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TÉMOIN DE L’INTELLECTUS FIDEI « JE CONNAÎTRAI COMME JE SUIS CONNU » (SAINT PAUL, 1 CO. 13, 12)

5 novembre, 2018

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TÉMOIN DE L’INTELLECTUS FIDEI « JE CONNAÎTRAI COMME JE SUIS CONNU » (SAINT PAUL, 1 CO. 13, 12)

par Christian Rangdreul

La contrelittérature accorde une grande importance au sens précis des mots. La raison en est tout à la fois simple et essentielle : les mots, lorsqu’ils sont dépossédés des idées premières qui leur ont donné corps, engendrent inévitablement de la confusion en estompant les repères. Devenus supports du relativisme généralisé, ils brouillent les concepts, lesquels, bien que destinés à être dépassés par le point de vue sur-analytique, synthétique, n’en demeurent pas moins d’une importance fondamentale au début et au cours du difficile chemin qui mène de la lettre à l’esprit, du paraître à l’être… de la lettre à l’être. Cette dégradation est évidemment plus ou moins importante dans ses effets selon le degré de signifiance du mot affecté ; or, dans le vaste champ conceptuel philosophique, théologique et métaphysique, il est un mot envers lequel le brouillage se montre particulièrement néfaste au regard de l’enjeu dont il est porteur, ce mot c’est celui de gnose.
Jean Borella, qui a longtemps enseigné la métaphysique et la philosophie ancienne et médiévale à l’Université de Nancy II, s’est attaché, tout au long de son œuvre, de manière directe ou indirecte depuis La charité profanée jusqu’à son récent Lumières de la théologie mystique[1], a libérer la gnose des mailles dans lesquelles une exégèse réductrice l’a emprisonnée. Dans le premier de ces deux ouvrages, dénonciation implacable de l’altération, voire de la parodie, affectant la plus haute des trois vertus théologales, Jean Borella, constatant que « la question de la gnose chrétienne est extrêmement embrouillée », propose simplement, pour commencer à sortir de cet embrouillamini, de remonter à la source étymologique du mot en question : « Le mot de gnose, décalque du grec gnôsis, signifie connaissance » ! Certes, tous ceux qui se sont essayés à traiter de la question de la gnose n’ont évidemment pas omis de rappeler une telle évidence, mais, dans la plupart des cas, pour redescendre presque aussitôt vers les méandres embrumés des commentaires paresseux ou tendancieux. Jean Borella, lui, reste à proximité de la source pour témoigner d’une réalité autour de laquelle une grande partie de son œuvre s’ordonne, à savoir que la gnose, au sens propre du terme, ne désigne pas la connaissance ordinaire, laquelle relève d’une érudition accumulatrice de savoirs, mais la « connaissance sacrée », celle qui, à l’inverse, allège l’esprit ; et ce à un double titre : « dans son objet qui est la divine essence », et « dans son « mode » qui est une participation à la connaissance que Dieu a de Lui-même. »
Brouillage il y eut, donc, et très tôt. Des doctrines plus ou moins en marge du christianisme primitif et se réclamant de la gnose se firent jour dès le IIe siècle, ce qui eut pour fâcheuse conséquence qu’un même terme désignât alors deux enseignements opposés concernant la connaissance sacrée : celle de l’Église et celles des diverses écoles hérétiques ; ce qu’oublient ou négligent avec une facilité déconcertante les contempteurs hâtifs de la gnose. S’ils prenaient la peine d’ouvrir le très autorisé Dictionnaire de théologie catholique à l’article gnose[2], ils pourraient pourtant y lire que celle-ci « est en elle-même la connaissance explicite des vérités révélées, la science de la foi » ; et que « le mot, avec l’idée qui s’y rattache, se trouve dans l’Évangile, Luc, XI, 52,[3] et dans les Épîtres des apôtres, I Cor., VIII, 7 ; XIII, 8, etc., pour désigner, à côté de la foi qui adhère à la révélation sur l’autorité du témoignage divin, l’étude approfondie des dogmes à l’aide des lumières de l’Écriture et de la tradition. » Il est donc difficilement compréhensible que l’on passe si rapidement sur l’évidente distinction entre la gnose orthodoxe et la gnose hétérodoxe, la première, seule, méritant légitimement d’être désignée par ce vocable ; la seconde, toujours dans le souci de débrouiller la question, devant être nommée gnosticisme. Distinction capitale, malheureusement ignorée, oubliée, ou écartée pour des raisons obscures, distinction qui n’a cependant pas manqué d’être explicitement faite par l’auteur de l’article du Dictionnaire de théologie chrétienne : « Devant cette gnose hérétique, les Pères, jaloux de la saper par la base et de maintenir les droits de la gnose orthodoxe, ne se lassent pas de mettre en lumière le principe fondamental de la connaissance chrétienne. »
Dans un article intitulé La gnose au vrai nom paru dans la revue Krisis[4], Jean Borella, quant à lui, apporta des arguments difficilement réfutables pour étayer le bien fondé de la conservation du terme gnose, et ce en s’attardant sur la Première Épître de Saint Paul à Timothée, VI, 20, où l’on peut lire : « O Timothée, garde le dépôt. Évite les discours creux et impies, les objections d’une pseudo science », traduction du grec « anthitheseis tès pseudonymou gnôseôs », que Jean Borella rend plus fidèlement par : « les contradictions de la gnose au faux nom ».
« Pourquoi, s’interroge Jean Borella, saint Paul éprouverait-il le besoin de défendre le mot même de gnôsis ? Pourquoi parle-t-il d’un « faux nom » et pas seulement d’une fausse ou d’une vraie science ? Sa formule ne peut avoir qu’un sens : c’est que la vraie connaissance est aussi la connaissance par excellence, l’unique connaissance à laquelle seule, pour cette raison, il faut réserver le terme de gnôsis ; et c’est aussi pourquoi, malgré le bien fondé de certaines objections, nous croyons nécessaire de maintenir en français le terme de gnose » (p. 90).
Ainsi apparaît l’enjeu, évoqué plus haut. La réhabilitation de la gnose au vrai nom, de la gnose orthodoxe et déifiante, loin de s’opposer à la foi, en est un approfondissement, grâce à la vertu transcendante d’intelligence[5]. Gnose identique à cette foi in fidem, « dans la foi », dont il est question chez saint Paul : « Car en lui (l’Évangile) la justice de Dieu se révèle de la foi (ex fide) à la foi (in fidem)… » (Rm, I, 17). Loin, aussi, de s’opposer à la charité, la gnose l’empêche de se dégrader dans ce narcissisme individualiste qu’on ne voit que trop chez les modernes, consistant à vouloir jouir d’elle même dans une confusion où, comme la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, le psychique se prend pour le spirituel ; redoutable travers que le lama tibétain Chögyam Trungpa nommait matérialisme spirituel[6]. Comme Charles Péguy qui estimait que « le génie ne se connaît pas », Jean Borella souligne fort justement que « la charité pure est une charité qui s’ignore ». Ignorance nécessairement de même nature que la « docte ignorance » de Nicolas de Cuse, tant il est vrai que c’est seulement après avoir abandonné tout attachement au savoir quantitatif et vaniteux que l’on connaît réellement. Or, c’est cette ignorance connaissante, co-naissance où le sujet connaissant et l’objet connu participent ensemble à l’éternelle naissance spirituelle de l’ici et maintenant libéré de toute surimposition mentale ; c’est cette sainte, tout autant que docte, ignorance, qui constitue l’essence même de la gnose orthodoxe. Comment, dès lors, le gnostique pourrait-il être affecté de cet orgueil intellectuel dont nos impénitents « gnosophobes » l’accusent ? Plus crédible est ce moine hésychaste, Élie l’Ecdicos, qui observait joliment : « Est gnostique, celui qui met de la grandeur dans les descentes de son âme, et de l’humilité dans ses élévations »[7].
Comme les deux ailes de l’oiseau, la gnose au vrai nom et la charité pure sont inséparables. Que l’une des deux ailes vienne à défaillir et l’oiseau ne pourra s’envoler vers les espaces azurés. De même sera-t-il impossible à l’âme de prendre son envol déifiant dès lors que lui manque l’aile de la charité ou celle de la gnose : la charité sans la lumière de la gnose se voyant peu à peu réduite à une niaise sensiblerie idéologico-spiritualiste ; la gnose privée de la chaleur de la charité se desséchant, tel un arbre privé de sève, dans un endurcissement orgueilleux. Il importe alors peu, finalement, de considérer avec Évagre le Pontique que « la charité est la porte de la gnose », ou, à l’inverse avec Grégoire de Nysse, que la gnôsis, « connaissance mystique », se transforme en agapè, « vie mystique » ou « union mystique »[8]. La préséance, ici, n’étant plus qu’affaire d’inclination, peut être plus portée à l’enstase chez l’un, l’extase chez l’autre[9]. D’ailleurs, cette complémentarité de l’amour (la charité) et de la connaissance (la gnose) n’est-elle pas au cœur de la doctrine de l’amour-intellection de Guillaume de Saint-Thierry, et ne la retrouve-t-on pas, quelques siècles plus tard, chez Dante et les Fidèles d’Amour avec l’intelleto d’amore ?
L’évocation de Grégoire de Nysse, « Père de la théologie mystique », nous amène tout naturellement au dernier livre de Jean Borella : Lumières de la théologie mystique. Ici, la question « embrouillée » de la gnose se voit débrouillée par l’œuvre « énigmatique et fondatrice » de Denys l’Aréopagite, « le grand Denys », comme se plaisait à le qualifier saint Maxime le Confesseur. En seulement 180 pages où la concision de la pensée le dispute à la hauteur du point de mire, c’est dans le saint des saints du corpus dyonisum que l’auteur nous fait pénétrer. Encore convient-il d’en retrancher les 60 dernières pages constituant la troisième partie de l’ouvrage consacrée à Trois figures de la tradition Dionysienne : Maître Eckhart, Henri Suso, et l’auteur anonyme de la Theologia Teutsch (Teutsch est l’ancienne orthographe de deutsch).
« Entre la nécessaire abstraction de la scolastique, aujourd’hui assez injustement récusée, et le goût de notre temps pour une spiritualité fondée sur l’expérience concrète, ce livre tente d’ouvrir une autre perspective, celle de la théologie comme voie spirituelle, comme theognôsis, par la sanctification de l’intelligence », lit-on en quatrième de couverture. La sanctification de l’intelligence ! Voilà qui pourra paraître incongru et spirituellement incorrect à l’heure où le sixième don du Saint-Esprit est encore si souvent marginalisé au profit exclusif de l’« expérience concrète », concomitante à cette « charité profanée » aux contours flous mais sacrifiant à l’obsession si moderne de la recherche en tous domaines de l’utilité, du résultat quantifiable. C’est que l’intelligence, comme la gnose, s’est vue frappée d’un discrédit la reléguant à la sphère du seul mental analytique – « Tout ça, c’est trop intello, ce qui compte c’est l’amour des autres et l’expérience qui en résulte », ne cessent de nous asséner les cuistres ignares trouvant ainsi une justification à leur paresse intellectuelle et à leurs préjugés idéologiques – alors qu’elle est l’intus legere, cette faculté dont saint Thomas enseigne qu’elle permet de « lire au dedans », « pénètre les essences » et « a pour objet « ce que c’est » »[10]. Là encore, tout comme pour la gnose, les contempteurs devraient se souvenir de la parole du Sauveur : « La vérité vous rendra libres » ; car qui peut nier que l’intelligence, avec la charité, joue un rôle essentiel dans la connaissance de la vérité ? Ainsi, lorsque Jean Borella écrit que l’intuition intellectuelle « est la vie même de l’esprit » et que « l’opération anagogique », qui en est la pratique, « n’a d’autre fin que d’ouvrir l’œil de l’intellect à la lumière, c’est-à-dire au sens, qui rayonne des réalités invisibles », cela n’a absolument rien à voir avec quelque intellectualisme que ce soit, mais participe à redonner ses titres de noblesse à l’intelligence de la foi, dans la plus parfaite orthodoxie catholique, en écho de ce qui est exprimé dans la Lettre encyclique de Jean-Paul II, Fides et ratio. Dans ce remarquable texte en effet, le successeur de Pierre ne dit-il pas de l’intellectus fidei (inséparable, en tant que double principe méthodologique, de l’auditus fidei) : « L’ intellectus fidei explicite cette vérité (la vérité divine), non seulement en saisissant les structures logiques et conceptuelles des propositions sur lesquelles s’articule l’enseignement de l’Église, mais aussi, et avant tout, en faisant apparaître la signification salvifique que de telles propositions contiennent pour les personnes et pour l’humanité » ?[11]
Mais après ces préambules, pénétrons dans Les lumières de la théologie mystique. Passé le premier chapitre de la première partie, Théologia : de la tradition des pères au mystère dyonisien, où Jean Borella récapitule les trois degrés de la « théologia tripartite », celle d’avant le christianisme – la théologie mythique, œuvre des poètes et puisant dans l’imagination ; la théologie physique, œuvre des philosophes, portant sur la physis (nature) et sollicitant la raison ; la théologie politique, concernant les affaires de la polis (cité) et nécessitant la volonté – le chapitre suivant nous introduit dans la théologia des premiers écrivains chrétiens. Ici, la « vraie théologie » se manifeste toujours de manière tripartite, mais différemment, selon « trois axes sémantiques » : « Chez les Pères, le foyer lumineux de l’unique théologie rayonne selon trois axes indissociables […]. Ces trois axes, ce sont : l’Écriture sainte, la Science de Dieu, la Prière pure et contemplative ; autrement dit : la révélation, la gnose, la déification. » Et Jean Borella d’examiner le sens donné aux mots théologia et théologos par Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe de Césarée et Saint Athanase, pour ce qui concerne l’Écriture sainte ; par les trois grands théologiens cappadociens : Saint Grégoire de Nysse, Saint Basile de Césarée et Saint Grégoire de Naziance, tous trois docteurs de la théologie trinitaire afférente à la Science de Dieu ; et par Saint Grégoire de Nysse et Évagre le Pontique relativement à la Prière pure. Dans cette perspective, la théologie n’est autre, selon le premier axe sémantique, que la « gnose de Dieu que le Christ est venu révéler » ; « science de la Trinité » selon le deuxième ; et « connaissance de la Trinité » selon le troisième.
Le chapitre suivant aborde la question du mystère de la personnalité de Denys l’Aréopagite et de la nature de sa synthèse constituée par sa doctrine de la théologia. Pour Jean Borella, il ne fait aucun doute que « le nom de « Denys l’Aréopagite » doit […] être considéré comme un hiéronyme. Porté par le saint fondateur de la tradition dyonisienne, il situe l’origine paulinienne d’une fonction doctrinale dont l’enseignement fut perpétué durant quatre cents ans dans la discrétion, et qui, miséricordieusement, se révèle en ce début du VIe siècle. » De fait, si l’auteur du Corpus aréopagiticum[12] ne peut être confondu, pour des raisons décisives que Jean Borella passe en revue, avec l’Athénien Denys, membre de l’Aréopage et converti par saint Paul (Actes des Apôtres, VIII, 34), il n’en reste pas moins que ce mystérieux auteur se déclare à plusieurs reprises comme un disciple direct de l’Apôtre des gentils. Toute supercherie étant écartée depuis longtemps par les spécialistes, il ne peut donc s’agir que d’une individualité se rattachant à une chaîne « initiatique » (nous employons ce terme en nous tenant tout autant éloignés de sa surévaluation guénonienne que de sa diabolisation traditionaliste) remontant au membre de l’Aréopage dont le nom est le seul, parmi les convertis de saint Paul, a être cité par les Actes des Apôtres. Jean Borella attire également l’attention du lecteur sur le fait que le discours de saint Paul sur la « colline d’Arès » où se tenait l’Aréopage « renferme certains des enseignements les plus élevés de la prédication chrétienne » : le Dieu des chrétiens est le « Dieu inconnu » ; « en Lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être » ; « nous sommes de sa « race » ». Apparaissent alors, sous la plume de Jean Borella, des considérations de la plus haute importance, non seulement en ce qui concerne la portée spirituelle de cet événement, mais aussi sur ses prolongements culturels (et, partant, géopolitiques dans le sens d’une « géopolitique transcendantale » évoquée par Dominique de Roux) lesquels, s’ils ne sont pas premiers, ne sont pas des moindres : « nous assistons en ce moment solennel, à la rencontre, voulue par Dieu, entre la fleur intellectuelle du rameau occidental de la grande tradition indo-européenne, et la fleur vivifiante et salvatrice de la tradition sémitique, le Christ. […] Les chrétiens sont institués non en judéo-chrétiens ou en helléno-chrétiens, mais en judéo-hellènes. Fait capital dans l’histoire culturelle de l’Europe. » Avec Denys l’Aréopagite nous sommes en présence, poursuit Jean Borella, du témoin privilégié d’une gnose paulinienne centrée « sur la personne du Christ, gnose explicite et doctrinalement définie » orientée vers la gnose de Jean centrée, elle, sur « le Verbe-Lumière » et « directement contemplative », comme l’atteste la Lettre X qui clôt le corpus de ses œuvres.
Enfin, dans le dernier chapitre de cette première partie, Jean Borella démontre ce qui, pourtant, devrait aller de soi, a savoir que Jésus-Christ, « La Voie, la Vérité et la Vie », de par son incarnation salvatrice, permet de réaliser la filiation divine, laquelle n’est autre que la vraie gnose, cette déification des justes à laquelle Mgr Louis Laneau avait consacré son remarquable De deificatione justorum, très opportunément sorti de l’oubli par Jean Borella[13] ; filiation divine qui est connaissance du Père par le Fils dans l’Esprit-Saint, sainte théognosie qui « ne peut être, par définition, que celle que Dieu opère de lui-même dans l’homme »
En nous faisant parcourir La voie de la théologia selon Denys, titre de la deuxième partie de son ouvrage, Jean Borella nous conduit à présent vers le cœur de la théologie mystique, ou plutôt de la mystique de la théologie (chapitre IX). De ce cœur mystique, nous laisserons le futur lecteur de cette remarquable contribution aux études dyonisiennes, découvrir de par lui-même les flamboyants arcanes dans les cinq chapitres qui le constituent. Disons quand même que l’auteur examine ici Les trois sources de la science théologique (ch. VII) à savoir l’Écriture (à laquelle correspond le mode objectif de la gnose théologique), la Tradition orale (mode objectif et subjectif), et l’illumination intérieure (mode subjectif), « étant entendu que la troisième ne saurait se produire en l’absence des deux précédentes ». Trois sources auxquelles il faut ajouter chez Denys l’Aréopagite l’affirmation d’une Tradition secrète : « De ces lumières produites par une opération divine (l’incarnation du Verbe) et de toutes les autres du même genre dont, selon les Saintes Écritures, le don secret (kruphia paradosis : secrète tradition) nous fut octroyé par nos maîtres inspirés, nous avons à notre tour reçu l’initiation », Tradition secrète dont la nature est « l’infigurable et merveilleuse Simplicité ». Jean Borella y associe Les quatre voies de la theologia (ch. VIII) : La théologie symbolique, ayant pour objet les symboles scripturaires, leur compréhension par l’anagôgè : « L’acte d’anagogie, c’est-à-dire littéralement, « la montée vers le haut » » ; La théologie affirmative, exposée par Denys dans les Noms divins, théologie qui utilise des idées, notions et concepts, ressortissant à la langue naturelle (Un, Bien, Être, Vie, Beauté, Intelligence, Force, Cause, etc.) ; La théologie négative et mystique, laquelle « consiste à nier tout symbole et toute notion appliquée à Ce qui est au-delà de toute figure et de tout nom, à la Théarchie sans visage et anonyme », voie qui conduit nécessairement au silence mystique ; L’anagogie, clef de la théologie négative, réunissant la théologie négative et la théologie affirmative en ce qu’« elle introduit dans le langage conceptuel […] une « tension anagogique » qui le transforme intérieurement en un véritable opérateur métaphysique. » Quant à la mystique de la théologie, elle est cette station spirituelle ultime où le discours sur Dieu qu’est, au sens propre, la théologie, se résorbe dans le silence mystique (mot dont la racine est la même que celui de mutisme) ; Denys l’Aréopagite : « Les mystères simples, absolus, immuables de la Théologie ont été ensevelis dans la Ténèbre plus que lumineuse du Silence initiateur du secret. » Alors s’opère l’« Union au Sujet divin qui, seule, dit Denys, confère l’intellection suprême. L’être déifié est la perfection de la gnose. »
Nous espérons que ces quelques notes susciteront chez le lecteur le désir de lire ce précieux ouvrage qui, en peu de pages répétons-le, réussit la gageure de révéler la substantifique moelle de la Théologie mystique. Car entrer dans les Lumières de la théologie mystique, c’est non seulement découvrir ou redécouvrir de manière conceptuelle que la gnose n’est pas une « éternelle hérésie » ni une « nouvelle religion » ; c’est aussi, pour ceux qui ne connaîtraient pas les écrits dyonisiens, l’un des meilleurs moyens de les aborder du point de vue de la métaphysique la plus pure en accord avec l’orthodoxie de la révélation chrétienne. C’est en effet l’un des grands mérites de Jean Borella que de tirer de l’œuvre difficilement contournable de ce témoin privilégié de la connaissance sacrée qu’était René Guénon, le nectar, le sôma grâce auquel nombre d’occidentaux éblouis à juste titre par les lumières de l’Orient non chrétien, peuvent retrouver cette même saveur authentiquement métaphysique dans l’Orient et l’Occident chrétiens. Curieuse alchimie ce faisant, par laquelle Jean Borella, recueillant la fine fleur du corpus guénonien, notamment sa doctrine des états multiples de l’être, transmutant ce qui, en elle, est incompatible avec la doctrine de l’Église, démontre ce que Guénon niait, à savoir que « dès son origine le christianisme est une religion universelle », une métaphysique libératrice offerte à tous : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » ne cessaient de proclamer les Pères de l’Église, et non pas, comme il l’affirmait, un ésotérisme juif qui se serait extériorisé. En cela, et sur beaucoup d’autres points, notamment la question de l’ésotérisme, Jean Borella, à travers son guénonisme critique, se montre plus guénonien que les guénoniens – qualificatif que Guénon lui-même aurait sans doute refusé –, guénonien constructif en effet, dans la mesure où l’auteur d’Ésotérisme guénonien et mystère chrétien prolonge l’œuvre de Guénon vers des directions que celui-ci n’a pas pu, pas voulu, ou pas eu le temps de prendre. Méthodologie qui permet également à Jean Borella de « protèger » Guénon de lui-même et de ceux qui essaient de jeter l’opprobre sur l’ensemble de son œuvre pour des motifs aussi divers que fallacieux. Il n’est pas jusqu’à la notion d’opérativité, si importante aux yeux de Guénon car indispensable à toute réalisation effective, qui ne soit réintroduite par Jean Borella dans la perspective de la Révélation chrétienne ; notamment lorsqu’il décèle chez Mgr Louis Laneau une invite à mettre en œuvre, en oeuvriers de Dieu, ces opérations déifiantes que le prélat des Missions étrangères exprima ainsi : « Nous nous promenons dans le Christ, lorsque, avançant de vertu en vertu, nous travaillons à définir et à former le Christ Lui-même en nous, de la manière la plus parfaite. » Ce qui amena le regretté Frank Viellart à prononcer, entre les murs impassibles de la Sorbonne, ces paroles incandescentes : « Perspective hautement sophiologique : nous sommes enceints ! Sous l’action de l’Esprit, nous nous donnons à nous-mêmes naissance. Nous donnons naissance à qui nous sommes, de toute éternité. Il y a gestation – Travail. »[14] C’est ce Travail, précisément, que nous nous efforçons d’accomplir à Contrelittérature, en toute humilité mais avec détermination, celle qu’obligent les temps des ouvriers de la onzième heure.
Oui, la contrelittérature accorde une grande importance au sens précis des mots, car toute écriture humaine qui n’est pas réverbération de l’Écriture divine dans laquelle la lettre trouve son esprit n’est que néant. C’est pourquoi il ne fait pour nous aucun doute que Jean Borella, de par son infatigable labeur de recouvrance de l’intellectus fidei auquel Jean-Paul II, De Labore Solis, accorde l’importance que nous avons relevé, compte parmi les maîtres à penser du travail contrelittéraire, lui qui a écrit : « chaque lettre du Saint Livre reçoit l’étincelle du feu de l’Esprit et toute l’Écriture s’enflamme, Buisson ardent de la Révélation, qui brûle sans se consumer dans les siècles des siècles »
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1. La charité profanée, Éditions du Cèdre,1979 ; Lumières de la théologie mystique, L’Age d’Homme, 2002. Du même auteur : La crise du symbolisme religieux, L’Age d’Homme, 1990 ; Mystère du signe, Maisonneuve et Larose, 1989 ; Le sens du surnaturel, Ad Solem, 1996 ; Ésotérisme guénonien et mystère chrétien, L’Age d’Homme, 1997 ; Penser l’analogie, Ad Solem, 2000 ; Symbolisme et réalité, Ad Solem, 2000 ; Le poème de la Création, traduction de Genèse
1-3, Ad Solem, 2002.
2. Dictionnaire de théologie catholique, art. « Gnose ».
3. « Malheur à vous, docteurs de la Loi, car vous avez pris la clef de la gnose ; vous mêmes n’êtes pas entrés, et ceux qui entraient, vous les avez écartés. »
4. Krisis n° 3, « Tradition ? », septembre 1989.
5 Le don d’Intelligence est le sixième des sept dons du Saint-Esprit, « l’auguste septénaire » s’opposant à « l’affreux septénaire » des péchés capitaux ; il précède immédiatement le septième don, celui de Sagesse. Si les cinq premiers dons : Crainte de Dieu, Piété, Science, Force, Conseil, ressortissent à l’action, les deux derniers ressortissent à la contemplation. « La voie de la contemplation lui sera donc (à l’âme) désormais ouverte, et le divin Esprit l’y introduira au moyen de l’Intelligence », Dom Prosper Guéranger, Les dons du Saint-Esprit, Solesmes, 1950.
6. Voir notre article L’homme du Soleil du Grand Est dans le précédent numéro de Contrelittérature.
7. In La Philocalie, présentée par Olivier Clément, Desclée de Brouwer / J. C. Lattès, 1995.
8. Voir : Jean Daniélou, Platonisme et théologie mystique. Doctrine spirituelle de Saint Grégoire de Nysse, Aubier, 1954
9. Enstase est un néologisme inventé par Mircea Éliade pour désigner une union à Dieu s’opérant à l’intérieur de soi, à l’inverse de l’extase qui est une expérience spirituelle où l’union à Dieu s’opère par une sortie de soi.
10. Saint Thomas d’Aquin, préface et traduction du R. P. Mennessier, o. p., Aubier, 1957.
11. Jean-Paul II, La foi et la raison. Lettre encyclique Fides et ratio, Présentation par Michel Sales, s. j., Centurion / Cerf / Mame, 1998.
12. Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite, traduction, commentaires et notes par Maurice de Gandillac, Aubier, 1980. Vladimir Lossky, Théologie mystique de l’Église d’Orient, Aubier, 1980. René Roques, L’univers dionysien, structure hiérarchique du monde selon le Pseudo-Denys, Cerf, 1983. Théologie mystique, traduction de Ysabel de Andia, Henôsis. L’union à Dieu chez Denys l’Aréopagite, Philosophia Antiqua, vol. LXXI, E.J.Brill, Leiden-New-York-Koln, 1996.
13. Louis Laneau, De la déification des justes, traduction, introduction et notes de Jean-Claude Chenet, préface du professeur Jean Borella, Ad Solem, 1993. Figure marquante du mouvement missionnaire au XVIIème siècle, c’est après être tombé, dans l’oraison, sur ces paroles de saint Jean (3 ; 1) : « Voyez quel amour le Père nous a donné pour que nous soyons appelés fils de Dieu et le soyons » que Mgr Louis Laneau entreprit la rédaction du De déification justorum.
14. Franck Viellart , « Pour une gnose de l’incarnation », in La gnose, une question philosophique, sous la direction de Natalie Depraz et Jean-François Marquet, Cerf 1999.

 

BENOÎT XVI – SAINT JEAN DAMASCÈNE – 4 DICEMBRE

4 décembre, 2017

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20090506.html

fr saint-jean-de-damas.11

BENOÎT XVI – SAINT JEAN DAMASCÈNE – 4 DICEMBRE

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 6 mai 2009

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de Jean Damascène, un personnage de premier plan dans l’histoire de la théologie byzantine, un grand docteur dans l’histoire de l’Eglise universelle. Il représente surtout un témoin oculaire du passage de la culture chrétienne grecque et syriaque, commune à la partie orientale de l’Empire byzantin, à la culture de l’islam, qui s’est imposée grâce à ses conquêtes militaires sur le territoire reconnu habituellement comme le Moyen ou le Proche Orient. Jean, né dans une riche famille chrétienne, assuma encore jeune la charge – remplie déjà sans doute par son père – de responsable économique du califat. Mais très vite, insatisfait de la vie de la cour, il choisit la vie monastique, en entrant dans le monastère de Saint-Saba, près de Jérusalem. C’était aux environs de l’an 700. Ne s’éloignant jamais du monastère, il consacra toutes ses forces à l’ascèse et à l’activité littéraire, ne dédaignant pas une certaine activité pastorale, dont témoignent avant tout ses nombreuses Homélies. Sa mémoire liturgique est célébrée le 4 décembre. Le Pape Léon XIII le proclama docteur de l’Eglise universelle en 1890.
En Orient, on se souvient surtout de ses trois Discours pour légitimer la vénération des images sacrées, qui furent condamnés, après sa mort, par le Concile iconoclaste de Hiéria (754). Mais ces discours furent également le motif fondamental de sa réhabilitation et de sa canonisation de la part des Pères orthodoxes convoqués par le second Concile de Nicée (787), septième Concile œcuménique. Dans ces textes, il est possible de retrouver les premières tentatives théologiques importantes de légitimer la vénération des images sacrées, en les reliant au mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge Marie.
Jean Damascène fut, en outre, parmi les premiers à distinguer, dans le culte public et privé des chrétiens, l’adoration (latreia) de la vénération (proskynesis): la première ne peut être adressée qu’à Dieu, suprêmement spirituel, la deuxième au contraire peut utiliser une image pour s’adresser à celui qui est représenté dans l’image même. Bien sûr, le saint ne peut en aucun cas être identifié avec la matière qui compose l’icône. Cette distinction se révéla immédiatement très importante pour répondre de façon chrétienne à ceux qui prétendaient universel et éternel l’observance de l’interdit sévère de l’Ancien Testament d’utiliser des images dans le culte. Tel était le grand débat également dans le monde islamique, qui accepte cette tradition juive de l’exclusion totale d’images dans le culte. Les chrétiens, en revanche, dans ce contexte, ont débattu du problème et trouvé la justification pour la vénération des images. Damascène écrit: « En d’autres temps, Dieu n’avait jamais été représenté en image, étant sans corps et sans visage. Mais à présent que Dieu a été vu dans sa chair et a vécu parmi les hommes, je représente ce qui est visible en Dieu. Je ne vénère pas la matière, mais le créateur de la matière, qui s’est fait matière pour moi et a daigné habiter dans la matière et opérer mon salut à travers la matière. Je ne cesserai donc pas de vénérer la matière à travers laquelle m’a été assuré le salut. Mais je ne la vénère absolument pas comme Dieu! Comment pourrait être Dieu ce qui a reçu l’existence à partir du non-être?… Mais je vénère et respecte également tout le reste de la matière qui m’a procuré le salut, car pleine d’énergie et de grâces saintes. Le bois de la croix trois fois bénie n’est-il pas matière? L’encre et le très saint livre des Evangiles ne sont-ils pas matière? L’autel salvifique qui nous donne le pain de vie n’est-il pas matière?…. Et, avant tout autre chose, la chair et le sang de mon Seigneur ne sont-ils pas matière? Ou bien tu dois supprimer le caractère sacré de toutes ces choses, ou bien tu dois accorder à la tradition de l’Eglise la vénération des images de Dieu et celle des amis de Dieu qui sont sanctifiés par le nom qu’ils portent, et qui, pour cette raison, sont habités par la grâce de l’Esprit Saint. N’offense donc pas la matière: celle-ci n’est pas méprisable; car rien de ce que Dieu a fait n’est méprisable » (Contra imaginum calumniatores, I, 16, ed; Kotter, pp. 89-90). Nous voyons que, à cause de l’incarnation, la matière apparaît comme divinisée, elle est vue comme la demeure de Dieu. Il s’agit d’une nouvelle vision du monde et des réalités matérielles. Dieu s’est fait chair et la chair est devenue réellement demeure de Dieu, dont la gloire resplendit sur le visage humain du Christ. C’est pourquoi, les sollicitations du Docteur oriental sont aujourd’hui encore d’une très grande actualité, étant donnée la très grande dignité que la matière a reçue dans l’Incarnation, pouvant devenir, dans la foi, le signe et le sacrement efficace de la rencontre de l’homme avec Dieu. Jean Damascène reste donc un témoin privilégié du culte des icônes, qui deviendra l’un des aspects les plus caractéristiques de la théologie et de la spiritualité orientale jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit toutefois d’une forme de culte qui appartient simplement à la foi chrétienne, à la foi dans ce Dieu qui s’est fait chair et s’est rendu visible. L’enseignement de saint Jean Damascène s’inscrit ainsi dans la tradition de l’Eglise universelle, dont la doctrine sacramentelle prévoit que les éléments matériels issus de la nature peuvent devenir un instrument de grâce en vertu de l’invocation (epiclesis) de l’Esprit Saint, accompagnée par la confession de la foi véritable.
Jean Damascène met également en relation avec ces idées de fond la vénération des reliques des saints, sur la base de la conviction que les saints chrétiens, ayant participé de la résurrection du Christ, ne peuvent pas être considérés simplement comme des « morts ». En énumérant, par exemple, ceux dont les reliques ou les images sont dignes de vénération, Jean précise dans son troisième discours en défense des images: « Tout d’abord (nous vénérons) ceux parmi lesquels Dieu s’est reposé, lui le seul saint qui se repose parmi les saints (cf. Is 57, 15), comme la sainte Mère de Dieu et tous les saints. Ce sont eux qui, autant que cela est possible, se sont rendus semblables à Dieu par leur volonté et, par l’inhabitation et l’aide de Dieu, sont dits réellement dieux (cf. Ps 82, 6), non par nature, mais par contingence, de même que le fer incandescent est appelé feu, non par nature mais par contingence et par participation du feu. Il dit en effet: Vous serez saint parce que je suis saint (Lv 19, 2) » (III, 33, col. 1352 A). Après une série de références de ce type, Jean Damascène pouvait donc déduire avec sérénité: « Dieu, qui est bon et supérieur à toute bonté, ne se contenta pas de la contemplation de lui-même, mais il voulut qu’il y ait des êtres destinataires de ses bienfaits, qui puissent participer de sa bonté: c’est pourquoi il créa du néant toutes les choses, visibles et invisibles, y compris l’homme, réalité visible et invisible. Et il le créa en pensant et en le réalisant comme un être capable de pensée (ennoema ergon) enrichi par la parole (logo[i] sympleroumenon) et orienté vers l’esprit (pneumati teleioumenon) » (II, 2, PG, col. 865A). Et pour éclaircir ultérieurement sa pensée, il ajoute: « Il faut se laisser remplir d’étonnement (thaumazein) par toutes les œuvres de la providence (tes pronoias erga), les louer toutes et les accepter toutes, en surmontant la tentation de trouver en celles-ci des aspects qui, a beaucoup de personnes, semblent injustes ou iniques (adika), et en admettant en revanche que le projet de Dieu (pronoia) va au-delà des capacités cognitives et de compréhension (agnoston kai akatalepton) de l’homme, alors qu’au contraire lui seul connaît nos pensées, nos actions et même notre avenir » (II, 29, PG, col. 964C). Du reste, Platon disait déjà que toute la philosophie commence avec l’émerveillement: notre foi aussi commence avec l’émerveillement de la création, de la beauté de Dieu qui se fait visible.
L’optimisme de la contemplation naturelle (physikè theoria), de cette manière de voir dans la création visible ce qui est bon, beau et vrai, cet optimisme chrétien n’est pas un optimisme naïf: il tient compte de la blessure infligée à la nature humaine par une liberté de choix voulue par Dieu et utilisée de manière impropre par l’homme, avec toutes les conséquences d’un manque d’harmonie diffus qui en ont dérivées. D’où l’exigence, clairement perçue par le théologien de Damas, que la nature dans laquelle se reflète la bonté et la beauté de Dieu, blessées par notre faute, « soit renforcée et renouvelée » par la descente du Fils de Dieu dans la chair, après que de nombreuses manières et en diverses occasions Dieu lui-même ait cherché à démontrer qu’il avait créé l’homme pour qu’il soit non seulement dans l’ »être », mais dans le « bien-être » (cf. La foi orthodoxe, II, 1, PG 94, col. 981°). Avec un enthousiasme passionné, Jean explique: « Il était nécessaire que la nature soit renforcée et renouvelée et que soit indiquée et enseignée concrètement la voie de la vertu (didachthenai aretes hodòn), qui éloigne de la corruption et conduit à la vie éternelle… C’est ainsi qu’apparut à l’horizon de l’histoire la grande mer de l’amour de Dieu pour l’homme (philanthropias pelagos)… ». C’est une belle expression. Nous voyons, d’une part, la beauté de la création et, de l’autre, la destruction accomplie par la faute humaine. Mais nous voyons dans le Fils de Dieu, qui descend pour renouveler la nature, la mer de l’amour de Dieu pour l’homme. Jean Damascène poursuit:  » Lui-même, le Créateur et le Seigneur, lutta pour sa créature en lui transmettant à travers l’exemple son enseignement… Et ainsi, le Fils de Dieu, bien que subsistant dans la forme de Dieu, abaissa les cieux et descendit… auprès de ses serviteurs… en accomplissant la chose la plus nouvelle de toutes, l’unique chose vraiment nouvelle sous le soleil, à travers laquelle se manifesta de fait la puissance infinie de Dieu » (III, 1. PG 94, coll. 981C-984B).
Nous pouvons imaginer le réconfort et la joie que diffusaient dans le cœur des fidèles ces paroles riches d’images si fascinantes. Nous les écoutons nous aussi, aujourd’hui, en partageant les mêmes sentiments que les chrétiens de l’époque: Dieu veut reposer en nous, il veut renouveler la nature également par l’intermédiaire de notre conversion, il veut nous faire participer de sa divinité. Que le Seigneur nous aide à faire de ces mots la substance de notre vie.

 » MON DIEU, MON DIEU, POURQUOI M’AS-TU ABANDONNÉ ?

6 mars, 2017

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1361.html

 » MON DIEU, MON DIEU, POURQUOI M’AS-TU ABANDONNÉ ?

« Théologie

Approfondir
D’après Marc et Matthieu, Jésus meurt en criant le début du Ps 22 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?  » Où est Dieu ?
D’après les évangélistes Marc et Matthieu, Jésus meurt en criant le début du Ps 22 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Bien des croyants sont troublés par cette interrogation ultime. Le salut est-il loin du crucifié ? Où est Dieu ? Libre réflexion sur des questions qui provoquent la foi.
Jésus de Nazareth, le Christ de Dieu, meurt et le ciel est vide. L’homme qui nommait Dieu « Père » tourne son être vers Lui au moment du grand passage, et le Père n’est pas là. L’a-t-il abandonné ? Celui qui en Galilée et à Jérusalem parlait comme Dieu, celui qui parlait de Dieu, celui qui, en inventant les paraboles, montrait le Royaume de Dieu, révélait le visage de Dieu, celui-là meurt dans un cri qui est prière ; dans sa mort il fait sienne la prière de son peuple.

Scandale et folie
Scandale et folie, voilà la mort de Jésus le Christ en croix. Depuis ce jour, les chrétiens sont familiers de la croix du Christ ; mais le scandale est toujours là, croix plantée sur nos chemins. Depuis ce jour, les chrétiens se sont habitués à entendre, à lire, à proclamer cette Parole mais ils ne supportent pas plus que l’antique psalmiste le silence de Dieu, ils ne supportent pas qu’Il reste loin. Et pourtant le Dieu de Job, le Dieu du Serviteur souffrant, le Dieu des exilés à Babylone est le Dieu du silence.
Le Dieu de nos pères, le Dieu « Père » est un Dieu absent, un Dieu qui reste loin. La première page de la Genèse nous le montre : Dieu crée par sa Parole et, en même temps, il s’éloigne de la création, il s’absente, il abandonne, le septième jour, la création belle et bonne. Dieu abandonne l’humain, mâle et femelle, à lui-même. Loin de l’infantiliser, de le garder sous sa dépendance, Dieu se retire pour que l’être humain ait sa place. On le sait, être un homme ou une femme c’est mesurer dans sa chair, dans son cœur, dans son intelligence, l’absence de l’autre ; mesurer, par la parole, l’absence de l’autre ; mesurer la différence qui sépare de l’autre, cette différence qui sépare et qui, seule, rend l’unité possible. Être croyant c’est mesurer dans sa chair, dans son cœur, dans son intelligence, l’absence de Dieu ; être croyant c’est se tourner vers celui qui est loin, vers le Tout Autre.

La mort volée
La mort de Jésus n’aurait pu être qu’un fait divers relégué aux oubliettes de l’histoire, la mort banale d’un innocent, or elle est la mort du seul Juste. On lui vole jusqu’au sens de sa mort : il est condamné pour blasphème (contre Dieu, contre le Temple) et non pas lapidé mais cloué, hors les murs, au poteau de l’infamie avec, au dessus de la tête, une inscription qui se veut dérisoire. Pire, on lui vole même le sens de son dernier cri : les passants croient qu’il appelle Élie. Seul un homme ne se trompe pas : le centurion romain anonyme de l’Évangile de Marc. Dans l’homme qui expire, abandonné par ses disciples, rejeté dans sa prédication, l’homme qui crie vers le ciel vide, il reconnaît : « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu » (Mc 15, 39).
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ce cri est la prière du Juste, cri de Révélation, parole vers Dieu, parole qui humanise, Parole de Dieu.

Voici l’homme
En dehors du centurion, un autre romain a prononcé une parole décisive ; l’Église ne cesse de rappeler son nom dans le Credo : Ponce Pilate. Dans l’Évangile de Jean, Pilate a ce mot terrible : « Ecce homo, voici l’homme » ; voici l’homme tel qu’il est, voici un homme qui va mourir, voici l’être pour la mort. Terrible parole : elle juge et condamne, elle classe, se résigne, prononce une sentence qui se veut dérisoire ; elle déshumanise car elle montre du doigt, désolidarise un humain de tous les autres, divise, diabolise. Terribles paroles que nous prononçons quand défilent les images des camps d’exterminations nazis ou cambodgiens, des massacres de la région des Grands Lacs africains, quand nous évoquons la guerre au Sud Soudan ou l’assassinat d’un enfant. « Ecce homo », disons-nous : « voici l’homme, ce qu’il fait, ce qu’il peut faire ». Et nous ajoutons : « Mais Seigneur, nous ne sommes pas comme cela, pas comme eux, nous sommes ici ensemble à regarder la télévision, pas comme eux, ces assassins, ces monstres… » Paroles qui croient juger les autres et qui nous jugent. Et nous nous lavons les mains…
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?… Le salut est loin de moi, loin des mots que je rugis. »

Abaissement
L’être humain explique, dissèque, argumente, dénonce, se met en avant, se justifie, se croit juste. Dieu, lui, se tait. Dans cette absence qui n’est pas indifférence il se révèle comme le Tout Autre, il se révèle comme Parole sur fond de silence. Il n’est pas un Dieu bavard qui dit tout, explique tout, a son avis sur tout ! Il n’est surtout pas un Dieu qui explique le mal… Et si le Dieu du Christ était ce Dieu qui se tait, qui parle peu ? Un Dieu qui croit que l’homme est adulte, un Dieu Père, un Dieu qui refuse la fusion, un Dieu qui veut la séparation, la liberté de ses enfants ?
Nous le croyons en Église : Dieu s’est abaissé pour se révéler ; après Paul, avec Paul, les théologiens ont nommé cet abaissement d’un mot étrange : kénose (d’un mot grec qui signifie « se dépouiller, se vider de soi-même »). Le Christ, Parole de Dieu, est kénose. L’homme de Nazareth a vécu plusieurs dizaines d’années, et de cette vie, il ne reste que quelques paroles, quelques gestes, quelques journées ; le reste est effacé, à jamais enseveli, pur passé. Le Christ Parole de Dieu a parlé et parce que nous sommes négligents, oublieux, peu attentionnés, cette Parole est presque oubliée. Dieu a parlé, Dieu nous a parlé et il ne nous reste que quelques bribes ; La Parole de Dieu a pris le risque d’être trahie, d’être néantisée, de sombrer.
Le Christ Jésus meurt, la Parole va s’éteindre : « Le salut est loin de moi, loin des mots que je rugis… » Mort scandaleuse, paroles scandaleuses pour la foi, et pourtant, en même temps, mort d’un homme qui révèle Dieu, parole divine qui révèle l’homme.

Le cri
Qui donc est Dieu ? Dieu de l’exode ou Dieu de l’exil ? Dieu qui agit avec puissance ou Dieu qui se tait ? Il est tout à la fois celui qui laisse son fils s’enfoncer dans la mort et celui qui va répondre. Son fils est un homme qui meurt sur une croix et un homme que Dieu a ressuscité.
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?… Le salut est loin de moi, loin des mots que je rugis. » L’angoisse résonne vers le ciel, prière lancée dans le silence, hurlement dans les nuits de nos hôpitaux, dans les solitudes de nos maisons de retraites, sur les barbelés des camps de la mort. La Parole de Dieu meurt dans ce souffle, cette prière. Qui donc est Dieu ? Dieu des vivants, Dieu qui meurt sur une croix ? Dieu de Moïse ou Dieu de Job ? Qui donc est Jésus de Nazareth : le prophète des Béatitudes qui s’adresse aux foules ou l’homme seul face à Pilate ? Qui donc est Jésus le Christ : l’homme mort qu’on ensevelit dans un tombeau neuf ou celui qu’on prend pour le jardinier ? Qui donc est l’homme ?
Le cri du Ps 22 est le cri solidaire du Christ avec chaque homme, chaque femme, chaque enfant, le cri de l’homme qui souffre et qui meurt ; cri de l’homme qui n’attend pas une réponse automatique de Dieu ; cri vers Dieu, vers Dieu Père, vers le Tout-Autre, le Dieu qui me surprend et qui m’apprend à vivre, le Dieu silence qui me parle. Le cri du Ps 22 déroute : Dieu n’est pas celui que j’imagine, pas le Dieu dont je rêve… Dans le crucifié, nous reconnaissons notre Dieu.

LA THÉOLOGIE ORTHODOXE OU « LA FLAMME DES CHOSES »

23 juin, 2016

http://www.spiritualite-orthodoxe.net/paul_evdokimov_orthodoxie.html

LA THÉOLOGIE ORTHODOXE OU « LA FLAMME DES CHOSES »

« Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu »

Article inspiré des cours de Père Razvan Ionescu Un explication plus approfondie du mot Théologie

D’après Orthodoxie (L’), Paul Evdokimov, Desclée de Brouwer, 1992; Pages 47-56. La vision de Paul Evdokimov sur la théologie patristique: les commentaires de Père Razvan Ionescu sont en italique Une théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation – la metanoïa L’Orient distingue d’une part  » l’intelligence  » orientée vers la coïncidence des opposés et débouchant sur  » l’unité et l’identité par la grâce 1, et d’autre part la  » raison », pensée discursive fondée sur le principe logique de contradiction et d’identité formelle et tournée vers le multiple, donc « déifuge ». Or, « l’intelligence réside dans le coeur, la pensée dans le cerveau 2 . Ce qui explique pourquoi la foi orthodoxe ne se définit jamais en termes d’adhésion intellectuelle, mais relève de l’évidence vécue, d’une « sensation du transcendant »: « Seigneur, la femme qui était tombée dans un grand nombre de péchés, ayant ressenti ta dignité… » 3. Il faut souligner l’aspect existentiel de la foi où s’opère la coïncidence foncière de l’amour et de la connaissance, inséparablement un dans le coeur-esprit, – Il n’y a donc pas de division dans la personne humaine qui connait théologiquement. ce qui dépasse l’intellectualisme et le sentimentalisme et correspond au terme évangélique très fort de metanoïa, revirement de toute l’économie de l’être humain. – metanoïa de meta-noûs, c’est l’intelligence non pas dans le sens de ratio mais une intelligence plus profonde de l’homme dans sa complexité. C’est un renouveau de l’intelligence, c’est à dire un mouvement qui fait que la personne humaine voit les choses autrement à travers la grâce de Dieu. La théologie comporte un élément doctrinal, la didascalie objective de l’Eglise, sa catéchèse, mais plus profondément dans sa sève même elle écoute ses saints, s’alimente à leur expérience pneumatophore du Verbe. Ainsi, comme le montre le titre d’un des écrits de Denys le pseudo Aréopagite : De la théologie mystique, celle-ci est théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation. Elle saisit les paroles de Dieu à l’intérieur des « phanies », manifestations de Dieu. La transcendance divine nous apprend qu’on ne peut jamais aller vers Dieu qu’en partant de lui, qu’en se trouvant déjà en lui. [Oeuvre complète de Saint Denys l'areopagite, Mgr Darboy, Maison de la Bonne presse, 1845 - Théologie Mystique à partir de la page 463 pdf, ou 286 livre., téléchargeable ici] Par rapport aux orientations développées en Occident, qui développent une théologie de discours et surtout une explication rationnelle des choses, l’Orient est plus enclin à une théologie du mystère. C’est à dire que l’on touche le mystère à travers la théologie. Ceci ne veut pas dire pour autant que l’on épuise le mystère à travers notre discours mais justement la théologie a comme fonction de nous mettre devant le mystère de Dieu. Elle nous invite à le goûter et en le goûtant on se rend compte que c’est une profondeur sans fin. Les développements théoriques, chez les Pères passent souvent et sans aucune interruption aux textes de prières et de dialogue avec Dieu. – Paul Evdokimov met l’accent sur cette relation étroite entre ce que l’on écrit sur Dieu et notre prière.

Mystagogie ou initiation Saint Isaac Saint Isaac le Syrien voit dans ces instants: « la flamme des choses ». C’est peut-être la meilleure définition de la théologie. Art, beaucoup plus que science systématique, elle découvre la vérité cachée des choses célestes et terrestres et initie à la participation-communion au monde éonique de Dieu. – Le mot initie, initiation, est important car en théologie on parle d’une pédagogie mais aussi d’une mystagogie, c’est à dire une initiation, on se souvient des paroles du seigneur quand Il dit:  » Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint; et apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps.  » Matthieu 28:19-20  » 4 donc quand Il dit « apprenez », cette pédagogie vient tout de suite après « baptisez », qui veut dire « initiez », ouvrez la porte du Royaume à travers la grâce de Dieu, la descente de l’Esprit Saint; à travers cette pentecôte personnelle. La pédagogie vient donc à la suite de la mystagogie, ce qui ne veut pas dire que dans l’Eglise seul le baptême est mystagogique, car toute expérience de l’Eglise nous parle d’une mystagogie mais l’expérience de l’Eglise nous parle aussi d’une pédagogie, on ne peut donc pas les séparer. La mystagogie est donc une initiation au mystère, une découverte du mystère. Théognosie – Theo: Dieu; gnosis: connaissance – catéchèse – Vous voyez l’équilibre qui existe toujours dans les affirmations théologiques, on parle d’une initiation mais aussi d’un enseignement. « voie expérimentale de l’union avec Dieu » Ce sont des mots extraordinaires car en fait si on parle de la théologie, en se référant à Theo et Logos, le Logos se rapporte soit à la parole, soit à la logique, un développement rationnel. Mais en même temps à l’école des Pères de l’Eglise c’est dans son aspiration ultime « voie expérimentale de l’union avec Dieu. » Pour les Pères la théologie est avant tout la contemplation de la Trinité. – Evdokimov fait une synthèse des Pères de l’Eglise. Par conséquent ce que nous faisons ici c’est une synthèse de synthèses.- C’est cette connaissance par inhabitation du Verbe qui est la théologie mystique. – Le saint Esprit vient et fait sa demeure en nous, si Dieu fait sa demeure en quelqu’un Il s’unit avec cette personne. Il ne peut pas vivre dans la chambre du coeur de quelqu’un sans être en communion avec cet être humain. C’est pourquoi quand on invite le Seigneur, on l’invite à venir en nous, à exprimer Sa présence et à s’unir avec nous. Il s’agit bien de la « parousie » divine dans l’âme – Paul Evdokimov utilise d’autres termes théologiques pour apporter une nouvelle lumière à la signification. qui ne peut être saisie que par les yeux de la foi, « les yeux de la Colombe ». Il s’agit non de connaître quelque chose sur Dieu, mais d’ »avoir Dieu en soi ». – Alors que les démarches théologiques essaient de construire un discours mais sans pouvoir véritablement construire quelque chose à partir de l’expérience concrète, les Pères se contentent d’exprimer leur expérience concrète personnelle par leur théologie. Toutefois ce n’est pas leur expérience particulière à eux, que personne ne peut interpréter, mais c’est une expérience personnelle qui entre dans l’expérience générale de l’Eglise. La théologie devient la description en termes théologiques de la présence illuminante du Verbe. Ce n’est point une spéculation sur les textes mystiques rnais la voie mystique elle-même, génératrice d’unité. Elle postule le retour à la nudité de l’esprit, son dépouillement jusqu’à son état pré-conceptuel de pure réceptivité adamique: – Cette expérience de Dieu, nous invite à découvrir un état de l’âme qu’on peut évoquer en pensant d’abord à Adam qui est appelé à goûter le Royaume de Dieu et Dieu Lui-même. Le centre même de notre culte se trouve dans la Cène eucharistique. Nous nous rassemblons pour goûter quelque chose ensemble, signe de communion. Dans le centre du culte chrétien, se trouve donc cette démarche de partager avec les autres notre nourriture qui n’est pas une nourriture de ce monde. Même si les choses matérielles qui contribuent à cette nourriture viennent de ce monde, à travers la bénédiction portée par liturgie la nourriture de ce monde devient également une nourriture qui n’est pas de ce monde, c’est à dire le Corps et le Sang du Seigneur que nous goûtons ensemble.

Le charisme d’oraison, prier sans cesse « La contemplation était le privilège d’Adam au paradis  » et donc nécessite avant tout un « charisme de l’oraison  » – C’est à dire la prière « . On imagine donc bien Adam vivre une vie qui était une contemplation de Dieu et nourrissait son être. Quand on parle de charisme d’oraison ça veut dire que la prière telle que nous l’apprenons aujourd’hui est une redécouverte d’une état qui fut paradisiaque: Adam priait. Quand on a demandé au Seigneur comment prier? Il a répondu: « Priez sans cesse « , ce qui signifie que la prière peut être une prière qui ne cesse pas. Ceci veut dire que l’être humain a une capacité de prière qui exprime quelque chose de sa nature. Il est capable par sa nature d’entretenir une relation avec Dieu à travers sa prière. La prière est comme une respiration de l’âme, c’est à dire que de la même façon que le corps respire et que sans respiration il ne vit plus, l’âme respire (Sans pour autant entrer dans un dualisme âme-corps). La prière fait partie du bon « fonctionnement » de l’être humain, il en a besoin mais c’est un charisme en même temps. La théologie ainsi s’érige en ministère charismatique, car « personne ne peut connaître Dieu si ce n’est Dieu lui-même qui l’enseigne » et « il n’y a pas d’autre moyen de connaître Dieu que de vivre en lui… « ; – Sans la grâce de Dieu on n’est pas capable de Prier. Quand nous voulons prier véritablement il nous faut cette aide. Dieu nous donne son aide à condition que nous le cherchions parce qu’Il respecte complètement notre liberté. La grâce de Dieu est garante de la liberté humaine, c’est le péché qui empêche la liberté humaine. Savoir prier nécessite également un enseignement de la part de Dieu. « parler de Dieu est une grande chose » ironise saint Grégoire le Théologien et justifie son titre en déclarant : « mais il est encore mieux de se purifier pour Dieu ». – Nous avons donc vu que certains Pères nous parlent de la connaissance de Dieu, nous parlent de la théologie en tant que connaissance de Dieu. J’ai souligné que la théologie est « voie expérimentale de l’union avec Dieu ». Théologie veut donc dire connaissance de Dieu et pour connaître Dieu nous ne pouvons pas rester comme nous sommes à l’heure actuelle, il faut changer quelque chose en nous. Car même si nous arrivons dans ce monde avec un certain état de pureté, notre nature corrompue à travers notre personne fait que nous sommes enclins malheureusement au péché. La vie spirituelle est la guérison totale, absolue et ultime de notre nature humaine. Dans l’office pour les défunts on dit que Dieu a tellement aimé l’être humain, qu’Il ne l’a pas laissé comme ça, c’est la raison pour laquelle la mort est justement la délivrance. S’il n’y avait pas de mort, cette nature à l’origine de l’être humain donnerait une vie corrompue éternelle. Dieu donne une fin à l’être humain par Amour 5.

La divinisation de l’homme par la grâce C’est un dialogue entre l’esprit de l’homme et l’Esprit de Dieu mais un dialogue générateur d’unité « déifiante »: « Dieu ne s’unit qu’à des dieux », dit saint Symeon? – C’est vraiment une synthèse avec des mots forts, des mots clés des Pères de l’Eglise. Autrement dit, en reprenant la définition la plus noble de la vie théologique ou de la vie de l’Eglise: « Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu ». Notre destin n’est pas uniquement l’accomplissement de la personne humaine mais son accomplissement en tant que dieu par la grâce de Dieu. Il n’y a pas de changement de nature en nous mais si on vit la Vie que Dieu vit, on se transforme petit à petit en des dieux. Pour saint Macaire, un théologien est un enseigné de Dieu et c’est l’Esprit, selon saint Syméon, qui d’un érudit fait un théologien, car il s’agit non de s’instruire intellectuellement sur Dieu, mais de se remplir de Dieu : « Afin que l’ayant reçu en nous, nous devenions ce qu’il est ». – c’est pour cela que les êtres qui commencent à chercher Dieu dans leur vie deviennent de plus en plus ressemblant à Dieu. Une vie améliorée en Christ est une vie qui fait que quelqu’un est plus ressemblant à Dieu.

La libération des passions, les théologiens chrétiens orthodoxes Pour saint Basile « la vraie théologie libère des passions » -Si l’homme se libère petit à petit des mauvaises passions, c’est à dire les comportements qui ne laissent pas se manifester pleinement en nous l’image de Dieu. En s’en libérant on est dans l’acquisition petit à petits des « propriétés » qui expriment ce que Dieu est. « Une théologie sans action 6 est la théologie des démons » note saint Maxime. C’est au dynamisme de la foi que répond « le don spirituel de l’Esprit qui révèle le sens de la théologie »…. L’Orthodoxie s’est avérée très sobre pour délivrer le titre de « théologien » par excellence. Seules trois personnes le possèdent comme attribut de leur sainteté: saint Jean le Théologien, le plus mystique des quatre évangélistes, saint Grégoire le Théologien, « chantre de la sainte trinité » et saint Symeon le Nouveau Théologien, auteur des hymnes qui exaltent l’union. – Si l’Eglise est prudente dans l’attribution de ce titre, ce n’est pas qu’elle ne veut pas le donner mais ces personnes étaient caractérisées par leur profondeur théologique: elles ont su la vivre et l’exprimer à la fois. La théologie ce ne se limite pas à la contemplation, car il y a des êtres humains qui contemplent Dieu sans pouvoir exprimer cette contemplation et d’après ce qu’ils disent sans l’aide de Dieu il n’est pas possible de l’exprimer à travers un discours. En effet, notre discours ne peut pas « tenir en sa main » l’ineffable. Il faut que Dieu nous aide pour pouvoir exprimer des choses qui dépassent notre intelligence.

La contemplation ou theoria La théologie comporte l’élément de contemplation. Ce discours peut paraître très théorique mais la pratique mène à la contemplation, car notre pratique c’est de contempler Dieu, et la contemplation vient de « theoria ». Donc la theoria pour les Pères n’est pas une attitude passive devant Dieu où l’on n’aurait plus envie de bouger puisque ce serait Dieu qui s’occuperait de nous. En référence aux écrits de Père Dumitru staniloae, il est vrai que Dieu prend l’initiative et comble l’être humain de telle façon que l’être humain se trouve parfois dans « l’étonnement », dans les phases les plus élevées du mystère de Dieu, mais même dans cet état la contemplation « theoria » est très pratique. C’est une étape très active dans la vie de quelqu’un parce qu’il est pleinement là dedans. Alors qu’en science la théorie est relative a un schéma abstrait de faits que l’on interprète, dans l’Eglise la « theoria » veut dire contemplation. Toute contemplation de la vérité dans l’Eglise, à travers la parole, à travers les sens ou tout ce que l’on est, est une theoria.

Le cataphatisme et l’apophatisme, la conscience des limites, et Dieu sujet non pas objet. On a l’impression en lisant des écrits de théologie que les mots sont compliqués, par exemple cataphatisme et apophatisme. La théologie apophatique 7 est la théologie négative, celle cataphatique est positive. revenons à Paul evdokimov: La méthode cataphatique procède par affirmation, mais en définissant Dieu, en lui donnant des noms, elle limite et rend son propre enseignement incomplet, – C’est à dire que si on prend un livre par exemple, on arrive à décrire de quoi il s’agit par ses caractéristiques: sa taille, couleur, etc. Mais essayons de faire la même chose avec Dieu. Qui a vu Dieu? D’une certaine façon personne n’a vu Dieu. Cependant à travers notre expérience on peut avoir été touché par cette présence de Dieu, donc on parle d’une certaine façon d’une vision de Dieu, en gardant bien sûr les proportions. C’est pourquoi quand on essaie d’exprimer notre expérience on se rend compte que nos paroles sont très pauvres, on n’arrive pas à dire qui est Dieu. Si l’on se met à ajouter des attributs, des qualificatifs selon ce que l’on peut comprendre, on se rend compte que l’on commence à fabriquer une idole puisqu’en fait ça ne correspond pas à Dieu, car Il dépasse tout ce que l’on peut dire sur Lui. Ce genre de réflexion existe depuis le commencement du christianisme. Il faut donc le compléter par la méthode apophatique qui procède par des négations ou oppositons à tout ce qui est de ce monde. Donc la théologie positive n’est point dévaluée mais précisée exactement dans sa dimension propre et ses limites. – C’est extraordinaire, cette conscience des limites. La science d’aujourd’hui les découvre également car son discours ne couvre pas une réalité beaucoup plus complexe que celle que l’on peut imaginer. C’est que la théologie négative habitue à l’infranchissable distance salvatrice: « Les conceptions créent des idoles de Dieu, dit saint Grégoire de Nysse, l’étonnement seul saisit quelque chose ». – C’est à dire que l’on n’est pas devant un objet « Dieu ». En effet, pour la théorie de la connaissance il faut un objet de connaissance. Or dans la définition courante de la science, l’objet Dieu n’existe pas, puisqu’Il n’est pas reconnu de manière universelle. Même pour le théologien définir Dieu comme objet de connaissance n’est pas facile car il n’est pas un objet, il est un sujet de notre connaissance. Si Lui (ou si eux pour les trois personnes), ne s’ouvre pas à notre connaissance on ne peut pas le connaitre.

La prière liturgique, élévation vers Dieu et communion avec les autres Paul Evdokimov parle plus loin de la prière liturgique: elle nous mène vers cette union. Quand on parle de prière personnelle, cela ne veut pas dire prière individuelle, parce que quand la personne prie elle est en communion avec d’autres personnes. Plus elle prie, plus elle est en communion avec les autres. C’est très important de le comprendre. Le Père Dumitru Staniloae, le décrivait en prenant l’image d’une pyramide inversée, plus on prie, plus on s’approche de Dieu et plus on est entouré. Quand nous prions ordinairement, nous sommes seuls même au milieu de plein de gens car nous ne les aimons pas comme il le faudrait, ou nous n’arrivons pas à entretenir cette communion à travers notre amour, c’est Dieu qui nous enseigne l’Amour. On parle de la prière liturgique car on a besoin de cette prière qui concerne le peuple de Dieu dans l’Eglise. C’est elle qui nous mène vers notre « déification »: on devient Dieu selon la grâce de Dieu. En cherchant Dieu, c’est l’homme qui est trouvé par Dieu.

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Notes: 1 Saint Maxime, De ambig., P.G. 91, 1308 B. 2 Evagre, Centuries gnostiques; voir K; Rahner, « Die geistiche Lehre des Evagrius Pontikus, dans ZAM, t. 8, 1933. 3 Récité pendant le grand Carême: Matines du grand mercredi. 4 Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint; et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.  » La Nouvelle Bible Segond . 5 C’est à dire de la nature humaine telle qu’elle a été corrompue par le péché. 6 Notez qu’il s’agit ici de l’action au sens de praxis, et non pas de l’action dans le sens d’activité ou de service 7 L’apophatisme est une démarche théologique par laquelle toute idée que l’on se fait de Dieu se voit démasquée dans son inadéquation à exprimer ce qui est au-delà de tout concept ou de la pensée discursive.

IN HIS IMAGE AND LIKENESS: THE BEAUTIFUL, LOVELY, AND NOSTALGIC THEOLOGY OF PAUL EVDOKIMOV

29 février, 2016

https://ndtheo60423.wordpress.com/2015/02/06/in-his-image-and-likeness-the-beautiful-lovely-and-nostalgic-theology-of-paul-evdokimov/

IN HIS IMAGE AND LIKENESS: THE BEAUTIFUL, LOVELY, AND NOSTALGIC THEOLOGY OF PAUL EVDOKIMOV

“Brothers, have no fear of men’s sin. Love a man even in his sin, for that is the semblance of Divine Love and is the highest love on earth. Love all God’s creation, the whole of it and every grain of sand in it. Love every leaf, every ray of God’s light. Love the animals, love the plants, love everything. If you love everything, you will perceive the divine mystery in things. Once you have perceived it, you will begin to comprehend it better every day, and you will come at last to love the world with an all-embracing love.” Father Zossima, in The Brothers Karamazov, Book VI, Chapter 3

“[My] creed is extremely simple; here it is: I believe that there is nothing lovelier, deeper, more sympathetic, more rational, more manly, and more perfect than the Saviour; I say to myself with jealous love that not only is there no one else like Him, but that there could be no one. I would even say more: If anyone could prove to me that Christ is outside the truth, and if the truth really did exclude Christ, I should prefer to stay with Christ and not with truth.” Fyodor Mikhailovich Dostoevsky (1821-1881)

Reading the theological reflections of Paul Evdokimov is, as one observed, like walking into a secret garden – a place bursting with beautiful flowers, of various colors and scents. As one takes a closer look, all sorts of surprisingly delightful shades and aroma and attractiveness unfold so that one is compelled to examine more and more flowers and eventually contemplate Beauty itself.  Every plant and flower in this captivating garden flourishes because of the rich soil of the traditional teachings of the Church. A key to understanding the aesthetic theology of Evdokimov is to consider his view of God’s passionate love for humanity.  Quoting his brilliant compatriot Dostoevsky often along the way, the equally brilliant lay theologian Paul Evdokimov writes about God’s foolhardy (unconditional) love for humanity and the harmonious order of the created universe envisioned as God’s gift for mankind from all ages. Evdokimov talks about man’s tragic fall, which “had cosmic repercussions in that it perverted not only the initial relationship with God and man but also the relationship between man and the cosmos.” (1657). But in the same breath, Evdokimov writes about Jesus Christ as God’s greatest manifestation of his eternal love for humanity; Christ as “the Divine-human [theandric] archetype”, Christ as “the Wisdom of God” whose vocation is the “reuniting of all things, whether in the heavens or on the earth” in his deified humanity. (800). Thus, fallen man (created in the image and likeness of God and now lovingly embraced by Christ) falls again into the beautiful mystery of “the fiery explosion of the divine plenitude in the deified human plenitude.” (1107). This passionate union of fallen (but deified) man with the infinitely loving God through the salvific sacrifice of Christ accomplishes God’s plan from all ages.   No wonder Dostoevsky exclaimed with all confidence: “…there is nothing lovelier…more sympathetic…more perfect than the Savior…if the truth really did exclude Christ, I should prefer to stay with Christ and not with truth.” Even as man was banished from the gates of Paradise, God implanted a lingering “nostalgia” deep in man’s heart and soul so that fallen humanity would yearn and seek the truth, the goodness, the beauty of God.  Such nostalgia is fulfilled by penetrating and contemplating the mystery of creation. In reaching out towards the goodness and beauty of God’s created world, man finds his true identity, which is linked to God’s greatest art: the theandric, divino-human archetype Christ, whose vocation is to gather humanity and the created order unto himself and into the light and splendor of the Holy Trinity. To Evdokimov, this is a “mystery hidden in God from before the beginning of the ages.”(800) In observing the present order of things, Evdokimov decries the fact that “the initial unity between Truth, Goodness, and Beauty has fallen apart. The principles which govern knowledge, ethics and aesthetics are no longer integrated in religious principles. Each area of human activity has become autonomous [and ambiguous]…” (708). He recalls how Dostoevsky, challenged by such “ontological schism,” discovered “a vein of gold” and arrived at a “brilliant psychosynthesis…a mature analysis of man and his destiny.”  (707) If the nostalgia for the source and origin of truth and goodness and beauty disappeared, if humanity were deprived of a sense of “the infinitely great… [men and women] would die of despair.” (707) Evdokimov echoes Dostoevsky’s point: “A sense of infinity and measurelessness is as necessary for man as the little planet he lives on.”(707) This fear that “man would lose even his outer form if he lost his faith in the possibility of being integrated into the Divine” (1379) led Dostoevsky to “the acquisition of the Holy Spirit in existence…to a ‘life filled with the fire of the Spirit.’”(707)  As Evdokimov points out: “It is in holiness, in the Spirit, that man finds again the immediate intuition of true Beauty.” Furthermore, he writes, “Beauty will save the world…It is the healing power which flows from Christ, the ‘Great Healer.’ (736) Christ unites us and the world to divine Beauty. Dostoevsky’s, Evdokimov’s and our “search for Beauty coincides with the search for the Absolute and the Infinite.” (717)

What part does liturgy play in this salvific quest for beauty? In praising, adoring, and glorifying God, liturgy embodies everything important that we do in creation. It is the microcosm of our existence. In one shining glorious moment, we, as members of the Mystical Body of Christ, gather in thanksgiving to acknowledge God as our Creator and to love one another.  In liturgy, we perceive the created universe in the light of God’s splendor; we are drawn into a deeper contemplation and encompassing union with God’s beauty, goodness, and truth. In Evdokimov’s eloquent prose: “This action of ‘punching holes’ in the closed world by powerful explosions from the Beyond belongs properly to the sacramental mysteries and sacramental which teach us that everything is destined for a liturgical fulfillment. The blessing of the fruits of the earth…extends over every kind of ‘food’…The final destiny of water is to participate in the mystery of the Epiphany; of wood, to become a cross; of the earth, to receive the body of the Lord during his rest on the Great Sabbath; of rock, to become the ‘sealed Tomb’ and the stone rolled away from in front of the myrrh-bearing women. Olive oil and water attain their fullness as conductor elements for grace on regenerated man. Wheat and wine achieve their ultimate raison d’etre in the Eucharistic chalice. Everything is referred to the Incarnation and everything finds its final goal and destiny in the Lord. The liturgy integrates the most elementary actions of life: drinking, eating, washing, speaking, acting, communing. It restores to them their meaning and true destiny, that is to be blocks in the cosmic temple of God’s glory.”

Evdomikov Paul Evdokimov (1901-1970) was born in St. Petersburg, Russia. His family fled following the Bolshevik Revolution and joined the émigré community in Paris circa 1923.  The young Evdokimov supported himself with “proletarian jobs” such as chef’s assistant and a Citroen factory and railway car worker. He earned his undergraduate degree in philosophy at the Sorbonne and studied theology at the Institut-Saint Serge, under Nikolai Berdyaev and Fr. Sergius Bulgakov (1871-1944), a brilliant and controversial Orthodox theologian, philosopher and economist. He married Natasha Brunel in 1927 and remarried in 1954 after Natasha died of cancer. He is the father of theologian Fr. Michel Evdokimov. Paul Evdokimov completed his doctorate in philosophy at Aix-en-Provence in 1942 with a thesis on “Dostoyevsky and the Problem of Evil.” He taught at the Catholic Graduate Theological Faculty in Paris and served as an official observer at the second session of Vatican II.

« DIEU C’EST FAIT HOMME, POUR QUE L’HOMME PUISSE DEVENIR DIEU »

11 septembre, 2015

http://www.spiritualite-orthodoxe.net/paul_evdokimov_orthodoxie.html

LA THÉOLOGIE ORTHODOXE OU « LA FLAMME DES CHOSES »

« DIEU C’EST FAIT HOMME, POUR QUE L’HOMME PUISSE DEVENIR DIEU »

Article inspiré des cours de Père Razvan Ionescu
Un explication plus approfondie du mot Théologie

D’après Orthodoxie (L’), Paul Evdokimov, Desclée de Brouwer, 1992; Pages 47-56.
La vision de Paul Evdokimov sur la théologie patristique: les commentaires de Père Razvan Ionescu sont en italique
Une théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation – la metanoïa
L’Orient distingue d’une part  » l’intelligence  » orientée vers la coïncidence des opposés et débouchant sur  » l’unité et l’identité par la grâce 1, et d’autre part la  » raison », pensée discursive fondée sur le principe logique de contradiction et d’identité formelle et tournée vers le multiple, donc « déifuge ». Or, « l’intelligence réside dans le coeur, la pensée dans le cerveau 2 . Ce qui explique pourquoi la foi orthodoxe ne se définit jamais en termes d’adhésion intellectuelle, mais relève de l’évidence vécue, d’une « sensation du transcendant »: « Seigneur, la femme qui était tombée dans un grand nombre de péchés, ayant ressenti ta dignité… » 3. Il faut souligner l’aspect existentiel de la foi où s’opère la coïncidence foncière de l’amour et de la connaissance, inséparablement un dans le coeur-esprit,
- Il n’y a donc pas de division dans la personne humaine qui connait théologiquement.
ce qui dépasse l’intellectualisme et le sentimentalisme et correspond au terme évangélique très fort de metanoïa, revirement de toute l’économie de l’être humain.
- metanoïa de meta-noûs, c’est l’intelligence non pas dans le sens de ratio mais une intelligence plus profonde de l’homme dans sa complexité. C’est un renouveau de l’intelligence, c’est à dire un mouvement qui fait que la personne humaine voit les choses autrement à travers la grâce de Dieu.
La théologie comporte un élément doctrinal, la didascalie objective de l’Eglise, sa catéchèse, mais plus profondément dans sa sève même elle écoute ses saints, s’alimente à leur expérience pneumatophore du Verbe. Ainsi, comme le montre le titre d’un des écrits de Denys le pseudo Aréopagite : De la théologie mystique, celle-ci est théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation. Elle saisit les paroles de Dieu à l’intérieur des « phanies », manifestations de Dieu. La transcendance divine nous apprend qu’on ne peut jamais aller vers Dieu qu’en partant de lui, qu’en se trouvant déjà en lui.
[Oeuvre complète de Saint Denys l'areopagite, Mgr Darboy, Maison de la Bonne presse, 1845 - Théologie Mystique à partir de la page 463 pdf, ou 286 livre., téléchargeable ici]
Par rapport aux orientations développées en Occident, qui développent une théologie de discours et surtout une explication rationnelle des choses, l’Orient est plus enclin à une théologie du mystère. C’est à dire que l’on touche le mystère à travers la théologie. Ceci ne veut pas dire pour autant que l’on épuise le mystère à travers notre discours mais justement la théologie a comme fonction de nous mettre devant le mystère de Dieu. Elle nous invite à le goûter et en le goûtant on se rend compte que c’est une profondeur sans fin.
Les développements théoriques, chez les Pères passent souvent et sans aucune interruption aux textes de prières et de dialogue avec Dieu.
- Paul Evdokimov met l’accent sur cette relation étroite entre ce que l’on écrit sur Dieu et notre prière.

Mystagogie ou initiation
Saint Isaac Saint Isaac le Syrien voit dans ces instants: « la flamme des choses ». C’est peut-être la meilleure définition de la théologie. Art, beaucoup plus que science systématique, elle découvre la vérité cachée des choses célestes et terrestres et initie à la participation-communion au monde éonique de Dieu.
- Le mot initie, initiation, est important car en théologie on parle d’une pédagogie mais aussi d’une mystagogie, c’est à dire une initiation, on se souvient des paroles du seigneur quand Il dit:  » Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint; et apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps.  » Matthieu 28:19-20  » 4 donc quand Il dit « apprenez », cette pédagogie vient tout de suite après « baptisez », qui veut dire « initiez », ouvrez la porte du Royaume à travers la grâce de Dieu, la descente de l’Esprit Saint; à travers cette pentecôte personnelle. La pédagogie vient donc à la suite de la mystagogie, ce qui ne veut pas dire que dans l’Eglise seul le baptême est mystagogique, car toute expérience de l’Eglise nous parle d’une mystagogie mais l’expérience de l’Eglise nous parle aussi d’une pédagogie, on ne peut donc pas les séparer. La mystagogie est donc une initiation au mystère, une découverte du mystère.
Théognosie – Theo: Dieu; gnosis: connaissance – catéchèse – Vous voyez l’équilibre qui existe toujours dans les affirmations théologiques, on parle d’une initiation mais aussi d’un enseignement.
« voie expérimentale de l’union avec Dieu » Ce sont des mots extraordinaires car en fait si on parle de la théologie, en se référant à Theo et Logos, le Logos se rapporte soit à la parole, soit à la logique, un développement rationnel. Mais en même temps à l’école des Pères de l’Eglise c’est dans son aspiration ultime « voie expérimentale de l’union avec Dieu. »
Pour les Pères la théologie est avant tout la contemplation de la Trinité.
- Evdokimov fait une synthèse des Pères de l’Eglise. Par conséquent ce que nous faisons ici c’est une synthèse de synthèses.-
C’est cette connaissance par inhabitation du Verbe qui est la théologie mystique.
- Le saint Esprit vient et fait sa demeure en nous, si Dieu fait sa demeure en quelqu’un Il s’unit avec cette personne. Il ne peut pas vivre dans la chambre du coeur de quelqu’un sans être en communion avec cet être humain. C’est pourquoi quand on invite le Seigneur, on l’invite à venir en nous, à exprimer Sa présence et à s’unir avec nous.
Il s’agit bien de la « parousie » divine dans l’âme
- Paul Evdokimov utilise d’autres termes théologiques pour apporter une nouvelle lumière à la signification.
qui ne peut être saisie que par les yeux de la foi, « les yeux de la Colombe ». Il s’agit non de connaître quelque chose sur Dieu, mais d’ »avoir Dieu en soi ».
- Alors que les démarches théologiques essaient de construire un discours mais sans pouvoir véritablement construire quelque chose à partir de l’expérience concrète, les Pères se contentent d’exprimer leur expérience concrète personnelle par leur théologie. Toutefois ce n’est pas leur expérience particulière à eux, que personne ne peut interpréter, mais c’est une expérience personnelle qui entre dans l’expérience générale de l’Eglise.
La théologie devient la description en termes théologiques de la présence illuminante du Verbe. Ce n’est point une spéculation sur les textes mystiques rnais la voie mystique elle-même, génératrice d’unité. Elle postule le retour à la nudité de l’esprit, son dépouillement jusqu’à son état pré-conceptuel de pure réceptivité adamique:
- Cette expérience de Dieu, nous invite à découvrir un état de l’âme qu’on peut évoquer en pensant d’abord à Adam qui est appelé à goûter le Royaume de Dieu et Dieu Lui-même. Le centre même de notre culte se trouve dans la Cène eucharistique. Nous nous rassemblons pour goûter quelque chose ensemble, signe de communion. Dans le centre du culte chrétien, se trouve donc cette démarche de partager avec les autres notre nourriture qui n’est pas une nourriture de ce monde. Même si les choses matérielles qui contribuent à cette nourriture viennent de ce monde, à travers la bénédiction portée par liturgie la nourriture de ce monde devient également une nourriture qui n’est pas de ce monde, c’est à dire le Corps et le Sang du Seigneur que nous goûtons ensemble.

Le charisme d’oraison, prier sans cesse
« La contemplation était le privilège d’Adam au paradis  » et donc nécessite avant tout un « charisme de l’oraison  »
- C’est à dire la prière « . On imagine donc bien Adam vivre une vie qui était une contemplation de Dieu et nourrissait son être. Quand on parle de charisme d’oraison ça veut dire que la prière telle que nous l’apprenons aujourd’hui est une redécouverte d’une état qui fut paradisiaque: Adam priait. Quand on a demandé au Seigneur comment prier? Il a répondu: « Priez sans cesse « , ce qui signifie que la prière peut être une prière qui ne cesse pas. Ceci veut dire que l’être humain a une capacité de prière qui exprime quelque chose de sa nature. Il est capable par sa nature d’entretenir une relation avec Dieu à travers sa prière. La prière est comme une respiration de l’âme, c’est à dire que de la même façon que le corps respire et que sans respiration il ne vit plus, l’âme respire (Sans pour autant entrer dans un dualisme âme-corps). La prière fait partie du bon « fonctionnement » de l’être humain, il en a besoin mais c’est un charisme en même temps.
La théologie ainsi s’érige en ministère charismatique, car « personne ne peut connaître Dieu si ce n’est Dieu lui-même qui l’enseigne » et « il n’y a pas d’autre moyen de connaître Dieu que de vivre en lui… « ;
- Sans la grâce de Dieu on n’est pas capable de Prier. Quand nous voulons prier véritablement il nous faut cette aide. Dieu nous donne son aide à condition que nous le cherchions parce qu’Il respecte complètement notre liberté. La grâce de Dieu est garante de la liberté humaine, c’est le péché qui empêche la liberté humaine. Savoir prier nécessite également un enseignement de la part de Dieu.
« parler de Dieu est une grande chose » ironise saint Grégoire le Théologien et justifie son titre en déclarant : « mais il est encore mieux de se purifier pour Dieu ».
- Nous avons donc vu que certains Pères nous parlent de la connaissance de Dieu, nous parlent de la théologie en tant que connaissance de Dieu. J’ai souligné que la théologie est « voie expérimentale de l’union avec Dieu ». Théologie veut donc dire connaissance de Dieu et pour connaître Dieu nous ne pouvons pas rester comme nous sommes à l’heure actuelle, il faut changer quelque chose en nous. Car même si nous arrivons dans ce monde avec un certain état de pureté, notre nature corrompue à travers notre personne fait que nous sommes enclins malheureusement au péché. La vie spirituelle est la guérison totale, absolue et ultime de notre nature humaine. Dans l’office pour les défunts on dit que Dieu a tellement aimé l’être humain, qu’Il ne l’a pas laissé comme ça, c’est la raison pour laquelle la mort est justement la délivrance. S’il n’y avait pas de mort, cette nature à l’origine de l’être humain donnerait une vie corrompue éternelle. Dieu donne une fin à l’être humain par Amour 5.

La divinisation de l’homme par la grâce
C’est un dialogue entre l’esprit de l’homme et l’Esprit de Dieu mais un dialogue générateur d’unité « déifiante »: « Dieu ne s’unit qu’à des dieux », dit saint Symeon?
- C’est vraiment une synthèse avec des mots forts, des mots clés des Pères de l’Eglise. Autrement dit, en reprenant la définition la plus noble de la vie théologique ou de la vie de l’Eglise: « Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu ». Notre destin n’est pas uniquement l’accomplissement de la personne humaine mais son accomplissement en tant que dieu par la grâce de Dieu. Il n’y a pas de changement de nature en nous mais si on vit la Vie que Dieu vit, on se transforme petit à petit en des dieux.
Pour saint Macaire, un théologien est un enseigné de Dieu et c’est l’Esprit, selon saint Syméon, qui d’un érudit fait un théologien, car il s’agit non de s’instruire intellectuellement sur Dieu, mais de se remplir de Dieu : « Afin que l’ayant reçu en nous, nous devenions ce qu’il est ».
- c’est pour cela que les êtres qui commencent à chercher Dieu dans leur vie deviennent de plus en plus ressemblant à Dieu. Une vie améliorée en Christ est une vie qui fait que quelqu’un est plus ressemblant à Dieu.

La libération des passions, les théologiens chrétiens orthodoxes
Pour saint Basile « la vraie théologie libère des passions »
-Si l’homme se libère petit à petit des mauvaises passions, c’est à dire les comportements qui ne laissent pas se manifester pleinement en nous l’image de Dieu. En s’en libérant on est dans l’acquisition petit à petits des « propriétés » qui expriment ce que Dieu est.
« Une théologie sans action 6 est la théologie des démons » note saint Maxime. C’est au dynamisme de la foi que répond « le don spirituel de l’Esprit qui révèle le sens de la théologie »….
L’Orthodoxie s’est avérée très sobre pour délivrer le titre de « théologien » par excellence. Seules trois personnes le possèdent comme attribut de leur sainteté: saint Jean le Théologien, le plus mystique des quatre évangélistes, saint Grégoire le Théologien, « chantre de la sainte trinité » et saint Symeon le Nouveau Théologien, auteur des hymnes qui exaltent l’union.
- Si l’Eglise est prudente dans l’attribution de ce titre, ce n’est pas qu’elle ne veut pas le donner mais ces personnes étaient caractérisées par leur profondeur théologique: elles ont su la vivre et l’exprimer à la fois. La théologie ce ne se limite pas à la contemplation, car il y a des êtres humains qui contemplent Dieu sans pouvoir exprimer cette contemplation et d’après ce qu’ils disent sans l’aide de Dieu il n’est pas possible de l’exprimer à travers un discours. En effet, notre discours ne peut pas « tenir en sa main » l’ineffable. Il faut que Dieu nous aide pour pouvoir exprimer des choses qui dépassent notre intelligence.

La contemplation ou theoria
La théologie comporte l’élément de contemplation. Ce discours peut paraître très théorique mais la pratique mène à la contemplation, car notre pratique c’est de contempler Dieu, et la contemplation vient de « theoria ». Donc la theoria pour les Pères n’est pas une attitude passive devant Dieu où l’on n’aurait plus envie de bouger puisque ce serait Dieu qui s’occuperait de nous. En référence aux écrits de Père Dumitru staniloae, il est vrai que Dieu prend l’initiative et comble l’être humain de telle façon que l’être humain se trouve parfois dans « l’étonnement », dans les phases les plus élevées du mystère de Dieu, mais même dans cet état la contemplation « theoria » est très pratique. C’est une étape très active dans la vie de quelqu’un parce qu’il est pleinement là dedans. Alors qu’en science la théorie est relative a un schéma abstrait de faits que l’on interprète, dans l’Eglise la « theoria » veut dire contemplation. Toute contemplation de la vérité dans l’Eglise, à travers la parole, à travers les sens ou tout ce que l’on est, est une theoria.

Le cataphatisme et l’apophatisme, la conscience des limites, et Dieu sujet non pas objet.
On a l’impression en lisant des écrits de théologie que les mots sont compliqués, par exemple cataphatisme et apophatisme. La théologie apophatique 7 est la théologie négative, celle cataphatique est positive. revenons à Paul evdokimov:
La méthode cataphatique procède par affirmation, mais en définissant Dieu, en lui donnant des noms, elle limite et rend son propre enseignement incomplet,
- C’est à dire que si on prend un livre par exemple, on arrive à décrire de quoi il s’agit par ses caractéristiques: sa taille, couleur, etc. Mais essayons de faire la même chose avec Dieu. Qui a vu Dieu? D’une certaine façon personne n’a vu Dieu. Cependant à travers notre expérience on peut avoir été touché par cette présence de Dieu, donc on parle d’une certaine façon d’une vision de Dieu, en gardant bien sûr les proportions. C’est pourquoi quand on essaie d’exprimer notre expérience on se rend compte que nos paroles sont très pauvres, on n’arrive pas à dire qui est Dieu. Si l’on se met à ajouter des attributs, des qualificatifs selon ce que l’on peut comprendre, on se rend compte que l’on commence à fabriquer une idole puisqu’en fait ça ne correspond pas à Dieu, car Il dépasse tout ce que l’on peut dire sur Lui. Ce genre de réflexion existe depuis le commencement du christianisme.
Il faut donc le compléter par la méthode apophatique qui procède par des négations ou oppositons à tout ce qui est de ce monde. Donc la théologie positive n’est point dévaluée mais précisée exactement dans sa dimension propre et ses limites.
- C’est extraordinaire, cette conscience des limites. La science d’aujourd’hui les découvre également car son discours ne couvre pas une réalité beaucoup plus complexe que celle que l’on peut imaginer.
C’est que la théologie négative habitue à l’infranchissable distance salvatrice: « Les conceptions créent des idoles de Dieu, dit saint Grégoire de Nysse, l’étonnement seul saisit quelque chose ».
- C’est à dire que l’on n’est pas devant un objet « Dieu ». En effet, pour la théorie de la connaissance il faut un objet de connaissance. Or dans la définition courante de la science, l’objet Dieu n’existe pas, puisqu’Il n’est pas reconnu de manière universelle. Même pour le théologien définir Dieu comme objet de connaissance n’est pas facile car il n’est pas un objet, il est un sujet de notre connaissance. Si Lui (ou si eux pour les trois personnes), ne s’ouvre pas à notre connaissance on ne peut pas le connaitre.

La prière liturgique, élévation vers Dieu et communion avec les autres
Paul Evdokimov parle plus loin de la prière liturgique: elle nous mène vers cette union. Quand on parle de prière personnelle, cela ne veut pas dire prière individuelle, parce que quand la personne prie elle est en communion avec d’autres personnes. Plus elle prie, plus elle est en communion avec les autres. C’est très important de le comprendre. Le Père Dumitru Staniloae, le décrivait en prenant l’image d’une pyramide inversée, plus on prie, plus on s’approche de Dieu et plus on est entouré. Quand nous prions ordinairement, nous sommes seuls même au milieu de plein de gens car nous ne les aimons pas comme il le faudrait, ou nous n’arrivons pas à entretenir cette communion à travers notre amour, c’est Dieu qui nous enseigne l’Amour.
On parle de la prière liturgique car on a besoin de cette prière qui concerne le peuple de Dieu dans l’Eglise. C’est elle qui nous mène vers notre « déification »: on devient Dieu selon la grâce de Dieu.
En cherchant Dieu, c’est l’homme qui est trouvé par Dieu.

LE LIEU DU CŒUR – P. MICHEL GITTON

22 juin, 2015

http://www.revue-resurrection.org/Le-lieu-du-coeur

LE LIEU DU CŒUR

P. MICHEL GITTON

L’homme intérieur, que le Seigneur appelle le « cœur », lorsqu’il aura enlevé les taches de rouille qui altéraient et détérioraient sa beauté, retrouvera la ressemblance de son modèle et il sera bon. (Grégoire de Nysse)
Au grand dam de ceux qui voudraient séparer par principe le plan naturel et le plan surnaturel, il faut dire et redire que l’homme ne se comprend pleinement que sous l’éclairage de la grâce. Il faudrait ajouter que l’expérience de la confession en dit plus sur la nature profonde de l’être humain que bien des analyses des sciences dites humaines. Ce n’est qu’au regard de Dieu, dans le dynamisme retrouvé d’une relation avec lui, que le su¬jet humain déploie les dimensions proprement personnelles de son être.
Pour étayer cette thèse, nous partirons de deux expériences caractéristiques des limites de notre liberté spirituelle, qui sont le poids des inhibitions dans l’agir moral et l’existence des distractions dans la vie d’oraison. Dans les deux cas, on constate que la liberté de l’homme, dans sa relation à Dieu, est entravée par quelque chose qui est de lui et qui pourtant n’est pas lui, qui n’est pas directement le péché, même si le péché a quelque chose à voir avec l’existence et le maintien de ces entraves.
L’expérience la plus courante de l’homme pécheur est celle de l’impuissance à vouloir : « Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. » (Romains 7,19) Et l’on connaît l’analyse décisive de saint Augustin sur cette liberté qui n’arrive pas à vouloir :
D’où vient ce prodige ? Quelle en est la cause ? L’âme donne des ordres au corps, et elle est obéie sur le champ. L’âme se donne à elle-même des ordres, et elle se heurte à des résistances. L’âme donne l’ordre à la main de se mouvoir, et c’est une opération si facile qu’à peine distingue-t-on l’ordre de son exécution. Et cependant, l’âme est âme et la main est corps. L’âme donne à l’âme l’ordre de vouloir ; l’une ne se distingue point de l’autre, et pourtant elle n’agit pas. D’où vient ce prodige ? Quelle en est la cause ? Elle lui donne l’ordre, dis-je, de vouloir ; elle ne le donnerait pas si elle ne voulait pas, et ce qu’elle ordonne ne se fait pas.
C’est qu’elle ne veut pas d’un vouloir total, et ainsi elle ne commande pas totalement. Elle ne commande que pour autant qu’elle veut, et, pour autant qu’elle ne veut pas, ses ordres ne reçoivent point l’exécution, car c’est la volonté qui donne l’ordre d’être à une volonté qui n’est rien d’autre qu’elle-même. C’est pourquoi elle ne commande pas pleinement, et de là vient que ses ordres sont sans effet. Car si elle était dans sa plénitude, elle ne se commanderait pas d’être, elle serait déjà. Ce n’est donc pas un prodige de vouloir partiellement et, partiellement, de ne pas vouloir : c’est une maladie de l’âme. [1]
À l’origine de cette entrave au vouloir, on ne trouve pas directement le péché, ni même la concupiscence, mais, plus simplement, ce que nous appellerons des habitus, des attitudes stables qui ne ressortissent pas directement à la volonté mais conditionnent les choix : dispositions héréditaires, traits de caractère, structures affectives issues de la petite enfance, effets de l’éducation, habitudes proprement dites engendrées par la répétition d’un même acte, pression du monde ambiant. L’homme qui s’excuse du mal commis en disant : « Je suis comme cela » n’a pas totalement tort et les sciences actuelles lui fournissent ample confirmation en lui révélant l’archéologie de son état.
Ces habitus ne sont pas tous mauvais, mais ont tous en commun le fait de n’être que très partiellement voulus, ou, quand ils résultent d’un choix, de ne plus l’être au moment où se présente la décision morale. Ils sont subis mais ne sont pas toujours également contraignants. Ils entraînent pourtant peu à peu la complicité de la volonté qui, plutôt que de « vouloir vouloir », préfère s’habituer pour mille raisons (paresse, vanité blessée, découragement devant l’effort mille fois repris et toujours infructueux) à consentir et à se laisser par là même engluer. [2] Chaque fois que l’effort a cessé et que la volonté s’est laissé réduire à l’automatisme des habitus, l’homme a perdu quelque chose de son humanité. On pourrait comparer cette évolution au vieillissement d’une plante dont la tige devient peu à peu ligneuse, et qui, perdant de sa souplesse, laisse circuler de plus en plus difficilement la sève. En réalité, le passage du mal subi au mal commis est toujours imperceptible et tout l’art du démon consiste à faire passer le second comme l’inévitable conséquence du premier, d’où la difficulté de définir le péché « originé » qui est la transition presque indiscernable entre notre faiblesse, conséquence du péché d’Adam, et notre péché actuel.
Néanmoins, sur cette terre au moins, l’immobilisation de la volonté ne peut pas être totale. La volonté, si serve qu’elle soit par rapport aux habitus, subsiste au plus profond de l’homme : il y a encore un filet de sève qui passe. C’est cette volonté, parfois terriblement amoindrie, que la grâce du Christ vient rejoindre, non pas en supprimant magiquement les habitus, ce qui ne résoudrait le problème qu’en apparence, mais en permettant à la volonté de vouloir s’en dissocier. Là où le démon souffle à l’homme que c’est peine perdue, qu’il est enfermé dans son impuissance et sa culpabilité, et qu’il est bien comme cela, le Christ réapprend à cet homme la liberté, même si c’est au prix d’une rééducation douloureuse. Dosant l’effort demandé à la mesure de ses forces [3], il lui montre que la marche est possible et que toute dissociation d’avec le mal est déjà une victoire, le rétablissement de la vie dans un organisme en proie à l’ankylose et à la mort. Au lieu de se battre avec l’inéluctable existence de nos habitus, il s’agit de repérer le point de sensibilité : là où le nœud n’est pas encore complètement serré, où la corde coulisse encore… Selon les cas et les individus, le point peut varier, mais il existe toujours cette décision — qui risque de passer inaperçue (dont le démon a intérêt à ce qu’elle reste inaperçue) — d’où dépend le maintien de notre esclavage ou le début de notre liberté.
C’est le rôle irremplaçable du sacrement de pénitence que de redonner à l’homme la possibilité de vouloir et d’avancer. Loin de le culpabiliser en le confrontant à un idéal de moralité irréalisable, il lui rend sa dignité en lui offrant la possibilité concrète de se désolidariser de ses fautes et d’accepter la lutte [4], puis de voir cet écart agrandi par l’effet de la grâce sacramentelle. Il y a là-dessus une anecdote célèbre qui en dit plus long qu’un discours : c’est l’histoire du vieux marin qui, à l’heure de mourir, n’arrivait pas à regretter certaines aventures galantes vécues au temps de sa jeunesse ; il se les rappelait encore avec tellement de plaisir que son confesseur désespérait de l’amener à la contrition. Après avoir essayé de lui représenter l’horreur du péché, il dut constater que le mourant était bien d’accord avec le principe, mais n’arrivait pas à sentir du regret. « Mais, au moins, regrettez-vous de ne pas regretter ? », finit-il par lui dire. « Oui, bien sûr », lui répondit l’autre : la condition était cette fois-ci suffisante pour lui donner l’absolution et celle-ci à son tour lui permit de regretter plus complètement ses fautes passées.
Là où le péché aboutit, selon la loi de l’entropie, à l’immobilisme, la grâce restaure le mouvement et permet à la liberté d’émerger ; le moi profond qui sommeille au fond de tout homme, enfin appelé par son nom, réveillé de son sommeil de mort, peut prendre progressivement (même si ce n’est pas sans rechutes) ses distances par rapport à la pression des déterminismes. Sans les méconnaître et sans jamais s’en affranchir totalement, il fraie sa voie personnelle sous le regard de Dieu.
On constate dans la vie des saints une souplesse retrouvée et surtout une lucidité plus grande, qui les amène à identifier le mal à sa racine dans les premières complaisances avec l’Ennemi. C’est pourquoi, à les entendre, la perfection est chose si simple, il n’y a qu’à vouloir (être pauvre, renoncé, obéissant…). Tout devient moyen d’aller à Dieu, parce que tout est immédiatement polarisé par lui. Les habitus n’ont pas disparu, mais on a appris à les connaître et à ruser avec eux ; on s’épargne moins et l’on ne cherche plus à se pelotonner frileusement dans d’équivoques compromis [5].
Ce que nous disons ici du combat moral rappelle à s’y méprendre la ré¬flexion des Pères du désert et des spirituels orientaux à propos de la prière. Partis d’une position assez platonicienne, qui attribue au corps l’existence des distractions, tandis que l’âme aspirerait naturellement à s’élever vers la contemplation, ils en vinrent à privilégier de plus en plus le cœur comme le lieu d’un éveil spirituel au terme duquel l’homme parvient à la prière ininterrompue [6]. Le changement est significatif : il ne s’agit pas de quitter son corps, comme si l’âme était plus immédiatement accordée à Dieu. En réalité, le psychisme porte lui aussi les séquelles du péché ; il est lui aussi « agi » : les pensées, au lieu d’être unifiées par la volonté qui veut retourner vers Dieu, possèdent plus ou moins leur autonomie et poursuivent leur course folle selon des lois qui nous échappent. Vouloir les combattre de front est là encore un rêve et un effort qui nous détourne finalement de Dieu, comme le soulignent nos auteurs.
Pour eux, c’est bien le Christ qui apporte la liberté, et de deux façons. En s’offrant à la contemplation, il arrache l’homme à la considération de soi-même et à l’illusion d’un recueillement qui ne serait qu’une technique de concentration. Tel est sans doute le sens le plus profond de la rumination du nom de Jésus [7]. De plus, par l’infusion de l’Esprit Saint, il éveille la personnalité spirituelle profonde (ce que l’on va justement appeler le cœur). Celle-ci se situe de toute évidence très au-delà des opérations psychologiques ordinaires : tout entière ramassée dans la volonté qui aime, elle peut alors assister aux distractions sans se laisser troubler par elles [8]. Elle transcende même, à la limite, l’alternance de la veille et du sommeil. On retrouverait chez les mystiques occidentaux des phénomènes comparables de sur-conscience, la « fine pointe » de l’âme dépassant l’émiettement des sensations fugitives, dans un regard simple sur le Christ ou la Trinité.
Avec ces cas limite, il nous faut peut-être comprendre que la vie spirituelle est fondamentalement passage du déterminisme à la liberté. L’homme, esclave du monde des choses dont il était censé être le maître, immergé dans le présent et le visible, se découvre, même au sein de la relation avec Dieu, dominé par le monde dont il a pris l’empreinte. En se risquant dans l’oraison, en acceptant de perdre pied, et de sortir d’un déroulement prévisible et maîtrisable, il introduit une première brèche par où va s’engouffrer la grâce. Découvrant l’humanité du Christ dans la pédagogie de ses manifestations, il est arraché à lui-même et perçoit une altérité à la fois toute proche — et donc perceptible pour lui — et riche de la richesse même de Dieu. À mesure qu’il avance dans cette contemplation, sa liberté se fortifie et l’homme devient capable de vouloir aimer, c’est-à-dire d’animer d’une intention le mouvement de sa prière, comme pour ces oraisons fréquentes et ardentes dont saint Augustin nous dit qu’elles sont comme autant de flèches lancées vers le ciel [9]. La prière ne se laisse plus arrêter par rien ; tout lui de¬vient prétexte et combustible : la fatigue, la distraction, l’ennui même, sont avoués et deviennent occasion de rebondissement. Même en l’absence de toute consolation sensible, l’orant fait appel à l’intelligence pour lui narrer les beautés du Christ. Si l’imagination défaille, il recourt au souvenir. Si l’es¬prit est décidément embrumé, il se servira de formules ou de prières vocales, mais jetées comme des cris de supplication vers celui qu’on aime. C’est ainsi que la prière échappe au psychologisme et devient effectivement le fil conducteur d’une vie.
Il faudrait, pour conclure, noter combien ces réflexions qui ne parlent que d’anthropologie impliquent une christologie, ou plus exactement en dérivent. Il est difficile de parler du cœur de l’homme sans avoir contemplé le Cœur du Christ. En l’occurrence, le modèle christologique englobe et dépasse le cas de l’homme pécheur. En Jésus, la personne divine saisit une nature humaine et la fait sienne. Par là, il montre la distance qui existe entre le dispositif créé (la nature) et l’usage qui en est fait (qui est du ressort de la personne). On pourrait dire que, avec le même équipement que nous, il réalise des performances supérieures, comme un musicien de génie qui tirerait d’un instrument ordinaire une mélodie sublime. Tout est dans la manière, c’est-à-dire dans le style personnel avec lequel sont utilisées les composantes de la nature humaine. Le Christ nous manifeste tout ce que l’Amour filial peut tirer de ce complexe de chair et d’intériorité qu’est l’homme. La distance proprement christique entre la personne et la nature fonde ainsi la possibilité d’un écart entre la liberté et les habitus de nature [10]. Et cela se vérifie d’abord dans l’humanité même du Christ. Son cœur d’homme, sous la mouvance de la personne divine du Verbe, expérimente l’essor d’une liberté personnelle au sein des déterminismes qu’il a accepté de partager avec nous sans jamais s’y réduire. Son vouloir, plus délié que le nôtre parce que plus parfaitement filial, a pu échapper à la sclérose qui limite notre possibilité d’autodétermination. C’est pourquoi le Christ manifeste des attitudes si nettement contrastées et une richesse psychologique qui ne se laisse réduire à aucun schéma a priori ou automatisme. Sa prière est immédiate¬ment dialogue, elle se situe d’emblée dans une relation acceptée et recherchée.
L’adoration du Cœur du Christ et de sa mystérieuse liberté est peut-être la clef de notre avancée dans la vie spirituelle et morale. Là où notre effort se relâche sans cesse et où notre liberté s’enlise peu ou prou, elle peut réchauffer notre élan, remettre en nous le désir et la force de ce combat ininterrompu dont se paye notre libération.

P. Michel Gitton, Membre de la communauté apostolique Aïn Karem, directeur-gérant de Résurrection, prêtre du diocèse de Paris.

LA THÉOLOGIE À GENOUX – PAPE BENOÎT XVI

18 mai, 2015

http://www.totus-tuus.fr/article-25493706.html

LA THÉOLOGIE À GENOUX – PAPE BENOÎT XVI

Le texte intégral du discours du Pape Benoît XVI
http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2007/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20070909_heiligenkreuz.html

Extrait du discours prononcé par le Pape Benoît XVI à l’abbaye de Heiligenkreuz (Autriche), le 9 septembre 2008.

L’Autriche est, comme on le dit, véritablement « Klosterreich » : au double sens de royaume des monastères et riche de monastères. Vos très anciennes abbayes, dont l’origine et les traditions remontent à plusieurs siècles, sont des lieux de la « préférence donnée à Dieu ». Chers confrères, vous rendez tout à fait évidente cette priorité donnée à Dieu! Comme une oasis spirituelle, un monastère indique au monde d’aujourd’hui la chose la plus importante, et c’est même en fin de compte la seule chose décisive : il existe une ultime raison pour laquelle il vaut la peine de vivre, qui est Dieu et son amour impénétrable.
Et je vous demande, chers fidèles, de considérer vos abbayes et vos monastères toujours pour ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent être : pas seulement des lieux de culture et de tradition, voire de simple entreprises économiques. Structure, organisation et économie sont nécessaires dans l’Eglise également, mais ce ne sont pas des choses essentielles. Un monastère est surtout ceci : un lieu de force spirituelle. En arrivant dans l’un de vos monastères ici en Autriche, on a la même impression que lorsque, après une longue marche dans les Alpes qui a coûté beaucoup d’effort, on trouve finalement un ruisseau d’eau de source où se rafraîchir… Profitez donc de ces sources de la proximité de Dieu dans votre pays, ayez de l’estime pour les communautés religieuses, les monastères et les abbayes et recourez au service spirituel que les personnes consacrées sont prêtes à vous offrir!
Ma visite, enfin, s’adresse à l’Académie désormais pontificale qui fête le 205e anniversaire de sa fondation et qui, dans son nouveau statut, a reçu de l’Abbé le nom supplémentaire de l’actuel Successeur de Pierre. Pour autant que soit importante l’intégration de la discipline théologique dans l’universitas du savoir à travers les facultés de théologie catholiques dans les universités d’Etat, il est toutefois tout aussi important qu’il y ait des lieux d’études aussi spécifiques que le vôtre, où est possible un lien profond entre la théologie scientifique et la spiritualité vécue. Dieu, en effet, n’est jamais simplement l’Objet de la théologie, il en est toujours dans le même temps également le Sujet vivant. La théologie chrétienne, du reste, n’est jamais un discours uniquement humain sur Dieu, mais elle est toujours dans le même temps le Logos et la logique à travers lesquels Dieu se révèle. C’est pourquoi l’intellectualité scientifique et la dévotion vécue sont deux éléments de l’étude qui, dans une complémentarité indispensable, dépendent l’une de l’autre.
Le père de l’Ordre cistercien, saint Bernard, a lutté en son temps contre la séparation entre une rationalité qui objective et le courant de la spiritualité ecclésiale. Notre situation actuelle, bien que différente, présente toutefois aussi de remarquables similitudes. Dans le souci d’obtenir la reconnaissance de rigueur scientifique au sens moderne, la théologie peut perdre le souffle de la foi. Mais comme une liturgie qui oublie de regarder vers Dieu vit, en tant que telle, ses derniers moments, de même, une théologie qui ne respire plus dans l’espace de la foi, cesse d’être théologie ; elle finit par se réduire à une série de disciplines plus ou moins reliées entre elles. Là où l’on pratique en revanche une « théologie à genoux », comme le demandait Hans Urs von Balthasar, elle sera féconde pour l’Eglise en Autriche et même au-delà.
Cette fécondité apparaît dans le soutien et dans la formation aux personnes qui portent en elles un appel spirituel. Pour qu’aujourd’hui, un appel au sacerdoce et à l’état religieux puisse être conservé fidèlement tout au long de la vie, il faut une formation qui intègre la foi et la raison, le cœur et l’esprit, la vie et la pensée. Une vie à la suite du Christ nécessite l’implication de toute la personnalité. Lorsque l’on néglige la dimension intellectuelle, naît trop facilement une forme de pieux sentiment d’amour qui vit presque exclusivement d’émotions et d’états d’âme qui ne peuvent pas durer toute la vie. Et lorsque l’on néglige la dimension spirituelle, on crée un rationalisme raréfié, qui sur la base de la froideur et du détachement, ne peut jamais déboucher sur un don enthousiaste de soi à Dieu. On ne peut pas fonder une vie à la suite du Christ sur une telle vision unilatérale ; avec les demi-mesures on resterait personnellement insatisfait et, par conséquent, peut-être aussi spirituellement stérile. Tout appel à la vie religieuse ou au sacerdoce est un trésor si précieux que les responsables doivent faire tout leur possible pour trouver les chemins de formation adaptés afin de promouvoir ensemble fides et ratio – la foi et la raison, le cœur et l’esprit.
Saint Léopold d’Autriche – nous venons de l’entendre – sur le conseil de son fils, le Bienheureux Evêque Otton de Freising, qui fut mon prédécesseur sur le siège épiscopal de Freising (à Freising on célèbre aujourd’hui sa fête) fonda en 1133 votre abbaye, en lui donnant le nom de « Unsere Liebe Frau zum Heiligen Kreuz » – Notre Dame de la Sainte Croix. Ce monastère n’est pas dédié à la Vierge uniquement par tradition – comme tous les monastères cisterciens –, mais ici brûle le feu marial de saint Bernard de Clairvaux. Bernard qui entra au monastère avec 30 compagnons, est une sorte de Patron des vocations spirituelles. Peut-être avait-il un ascendant si enthousiasmant et si encourageant sur les nombreux jeunes de son époque appelés par Dieu, parce qu’il était animé par une dévotion mariale particulière. Là où est Marie, on trouve l’image primordiale du don total et de la sequela du Christ. Là où est Marie, on trouve le souffle pentecostal de l’Esprit Saint, on trouve l’élan et le renouveau authentique.
Depuis ce lieu marial sur la Via Sacra, je souhaite à tous les lieux spirituels en Autriche fécondité et capacité de rayonnement. Ici, je voudrais avant mon départ, comme déjà à Mariazell, demander encore une fois à la Mère de Dieu d’intercéder pour toute l’Autriche. Avec les paroles de saint Bernard, j’invite chacun à se faire avec confiance « enfant » devant Marie, comme l’a fait le Fils de Dieu lui-même. Saint Bernard dit et nous disons avec lui : « Regarde l’étoile, invoque Marie ».

 

L’HISTOIRE DU RÊVE QUE DIEU RÊVA

18 avril, 2015

http://www.jesuites.org/content/l%E2%80%99histoire-du-r%C3%AAve-que-dieu-r%C3%AAva

L’HISTOIRE DU RÊVE QUE DIEU RÊVA

Écoute! je vais te conter le rêve que Dieu rêva.

Après la longue chaîne de siècles des patientes évolutions de sa Création “belle à voir”, Dieu “planta un jardin en Éden, à l’Orient”. Il y mit l’humanité naissante “faite à son image”. Il lui confia la gérance du grand Oeuvre inachevé. Et s’imagina y voir grandir une immense famille multipliée d’enfants beaux et joyeux, s’ébattant aux prés verts de sa création, et savourant les fruits du jardin, servis à profusion. Ainsi conçut-il le beau et unique Jardin-Terre, planté au coeur du vaste Univers des astres mouvants, et pourvu de tout ce qu’il fallait pour y réjouir le coeur de ses enfants. Il n’y voyait que du bonheur à vivre l’amour débordant de l’Éternel, amour revêtant toutes formes, goûts et couleurs de joie imaginables.
Or, un jour, Dieu décida de rendre visite à son petit monde d’enfants gâtés, saturés des bienfaits préparés dans le silence de ses longs siècles d’invention.
Le Récit des Origines, au Livre sacré, qui nous rapporte cette visite divine, nous dit que, “à la brise du jour” de l’humanité naissante, Dieu vint se promener au Jardin joli de sa Création. Il y voulait rencontrer ses petites créatures libres, fraîches émoulues de la Terre créatrice. Il se plaisait à l’idée de causer avec elles, presque d’égal à égal, les voyant heureuses de vivre le printemps de l’Histoire en présence de l’Éternel.
Dieu appela. Il appela et il appela! Sa Parole créatrice retentit dans le vide d’une brise matinale désertée. Car l’humanité, se sentant nue au regard du Maître de la vie, fut prise de peur et alla se cacher. Et Dieu ne rencontra que des pécheurs honteux. Ce qui lui gâta, tu penses bien, le plaisir de son oeuvre si longuement édifiée, si vite déchue.

Alors, Dieu pensa qu’il se rattraperait un jour – il en fit promesse à la gent d’Au-Delà. Il laisserait sa Voix résonner par les beaux et mauvais temps de l’Histoire. Sa Parole se fit pleine d’affection et d’invitation, et parfois un peu coléreuse pour rappeler à l’Ordre créateur. Mais, à longueur de temps, les petits d’humains ressemblaient toujours à leurs paternels de la terre esseulée. Ils avaient l’oreille endurcie par le vice de l’égoïsme contracté du Serpent venimeux.
Patiemment, Dieu leur donna de la corde, beaucoup de corde, des siècles de cordes, pour qu’ils fassent leur expérience et souhaitent timidement reprendre, un jour, le chemin du Bercail. Il avait semé dans leur coeur la nostalgie d’une origine lointaine qu’il n’avait pas connue. Peut-être qu’un jour ils goûteraient cette attirance irrésistible de la Maison paternelle. Ce fut une longue attente, un pénible cheminement arraché aux convoitises de la terre; un chemin qui ne mena pas toujours aux lieux de la Vie. L’humanité, comme tel“fils prodigue” dont parle le Livre, avait reçu l’héritage du Père afin d’en gérer la croissance. Et, comme le prodigue du Livre, elle gaspilla tout, ne pensant qu’à son plaisir.
Pourtant, il y avait parfois des lueurs d’espoir qui perçaient dans un ici ou un là lointain du firmament de Dieu. Car bien des gens sortaient hébétés des stérilités de leur vie. Ils retrouvaient péniblement leur coeur d’enfant et se mettaient à rêver – ô suprême victoire de la vie – comme le prodigue du Livre qui eut faim. Le Seigneur Dieu compta sur ces personnes singulières, renées à la vie, pour recommencer. Et il recommença, le pauvre, bien des fois: aux temps des Patriarches et de l’Israël au désert; aux temps des Juges et des Rois, des Prophètes et des Sages; et aux temps – plus avides d’écoute – des “pauvres de coeur”, un “petit reste” de rien, de fidèles enivrés de Parole, qui aspiraient à “connaître” Dieu. Il recommença ainsi, sans se lasser, au cours des siècles qui dévalèrent la pente du temps.
Le gros problème, vois-tu, c’est que Dieu est PAROLE , et que les humains ont L’OREILLE DURE. Je ne parle pas des mal-entendants de bonne volonté, mais de tous ceux qui ont l’ouïe du coeur endurcie par les bruits assourdissants de la vie, ou par leur raison raisonnante encombrante. Un petit prince fantaisiste, venu de l’astéroïde B 612, nous le rappela, lors de sa visite sur la Planète Terre (qui “a bonne réputation”, disait-il). “On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux”. Et bien avant lui, le vieil Isaïe avait dénoncé la surdité des gens de son temps: “Ils ont des oreilles pour entendre et ils n’entendent pas. Ils ont des yeux pour voir et ils ne voient pas”. Sourds d’oreille, on ne peut plus!
Puis vint la “plénitude des temps”, déterminée par le Créateur de l’Histoire. Et le Verbe de Dieu, Parole Éternelle, s’incarna dans le temps, en Jésus de Nazareth. Il y a de cela quelque 2000 ans.
Obsédé par son rêve originel, Dieu envoya son propre Fils restaurer le chemin de vie entre Lui et sa création. Avec son coeur d’enfant, Jésus nous parla du Dieu Abba, Papito. À son tour, communiant au coeur du Père, Jésus chercha à découvrir le monde rêvé du Créateur. Il aurait tant aimé contempler le jardin fleuri d’enfants qui s’aiment au lieu de se faire souffrir; d’humains qui se plaisent à vivre au lieu de peiner à la sueur de leur front, et qui chantent et dansent au lieu de pleurer, alors qu’ils ont tout à portée de main. Infiniment triste, Jésus pleura sur son peuple fatigué, abandonné comme troupeau sans pasteur. Il se fit “Bon Pasteur”, dans l’espoir d’amener l’humanité à reprendre le chemin du Père. Hélas, la masse des gens ne voulut pas de ce prétendu prodigue repenti: sa Parole cria dans le désert de l’indifférence et de la lassitude.
Un jour, n’en pouvant plus de cette tristesse désabusée, Jésus lança cette plainte furtive, criée comme invitation subtile du Ciel aux enfants de la Terre:

À qui donc puis-je comparer les hommes de cette génération?
À qui ressemblent-ils? Ils ressemblent à des gamins qui sont assis
sur une place et s’interpellent les uns les autres, en disant

‘Nous avons joué de la flûte,
et vous n’avez pas dansé!
Nous avons entonné des chants de deuil,
et vous n’avez pas pleuré’.

Tous les instruments de la création de Dieu se sont mis à l’unisson pour nous faire danser, et nous n’avons pas dansé. Tous les pleurs de Dieu se sont exprimés en souffrance de désertion, et nous n’avons pas pleuré.
L’enfance du monde obsédait Jésus. Il répétait, à l’adresse de ceux qui avaient des oreilles pour entendre:“Laissez venir à moi les petits enfants, car le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent”. Et plus encore: “Si vous ne redevenez comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu”. C’est une question de Parole et de coeur, avec des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. C’est une question de vie ou de mort!
Ami, tu te demandes peut-être: comment “redevenir comme un enfant” pour gagner le royaume de Dieu? Faut-il retourner au sein de sa mère pour naître à nouveau, comme l’imagina un instant le vieux Nicodème? Cela ne t’attire peut-être pas “redevenir enfant”, pour n’avoir pas que de beaux souvenirs de ton enfance. Et tu n’as certes pas plus que moi l’envie de “retomber en enfance”! Alors, comment vivre les paroles du Maître?
La réponse, c’est JÉSUS. Lui qui ne fut jamais autre que fils-enfant devant Dieu son Père. Certes, il ne s’agit de verser dans l’enfantillage spirituel. Mais, comme Jésus, notre frère aîné en Dieu, redevenir ce que nous sommes en toute réalité: les très petits enfants du Bon Dieu, perdus dans l’immense jardin de sa création… Des enfants qui devraient danser quand ils entendent jouer de la flûte et pleurer quand on entonne un chant de deuil. Ainsi Dieu nous voit, ainsi Dieu nous aime. Mais notre humanité a toujours eu l’oreille un peu dure; c’est un péché d’entendement!

Mais toi,
écoute la Parole créatrice,
la Parole révélatrice de sens,
et tu vivras à jamais
au lieu de mourir tous les jours.

LA THÉOLOGIE À GENOUX – PAPE BENOÎT XVI

19 janvier, 2015

http://www.totus-tuus.fr/article-25493706.html

LA THÉOLOGIE À GENOUX – PAPE BENOÎT XVI

Vendredi 5 décembre 2008

Extrait du discours prononcé par le Pape Benoît XVI à l’abbaye de Heiligenkreuz (Autriche), le 9 septembre 2008.

le texte intégral du discours du Pape Benoît XVI:
http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2007/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20070909_heiligenkreuz_fr.html

L’Autriche est, comme on le dit, véritablement « Klosterreich » : au double sens de royaume des monastères et riche de monastères. Vos très anciennes abbayes, dont l’origine et les traditions remontent à plusieurs siècles, sont des lieux de la « préférence donnée à Dieu ». Chers confrères, vous rendez tout à fait évidente cette priorité donnée à Dieu! Comme une oasis spirituelle, un monastère indique au monde d’aujourd’hui la chose la plus importante, et c’est même en fin de compte la seule chose décisive : il existe une ultime raison pour laquelle il vaut la peine de vivre, qui est Dieu et son amour impénétrable.
Et je vous demande, chers fidèles, de considérer vos abbayes et vos monastères toujours pour ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent être : pas seulement des lieux de culture et de tradition, voire de simple entreprises économiques. Structure, organisation et économie sont nécessaires dans l’Eglise également, mais ce ne sont pas des choses essentielles. Un monastère est surtout ceci : un lieu de force spirituelle. En arrivant dans l’un de vos monastères ici en Autriche, on a la même impression que lorsque, après une longue marche dans les Alpes qui a coûté beaucoup d’effort, on trouve finalement un ruisseau d’eau de source où se rafraîchir… Profitez donc de ces sources de la proximité de Dieu dans votre pays, ayez de l’estime pour les communautés religieuses, les monastères et les abbayes et recourez au service spirituel que les personnes consacrées sont prêtes à vous offrir!
Ma visite, enfin, s’adresse à l’Académie désormais pontificale qui fête le 205e anniversaire de sa fondation et qui, dans son nouveau statut, a reçu de l’Abbé le nom supplémentaire de l’actuel Successeur de Pierre. Pour autant que soit importante l’intégration de la discipline théologique dans l’universitas du savoir à travers les facultés de théologie catholiques dans les universités d’Etat, il est toutefois tout aussi important qu’il y ait des lieux d’études aussi spécifiques que le vôtre, où est possible un lien profond entre la théologie scientifique et la spiritualité vécue. Dieu, en effet, n’est jamais simplement l’Objet de la théologie, il en est toujours dans le même temps également le Sujet vivant. La théologie chrétienne, du reste, n’est jamais un discours uniquement humain sur Dieu, mais elle est toujours dans le même temps le Logos et la logique à travers lesquels Dieu se révèle. C’est pourquoi l’intellectualité scientifique et la dévotion vécue sont deux éléments de l’étude qui, dans une complémentarité indispensable, dépendent l’une de l’autre.
Le père de l’Ordre cistercien, saint Bernard, a lutté en son temps contre la séparation entre une rationalité qui objective et le courant de la spiritualité ecclésiale. Notre situation actuelle, bien que différente, présente toutefois aussi de remarquables similitudes. Dans le souci d’obtenir la reconnaissance de rigueur scientifique au sens moderne, la théologie peut perdre le souffle de la foi. Mais comme une liturgie qui oublie de regarder vers Dieu vit, en tant que telle, ses derniers moments, de même, une théologie qui ne respire plus dans l’espace de la foi, cesse d’être théologie ; elle finit par se réduire à une série de disciplines plus ou moins reliées entre elles. Là où l’on pratique en revanche une « théologie à genoux », comme le demandait Hans Urs von Balthasar, elle sera féconde pour l’Eglise en Autriche et même au-delà.
Cette fécondité apparaît dans le soutien et dans la formation aux personnes qui portent en elles un appel spirituel. Pour qu’aujourd’hui, un appel au sacerdoce et à l’état religieux puisse être conservé fidèlement tout au long de la vie, il faut une formation qui intègre la foi et la raison, le cœur et l’esprit, la vie et la pensée. Une vie à la suite du Christ nécessite l’implication de toute la personnalité. Lorsque l’on néglige la dimension intellectuelle, naît trop facilement une forme de pieux sentiment d’amour qui vit presque exclusivement d’émotions et d’états d’âme qui ne peuvent pas durer toute la vie. Et lorsque l’on néglige la dimension spirituelle, on crée un rationalisme raréfié, qui sur la base de la froideur et du détachement, ne peut jamais déboucher sur un don enthousiaste de soi à Dieu. On ne peut pas fonder une vie à la suite du Christ sur une telle vision unilatérale ; avec les demi-mesures on resterait personnellement insatisfait et, par conséquent, peut-être aussi spirituellement stérile. Tout appel à la vie religieuse ou au sacerdoce est un trésor si précieux que les responsables doivent faire tout leur possible pour trouver les chemins de formation adaptés afin de promouvoir ensemble fides et ratio – la foi et la raison, le cœur et l’esprit.
Saint Léopold d’Autriche – nous venons de l’entendre – sur le conseil de son fils, le Bienheureux Evêque Otton de Freising, qui fut mon prédécesseur sur le siège épiscopal de Freising (à Freising on célèbre aujourd’hui sa fête) fonda en 1133 votre abbaye, en lui donnant le nom de « Unsere Liebe Frau zum Heiligen Kreuz » – Notre Dame de la Sainte Croix. Ce monastère n’est pas dédié à la Vierge uniquement par tradition – comme tous les monastères cisterciens –, mais ici brûle le feu marial de saint Bernard de Clairvaux. Bernard qui entra au monastère avec 30 compagnons, est une sorte de Patron des vocations spirituelles. Peut-être avait-il un ascendant si enthousiasmant et si encourageant sur les nombreux jeunes de son époque appelés par Dieu, parce qu’il était animé par une dévotion mariale particulière. Là où est Marie, on trouve l’image primordiale du don total et de la sequela du Christ. Là où est Marie, on trouve le souffle pentecostal de l’Esprit Saint, on trouve l’élan et le renouveau authentique.
Depuis ce lieu marial sur la Via Sacra, je souhaite à tous les lieux spirituels en Autriche fécondité et capacité de rayonnement. Ici, je voudrais avant mon départ, comme déjà à Mariazell, demander encore une fois à la Mère de Dieu d’intercéder pour toute l’Autriche. Avec les paroles de saint Bernard, j’invite chacun à se faire avec confiance « enfant » devant Marie, comme l’a fait le Fils de Dieu lui-même. Saint Bernard dit et nous disons avec lui : « Regarde l’étoile, invoque Marie ».

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