Archive pour la catégorie 'Biiblique – Nouveau Testament'

COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT – SAINT LUC 17, 11-19

8 octobre, 2016

http://www.eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/

COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 9 OCTOBRE 2016

EVANGILE – SELON SAINT LUC 17, 11-19

11 Jésus, marchant vers Jérusalem,
traversait la Samarie et la Galilée.
12 Comme il entrait dans un village,
dix lépreux vinrent à sa rencontre.
Ils s’arrêtèrent à distance
13 et lui crièrent :
« Jésus, maître,
prends pitié de nous. »
14 En les voyant, Jésus leur dit :
« Allez vous montrer aux prêtres. »
En cours de route, ils furent purifiés.
15 L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,
revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus
en lui rendant grâce.
Or, c’était un Samaritain.
17 Alors Jésus demanda :
« Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ?
Et les neuf autres, où sont-ils ?
18 On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ;
il n’y a que cet étranger ! »
19 Jésus lui dit :
« Relève-toi et va :
ta foi t’a sauvé. »

Jésus est en route vers Jérusalem ; il sait que ce voyage le conduit à sa Passion, sa mort et sa Résurrection ; on peut penser que si Luc tient à nous parler de son itinéraire, c’est parce que ce qu’il va nous raconter maintenant a un lien direct avec le mystère du salut que le Christ apporte à l’humanité.
Donc Jésus traverse la Samarie et la Galilée ; dix lépreux viennent à sa rencontre, mais ils restent à distance : la Loi leur interdit de s’approcher de quiconque ; ils sont contagieux à tous points de vue ; la lèpre est une maladie très contagieuse et d’autre part, elle était, à l’époque, considérée comme le signe de la malédiction divine, car on croyait qu’elle était le signe du péché. Nos dix lépreux s’arrêtent donc à distance de Jésus et, de loin, ils crient vers lui. Ce cri et le titre « Maître » qu’ils décernent à Jésus sont à la fois l’aveu de leur faiblesse et de la confiance qu’ils mettent en lui. Jésus ne bouge pas, ne se rapproche pas d’eux. Déjà une fois Luc (chap. 5, 12) avait raconté la guérison d’un lépreux par Jésus : l’homme était près de lui, Jésus avait tendu la main et l’avait touché pour le guérir ; cette fois, dans l’épisode des dix lépreux, c’est de loin que Jésus dit aux malades : « Allez vous montrer aux prêtres » ; se montrer aux prêtres, c’était la démarche que les lépreux devaient faire pour que leur guérison soit officiellement reconnue. Cet ordre de Jésus est donc en soi une promesse de guérison.
On peut rapprocher l’attitude de Jésus dans l’épisode des dix lépreux de celle du prophète Elisée envers Naaman dans la première lecture ; Elisée non plus n’avait pas fait un geste, il avait simplement fait dire par son serviteur : « Va te baigner sept fois dans l’eau du Jourdain et tu seras purifié. » Dans les deux cas, effectivement, l’obéissance à l’ordre reçu apporte aux lépreux la guérison. Dans l’épisode qui nous occupe, les lépreux se mettent en marche pour aller rencontrer le prêtre ; et c’est en marchant qu’ils voient leur lèpre disparaître ; réellement, leur confiance les a sauvés. La maladie avait rapproché ces dix hommes ; dans la guérison, ils vont révéler le fond de leur coeur : ils ne sont plus dix lépreux, dix exclus ; ils sont neuf bons Juifs et un Samaritain, c’est-à-dire plus ou moins un hérétique. Tout hérétique qu’il est, le Samaritain sait que la vie, la guérison viennent de Dieu ; alors il rebrousse chemin, il fait demi-tour et cette fois, purifié, il peut s’approcher de Jésus : Luc dit « il glorifie Dieu à pleine voix » et aussi « il se jette la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce » ce qui est une attitude réservée à Dieu. Ce Samaritain vient de rencontrer le Messie et il le reconnaît. Implicitement, il vient également de reconnaître que pour rendre véritablement gloire à Dieu, ce n’est plus vers le Temple de Jérusalem qu’il faut se tourner, mais vers Jésus lui-même. Faire demi-tour, c’est précisément le sens du mot « conversion ». Et Jésus reconnaît publiquement cette conversion du Samaritain : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ».
« Et les neuf autres ? » demande Jésus. Eux n’ont pas fait demi-tour ; ils ont pourtant rencontré le Messie, eux aussi… mais ils ne l’ont pas reconnu… Ou, en tout cas, ils ont considéré comme plus urgent de se mettre en règle avec la Loi en continuant leur chemin vers le Temple et les prêtres. Jésus leur avait dit d’aller se montrer aux prêtres, ils y vont sans même prendre le temps de l’action de grâce !!!
C’est un thème fréquent des Evangiles : le salut est pour tous les hommes et, bien souvent, ce ne sont pas ceux qui s’en croient les plus proches qui l’accueillent le mieux ! « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reconnu » dit Saint Jean. L’Ancien Testament insistait déjà très fort sur ce qu’on appelle l’universalité du salut ; nous l’avons d’ailleurs entendu dans le psaume 97/98 de ce dimanche. Et la première lecture rapportait la conversion du général Syrien Naaman, lui aussi un étranger. Plus haut, dans le même évangile de Luc, Jésus a d’ailleurs commenté cet événement pour reprocher à ses compatriotes leur aveuglement à son sujet : il a commencé par constater « nul n’est prophète en son pays » puis il a ajouté : « Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée ; pourtant aucun d’entre eux ne fut purifié, mais bien Naaman le Syrien ». Et à ces mots toute la synagogue s’était mise en colère (Luc 4, 27). Et plus tard, dans les Actes des Apôtres, Luc insistera sur le refus opposé à l’évangile par toute une partie du peuple d’Israël en contraste avec le succès de la prédication chez les païens.
C’est une question qui troublait les premières générations chrétiennes ; quand Luc écrit son Evangile, par exemple, la jeune communauté chrétienne se divise sur un problème de fond : faut-il nécessairement être Juif pour être baptisé ? Ou bien peut-on admettre des non-Juifs, des païens, au Baptême ? Le récit de la guérison d’un Samaritain, d’un hérétique, et plus encore le récit de sa conversion profonde venaient à point nommé pour rappeler trois vérités à ne pas oublier : premièrement, le salut inauguré par Jésus-Christ dans sa passion, sa mort et sa Résurrection est offert à tous les hommes sans exception. Deuxièmement, rendre grâce à Dieu, c’est la vocation du peuple élu, mais parfois ce sont des étrangers considérés comme hérétiques qui le font le mieux. Troisièmement, ce sont bien souvent les pauvres qui ont le coeur le plus ouvert à la rencontre de Dieu. Pour le dire autrement : sur le chemin de Jérusalem, c’est-à-dire du salut, Jésus entraîne tous les hommes qui le veulent bien. Quelle que soit leur race, leur religion, il suffit qu’ils soient prêts à faire demi-tour.

JÉSUS RESSUCITÉ NOUS MONTRE LA DIVINE MISÉRICORDE – SAINT JEAN 20,19-31

12 avril, 2016

https://viechretienne.catholique.org/meditation/18699-jesus-ressucite-nous-montre-la-divine

JÉSUS RESSUCITÉ NOUS MONTRE LA DIVINE MISÉRICORDE – SAINT JEAN 20,19-31

C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine. Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » Or, l’un des Douze, Thomas (dont le nom signifie : Jumeau) n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Thomas lui dit alors : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-là y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, par votre foi, vous ayez la vie en son nom.

Prière d’introduction Seigneur Jésus, tu viens à moi aujourd’hui comme tu t’es rendu présent à tes apôtres le soir de ta résurrection. Tu es devant moi, mais invisible à mes yeux de chair. Je te perçois par la foi. Cette foi est un don que tu me fais, un don issu de ta compassion. Ta nouvelle vie me donne l’espérance, une sécurité définitive que rien ne peut emporter. Je t’aime. Jamais plus ni la mort ni la crainte ne nous sépareront.

Demande Seigneur, montre-moi ta pitié en me donnant à croire plus fermement.

Points de réflexion

1. La paix ! La première Fête de la Divine Miséricorde pour toute l’Eglise a été instituée par Jean-Paul II le 30 avril 2000 à l’occasion de la canonisation de Sœur Faustine. Elle est depuis célébrée tous les ans, conformément aux demandes du Seigneur : « Je désire qu’elle soit fêtée solennellement le premier dimanche après Pâques. » (Petit Journal, § 699). Dans cet évangile, la peur règne parmi les apôtres. Ils « avaient verrouillé les portes…car ils avaient peur ». Puis, le Seigneur leur apparaît et tout est différent. Sa présence et ses paroles leur apportent la paix. Aujourd’hui encore, la paix de Jésus est le premier signe de son « inconcevable Miséricorde » envers nos cœurs inquiets.

2. Il répandit sur eux son souffle. Afin de permettre à la paix de Dieu de s’enraciner fermement dans les cœurs de ses apôtres, Jésus dit sa salutation – la « paix soit avec toi » – deux fois, la deuxième fois après leur avoir montrés ses blessures. Se rendant compte qu’ils ne sont pas capables de croire, Jésus souffle sur eux et leur donne l’Esprit Saint, l’esprit de paix. Le don de l’Esprit est le deuxième signe de la miséricorde de Jésus.

3. Saint Thomas. Thomas était absent quand Jésus est apparu aux autres apôtres. Il ne les a pas crus quand ils lui ont raconté l’apparition du Seigneur. Comment pouvait-il à croire, puisqu’il n’avait pas reçu l’Esprit Saint ? Jésus montre son amour personnel pour Thomas en lui donnant ce dont il a besoin pour croire. Ceci lui a permis de faire cette belle profession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus vient à ma rencontre et il satisfait mes besoins personnellement. L’amour personnel de Jésus est le troisième signe de sa miséricorde. Dialogue avec le Christ Jésus miséricordieux, je te remercie du don de ta paix et d’avoir insufflé ton Esprit sur moi. Je veux vivre toujours guidé par l’Esprit Saint. Tu me donnes tout ce qu’il me faut pour croire, tu raffermis ma foi, tu es mon Seigneur et mon Dieu. Je te rends grâce pour ton infinie miséricorde envers moi. Résolution « Le genre humain ne trouvera pas la paix tant qu’il ne se tournera pas vers la source de ma Miséricorde  » (Jésus à Sœur Faustine). Je tâcherai de discerner l’invitation de Dieu à maintenir mon cœur serein et paisible au milieu de mes soucis et mes inquiétudes. Je m’efforcerai à collaborer avec l’action de l’Esprit Saint pour atteindre cette paix. Pour y parvenir, je prendrai la ferme résolution de m’approcher du sacrement de la réconciliation de manière régulière désormais (une fois par mois ou une fois tous les quinze jours).

 

LE LAVEMENT DES PIEDS

23 mars, 2016

http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2009/clb_090410.html

LE LAVEMENT DES PIEDS

Question – Quelle est la signification du lavement des pieds chez les juifs, du temps de Jésus? Qui le pratiquait ? Quel sens Jésus donne-t-il à ce geste? (Philippe)

Réponse – Pour comprendre le petit rituel social du lavement des pieds, il faut le remettre dans son contexte moyen-oriental de l’époque de Jésus. La majeure partie de la population se déplace à pieds, chaussée de simples sandalettes de cuir, les pieds nus et sur des routes et chemins poussiéreux. Certains pouvaient se déplacer tout au plus sur un âne, mais ce dernier servait le plus souvent à porter les marchandises. Les chevaux étaient réservés aux soldats et les chars, aux plus riches. On peut encore voir aujourd’hui, comment se déplacent les bédouins du désert. Ils parcourent des centaines de kilomètres à pieds, tandis que leurs chameaux, lourdement chargés, transportent les marchandises.      Lorsqu’il parvenait à destination, le voyageur attendait de son hôte le petit rituel du lavement et rafraîchissement des pieds. Après de longues heures de marche, cette attention permettait de se détendre et de se débarrasser de la poussière du chemin qui collait à la peau. Cela me rappelle ce que font les randonneurs après de longues heures de marche en montagne. L’arrêt se fait généralement au bord d’un petit torrent. On en profite alors pour enlever les chaussures de montagnes et pour se tremper les pieds dans une eau bien fraîche. Il n’y a rien de plus agréable pour évacuer un peu la fatigue. Le rituel juif du lavement des pieds procède de la même logique, mais il appartient en plus aux lois de l’hospitalité. Cet aspect est souligné par Jésus qui s’adresse à Simon, le pharisien qui l’a invité (Lc 7,44-46). Il lui fait le reproche de ne l’avoir pas accueilli selon les règles, tandis que la femme qui pleure sur ses pieds, le fait à sa manière : « Tu vois cette femme? Je suis entré chez toi et tu ne m’as pas donné d’eau pour mes pieds; mais elle m’a lavé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux.  Tu ne m’as pas reçu en m’embrassant; mais elle n’a pas cessé de m’embrasser les pieds depuis que je suis entré. Tu n’as pas répandu d’huile sur ma tête ; mais elle a répandu du parfum sur mes pieds. » La vie en société – dans le Judaïsme de l’époque de Jésus, comme dans toute société humaine organisée – obéit à des règles de bonne conduite et parmi elles, on trouve la possibilité donnée au visiteur de se rafraîchir et de se laver les pieds. Un autre exemple tiré de la Genèse (43,24) : « L’homme fit entrer tous les frères chez Joseph. On leur apporta de l’eau pour se laver les pieds et on donna du fourrage à leurs ânes. » (Voir aussi : Gn 18,4 ; 19,2 ; 24,32)      Pour être en mesure d’apprécier toute la signification qu’il prendra dans le geste de Jésus, il faut savoir que, dans la société juive plus aisée, ce geste est posé par le serviteur ou l’esclave dont c’est la charge. C’est une tâche considérée comme humiliante et elle est considérée – dans l’ordre de valeur hiérarchique des serviteurs de maison – comme la plus basse. C’est ce qui explique la réaction violente de Pierre qui voit son rabbi bien-aimé qui prend la position du dernier des serviteurs ou de l’esclave, devant ses propres disciples : Quoi! Tu veux me laver les pieds, toi le Seigneur et le maître!… Non! C’est inacceptable! C’est pas ta place, ni ton rôle! (d’après Jn 13,6) Pierre ne comprend pas. Il est profondément choqué quand il voit Jésus bousculer ainsi l’ordre et les usages d’une société, que lui, Pierre, a toujours respectés et tenus pour respectables. C’est vrai que Jésus ne déteste pas de bousculer un peu ses propres amis. Il est temps d’en venir à l’épisode du lavement des pieds      Vous trouvez l’épisode du lavement des pieds dans le récit qu’en fait Jean, l’évangéliste, au chapitre 13,1-20. Il est le seul à en parler et le situe au moment du dernier repas que Jésus prend avec ses disciples, la veille de sa passion. La tradition chrétienne le célèbre le soir du Jeudi-Saint, en même temps que l’institution de l’Eucharistie. L’évangéliste évoque sobrement l’événement. Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue, l’heure de passer de ce monde au Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême… Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint. Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. (Jn 13,1-5)      Avant d’y réfléchir plus théologiquement, rappelons-nous à qui, dans la société juive, est dévolu ce service,  et prenons le temps d’imaginer la tête des disciples devant le geste de Jésus! Voilà que le maître vénéré, le Messie imaginé comme un chef de guerre victorieux de tous les ennemis d’Israël, prend le rôle du serviteur. Visiblement il ne se contente pas de faire de la figuration liturgique. Preuve en est la réaction de Pierre qui ne supporte pas l’idée de voir son maître s’abaisser ainsi devant lui: Toi, Seigneur, me laver les pieds! Une telle interpellation résume à elle seule le caractère scandaleux du geste de Jésus. De toutes ses forces, le disciple cherche à l’en dissuader. Ne devrait-il pas plutôt garder son rang? Une telle position est trop humiliante pour un homme tel que lui. Les repères habituels sont brouillés. Pour Pierre et de ses compagnons, la place du Messie Fils de Dieu est du côté des puissants, de ces personnes qui se font servir et non le contraire.      Jésus comprend la difficulté de son disciple. Un tel renversement de rôle est vraiment impensable à l’époque, tant il bouscule profondément l’ordre hiérarchique du monde. Alors il l’invite à la patience. Ce que je fais, tu ne peux le comprendre à présent, mais par la suite tu comprendras. Mais Pierre redouble d’indignation et refuse un tel abaissement: Me laver les pieds à moi! Jamais! La réponse de Jésus tombe alors comme le couperet: Si je ne te lave pas, tu ne peux avoir part avec moi! Le refus d’entrer dans la perspective de Jésus sépare le disciple de son maître et du bonheur de vivre en sa présence. Pierre comprend le risque de manquer quelque chose d’essentiel. Sans plus réfléchir, il se déclare prêt à se laisser laver les pieds, les mains et même la tête… Il tient de toutes ses forces à rester l’ami de Jésus, mais, de manière évidente, il ne comprend toujours pas le sens que Jésus donne à son geste. Entrons maintenant dans la signification donnée par Jésus à son geste      On le voit d’emblée : Jésus opère un changement complet de valeurs. Il n’a d’ailleurs jamais caché sa pensée. Il en a parlé plusieurs fois tout au long du chemin qu’ils ont parcouru ensemble, mais le message n’est pas encore passé. Il faut perdre sa vie, pour la gagner, disait-il, se faire le serviteur des autres, pour être grand, choisir la dernière place pour atteindre la première, devenir petit comme un enfant… Les disciples ont tous entendu ces paroles, visiblement sans trop y prêter attention. Mais lorsqu’ils voient leur Maître et Seigneur avec son linge et sa cruche pleine d’eau, ils ne comprennent plus. Cela n’est pourtant que la mise en pratique d’un des aspects les plus significatifs de son enseignement. On voit bien que, pour être comprise, la Parole doit être vécue par la personne qui la dit. Seul un témoignage vivant est crédible.      L’explication vient tout à la fin: Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous? Vous m’appelez Maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres… ce que j’ai fait pour vous, faites-le, vous aussi! Si Jean place cette scène en lieu et place du récit de l’institution eucharistique, ce n’est certainement pas sans intention. Elle symbolise à ses yeux l’attitude de Jésus qui aima les siens jusqu’à l’extrême, et résume, dans le geste accompli, toute sa vie, jusqu’au don total de lui-même dans sa passion et sa mort. Le « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le, vous aussi ! » rejoint le « Faites ceci en mémoire de moi! » qui conclut les paroles propres à chaque récit de la Cène du Seigneur. Il n’est pas impossible que l’auteur du quatrième Évangile ait déjà vu, dans certaines dérives des célébrations eucharistiques de l’époque, un aspect qu’il fallait impérativement rappeler. Le récit, qu’il fait de cet événement, place le débat sur un plan beaucoup plus concret. On ne peut célébrer le repas du Seigneur sans se mettre au service les uns des autres. Reproduire, dans une telle célébration, les rapports de domination qui existent habituellement entre les hommes, revient à trahir l’enseignement du Maître. Dieu aux pieds de l’être humain      L’image mérite toute notre attention. Dans le tableau que le récit retrace, où se trouve Dieu, le Maître et le Seigneur, tel que le nomme la communauté chrétienne?  Il se tient courbé, aux pieds des disciples, revêtu de la tenue du serviteur, dans un geste presque désespéré pour se faire connaître en vérité. Le premier refus de Pierre met en évidence le caractère scandaleux de la scène et le nécessaire travail intérieur pour parvenir à en comprendre la signification. En Jésus, Dieu le Père céleste, le Créateur du ciel et de la terre, vient s’agenouiller devant l’être humain et se met à son service. Avouez-le! Le renversement de perspective est total! Dans l’imaginaire qui est le nôtre, Dieu est assis quelque part dans un Ciel inaccessible, sur un trône d’or et entouré de toute la cour céleste, souvent indifférent à tout ce qui nous arrive. Si vous n’en êtes pas convaincus, allez regarder les peintures murales des grandes églises. Pour parler de Lui, les peintres ont puisé leur inspiration davantage du côté des cours royales de l’époque que de l’évangile du lavement des pieds. Un Dieu qui s’abaisse à ce point, quitte son trône et change de rôle, voilà qui bouscule les idées reçues et devient même dangereux dans un monde où l’ordre hiérarchique doit être scrupuleusement respecté. La grandeur s’y mesure à l’or des palais, à la somptuosité de tentures et des robes et à l’éclat des couronnes royales. Dieu aux pieds de l’humain?  Vous n’y pensez pas! C’est choquant ! Le roi des rois de la terre sans sa couronne, voilà qui est tout simplement impensable!  Et pourtant, c’est la vision que l’évangéliste nous donne à méditer, n’en déplaise à tous ceux que cela dérange et qui voudraient que Dieu reste à sa place. Essayons de retrouver la signification que le récit a pris dans l’esprit des premiers chrétiens. A l’époque où s’écrivent les évangiles, les communautés sont bousculées par divers courants de pensée et mouvements d’opinion. Le caractère scandaleux de l’abaissement de Dieu, tel qu’il apparaît dans le message évangélique, frappe tous les esprits; l’image du Messie, serviteur souffrant provoque de la répulsion. Ce n’est pas sans raison si pendant quatre siècles, on ne trouve aucune figuration du Christ en croix dans l’iconographie chrétienne! Un tel supplice est à ce point odieux qu’il ne peut être représenté. Paul en est conscient. Dans la lettre qu’il écrit, au printemps 56, à l’église de Corinthe, il décide de ne parler avec eux que le langage de la croix. En 1 Co 1, 22-24, il dit ceci : Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse; mais nous, nous prêchons un messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. On ne peut être plus clair.      La folie de Dieu révélé en Jésus, c’est son abaissement qui commence par la paille de son premier berceau, se poursuivra par toute une vie au service de ceux et celles qui entendront son appel. Elle prendra son ultime signification dans l’horreur de sa condamnation à mort et du supplice de la croix. Le chemin qu’il prend pour entrer en contact avec l’humain est celui de la kénose (Ph 2, 1-11) ou du dépouillement total de lui-même qui lui permet d’être, en contrepartie, ouverture totale à celui ou celle qui accepte de prendre son chemin. La faiblesse de Dieu est étroitement liée à la vulnérabilité de l’amour. Parce qu’il est, dans la totalité de son être, Amour, Dieu ne s’approche de l’être humain que dans l’extrême fragilité d’un amour offert gratuitement, avec la patience infinie de celui qui attend le moment favorable où il pourra le déclarer. Comme tout amour, celui de Dieu pour l’être humain est désarmé, livré sans défense à la réponse qu’il recevra, acceptation ou refus. Dieu est faible parce qu’il ne sait qu’aimer; même s’il est cloué sur une croix, il pardonne, considère que ses ennemis ne savent pas vraiment ce qu’ils font… Alors, si vous le recherchez, ne tournez pas votre regard vers les hauteurs du ciel ou la majesté des cathédrales. Vous ne l’y trouverez pas nécessairement. Il n’aime que les endroits habités par des cœurs capables d’aimer en retour. Regardez plutôt en bas, au plus profond de vous-mêmes. Il se tient là, à vos pieds, quêtant un regard, portant le fardeau que vous ne parvenez pas à déplacer, attentif à chacun de vos gestes, encore et toujours prêt à se donner à vous…      L’image est forte et prend l’exact contre-pied des rêves de grandeurs qui ont trop souvent habité l’Église au cours de son histoire. Pour Dieu et la gloire du roi ou de la cité, on a bâti des cathédrales fort belles et imposantes. Mais certaines d’entre elles regorgent d’or venu des Amériques et taché du sang des populations asservies et souvent massacrées pour assouvir la soif du pouvoir et de la domination. Comment demander aux Indiens du Mexique ou du Pérou de croire au Dieu serviteur, si l’Église se compromet avec le pouvoir qui les oppresse depuis des siècles? Comment un missionnaire venu d’Europe peut-il porter en Afrique le message d’un Dieu d’Amour, lorsqu’il vient de pays qui ont bâti leur fortune sur le commerce d’esclaves et, plus tard, sur la colonisation? Une parole d’amour portée à la pointe des fusils n’a plus aucun sens. Elle n’est plus qu’un alibi ou tout au plus une tentative de justification pour se donner bonne conscience. La relation qui s’est établie entre le christianisme et de nombreux peuples est restée, quelque part, profondément blessée par la violence des origines. Si Jésus s’installe ainsi aux pieds des plus petits et des plus pauvres, comment parler de lui autrement qu’en se mettant, à sa suite, aux pieds des plus pauvres et des miséreux que nous croisons dans tous les pays du monde?  Son chemin passe par le refus du pouvoir ou de la séduction des foules. Le signe qu’il donne nous fait comprendre sa vie et nous engage à ne jamais chercher Dieu ailleurs qu’aux pieds de chaque être humain. Cette image est toujours aussi scandaleuse et difficile à croire et à mettre en œuvre. Mais c’est bien là qu’il nous attend. Il en va de la vérité de tous nos gestes religieux. Seigneur, tu sais qu’il est choquant de te voir ainsi prendre la tenue de serviteur avec nous! Comme Pierre, j’aurais tendance à te dire de garder ton rang, de remonter sur ton trône ou de rentrer dans ton tabernacle d’or… Que ton amour accepte un tel abaissement à quelque chose d’inconcevable. Toi si proche, si disponible, entièrement donné à celui où celle qui te fera bon accueil. Un tel amour me dépasse. Je sais que jamais je ne parviendrai à en comprendre la profondeur, parce que je suis incapable d’une telle gratuité, d’un tel oubli de moi. Tout ce que je fais est travesti par mon désir de mainmise ou de pouvoir sur les gens. Apprends-moi, Seigneur, à me mettre au service de mes frères et sœurs, sans les mettre à mon service, à me donner, sans chercher à prendre, à aimer envers et contre tout, quel qu’en soit le prix. Si je n’y parviens pas du premier coup, sois patient avec moi. À ton école, je sais que j’apprendrai un jour à aimer comme toi tu nous as aimés.

Roland Bugnon