dire que Jésus ne peut sauver que des Juifs. Cette position-là est évidemment intenable. Alors, comme toujours, Paul est allé chercher la solution du problème dans l’Ecriture, c’est-à-dire dans ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Et il a trouvé la réponse chez le prophète Joël : « Tous ceux qui invoqueront le nom du SEIGNEUR seront sauvés. » Joël, parlait, justement, du temps de la venue du Messie : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes gens auront des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes, en ce temps-là je répandrai mon Esprit… Alors tous ceux qui invoqueront le Nom du SEIGNEUR seront sauvés. » (Jl 3, 1 – 5).
 Argument imparable, puisque c’était dans l’Ecriture ; mais bien surprenant quand même pour les contemporains de Paul : suffit-il réellement d’invoquer le Nom de Jésus pour être sauvé ? Jusqu’ici, il fallait être circoncis et pratiquer la Loi scrupuleusement ; les choses auraient-elles changé ? Oui, répond Paul ; car Jésus-Christ, lui aussi, mérite le Nom de Seigneur !
 Désormais, tout homme qui invoque le Seigneur Jésus-Christ peut être sauvé. N’est-ce pas ce que Jésus lui-même a déclaré à Nicodème ? « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » Jésus a bien dit « tout homme ». Et il a ajouté : « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 16-17). Le monde, ici, veut bien dire « toute l’humanité ».
 Mais ce message reste dur à admettre pour certains. Alors Paul n’hésite pas à se répéter : « Celui qui (au sens de « tout homme qui ») croit du fond de son coeur devient juste ; celui qui (« tout homme qui »), de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut. »
 Première remarque de vocabulaire : dans le langage de Paul, héritier de l’Ancien testament, « devenir juste » ou être sauvé », c’est exactement la même chose. On a ici un bel exemple du parallélisme si habituel dans les textes bibliques. Deuxième remarque de vocabulaire : entendons-nous sur le sens du mot « croire » ici : le parallèle entre « bouche » et « coeur », sur lequel Paul insiste, dit bien que la foi n’est pas affaire d’opinion ; en employant le mot coeur, selon le sens que ce mot avait à l’époque, il vise la profondeur de l’engagement de toute la personne. Ainsi, aux yeux de Paul, une autre phrase de l’Ecriture est désormais accomplie ; le livre du Deutéronome affirmait : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur. » Au temps du Deutéronome, il s’agissait de la Loi qu’il fallait pratiquer, maintenant dit Paul, cette parole, c’est tout simplement le message de la foi en Jésus-Christ. 
 La voilà, la Bonne Nouvelle que Paul adresse à ceux qui ont reçu le Baptême : sans mérites de notre part, le salut nous est donné gratuitement par Dieu ; il nous faut simplement l’accueillir librement dans la foi : « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé. Celui qui croit du fond de son coeur devient juste, celui qui, de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut. »

DIMANCHE 10 FÉVRIER: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE – Isaïe 6, 1…8

8 février, 2013

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DIMANCHE 10 FÉVRIER: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Isaïe 6, 1…8

1 L’année de la mort du roi Ozias,
 je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ;
 les pans de son manteau remplissaient le Temple.
 2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui.
3 Ils se criaient l’un à l’autre :
 « Saint, Saint, Saint, le SEIGNEUR Dieu de l’univers.
 Toute la terre est remplie de sa gloire. »
4 Les pivots des portes se mirent à trembler
 à la voix de celui qui criait,
 et le Temple se remplissait de fumée.
5 Je dis alors :
 « Malheur à moi ! Je suis perdu,
 car je suis un homme aux lèvres impures,
 j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ;
 et mes yeux ont vu le Roi, le SEIGNEUR de l’univers ! »
6 L’un des séraphins vola vers moi,
 tenant un charbon brûlant
 qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel.
7 Il l’approcha de ma bouche et dit :
 « Ceci a touché tes lèvres,
 et maintenant ta faute est enlevée,
 ton péché est pardonné. »
8 J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait :
 « Qui enverrai-je ?
 Qui sera notre messager ? »
 Et j’ai répondu :
 « Moi, je serai ton messager :
 envoie-moi. »

La semaine dernière, nous lisions le récit de la vocation de Jérémie, aujourd’hui, celle d’Isaïe ; deux très grands prophètes à nos yeux. Et pourtant, l’un comme l’autre avouent leur petitesse : Jérémie se sent incapable de parler, mais puisque Dieu a pris l’initiative de le choisir, c’est Dieu aussi qui l’inspirera et lui donnera la force nécessaire. Isaïe, lui, est saisi par un sentiment d’indignité ; mais là encore, puisque c’est Dieu qui l’a choisi, c’est Dieu aussi qui le purifiera.
 Jérémie était prêtre et nous ne savons pas où il a reçu l’appel de Dieu ; curieusement, c’est Isaïe qui n’était pas prêtre, qui situe sa vocation au Temple de Jérusalem : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ». Quand Isaïe nous dit « je vis », cela veut dire qu’il s’agit non pas d’un récit, mais d’une vision ; ne cherchons donc pas dans son évocation un déroulement logique d’événements. Les livres prophétiques sont émaillés de visions fantastiques : à nous de décoder ce langage extrêmement suggestif, même s’il surprend notre mentalité contemporaine.
 Isaïe nous dit qu’en ce qui le concerne, cela s’est passé « l’année de la mort du roi Ozias » : c’est une indication précieuse. Il est rare que nous puissions évoquer des dates avec autant de précision ; cette fois, nous le pouvons car on sait que le roi Ozias a régné à Jérusalem de 781 à 740 av J.C. Depuis la mort du roi Salomon (en 933, c’est-à-dire depuis près de deux cents ans), le royaume de David et de Salomon est divisé : il y a deux royaumes, deux rois, deux capitales : au Sud, Ozias est roi de Jérusalem, au Nord, Menahem est roi de Samarie. On sait également que Ozias était lépreux et qu’il est mort de cette maladie à Jérusalem en 740. C’est donc cette année-là qu’Isaïe a reçu sa vocation de prophète : ensuite, il a prêché pendant environ quarante ans (là on est moins précis) et il est resté dans la mémoire collective d’Israël comme un très grand prophète et en particulier le prophète de la sainteté de Dieu.1
 « Saint, Saint, Saint le SEIGNEUR, Dieu de l’univers. Toute la terre est remplie de sa gloire » : vous avez reconnu le Sanctus de nos messes. Il date donc au moins du prophète Isaïe. (Peut-être cette acclamation faisait-elle déjà partie de la liturgie au Temple de Jérusalem, mais on n’en a pas la preuve ; on a seulement retrouvé des expressions équivalentes plus anciennes en Egypte).
 Dire que Dieu est « Saint », au sens biblique, c’est dire qu’il est Tout Autre que l’homme. Dieu n’est pas à l’image de l’homme ; bien au contraire, la Bible affirme l’inverse : c’est l’homme qui est « à l’image de Dieu » ; ce n’est pas la même chose ! Cela veut dire que nous devrions rester très modestes et très prudents chaque fois que nous parlons de Dieu ! Parce que Dieu est le Tout Autre, il nous est radicalement, irrémédiablement impossible de l’imaginer tel qu’il est, nos mots humains ne peuvent jamais rendre compte de lui. 2
 La première partie de la vision d’Isaïe dit bien cette prise de conscience fondamentale ; et ce qu’il nous décrit ressemble étrangement à d’autres évocations des grandes manifestations de Dieu dans la Bible : Dieu est assis sur un trône très élevé, une fumée se répand et remplit tout l’espace, une voix tonne… elle tonne si fort que les lieux tremblent… Isaïe ne peut pas s’empêcher de penser à ce qui s’était passé pour Moïse sur la montagne du Sinaï, au moment où Dieu avait fait alliance avec son peuple et donné les tables de la Loi ; c’est le livre de l’Exode qui raconte : « Le mont Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s’amplifia : Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19, 18-19).
 L’homme Isaïe mesure alors sa petitesse et il ressent comme une sorte de crainte : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le SEIGNEUR de l’univers ! » Cette « crainte », comme découverte de notre petitesse, du fossé infranchissable qui nous sépare de Dieu si Dieu lui-même ne le comble pas, est une première étape indispensable dans notre relation à Dieu. Mais Dieu n’en reste pas là. D’ordinaire, dans la Bible, il y a toujours cette parole de la part de Dieu : « ne crains pas »… Ici, la parole n’est pas dite mais elle est remplacée par un geste très suggestif : un des séraphins, un de ceux qui, justement, proclament la sainteté de Dieu, va accomplir le geste qui purifie l’homme, qui comble le fossé, qui permet à l’homme d’entrer en relation avec Dieu : « L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche… » Manière de dire que c’est Dieu qui prend l’initiative de se faire proche de l’homme ; ce fossé qui nous sépare de Dieu, c’est Dieu lui-même qui le comble.
 Quand Isaïe parlera de Dieu, plus tard, il lui arrivera souvent de l’appeler « Le Saint d’Israël » : cette expression dit bien que Dieu est le Saint, le Tout-Autre, mais aussi qu’il s’est fait proche de son peuple, puisque celui-ci peut aller jusqu’à revendiquer une relation d’appartenance (Dieu est « Le Saint d’Israël »). Cette relation qui s’instaure alors à l’initiative de Dieu peut être très profonde puisqu’ici pour Isaïe, il s’agit d’une mission de confiance : il s’agit de devenir rien moins que le porte-parole de Dieu. On dit parfois des prophètes qu’ils sont la bouche même de Dieu ; au fait, si on y réfléchit, la même expression peut désormais nous être appliquée depuis notre baptême…
 … de quoi nous laisser rêveurs !
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 NOTES
 1 – Le livre qui porte le nom d’Isaïe comporte soixante-six chapitres : ce n’est pas l’œuvre d’un seul homme, mais un ensemble de trois recueils.
 Les chapitres 1 à 39 sont l’œuvre du prophète qui nous relate ici sa vocation ; les chapitres 40 à 55 sont l’œuvre d’un prophète qui prêchait pendant l’Exil à Babylone (au sixième siècle avant notre ère) ; les chapitres 56 à 66 rapportent la prédication d’un troisième prophète, contemporain de la période du retour de l’Exil.
 2 – La sainteté n’est pas une notion morale, ni même un attribut de Dieu, elle est sa nature même ; car l’adjectif « divin » n’existe pas en hébreu, il est remplacé par le mot « Saint » qui signifie Tout-Autre (sous-entendu Tout-Autre que l’homme), celui que nous ne pouvons jamais atteindre par nous-mêmes, celui qui nous dépasse infiniment, à tel point que nous n’avons aucune prise sur lui. Ce que le prophète Osée traduisait : « Je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis Saint. » (Os 11, 9). Pour cette raison, dans la Bible, aucun humain n’est jamais considéré comme saint, tout au plus peut-on être « sanctifié » par Dieu et, de ce fait, refléter son image, ce qui est de tout temps notre vocation ultime.
 Et, bien évidemment, nous ne pouvons pas imaginer quelqu’un qui est Tout-Autre que nous-mêmes. D’où la réaction d’effroi du prophète Isaïe : « Je ne suis qu’un homme aux lèvres impures et mes yeux ont vu le roi, le SEIGNEUR de l’univers ».

Dimanche 23 décembre: commentaires de Marie Noëlle Thabut – premiere et deuxieme lectures

21 décembre, 2012

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Dimanche 23 décembre: commentaires de Marie Noëlle Thabut

PREMIERE ET DEUXIEME LECTURES

PREMIERE LECTURE – Michée 5, 1-4

Parole du Seigneur.
1 Toi, Bethléem Ephrata,
 le plus petit des clans de Juda,
 c’est de toi que je ferai sortir
 celui qui doit gouverner Israël.
 Ses origines remontent aux temps anciens,
 à l’aube des siècles.
2 Après un temps de délaissement,
 viendra un jour où enfantera
 celle qui doit enfanter,
 et ceux de ses frères qui resteront
 rejoindront les enfants d’Israël.
3 Il se dressera et il sera leur berger
 par la puissance du SEIGNEUR,
 par la majesté du nom du SEIGNEUR son Dieu.
 Ils vivront en sécurité, car désormais sa puissance s’étendra
 jusqu’aux extrémités de la terre,
4 et lui-même, il sera la paix !

Nous avons vu déjà souvent que les prophètes emploient deux types de langage : premier langage, les avertissements pour ceux qui se laissent aller, qui oublient l’Alliance avec Dieu et ses exigences : le prophète est là pour les avertir qu’ils sont en train de fabriquer eux-mêmes leur propre malheur… deuxième langage, les encouragements pour ceux qui essaient de rester fidèles mais qui risquent bien de se décourager à la longue. Et c’est aussi difficile d’écouter les encouragements quand on n’en peut plus que d’accepter les reproches quand ils sont mérités. Le texte que nous avons sous les yeux est bien évidemment de la deuxième veine, celle des encouragements. Où trouve-t-on la preuve qu’on est en période difficile et qu’on est bien près de se décourager ? Quand le prophète écrit « Après un temps de délaissement », il est évident qu’il fait allusion à la période qu’on est en train de vivre ; très certainement le peuple se sent délaissé par Dieu. Et il en vient à dire : toutes les belles promesses qu’on nous a répétées depuis des siècles, ce n’étaient que de belles paroles. Le roi idéal qu’on nous a promis, il n’est pas encore né ! Il ne verra jamais le jour.
 De quelle période historique s’agit-il ? On ne le sait pas trop : le prophète Michée a vécu au huitième siècle dans la région de Jérusalem, à l’époque où l’empire assyrien était très inquiétant ; et les rois de l’époque ne ressemblaient guère au portrait idéal du roi-Messie qu’on attendait ; on pouvait bien se croire délaissés ; ce texte pourrait donc être de Michée. Mais, pour des quantités de raisons, de langue, de style, de vocabulaire, beaucoup pensent que ce texte, dans sa forme actuelle, est très tardif et qu’il aurait été inséré a posteriori dans le livre de Michée.1 A ce moment-là, les raisons du découragement seraient dans la disparition de la royauté ; depuis l’exil à Babylone, le trône de Jérusalem n’existe plus, David n’a plus de descendant ; on vit presque sans discontinuer sous domination étrangère. C’est bien à ce moment-là, justement, qu’on a éprouvé le plus urgent besoin de se rappeler les promesses concernant le Messie.
 Notre prophète (que ce soit Michée ou un autre ne change pas le sens) répond : vous vous croyez délaissés, mais pourtant, soyez bien certains que le projet de Dieu se réalisera. Le Messie naîtra : « Après un temps de délaissement, viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter ». En français, cette phrase pourrait sembler du fatalisme ; mais c’est tout le contraire : « viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter », cela signifie que cela doit arriver, non pas par nécessité, mais c’est une certitude. Simplement parce que Dieu l’a promis. « Celle qui doit enfanter », cela veut dire : celle qui est prévue pour cela dans le plan de Dieu. Et alors, il faut comprendre que le temps de délaissement apparent qu’on est en train de vivre n’est qu’un moment dans le déroulement de l’histoire humaine.
 Pourquoi cette insistance sur Bethléem ? « Toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël. » Il y a deux raisons : premièrement, on sait que le Messie doit être de la descendance de David ; or c’est à Bethléem que le prophète Samuel était venu, sur ordre de Dieu, choisir un roi parmi les huit fils de Jessé… Donc, pour des oreilles habituées, le seul nom de Bethléem évoquait la promesse du Messie.
 Deuxièmement, le contraste est voulu entre la grande et orgueilleuse Jérusalem et l’humble bourgade de Bethléem : « le plus petit des clans de Juda ». Un prophète ne peut pas manquer d’épingler cela ! C’est dans la petitesse, la faiblesse que la puissance de Dieu se manifeste. Selon sa méthode habituelle, Dieu choisit les petits pour faire de grandes choses. Et ce n’est certainement pas par hasard que le prophète accole le nom Ephrata à celui de Bethléem : car Ephrata signifie « féconde » ; ce nom était en fait le nom d’un clan seulement parmi tous ceux qui étaient installés dans la région de Bethléem ; mais, désormais, c’est Bethléem tout entière qui sera appelée « féconde ».
 Cette prophétie de Michée sur la naissance du Messie à Bethléem était certainement bien connue du peuple juif. La preuve en est que, dans l’épisode des rois Mages (Mt 2, 6), Matthieu nous rapporte que les scribes ont cité au roi Hérode la phrase de Michée pour guider la route des Mages vers Bethléem. Mais qui s’est souvenu ensuite que Jésus était bien né à Bethléem ? Pour beaucoup des contemporains de Jésus, il était le Nazaréen ; pour ceux-là, il était impensable que ce Galiléen soit le Messie. On en a la preuve dans l’évangile de Jean par exemple : quand on a commencé à se poser sérieusement des questions au sujet de Jésus, quand certains ont commencé à dire « il est peut-être le Christ ? », on répondait : « Mais voyons… le Christ ne peut pas venir de Galilée, Michée l’a bien dit… » ; voici ce passage : « Parmi les gens de la foule qui avaient écouté les paroles de Jésus, les uns disaient : Vraiment, voici le Prophète ! D’autres disaient : le Christ, c’est lui. Mais d’autres encore disaient : le Christ pourrait-il venir de Galilée ? L’Ecriture ne dit-elle pas qu’il sera de la lignée de David et qu’il viendra de Bethléem, la petite cité dont David était originaire ? C’est ainsi que la foule se divisa à son sujet. » (Jn 7, 40 – 43).
 Revenons aux paroles de Michée ; il reprend les termes de la fameuse promesse, toujours la même, répétée au long des siècles depuis David : un roi naîtra dans la descendance de David ; tel un berger, il fera régner la justice et la paix. Et pas seulement sur Jérusalem : le prophète insiste comme à plaisir sur l’extension de la paix promise : c’est l’humanité tout entière qui est concernée dans l’espace et dans le temps : dans l’espace « Ils vivront en sécurité, car désormais sa puissance s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre »… dans le temps puisque « ses origines remontent aux temps anciens, à l’aube des siècles ». Le dessein bienveillant de Dieu est vraiment pour tous les hommes de tous les temps !
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 Note
 1 – La note d’universalisme très marquée au verset 3 s’explique mieux si cette prédication (insérée dans le livre de Michée) n’est pas du prophète Michée lui-même (au huitième siècle av.J.C.), mais d’un disciple postérieur : car l’universalisme du projet de Dieu (tout comme le monothéisme strict dont il est le corollaire) n’a été compris que pendant l’Exil à Babylone probablement.

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DEUXIEME LECTURE – Hébreux 10, 5-10

Frères,
5 en entrant dans le monde,
 le Christ dit, d’après le Psaume :
 Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes,
 mais tu m’as fait un corps.
6 Tu n’as pas accepté les holocaustes
 ni les expiations pour le péché ;
7 alors je t’ai dit :
 Me voici, mon Dieu,
 je suis venu pour faire ta volonté,
 car c’est bien de moi que parle l’Ecriture.
8 Le Christ commence donc par dire :
 Tu n’as pas voulu ni accepté
 les sacrifices et les offrandes,
 les holocaustes et les expiations pour le péché
 que la Loi prescrit d’offrir.
9 Puis il déclare :
 Me voici, je suis venu pour faire ta volonté.
 Ainsi, il supprime l’ancien culte pour établir le nouveau.
10 Et c’est par cette volonté de Dieu que nous sommes sanctifiés,
grâce à l’offrande que Jésus a faite de son corps, 
 une fois pour toutes.

Par deux fois, dans ces quelques lignes, nous avons entendu la même phrase : « Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté » ; elle est extraite du psaume 39/40. Quelques mots, d’abord, sur ce psaume : c’est un psaume d’action de grâces ; il commence par décrire le danger mortel auquel le peuple d’Israël a échappé : « D’un grand espoir j’espérais le SEIGNEUR : il s’est penché vers moi pour entendre mon cri. Il m’a tiré de l’horreur du gouffre, de la vase et de la boue ; il m’a fait reprendre pied sur le roc, il a raffermi mes pas. » Ce dont il est question ici, c’est la sortie d’Egypte ! Et c’est pour cette libération qu’on rend grâce. Le psaume continue : « Dans ma bouche, il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu. » Et un peu plus loin : « Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté ». Traduisez : la meilleure manière de rendre grâce à Dieu, ce n’est pas de lui offrir des sacrifices, c’est de nous rendre disponibles pour faire sa volonté.
 Car, en définitive, ce « me voici », c’est la seule réponse que Dieu attend du coeur de l’homme ; c’est le fameux « me voici » des grands serviteurs de Dieu ; c’est celui d’Abraham, pour commencer, au moment du sacrifice d’Isaac ; entendant la voix de Dieu qui l’appelait, il a répondu simplement « me voici » ; et cette disponibilité du patriarche a toujours été donnée en exemple aux fils d’Israël : l’épisode que nous appelons le « sacrifice d’Isaac » (Gn 22) est considéré comme un modèle alors qu’on sait bien qu’Isaac n’a pas été immolé ; preuve qu’on a compris depuis longtemps que la disponibilité vaut mieux que tous les sacrifices.
 Un autre célèbre « me voici », ce fut celui de Moïse au buisson ardent ; et cette disponibilité a suffi à Dieu pour faire de ce berger qui se disait bègue le grand chef de peuple qu’il est devenu.
 Quelques siècles plus tard, au temps des Juges, un autre « Me voici » fut celui du petit Samuel, celui qui devait devenir un grand prophète du peuple d’Israël. Rappelez-vous le récit de sa vocation : il avait été consacré par ses parents au service de Dieu dans le sanctuaire de Silo auprès du prêtre Eli, et il habitait avec le vieux prêtre. Une nuit, il avait entendu à plusieurs reprises une voix qui l’appelait ; ce ne pouvait être que le prêtre, bien sûr ; et par trois fois, l’enfant s’était levé précipitamment pour répondre au prêtre « tu m’as appelé, me voici ». Et celui-ci, chaque fois, répondait « mais non, je ne t’ai pas appelé ». A la troisième fois, le prêtre avait compris que l’enfant ne rêvait pas et lui avait donné ce conseil : « la prochaine fois que la voix t’appellera, tu répondras : Parle SEIGNEUR, ton serviteur écoute. » (1 S 3, 1-9). Et Samuel est resté dans la mémoire d’Israël comme un modèle de disponibilité à la volonté de Dieu. C’est lui qui, quelques années après cette nuit mémorable, devenu adulte, a osé dire au premier roi d’Israël (Saül) cette phrase superbe : « Le SEIGNEUR aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à la parole du Seigneur ? Non ! L’obéissance est préférable au sacrifice, la docilité à la graisse des béliers. » (1 S 15, 22). L’idéal de Samuel c’était tout simplement d’être un humble serviteur de Dieu, ce qu’il fut pendant de nombreuses années.
 Et vous savez bien que le titre de « serviteur » de Dieu est le plus beau compliment que l’on puisse faire à un croyant dans la Bible. Au point que, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, dans les pays de langue grecque, on aimait donner à son enfant le prénom de « Christodule » (christodoulos) qui veut dire « serviteur du Christ » ! (Il y a un monastère de saint Christodule à Patmos, par exemple).
 Cette insistance sur la disponibilité nous donne une double leçon à la fois très encourageante et terriblement exigeante : si Dieu ne sollicite que notre disponibilité, cela signifie que chacun, chacune de nous, tels que nous sommes, peut être utile pour le Royaume de Dieu ; voilà qui est encourageant et merveilleux. Mais, deuxième conséquence, cela veut dire également que, lorsqu’un engagement de service nous est demandé, nous ne pourrons plus jamais nous abriter derrière nos arguments habituels : notre ignorance, notre incompétence ou notre indignité !
 L’auteur de la Lettre aux Hébreux reprend donc le texte du psaume 39/40 et il sait bien qu’il parle au nom du peuple tout entier ; mais il l’applique à Jésus-Christ, car personne mieux que lui ne peut dire en toute vérité : « Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi que parle l’Ecriture. » Notons bien que la disponibilité du Christ à la volonté du Père ne commence pas au soir du Jeudi-Saint. Ce n’est donc pas seulement la mort du Christ qui est la matière de son offrande, mais sa vie tout entière, l’amour donné à tous au jour le jour, depuis le début de sa vie : « En entrant dans le monde, le Christ dit… tu m’as fait un corps… me voici. » (v. 5-7 citant encore le psaume 39/40).
 Désormais, bien sûr, le Corps du Christ, que nous sommes, n’a rien d’autre à faire que de continuer chaque jour à dire « me voici »… (et à agir en conséquence évidemment).
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 Compléments
 - « La disponibilité vaut mieux que tous les sacrifices » : cette formule hébraïque ne signifie pas que l’on devrait supprimer les sacrifices ; mais que ceux-ci perdent leur sens s’ils ne sont pas accompagnés par une vie de disponibilité et de service de Dieu et des hommes.
 - Dans un contexte de lutte contre les idoles, on parlait aussi du « sacrifice des lèvres » ; c’est-à-dire une prière et une louange adressées au seul Dieu d’Israël. Parce que cela pouvait bien arriver qu’on offre de coûteux sacrifices au temple de Jérusalem tout en continuant à adresser des prières à d’autres dieux ; si cela ne fait pas de bien, cela ne fait pas de mal, comme on dit ; les prophètes étaient très sévères là-dessus, parce que cela fait du mal justement, contrairement à ce qu’on croit ! Offrir à Dieu le « sacrifice des lèvres » c’était lui appartenir sans partage. Et cela valait mieux, on le savait, que tous les sacrifices d’animaux. Il suffit de lire Osée par exemple : « En guise de taureaux, nous t’offrirons en sacrifice les paroles de nos lèvres. » (Os 14,3). Et en écho le psaume 50/51 : « Offre à Dieu la louange comme sacrifice et accomplis tes voeux envers le Très-Haut… Qui offre la louange comme sacrifice me glorifie. » (Ps 50/51, 14. 23).
 - En matière de disponibilité comme unique condition pour le service de Dieu, on en a un bel exemple avec l’histoire de Jacob : ce n’était pas un « enfant de choeur », et le récit biblique ne fait rien pour atténuer sa malhonnêteté parfois ! Mais il avait une qualité majeure, la soif de Dieu. C’est cela qui lui a permis d’entrer dans la grande chaîne des serviteurs du projet de Dieu.

dimanche 16 décembre, commentaires de Marie Noëlle Thabut : Sophonie 3, 14 – 18

14 décembre, 2012

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dimanche 16 décembre : commentaires de Marie Noëlle Thabut

PREMIERE LECTURE – Sophonie 3, 14 – 18

14 Pousse des cris de joie, fille de Sion !
 Eclate en ovations, Israël !
 Réjouis-toi, tressaille d’allégresse,
 fille de Jérusalem !
15 Le SEIGNEUR a écarté tes accusateurs,
 il a fait rebrousser chemin à ton ennemi.
 Le roi d’Israël, le SEIGNEUR, est en toi. 
Tu n’as plus à craindre le malheur.
16 Ce jour-là, on dira à Jérusalem :
 « Ne crains pas, Sion !
 Ne laisse pas tes mains défaillir !
17 Le SEIGNEUR ton Dieu est en toi,
 c’est lui, le héros qui apporte le salut.
 Il aura en toi sa joie et son allégresse,
 il te renouvellera par son amour ;
 il dansera pour toi avec des cris de joie,
18 comme aux jours de fête. »

« Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête » (v. 17-18). Cette phrase-là, à elle toute seule, nous prouve que, dès l’Ancien Testament, les prophètes ont bien annoncé que Dieu est amour. Ce qui veut dire, au passage, que nous commettons un contresens quand nous disons que seul le Nouveau Testament parle d’un Dieu d’amour ! Le Dieu qui nous est présenté dans ce texte de Sophonie est tellement proche de son peuple qu’il danse avec lui !
 La « danse » de Dieu…! Il faut quand même l’audace d’un prophète pour écrire noir sur blanc « Dieu dansera pour toi (entendez son peuple) avec des cris de joie » ! Nous ne sommes pas tellement habitués à de telles expressions ; mais puisque par les prophètes, c’est Dieu qui parle, il faut prendre cette phrase très au sérieux ! Or avec qui préfère-t-on danser ? Avec celle qu’on aime évidemment ! Voilà l’extraordinaire Bonne Nouvelle de ce dimanche : Jérusalem et avec elle toute l’humanité est la bien-aimée de Dieu !
 Ces propos de Sophonie sont bien audacieux et il a fallu des siècles de Révélation biblique (c’est-à-dire de pédagogie de Dieu) pour en arriver là. La Révélation de Dieu comme Epoux, n’a pu se faire qu’après des siècles d’histoire biblique ; au début de l’Alliance entre Dieu et son peuple, cette notion aurait été trop ambiguë. Les autres peuples ne concevaient que trop facilement leurs dieux à l’image des hommes et de leurs histoires de famille ; dans une première étape de la Révélation, il fallait donc déjà découvrir le Dieu tout-Autre que l’homme et entrer dans son Alliance.
 C’est le prophète Osée (au huitième siècle) qui, le premier, a parlé de l’Alliance entre Dieu et son peuple, non plus seulement comme d’un contrat, fait d’engagement et de fidélité mutuelle, comme tout contrat, mais comme d’un véritable lien d’amour, celui des fiançailles. Tous les prophètes ultérieurs, le premier Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, le deuxième et le troisième Isaïe ont développé ce thème des noces entre Dieu et son peuple ; et on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces : les noms tendres, la robe nuptiale, la couronne de mariée, la fidélité… Le troisième Isaïe (au sixième siècle) poussera l’audace jusqu’à employer le mot « désir » (au sens de désir amoureux) pour traduire les sentiments de Dieu à l’égard de son peuple.
 Quant au Cantique des Cantiques, long dialogue amoureux, composé de sept poèmes, nulle part il n’identifie les deux amoureux qui s’y expriment ; mais les Juifs le considèrent comme le dialogue entre Dieu et son peuple ; la preuve, c’est qu’ils le lisent tout spécialement au cours de la semaine de la célébration de la Pâque, la grande fête de l’Alliance de Dieu avec son peuple.
 Mais, si elles nous remplissent d’émerveillement, ces audaces des prophètes sont empreintes également de gravité et d’exigence. Car, si le peuple d’Israël peut être comparé à une épouse, toute infidélité à l’Alliance n’est plus seulement un manquement à un contrat, cela devient un véritable adultère ! On lit donc chez eux également tout le vocabulaire de la jalousie, l’ingratitude, la tromperie, les retrouvailles. Ce qu’ils appellent les infidélités du peuple, ce sont ses retombées dans l’idolâtrie.
 Revenons à Sophonie : c’est un prophète du septième siècle av.JC., à Jérusalem, sous le règne du roi Josias (monté sur le trône en 640). Son livre est très court, il ne couvre que cinq pages dans la Bible, notes comprises…! Mais il est très dense et certaines de ses pages sont devenues célèbres ; Sophonie appelle le roi et le peuple à la conversion : « Recherchez le SEIGNEUR, vous tous, les humbles de la terre, qui mettez en pratique le droit qu’il a établi ; recherchez la justice, recherchez l’humilité, peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du SEIGNEUR. » (So 2, 3). De conversion, il y en a grand besoin : sous les règnes précédents (des deux rois Manassé, 687-642, et Amon, 642-640), tous les commandements de Dieu ont été bafoués comme à plaisir ! (idolâtries, violences, fraudes, mensonges, injustices sociales, orgueil des puissants, écrasement des pauvres)… On pourrait résumer en disant : « tout ce qui déplaît à Dieu, on le fait ».
 Et Sophonie ne se prive pas de dénoncer : par exemple : « ceux qui se prosternent devant le SEIGNEUR tout en jurant par leur dieu Mélek » (1, 5) ; (ce qui revient à les accuser d’idolâtrie doublée d’hypocrisie!). Ou encore « ceux qui remplissent la maison de leur Seigneur du produit de la violence et de la fourberie. » (1, 9). Et au début du chapitre 3 : « Au milieu de Jérusalem, ses ministres sont des lions rugissants ; ses juges, des loups au crépuscule, qui n’ont plus rien à ronger au matin (parce que leur voracité est telle qu’ils engloutissent rapidement leurs proies !). Ses prophètes sont des vantards, des tricheurs ; ses prêtres ont profané ce qui est sacré, ils ont violé la loi. » (3, 3 – 4).
 Sophonie va donc user des deux langages habituels des prophètes : la menace contre ceux qui font du mal ; les encouragements pour ceux qui essaient de rester fidèles. Et autant il sera violent dans ses menaces, autant il sera encourageant et optimiste pour les fidèles, ceux qu’il appelle les humbles.
 Premier langage : la violence dans les menaces, vous la connaissez, et malheureusement, on n’a souvent retenu que cela : c’est d’un texte de Sophonie qu’est tiré le fameux chant « Dies Irae, dies Illa… » (Jour de colère que celui-là), un chant que tous les auteurs de Requiem ont mis en musique ! Jour de colère… le risque, en chantant ce texte, c’est de croire qu’il faut avoir peur de la fin du monde …! Ce qui serait encore un contresens : car la colère de Dieu est toujours seulement contre le mal, contre ce qui fait le malheur de l’homme… puisque le seul but de Dieu, c’est le bonheur de l’humanité.
 Deuxième langage, les encouragements : le texte d’aujourd’hui est de ceux-là. Et à qui s’adresse-t-il ? Au peuple d’Israël, et particulièrement à Jérusalem (Sion est le nom de la colline de Jérusalem sur laquelle Salomon a bâti le Temple qui devait être le symbole de la Présence de Dieu) : « Pousse des cris de joie, fille de Sion » : « Fille de Sion » veut dire Sion tout simplement c’est-à-dire Jérusalem et à travers elle le peuple élu. (C’est l’une des particularités de l’hébreu : nous avons rencontré récemment ce genre d’expression en hébreu avec le texte de Daniel qui parlait d’un fils d’homme, ce qui voulait dire « homme »).
 « Fille de Sion, réjouis-toi, car le Seigneur est en toi, en vaillant Sauveur » ; ce chant habite nombre de nos fêtes, mais savons-nous qu’il est inspiré du prophète Sophonie ? Plus étonnant, cette annonce apparemment triomphante est prononcée à une époque où ni la ville sainte, ni le peuple ne se montrent dignes de telles déclarations. Mais notre indignité ne saurait éteindre l’amour de Dieu !
 Le discours de Sophonie à l’adresse de Jérusalem est donc un encouragement à la conversion. Il faut se remettre en mémoire les versets qui précèdent juste la lecture d’aujourd’hui : « En ce jour-là, tu n’auras plus à rougir de toutes tes mauvaises actions, de ta révolte contre moi ; car à ce moment, j’aurai enlevé du milieu de toi tes vantards orgueilleux, et tu cesseras de faire l’arrogante sur ma montagne sainte. Je maintiendrai au milieu de toi un reste de gens humbles et pauvres ; ils chercheront refuge dans le Nom du SEIGNEUR. Le reste d’Israël ne commettra plus d’iniquité ; ils ne diront plus de mensonges, on ne surprendra plus dans leur bouche de langage trompeur : mais ils paîtront et se reposeront sans personne pour les faire trembler. » (So 3, 11-13). Alors de ce reste d’Israël converti naîtra la nouvelle Jérusalem : elle accomplira enfin sa vocation d’être la ville de la Présence de Dieu, et n’aura plus rien à craindre de personne. Ce que Sophonie traduit par l’expression : « Le SEIGNEUR ton Dieu est en toi ! » Ce qui, si l’on y réfléchit bien, est une reprise pure et simple des promesses de Dieu au Sinaï. C’est le sens même du Nom de Dieu (YHVH que nous traduisons par SEIGNEUR) révélé à Moïse.
 On retrouve là une grande parenté avec d’autres prophètes de la même époque ; Joël par exemple : « Mon peuple ne connaîtra plus la honte, jamais. Vous saurez que je suis au milieu d’Israël, moi, et que je suis le SEIGNEUR, votre Dieu, et qu’il n’y en a point d’autre. » (Jl 2, 26 – 27). Des siècles plus tard, dans une autre période de morosité, le livre de Zacharie reprendra textuellement la phrase de Sophonie : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !… » (Za 9, 9). Parce que Dieu n’a éternellement qu’une seule chose à dire à son peuple : « Ne crains pas, le Seigneur ton Dieu est en toi. »
 Encore quelques siècles, et le messager de Dieu viendra dire à une fille d’Israël : « Réjouis-toi, Marie… Le Seigneur est avec toi ». Et grâce à elle nous verrons Dieu parmi les hommes. Saint Jean pourra dire : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » (Jn 1, 14).

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