III. LA SOUFFRANCE DANS LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE
28 mai, 2015http://www.cenaclesauges.ch/diary9/57SensSouffrance.htm
III. LA SOUFFRANCE DANS LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE
· Le problème de la souffrance est un des grands défis de l’existence humaine, spécialement pour le croyant. P. RICOEUR relevait bien l’aporie à laquelle conduit la présence du mal et de la souffrance dans le monde: «Comment peut-on affirmer ensemble, sans contradiction, les trois propositions suivantes: Dieu est tout-puissant; Dieu est absolument bon; pourtant le mal (et la souffrance) existe» [1].
· Le croyant qui endure une souffrance intolérable est souvent tourmenté par ces questions: Pourquoi Dieu nous fait-il souffrir ? Si ce n’est pas lui qui a créé la souffrance, d’où vient-elle ? Est-elle voulue ou permise par Dieu? Est-elle une conséquence du péché? Mais alors, Dieu serait-il impuissant devant ce mal que l’homme aurait introduit dans le monde ? Faut-il lutter contre la souffrance, ou au contraire la rechercher ? Quel sens un chrétien peut-il lui donner ? Quelle lumière Jésus-Christ est-il venu apporter à propos de la souffrance ?
1. LA QUESTION DE L’ORIGINE DE LA SOUFFRANCE
· Le Catéchisme de l’Église Catholique essaie d’exprimer la raison de la présence du mal physique et de la souffrance dans le monde. Ce mal résulte d’un univers en croissance, en état d’enfantement : «Pourquoi Dieu n’a-t-il pas créé un monde aussi parfait qu’aucun mal ne puisse y exister? Selon sa puissance infinie, Dieu pourrait toujours créer quelque chose de meilleur. Cependant dans sa sagesse et sa bonté infinies, Dieu a voulu créer un monde « en état de cheminement » vers sa perfection ultime. Ce devenir comporte, dans le dessein de Dieu, avec l’apparition de certains êtres, la disparition d’autres, avec le plus parfait aussi le moins parfait, avec les constructions de la nature aussi les destructions. Avec le bien physique existe donc aussi le mal physique, aussi longtemps que la création n’a pas atteint sa perfection» [2].
· Considérant l’homme comme un ami, Dieu l’a fait co-créateur de ce monde en croissance, collaborateur de cette œuvre progressive. Toute l’évolution du monde jusqu’à son accomplissement est comme un long accouchement; ainsi que le dit St Paul, «toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement» (Rm 8, 22). La souffrance due au mal physique est un fait inhérent à notre monde en croissance. Elle n’est pas voulue directement par Dieu en tant que telle, ni conséquence du péché originel. Elle est voulue indirectement, c’est-à-dire intégrée par le Créateur dans un projet d’ensemble qui part d’un état rudimentaire pour aller vers un achèvement, vers une plénitude.
· Quant à la présence du mal moral, cause de tant de souffrances, il reste lié à la liberté de l’homme (abus), ou plutôt au mésusage de la liberté humaine.
2. ANCIEN TESTAMENT: LA SOUFFRANCE, PUNITION DU PÉCHÉ ?
Dans l’AT, plusieurs essais de réponse ont été donnés au pourquoi du mal et de la souffrance. On peut percevoir une progression de la compréhension dans ces réponses :
· Il faut préciser que pendant plusieurs siècles, on n’a pas fait la distinction entre les causes premières et les causes secondes: puisque Dieu est Tout Puissant, et qu’il a la maîtrise sur tout l’univers, la souffrance n’échappe pas à son pouvoir. C’est donc lui qui la provoque. Ceci est exprimé très nettement dans certains textes: « Je façonne la lumière et crée les ténèbres, je fais le bonheur et provoque le malheur » (Is 45, 7)
· Le texte de la création de l’homme dans la Genèse veut nous dire que c’est l’homme qui est à l’origine du mal moral dans le monde ; ce texte n’est pas tout à fait une réponse au pourquoi de la souffrance.
· La première réponse a été celle de la rétribution collective: lorsque des membres du peuple pêchent, c’est l’ensemble du peuple qui est puni et qui souffre. Lorsque les parents commettent des fautes, la punition retombe sur les enfants et petits enfants (Dt 5,9-10); cf. l’adage: « Les parents ont mangé des raisins verts, et les enfants ont les dents agacées » (Ez 18, 2).
· Plus tard, lors de l’exil à Babylone, on a pris conscience de l’injustice de cette interprétation: il n’est pas juste que les innocents payent pour les coupables. Ezéchiel et Jérémie remettra en cause le fameux adage (Ez 18, 1-8), et introduira le principe de la rétribution individuelle. Celui qui a péché subira lui-même les conséquences de ces crimes. (Jr 31, 29-30)
· Mais cette réponse s’avérera insuffisante, et le livre de Job la remettra radicalement en cause. Il y a des justes, des innocents qui souffrent, et ils ne peuvent donc pas subir la conséquence de leurs propres péchés. Le livre de Job, qui est une longue interrogation sur le sens de la souffrance, contestera le lien direct entre le péché et la souffrance. Job remettra en cause le principe qui se retrouvait dans plusieurs écrits vétéro-testamentaires identifiant la souffrance avec la punition du péché. Dieu confirmera d’ailleurs que la souffrance de Job, qui a un caractère d’épreuve, est celle d’un innocent.
Néanmoins, Dieu reprochera à Job de prétendre comprendre des choses qui le dépassent: « Qui est celui qui défigure la providence par des propos insensés. Ceins donc tes reins comme un brave: je vais t’interroger, tu m’instruiras ! Où étais-tu quand j’ai fondé la terre? Dis-le-moi puisque tu sembles si savant ! » (Jb 38, 2-3). Si Job ne peut comprendre les mystères de la création, qui sont pourtant à sa portée, combien plus il ne peut comprendre la providence divine qui est au-delà de la compréhension humaine.
S’il est vrai que beaucoup de souffrances sont des conséquences du péché (mal commis, injustices, violences…), il n’est pas juste d’affirmer que toute souffrance est provoquée par le péché, et encore moins de conclure que celui qui souffre est coupable.
· Le quatrième chant du Serviteur souffrant, dans le Deutéro-Isaïe, interprété par le NT comme une prophétie de la mission du Christ, dresse un portrait du juste innocent portant les souffrances et les péchés des multitudes. (Is 52, 13 – 53, 12)
On ne sait pas très bien qui est ce serviteur souffrant visé par Isaïe : on l’identifie parfois à un membre fidèle du peuple de Dieu déporté à Babylone. Il peut aussi représenter le petit reste de ceux qui sont restés fidèles au Seigneur dans ce peuple. Le peuple juif, lors de l’holocauste au cours de la dernière guerre mondiale s’est reconnu en ce serviteur souffrant. Chacun d’entre nous, endurant une épreuve douloureuse qui apparaît disproportionnée ou injuste peut s’y reconnaître.
· A partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ, le pourquoi de la souffrance des innocents va être cherché de plus en plus au-delà de l’horizon humain. Une part de la souffrance humaine reste incompréhensible indépendamment de la vie éternelle à laquelle l’homme est appelé.
3. LA SOUFFRANCE ET L’ACTIVITÉ MESSIANIQUE DU CHRIST
PAUL CLAUDEL: « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu pour l’expliquer. Il est venu pour la remplir de sa présence » (Le Heurtoir, p. 33) Il est venu la vivre avec nous, à nos côtés. Il s’est fait solidaire de nos souffrances. Il est même venu les prendre sur lui.
Par rapport au lien entre la souffrance et le mal commis, Jésus confirme que la souffrance n’est pas forcément une conséquence directe des fautes humaines (Cf. Jn 9, 2-3 Aveugle né ; tour effondrée). Il ne niera pourtant pas tout lien entre la souffrance et le mal moral (Guérison paralytique…). Jésus lui-même endurera les pires tourments, victime innocente de la malice des hommes.
· Quelle lumière Jésus a-t-il apporté sur la souffrance humaine ? On peut examiner trois niveaux différents: son enseignement à propos de la souffrance; son attitude concrète vis à vis de la souffrance de ses proches; et enfin sa propre façon de l’assumer.
A. L’enseignement du Christ par rapport à la souffrance
L’enseignement du Christ par rapport à la souffrance touche 2 niveaux : le premier concerne la souffrance du prochain, et le deuxième la souffrance personnelle.
- La souffrance du prochain: La Parabole du Jugement dernier dans l’Évangile de Mathieu présente comme condition d’entrée dans le Royaume d’avoir subvenu aux besoins des frères et sœurs souffrants de la faim, de la soif, de l’exil, du dénuement, de la maladie et de l’emprisonnement, car c’est Jésus qui souffrait en eux (Mt 25, 31-46).
- La souffrance personnelle: Les Béatitudes déclarent heureux ceux qui endurent quelque souffrance que ce soit à cause du Christ – la pauvreté, l’affliction, la faim et la soif, les persécutions, les insultes et les calomnies -, car ils seront héritiers du Royaume (Mt 5, 3-12). D’autre part, Jésus demande à celui qui veut être son disciple de renoncer à lui-même, de prendre sa croix et de le suivre. Il n’a pas caché à ses disciples qu’ils seront en proie à l’épreuve, à la souffrance, à la persécution.
Il y a donc dans le message de Jésus d’une part une invitation à lutter contre la souffrance du prochain et d’autre part un appel à accepter sa propre souffrance. On retrouvera ce double aspect, qui sera précisé, dans l’attitude du Christ face à la souffrance.
B. L’attitude du Christ face à la souffrance
· Jésus a manifesté face à la souffrance de tous ceux qu’il côtoyait une grande compassion et miséricorde, et a engagé, durant tout son ministère, une lutte contre toute forme de détresse. Comme le dit Jean-Paul II, «le Christ s’est fait sans cesse proche du monde de la souffrance humaine. Il « a passé en faisant le bien et en guérissant » (Ac 10, 38), et son action le portait en premier lieu vers ceux qui souffraient et ceux qui attendaient de l’aide. Il guérissait les malades, consolait les affligés, donnait à manger aux affamés, délivrait les hommes de la surdité, de la cécité, de la lèpre, du démon, de divers handicaps physiques, trois fois il a rendu la vie à un mort. Il était sensible à toute souffrance humaine, tant du corps que de l’âme» (SD 16). Le sommaire qui précède le Sermon sur la montagne résume bien la dimension caritative de l’activité messianique de Jésus: «Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur dans le peuple» (Mt 4, 23). Il est intéressant de noter que l’on ne voit jamais Jésus, dans les Évangiles, infliger une souffrance à quelqu’un ou demander d’offrir ses souffrances à Dieu.
· Un autre sommaire succédant au Sermon sur la montagne montre que la solidarité de Jésus face à la souffrance ne s’est pas réduite à œuvrer pour en atténuer l’ampleur, mais qu’il a pris sur lui-même toutes nos souffrances: «Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques; il chassa les esprits d’un mot, et il guérit tous les malades, afin que s’accomplit l’oracle d’Isaïe le prophète: Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies» (Mt 8, 16-17). La citation biblique est d’Is 53, 4: « C’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. »
Dans ce passage de l’Evangile, nous voyons Jésus guérir, délivrer de la souffrance et du mal, et en même temps il est dit, par la citation du chant du Serviteur souffrant d’Isaïe, que Jésus prend sur lui ces souffrances pour nous en guérir. Si l’incarnation et toute la vie du Christ peuvent être décrites comme l’œuvre de Dieu venant prendre sur lui les souffrances des hommes, cette référence biblique renvoie spécialement à la Passion, où le Fils de Dieu se charge volontairement de tout notre mal et toutes nos souffrances. On peut dire avec M. ZUNDEL que «Dieu, en son Fils crucifié, assume toute la détresse humaine; que la croix du Christ, c’est justement le cri poussé à la face du monde, pour dire aux hommes de tous les temps, que Dieu a partie liée avec tout homme, qu’Il est flagellé dans nos tortures, qu’Il saigne dans nos blessures, qu’Il transpire dans nos sueurs, qu’Il gémit dans nos solitudes, qu’Il pleure dans nos larmes.» [3] Ce n’est pas une conception doloriste de la souffrance qu’il faut retenir de l’attitude de Jésus face à la souffrance, mais une solidarité, une compassion (= souffrir avec).
C. Comment Jésus a-t-il vécu lui-même la souffrance?
· Ayant assumé notre condition humaine mortelle, semblable à nous en toutes choses hormis le péché, Jésus devait nécessairement passer par la souffrance et la mort (Cf. Rm 8, 3; Ph 2, 7), se faisant ainsi solidaire de toute l’humanité.
Les Évangiles donnent peu de détails sur la façon avec laquelle Jésus a abordé la souffrance. Ils permettent de dire qu’il ne l’a pas recherchée, qu’elle lui répugnait et qu’il l’a même parfois esquivée, tant que son heure n’était pas venue [4]. La proximité de la souffrance a suscité en lui le trouble (Jn 12, 27); elle lui fait subir effroi, angoisse et tristesse mortelle (Mc 14, 33-34 et //), au point de suer des gouttes de sang (Lc 22, 44). Au cœur de la souffrance, en plus de l’abandon de ses apôtres, il a même vécu le sentiment d’être abandonné de son Père ( Mt 27, 46 et //).
On peut affirmer que Jésus n’a pas abordé la souffrance stoïquement ou impassiblement, mais de manière profondément humaine, et tout homme souffrant peut se reconnaître en lui.
Mais il n’a pas non plus reculé devant elle, il ne s’est pas laissé détourné de sa mission, même s’il savait ce qui risquait de lui en coûter.
Même dans la détresse extrême, le Christ a manifesté l’abandon à son Père. (Mt 26, 39.42 et //; Lc 23, 46) Son amour miséricordieux, plus fort que toute la haine qui se déployait contre lui, a manifesté le pardon à ses bourreaux (Lc 23, 34), c’est-à-dire à tous les hommes de l’histoire responsables aussi bien de la souffrance de Dieu que de l’homme. La souffrance, au lieu de conduire à la haine, a été ainsi sublimée en amour.
4. LIEN ENTRE LE SALUT ET LA SOUFFRANCE
Le lien entre le salut opéré par le Christ et la souffrance peut être exprimé par deux formules: Jésus nous sauve de la souffrance, et Jésus nous sauve par sa souffrance [5].
A. Jésus nous sauve de la souffrance
· Si « sauver » signifie entre autres libérer du mal, et que le mal comporte un lien étroit avec la souffrance, le salut est par conséquent lié étroitement au problème de la souffrance (cf. SD 14). Cette libération de la souffrance comporte une double dimension, eschatologique et historique:
- Jésus ne nous délivre pas seulement de la souffrance dans son sens temporel, mais «la souffrance dans son sens fondamental et définitif» (SD 14). Le Christ sauve ainsi l’être humain de la perdition, du mal définitif, de la souffrance définitive. Dans l’au-delà, pour ceux qui auront accueilli le salut, la souffrance sera complètement anéantie. Les guérisons de Jésus sont le signe de cette victoire définitive de Dieu sur la souffrance.
- Mais le Christ, par la rédemption, n’atteint pas seulement le mal et la souffrance eschatologiques, mais aussi «dans leur dimension temporelle et historique» (SD 15). Si l’on ne peut établir un lien direct entre souffrance et péché, il n’en demeure pas moins que, comme je l’ai déjà dit, une des causes principales de souffrances est le mal commis, et ce dernier est presque toujours à l’origine de souffrances. Le salut opéré par Jésus-Christ, dans la mesure où il est accueilli par les hommes, s’il transforme déjà le monde présent, s’il fait déjà reculer le mal, ne peut pas ne pas faire régresser aussi la souffrance humaine.
B. Jésus nous sauve aussi par sa souffrance.
J’insiste sur aussi, car le Christ nous sauve également par son incarnation, son enfance (cf. François de Sales), son ministère, son enseignement, ses miracles, et surtout par sa résurrection. La Croix de Jésus, tout comme la souffrance qui lui est liée, est le lieu privilégié, mais pas unique, du salut; et surtout, le mystère du salut chrétien est incompréhensible indépendamment de la résurrection. Dans les siècles passés, dans un certain dolorisme, on a trop lié le salut à la souffrance.
Mais il faut quand même dire quel rôle à joué la souffrance de Jésus dans la Rédemption. Dans sa vie, et spécialement dans sa passion, le Christ a pris sur lui toute souffrance, toute maladie et toute infirmité. Comprenons-nous bien: ce n’est pas la douleur, en tant que sensation, qui est salutaire [6]. C’est l’attitude de Jésus face à la souffrance, c’est-à-dire l’amour extrême déployé au sein de l’épreuve, qui nous sauve. Par cet amour, Jésus introduit le salut dans la souffrance elle-même: cette difficile réalité humaine a été transformée, a pris une dimension nouvelle: Elle a été liée à l’amour qui crée le bien, en le tirant même du mal (cf. SD 18). Cela ne veut pas dire que la souffrance devienne un bien – elle reste un mal à combattre -, mais la Croix manifeste qu’il est possible de tirer du bien même de ce mal.
La souffrance, quand elle est intense, est difficilement compatible à l’amour: lorsqu’elle est provoquée volontairement, elle est le fruit de la haine; d’autre part, celui qui subit la souffrance est guetté par le risque de haine envers celui qui en est l’auteur (ou envers son bouc émissaire, lorsque cet auteur n’est pas connu). Il est difficile d’aimer dans la souffrance.
On peut repérer une sorte de cercle vicieux entre la haine qui provoque la souffrance, la souffrance qui à son tour provoque la haine. Jésus est venu casser ce cercle vicieux en liant la souffrance à l’amour, en introduisant le pardon envers les bourreaux dans cette chaîne fatale.
Ce qui semble nier l’amour, Jésus s’en sert pour manifester l’amour. Il s’en sert pour montrer que l’amour est plus fort: plus fort que le mal, plus fort que la souffrance, plus fort que la mort elle-même. Il vient rompre ainsi tout fatalisme. La souffrance a été ainsi vaincue par l’amour. Le Christ est venu nous apprendre à faire émerger l’amour de la souffrance. Toutes nos souffrances, nos épreuves, nos échecs peuvent être convertis en moyens d’aimer plus.
Le peuple d’Israël attendait de Dieu qu’il vienne sauver les hommes par la force, par la puissance, du moins dans le sens où nous l’entendons couramment. Or, Dieu a refusé cette voie triomphaliste: le salut s’est opéré par la faiblesse, au travers de la souffrance, c’est-à-dire à travers une expérience humaine des plus fragilisantes et réduisant à une apparente impuissance. Si le salut s’est opéré en Jésus-Christ par cette voie étroite qui désamorce toute tentation de puissance ou de triomphalisme, il continuera à s’opérer à travers les chrétiens par cette voie privilégiée. Jésus a suscité la «naissance de la force dans la faiblesse» (SD 23). Cette faiblesse restera la voie royale pour que se répande dans le monde la force du salut. D’autre part, cette force dans la faiblesse est signe que les faiblesses de toutes les souffrances humaines peuvent être imprégnées de la puissance de Dieu (cf. SD 23).
Je crois que tout le bien qui s’est réellement fait dans l’Histoire de l’Église s’est fait dans la faiblesse. IL n’est pas le fruit du triomphalisme.
5. PARTICIPER AUX SOUFFRANCES DU CHRIST ? [7]
Il s’agit d’abord de participer, communier à la vie du Christ; conséquence indirecte, communier aux souffrances qui lui sont liées.
En tant que chrétiens, nous sommes appelés à continuer la mission du Christ, à participer à son œuvre, à communier à sa vie. Cela aura malheureusement comme conséquence que nous aurons aussi à communier aux épreuves, à la souffrance qui en découlent. Nous sommes invités à imiter Jésus qui n’a pas cherché la souffrance – il l’a parfois esquivée -, qui a combattu celle de ses proches, mais qui ne s’est pas laissé détourner de sa mission, quitte à subir la persécution, la souffrance et la mort. Si Jésus durant sa vie s’est chargé de toute blessure, de toute maladie, de toute détresse, il demande aux chrétiens de faire de même, dans la mesure de leurs forces.
- Les chrétiens ont pour mission, à l’image du Bon Samaritain qui reste le modèle d’attitude face à la souffrance du prochain, de venir en aide à celui qui est éprouvé, («le charger sur sa propre monture» Lc 10, 34), et de tenter de soulager aussi bien ses douleurs que ses souffrances morales. La souffrance devient ainsi occasion de libérer en l’homme ses capacités de compassion, ses capacités d’aimer. Prendre sur soi la souffrance du prochain signifie ainsi lutter contre la souffrance et ses causes, venir en aide à celui qui est écrasé par l’épreuve, qui ploie sous le fardeau, quitte à prendre ce dernier sur ses propres épaules.
- Les chrétiens sont appelés à annoncer et à vivre authentiquement l’Évangile, à lutter de façon déterminée pour la justice et la paix dans le monde, au risque de subir comme Jésus la persécution, l’épreuve, la souffrance. La voie de l’amour et de la justice est une voie étroite (Cf. Mt 7, 13-14), souvent à contre courant de la route large usuellement empruntée, voie qui suscite des oppositions, de la haine et des persécutions. L’apôtre le prédisait: «Tous ceux qui veulent vivre dans le Christ avec pitié seront persécutés» (2 Tm 3, 12). (intérieurement ou extérieurement)
- Les chrétiens sont encore invités à accepter [8] et à vivre comme Jésus, non sans angoisse ou peine, les souffrances de l’existence liées aux maladies, aux accidents ou à toute autre cause, lorsqu’elles ne peuvent être soulagées suffisamment, en croyant que cet amour qui se déploie au cœur de cette épreuve porte le monde.
6. LA RÉSURRECTION, LUMIÈRE ULTIME SUR LA SOUFFRANCE
La Passion de Jésus n’est en réalité qu’une facette du mystère du salut qui ne s’achève que dans la résurrection du Christ. C’est seulement à la lumière de celle-ci que la souffrance prend réellement son sens:
- La résurrection est le signe que de toute souffrance peut émerger la vie, à l’image des douleurs de l’enfantement. Elle n’en est pas seulement le signe, mais la réalisation. La passion du Christ, transfigurée par sa résurrection, devrait donner au chrétien la certitude qu’il n’existe pas de situation humaine qui n’ait été atteinte par cette force du salut et où Dieu ne puisse venir le rejoindre.
- La résurrection est le rappel, la promesse et la certitude de la destinée promise à tout homme: nous sommes prédestinés à ressusciter avec le Christ, à partager sa béatitude et sa gloire éternelle. La résurrection du Christ est à la fois le modèle (prototype) et la cause de notre propre résurrection. Elle est promesse et certitude que toute souffrance est appelée à être transfigurée dans une proportion sans mesure en un bonheur éternel [9].
- C’est la résurrection qui permet de donner une valeur à la souffrance (qui n’en a pas en soi), en permettant au chrétien de la remplir de l’amour victorieux du Christ.
III. PISTES DE RÉFLEXION
· Le message biblique sur la souffrance humaine m’apparaît-il comme quelque chose de libérateur, une consolation, ou à l’inverse m’apparaît-il comme quelque chose de moralisant, pesant ? (un message positif ou négatif, une bonne ou mauvaise nouvelle ?). Si c’est un message plutôt négatif, essayer de voir pourquoi. Comment pourrais-je modifier cette perception ?
· Est-ce que reçois cette Révélation comme une « obligation » de souffrir, de renoncer à moi-même, de porter ma croix, pour compléter dans ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ ?
· Est-ce que je reçois plutôt ce message biblique comme une consolation d’un Dieu qui est venu prendre sur lui nos infirmités et nos souffrances ?
· Est-il pour moi une invitation à la solidarité, à la compassion (cum patire = souffrir avec), une invitation à lutter contre la souffrance ?
· Autres….
· Je peux méditer sur cette phrase de Pie XII : « L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière, parmi d’autres, de signifier ce qui constitue l’essentiel: la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C’est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et de son héroïsme »
DISCOURS DE PIE XII SUR LA LÉGITIMITÉ DU SOULAGEMENT DE LA DOULEUR CHEZ LES CHRÉTIENS
· Si Pie XII rappelle que l’acceptation de la douleur physique peut constituer un devoir grave, lorsque des valeurs importantes sont en jeu, il admet que le chrétien n’est «jamais obligé de la vouloir pour elle-même; il la considère comme un moyen plus ou moins adapté, suivant les circonstances, au but qu’il poursuit» (DA 45). L’être humain garde un droit de maîtrise sur la douleur physique: «L’homme conserve, même après la chute, le droit de dominer les forces de la nature, de les utiliser à son service, et donc de mettre à son profit toutes les ressources qu’elle lui offre pour éviter et supprimer la douleur physique» (DA 44).
· Le fait d’éviter la souffrance physique ne s’oppose pas nécessairement à l’idéal chrétien d’héroïsme, à la volonté de participer à la passion du Christ. La vie du chrétien «est toujours sous le signe de la Croix du Christ, que la souffrance y soit présente ou non, qu’il la supporte ou l’évite par des moyens licites [...]. L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière, parmi d’autres, de signifier ce qui constitue l’essentiel: la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C’est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et de son héroïsme» (DA 46). L’acceptation de la douleur physique peut manifester un héroïsme élevé et témoigner d’une authentique imitation de la passion du Christ, mais sans en être un élément indispensable.
III. PISTES DE RÉFLEXION
· Le message biblique sur la souffrance humaine m’apparaît-il comme quelque chose de libérateur, une consolation, ou à l’inverse m’apparaît-il comme quelque chose de moralisant, pesant ? (un message positif ou négatif, une bonne ou mauvaise nouvelle ?). Si c’est un message plutôt négatif, essayer de voir pourquoi. Comment pourrais-je modifier cette perception ?
· Est-ce que reçois cette Révélation comme une « obligation » de souffrir, de renoncer à moi-même, de porter ma croix, pour compléter dans ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ ? Est-ce que je reçois plutôt ce message biblique comme une consolation d’un Dieu qui est venu prendre sur lui nos infirmités et nos souffrances ?
· Est-il pour moi une invitation à la solidarité, à la compassion (cum patire = souffrir avec), une invitation à lutter contre la souffrance ?
· Autres….
· Je peux méditer sur cette phrase de Pie XII : « L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière, parmi d’autres, de signifier ce qui constitue l’essentiel: la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C’est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et de son héroïsme »