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RAIMON PANIKKAR : PAIX ET DÉSARMEMENT CULTUREL

9 septembre, 2014

http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=2726

RAIMON PANIKKAR

PAIX ET DÉSARMEMENT CULTUREL

SR CÉCILE RASTOIN

Traduit de l’italien par Jacqueline Rastoin. – Arles, Actes Sud, coll. « Spiritualité », 2008. – Esprit & Vie n°220 – février 2010, p. 45-51.

Nous avons vu précédemment [1] que la relation des chrétiens au peuple juif était primordiale, précédant tout dialogue avec les autres religions, et que celle avec les musulmans était certes d’un autre ordre de proximité mais néanmoins marquée par un même terreau de références, repris tout autrement. Nous voudrions ici élargir encore la perspective dans un double mouvement : en envisageant ce que signifie la rencontre interreligieuse en incluant toutes les expressions religieuses de la planète.
Le P. Christian de Chergé, prieur de Tibhirine, piégé dans l’effroyable conflit algérien entre forces de l’ordre et islamistes, appelait les premiers ses « frères de la plaine » et les seconds ses « frères de la montagne » ; il renouvelait souvent cette magnifique prière : « Désarme-moi, désarme-les. » Dans un tout autre contexte, le P. Raimon Panikkar, riche de sa double culture catalane et indienne, appelle aujourd’hui au « désarmement culturel ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit de comprendre que la paix sociale, politique a intrinsèquement une dimension religieuse, et vice versa. C’est donc un enjeu planétaire. On peut dire, pour plagier encore une fois la phrase de Malraux, que le « xxie siècle sera celui du désarmement ou ne sera pas ».
Le désarmement culturel est le préalable à tout dialogue qui ne soit pas une violence pour convaincre l’autre. Toute culture doit se désarmer peu à peu, mais il faut bien admettre que la première à devoir le faire est la culture dominante, à savoir la culture technologique et commerciale occidentale. C’est la condition pour qu’elle puisse entrer dans une rencontre sur un pied d’égalité avec les autres cultures. Selon R. Panikkar, les Occidentaux ont pris l’habitude de considérer la raison comme une arme et la vérité comme un objet possédé à donner (voire imposer) aux autres. Sinon, nous transformons la vérité en idéologies, qui furent les grands fléaux du xxe siècle, suscitant des enfers sur terre, en comparaison desquels la peste noire du Moyen Âge semble dérisoire. « L’exactitude et la cohérence s’imposent à nous, mais pas la vérité. La vérité est relation et, toujours, une relation à double sens » (p. 76-77).
Pour être dans la vérité, nous avons donc besoin d’une relation avec les autres. Nous avons besoin de la contribution des autres cultures. Et nous devons voir en l’autre « non seulement un objet d’observation ou de connaissance mais aussi une source d’intelligibilité et un sujet indépendant de nos catégories. Il nous faut pour cela le dialogue ; mais celui-ci n’est possible, comme nous l’avons dit, que dans des conditions d’égalité. Et celles-ci ne peuvent être réalisées sans le désarmement culturel » (p. 78). Il ne s’agit donc plus d’un dialogue rationnel pour convaincre mais d’une rencontre personnelle concrète pour s’enrichir de la différence de l’autre.
Pour le dire autrement, même si une des conséquences d’une vraie rencontre doit être la paix avec l’autre, la paix n’est pas la première motivation de la rencontre. La première motivation est de se donner, à soi et à l’autre, la possibilité de devenir humain. Pour un chrétien, il n’y a pas moyen d’être fidèle à lui-même sans être comme le Christ serviteur de la rencontre, sans être, comme la Trinité, inséré dans des relations avec autrui. La première motivation de la rencontre interreligieuse, pour des chrétiens, est donc non pas d’être « gentils » avec les autres, mais bien de devenir Christ.
Les obstacles à la rencontre
Le premier obstacle à la rencontre, c’est la peur. Ce n’est pas un hasard si l’injonction « N’ayez pas peur » est un leitmotiv de la Bible, qu’elle a ouvert le pontificat de Jean-Paul II, comme celui de Benoît XVI. Avancer désarmé vers l’autre demande d’affronter la peur. Jacob l’a appris dans la nuit au gué du Yabboq. Terrassant la peur qu’il avait de son frère, il reçut la bénédiction divine. Dans chaque contexte géopolitique, la peur est bien là, unilatérale ou bilatérale, et elle engendre la violence. La peur des religions « étrangères » engendre les violences des groupes extrémistes hindous contre chrétiens et/ou musulmans en Inde. La peur des communistes a engendré la terreur et la torture systématiques dans les dictatures militaires d’Amérique latine, et vice versa [2]. Les peurs mimétiques du bloc occidental et du bloc communiste ont engendré une prolifération des armements que l’on peine à résorber, alors même que la peur de l’islamisme engendre une « contre-terreur » dont la guerre d’Irak ou Guantánamo demeurent les emblèmes.
La peur engendre la violence parce qu’elle la justifie. Celui qui a peur pour les siens peut tuer avec bonne conscience, entrant avec l’autre dans la spirale de la violence. […]
[1] Voir Esprit & Vie nos 217 et 218 (novembre et décembre 2009), p. 17-21 et p. 18-23.
[2] Voir W. Cavanaugh, Torture et Eucharistie, Genève, Ad Solem, 2009.

LA BEAUTÉ COMME RÉVÉLATION DE DIEU ET OFFRANDE DE L’HOMME

20 août, 2014

http://www.pagesorthodoxes.net/liturgie/beaute.htm

LA BEAUTÉ COMME RÉVÉLATION DE DIEU ET OFFRANDE DE L’HOMME dans image sacré et texte rejouit2

« En toi se réjouit toute créature »
Icône de Novgorod, fin XVe siècle

LA BEAUTÉ COMME RÉVÉLATION DE DIEU ET OFFRANDE DE L’HOMME

La liturgie de l’Église orthodoxe est toute entière une icône de la liturgie céleste, une image du siècle à venir. Tout y est utilisé afin de révéler au coeur de l’homme la beauté du Royaume de Dieu. En grec comme en hébreu, le même mot signifie à la fois le beau et le bon. La vérité de Dieu est aussi beauté : une beauté qui appelle au coeur de l’homme. Pour comprendre cela, l’homme doit acquérir cet esprit d’enfance auquel nous invite le Christ, non pas dans la naïveté ou la mièvrerie, mais dans cette faculté irremplaçable d’émerveillement par laquelle Dieu se laisse découvrir au plus profond de nous-mêmes. Seuls les coeurs purs, simples et humbles devant Dieu peuvent saisir cette beauté dans laquelle Dieu nous montre sa Face, dans la splendeur rayonnante de son amour.
L’enseignement de l’hymnographie, la richesse des textes liturgiques, comme l’ensemble de ce que l’on peut appeler l’esthétique liturgique, ne s’adressent pas uniquement à la raison ; ils parlent aussi directement au coeur de l’homme.
Ainsi la liturgie est-elle faite pour englober l’homme, le nourrir, l’illuminer. Le fidèle qui participe à la prière de l’Église ne vient pas pour se concentrer intellectuellement sur un enseignement figé, mais pour s’imprégner de la beauté de la liturgie, se plonger dans son atmosphère, pour s’en nourrir l’âme, le coeur autant que l’esprit. Répétons-le, il faut être dans la liturgie comme un enfant qui goûte aux merveilles du monde, ce qui signifie une attitude paisible, détendue, autant que concentrée. C’est pourquoi les offices souvent fort longs ne sont pas vécus comme une contrainte, mais comme une vie dans la vie, où le temps est suspendu, dans un avant-goût du Royaume, tout en nécessitant une certaine ascèse, dans l’effort de se tenir debout et attentif. Dans la liturgie, la beauté n’est pas seulement une icône de la gloire de Dieu. Ou plutôt, elle ne l’est que parce qu’elle a été consacrée à Dieu. Par  » consacrée « , il faut entendre littéralement  » offerte à Dieu comme une offrande sacrificielle « .

Au sein de la liturgie, l’homme est appelé à apporter à Dieu tout ce qui fait sa vie, tout ce qui la rend précieuse, en définitive tout ce qui y constitue un don de Dieu et qui lui est rapporté en action de grâces. Or le sens du beau est certainement la marque la plus profonde de l’image divine en l’homme.
En développant la beauté liturgique dans tous ses aspects, l’homme offre à Dieu non seulement les talents que Dieu a mis en lui pour les réaliser, mais aussi cette faculté inestimable de pouvoir s’émerveiller devant la beauté façonnée par l’homme pour en faire une icône du Royaume.

L’église : Lieu sacré
L’édifice de l’église a une architecture répondant au besoins de la célébration selon le rite de l’Église orthodoxe. Ce qui différencie l’église de tout autre lieu, c’est l’autel. C’est sur l’autel que s’opère le mystère de l’Eucharistie, le sommet de toutes les célébrations de l’Église, où le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Christ. Il est assimilé dans le sacrement au tombeau du Christ où eut lieu la Résurrection de son corps. L’espace entourant l’autel, le sanctuaire, est délimité par une cloison supportant des icônes, l’iconostase. Au centre de cette cloison s’ouvre une porte à double-battants donnant directement sur l’autel. De chaque côté de cette porte, on trouve généralement l’icône du Christ à droite, et celle de la Mère de Dieu à gauche. Seuls les célébrants franchissent cette porte. De même, seuls ceux qui sont appelés au service liturgique entrent dans le sanctuaire. Cette disposition de l’autel dans le sanctuaire et de l’iconostase caractérise toutes les églises orthodoxes, même lorsque le lieu de culte n’est qu’un local aménagé.
À gauche de l’autel, une table de petite taille sert à la préparation des saints dons : la prothèse. Avant le début de la célébration, le calice et la patène (disque sur lequel vient reposer le saint pain pendant la célébration) sont disposés sur la prothèse. Le célébrant remplit le calice de vin et d’eau et découpe dans un petit pain préparé spécialement le morceau qui deviendra le Corps du Christ et le dispose sur la patène. Au moment de l’offertoire, durant la célébration de l’eucharistie, le calice et la patène (disque) sont solennellement portés en procession à partir de la prothèse jusqu’à l’autel. Les célébrants sortent du sanctuaire par une porte latérale, viennent jusqu’au milieu de l’église puis entrent dans le sanctuaire pour les déposer sur l’autel. À droite du sanctuaire se trouve le diaconicon ou sacristie, où sont rangés les ornements et les objets liturgiques.
Hors du sanctuaire, les fidèles et le choeur ou les chantres se tiennent dans la nef. C’est dans la nef que la communion est donnée aux fidèles. C’est là aussi que se déroulent la plupart des sacrements, à l’exception du sacrement de l’ordination, qui a lieu à l’autel, et de l’onction des malades, qui peut se faire au domicile du souffrant ou à l’hôpital.
Le narthex est un vestibule entre la nef et l’extérieur où se tiennent les pénitents. Les moines, qui sont des pénitents avant toute chose, y disent les offices typiquement monastiques. Lors des offices liturgiques solennels, on y prononce une grande prière appelée Litie, destinée à l’intercession pour le monde, afin de le préserver des calamités et des catastrophes naturelles. À l’extérieur, on trouve enfin un péristyle, sorte de préau avec parfois une fontaine. Ces deux parties, le narthex et le péristyle, ne se trouvent que dans les églises bâties. Lorsqu’un simple local est aménagé en vue de la célébration, on se contente généralement du sanctuaire avec son iconostase et de la nef.
Dans une église construite, l’élévation en hauteur se fait toujours en harmonie avec le plan au sol, de manière à ce que les proportions soit agréables à l’homme, pour qu’il puisse s’y sentit chez lui, tout en lui inspirant un sentiment d’élévation de l’esprit. L’harmonie des proportions crée une impression de paix et de bien-être, quelle que soit la taille de l’édifice. Ainsi, l’église Sainte-Sophie de Constantinople, un des plus merveilleux exemples de l’architecture liturgique orthodoxe mais aussi une des plus grandes basiliques de la chrétienté, n’engendre aucune sensation d’écrasement, à l’inverse de bien des cathédrales de style gothique. La coupole hémisphérique de cette basilique enveloppe l’espace intérieur, en reproduisant l’harmonie du cosmos récapitulée dans l’église.
Cette coupole se retrouve dans la plupart des église orthodoxes, surmontant la nef. Une fresque représentant le Christ Pantocrator, c’est-à-dire  » souverain de l’univers  » y est peinte. La plupart des murs sont ainsi ornés de fresques peintes selon la même technique picturale que les icônes ; elles représentent les scènes de la vie du Christ et des figures de saints. Le fidèle se trouve ainsi  » environné d’une nuée de témoins « . Cette omniprésence de la sainteté et du mystère de l’oeuvre du Christ a l’immense avantage de créer par sa profusion même un climat psychologique particulièrement propice à la prière et à la paix intérieure. En outre, les couleurs utilisées pour ces fresques mariées au jeu des lumières particulièrement étudié dans la construction de l’édifice, contribuent elles aussi à créer l’ambiance inexprimable de la liturgie orthodoxe.

L’icône : Fenêtre sur le Royaume
La vénération des icônes est bien connue du grand public à propos de l’Orthodoxie. Le mystère de l’icône est d’ordre sacramentel : le sacrement de la présence de celui qui est représenté. Une photo d’un être cher nous remémore sa présence. En faisant ainsi mémoire de lui, nous nous sentons proches de lui, au moins sur le plan affectif. L’icône développe cela à la mesure du mystère de l’Église et surtout, elle donne à cette commémoraison une dimension liturgique. Car l’icône n’a pas pour objet de flatter nos sens par sa beauté, mais elle nous permet de prier en présence de ce qui est représenté, soit face au mystère de l’économie divine lorsqu’elle représente une scène comme la Transfiguration ou la Résurrection du Christ, soit dans un face-à-face direct avec le Christ, la Mère de Dieu ou les saints.
Vénérée par les fidèles, encensée par les célébrants, portée en procession, l’icône est intégrée à la liturgie de l’Église. À chaque fête liturgique correspond une icône qui en est l’expression picturale, comme les chants liturgiques en sont l’expression verbale.
En se faisant chair, en habitant parmi les hommes, Dieu est  » sorti  » de sa transcendance pour s’abaisser (Saint Paul va jusqu’à parler d’ » anéantissement  » pour traduire cet abaissement – cf. Ph. 2,7) et se rendre ainsi visible et descriptible sous les traits d’un homme, dans la personne même du Fils de Dieu. Et cette face n’est pas anonyme, elle porte un nom, celui de Jésus, le Sauveur et le Seigneur du monde, vrai Dieu et vrai homme (Symbole de foi de Nicée-Constantinople). Avant le fait inouï de l’Incarnation, nulle représentation n’était possible parce que la révélation de Dieu ne s’était pas accomplie avec une telle clarté ni une telle plénitude : la face de Dieu ne s’était pas encore montrée.
Qui a vu le Fils a vu le Père (cf. Jn 14,9), mais aussi l’Esprit qui repose sur lui. En effet, aucune représentation du Père et de l’Esprit ne sont possibles. La seule icône de la Trinité qui soit acceptable pour l’Orthodoxie est une icône symbolique : celle des trois anges accueillis par Abraham sous le chêne de Mambré.
L’icône n’est donc pas le Christ lui-même, mais son image, image par laquelle il se rend mystérieusement présent. L’icône est un moyen, un support de la prière et un soutien de l’amour. La vénération qui lui est portée est une vénération relative, elle ne va pas à l’objet lui-même, mais à celui qui est représenté. Au lieu d’être une réalité matérielle close sur elle-même, comme le serait une idole, elle est une  » fenêtre sur le Royaume « , un moyen d’accès à l’invisible.
C’est pourquoi elle répond à des canons et à une esthétique qui lui sont propres. À l’inverse d’un portrait ou d’une photo, l’icône décrit de manière dynamique un état qui n’est pas de ce monde : celui de la nature humaine transfigurée, telle qu’elle est apparue aux disciples lors de la Transfiguration du Christ au le Mont Thabor, mais aussi à tous ceux qui ont vu le Christ ressuscité. Dans les icônes, quelle que soit le moment de la vie de l’existence du Christ ou des saints représentés, la chair est déjà ressuscitée, illuminée de l’intérieur par une lumière qui n’est pas de ce monde. C’est pourquoi les formes, la perspective, les couleurs, le sens de la lumière et l’absence d’ombres dans l’icône lui donnent cet aspect à nul autre pareil, totalement étranger à un art figuratif qui ne cherche qu’à imiter la réalité visible. Ces formes esthétiques sont un parti pris conscient et avoué de la part des iconographes, selon une science picturale très aboutie.

Le chant : Louange de Dieu
Le chant liturgique est complémentaire de l’icône et il tient une très grande place dans la liturgie. L’homme est particulièrement sensible à ce qu’il entend, et la musique exerce sur lui une influence très grande, tant sur son esprit que sur son corps. L’Église, reprenant les usages de l’Ancien Testament (les Psaumes, par exemple, sont avant tout des prières chantées), a toujours utilisé le chant dans ses célébrations. Elle a ainsi créé un univers sonore apte à élever l’esprit de l’homme en le pacifiant, pour l’ouvrir à la contemplation des mystères célébrés.
Le chant liturgique répond à des exigences précises, en tous points comparables à celles qui gouvernent l’iconographie. Il ne vise pas à exprimer des sentiments ou des émotions humaines ; comme l’icône, il a pour but d’ouvrir l’esprit de l’homme à la présence de Dieu, en lui faisant oublier les soucis de ce monde pour s’élever vers son Créateur. L’usage des instruments de musique est proscrite dans l’Église orthodoxe. Seule la voix humaine est apte à louer Dieu. D’autant que les textes des chants priment sur la mélodie, celle-ci n’en est que le support, même si à certains moments de la célébration le chant finit par n’être plus qu’une mélodie pure.
Le chant crée une harmonie de sons s’unissant à l’harmonie des couleurs et des formes au sein de l’édifice liturgique. Mais l’aspect rythmique en est tout aussi important. Le rythme du chant doit se greffer sur celui de la célébration et sur les gestes des célébrants, en soulignant les moments importants ou en créant des temps de transition nécessaires

LE SENS DOGMATIQUE DE L’ICÔNE

20 août, 2014

http://www.pagesorthodoxes.net/eikona/icones-sens.htm

LE SENS DOGMATIQUE DE L’ICÔNE

par Léonide Ouspensky

- L’ICÔNE, THÉOLOGIE INSPIRÉE
- L’ICÔNE, TRANSMISSION OBJECTIVE DE LA RÉVÉLATION
- L’ICÔNE, VISION DU MONDE SPIRITUEL
- L’ICÔNE, RÉALITÉ DU ROYAUME

L’intérêt pour l’art liturgique orthodoxe, en particulier pour l’icône, ne cesse de croître en Occident. Les livres, les conférences, les articles, les expositions, les collections se multiplient. Tous ces efforts ont, certes, le mérite de révéler à un grand nombre l’existence d’un mode d’expression demeuré quasi-inconnu au public occidental. Cependant, la grande majorité des ouvrages consacrés à l’art liturgique orthodoxe sont des ouvrages laïques, traitant un sujet religieux. Ils relèguent cet art soit dans les admirables souvenirs de l’archéologie, soit dans le domaine de l’esthétique pure. Il est ainsi ramené à un seul de ses aspects, l’aspect humain – sa valeur artistique, les influences réciproques des styles, des écoles etc… Les orthodoxes qui vivent et se nourrissent spirituellement de ce art voient, dans l’attitude générale à son égard, une grande incompréhension de ce qu’il y d’essentiel.

L’ICÔNE, THÉOLOGIE INSPIRÉE
L’icône est une sainte image et non une  » image sainte  » ou une image pieuse. Elle a son caractère propre, ses canons particuliers et ne se définit pas par l’art du siècle ou d’un génie national, mais par la fidélité à sa destination qui est universelle. Elle est une expression de l’économie divine, résumée dans l’enseignement de l’Église orthodoxe :  » Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne dieu.  » Telle est l’importance que l’Église attribue à l’icône que la victoire sur l’iconoclasme fut solennellement déclarée Triomphe de l’Orthodoxie, triomphe qui est toujours fêté à la première semaine du Grand Carême.
Pour l’Église orthodoxe l’image, aussi bien que la parole, est un langage exprimant ses dogmes et son enseignement. C’est une théologie inspirée, présentée sous une forme visuelle. Elle est le miroir reflétant la vie spirituelle de l’Église, permettant de juger des luttes dogmatiques de telle ou telle époque. Les époques de la floraison de l’art liturgique correspondent toujours à un essor de la vie spirituelle : ce fut le cas de Byzance, des autres pays orthodoxes et de l’Occident à l’époque romane. À ces moments, la vie liturgique est réalisée pleinement dans son ensemble harmonieux, ainsi que dans chacun de ses domaines particuliers.
Toutefois, l’image ne se borne pas à exprimer la vie dogmatique et spirituelle de l’Église, sa vie intérieure. À travers l’Église, l’image reflète également la civilisation qui l’entoure. Lié par ceux qui le créent au monde d’ici-bas, cet art est aussi un miroir de la vie du peuple, de l’époque, du milieu et même de la vie personnelle de l’artiste. Il est aussi en quelque sorte l’histoire du pays et du peuple. Ainsi, une icône russe, tout en ayant la même iconographie qu’une icône byzantine, diffère de celle-ci par ses types et son caractère national, une icône de Novgorod ne ressemble pas à une icône de Moscou etc… C’est précisément cet aspect extérieur de l’art sacré qui forme l’objet de la grande majorité des études actuelles.
Le contenu liturgique de l’image sacré fut perdu en Occident au XIIIe siècle et dans le monde orthodoxe, suivant les pays, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles. Ce n’est que vers la fin du XIXe siècle que les connaisseurs, les savants, les esthètes découvrirent l’icône. Ce qui semblait auparavant une tache sombre, engoncée d’un riche revêtement d’or, apparut soudain en sa miraculeuse beauté. Nos ancêtres iconographes se révélèrent non seulement des peintres de génie, mais des maîtres de la vie spirituelle, ayant su donner des formes à la parole du Seigneur : Mon Royaume n’est pas de ce monde (Jn).
Or, l’incompréhension du contenu de cet art n’est pas due à notre supériorité, ni à une perte de sa force vitale ou de son importance, mais à notre décadence spirituelle profonde. Sans parler des personnes qui sont complètement en dehors de l’Église, nous sommes en présence, même chez les croyants, d’un péché essentiel de notre époque : la sécularisation de notre esprit, la déformation complète de l’idée même de l’Église et de la Liturgie.
On peut dire qu’en général on ne voit plus de la vie spirituelle que son côté moral. Son fond dogmatique, devenu le domaine des  » savants théologiens « , est considéré comme une science abstraite et n’a plus aucun rapport avec la réalité de notre vie quotidienne. Quant à la Liturgie, guide infaillible de notre chemin spirituel, profession de notre foi, elle n’est plus pour beaucoup qu’un rite traditionnel ou bien un usage pieux et touchant. L’unité organique du dogme et de la loi morale dans la Liturgie s’est brisée, désagrégée. Cette absence d’unité intérieure détruit la plénitude liturgique de nos services divins. Les éléments qui les composent et dont nous ne saisissons plus le but commun – la parole, le chant, l’image, l’architecture, l’éclairage etc… – s’en vont, chacun dans sa propre voie, à la recherche de son sens et de ses effets particuliers. Ils ne sont plus unis les uns aux autres que par la mode de telle ou telle époque (baroque, classicisme etc…) ou par le goût personnel. Ainsi, l’art de l’Église ne vit plus de la révélation du Saint-Esprit, de la vie dogmatique de l’Église, mais se nourrit de la civilisation de tel ou tel moment historique. Il n’enseigne plus ; il cherche et tâtonne avec le monde.
On entend souvent des voix indignées protester contre les images mièvres et sentimentales  » genre Saint-Sulplice « , ou contre les pièces de concert qui viennent remplacer le chant liturgique. Il ne s’agit pas là, comme on l’admet couramment, d’une décadence de notre goût. Le mauvais goût a toujours existé et existera toujours. Le malheur de notre époque c’est que le goût personnel, qu’il soit bon ou mauvais, est généralement admis comme critère dans l’Église, alors que le critère objectif est perdu.

L’ICÔNE, TRANSMISSION OBJECTIVE DE LA RÉVÉLATION
Pour saisir la signification et le contenu de l’art sacré, en particulier l’icône, commençons par étudier brièvement le tout dont elle n’est qu’une partie, l’église et sa signification symbolique d’une part, l’attitude de l’Église orthodoxe vis-à-vis de l’art d’autre part.
Le principe orthodoxe de la construction des églises est basé sur la tradition léguée par les Pères. Or, la tradition n’est pas un principe conservateur ; elle est la vie même de l’Église dans l’Esprit Saint. C’est la révélation divine qui continue de vivre. À l’expérience de celui qui la reçue et transmise, s’ajoute l’expérience de celui qui la vivra après lui. Ainsi, l’unité de la vérité révélée cohabite avec la pluralité des compréhensions personnelles.
Dans son second Traité pour la défense des saintes icônes, saint Jean Damascène dit :  » La Loi et tout ce qui fut institué par la Loi (l’Ancien Testament) était une certaine préfiguration de l’image à venir, c’est-à-dire de notre culte actuel. Et le culte que nous rendons actuellement est une image des biens à venir. Quant aux objets eux-mêmes, ils sont la Jérusalem céleste, immatérielle, et qui n’est pas faite par la main de l’homme, suivant la parole de l’Apôtre : Nous n’avons point d’ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir (He 13,14), c’est-à-dire la Jérusalem céleste, dont Dieu est l’architecte et le constructeur (He 11,10). Une église, avec tout ce qu’elle contient, est donc l’iamge des  » biens à venir  » de la Jérusalem céleste.
Selon les Pères liturgistes, et en particulier saint Germain de Constantinople, grand confesseur de l’Orthodoxie de la période iconoclaste,  » l’église est le ciel sur terre, où habite et se meut Dieu qui est plus haut que le ciel « .  » Elle a été préfigurée dans les personnes des patriarches, annoncée dans celle des prophètes, fondée dans celle des Apôtres, ornée dans celle des évêques, sanctifiée dans celle des martyrs…  »  » Elle est l’image de l’Église divine et représente ce qui est sur la terre, ce qui est au ciel et ce qui dépasse le ciel  » (saint Syméon de Salonique). Il précise :  » Le narthex correspond à la terre, la nef au ciel et le saint sanctuaire à ce qui est plus haut que le ciel. « 
Ainsi, pour les Pères, l’église est le ciel nouveau et la nouvelle terre, le monde transfiguré, la paix à venir, où toutes les créatures se rassembleront dans l’ordre hiérarchique autour de leur Créateur.
C’est sur cette image que se basent la construction et la décoration des églises. Ce sont là des symboles dogmatiques qui se bornent à fixer les principes généraux et essentiels. Les Pères ne prescrivent aucun style d’architecture, n’indiquent point comment orner l’édifice, ni de quelle façon il faut peindre les icônes. Tout ceci découle de l’idée générale de l’Église et suit une règle d’art analogue à la règle liturgique. Autrement dit, nous avons une formule générale très nette et très clair qui dirige nos efforts, en laissant une liberté complète à l’action du Saint-Esprit en nous.
C’est donc l’image du monde transfiguré qui est à la base du principe définissant l’aspect de l’église, la forme des objets et leur place, le caractère des chants liturgiques, et règle l’ordonnance des sujets de la décoration, ainsi que l’aspect extérieur de l’image.
Il est clair qu’une pareille conception de l’église nécessite une harmonie parfaite de tous les éléments qui la forment, c’est-à-dire leur unité et leur plénitude liturgique. L’architecture, l’image, le chant, tout doit rappeler au fidèle qu’il se trouve en un lieu sacré. Chaque partie de l’édifice doit, par son aspect, lui montrer son sens et sa destination.
Pour former un ensemble harmonieux, chacun des éléments composant une église doit, avant tout, être subordonné à son idée générale et partant renoncer à toute ambition de jouer un rôle propre, de valoir par lui-même. L’image, le chant cessent d’être des arts ayant chacun sa voie propre, indépendante des autres, pour devenir des formes variées exprimant, chacune à sa façon, l’idée générale de l’église, univers transfiguré, préfiguration de la paix à venir. Cette voie est la seule où chaque art, formant partie d’un tout harmonieux, puisse acquérir la plénitude de sa valeur et s’enrichir infiniment d’un contenu toujours nouveau.
Cette harmonie qui forme de l’église et du service divin un tout homogène réalise, dans son domaine propre, cette  » unité dans la diversité  » et cette  » richesse dans l’unité « , qui exprime, dans l’ensemble et dans chacun des détails, le principe de catholicité de l’Église orthodoxe.
Ainsi, l’art de l’Église est, par son essence même, un art liturgique. Non seulement il sert de cadre au service divin et le complète, il lui est parfaitement conforme. L’art sacré et la Liturgie ne font qu’un, tant par leur contenu que par les symboles servant à l’exprimer. L’image découle du texte, elle lui emprunte ses thèmes iconographiques et la façon de les exprimer.
La correspondance parfaite de l’image et du texte a été le principe de l’art sacré, dès les premiers siècles du christianisme. Dans les catacombes et les premières églises, nous ne voyons jamais d’images de caractères anecdotique ou psychologique. Comme la Liturgie, elles unissent la réalité la plus concrète à un symbolisme profond.
Or, ce que nous voyons dans nos églises est souvent bien loin de ce que doit être l’art liturgique. Il y a confusion de deux choses absolument distinctes : la sainte image et l’image sainte, c’est-à-dire de l’art liturgique et de ce qu’on appelle communément l’art  » religieux « , art qui, tant par son essence que par sa destination, sa manière d’expression et sa façon de traiter la matière, est un art profane à sujet religieux. Du fait de cette confusion, l’art sacré a été presque complètement évincé de nos églises et remplacé par l’art religieux.
Cet art est de conception relative et subjective ; expression d’un état d’âme de l’artiste et de sa piété propre et non, comme l’art liturgique, transmission objective de la révélation. Il reflète le monde sensible et émotionnel, conçoit Dieu à l’image de l’homme. Ce n’est plus l’Église qui enseigne, mais la personnalité humaine qui impose ses recherches individuelles aux croyants. Le but de l’art religieux est de provoquer une certain émotion. Or, l’art liturgique ne se propose pas d’émouvoir, mais de transfigurer tout sentiment humain.
De même la conception de la beauté, dans l’art religieux, est complètement différente de celle de l’art liturgique. Pour l’Église orthodoxe , la beauté est le vêtement royal de Dieu triomphant : Le Seigneur règne, il s’est vêtu de splendeur (Ps 92,1). Dans le plan humain, elle est le couronnement divin d’une oeuvre, la correspondance de l’image à son prototype. Or, dans l’art religieux, comme dans l’art profane, la beauté a sa valeur en elle-même ; elle est le but de l’oeuvre. Ce n’est plus la beauté dans le sens orthodoxe du mot, mais plutôt une déformation de cette beauté, aboutissant dans l’image du monde déchu, allant parfois jusqu’à l’image du monde décomposé )Picasso, les surréalistes…). La beauté d’une image est ici quelque chose de subjectif, tant pour l’artiste qui la crée que pour le spectateur qui la regarde. Dans la façon de créer, comme dans la façon d’apprécier, c’est la personnalité humaine qui s’affirme, consciemment ou inconsciemment. C’est ce qu’on appelle communément la  » liberté « .
Cette liberté consiste en une expression de la personnalité de l’artiste, de son moi ; la piété personnelle, les sentiments individuels, l’expérience de telle ou telle personne humaine passant avant la confession de la vérité objective de la révélation divine. C’est, en réalité, le culte de l’arbitraire. Ajoutons que, dans une image religieuse, cette liberté s’exerce au dépens de celle des spectateurs : l’artiste leur présente sa personnalité qui s’interpose entre eux et la réalité de l’Église. Ceci ne peut que provoquer une révolte, et ce qui était destiné à stimuler la piété des croyants confirme les incroyants dans leur impiété. Un artiste qui, consciemment ou inconsciemment, s’engage dans cette voie, est esclave de son émotivité, de ses impressions sentimentales. L’iamge créée par lui perd inévitablement sa valeur liturgique. De plus, la conception individualiste de l’art détruit forcément son unité et prive les artistes du lien qui les unit les uns aux autres et à l’Église. La catholicité cède le pas au culte du personnel, de l’exclusif, de l’original.
Tout autre est le chemin suivi par la peintre liturgique orthodoxe. C’est la voie de la soumission ascétique, de la prière contemplative. La beauté d’une icône, quoique comprise par chacun de ceux qui la regardent à sa façon personnelle. dans la mesure de ses possibilités, est exprimée par l’artiste objectivement, selon le refus de son moi, s’effaçant devant la vérité révélée. La liberté consiste en la  » libération de toutes les passions et de tous les désirs de ce monde et de la chair « , suivant Syméon le Nouveau Théologien (Sermon 87). C’est la liberté spirituelle, celle dont parle saint Paul : Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté (2 Co 3,17). La qualité liturgique et spirituelle de l’art est proportionné au degré de liberté spirituelle de l’artiste. Cette voie est la seule qui mène la personnalité de l’artiste à la plénitude de son importance réelle.
La tâche du peintre d’icônes et celle du prêtre ont beaucoup de points communs. Selon saint Théodose l’Érmite, par exemple,  » l’un compose le Corps et le Sang du Seigneur et l’autre le représente « . Comme le prêtre, le peintre a le devoir, dans son art, de nous mettre devant la réalité, laissant à chacun la liberté de réagir dans la mesure de ses moyens, suivant son caractère et les circonstances.
Un autre point par où l’art liturgique diffère essentiellement de l’art religieux est la façon dont il traite la matière. Il suit, là aussi, le principe essentiel de l’Église. L’image du monde transfiguré ne saurait, avant tout, tolérer aucun mensonge : elle est l’opposé de l’illusion, la vérité par excellence. C’est pourquoi la matière, entrant dans sa composition, doit être authentique. Il faut que son traitement soit conforme à la matière en question et que, de son côté, la matière soit conforme à l’emploi de l’objet. Il est essentiel que l’objet ne donne pas l’illusion d’être autre chose qu’il n’est pas. Aussi, dans l’icône, l’espace est limité par la surface plane de la planche et ne doit pas donner l’impression artificielle de la dépasser.
Nous voyons donc que le principe même de la création dans l’art liturgique est diamétralement opposé à celui de l’art religieux. C’est pourquoi une image religieuse peur être intéressante et utile à sa place, mais cette place n’est pas dans l’église.

L’ICÔNE, VISION DU MONDE SPIRITUEL
C’est au cours de la période iconoclaste des VIIIe-IXe siècles que l’Église formula clairement la portée dogmatique de l’icône. En défendant les images, ce n’est pas seulement leur rôle didactique, ni leur côté esthétique que défendait l’Église orthodoxe, c’est la base même de la foi chrétienne : le dogme de l’Incarnation de Dieu. En effet, l’icône de notre Seigneur est à la fois un témoignage de son Incarnation et celui de notre confession de sa divinité.  » J’ai vu l’image humain de Dieu et mon âme est sauvée « , dit saint Jean Damascène (Premier traité pour la défense des saintes icônes, chapitre 22).
D’une part, l’icône témoigne, en représentant la Personne du verbe incarné, de la réalité et de la plénitude de son Incarnation : d’autre part, nous confessons par cette image sacrée que ce  » Fils de l’Homme  » est réellement Dieu, la vérité révélée. Ainsi, nous voyons chez saint Pierre qui, le premier, confessa la divinité du Christ, non pas une connaissance humaine naturelle, mais une connaissance d’ordre supérieur, suivant la parole de notre Seigneur :Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et la sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux (Ma 16,17).
L’élan de l’homme vers Dieu, le côté subjectif de la foi, se rencontre ici avec la réponse de Dieu à l’homme, une connaissance spirituelle objective, exprimée soit par la parole, soit par l’image. Ainsi, l’art liturgique n’est pas seulement notre offrande à Dieu, mais aussi la descente de Dieu vers nous, une forme dans laquelle s’opère la rencontre de  » Dieu avec l’homme, de la grâce avec la nature, de l’éternité avec le temps « . Les formes de cette interpénétration du divin et de l’humain sont perpétuellement transmises et toujours vivantes dans la tradition.
La tradition dans l’art liturgique, comme dans l’Église elle-même, se base sur deux réalités : un fait historique d’une part, et la révélation dépassant les limites du temps d’autre part. C’est ainsi que l’iamge d’une fête ou d’un saint reproduit le plus fidèlement possible la réalité historique et nous ramène à son prototype, sans quoi elle n’est pas une icône. De là, le pouvoir des images d’opérer des miracles, car  » les saints, au cours de leur vie, étaient remplis du Saint-Esprit. Après leur mort également, la grâce du Saint-Esprit demeure perpétuellement dans leurs âmes, dans leurs corps ensevelis, dans leur aspect et dans leurs saintes images  » (saint Jean damascène). Au cas où une ressemblance physique absolue ne saurait être atteinte, la réalité historique est exprimée par des symboles parfaitement adéquats. C’est pourquoi l’Église orthodoxe n’admet pas les images peints d’après un modèle vivant ou d’après l’imagination de l’artiste. Une telle image n’exprime, à part son mensonge inévitable, que le fait que saint Pierre par exemple était un homme et la Sainte Vierge une femme. Les conciles prescrivent de peindre comme peignaient les anciens iconographes. Il existe, à cet effet, des recueils fixant les traits iconographiques de chaque saint.
D’un autre côté, une image sacrée ne représente pas simplement un événement historique ou un être humain parmi les autres ; elle nous montre de cet événement ou de cet être humain son visage éternel, nous révèle son sens dogmatique et son rang dans l’enchaînement des événements salutaires de l’économie divine. Les images de notre Seigneur et de la Vierge, à elles seules, dégagent déjà la plénitude de cette économie. Par l’icône d’un saint, nous voyons sa place et son importance dans l’Église, ainsi que sa façon particulière de servir Dieu en tant que prophète, martyr, apôtre etc…, exprimés par les attributs iconographiques et les couleurs symboliques. Ainsi l’icône, tout comme la Sainte Écriture, nous montre le terme suprême et le sens profond de toute la vie humaine : vie de martyr, vie contemplative, active ou autre. Elle nous révèle la voie à suivre et les moyens de l’accomplir et nous aide à découvrir le sens de notre propre vie.
Comme l’Évangile, l’art sacré est laconique. La Sainte Écriture ne consacre que quelques lignes à des événements qui décidèrent de l’histoire de l’humanité. L’image sacré également nous montre seulement ce qui est essentiel. Les détails, ici et là, ne sont tolérés que lorsqu’ils sont indispensables et suffisants, comme par exemple dans le récit et l’image de la Résurrection, les bandes qui étaient à terre et le linge qu’on avait mis sur la tête de Jésus, non pas avec les bandes, mais plié dans un lieu à part (Jn ).
Mais si l’icône dépasse les limites du temps, elle ne rompt pas ses relations avec le monde, ne s’enferme pas en elle-même. Les saints sont toujours représentés de face ou de trois quarts vers le spectateur. Ils ne sont presque jamais vus de profil, même dans les compositions compliquées, où leur mouvement est dirigé vers le centre de la composition. Le profil, en effet, interrompt en quelque sorte la communion, il est comme un début d’absence. On le tolère dans la représentation de personnages qui n’ont pas acquis la sainteté, comme par exemple les bergers ou les mages dans l’icône de la Nativité de notre Seigneur.
Cette absence de profil est une des expressions de la relation intime entre celui qui prie et le saint représenté. Dans une église, où la décoration, comme nous l’avons dit, n’est pas un assemblage d’icônes plus ou moins arbitraire, mais forme, en quelque sorte, une icône générale de l’Église, la Liturgie, c’est-à-dire  » action commune « , englobe l’assemblée des saints représentés et celle des fidèles, les saints tournés à la fois vers eux et vers le Seigneur, étant un objet de prière et des médiateurs auprès de Dieu.
Si aujourd’hui nous avons cessé de comprendre le message que nous apporte l’icône, c’est que nous avons perdu la clef de son langage. Cette chef est le sens concret et vivant de la Transfiguration, idée centrale de l’enseignement chrétien. Ainsi que disait un évêque russe du XIXe siècle, saint Ignace Braintchaninov,  » la connaissance même de la capacité du corps humain à être spirituellement sanctifié est perdue par les hommes  » (Essai ascétique, premier volume).
L’icône est précisément le témoignage de cette connaissance concrète, vécue de la sanctification du corps humain, de sa transfiguration. De même que la parole, mais au moyen d’images visibles, elle nous montre la créature pénétrée et déifiée par la grâce incréée.  » L’homme, dont l’âme est toute devenue feu, transmet également à son corps une partie de la gloire acquise intérieurement, tout comme le feu matériel transmet son action au fr  » (saint Syméon le Nouveau Théologien, sermon 83).
Saint Ignace Briantchaninov décrit cet état d’une façon qui nous est plus accessible :  » Lorsque la prière est sanctifiée par la grâce divine, l’âme tout entière est attirée vers Dieu par une force inconnaissable, entraînant avec elle le corps… Chez l’homme né à une vie nouvelle, ce n’est pas l’âme seulement, ni le coeur seul, mais la chair aussi qui s’emplit d’une consolation et d’une félicité spirituelles : la joie du Dieu vivant… Lorsque l’homme prie véritablement, chacun de ses clame : Seigneur qui t’égale ? Tu délivres le pauvre des puissants qui l’oppriment. Tu libères le malheureux et l’indigent de ceux qui ravissent sa prière et son espoir : les pensées et les sensations venant de la nature déchue et provoquées par les démons. « 
Ainsi, l’être entier prend part à la prière : le corps, les sens, les sentiments, sont sanctifiés par la grâce. Leur dispersion habituelle,  » les pensées et les sensations qui proviennent de la nature déchue  » font place à une prière concentrée, tout se fond dans l’élan de l’homme tout entier vers Dieu. Nos sens régénérés deviennent autres. C’est ce corps humain transformé qui est représenté sur l’icône. Ceci ne veut pas dire que le corps humain devienne autre chose qu’il est. Au contraire, le corps reste corps et garde toutes les particularités physiques de la personne. Mais le changement de son état est représenté par des traits qui, n’étant pas naturalistes, nous sont souvent incompréhensibles.
L’icône est donc, comme nous l’avons dit, un témoignage de la déification de l’homme, de la plénitude de la vie spirituelle, une communication par l’image de ce qu’est l’homme en état de prière sanctifiée par la grâce. C’est en quelque sorte de la peinture d’après nature, mais d’après la nature rénovée, à l’aide de symboles. Elle est le chemin et le moyen ; elle est la prière même. De là, la majesté de l’icône, sa simplicité, le calme du mouvement, de là le rythme de ses lignes et de ses couleurs qui découle d’une harmonie intérieure parfaite.
Il convient de préciser que cet état de sanctification n’est pas à confondre avec celui de l’extase. En effet, l’état extatique n’est pas une union de la nature humaine avec Dieu, il ne transfigure pas la créature. Il est une rupture de l’âme avec l’organisme sensible (raptus), une vision qui arrive parfois à des débutants dans la vie spirituelle. À mesure que le débutant croît dans la grâce, sa nature s’en pénètre tout entière ; il n’est plus ébloui par la vision du monde surnaturel ; il  » connaît dès ici-bas, dès la vie présente, le mystère de sa déification  » (saint Syméon le Nouveau Théologien, Sermon 83, chapitre 3).
Seuls les hommes qui, par expérience personnelle, connaissent cet état, peuvent créer de telles images, révélant la participation de l’homme à la vie du monde transfiguré qu’il contemple. Et seule une telle image, authentique et convaincante, peut nous communiquer son élan vers Dieu. Aucune imagination artistique, aucune perfection technique ne peuvent remplacer ici la connaissance positive  » provenant de la vision et de la contemplation « .
Il est facile de comprendre à présent pourquoi tout ce qui rappelle la chair corruptible de l’homme et l’espace physique est contraire à la nature même de l’icône, car la chair et le sang ne peuvent hériter le Royaume de Dieu et la corruption n’hérite pas l’incorruptibilité (1 Co 15,50).
De tout ce qui précède, il ne résulte nullement que seuls, les saints puissent faire des icônes. L’Église ne consiste pas que de saints. Nous tous en faisons partie par les sacrements et cela nous confère le devoir, le droit, l’audace de marcher sur la trace des saints. Tout peintre orthodoxe vivant dans la tradition peut faire des icônes authentiques. Ceci explique les exigences de l’Église, en ce qui concerne le côté moral de la vie des peintres d’icônes. La peinture d’icônes n’est pas seulement un art, c’est une ascèse quotidienne. Mais la source inépuisable qui abreuve l’art sacré est l’Esprit Saint par l’intermédiaire de l’Église, par la contemplation des hommes, dont la prière a été sanctifiée par la grâce divine. C’est pourquoi l’Église orthodoxe, parmi les différents ordres de saints, docteurs, martyrs etc…, a un ordre de saints peintres d’icônes canonisées pour leur art.

L’ICÔNE, RÉALITÉ DU ROYAUME
Résumons pour terminer. L’art liturgique est une théologie inspirée, exprimée par les formes, les lignes et les couleurs. Il contient les trois éléments qui forment la religion chrétienne : le dogme, qu’il confesse par l’image, l’enseignement spirituel et moral, qu’il traduit par son sujet et son contenu, et le culte, dont il fait partie intégrante.
De même que notre Seigneur sur le Mont Thabor montra aux disciples la vérité du siècle à venir et les fit participer au mystère de sa Transfiguration  » dans la mesure où ils en étaient capables « , l’art liturgique, en mettant devant nos yeux l’image de cette même vérité du siècle à venir (le Royaume de Dieu venu dans sa force (Mt )), sanctifie tout notre être suivant nos capacités.
En oubliant la capacité du corps humain à être ainsi sanctifié, on est arrivé à appliquer à l’art sacré les mêmes mesures et les mêmes exigences qu’à l’art profane, abaissant ainsi le surnaturel jusqu’à l’humain. L’homme déchu est devenu la mesure de toutes choses, il crée Dieu à son image au lieu de retrouver dans l’homme l’image de Dieu.
Si au temps de l’iconoclasme des VIIIe et IXe siècles, dans la lutte pour l’existence même de l’image, c’est le dogme de l’Incarnation de Dieu qui était défendu,  » Dieu est devenu homme « , aujourd’hui, c’est l’aboutissement de l’Incarnation :  » Pour que l’homme devienne Dieu « , qui est en jeu. L’iconoclasme de nos jours, inconscient sans doute, n’est pas tant une négation de l’image que sa défiguration, voire sa corruption, une incompréhension de sa portée dogmatique et éducatrice. La plupart du temps, l’image est considérée comme chose secondaire ; la parole seule est jugée suffisante. On oublie que notre Seigneur n’est pas seulement le Verbe du Père, mais aussi l’Image du Père et que, depuis le temps les plus reculés, la mission de l’Église dans le monde était exercée par l’iamge comme par la parole.
Loin d’être pour nous un objet de délectation esthétique ou de curiosité scientifique, l’icône a un sens théologique très net : de même que l’art profane représente la réalité du monde sensible et émotionnel, tel qu’il est vu personnellement par l’artiste, elle représente la réalité du Royaume qui n’est pas de ce monde, telle que nous l’enseigne l’Église. Autrement dit, elle représente, à l’aide de symboles, ce même monde sensible et émotionnel, délivré du péché, transfiguré et déifié.

Extrait des Mélanges de l’Institut orthodoxe français de Paris, IV, 1948.

LA THÉOLOGIE ORTHODOXE OU « LA FLAMME DES CHOSES » – Paul Evdokimov

31 juillet, 2014

http://www.spiritualite-orthodoxe.net/paul_evdokimov_orthodoxie.html

LA THÉOLOGIE ORTHODOXE OU « LA FLAMME DES CHOSES »

« Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu »

Article inspiré des cours de Père Razvan Ionescu
Un explication plus approfondie du mot Théologie

Reprise de l’intervention video Première partie – 1

D’après Orthodoxie (L’), Paul Evdokimov, Desclée de Brouwer, 1992; Pages 47-56.
La vision de Paul Evdokimov sur la théologie patristique: les commentaires de Père Razvan Ionescu sont en italique

Une théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation – la metanoïa

L’Orient distingue d’une part  » l’intelligence  » orientée vers la coïncidence des opposés et débouchant sur  » l’unité et l’identité par la grâce 1, et d’autre part la  » raison », pensée discursive fondée sur le principe logique de contradiction et d’identité formelle et tournée vers le multiple, donc « déifuge ». Or, « l’intelligence réside dans le coeur, la pensée dans le cerveau 2 . Ce qui explique pourquoi la foi orthodoxe ne se définit jamais en termes d’adhésion intellectuelle, mais relève de l’évidence vécue, d’une « sensation du transcendant »: « Seigneur, la femme qui était tombée dans un grand nombre de péchés, ayant ressenti ta dignité… » 3. Il faut souligner l’aspect existentiel de la foi où s’opère la coïncidence foncière de l’amour et de la connaissance, inséparablement un dans le coeur-esprit,
- Il n’y a donc pas de division dans la personne humaine qui connait théologiquement.
ce qui dépasse l’intellectualisme et le sentimentalisme et correspond au terme évangélique très fort de metanoïa, revirement de toute l’économie de l’être humain.
- metanoïa de meta-noûs, c’est l’intelligence non pas dans le sens de ratio mais une intelligence plus profonde de l’homme dans sa complexité. C’est un renouveau de l’intelligence, c’est à dire un mouvement qui fait que la personne humaine voit les choses autrement à travers la grâce de Dieu.

La théologie comporte un élément doctrinal, la didascalie objective de l’Eglise, sa catéchèse, mais plus profondément dans sa sève même elle écoute ses saints, s’alimente à leur expérience pneumatophore du Verbe. Ainsi, comme le montre le titre d’un des écrits de Denys le pseudo Aréopagite : De la théologie mystique, celle-ci est théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation. Elle saisit les paroles de Dieu à l’intérieur des « phanies », manifestations de Dieu. La transcendance divine nous apprend qu’on ne peut jamais aller vers Dieu qu’en partant de lui, qu’en se trouvant déjà en lui.
[Oeuvre complète de Saint Denys l'areopagite, Mgr Darboy, Maison de la Bonne presse, 1845 - Théologie Mystique à partir de la page 463 pdf, ou 286 livre., téléchargeable ici]
Par rapport aux orientations développées en Occident, qui développent une théologie de discours et surtout une explication rationnelle des choses, l’Orient est plus enclin à une théologie du mystère. C’est à dire que l’on touche le mystère à travers la théologie. Ceci ne veut pas dire pour autant que l’on épuise le mystère à travers notre discours mais justement la théologie a comme fonction de nous mettre devant le mystère de Dieu. Elle nous invite à le goûter et en le goûtant on se rend compte que c’est une profondeur sans fin.
Les développements théoriques, chez les Pères passent souvent et sans aucune interruption aux textes de prières et de dialogue avec Dieu.
- Paul Evdokimov met l’accent sur cette relation étroite entre ce que l’on écrit sur Dieu et notre prière.

Mystagogie ou initiation
Saint Isaac Saint Isaac le Syrien voit dans ces instants: « la flamme des choses ». C’est peut-être la meilleure définition de la théologie. Art, beaucoup plus que science systématique, elle découvre la vérité cachée des choses célestes et terrestres et initie à la participation-communion au monde éonique de Dieu.
- Le mot initie, initiation, est important car en théologie on parle d’une pédagogie mais aussi d’une mystagogie, c’est à dire une initiation, on se souvient des paroles du seigneur quand Il dit:  » Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint; et apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps.  » Matthieu 28:19-20  » 4 donc quand Il dit « apprenez », cette pédagogie vient tout de suite après « baptisez », qui veut dire « initiez », ouvrez la porte du Royaume à travers la grâce de Dieu, la descente de l’Esprit Saint; à travers cette pentecôte personnelle. La pédagogie vient donc à la suite de la mystagogie, ce qui ne veut pas dire que dans l’Eglise seul le baptême est mystagogique, car toute expérience de l’Eglise nous parle d’une mystagogie mais l’expérience de l’Eglise nous parle aussi d’une pédagogie, on ne peut donc pas les séparer. La mystagogie est donc une initiation au mystère, une découverte du mystère.
Théognosie – Theo: Dieu; gnosis: connaissance – catéchèse – Vous voyez l’équilibre qui existe toujours dans les affirmations théologiques, on parle d’une initiation mais aussi d’un enseignement.
« voie expérimentale de l’union avec Dieu » Ce sont des mots extraordinaires car en fait si on parle de la théologie, en se référant à Theo et Logos, le Logos se rapporte soit à la parole, soit à la logique, un développement rationnel. Mais en même temps à l’école des Pères de l’Eglise c’est dans son aspiration ultime « voie expérimentale de l’union avec Dieu. »
Pour les Pères la théologie est avant tout la contemplation de la Trinité.
- Evdokimov fait une synthèse des Pères de l’Eglise. Par conséquent ce que nous faisons ici c’est une synthèse de synthèses.-
C’est cette connaissance par inhabitation du Verbe qui est la théologie mystique.
- Le saint Esprit vient et fait sa demeure en nous, si Dieu fait sa demeure en quelqu’un Il s’unit avec cette personne. Il ne peut pas vivre dans la chambre du coeur de quelqu’un sans être en communion avec cet être humain. C’est pourquoi quand on invite le Seigneur, on l’invite à venir en nous, à exprimer Sa présence et à s’unir avec nous.
Il s’agit bien de la « parousie » divine dans l’âme
- Paul Evdokimov utilise d’autres termes théologiques pour apporter une nouvelle lumière à la signification.
qui ne peut être saisie que par les yeux de la foi, « les yeux de la Colombe ». Il s’agit non de connaître quelque chose sur Dieu, mais d’ »avoir Dieu en soi ».
- Alors que les démarches théologiques essaient de construire un discours mais sans pouvoir véritablement construire quelque chose à partir de l’expérience concrète, les Pères se contentent d’exprimer leur expérience concrète personnelle par leur théologie. Toutefois ce n’est pas leur expérience particulière à eux, que personne ne peut interpréter, mais c’est une expérience personnelle qui entre dans l’expérience générale de l’Eglise.
La théologie devient la description en termes théologiques de la présence illuminante du Verbe. Ce n’est point une spéculation sur les textes mystiques rnais la voie mystique elle-même, génératrice d’unité. Elle postule le retour à la nudité de l’esprit, son dépouillement jusqu’à son état pré-conceptuel de pure réceptivité adamique:
- Cette expérience de Dieu, nous invite à découvrir un état de l’âme qu’on peut évoquer en pensant d’abord à Adam qui est appelé à goûter le Royaume de Dieu et Dieu Lui-même. Le centre même de notre culte se trouve dans la Cène eucharistique. Nous nous rassemblons pour goûter quelque chose ensemble, signe de communion. Dans le centre du culte chrétien, se trouve donc cette démarche de partager avec les autres notre nourriture qui n’est pas une nourriture de ce monde. Même si les choses matérielles qui contribuent à cette nourriture viennent de ce monde, à travers la bénédiction portée par liturgie la nourriture de ce monde devient également une nourriture qui n’est pas de ce monde, c’est à dire le Corps et le Sang du Seigneur que nous goûtons ensemble.

Le charisme d’oraison, prier sans cesse
« La contemplation était le privilège d’Adam au paradis  » et donc nécessite avant tout un « charisme de l’oraison  »
- C’est à dire la prière « . On imagine donc bien Adam vivre une vie qui était une contemplation de Dieu et nourrissait son être. Quand on parle de charisme d’oraison ça veut dire que la prière telle que nous l’apprenons aujourd’hui est une redécouverte d’une état qui fut paradisiaque: Adam priait. Quand on a demandé au Seigneur comment prier? Il a répondu: « Priez sans cesse « , ce qui signifie que la prière peut être une prière qui ne cesse pas. Ceci veut dire que l’être humain a une capacité de prière qui exprime quelque chose de sa nature. Il est capable par sa nature d’entretenir une relation avec Dieu à travers sa prière. La prière est comme une respiration de l’âme, c’est à dire que de la même façon que le corps respire et que sans respiration il ne vit plus, l’âme respire (Sans pour autant entrer dans un dualisme âme-corps). La prière fait partie du bon « fonctionnement » de l’être humain, il en a besoin mais c’est un charisme en même temps.
La théologie ainsi s’érige en ministère charismatique, car « personne ne peut connaître Dieu si ce n’est Dieu lui-même qui l’enseigne » et « il n’y a pas d’autre moyen de connaître Dieu que de vivre en lui… « ;- Sans la grâce de Dieu on n’est pas capable de Prier. Quand nous voulons prier véritablement il nous faut cette aide. Dieu nous donne son aide à condition que nous le cherchions parce qu’Il respecte complètement notre liberté. La grâce de Dieu est garante de la liberté humaine, c’est le péché qui empêche la liberté humaine. Savoir prier nécessite également un enseignement de la part de Dieu.
« parler de Dieu est une grande chose » ironise saint Grégoire le Théologien et justifie son titre en déclarant : « mais il est encore mieux de se purifier pour Dieu ».
- Nous avons donc vu que certains Pères nous parlent de la connaissance de Dieu, nous parlent de la théologie en tant que connaissance de Dieu. J’ai souligné que la théologie est « voie expérimentale de l’union avec Dieu ». Théologie veut donc dire connaissance de Dieu et pour connaître Dieu nous ne pouvons pas rester comme nous sommes à l’heure actuelle, il faut changer quelque chose en nous. Car même si nous arrivons dans ce monde avec un certain état de pureté, notre nature corrompue à travers notre personne fait que nous sommes enclins malheureusement au péché. La vie spirituelle est la guérison totale, absolue et ultime de notre nature humaine. Dans l’office pour les défunts on dit que Dieu a tellement aimé l’être humain, qu’Il ne l’a pas laissé comme ça, c’est la raison pour laquelle la mort est justement la délivrance. S’il n’y avait pas de mort, cette nature à l’origine de l’être humain donnerait une vie corrompue éternelle. Dieu donne une fin à l’être humain par Amour 5.

La divinisation de l’homme par la grâce
C’est un dialogue entre l’esprit de l’homme et l’Esprit de Dieu mais un dialogue générateur d’unité « déifiante »: « Dieu ne s’unit qu’à des dieux », dit saint Symeon?
- C’est vraiment une synthèse avec des mots forts, des mots clés des Pères de l’Eglise. Autrement dit, en reprenant la définition la plus noble de la vie théologique ou de la vie de l’Eglise: « Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu ». Notre destin n’est pas uniquement l’accomplissement de la personne humaine mais son accomplissement en tant que dieu par la grâce de Dieu. Il n’y a pas de changement de nature en nous mais si on vit la Vie que Dieu vit, on se transforme petit à petit en des dieux.
Pour saint Macaire, un théologien est un enseigné de Dieu et c’est l’Esprit, selon saint Syméon, qui d’un érudit fait un théologien, car il s’agit non de s’instruire intellectuellement sur Dieu, mais de se remplir de Dieu : « Afin que l’ayant reçu en nous, nous devenions ce qu’il est ».
- c’est pour cela que les êtres qui commencent à chercher Dieu dans leur vie deviennent de plus en plus ressemblant à Dieu. Une vie améliorée en Christ est une vie qui fait que quelqu’un est plus ressemblant à Dieu.

La libération des passions, les théologiens chrétiens orthodoxes
Pour saint Basile « la vraie théologie libère des passions »
-Si l’homme se libère petit à petit des mauvaises passions, c’est à dire les comportements qui ne laissent pas se manifester pleinement en nous l’image de Dieu. En s’en libérant on est dans l’acquisition petit à petits des « propriétés » qui expriment ce que Dieu est.
« Une théologie sans action 6 est la théologie des démons » note saint Maxime. C’est au dynamisme de la foi que répond « le don spirituel de l’Esprit qui révèle le sens de la théologie »….
L’Orthodoxie s’est avérée très sobre pour délivrer le titre de « théologien » par excellence. Seules trois personnes le possèdent comme attribut de leur sainteté: saint Jean le Théologien, le plus mystique des quatre évangélistes, saint Grégoire le Théologien, « chantre de la sainte trinité » et saint Symeon le Nouveau Théologien, auteur des hymnes qui exaltent l’union.
- Si l’Eglise est prudente dans l’attribution de ce titre, ce n’est pas qu’elle ne veut pas le donner mais ces personnes étaient caractérisées par leur profondeur théologique: elles ont su la vivre et l’exprimer à la fois. La théologie ce ne se limite pas à la contemplation, car il y a des êtres humains qui contemplent Dieu sans pouvoir exprimer cette contemplation et d’après ce qu’ils disent sans l’aide de Dieu il n’est pas possible de l’exprimer à travers un discours. En effet, notre discours ne peut pas « tenir en sa main » l’ineffable. Il faut que Dieu nous aide pour pouvoir exprimer des choses qui dépassent notre intelligence.

La contemplation ou theoria
La théologie comporte l’élément de contemplation. Ce discours peut paraître très théorique mais la pratique mène à la contemplation, car notre pratique c’est de contempler Dieu, et la contemplation vient de « theoria ». Donc la theoria pour les Pères n’est pas une attitude passive devant Dieu où l’on n’aurait plus envie de bouger puisque ce serait Dieu qui s’occuperait de nous. En référence aux écrits de Père Dumitru staniloae, il est vrai que Dieu prend l’initiative et comble l’être humain de telle façon que l’être humain se trouve parfois dans « l’étonnement », dans les phases les plus élevées du mystère de Dieu, mais même dans cet état la contemplation « theoria » est très pratique. C’est une étape très active dans la vie de quelqu’un parce qu’il est pleinement là dedans. Alors qu’en science la théorie est relative a un schéma abstrait de faits que l’on interprète, dans l’Eglise la « theoria » veut dire contemplation. Toute contemplation de la vérité dans l’Eglise, à travers la parole, à travers les sens ou tout ce que l’on est, est une theoria.

Le cataphatisme et l’apophatisme, la conscience des limites, et Dieu sujet non pas objet.
On a l’impression en lisant des écrits de théologie que les mots sont compliqués, par exemple cataphatisme et apophatisme. La théologie apophatique 7 est la théologie négative, celle cataphatique est positive. revenons à Paul evdokimov:
La méthode cataphatique procède par affirmation, mais en définissant Dieu, en lui donnant des noms, elle limite et rend son propre enseignement incomplet,
- C’est à dire que si on prend un livre par exemple, on arrive à décrire de quoi il s’agit par ses caractéristiques: sa taille, couleur, etc. Mais essayons de faire la même chose avec Dieu. Qui a vu Dieu? D’une certaine façon personne n’a vu Dieu. Cependant à travers notre expérience on peut avoir été touché par cette présence de Dieu, donc on parle d’une certaine façon d’une vision de Dieu, en gardant bien sûr les proportions. C’est pourquoi quand on essaie d’exprimer notre expérience on se rend compte que nos paroles sont très pauvres, on n’arrive pas à dire qui est Dieu. Si l’on se met à ajouter des attributs, des qualificatifs selon ce que l’on peut comprendre, on se rend compte que l’on commence à fabriquer une idole puisqu’en fait ça ne correspond pas à Dieu, car Il dépasse tout ce que l’on peut dire sur Lui. Ce genre de réflexion existe depuis le commencement du christianisme.
Il faut donc le compléter par la méthode apophatique qui procède par des négations ou oppositons à tout ce qui est de ce monde. Donc la théologie positive n’est point dévaluée mais précisée exactement dans sa dimension propre et ses limites.
- C’est extraordinaire, cette conscience des limites. La science d’aujourd’hui les découvre également car son discours ne couvre pas une réalité beaucoup plus complexe que celle que l’on peut imaginer.
C’est que la théologie négative habitue à l’infranchissable distance salvatrice: « Les conceptions créent des idoles de Dieu, dit saint Grégoire de Nysse, l’étonnement seul saisit quelque chose ».
- C’est à dire que l’on n’est pas devant un objet « Dieu ». En effet, pour la théorie de la connaissance il faut un objet de connaissance. Or dans la définition courante de la science, l’objet Dieu n’existe pas, puisqu’Il n’est pas reconnu de manière universelle. Même pour le théologien définir Dieu comme objet de connaissance n’est pas facile car il n’est pas un objet, il est un sujet de notre connaissance. Si Lui (ou si eux pour les trois personnes), ne s’ouvre pas à notre connaissance on ne peut pas le connaitre.

La prière liturgique, élévation vers Dieu et communion avec les autres
Paul Evdokimov parle plus loin de la prière liturgique: elle nous mène vers cette union. Quand on parle de prière personnelle, cela ne veut pas dire prière individuelle, parce que quand la personne prie elle est en communion avec d’autres personnes. Plus elle prie, plus elle est en communion avec les autres. C’est très important de le comprendre. Le Père Dumitru Staniloae, le décrivait en prenant l’image d’une pyramide inversée, plus on prie, plus on s’approche de Dieu et plus on est entouré. Quand nous prions ordinairement, nous sommes seuls même au milieu de plein de gens car nous ne les aimons pas comme il le faudrait, ou nous n’arrivons pas à entretenir cette communion à travers notre amour, c’est Dieu qui nous enseigne l’Amour.
On parle de la prière liturgique car on a besoin de cette prière qui concerne le peuple de Dieu dans l’Eglise. C’est elle qui nous mène vers notre « déification »: on devient Dieu selon la grâce de Dieu.
En cherchant Dieu, c’est l’homme qui est trouvé par Dieu.

Notes: sur le site

QU’EST-CE QUE LA TRINITÉ?

10 juin, 2014

http://carm.org/qu%E2%80%99est-ce-que-la-trinit%C3%A9

QU’EST-CE QUE LA TRINITÉ?

Le terme « trinité » sert à désigner la doctrine chrétienne selon laquelle Dieu existe en tant qu’unité de trois personnes distinctes : Père, Fils et Saint-Esprit. Chacune de ces personnes est distincte des autres, et pourtant chacune a la même essence que les autres. En d’autres termes, chacune est pleinement divine par nature, mais aucune n’est la Trinité à elle seule. Chacune fait preuve de volonté, d’amour et parle en disant « Je » et « Tu ». Le Père est une personne différente du Fils, qui est lui-même une personne différente du Saint-Esprit, qui est lui-même une personne différente du Père. Chaque personne est divine, pourtant il n’y a pas trois dieux mais un seul Dieu. Il existe trois subsistances ou personnes individuelles. Le mot « subsistance » désigne quelque chose qui existe réellement. Le mot « personne » désigne l’individualité et la conscience de soi. Trois d’entre elles forment la Trinité, même si « personne » est devenu le terme le plus utilisé pour décrire les aspects individuels de Dieu que sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
La doctrine de la Trinité implique un monothéisme strict selon lequel un être connu sous le nom de Dieu existe de lui-même dans tout l’univers et ne change jamais (Ésaïe 43:10 ; 44:6,8). Il est donc important de souligner que la doctrine de la Trinité n’est pas polythéiste comme l’affirment certains de ses détracteurs. Par définition, le trinitarianisme est monothéiste. Ceux qui affirment qu’il est polythéiste démontrent un manque de compréhension de ce dont il s’agit vraiment.

La Trinité :
Dieu est trois personnes
chacune de ces personnes est divine
il n’y a qu’un seul Dieu.
Nombre de théologiens reconnaissent que le terme « personne » ne décrit qu’imparfaitement les trois aspects individuels que présente Dieu. Dans son usage courant, le mot « personne » désigne pour nous un individu physique qui existe en tant qu’être distinct d’autres individus. Mais en Dieu il n’existe ni trois entités, ni trois êtres. Dieu est une trinité de personnes composée d’une seule substance et d’une seule essence. Numériquement parlant, Dieu est un. Pourtant, l’essence divine unique renferme trois subsistances individuelles que nous appelons personnes.
Chacune des trois personnes est complètement divine par nature, même si aucune ne constitue la totalité de la Divinité.
Aucune des trois personnes n’est les deux autres personnes.
Chacune des trois personnes est liée aux deux autres mais reste distincte de celles-ci.
Même si le mot « trinité » n’apparaît pas dans la Bible, cela ne veut pas dire que celle-ci n’enseigne pas le concept. Le mot « bible » est également absent de la Bible, mais nous l’employons malgré tout. De même, « omniscience » qui signifie « connaissant tout », « omnipotence » qui signifie « pouvant tout » et « omniprésence » qui signifie « présent partout » sont des mots qui n’apparaissent pas non plus dans la Bible. Nous utilisons pourtant ces mots pour décrire les attributs de Dieu. Affirmer que la Trinité est fausse parce que le mot ne figure pas dans la Bible n’est donc pas un argument valable.

Y a-t-il subordination dans la Trinité ?
Il semble exister, au sein de la Trinité, une relation de subordination concernant l’ordre mais pas la substance ou l’essence. Nous constatons que le Père vient en premier, le Fils en deuxième et le Saint-Esprit en troisième. Le Père n’est pas engendré, mais le Fils l’est (Jean 3:16). Le Saint-Esprit provient du Père (Jean 5:26). Le Père a envoyé le Fils (1 Jean 4:10). Le Fils et le Père envoient le Saint-Esprit (Jean 14:26 ; 15:26). Le Père crée (Ésaïe 44:24), le Fils rachète (Gal. 3:13) et le Saint-Esprit sanctifie (Rom. 15:16).
Cette subordination de l’ordre ne signifie pas que chacun des membres de la Divinité n’est pas égal aux autres ou divin. Nous constatons par exemple que le Père a envoyé le Fils. Mais cela ne veut pas dire que le Fils n’est pas l’égal du Père en termes d’essence et de nature divine. Une femme se place sous l’autorité de son mari, mais ce n’est pas pour autant qu’elle perd son humanité, son essence ou l’égalité avec son mari. Pour approfondir l’analogie, un roi et son serviteur partagent la même nature humaine. Pourtant, le roi envoie le serviteur faire sa volonté. Jésus a dit : « Car je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. » (Jean 6:38). Cela signifie-t-il donc que l’envoyé doit être d’une nature différente de celui qui l’a envoyé ? Bien sûr que non.
Pour les détracteurs de la Trinité, cette subordination prouve que la Trinité est fausse. Leur raisonnement est le suivant : si Jésus était vraiment Dieu, alors Il serait l’égal complet de Dieu le Père dans tous les domaines et ne serait donc en aucune façon subordonné au Père. Mais cette objection n’est pas logique. Dans l’analogie du roi et du serviteur, nous ne dirions certainement pas que le serviteur n’était pas humain parce qu’il a été envoyé. Le fait d’être envoyé n’exclut pas le fait d’avoir la même essence. Par conséquent, le fait que le Fils est envoyé n’implique pas qu’Il n’est pas divin, de la même manière que le fait que ma femme m’envoie chercher du pain n’implique pas que je ne suis pas humain.

Difficile à comprendre ?
Un autre aspect notable de la Trinité est que le concept peut être difficile à saisir. Mais cela ne nous force pas pour autant à conclure qu’il n’est pas valable. Au contraire, sa difficulté même plaide en faveur de sa véracité. La Bible est la révélation par lui-même d’un Dieu infini. Il est donc inévitable que nous rencontrions des concepts difficiles à comprendre – notamment lorsqu’il s’agit d’un Dieu que l’on ne peut pas totalement cerner et qui existe en tout lieu, en tout temps. Ainsi, un examen des descriptions et attributs de Dieu manifestés dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous montre qu’il est impossible d’obtenir une explication tout à fait exhaustive et compréhensible de l’essence et de la nature de Dieu. En revanche, un tel examen nous permet d’extraire des Écritures les vérités que nous pouvons saisir et les rassembler en une doctrine que nous appelons Trinité. Dans une large mesure, la Trinité est un mystère. Après tout, il s’agit de Dieu Lui-même.
Il est caractéristique que les sectes réduisent la vérité biblique pour rendre Dieu pleinement accessible et compréhensible par l’esprit des gens qui les composent. C’est dans ce dessein qu’ils soumettent la parole de Dieu à leur propre raisonnement et finissent dans l’erreur. Les versets qui suivent servent couramment de référence pour démontrer que la doctrine de la Trinité est bel et bien biblique :
Matt. 28:19 : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, »
1 Cor. 12:4-6 : « Il y a diversité de dons, mais le même Esprit ;.5diversité de services, mais le même Seigneur ; 6diversité d’opérations, mais le même Dieu qui opère tout en tous. »
2 Cor. 13:14 : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous ! »
Éph. 4:4-7 : « Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance, celle de votre vocation ; 5il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, 6un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous. 7Mais à chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don de Christ. »
1 Pierre 1:2 : « selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, pour l’obéissance et l’aspersion du sang de Jésus-Christ : Que la grâce et la paix vous soient multipliées ! »
Jean 3 :16 : «Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.»
1 Jean 4 :10 : Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés.
Jean 14 :26 : Mais le consolateur, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.
Jean 15 :26 : Quand sera venu le consolateur, que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il rendra témoignage de moi;
Esaïe 44 :6-8 : Ainsi parle l’Éternel, roi d’Israël et son rédempteur, L’Éternel des armées: Je suis le premier et je suis le dernier, Et hors moi il n’y a point de Dieu. Qui a, comme moi, fait des prédictions (Qu’il le déclare et me le prouve!), Depuis que j’ai fondé le peuple ancien? Qu’ils annoncent l’avenir et ce qui doit arriver! N’ayez pas peur, et ne tremblez pas; Ne te l’ai-je pas dès longtemps annoncé et déclaré? Vous êtes mes témoins: Y a-t-il un autre Dieu que moi? Il n’y a pas d’autre rocher, je n’en connais point.
Esaïe 43 :10 : Vous êtes mes témoins, dit l’Éternel, Vous, et mon serviteur que j’ai choisi, Afin que vous le sachiez, Que vous me croyiez et compreniez que c’est moi: Avant moi il n’a point été formé de Dieu, Et après moi il n’y en aura point.
Jean 5 :26 : Car, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même.
Jude 20-21 : « Mais vous, bien-aimés, édifiez-vous vous-mêmes sur votre très sainte foi, priez par le Saint-Esprit, 21maintenez-vous dans l’amour de Dieu, en attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ pour la vie éternelle. »

A PROPOS DE L’ESPÉRANCE AU TEMPS DE L’ANCIEN TESTAMENT

28 mai, 2014

http://bouquetphilosophique.pagesperso-orange.fr/esperancedesanciens.html

A PROPOS DE L’ESPÉRANCE AU TEMPS DE L’ANCIEN TESTAMENT

Au regard de l’espérance lumineuse qui fait courir les chrétiens aujourd’hui, celle des hommes de l’Ancien Testament paraît bien terne ! On peut en effet être surpris que l’auteur du livre de l’Ecclésiaste – qui se présente comme un sage sous les traits du roi Salomon – reconnaisse avec lucidité et grande vénération que Dieu a « implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité » (Ecclésiaste 3.11, La Bible du Semeur)… avant de confesser finalement l’aspect décevant de la vie humaine qui s’achève par la vieillesse et la mort (Ecclésiaste 12.1-7, 3.19-20) !
Paradoxalement, tandis que depuis longtemps les adeptes de certaines religions polythéistes de l’ancien Orient croient fermement à la résurrection et à une vie future, les enfants d’Israël, eux, s’ouvrent en dernier à cette croyance… et semblent voués inexorablement à la désespérance quant à l’au-delà ! Ce n’est en fait que tardivement, vers la fin de l’Exil (soit entre 550 et 539 avant Jésus-Christ), qu’ils découvrent – ou redécouvrent (1) – progressivement l’idée d’éternité. Un comble pour le peuple qui deviendra celui de l’espérance ! Attardons-nous un instant sur ces questions.

Une vision d’éternité commune à tous les peuples anciens
La croyance en une « survie de l’individu » après la mort semble remonter aux origines de l’espèce humaine et de tout temps, dans toutes les civilisations, ce qui peut paraître étonnant, une grande majorité s’est ralliée à l’idée que l’homme est immortel par nature.
« Ce qui est commun aux religions, [écrit le scientifique et ancien ministre Claude Allègre] depuis celles des Sumériens ou des Égyptiens en passant par celles des Perses, des Babyloniens, des Assyriens, des Indiens ou des Chinois jusqu’à celles qui inspirent les Sepik de Nouvelle-Guinée ou les Indiens d’Amazonie, c’est qu’elles ont toutes développé le concept de dieu, de transcendance et d’au-delà, faisant toutes espérer aux meilleurs, l’immortalité (2). »
Plus de 2000 ans avant J.-C., l’Egypte pharaonique est certainement l’une des premières civilisations à s’édifier dans la perspective de l’éternité. Les Egyptiens en effet, tout en reconnaissant la brièveté du temps terrestre, croient en une autre forme d’existence. Osiris, mort et ressuscité, devenu dieu de l’au-delà, leur apporte l’assurance d’une survie éternelle.
Environ 13 siècles plus tard, sur la base d’une espérance similaire, le philosophe persan Zoroastre (fondateur du zoroastrisme, ancienne religion de la Perse) promet à ses disciples l’avènement d’un sauveur suprême, Saoshyant, qui présidera à la résurrection et à l’émergence d’une vie éternelle après la mort. Notons que le zoroastrisme, religion dualiste fondée sur la lutte permanente entre un Dieu bon (Ahura Mazdâ) et un démon (Ahriman) enseigne aussi le libre arbitre, le jugement final, l’enfer, le paradis et la victoire finale du bien sur le mal. Ce qui représente, soit dit en passant, une sorte de préfiguration du christianisme… en tout cas, une incontestable révolution religieuse au début du VIIe siècle avant J.-C. !
Curieusement donc, en ce qui concerne cette idée de survie post mortem, les Hébreux restent imperméables à toute influence, égyptienne notamment. Face à la vision d’éternité commune à beaucoup de religions antiques, ils ne se lassent pas de nourrir une vague espérance dont ils semblent se satisfaire, mais qui toutefois se précise graduellement au cours des siècles.

De l’espérance terrestre à l’espérance céleste
Ce n’est en effet qu’à l’époque de la rédaction du livre de Daniel que le peuple juif arrive enfin à croire peu à peu en la résurrection et en une vie après la mort. Durant de très nombreux siècles, étonnamment celui-ci se contente d’une espérance terrestre sans vision d’éternité, ou tout au plus d’une espérance en une survie nationale.

Tout d’abord, une espérance à courte vue
Ainsi, pendant longtemps, c’est le modèle de la rétribution – strictement terrestre – qui dicte la pensée des enfants d’Israël. Ceux-ci croient que Dieu « rétribue » ici-bas les hommes selon leurs actes, autrement dit que les justes sont récompensés par une longue vie tranquille et prospère tandis que les pécheurs sont condamnés à une vie malheureuse, courte et sans descendance… en attendant avec frayeur – justes comme pécheurs, d’ailleurs – le sort qui les attend, le sheol (3) où tous resteront abandonnés à jamais.
Mentionnons à cet égard quelques textes bibliques attestant cette espérance à courte vue : « Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans, et pour les plus robustes, à quatre-vingt ans. […] Enseigne-nous à bien compter nos jours, […] Rassasie-nous chaque matin de ta bonté, et nous serons toute notre vie dans la joie et l’allégresse. Réjouis-nous autant de jours que tu nous as humiliés, autant d’années que nous avons vu le malheur » (Psaume 90.10-15) ; « Donne-nous encore des jours comme ceux d’autrefois ! » (Lamentations 5.21) ; « Voici ce que je veux repasser en mon cœur, ce qui me donnera de l’espérance. Les bontés de l’Éternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne sont pas à leur terme » (Lamentations 3.21-22) ; « Soutiens-moi pour que je vive, tu l’as promis, ne déçois pas mon espérance » (Psaume 119.116, BFC) ; « Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de l’Eternel jusqu’à la fin de mes jours » (Psaume 23.6) ; « L’Eternel m’a châtié, mais il ne m’a pas livré à la mort » (Psaume 118.18).
Comme il se dégage de nombreux passages de l’Ancien Testament, Dieu – dans un premier temps – répond à ses enfants sans leur proposer davantage : « Je te sauverai, et tu ne tomberas pas sous l’épée, ta vie sera ton butin, parce que tu as eu confiance en moi, dit l’Éternel » (Jérémie 39.18) ; « Celui qui m’écoute […] vivra tranquille et sans craindre aucun mal » (Proverbes 1.33) ; « Il m’invoquera, et je lui répondrai. Je serai avec lui dans la détresse, je le délivrerai et je le glorifierai. Je le rassasierai de longs jours, et je lui ferai voir mon salut » (Psaume 91.15-16) ; « N’oublie pas mes enseignements, […] car ils prolongeront les jours et les années de ta vie, et ils augmenteront ta paix » (Proverbes 3.1-2) ; « Ils [les justes] ne sont pas confondus au temps du malheur, et ils sont rassasiés aux jours de la famine » (Psaume 37.19) ; « Ceux qui espèrent en l’Éternel posséderont le pays » (Psaume 37.9) ; « Aimez le Seigneur votre Dieu, obéissez-lui, restez-lui fidèlement attachés, c’est ainsi que vous pourrez vivre et passer de nombreuses années dans le pays que le Seigneur a promis de donner à vos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob » (Deutéronome 30.20, BFC)… Pour ne citer que ces versets !

L’espérance collective, une perspective nouvelle pour Israël
Bien que la croyance en la rétribution soit historiquement ancrée dans la réalité quotidienne du peuple d’Israël, certains en voyant « le bonheur des méchants » (Psaume 73.3) – ou en quelque sorte, l’inversion de cette théorie de la rétribution – ont du mal à comprendre la justice de Dieu et se mettent à réfléchir. C’est le cas du roi David (Psaume 37) et du psalmiste Asaph (Psaume 73).
Job, héros des temps anciens, fait aussi partie de ceux qui osent remettre en cause la croyance classique (Job 12.13-25). « Contre cette corrélation rigoureuse [la liaison entre la souffrance et le péché personnel], Job s’élève avec toute la force de son innocence. Il ne nie pas les rétributions terrestres, il les attend, et Dieu les lui accordera finalement […] Mais c’est pour lui un scandale qu’elles lui soient refusées présentement et il cherche en vain le sens de son épreuve. Il lutte désespérément pour retrouver Dieu qui se dérobe et qu’il persiste à croire bon (4). »
Dans l’un de ses « grands textes », il arrive finalement à la conclusion que le bien et le mal ont leur sanction outre-tombe plutôt qu’ici-bas, une avancée théologique considérable ! C’est ainsi qu’au-delà de l’espoir d’être délivré de ses maux en ce monde, il ose affirmer – certes, de façon imprécise, la traduction de ce passage reste difficile – son espérance en la résurrection : « Pour ma part, je sais que celui qui me rachète est vivant et qu’il se lèvera le dernier sur la terre. Quand ma peau aura été détruite, en personne je contemplerai Dieu. C’est lui que je contemplerai, et il me sera favorable. Mes yeux le verront, et non ceux d’un autre » (Job 19.25-27).
Pour d’autres hommes de l’Ancien Testament également confrontés à l’injustice, l’espérance individuelle se mue alors en espérance collective. Si la réussite des méchants offre un spectacle révoltant, « le Seigneur s’intéresse à la vie de ceux qui sont irréprochables, le pays dont ils sont les héritiers leur est acquis pour toujours » (Psaume 37.18, BFC). Au VIIIe siècle av. J.-C., le prophète Esaïe à même l’intuition que son peuple « ressuscitera » : « Mon peuple, tes morts reprendront vie, alors les cadavres des miens ressusciteront ! Ceux qui sont couchés en terre se réveilleront et crieront de joie » (Esaïe 26.19). Vers la même époque, Osée, un autre porte-parole de Dieu, invite Israël à se repentir et évoque l’espérance d’une rénovation nationale : « Venez, retournons à l’Eternel ! Car il a déchiré, mais il nous guérira. Il a frappé, mais il bandera nos plaies. Il nous rendra la vie […] il nous relèvera, et nous vivrons devant lui » (Osée 6.1-2).
Mais c’est en réalité la grande épreuve de la déportation à Babylone qui amène les Juifs à s’interroger sur la « juste rétribution » de Dieu. En cette période particulièrement troublée, le prophète Jérémie, toujours soucieux du bien de ses compatriotes, se demande pourquoi ceux-ci lui manifestent tant de haine : « Seigneur, tu es trop juste pour que je m’en prenne à toi. Pourtant, j’aimerais discuter de justice avec toi. Pourquoi le chemin des méchants les mène-t-il au succès ? Et ceux qui te sont infidèles, pourquoi vivent-ils tranquilles ? » (Jérémie 12.1, BFC).
« Au-delà de la ruine qu’il voit approcher pour le peuple infidèle, il [Jérémie] entrevoit une sorte de résurrection dans le cadre d’une nouvelle alliance avec Dieu [le retour des survivants d’Israël et la reconstruction de Jérusalem, chapitre 31]. Il témoigne alors de sa confiance en la victoire de Dieu par un surprenant geste d’espoir [l’acquisition d’un champ, acte symbolique, chapitre 32] (5). »
Après le châtiment, il y aura donc un rétablissement, un avenir pour le peuple de Dieu… de quoi raviver l’espérance : « Je rétablirai le peuple de Juda et le peuple d’Israël, et je les rétablirai dans leur ancienne situation » (Jérémie 33.7, BFC). « Je multiplierai les descendants de mon serviteur David […] ils seront aussi nombreux que les étoiles qu’on ne peut compter dans le ciel » (Jérémie 33.22, BFC).
Quant à Ezéchiel – en dépit des circonstances dramatiques de l’époque –, il est l’un des rares prophètes de l’Ancien Testament à proclamer aussi explicitement qu’il y a une espérance pour Israël. Ainsi, dans sa célèbre vision des ossements desséchés (Ezéchiel 37.1-14), la renaissance de la nation d’Israël s’exprime pleinement. Bien qu’il s’agisse plutôt là d’une promesse de survie collective pour le peuple d’Israël, autrement dit d’une « résurrection nationale », on peut y voir en outre l’amorce de l’idée de résurrection individuelle. Citons quelques extraits de ce passage intéressant : « Voici ce que dit le Seigneur, l’Eternel : Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu’ils revivent ! […] Je vais ouvrir vos tombes et je vous en ferai sortir, vous qui êtes mon peuple, et je vous ramènerai sur le territoire d’Israël » (Ezéchiel 37.9-12).

En route vers l’espérance céleste
En fait, le point de départ – discret – de ce lent cheminement vers le ciel peut être relevé dans le livre des Psaumes où certains versets portent en germe la notion de résurrection : « Non, Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort, tu ne permets pas que moi, ton fidèle, je m’approche de la tombe. Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie. On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi » (Psaume 16.10-11, BFC) ; « Eternel, tu as fait remonter mon âme du séjour des morts, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans la tombe » (Psaume 30.4) ; « Dieu sauvera mon âme du séjour des morts » (Psaume 49.16) ; « Ta bonté envers moi est grande, et tu délivres mon âme des profondeurs du séjour des morts » (Psaume 86.13) ; « C’est lui qui délivre ta vie de la tombe, qui te couronne de bonté et de compassion » (Psaume 103.4).
Mais c’est surtout le livre de Daniel (6) qui nous éclaire un peu plus sur l’évolution de la conception de l’au-delà chez les Juifs. C’est bien d’une résurrection personnelle suivie d’une vie éternelle que les justes hériteront : « A cette époque-là [pouvons-nous lire dans Daniel 12.1-3] se dressera Michel, le grand chef, celui qui veille sur les enfants de ton peuple. Ce sera une période de détresse telle qu’il n’y en aura pas eu de pareille depuis qu’une nation existe jusqu’à cette époque-là. A ce moment-là, ceux de ton peuple qu’on trouvera inscrits dans le livre seront sauvés. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte, pour l’horreur éternelle. Ceux qui auront été perspicaces brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigné la justice à beaucoup brilleront comme les étoiles, pour toujours et à perpétuité. »
Cependant, ce n’est vraiment qu’à partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ que l’espérance en la résurrection devient une réalité pour le peuple juif. A la mort d’Alexandre le Grand, la Palestine « passe sous l’autorité des monarchies hellénistiques, des Lagides d’Egypte d’abord, puis des Séleucides de Syrie. La politique d’hellénisation radicale instaurée par Antiochus IV Epiphane (175-164 av. J.-C.), doublée d’une intolérance agressive vis-à-vis des Juifs, suscite un grand mouvement de révolte. Ce mouvement, à la fois national et religieux, est conduit par le prêtre Mattathias et son fils Judas, dit Maccabée. […] Antiochus IV s’efforce d’imposer aux Juifs les mœurs et la religion grecques. La pratique du judaïsme devient passible de mort (7) ».
Dans ce contexte de résistance et de répression féroce – où le dogme de la rétribution ici-bas est tragiquement mis en échec –, les nombreux martyrs, fidèles à la loi de Moïse, s’interrogent sérieusement sur la justice divine. Torturés et mis à mort pour leur foi, ils finissent par croire réellement que Dieu les ressuscitera et que leur rétribution sera d’outre-tombe.
Le deuxième livre des Maccabées, probablement écrit vers 120-100 avant J.-C., décrit justement l’héroïque résistance de sept frères « Maccabées » et de leur mère (modèles des premiers martyrs juifs) qui préfèrent être torturés à mort plutôt que de toucher à la viande de porc interdite par la loi. Citons ici quelques versets de ce livre deutérocanonique de l’Ancien Testament témoignant de cette foi naissante en la résurrection :
« Au moment de rendre le dernier soupir, il [le second supplicié] dit : Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 Maccabées 7.9, TOB).
« On soumit le quatrième aux mêmes tortures cruelles. Sur le point d’expirer, il dit : Mieux vaut mourir de la main des hommes en attendant, selon les promesses faites par Dieu, d’être ressuscité par lui » (2 Maccabées 7.13-14, TOB).
« Eminemment admirable et digne d’une excellente renommée fut la mère, qui voyait mourir ses sept fils en l’espace d’un seul jour et le supportait avec sérénité, parce qu’elle mettait son espérance dans le Seigneur. Elle exhortait chacun d’eux dans la langue de ses pères. Remplie de nobles sentiments et animée d’un mâle courage, cette femme leur disait : Je ne sais pas comment vous avez apparu dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie, […] Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé l’homme à sa naissance et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il dans sa miséricorde et l’esprit et la vie, parce que vous vous sacrifiez maintenant vous-mêmes pour l’amour de ses lois » (2 Maccabées 7.20-23, TOB).
Enfin, on peut mentionner le livre de la Sagesse, autre apocryphe rédigé vers la même époque (Ier siècle avant J.-C.) dans lequel on trouve, quoique de façon larvée, le thème de la résurrection : « Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra plus. Aux yeux des insensés, ils passèrent pour morts, et leur départ sembla un désastre, […] Pourtant, ils sont dans la paix. Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité » (Sagesse 3.1-4).
Comme le remarque Jean Civelli, prêtre à Fribourg (Suisse), « cette idée d’une résurrection des morts ne devait plus s’oublier dans le judaïsme. Ce sont les Pharisiens qui la recueillirent, contrairement au parti des Sadducéens, parti des prêtres et de la noblesse du Temple de Jérusalem, qui, eux, n’acceptèrent pas ce qu’ils considéraient comme une doctrine fausse, car ils ne la trouvaient pas dans la Loi de Moïse (cf. Marc 12.18 et Actes 23.8). […] Le sceau définitif de cette foi en la résurrection sera donné par Jésus lui-même, dans sa propre résurrection (8) ».
« La croyance en la résurrection, qui va se développer dans le monde sémitique, [affirme de son côté, Marie Lucien, docteur en théologie de l'Université de Strasbourg] apparaît comme une nouveauté radicale et impressionnante […] La résurrection personnelle de chaque homme deviendra alors l’espérance commune aux trois religions monothéistes issues du monde sémitique, le judaïsme, le christianisme et l’islam (9). »
Après avoir ainsi esquissé à grands traits l’histoire de l’espérance religieuse en Israël, une question demeure cependant : pourquoi cette dernière est restée si longtemps une piètre espérance… avant que finalement le Nouveau Testament ne la porte à son plus haut degré ? A défaut de pouvoir répondre ici avec certitude à cette question, nous voulons par contre dire toute notre admiration pour les hommes de l’Ancien Testament ayant fait le bon choix de faire confiance à Dieu et de marcher avec lui en se contentant de sa faveur et de l’assurance du pardon de leurs péchés… portés seulement par l’espérance d’une longue vie prospère – ici-bas – et en dépit du système simpliste des rétributions temporelles ne fonctionnant pas toujours.
Alors que nous, croyants du XXIe siècle, pouvons nous enorgueillir de notre belle espérance (10) solidement ancrée dans la résurrection de Jésus-Christ – ce qui ne nous laisse plus aucune excuse pour notre incrédulité –, puissions-nous également faire nôtres les propres louanges de ces héros de la foi… pourtant adressées à un Dieu qu’ils n’imaginaient pas si généreux : « Je chanterai l’Eternel tant que je vivrai, je célébrerai mon Dieu tant que j’existerai. […] Je veux me réjouir en l’Eternel » (Psaume 104.33-34).

Claude Bouchot

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1. En effet, il est raisonnable de penser qu’Adam et les premiers patriarches bénéficièrent déjà d’une révélation divine particulière concernant l’au-delà qui leur était réservé. En tout cas, l’auteur de l’épître aux Hébreux en est convaincu lorsqu’il fait l’éloge de la foi des ancêtres illustres tels qu’Abel, Hénoc, Noé et Abraham : « C’est dans la foi que tous ces hommes sont morts. Ils n’ont pas reçu les biens que Dieu avait promis, mais ils les ont vus et salués de loin. Ils ont ouvertement reconnu qu’ils étaient des étrangers et des exilés sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils recherchent une patrie. […] En réalité, ils désiraient une patrie meilleure, c’est-à-dire la patrie céleste » (Hébreux 11.13-16, BFC). Hélas, les Hébreux semblent avoir vite oublié « l’espérance de la vie éternelle, promise avant tous les siècles par le Dieu qui ne ment point » (Tite 1.2).
2. Claude Allègre, Dieu face à la science, Paris : Fayard, 1997, p. 223 (LP).
3. « Sheol est un terme hébraïque intraduisible, désignant le « séjour des morts », la « tombe commune de l’humanité », le puits, sans vraiment pouvoir statuer s’il s’agit ou non d’un au-delà. La Bible hébraïque le décrit comme une place sans confort, où tous, justes et criminels, rois et esclaves, pieux et impies se retrouvent après leur mort pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière » (L’encyclopédie libre Wikipédia, « Sheol », [En ligne] http://www.wikipedia.org/, (consulté en février 2013).
4. La Bible de Jérusalem, « Introduction au livre de Job », Paris : Editions du Cerf, 1981, p. 650.
5. La Bible Expliquée, « Introduction au livre de Jérémie », Villiers-le-Bel : Société biblique française, 2004, p. 897-AT.
6. A noter que, presque unanimement, les théologiens libéraux contemporains mettent en doute l’authenticité historique du livre de Daniel en datant celui-ci du IIe siècle av. J.-C. seulement et en l’attribuant à un auteur inconnu, alors que la tradition juive et chrétienne – reposant à cet égard sur un solide fondement – le situait au VIe siècle avant notre ère… c’est-à-dire à l’époque où vivait justement Daniel !
7. Marcel Simon, « 2000 ans de christianisme », Vol. 1, Le monde juif, berceau du christianisme, Paris : Aufadi – S.H.C. International, 1975, p. 14, 18.
8. Jean Civelli, La résurrection des morts : et si c’était vrai ?, Saint-Maurice : Editions Saint-Augustin, 2001, p. 24-25.
9. Marie Lucien, Le message de Jésus : une spiritualité universelle inusitée, Paris : Editions L’Harmattan, 2009, p. 135-136.
10. Depuis plus de 2000 ans, les chrétiens du monde entier fondent en effet leur espérance sur trois promesses capitales et étroitement liées : le retour de Jésus, la résurrection des morts et la vie éternelle. Cependant, il faut reconnaître avec Claude Geffré, théologien dominicain, que « l’époque contemporaine connaît le fait remarquable de chrétiens nominaux qui confessent le Dieu de Jésus-Christ sans pour autant croire à la promesse d’un au-delà de la mort » (Claude Geffre, « Vie éternelle », Dictionnaire critique de théologie, Paris : Quadrige / PUF, 2007, p. 1492-1494)… ce qui souligne l’ambiguïté de la notion d’espérance dans l’esprit d’un certain nombre de chrétiens d’aujourd’hui !

LA FOI ET L’ÉMOTION

8 mai, 2014

http://www.france-catholique.fr/La-foi-et-l-emotion.html

Traduit par Isabelle

LA FOI ET L’ÉMOTION

Par David G. Bonagura, Jr., 2014

« Je ne sens rien quand je prie. » « Je m’ennuie à la messe. » « Quand je parle à Dieu, je n’ai pas le sentiment que quelqu’un m’écoute. » Ces plaintes, expérimentées un jour ou l’autre aussi bien par les gens pieux que par ceux qui sont perdus, s’élèvent du cœur même de la praxis chrétienne. Elles expriment le désir humain bien naturel de vibrer d’émotion sensible dans la prière, expérience qui manque à beaucoup, surtout quand on a la foi depuis longtemps.
L’émotion en tant que réalité de l’expérience humaine, a un rôle au sein de la vie de foi. Les écritures elles-mêmes expriment tout un panthéon de sentiments humains : la joie et la peine, la gratitude et la jalousie, la confiance et le doute, l’amour et la haine font tous partie de l’économie divine du salut parce que, chacun à sa manière, nous met en contact avec Dieu. Mais il est critique pour les croyants de comprendre que leurs émotions ne sont qu’un aspect du contexte plus large de leur foi et de leur relation à Dieu – et ne sont pas constitutives de leur foi.
Du fait de l’importance et de la puissance des sentiments, la tentation a toujours existé, souvent dans une bonne intention, de réduire la foi à l’émotion et à l’expérience. Au 19° siècle, Friedrich Schleiermacher déclarait : « La foi n’est rien d’autre que l’expérience naissante de la satisfaction par le Christ d’un besoin spirituel. » De nos jours les « messes de jeunes » tentent de rendre vraie la définition de Schleiermacher parmi les jeunes par des exclamations excitées et de la musique contemporaine. D’autres messes sont au bord de la sentimentalité avec des chants exagérément sirupeux tels que « Me voici Seigneur » et Tu es mien ». Alors, nous sommes censés sentir la présence du Christ et lui répondre dans la Foi.
Ces expériences personnelles et ces sentiments peuvent en effet attiser la foi, mais elles ne peuvent pas être les seuls piliers de notre vie spirituelle parce que les émotions ne sont pas l’essence de la foi. La foi repose plutôt sur un Dieu d’amour qui n’est pas le produit de nos désirs subjectifs mais un être réel et indépendant qui nous appelle à nous unir à Lui à travers la révélation de Son Fils. La foi implique que nous reconnaissions et acceptions la révélation. La réponse que nous faisons à Dieu peut être stimulée et accompagnée par un étalage de sentiments, mais c’est avec notre intellect que nous adhérons à Dieu et à sa volonté. C’est pour cette raison que Saint Thomas d’Aquin a classé la foi comme une vertu intellectuelle :
« Croire est une action de l’intellect qui adhère à la vérité par un acte de volonté. »
L’intellect est premier parce qu’il accepte ce qui vient de Dieu, et pourtant il le fait par l’insistance
de la volonté, qui peut être mûe par la puissance d’expériences religieuses. Ces expériences, si elles sont correctement intégrées dans les contours de la foi, peuvent contribuer au futur développement de notre relation à Dieu.
Mais comme la foi est du domaine de l’intellect, nous n’avons pas besoin de nous inquiéter ou de douter quand l’émotion ou le sentiment religieux déclinent ou même disparaissent de nos vies comme cela arrive inévitablement. L’aridité spirituelle – le fait de ne rien sentir dans sa vie de foi – est un évènement normal de la vie spirituelle, et cela peut être temporaire, ou prolongé. Les saints qui, pour bon nombre d’entre eux ont enduré une douloureuse aridité spirituelle pendant des dizaines d’années, nous enseignent que l’absence de sentiment religieux est la manière qu’a Dieu de purifier notre foi qui repose en définitive, non pas sur l’émotion, mais sur notre confiance dans l’autorité de la parole de Dieu.
Souvent, la foi au fond de nous, est mue par une profonde expérience qui nous propulse joyeusement dans notre relation à Dieu. Mais, alors que la puissance de ces expériences décline avec le temps, nous sommes obligés de faire confiance au fait que nous demeurons en communion avec Dieu, alors même que Sa présence semble disparaître. Notre situation se rapproche de celle des apôtres : pendant 3 ans, ils ont expérimenté directement la présence du Christ, et la joie et la sécurité qu’elle leur apportait. Mais après sa mort et sa résurrection, ils ont appris (grâce à Thomas) que ce n’est pas le sentiment, mais la confiance pure qui constitue la foi. « Tu as cru parce que tu avais vu. Bienheureux celui qui croit sans avoir vu. » (Jean XX 29)
Parce que Dieu est réel et non le produit de nos émotions, nous savons qu’Il entend nos prières, et qu’il nous est présent, même si nous ne Le « sentons » pas. Nos cœurs impatients doivent continuer à tendre vers Dieu sachant que Lui seul est leur terme et leur accomplissement. On montre souvent le contraste entre le culte catholique, plus stoïque, et l’énergie de certains offices protestants. Les différents styles sont des chemins de foi ; Le sentiment religieux en soi ne constitue ni ne mesure la foi qui règne dans la communauté ou dans les individus. La vraie vitalité de notre foi dépend du degré de notre confiance en Dieu, et de notre adhésion à la Révélation. Quand notre confiance et notre adhésion sont assez fortes pour que nous nous donnions entièrement à Dieu, alors nous avons dans notre cœur l’amour de Dieu. Et l’amour n’est pas seulement un sentiment, il est aussi action et engagement.
Le Père Gabriel, carme à Sainte Marie Magdeleine, écrit que « ce n’est pas la joie que l’âme peut éprouver qui enflamme notre amour, mais plutôt la ferme détermination de notre volonté de se donner entièrement à Dieu ». La foi nous unit à l’amour de Dieu. Inutile de nous tourmenter du manque d’émotion religieuse dans notre vie, et inutile de penser que notre expérience religieuse privilégiée devrait être partagée par tout le monde. L’amour vrai résiste au flux de toutes les émotions parce qu’il est ancré dans l’espérance en Dieu qui nous a faits pour Lui.

David Bonagura, professeur de théologie au séminaire Saint Joseph à New à New York

SAINT THOMAS D’AQUIN: LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION DE DIEU

24 mars, 2014

http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/opuscules/59humanitejesus.htm#_Toc71287491

(Je propose chapitres V, VI, VII, bien sûr, l’étude est beaucoup plus large, pour en savoir plus sur le lien mentionné ci-dessus)

SAINT THOMAS D’AQUIN, DOCTEUR DE L’ÉGLISE

LIVRE I: LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION DE DIEU

CHAPITRE V: UN ANGE EST ENVOYÉ POUR ANNONCER LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION

Conçue et ordonnée dans l’éternité, préparée sur la terre, attendue des justes, l’incarnation du Sauveur est enfin sur le point de s’accomplir. Dieu envoie un ange pour l’annoncer à Marie. Saint Luc le rapporte en ces termes: « L’ange Gabriel fut envoyé de Dieu en une ville de Galilée appelée Nazareth, à une Vierge qui avait épousé un homme nommé Joseph, de la maison de David, et cette Vierge s’appelait Marie. L’ange, étant entré dans le lieu où elle était, lui dit: « Je vous salue, pleine de  grâces, le Seigneur est avec vous; vous êtes bénie entre toutes « les femmes. » Marie, l’ayant entendu, fut troublée de ses paroles, et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. L’ange lui dit: « Ne craignez point, Marie; car vous avez trouvé « grâce devant Dieu; voici que vous concevrez dans votre sein, et « vous enfanterez un Fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. » (Luc., 1, 26-31). Il y a trois choses à considérer au sujet de cette annonciation: l’envoi nième de l’ange, la manière dont il apparut à Marie et l’ordre dans lequel il accomplit sa mission. Tout d’abord, il est dit que l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu. Sur quoi il faut bien comprendre trois choses: la dignité du messager, la profondeur du mystère et sa convenance. I. C’est un ange qui est envoyé, c’est-à-dire la plus digne des créatures, parce que c’est la plus semblable à Dieu, comme Ézéchiel le dit du premier des anges: « Vous étiez le sceau de la ressemblance divine. » (Ezech., XXVIII, 12). En effet, plus la nature de l’ange est subtile et sa substance épurée, plus l’image de Dieu s’y trouve véritablement exprimée. De plus, Gabriel était de l’ordre des archanges, et, par conséquent, d’une haute dignité. « Ce n’est pas le premier ange venu, dit saint Grégoire, que Dieu envoie à la Vierge Marie, mais c’est l’archange Gabriel. Un tel mystère méritait la venue du plus grand des anges pour apporter le plus sublime des messages. » II. La profondeur du mystère est indiquée parle nom de l’ange. Gabriel signifie la force de Dieu. « Le Seigneur, dit saint Grégoire, envoie à Marie l’ange Gabriel, dont le nom veut dire la force de Dieu; c’est qu’il venait annoncer celui qui a daigné apparaître parmi les hommes pour vaincre les puissances de l’air. » Il annonçait le Roi et le Seigneur dont il est parlé dans les psaumes: « Ouvrez vos portes, ô prince des cieux; et vous, portes éternelles, ouvrez-vous afin de laisser entrer le Roi de gloire. Où est le Roi de gloire? C’est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans les combats. » (Ps., XXIII, 7-8). Mystère véritablement profond, dans lequel, selon saint Jean Damascène, apparaissent à la fois la bonté, la justice, la sagesse, la puissance la bonté, puisque, loin de mépriser l’infirmité de sa créature, il a été ému jusqu’au fond des entrailles en la voyant tomber, et lui a tendu la main pour la relever; la justice, parce que l’homme, ayant été vaincu par le démon, Dieu n’appela pas un tiers pour vaincre son tyran, mais il donna la victoire et la vengeance à un homme, c’est-à-dire à celui-là même qui avait été réduit en servitude par le péché; la sagesse, parce que l’Incarnation est la solution la plus simple et la plus aisée d’une difficulté qui semblait impossible à dénouer; la puissance enfin et la vertu infinie de Dieu, car, qu’un Dieu se soit fait homme, c’est l’ouvrage le plus grand qui se puisse concevoir. III. Il y a dans cette mission de l’ange Gabriel des convenances admirables. « Tout ce qui vient de Dieu est dans l’ordre, » dit saint Paul. (Rom., XIII, 1). C’est Dieu qui, selon la parole du Sage, « atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose tout avec douceur » (Sagesse VIII, 1), c’est-à-dire que, depuis l’éternité qui précède les siècles jusqu’à l’éternité qui les suit, durant tout le temps qui s’écoule entre ces deux termes extrêmes, Dieu opère partout avec une perfection souveraine; car l’extrémité, le terme, la fin, signifie la perfection. Cet ordre parfait, qui paraît dans toutes les oeuvres de Dieu, brille dans le mystère de l’Annonciation. En effet, d’abord il est d’accord avec le plan de Dieu qui est de communiquer aux hommes les choses divines par le moyen des anges. C’est la pensée de saint Denys au chapitre IV de la Hiérarchie céleste, lorsqu’il dit que les célestes essences qui contemplent Dieu le réfléchissent d’abord en elles-mêmes, en recevant l’illumination, et qu’ensuite elles nous transmettent par leur intermédiaire les manifestations supérieures. Et, plus loin, appliquant ce qu’il adit, il ajoute que le divin mystère de l’humanité du Christ a été d’abord enseigné par les anges et que c’est par eux que la grâce de le connaître est descendue jusqu’à nous. Ainsi, l’ange Gabriel vient instruire le prêtre Zacharie et il annonce la naissance de Jean qui doit arriver contre toute attente par la grâce divine. Il apprend aussi à Marie de quelle manière ineffable un Homme-Dieu sera formé dans ses entrailles, et, en même temps, un autre ange instruit Joseph, un autre encore annonce aux pasteurs la bonne nouvelle, et avec lui toute la multitude des armées célestes chante avec des transports de louanges aux habitants de la terre cette admirable doxologie ou hymne de gloire « Gloire à Dieu au plus haut des cieux. » Ce même mystère convient aussi à la réparation de la nature humaine. « C’est bien justement dit Bède, que l’oeuvre de la réparation de l’homme commence par l’envoi d’un ange à la Vierge qui allait devenir si sacrée par l’enfantement d’un Dieu, puisque, pour perdre l’homme, le démon avait envoyé le serpent à la femme afin de la tromper par l’esprit d’orgueil. » Enfin, la mission de l’ange convenait à la parfaite virginité de Marie, comme saint Jérôme le fait observer: « C’est à bon droit, dit-il, que l’ange est envoyé à la Vierge; en effet, l’âme vierge est soeur des anges; car Vivre dans la chair sans rien tenir de la chair, ce n’est plus une vie terrestre, mais divine. »   CHAPITRE VI: DE QUELLE MANIÈRE L’ANGE APPARUT A MARIE  Les anges peuvent apparaître de trois manières, selon les trois modes de vision qui peuvent être donnés à l’homme: la vision intellectuelle, la vision imaginaire et la vision corporelle. La vision intellectuelle est la vision de l’essence même ou de la substance spirituelle de l’ange; elle est réservée à la patrie céleste. La vision imaginaire représente l’ange sous certaines figures ou ressemblances des choses corporelles; c’est de cette manière qu’un ange apparut en songe à Joseph, comme il est rapporté en saint Matthieu (II, 13 et 19). La vision corporelle a lieu lorsque l’ange apparaît dans un corps emprunté; c’est ainsi que Gabriel se montra à la Bienheureuse Vierge Marie. Saint Augustin met ces paroles dans la bouche de Marie: « L’archange Gabriel vint à moi avec un visage resplendissant, vêtu d’habits éclatants, admirablement beau dans sa démarche. » Et saint Ambroise, expliquant le passage de saint Luc où il est dit que la Sainte Vierge se troubla des paroles de l’ange (Luc., I, 29), fait cette remarque: « C’est le propre des vierges de craindre, de trembler en présence d’un homme, et de redouter sa conversation. » Ces paroles des deux saints Docteurs supposent évidemment que l’archange Gabriel apparut corporellement à Marie. Et il convenait qu’il en fût ainsi, d’abord à cause du mystère qui était annoncé. Ce mystère était l’Incarnation du Dieu invisible, mais qui voulait se rendre visible à nous; et le messager qui l’annonce est invisible de sa nature, mais il apparaît sous une forme visible. On peut même généraliser ceci et remarquer que toutes les apparitions qui eurent lieu sous l’ancienne loi se rapportaient figurativement à la grande manifestation du Fils de Dieu dans la chair. De plus, comme la Bienheureuse Vierge devait concevoir Dieu, non pas seulement dans son esprit, mais aussi dans ses entrailles, il convenait que les sens mêmes de son corps si noble et si auguste eussent la joie de voir l’ange. Enfin, il le fallait encore pour qu’elle fût plus assurée de la merveille qui lui était annoncée. Car nous possédons une certitude bien plus grande des choses placées sous nos yeux que de celles qui ne sont que présentées à notre imagination. Voilà pourquoi l’ange n’apparut pas en songe à Marie, mais visiblement et corporellement. La grandeur de la révélation que Marie recevait de l’ange exigeait une apparition solennelle et digne du grand événement qui en était le motif. Il se présente cependant sur ce sujet une difficulté. Saint Augustin dit que la vision intellectuelle est plus noble que la vision corporelle. Il semblerait donc que l’apparition de l’ange à la Sainte Vierge, si elle fut corporelle, n’a pas été aussi digne qu’elle devait l’être. — Mais saint Augustin parle de la vision intellectuelle considérée seule, en elle-même, et comparée à la vision corporelle aussi prise à part. Or, la Bienheureuse Vierge ne vit pas seulement l’ange des yeux du corps, elle reçut aussi de sa vision une illumination intellectuelle; c’est pourquoi cette apparition fut plus noble qu’une simple vue de l’esprit. Elle aurait été toutefois plus excellente encore et aurait atteint la suprême noblesse si Marie avait vu par son intelligence l’essence spirituelle de l’ange; mais l’état de la vie présente ne le comportait pas.   CHAPITRE VII: DE L’ORDRE DANS LEQUEL S’ACCOMPLIT LA MISSION DE L’ANGE GABRIEL L’ange Gabriel accomplit sa mission auprès de Marie dans un ordre parfaitement juste et convenable. Il faut considérer trois circonstances de son apparition. D’abord, il aborde la Sainte Vierge en la saluant, ensuite il apaise son trouble et la console, et enfin il annonce qu’elle sera Mère de Dieu et comment elle le deviendra. Dans la première circonstance, on voit paraître l’excellence de cette Vierge, dans la seconde l’ardent désir qu’elle avait du salut du genre humain, et dans la troisième la merveilleuse grandeur de la bonté divine. I. Considérons d’abord le salut que l’ange adresse à Marie: « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. » « Oui, dit saint Jérôme, elle est vraiment pleine de grâce. La grâce n’est donnée aux autres que partiellement; mais toute la plénitude de la grâce se répand à la fois dans Marie. Elle est vraiment remplie de grâce, la Vierge par qui toute créature a été inondée comme d’une pluie abondante des dons du Saint Esprit. » – « Il n’est personne, dit de son côté saint Bernard, qui ne reçoive de sa plénitude. Le malade obtient par elle sa guérison, le captif sa délivrance, l’affligé sa consolation, le pécheur son pardon, le juste un surcroît de grâce; les anges reçoivent une nouvelle allégresse, toute la Sainte Trinité une nouvelle gloire, et le Fils de l’homme la chair dans laquelle il s’est fait homme. » – « Je vois, ajoute ailleurs saint Bernard, dans ses entrailles, la grâce de la divinité, dans son coeur la grâce de la charité, sur ses lèvres la grâce de la bonté et de l’affabilité, dans ses mains la grâce de la miséricorde et de la largesse. » « Le Seigneur est avec vous, » continue l’ange. » Celui qui envoyait l’ange à la Vierge était déjà dans l’âme de la Vierge, dit saint Jérôme, et le Seigneur avait devancé son messager. » Aussi l’ange pouvait, comme saint Augustin le remarque, lui tenir ce discours: « Le Seigneur est avec vous bien plus qu’avec moi. Car il est dans votre coeur, et il sera dans votre sein, il remplit votre âme afin de remplir vos entrailles. » Et il pouvait ajouter, selon saint Bernard: « Ce n’est pas seulement le Seigneur, le Fils de Dieu que vous revêtez de la chair, qui est avec vous; mais c’est encore l’Esprit Saint par l’opération duquel vous concevez le Fils de Dieu. » L’ange poursuit, dans le texte sacré « Vous êtes bénie entre les femmes. » Vous seule entre toutes, et avant toutes les autres; » car, dit saint Jérôme, tout ce qu’Eve a répandu de malédiction a été ôté par la bénédiction accordée à Marie. » Trois malédictions pesaient sur les femmes: la malédiction de l’opprobre quand elles étaient stériles; en effet, Rachel, en donnant le jour à Joseph après une longue stérilité, s’écrie: « Dieu a éloigné mon opprobre (Gen XXX, 23); « la malédiction du péché, quand elles devenaient mères; c’est ce dont se plaint David « Voici que j’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a conçu dans le péché (Ps. L, 7); « la malédiction de la peine dans l’enfantement car Dieu avait dit à Eve « Tu enfanteras tes fils dans la douleur. » (Gen., III, 16). Seule, la Bienheureuse Vierge est bénie entre toutes les femmes, car elle a uni la fécondité à la virginité, une sainteté parfaite à la fécondité, et un enfantement sans douleurs à cette parfaite sainteté. Abondance de grâce, présence intime de Dieu, excellence de la bénédiction divine, ces trois privilèges que l’ange salue en Marie nous font assez connaître quelle est la suréminente dignité de cette Vierge. II. « Ne craignez point, Marie, dit l’ange, vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. » Ce sont les paroles par lesquelles l’ange, après avoir salué Marie, la rassure dans son trouble et la console. Ce qui avait troublé la Sainte Vierge, ce n’était pas la vue, mais le discours de l’ange. Elle était habituée à ces sortes de visions et ne s’en étonnait plus, aussi l’Evangéliste attribue t-il expressément son trouble aux paroles de l’ange. « L’archange Gabriel, dit saint Pierre Damien, vint avec une douce figure, mais avec des discours terribles; sa vue n’émut guère Marie, mais ses discours la troublèrent étrangement, et c’est pourquoi il dit: « Ne craignez pointa Marie, vous « avez trouvé grâce devant le Seigneur. » On peut voir dans ces dernières paroles comme remarque saint Bernard, quelle sollicitude avait Marie pour le salut de tout le genre humain. Elle a trouvé grâce, la grâce qu’elle souhaitait. Mais quelle était cette grâce? La paix entre Dieu et les hommes, la destruction de la mort, la réparation de la vie, voilà ce qu’elle a trouvé devant le Seigneur. Avec quelle ardeur elle désira donc le salut de l’homme Elle souhaite pour les hommes la grâce du salut; la souhaitant, elle la trouve, et, l’ayant trouvée, elle la répand sur toutes les âmes. « Marie, dit saint Bernard, par la véhémence de son désir, par la ferveur de sa charité, par la pureté de sa prière a atteint jusqu’à cette source sublime, dont la plénitude du coeur môme du Père, est descendue en elle, comme en un canal qui nous l’a distribuée non pas telle qu’elle est en elle-même, mais telle que nous étions capables de la recevoir. » Remarquons, en passant que l’ange Gabriel dit à Zacharie, père de Jean-Baptiste aussi bien qu’à Marie: « Ne craignez pas. » L’ange qui apparaît aux pasteurs à la naissance de Jésus les rassure aussi en leur disant de ne point craindre. Ce soin de rassurer les hommes est le propre des bons anges, comme nous le lisons dans la vie de saint Antoine « Il n’est pas difficile de faire le discernement des bons et des mauvais esprits. Si à la crainte que cause leur apparition succède la joie, c’est que l’ange vient de la part de Dieu, car la sécurité de l’âme atteste la présence d’une majesté céleste. Si, au contraire, la frayeur persévère, c’est l’ennemi qui est apparu. » III. L’ange, après avoir salué et consolé Marie, lui annonce qu’elle deviendra Mère de Dieu: « Voici que vous concevrez et enfanterez un Fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. » Voici que: par ces mots, l’ange lui montre le mystère étonnant et inouï qui va s’accomplir. Il le montre non pas sans doute à son regard corporel, mais à son intelligence, dans la lumière de la foi; ce qui fait dire à saint Jérôme: « Ce que la nature n’a point possédé dans son sein, ce que l’oeil n’a point connu, que la raison n’a point deviné, que l’esprit de l’homme ne saurait comprendre; un mystère qui étonne le ciel, qui confond la terre, qui surprend même les esprits célestes, voilà ce que Gabriel annonce à Marie de la part de Dieu et ce qui est accompli par Jésus-Christ. » Assurément, notre foi nous fait découvrir ici une grande charité et une grande puissance, où il faut reconnaître l’action de Dieu même. Aussi la Sainte Vierge dit-elle: « Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, » (Luc, 1,49). « Non, lui fait dire saint Bernard, développant cette parole, ce bien qui me fait déclarer bienheureuse par toutes les générations, je ne me l’attribue pas à moi-même, je ne le rapporte pas à mes mérites, mais bien à celui qui a fait ces grandes choses. Que je sois vierge, cela est grand; que je sois mère, cela est grand; que le sois vierge et mère à la fois, voilà ce qui est grand par-dessus tout. » Marie atteste elle-même sa grandeur quand elle dit que le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses; ineffablement grandes, en vérité, car elle est mère et vierge, et Mère du Seigneur; et l’Eglise dit qu’elle n’a point eu son égale dans le passé et que personne ne l’égalera dans la suite des siècles.

LE PÉCHÉ ORIGINEL : LES DOSSIERS BIBLIQUE, LITURGIQUE ET THÉOLOGIQUE

10 mars, 2014

http://www.portstnicolas.org/l-eglise/questions-diverses/article/le-peche-originel-les-dossiers-biblique-liturgique-et-theologique

LE PÉCHÉ ORIGINEL : LES DOSSIERS BIBLIQUE, LITURGIQUE ET THÉOLOGIQUE

Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine. Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le noeud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.
Pascal, Pensées, Brunschwig 434 ; Lafuma 131

Question récurrente des forums de discussion sur les serveurs religieux et, lorsqu’elle surgit, souvent cause de désarroi pour les chrétiens chargés d’animer les rencontres de préparation au baptême dans les paroisses, cette question du péché originel, éludée faute de temps à Vatican I et de propos délibéré à Vatican II, charrie avec elle une foule de représentations et de contentieux que nos contemporains ont bien du mal à décrypter.
À défaut de prétendre trouver ici les mots qui conviennent pour rendre compte de manière satisfaisante de cette expression qui fait partie de l’héritage théologique et dogmatique de l’Eglise catholique, ces quelques pages se proposent seulement de fournir quelques repères pour ce travail encore à venir.
Il nous faut en effet appliquer au « péché originel » ce que Jean XXIII disait au début du dernier concile : « autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. » [1]
Essayons donc d’y voir un peu plus clair en interrogeant successivement l’Ecriture, la prière de l’Eglise (notamment dans sa pratique baptismale) et ces fameuses expressions théologiques dont nous héritons. En même temps que leurs limites, nous tâcherons d’en faire ressortir les enjeux…

I. Le dossier biblique
On serait bien en peine de trouver, dans toute la Bible, une seule mention explicite du « péché originel ». L’expression n’y apparaît nulle part.
Est-ce à dire pour autant que la catégorie théologique qui nous occupe est apparue sans aucun enracinement biblique ? Voilà qui serait bien étonnant ! Ouvrons donc la Bible et arrêtons-nous sur quelques passages très prisés par nos prédécesseurs…

I.1. La figure d’Adam
C’est elle qui, durant de longs siècles, inspira la théologie du péché originel.
Le récit yahviste [2] de la Genèse (Gn 2 et 3)

Un enseignement sur Dieu
Il veut le bonheur de l’homme (Gn 2/18), lui qui en est le créateur. Le seul interdit qu’il donne à l’homme est un interdit protecteur (Gn 2/17), pour son bien donc. Il n’est pas le responsable des malheurs de l’homme. Ce rôle est ici tenu par le serpent puis par l’homme lui-même.

Un enseignement sur l’homme
Si l’homme consent au mal et s’en fait le complice, le mal est pourtant déjà là – ne serait-ce que sous la forme de la tentation, de la tromperie et du mensonge (Gn 3/1-5) – avant même son choix d’y consentir. C’est donc que l’homme n’est pas le seul responsable du mal qui l’accable.

Un enseignement sur le péché
Ce premier péché va être présenté comme le péché-type, à savoir le geste de l’homme qui se détourne de Dieu. Rompant la relation de confiance qui existait avec son créateur, l’homme se met à craindre celui qui est pourtant son plus grand bienfaiteur (Gn 3/8-10). Le récit évoque encore le péché comme une désobéissance (St Paul parlera de la « transgression » d’Adam, en Rm 5/14) par rapport à l’interdit divin, comme un désir orgueilleux de refuser son statut de créature pour s’égaler à Dieu (Gn 3/5).

Une question posée au lecteur
Qui est cet homme tiré de la poussière du sol en Gn 4/7 ? S’agit-il de l’homme en général ou d’un individu nommé Adam ? Faut-il voir dans cette histoire un récit populaire exprimant en images le fond de chaque péché et du péché de chacun ou bien la narration circonstanciée d’un péché des origines commis personnellement par nos premiers parents ?
Le terme hébreu employé suggère directement la terre dont l’homme est tiré selon le récit yahviste et pourrait bien être un terme générique pour désigner l’homme en général, tout homme en quelque sorte, surtout lorsqu’il est employé comme un nom commun précédé de l’article. Mais, en certains passages (Gn 4/25 ; Gn 5/3,4,5), « adam » est employé sans article et fonctionne comme un nom propre.
Si l’exégèse moderne penche pour la première ligne d’interprétation, il faut bien reconnaître que les commentaires traditionnels, ignorant l’existence de genres littéraires différents dans la Bible et peu attentifs à la pluralité de sens offerte par l’exégèse rabbinique [3], considéraient l’aventure de M. Adam et de Mme Eve comme une histoire à prendre au pied de la lettre. On sait que ce présupposé rendit même très difficile l’accueil, au siècle dernier, des travaux de Darwin et de toutes les hypothèses soulevées depuis par l’évolution de la cosmologie, de la biologie et des diverses branches de l’anthropologie culturelle. En 1950 encore, le pape Pie XII, dans son encyclique Humani generis , ne voyait guère de compatibilité entre la nouvelle hypothèse d’un polygénisme de l’humanité et le récit biblique, signe qu’on a du mal à se résoudre à ne pas trouver dans la Bible des réponses à nos « comment ? » au-delà des réponses à nos « pourquoi ? »…

L’exégèse typologique de St Paul
Dans la première lettre aux Corinthiens, Adam et le Christ sont face à face, comme source de mort et source de vie : « De même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ » (1 Co 15/22,45-49).
Dans l’épître aux Romains, Adam et le Christ sont, en plus, origines l’un du péché, l’autre de la justice. Il faut en effet citer ici le fameux développement du chapitre 5 et notamment le verset 12 dont la traduction, délicate, a donné lieu à diverses interprétations : « de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a atteint tous les hommes parce que [4] tous les hommes ont péché… » (traduction de la TOB).
Dans un cas comme dans l’autre, Paul use d’un artifice littéraire, « un seul », « un seul », qui durcit l’opposition en polarisant l’attention sur Adam, à l’exclusion des autres protagonistes de la faute selon le récit de la Genèse : Eve et le serpent, que Paul mentionne pourtant ailleurs (cf. 2 Co 11/3 ; Ep 2/2 ; 1 Tm 2/14). « Il réduit ainsi, note Gérard-Henry BAUDRY [5], le péché collectif des origines au péché individuel d’Adam pour les besoins de sa rhétorique. »
Ce qui est manifeste, c’est que l’enseignement de Paul porte directement sur le Christ. En ce qui concerne Adam, il reprend seulement certaines conceptions juives de son temps concernant les origines, ayant probablement présent à l’esprit que la communauté chrétienne de Rome est composée en grande partie de judéo-chrétiens. D’ailleurs, après avoir dû mettre ainsi en relief le rôle d’Adam pour les besoins de sa démonstration, Paul s’empresse de le relativiser en ajoutant que « tous ont péché ». Adam ne saurait en effet être mis sur le même plan que le Christ, seul et unique Sauveur.

I.2. D’autres passages de l’Ancien Testament
Difficile d’extrapoler longtemps à partir du seul petit verset de Si 25/24 ! On y retrouve seulement la tendance quelque peu misogyne de Ben Sirac : « C’est par une femme que le péché a commencé et c’est à cause d’elle que tous nous mourons » !
Quant à l’auteur du livre de la Sagesse, en Sg 10/1-2, il glisse sur la faute du premier homme pour ne retenir que la bonté de Dieu qui le relève, comme s’il s’agissait d’une faute de faiblesse… En identifiant le Serpent de la Genèse avec le Diable qui porte la première responsabilité de la mort, il semble bien d’ailleurs vouloir minimiser la culpabilité du premier homme : « Dieu a créé l’homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature ; c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2/24).
A l’appui de son élaboration théologique, St Augustin citera encore un extrait des Proverbes : « Qui dira : “j’ai purifié mon coeur, je suis net de tout péché” ? » (Pr 20/9). Dans cette même ligne, deux extraits de psaume évoquent encore ce bain de péché dans lequel est immergé tout homme dès sa naissance : « Voici que je suis né dans l’iniquité » (Ps 50/7) ; « Aucun homme vivant n’est juste devant toi » (Ps 142/2).
Mais, bien plus que ces versets épars, c’est l’héritage de la civilisation patriarcale et la conception traditionnelle du clan comme entité quasi-biologique qui constituent le terreau biblique sur lequel va se développer la théologie du péché originel.
Les anciens Hébreux mettaient en effet l’accent sur la solidarité collective dans le péché et n’hésitaient donc pas à châtier le coupable avec ou dans sa famille et ses descendants (cf. Jos 7/24-26 ; 2 S 21/5). C’en est au point que la pratique de la répression collective est érigée en principe longtemps indiscuté de la conduite même de Dieu : « Je suis un Dieu jaloux qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits enfants pour ceux qui me haïssent » (Ex 20/5 et Dt 5/9 ; cf. Ex 34/7 et Nb 14/18). Plusieurs siècles plus tard, en prônant la responsabilité personnelle du pécheur, la prédication du prophète Ezéchiel se heurtera encore à cette mentalité archaïque (Ez 18 ; Jr 31/29), une mentalité qui subsiste toujours chez les disciples de Jésus (cf. Jn 9/2) et dont saint Paul, hélas, n’est pas arrivé à clairement se détacher : « Par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse » (Rm 5/19).

I.3. D’autres allusions du Nouveau Testament
On peut bien sûr évoquer l’Apocalypse qui parle expressément de « l’antique serpent, le diable ou Satan, comme on l’appelle » (Ap 12/9 ; 20/2).
Mais c’est à la perspective johannique qu’il faut s’arrêter un instant.
Il y a d’abord cette forte affirmation selon laquelle « nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3/5). Cette affirmation, on s’en doute, a dû peser lourd en faveur du baptême des petits enfants.
Mais surtout, chez Jean, le Christ fait face non plus à Adam mais à celui qui est à l’origine du péché : le diable. Ici comme chez Paul, il est question de la « domination » du péché : « En vérité, je vous le dis : quiconque commet le péché est esclave du péché » (Jn 8/34). Comme chez Paul également, celui qui actuellement commet le péché a un prototype et un père : Satan. à deux reprises Jésus, s’adressant aux « Juifs », parle de « votre père » et l’oppose très précisément à Abraham (Jn 8/38-41). Et d’ajouter : « Vous avez pour père le diable, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Dès l’origine, ce fut un homicide : il n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il dit ces mensonges, il les tire de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jn 8/44). Voila, note P. SCHOONENBERG, « une claire allusion à l’origine, au paradis, où le diable a introduit la mort (Sg 2/24) en induisant l’homme à pécher par son mensonge. Ainsi, chez Jean, le péché se transmet à l’homme comme un héritage spirituel et en tant que domination de Satan. » [6]

II. Le dossier liturgique
« Lex orandi, lex credendi » [7]… Cet adage de notre tradition ecclésiale souligne l’importance de la prière de l’Eglise comme lieu théologique susceptible de nous aider à entrer dans une meilleure compréhension de l’unique dépôt de la foi. C’est donc vers la pratique liturgique de l’Eglise, notamment en matière de baptême, qu’il convient de nous tourner maintenant pour enrichir notre réflexion.

II.1. L’effacement du péché originel ou la victoire contre Satan ?
Il y a, note Gérard-Henry BAUDRY, deux approches de la condition misérable de l’homme. « L’une en fait remonter l’origine à Adam et la présente, certes, comme la conséquence de son péché, mais non pas comme la transmission de ce même péché, nuance importante. Les Pères du second siècle restent fidèles à cette ligne, qui est biblique, en ne parlant pas d’un péché héréditaire dans leur réflexion sur le baptême. Mais il y a aussi une seconde approche, qui prend deux formes : l’une, plus discrète et plus populaire, qui considère que de fait l’homme est souillé dès sa naissance ; et l’autre, plus explicite, qu’il est esclave de Satan. » (…)
« C’est dans la démonologie que les Pères trouvent la réponse au problème du mal. Elle va marquer la liturgie du baptême ainsi que la théologie baptismale (…). Voilà pourquoi le péché d’Adam est refoulé aux origines et est absent de l’idée comme de la pratique du baptême, tandis que Satan est omniprésent comme l’Adversaire du genre humain, celui que le Christ a vaincu par sa mort et sa résurrection. Le baptême est le sacrement de cette victoire. Cette perspective avait l’avantage de rester proche des données évangéliques qui nous montrent constamment le combat que le Christ mène victorieusement contre Satan alors qu’elles ignorent la problématique du péché originel. » [8]

II.2. La pratique du baptême des petits enfants
Même si cette pratique ne semble pas s’être imposée partout [9] et a coexisté avec l’antique tradition du baptême des adultes, elle est attestée très tôt dans l’histoire de l’Eglise [10], en tout cas bien avant que ne soit formalisée la théologie du péché originel. Le baptême n’a d’ailleurs pas pour seul effet la rémission des péchés. Et saint Jean Chrysostome d’ajouter, dans ses Catéchèses baptismales : « C’est pour cette raison que nous baptisons même les petits enfants, bien qu’ils n’aient pas de péchés, pour que leur soit ajouté la justice, la filiation, l’héritage, la grâce d’être frères et membres du Christ, et de devenir la demeure du Saint-Esprit » [11].
Ce n’est qu’avec saint Augustin que cette pratique du baptême des petits enfants va servir d’argument principal à une doctrine du péché originel en cours d’élaboration.

II.3. Les rituels du baptême
Commençons par celui qui sert de modèle à tous les autres, à savoir celui des adultes.
II.3.1. L’initiation chrétienne des adultes
Pour les communautés francophones fut publié en 1974, à titre provisoire, un Rituel du baptême des adultes par étapes ; puis, en 1977, le Rituel du baptême des enfants en âge de scolarité.
Un constat s’impose ici : « Comme dans les rituels anciens, y compris le rituel romain, il n’y est fait aucune mention explicite du péché originel. On reste dans la symbolique traditionnelle, même si on observe un déplacement d’accent. Par exemple la forte opposition entre le monde de Satan et le monde du Christ, marquée par les divers rites d’exorcisme et culminant dans la renonciation à Satan, se trouve beaucoup atténuée. (…) on assiste en quelque sorte à une dé-démonisation des représentations au profit de formules plus générales comme le mal, le péché, l’esprit du mal, la puissance des ténèbres » [12].
C’est tout récemment, en 1997, qu’est parue l’édition francophone dite « définitive » [13] . On ne s’étonnera pas de n’y trouver pas davantage de mention explicite au « péché originel », puisque l’édition de 1997 est , comme celle de 1974, une adaptation du même rituel latin publié en 1972. à noter seulement, parmi toutes les prières proposées dans les exorcismes, quelques allusions à « la faute » (n° 115/4), aux « blessures du péché » (n° 115/9) ou encore à « l’esclavage du péché qui a introduit la mort dans le monde et corrompu ce que tu as fait de bon » (n°172/2).

II.3.2. Le rituel du baptême des petits enfants
Plus encore que pour le baptême des adultes, c’est évidemment là qu’on s’attendrait à trouver mention du fameux « péché originel » ! Or, curieusement, l’ancien rituel publié par le pape Paul V en 1614 [14] n’utilise jamais la formule classique peccatum originale ou une formule équivalente. Ainsi que le note G-H. BAUDRY, « ce fait est d’autant plus surprenant que le concile de Trente, face aux diverses déviations contemporaines, avait précisé la doctrine du péché originel, doctrine qui devait affecter si profondément les mentalités. Tout s’est passé comme si l’on n’avait pas osé toucher aux textes liturgiques traditionnels qui remontaient à une si haute antiquité. » [15]
Verra-t-on un changement notable avec la parution du nouveau rituel de 1969 [16] ? Nullement. La seule mention du « péché originel » se trouve au n°125 dans l’une des deux prières d’exorcisme. Encore faut-il signaler le côté contestable de cette traduction française, puisque le texte latin (langue de référence) du rituel prenait précisément bien soin d’éviter la formule originale peccatum qu’il remplaçait par originalis labes (« chute originelle », « faux pas ») [17].
Au silence de l’écriture, voici que s’ajoute donc celui de la liturgie baptismale à propos de cette représentation du péché originel élaborée par la théologie classique. Il faudra s’en souvenir lorsqu’il s’agira d’évaluer l’importance et la pertinence pour aujourd’hui d’un tel vocabulaire et plus encore des images qui lui sont associées.

III. Le dossier théologique
III.1. Les premiers siècles
La pratique du baptême des petits enfants a dû, très tôt, poser problème eu égard à l’affirmation de l’écriture selon laquelle le baptême est conféré « pour la rémission des péchés » (Ac 2/38). Il fallut donc opérer la distinction entre péché personnel et péché originel, le premier étant en effet difficilement imputable aux enfants nouveaux-nés !
Origène distinguera, quant à lui, « souillure » (sordes) et « péché » (peccatum), les petits enfants en naissant ayant contracté une souillure, mais non un péché, lequel suppose toujours un engagement libre et personnel.

III.2. La puissante influence de St Augustin
Son engagement contre l’hérésie de Pélage, une erreur d’interprétation du fameux verset de Rm 5/12 [18] et, reconnaissons-le, une vision très pessimiste de la sexualité liée à son expérience personnelle, conduisirent l’évêque d’Hippone, d’une part à parler de « péché » là où ses prédécesseurs parlait de « mort » ou de « corruption » pour évoquer un état de l’humanité qui affecte tous ses membres [19], d’autre part à concevoir le péché des hommes non comme une simple imitation du péché d’Adam, mais comme une maladie contagieuse transmise par voie de génération charnelle.
Reliant très fortement l’affirmation universelle du salut à la nécessité absolue du baptême et notamment à la pratique ecclésiale du baptême des petits enfants, il n’hésite pas à prédire l’enfer pour les enfants non-baptisés.
III.3. Les enseignements dogmatiques du synode de Carthage (411), du 2ème Concile d’Orange (529) et de la 5ème session du Concile de Trente (1546)
Entre Pélage qui surestimait les forces de l’homme livré à lui-même et les premiers réformateurs protestants qui enseignaient que l’homme était radicalement perverti et sa liberté annulée par le péché des origines, l’Eglise fut amenée à préciser sa doctrine, en s’appuyant fortement sur la réflexion d’Augustin.
Cet enseignement est repris dans la dernière édition du catéchisme de l’église catholique… sans grand effort de reformulation, il faut bien l’avouer !
À la suite de S. Paul, l’Eglise a toujours enseigné que l’immense misère qui opprime les hommes et leur inclination au mal et à la mort ne sont pas compréhensibles sans leur lien avec le péché d’Adam et le fait qu’il nous a transmis un péché dont nous naissons tous affectés et qui est « mort de l’âme ». En raison de cette certitude de foi, l’Eglise donne le Baptême pour la rémission des péchés même aux petits enfants qui n’ont pas commis de péché personnel. » (C.E.C. n° 403)
(…) en cédant au tentateur, Adam et Eve commettent un péché personnel, mais ce péché affecte la nature humaine qu’ils vont transmettre dans un état déchu. C’est un péché qui sera transmis par propagation à toute l’humanité, c’est-à-dire par la transmission d’une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles. C’est pourquoi le péché originel est appelé « péché » de façon analogique : c’est un péché « contracté » et non pas « commis », un état et non pas un acte. (C.E.C. n° 404) [20]
(…) la nature humaine n’est pas totalement corrompue : elle est blessée dans ses propres forces naturelles, soumise à l’ignorance, à la souffrance et à l’empire de la mort, et inclinée au péché (cette inclination au mal est appelée « concupiscence »). Le Baptême, en donnant la vie de la grâce du Christ, efface le péché originel et retourne l’homme vers Dieu, mais les conséquences pour la nature, affaiblie et inclinée au mal, persistent dans l’homme et l’appellent au combat spirituel. (C.E.C. n° 405)

III.4. Un état de péché
On vient de le lire dans le C.E.C., le péché originel qui affecte tout homme en ce monde est un état et non un acte.
Cet aspect de la doctrine catholique n’est pas le plus difficile à recevoir : chacun voit bien, en effet, qu’il y a quelque-chose de cassé dans ce monde (cf. Rm 8/19-21) et que le péché – qui consiste à refuser Dieu – ne fait qu’ajouter à toutes les formes de mal et à leur cortège de souffrances (1 Co 15/16-19). Une lecture théologique de la vie économique amenait ainsi le pape Jean Paul II, dans son encyclique Sollicitudo rei socialis de 1987, à qualifier de « structures de péché » (n° 36) les injustices structurelles qui se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés en conditionnant la conduite des hommes.
Plus radicalement, tout homme se découvre, dès sa naissance, comme blessé par un mal qui le précède, prisonnier du péché dont il ne tarde pas à se rendre complice (cf. Rm 7/19 ; Ga 5/17). ; il est incapable par lui-même d’être ami de Dieu et de participer à sa vie. C’est le côté dramatique de l’existence humaine.
Les conséquences du péché originel et de tous les péchés personnels des hommes confèrent au monde dans son ensemble une condition pécheresse, qui peut être désignée par l’expression de Saint Jean : « le péché du monde » (Jn 1/29). Par cette expression on signifie aussi l’influence négative qu’exercent sur les personnes les situations communautaires et les structures sociales qui sont le fruit des péchés des hommes. (C.E.C. n° 408)

III.5. Un péché des origines ?
Après le « peccatum originale originatum », cette situation générale viciée qui est le lot commun de notre humanité et que nous venons d’évoquer, il convient d’envisager maintenant ce que la théologie scolastique nommait, par opposition, le « peccatum originale originans », c’est-à-dire le péché de nos premiers parents, réputé situé au tout début de l’histoire de l’humanité.
On a déjà mentionné ici les questions posées au lecteur du récit yahviste de la Genèse et la lenteur avec laquelle l’Eglise admit enfin qu’on puisse voir dans ce récit autre chose qu’un événement historique survenu entre M. Adam, Mme Eve et un curieux serpent doté de la parole !
Le récent catéchisme de l’Eglise catholique n’a d’ailleurs pas encore abandonné complètement cette lecture quelque peu naïve, ainsi qu’on peut le constater en lisant le n° 390 :
Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme. La révélation nous donne la certitude de foi que toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents. (C.E.C. n° 390 ; voir aussi le n° 404 déjà cité).
On peut regretter ici que ce catéchisme n’ait pas retenu la mention moins ambiguë du n° 13 de la constitution conciliaire Gaudium et Spes : « dès le début de l’histoire » ! La formule avait pourtant ceci d’intéressant qu’elle impliquait que l’homme n’avait pas seulement abusé de sa liberté au début de l’histoire, mais dès le début. C’était dire qu’il avait continué d’en abuser après ! C’était surtout refuser de prétendre pouvoir écrire l’histoire du premier péché (les rédacteurs du récit yahviste de la Genèse étaient eux-mêmes déjà immergés dans un monde marqué par le péché !) mais se contenter, plus prosaïquement, d’évoquer l’histoire des péchés qui se multiplient au cours de l’histoire dès son début !
Mais sans doute est-il difficile de penser l’universalité du péché sans le situer à l’origine ?… comme d’affirmer l’unité de l’espèce humaine sans faire dériver ses ancêtres d’un seul et même couple ?
Tel est bien d’ailleurs l’enjeu théologique de cette doctrine du péché originel, avec, comme on l’a signalé dès le début de ces quelques notes, cette autre affirmation vigoureuse : non seulement Dieu n’est pas l’auteur du mal et de la mort, mais Il peut en délivrer tous les hommes, en Jésus Ressuscité.
La doctrine du péché originel est pour ainsi dire le « revers » de la bonne Nouvelle que Jésus est le Sauveur de tous les hommes, que tous ont besoin du salut et que le salut est offert à tous grâce au Christ. L’Eglise qui a le sens du Christ sait bien qu’on ne peut pas toucher à la révélation du péché originel sans porter atteinte au mystère du Christ. (C.E.C. n° 389)

III.6. Un travail de reformulation encore à faire
Pour être normatives, les définitions conciliaires de Carthage et de Trente n’en ont pas moins vieilli. Elles nécessitent, comme l’affirmait Paul VI dès 1966, une « définition et une présentation du péché originel qui soient plus modernes, c’est-à-dire qui satisfassent davantage aux exigences de la foi et de la raison, telles qu’elles sont ressenties et exprimées par les hommes de notre temps » [21].
Vingt ans plus tard, lui faisaient écho les propos du cardinal J. RATZINGER qui reconnaissait : « L’incapacité de comprendre et de présenter le ’péché originel’ est vraiment un des problèmes les plus graves de la théologie et de la pastorale actuelle » [22].
Nos enquêtes, même succinctes, en direction de la Bible et de la pratique baptismale de l’Eglise au long des siècles nous amènent d’ailleurs à relativiser sinon une doctrine du moins une formulation si faiblement enracinée dans l’Ecriture et la prière de l’Eglise.
C’est ainsi que les progrès de l’exégèse et de l’histoire nous obligent déjà à reconsidérer de manière critique l’interprétation donnée aux quelques versets de l’épître aux Romains sur lesquels repose l’essentiel de l’édifice théologique nommé « péché originel », ainsi que la justification donnée par le concile de Carthage et reprise par celui de Trente à l’appui des condamnations qu’ils prononcent.
L’un et l’autre conciles veulent voir en effet leur doctrine présente en Rm 5/12 et n’hésitent pas à déclarer : « on ne peut pas comprendre autrement ce que dit l’Apôtre : ’Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui’ (Rm 5/12), sinon de la manière dont l’Eglise catholique répandue par toute la terre l’a toujours compris [23]. » La redécouverte de la tradition grecque ne rend plus tenable cette affirmation, laquelle d’ailleurs, dans la mesure où elle suit la formule « anathema sit », semble bien être davantage une justification qu’une explication incluse dans l’anathème et donc ne pas faire autant autorité.
D’un autre côté, et sauf le respect que l’on doit à son immense talent, il faut bien reconnaître qu’à trop vouloir se servir de l’antique pratique du baptême des petits enfants pour justifier sa construction théologique, St Augustin n’a probablement pas franchement rendu service à notre église.
N’est-il pas temps aujourd’hui de retrouver toute la richesse de cette pratique et la signification première d’un baptême qui célèbre la primauté, non du péché, mais de la grâce du Christ ?
Et au lieu de se crisper, voire de prétendre partir du « péché originel », n’est-il pas plus conforme à l’évangile et plus urgent pour nos contemporains de parler de « la grâce originelle » ?
Puissent ces quelques lignes nous stimuler en ce sens !

 

ABRAHAM – par le Père Paul Beauchamp

6 février, 2014

http://www.stignace.net/recherchedetextes/cadretextes/abraham.htm

ABRAHAM

par le Père Paul Beauchamp

Abraham dans la lumière : il entend la promesse. Abraham dans l’ombre : Pharaon lui prend Sara. Puis, nouvelle étape, aux « chênes de Mambré » : « Il est assis à l’entrée de la tente dans la pleine chaleur du jour. » Il a plus de cent ans, sa femme est stérile. Mais c’est le plein midi et la promesse d’un fils va se réaliser. Surprise : la tradition des Églises d’Orient désigne la scène par le terme grec de « philoxénie » (inspiré par He 13,2), qui veut dire « amour de l’étranger ». Nous saisissons vite que la « philoxénie » est le contraire de « xénophobie ». « Il leva les yeux et aperçut trois hommes devant lui. » Il ne les a pas vus venir, il ne les connaît pas. Des étrangers. Il vaut la peine de faire le compte des détails de l’hospitalité d’Abraham (comment il annonce du « pain » et fait tuer un veau, etc.).
Indiscutablement pourtant, cette philoxénie est la première Annonciation de toute la Bible. Et le fils annoncé est la promesse d’une « grande nation ». La nation sera bénie par des étrangers, or il est annoncé par des étrangers. On commente sur la « proverbiale hospitalité des nomades », avec raison. Que cela ne détourne pas notre attention de cette association fulgurante entre « ouvrir sa porte à des étrangers » et « recevoir un fils ». Le fils, la fille : étrangers pour le père, la mère. Étranger, c’est-à-dire autre, nouveau. Nouveauté devant laquelle tout père, toute mère, se surprend en défense.
Abraham n’est pas seul. Sa vie se jouera sur son rapport avec les Nations (Gn 12, 2-3). Ses visiteurs n’ont pas de nationalité. Leur statut est caché : quand ils parlent, on entend tantôt leur voix (Gn 18,9), tantôt la voix du Seigneur (Gn 18, 10 et 13). Trois dimensions s’étagent : 1. recevoir des étrangers ; 2. recevoir un fils ; 3. recevoir cet étranger : Dieu. Un étranger qui partage nos repas : « Ils mangèrent et lui dirent : « Où est Sara, ta femme ? » ». L’annonce d’un fils fait rire Sara, rire devant l’impossible. Pas impossible pour le Seigneur, lui est-il répondu. Saint Luc, intentionnellement, nous fera ressouvenir de cette scène. Gabriel adressera la même parole à Marie : « Rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1,137). Mais il y a des degrés dans l’impossible.
Mambré et Sodome : la première Annonciation de la Bible est inséparable de la scène qui la suit (Gn 18,16 à 19,29), et qui est inaugurée par un mot : « Sodome » (Gn 18,16 ; cf. plus loin : Sodome et Gomorrhe). C’est un choc ! L’effet de contraste s’inscrit dans la composition soignée des chapitres 18 et 19, sous le signe de la « visite », visite accueillie par Abraham, visite refusée par les gens de Sodome qui se jettent sur les nouveaux venus comme sur leur proie.
Même envers Sodome et Gomorrhe, Abraham reste l’élu pour tous, le béni pour ceux qui bénissent. Jamais il n’a été si proche des Nations qu’à ce moment où, raccompagnant les visiteurs étrangers jusqu’à ce moment où, raccompagnant les visiteurs étrangers jusqu’à ce haut lieu d’où leur apparaissent les deux cités, commence le dialogue au cours duquel Abraham intercède si astucieusement pour Sodome et Gomorrhe auprès du Seigneur. Combien de justes faudrait-il pour qu’elles soient sauvées : cinquante, quarante-cinq, quarante, trente, vingt, dix ? On s’est demandé pourquoi Abraham n’allait pas jusqu’au chiffre « un ». Peut-être parce qu’il faut une alliance entre plusieurs justes pour sauver la cité : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », a dit le Créateur (Gn 2,18).
P. Paul Beauchamp

Cinquante portraits bibliques
Seuil 2000, 260 p.

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