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3. LES DEBUTS DU CHANT LITURGIQUE CHRETIEN

5 novembre, 2015

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3. LES DEBUTS DU CHANT LITURGIQUE CHRETIEN

3.1. LES ORIGINES 3.1.1.La musique juive ancienne La tradition de la musique juive telle qu’elle se pratiquait en Israël du temps de Jésus a été perdue au moment de la prise de Jérusalem sous Titus et de la dispersion des juifs (diaspora, 71 après J‐C). Il y avait deux sortes de musique juive : ™La musique du temple de Jérusalem, où l’on employait des instruments très bruyants, cuivres, cymbales, cornes ; ™le chant des synagogues, sans accompagnement, probablement récitation modulée, au rythme libre, non métrique, de l’écriture sainte. Après l’exil babylonien, Ezéchiel et Néhémie développèrent la prière, l’étude et la récitation de la parole écrite avec un sens aigu du commentaire et de l’analyse de textes. L’introduction par Ezra de lectures publiques et hebdomadaires de l’écriture sainte amena une stylisation mélodique des phrases sous forme de récitatif, de chant ou de cantillation. C’est dans les synagogues que s’opéra le passage définitif du sacrifice à la prière comprenant des commentaires de textes, des psaumes, des supplications et des bénédictions. Les formes de chant se développèrent dans trois directions : la psalmodie, la leçon et la prière. Le chant psalmodique était une conséquence de leur forme littéraire qui conduisit à un schéma monotonique accompagné de petits ornements indiqués par des signes ekphoniques dont le système se perpétua dans les chants byzantin et grégorien. L’ambiance des assemblées religieuses juives était cependant très différente de celle que l’on connaît de nos jours. Le chant était alors un moyen d’extériorisation, de convergence des cœurs et de la pensée dans une certaine excitation. Telle fut sans doute aussi l’atmosphère des toutes premières réunions de chrétiens, animées par les prophéties des assistants inspirés (St Paul les mentionnent dans sa lettre aux Corinthiens) et le chant des cantiques dont parle Pline dans sa lettre à Trajan. La lutte pour l’intériorisation du chant liturgique s’est poursuivie à travers tout le Moyen Age. Grâce aux découvertes de Suzanne Haïk‐Ventura, qui est arrivée à déchiffrer les signes inscrits sur les manuscrits des Bibles hébraïques, des études ont permis la reconstitution de la gamme musicale hébraïque à 8 sons ou échelle lydienne. S. Haïk‐Ventura a pu retrouver la composante musicale sur laquelle se chantaient tous les textes bibliques, en constatant que la mélodie suivait le sens des mots, donnait un relief au texte pour l’enrichir. Cette cantillation est très ancienne et remonte à l’époque de l’Exode. Les chœurs exécutaient, probablement à l’unisson, la même mélodie sacrée, d’une composition simple, divisée en une partie masculine et une partie féminine, chantée à l’octave supérieure. En France, Esther Lamandier s’est attachée à retrouver et interpréter ce répertoire particulier en araméen et en hébreu.

3.1.2.Le chant primitif des chrétiens Comme pour les juifs, le chant est l’expression de la parole divine avant de devenir celui de la louange et de la prière. Aussi le noyau primitif de la liturgie comprend‐il trois types de chant : ™La récitation chantée de l’écriture sainte confiée à un lecteur, le plus souvent un prêtre ou l’évêque. Elle se pratique, comme pour les juifs, sous trois formes : ¾Le « recto tono » ou récitation horizontale. ¾La cantillation, intermédiaire entre la déclamation et le chant, qui comporte de courts changements de ton destinés à marquer les fins de phrase ou à introduire une pose méditative. Cette forme de lecture publique se rencontre également dans la musique cultuelle d’Orient et a été adopté par les musulmans pour la lecture du Coran. ¾La psalmodie, forme la plus élaborée, également héritée de la tradition juive, comportant des broderies et des pauses, et qui évolua, comme la psalmodie synagonale, vers le schéma : intonation, corde récitative (ou teneur I), médiante‐ intonation, corde récitative (ou teneur II), cadence finale. ™Les réponses de l’assemblée, brefs refrains ou formules simples : Amen, Alléluia, Gloria Patri. C’est l’origine du chant responsorial développé par la suite dans les communautés religieuses d’Orient, puis d’Occident : le psalmiste, dont la charge constitue un ordre mineur, lance la « responsa », chante un verset du psaume et laisse la communauté reprendre la « responsa » (attesté par les confessions de St Augustin et St Jérome). Cette forme est à l’origine de deux types de réponses : ¾Les antiennes, du terme latin « antiphona », décalqué du grec, qui apparaissent vers le IV° siècle en Occident et qui donnent, dans une phrase très courte, l’esprit du psaume. Les résidus pentatoniques que l’on retrouve dans les antiennes grégoriennes des offices monastiques en attestent l’ancienneté. L’antienne encadre le psaume ou est chantée après quelques versets. C’est en fait une méditation chantée du texte qui s’est développé en même temps que le chant responsorial adopté par certaines communautés pieuses, qui consiste à réciter alternativement en deux demi‐choeurs le psaume. Cette formule est introduite à Constantinople par St Jean Chrysostome, en Occident par St Ambroise, évêque de Milan. ¾Les répons, pièces mélismatiques (chant comportant plusieurs notes par syllabe, contrairement au chant syllabique), qui encadrent les lectures: répons prolixes des longues leçons de l’office nocturne, répons brèves des capitules (leçons brèves) et répons‐graduel de l’épître. ™Les hymnes, éléments cultuels communs à toutes les religions d’Orient, et pratiquées par les premiers chrétiens (St Paul : Col 3,16 ; Eph 5,19). Certains passages des épîtres sont d’ailleurs devenus eux‐mêmes des hymnes (Eph 5,14 ; Col 1,15). Les hymnes sont des chants de louange qui ne sont pas soumises à un rythme verbal stricte comme les psaumes. Elles ont une forme mélodique modale contrairement à la forme tonale de la psalmodie. Le Gloria est une ancienne hymne de louange chantée à l’aurore. Peu à peu, le mot hymne pris un sens différent selon les églises d’Orient et d’Occident. L’église byzantine dénomme ainsi des poèmes religieux et les « kondakia » chantés au cours de la liturgie. L’église d’Occident développe des hymnes métriques, compositions personnelles à l’auteur identifié, dont la plus ancienne est le « Te Deum », créée, selon la tradition, par St Hilaire de Poitiers (+366).

3.2. L’EVOLUTION La dissémination de l’Eglise chrétienne dans le bassin méditerranéen, son adoption par les autorités politiques (l’Empire romain adopte le Christianisme comme religion officielle au 4° siècle), la diversité culturelle existant entre les mondes juif, grec, romain et à l’intérieur de ces mondes, l’assimilation par le christianisme de certains rites appartenant aux religions d’origine (culte celte, romain, etc.) diversifient à partir du III° siècle la liturgie et les chants qui la constituent. On distingue bientôt : 3.2.1.Le chant des églises d’Orient C’est le chant en vigueur dans le Patriarcat d’Antioche. Démembré à la suite des luttes christologiques qui ensanglantèrent l’Eglise d’Orient aux V° et VI° siècle, il se scinde en particularisme canonique. Sa structure n’est pas connue, faute de textes. 3.2.2.Le chant ambrosien Dans la péninsule italique, chaque église possédait son répertoire liturgico‐musical propre. Il subsiste des manuscrits de chant bénéventain, localisé à Bénévent et Naples, de chant Vieux Romain, des bribes de pièces de chant toscan, et en Italie du nord, trois anciens répertoires dont le plus connu, qui a subsisté jusqu’à nos jours, est le chant ambrosien, propre au diocèse de Milan et à quelques églises de Suisse. Le chant ambrosien se réclame de St Ambroise (+397) à qui l’on attribue l’origine d’au moins 14 hymnes (texte et mélodie). Lors d’un siège, il eut l’idée de remplacer l’ancienne psalmodie responsoriale par le chant antiphoné afin d’occuper son peuple réuni dans la basilique assiégée. La liturgie milanaise n’a jamais subi de réformes et s’est enrichi dans cesse d’apports nouveaux qui lui confèrent un certain caractère hétéroclite. « St Ambroise, dit Théodore Nisard, adopta le genre chromatique, c’est-à-dire l’altération de certaines notes, comme l’ont enseigné plus tard les didacticiens du Moyen âge en parlant de la musique feinte ou colorée. Deux différences radicales existaient entre le chant de St Ambroise et celui de St Grégoire. Dans l’un, abandon complet des règles de l’accentuation latine et adoption du genre diatonique ; dans l’autre, genre chromatique, rythme, accentuation. Dans l’un, musique grave, sévère, adaptée aux durs gosiers des barbares du nord qui se convertissaient au catholicisme ; dans l’autre, un art plus grec, plus souple, plus élégant, quelque chose de moins austère et de moins âpre. » St Ambroise emprunta aux Grecs leurs quatre modes principaux : le dorien, le phrygien, le lydien et le mixolydien ; ces modes, nommés depuis authentiques ou impairs, sont le 1er, le 3e, le 5e et le 7e du plain‐chant grégorien. Il adopta aussi le chant alternatif ou antiphonique, usité chez les Orientaux, et dont l’emploi se répandit ensuite dans l’Église latine1. Ce répertoire, l’un des plus anciens de l’Occident, comporte diverses stratifications : •Le Gloria ambrosien, chanté jadis à l’office du matin, remonte au début du IV° siècle. La psalmodie est proche du recto tono et ne comporte pas de médiante au milieu du verset, mais une simple pause. Les antiennes du psautier sont entièrement syllabiques. La musique sacrée •Aux siècles suivants, un apport oriental, en partie syrien, donne une nuance exotique à ce répertoire foncièrement occidental : traductions de stichères, répétition du triple Kyrie à la fin de certaines antiennes de l’office. •Apport gallican dans les vocalises de l’Alléluia. Le chant ambrosien s’est transmis par voie orale des origines jusqu’à la fin du XI° siècle pour les mélodies.

3.2.3.Le chant vieux romain Découvert par Dom Mocquereau en 1890 sur des manuscrits du XI° siècle, il est apparenté au grégorien. On n’a pas encore pu déterminé s’il est réellement antérieur à celui‐ci ou si les deux répertoires ont une origine commune. Il conserve des archaïsmes manifestes du point de vue modal, mais possède aussi des adjonctions de grégorien. Ce répertoire s’est constitué entre le VI° et le VIII° siècle et est resté en usage jusqu’au XIII° siècle.

3.2.4.Le chant gallican C’est le chant propre à l’église des Gaules avant la réforme liturgique imposée dans l’Empire franc par Pépin le Bref (+768) et Charlemagne. En fait, il n’y a pas une liturgie et un chant gallican, mais des liturgies et des répertoires propres aux grandes églises métropolitaines de la Gaule Cisalpine et de la Germanie (Toulouse, Lyon, Autun, Tours, Trèves, Mayence, Cologne). Il ne faut pas le confondre avec la liturgie néo‐gallicane forgée de toutes pièces dans la deuxième moitié du XVII° par des prêtres érudits. Il comporte de nombreuses particularités par rapport au grégorien : •des oraisons et des préfaces très riches en vocabulaire et redondances ; •une psalmodie sans médiante, comme à Milan et en Espagne, mais à deux teneurs (la seconde plus basse d’un degré : ton pérégrin) ; •des hymnes métriques ; •des antiennes à versets aux mélismes chargés souvent terminées par un Alléluia dont le « neuma » se développait non pas sur la finale a, mais sur la voyelle e ; •usage de litanies, dialogue entre le diacre qui formule l’intention de prière et la foule qui répond par une demande très courte (ex: Rogamus te Rex seculorum). Il subsiste encore aujourd’hui dans la liturgie romaine quelques survivances gallicanes ; ainsi dans l’office du vendredi saint. L’ostension et l’adoration de la croix, le Trisagion, proviennent des rites gallicans. L’antienne trois fois redite en haussant le ton à chaque reprise (Agios o Theos) n’est pas une coutume romaine ; on a là un exemple caractéristique d’une adaptation gallicane au rite de Rome. D’après les divers recoupements opérés par les érudits, on peut être assuré que le chant gallican alliait les apports d’un courant hébraïque (psalmodie), d’un courant grec et byzantin (système musical, métrique) et d’un courant romain (livres de prières et rituel) ; il y avait aussi une influence de l’ambrosien (Milan) et du wisigothique. L’absence totale de notation neumatique intelligible à cette époque rend impossible la traduction claire des manuscrits qui pourraient nous renseigner.2

3.2.5.Le chant mozarabe Dans la péninsule ibérique, les églises chrétiennes possédaient une liturgie très particulière, distincte de la liturgie romaine par le style redondant de ses prières et par l’abondance de ses rites extérieurs. A l’origine, le chant mozarabe fut largement influencé par le culte des synagogues, mais également par la proximité culturelle de Rome, donc du chant romain et milanais ou ambrosien. C’est ainsi que les chants responsoriaux auparavant syllabiques de la psalmodie d’origine juive sont progressivement devenus mélismatiques et très ornées. Le terme mozarabe est primitivement appliqué aux chrétiens « sujets des Maures » (Musta rab). Après le débarquement de Tariq à Tarifa, en 711, les lois musulmanes tolérèrent certains rites chrétiens, surtout en Aragon, en León et en Castille. L’habitude fut prise de parler du rite et du chant mozarabes. Cependant, on a abandonné ce terme pour lui préférer celui, plus juste, d’hispanique, étant donné que le rite et le chant précédèrent l’arrivée des Arabes dans la péninsule Ibérique et que, sous leur occupation, aucune influence musulmane ne pénétra dans le rite chrétien. Ce rite et le chant l’accompagnant furent fixés par des évêques comme Isidore de Séville (+636) et Ildefonse (+667) et par les conciles provinciaux, donc avant la pénétration arabe (711). Il s’agit une synthèse d’apports variés, empruntant aux coutumes gallicanes, à la culture wisigothique, à la neumatique byzantine, aux liturgies et mélodies milanaises (rite ambrosien), voire à des éléments syriaco‐palestiniens et africains. On relève la trace des improvisations de textes sacrés par le célébrant et des réponses litaniques des fidèles, selon les usages des premiers siècles chrétiens. Les premiers manuscrits avec neumes, sans lignes ni intervalles, ne peuvent apporter que des renseignements musicaux imprécis (manuscrits de San Domingo de Silos à Tolède, ceux de la cathédrale de León, 1066). le chant hispanique fut aboli par les décisions romaines d’Alexandre II (1064‐1073) et de Grégoire VII (1073‐1085). C’est à la fin du XVe siècle que le cardinal Francisco Jiménez de Cisneros essaya de le ressusciter en fondant la chapelle mozarabe de la cathédrale de Tolède. Malheureusement, cette reviviscence n’a pu offrir de garanties historiques sûres. Les principaux centres de liturgie hispaniques furent Tolède (avec saint Eugène, mort en 657, et saint Ildefonse, mort en 667), Séville (saint Léandre, mort en 599), Saragosse (saint Julien, mort en 690). Le chant s’inspira certainement des œuvres de Prudence (348 env.‐env. 410), né en Espagne. L’utilisation extensive de mélismes (un alléluia ne possède pas moins de trois cents notes !) manifeste l’importance accordée au jubilus lyrique, qui est, d’ailleurs, toujours une des caractéristiques de la musique monodique espagnole, surtout méridionale. Un rôle important est donc confié à un ou plusieurs solistes ; le peuple se contente de chanter de courtes phrases, de proférer des acclamations, de lancer des suppliques. Le chant hispanique est un chant monodique, de genre diatonique et de rythme libre. C’est un chant car si des instruments musicaux peuvent l’accompagner, ils ne peuvent interpréter la mélodie. Il est monodique, mais peut s’interpréter avec des développements à la quinte, quarte ascendante et octave. Il est diatonique, se construisant sur des gammes aux tons et demi‐tons figés. Il est de rythme libre, c’est‐à‐dire non mesuré ente l’arsis (moment initial) et la thesis (repos final).