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LES PSAUMES DE PÉNITENCE

9 octobre, 2013

http://www.spiritualite-chretienne.com/misericorde/reconciliation-07.html

LES PSAUMES DE PÉNITENCE

La tradition de l’Eglise connaît six « Psaumes de pénitence » ; chacun d’eux exprime, en une prière, le processus du péché, de l’aveu et du pardon :

Ps. 6 : Seigneur, guéris-moi
          « Reviens, Yahvé, délivre mon âme,
          sauve-moi, en raison de ton amour… »
Ps. 32 (31) : j’ai confessé ma faute
          « J’ai dit : J’irai à Yahvé
          confesser mon péché… »
Ps. 38 (37) : la conversion silencieuse
          « Ma faute, oui, je la confesse,
          je suis anxieux de mon péché… »
Ps. 51 (50) : le cœur nouveau
          « Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté,
          en ta grande miséricorde efface mon péché… »
Ps. 102 (101) : le temps est court
          « Yahvé, entends ma prière,
          que mon cri vienne jusqu’à toi… »
Ps. 130 (129) : des profondeurs je crie vers Toi
          « Si tu retiens les fautes, Yahvé,
          Seigneur, qui subsistera ? »
Ps. 143 (142) : la résurrection : tu me feras vivre (v. 11-12).
          « Détruits tous les adversaires de mon âme,
          car moi je suis ton serviteur. »

Voyons deux de ces Psaumes plus en détail, qui expriment de manière pénétrante le processus du péché, de la contrition, de la confession et du pardon : les Psaumes 50 et 31.

Le constat :

Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté,
en ta grande miséricorde efface mon péché,
lave-moi tout entier de mon mal
et de ma faute purifie-moi.
Car mon péché, moi, je le connais,
ma faute est devant moi sans relâche ;
contre toi, toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Ps 51 (50), 2-6

Ote mes taches avec l’hysope, je serai pur ;
lave-moi, je serai blanc plus que neige.
Rends-moi le son de la joie et de la fête :
qu’ils dansent, les os que tu broyas !
Détourne ta face de mes fautes,
et tout mon mal, efface-le.
Ps 51 (50), 9-11

L’attente qui ronge :

Je me taisais, et mes os se consumaient
à rugir tout le jour ;
la nuit, le matin, ta main
pesait sur moi ;
mon cœur était changé en un chaume
au plein feu de l’été.
Ps 32 (31), 3-4

La contrition :

Le sacrifice à Dieu, c’est un esprit brisé ;
d’un cœur brisé, broyé, Dieu, tu n’as point de mépris.
Ps 51 (50), 19

L’aveu et le pardon :

Ma faute, je te l’ai fait connaître,
je n’ai point caché mon tort ;
j’ai dit : J’irai à Yahvé
confesser mon péché.
et toi, tu as absous mon tort,
pardonné ma faute.
Ps 32 (31), 5

La délivrance :

Tu es pour moi un refuge,
de l’angoisse tu me gardes,
de chants de délivrance tu m’entoures.
Ps 32 (31), 7

La joie du pécheur pardonné :

Heureux qui est absous de son péché,
acquitté de sa faute !
Ps 32 (31), 1

Et la joie au Ciel :

« C’est ainsi, je vous le dis, qu’il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas besoin de repentir. »
Lc 15, 7

JEAN PAUL II : LES PSAUMES DANS LA TRADITION DE L’EGLISE, Lecture: Ps 150

3 juillet, 2013

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/audiences/2001/documents/hf_jp-ii_aud_20010328_fr.html

JEAN PAUL II

AUDIENCE GÉNÉRALE

MERCREDI 28 MARS 2001

LES PSAUMES DANS LA TRADITION DE L’EGLISE

Lecture:  Ps 150

1. Dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j’ai souhaité que l’Eglise se distingue davantage dans l’ »art de la prière », en l’apprenant toujours à nouveau des lèvres du divin Maître (cf. n. 32). Cet engagement doit être vécu en particulier dans la Liturgie, source et sommet de la vie ecclésiale. Dans cette optique, il est important de réserver une plus grande attention pastorale à la promotion de la Liturgie des Heures comme prière de tout le Peuple de Dieu (cf. Ibid., n. 34). En effet, si les prêtres et les religieux ont le mandat précis de la célébrer, elle est cependant vivement recommandée également aux laïcs. C’est à cela que visait, il y a un peu plus de trente ans, mon vénéré prédécesseur Paul VI, à travers la Constitution Laudis canticum dans laquelle il déterminait le modèle en vigueur de cette prière, souhaitant que les Psaumes et les Cantiques, structure portante de la Liturgie des Heures, soient compris « avec un amour renouvelé par le Peuple de Dieu » (AAS 63 [1971], 532).
Il est encourageant de savoir que de nombreux laïcs, tant dans les paroisses que dans les groupes ecclésiaux, ont appris à la valoriser. Elle reste toutefois une prière qui suppose une formation catéchétique et biblique adaptée, afin de pouvoir l’apprécier totalement.
Dans ce but, nous commençons aujourd’hui une série de catéchèses sur les Psaumes et sur les Cantiques proposés dans la prière matinale des Laudes. Je désire, de cette façon, encourager et aider toutes les personnes présentes à prier avec les mêmes paroles utilisées par Jésus et présentes depuis des millénaires dans la prière d’Israël et dans celle de l’Eglise.
2. Nous pourrions entreprendre l’étude des Psaumes de diverses façons. La première consisterait à présenter leur structure littéraire, leurs auteurs, leur formation, les contextes dans lesquels ils sont nés. Ensuite, une lecture qui en soulignerait le caractère poétique, qui atteint parfois de très hauts niveaux d’intuition lyrique et d’expression symbolique, serait suggestive. Il serait tout aussi intéressant de reparcourir les Psaumes en considérant les divers sentiments de l’âme humaine qu’ils manifestent:  joie, reconnaissance, action de grâce, amour, tendresse, enthousiasme, mais également souffrance intense, récrimination, demande d’aide et de justice, qui débouchent parfois sur de la rage et des imprécations. Dans les Psaumes, l’être humain se retrouve entièrement lui-même.
Notre lecture cherchera surtout à faire apparaître la signification religieuse des Psaumes, en montrant comment ceux-ci, bien qu’ayant été écrits il y a de nombreux siècles par des croyants juifs, peuvent être utilisés dans la prière des disciples du Christ. Nous serons aidés en cela par les conclusions de l’exégèse, mais, dans le même temps, nous nous mettrons à l’écoute de la Tradition, en particulier nous nous placerons à l’écoute des Pères de l’Eglise.
3. Ces derniers, en effet, avec une profonde pénétration spirituelle, ont su discerner et indiquer la grande « clef » de lecture des Psaumes dans le Christ lui-même, dans la plénitude de son mystère. Les Pères en étaient tout à fait convaincus:  dans les Psaumes, il est question du Christ. En effet, Jésus ressuscité applique à lui-même les Psaumes lors-qu’il dit à ses disciples:  « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » (Lc 24, 44). Les Pères ajoutent que dans les Psaumes, on parle au Christ, ou que c’est le Christ lui-même qui parle. En affirmant cela, ils ne pensaient pas seulement à la personne individuelle de Jésus, mais au Christus totus, à tout le Christ, formé par le Christ tête et par ses membres.
C’est ainsi que naît, pour le chrétien, la possibilité de lire le Psautier à la lumière de tout le mystère du Christ. C’est précisément cette optique qui en fait également apparaître la dimension ecclésiale, qui est particulièrement mise en évidence par le chant choral des Psaumes. On comprend ainsi comment les Psaumes ont pu être utilisés, dès les premiers siècles, comme prière du Peuple de Dieu. Si, au cours de certaines périodes de l’histoire, est apparue une tendance à préférer d’autres prières, les moines ont eu le grand mérite de conserver allumée dans l’Eglise la flamme du Psautier. L’un d’eux, saint Romuald fondateur des Camaldules, à l’aube du second millénaire chrétien, arrivait à soutenir que – comme l’affirme son biographe Bruno de Querfurt – les Psaumes sont l’unique voie pour faire l’expérience d’une prière vraiment profonde:  « Una via in psalmis » (Passio sanctorum Benedicti et Johannes ac sociorum eorundem:  MPH VI, 1893, 427).
4. Avec cette affirmation, à première vue excessive, il restait en réalité ancré à la meilleure tradition des premiers siècles chrétiens, quand le Psautier était devenu le livre par excellence de la prière ecclésiale. Ce fut un choix juste face aux tendances hérétiques qui menaçaient sans cesse l’unité de foi et de communion. A ce propos, il est intéressant de mentionner une lettre merveilleuse que saint Athanase écrivit à Marcellin dans la première moitié du IVème siècle, alors que l’hérésie arienne sévissait, portant atteinte à la foi dans la divinité du Christ. Face aux hérétiques qui attiraient les gens à eux, notamment à travers des chants et des prières qui en gratifiaient les sentiments religieux, le grand Père de l’Eglise se consacra de toutes ses forces à enseigner le Psautier transmis par l’Ecriture (cf. PG 27, 12sq). Ce fut ainsi qu’au « Notre Père », la prière du Seigneur par antonomase, s’ajouta la pratique, vite devenue universelle parmi les baptisés, de la prière psalmodique.
5. Egalement grâce à la prière communautaire des Psaumes, la conscience chrétienne a rappelé et compris qu’il est impossible de s’adresser au Père qui habite dans les cieux sans une authentique communion de vie avec les frères et les soeurs qui habitent sur terre. De plus, en s’insérant de façon vitale dans la tradition de prière des juifs, les chrétiens apprirent à prier en racontant les magnalia Dei, c’est-à-dire les grandes merveilles accomplies par Dieu, que ce soit dans la création du monde et de l’humanité, ou dans l’histoire d’Israël et de l’Eglise. Cette forme de prière puisée à l’Ecriture n’exclut assurément pas des expressions plus libres, et celles-ci continueront non seulement à caractériser la prière personnelle, mais également à enrichir la prière liturgique elle-même, par exemple avec des hymnes et des tropaires. Le Livre du Psautier demeure toutefois la source idéale de la prière chrétienne, et l’Eglise continuera à s’en inspirer au cours du nouveau millénaire.

L’ARCHE DE L’ALLIANCE FAIT SON ENTRÉE À JÉRUSALEM DANS LA JOIE, LA DANSE ET… LA NUDITÉ!

18 juin, 2013

http://www.interbible.org/interBible/decouverte/insolite/2012/insolite_120217.html

LA DANSE ÉROTIQUE DU ROI DAVID

2 SAMUEL 6, 12-23

L’ARCHE DE L’ALLIANCE FAIT SON ENTRÉE À JÉRUSALEM DANS LA JOIE, LA DANSE ET… LA NUDITÉ!

On vint dire au roi David : « Le Seigneur a béni la maison de Oved-Édom et tout ce qui lui appartient à cause de l’arche de Dieu. » David partit alors et fit monter l’arche de Dieu de la maison de Oved-Édom à la Cité de David, dans la joie. Or donc, lorsque les porteurs de l’arche du Seigneur eurent fait six pas, il offrit en sacrifice un taureau et un veau gras.
David tournoyait de toutes ses forces devant le Seigneur – David était ceint d’un éphod de lin. David et toute la maison d’Israël faisaient monter l’arche du Seigneur parmi les ovations et au son du cor.
Or quand l’arche du Seigneur entra dans la Cité de David, Mikal, fille de Saül, se pencha à la fenêtre : elle vit le roi David qui sautait et tournoyait devant le Seigneur et elle le méprisa dans son cœur.
On fit entrer l’arche du Seigneur et on l’exposa à l’endroit préparé pour elle au milieu de la tente que David lui avait dressée. Et David offrit des holocaustes devant le Seigneur et des sacrifices de paix. Quand David eut fini d’offrir l’holocauste et les sacrifices de paix, il bénit le peuple au nom du Seigneur, le tout-puissant.
Puis il fit distribuer à tout le peuple, à toute la foule d’Israël, hommes et femmes, une galette, un gâteau de dattes et un gâteau de raisins secs par personne, et tout le peuple s’en alla chacun chez soi.
David rentra pour bénir sa maison. Mikal, la fille de Saül, sortit au-devant de David et lui dit : « Il s’est fait honneur aujourd’hui, le roi d’Israël, en se dénudant devant les servantes de ses esclaves comme le ferait un homme de rien! »
David dit à Mikal : « C’est devant le Seigneur, qui m’a choisi et préféré à ton père et à toute sa maison pour m’instituer comme chef sur le peuple du Seigneur, sur Israël, c’est devant le Seigneur que je m’ébattrai.
Je m’abaisserai encore plus et je m’humilierai à mes propres yeux, mais, près des servantes dont tu parles, auprès d’elles, je serai honoré. » Et Mikal, fille de Saül, n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort. (2 Samuel 6,12-23)
     Dans sa joie d’accueillir le Seigneur, David danse de toutes ses forces alors qu’il est vêtu d’un éphod de lin. Il s’agit d’un vêtement porté par les prêtres du Temple. Les opinions divergent quant à sa forme. Selon Flavius Josèphe, historien juif du Ier siècle, il s’agit d’une espèce de tunique courte, avec une ouverture au niveau de l’abdomen. On comprend que la façon de danser de David fait en sorte que le vêtement remonte un peu trop haut et que tout le monde peut voir sous sa tunique.
     Comme le montrent certains des récits insolites de la Genèse, la nudité publique n’était pas bien vue dans les temps bibliques. C’était un déshonneur de montrer certaines parties de son corps.
     La femme de David, Mikal, lui reproche une conduite qu’elle juge indigne du roi d’Israël. Mikal est à la fois la première de ses femmes et la fille du roi Saül, rival de David. Le narrateur du récit, la présente par son lien avec Saül plutôt que par son lien avec David. Elle est donc placée en opposition à David. Le récit se termine par la déclaration de la stérilité de Mikal, qui apparaît comme le symbole de la fin de la maison de Saül. La dynastie de David devient maintenant celle du Seigneur.
     Cette façon de danser, susceptible de faire entrer en transe le danseur, se retrouve dans les pratiques de certains groupes de prophètes extatiques rencontrés dans la Bible (1 S 10,5; 2 R 3,15; 1 Ch 25,3).
     Le récit a pour rôle de présenter David comme prêtre, prophète et roi. Il s’habille en prêtre, offre des sacrifices, et bénit le peuple. Il danse comme le faisaient certains prophètes. Il donne de la nourriture au peuple et il affirme que son élection provient de Dieu. Le texte n’est donc pas une simple anecdote sur la façon « libérale » de danser de David. Il vise plutôt à faire de David la personne qui, au sein du peuple, rassemble les trois pouvoirs. Lorsque ce récit est écrit, plusieurs siècles après sa mort, il sert à montrer toute l’importance de David dans l’histoire du peuple juif : le Seigneur soutient sa dynastie et pourrait même rétablir son règne d’une autre façon. C’est la forme que prendra l’espoir messianique, au retour de l’exil : Dieu suscitera un messie comme David.
     La suite du second livre de Samuel raconte la fameuse prophétie de Nathan. Le prophète révèle à David que le Seigneur établira sa dynastie pour toujours : « Devant toi, ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi. » (2 S 7,16) Notre récit insolite de la danse du roi prépare la prophétie qui redonnera espoir aux Juifs en exil, au VIe siècle av. J.-C. À partir de ce moment-là, ils attendront la venue d’un messie. Quelques siècles plus tard, des disciples de Jésus croiront que lui, le descendant de David, est le messie attendu.

La danse rituelle
     Dans le judaïsme, la danse n’est pas mal vue. L’hommage à Dieu peut prendre la forme de l’expression corporelle. On s’accorde à trouver là l’origine du balancement des juifs, au moment de la prière.
     Dans plusieurs traditions spirituelles, les danses religieuses vont de pair avec des états modifiés de conscience. La danse et la musique permettent d’entrer en contact avec l’altérité. Le battement du pied appelle les énergies et la gestuelle des bras oriente vers le ciel. L’être humain devient ainsi un pont entre le ciel et la terre.

Réflexions
     La danse fait partie encore aujourd’hui de la manière de vivre la religion juive. Elle est toujours présente dans les célébrations de mariage et de bar-mitsvah, le rite de passage qui fait entrer le jeune garçon dans l’âge adulte.
     Nous pouvons retenir de ce récit que la prière peut être corporelle et joyeuse. Nos messes catholiques n’ont pas à ressembler à des rencontres organisées par un club de l’Âge d’or. Plusieurs groupes chrétiens créent des musiques entraînantes qui vont du gospel au rock chrétien. Certains rassemblements de jeunes chrétiens évangéliques ressemblent presque à des concerts rock, où tout le monde chante et danse pendant des heures, dans un état d’ouverture à la Transcendance. Ces manifestations sont tout à l’opposée des célébrations monastiques, avec leur calme et leur silence. Il existe donc deux façons très différentes de s’ouvrir à Dieu et elles sont complémentaires. Une communauté ou une personne qui ne goûte pas l’expérience du silence passe à côté d’une source intarissable. Pourtant, si une communauté ou une personne n’exprime pas sa foi et ne la célèbre pas dans la joie, elle passe aussi à côté d’une fontaine abondante et bienfaisante.
     Peu importe la façon d’exprimer sa prière, ce qui compte, c’est la qualité de la relation avec Dieu. La disposition intérieure reste fondamentale. Dans sa prière dansée, David était authentiquement plein de joie et il ne s’arrêtait pas à ce que les autres pouvaient penser de lui.

PAR SAINT AUGUSTIN: PSAUME 7: LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST

5 juin, 2013

http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/complements/psaumessaintaugustin.htm#_Toc71884708

PAR SAINT AUGUSTIN

PSAUME 7: LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST

Ce psaume est le chant de l’âme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience silencieuse de Jésus à l’égard de Judas; et pourquoi, lui qui était juste, a voulu souffrir.
PSAUME DE DAVID QU’IL CHANTA AU SEIGNEUR, POUR LES PAROLES DE CHUSI, FILS DE GÉMINI.
1. Il est facile de connaître par l’histoire du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie. Elle nous apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs d’Absalon révolté contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à David toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui avait trahi l’amitié du père, pour soutenir de tous les conseils qu’il pourrait donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager l’histoire, moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand mystère; levons donc ce voile (II Cor. III, 16) si nous avons passé au Christ. Cherchons d’abord quel sens peuvent avoir les noms; car on n’a pas manqué d’interprètes pour les étudier, non plus à la lettre et d’une manière charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous dire que Chusi signifie Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du frère; dénominations qui ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître Judas, figuré ainsi par Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David, en effet, eut toujours des sentiments de paix pour ce fils au coeur plein d’artifices et de rébellion, ainsi qu’il a été dit au psaume troisième (Enarrat. in Ps. III, n.1). De même que dans 1’Evangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses disciples (Matt. IX, 15), nous le voyons aussi les appeler ses frères. Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet: « Allez, et annoncez à mes frères (Jean, XX, 17)». Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de tant de frères (Rom. VIII, 29). On peut donc désigner la ruine du disciple qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens que nous avons donné au nom d’Achitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne très-bien ce silence que Notre Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis, ce profond mystère qui a frappé de cécité une partie d’Israël, alors qu’ils persécutaient le Seigneur, jusqu’à ce que la multitude des nations entrât dans l’Eglise, et qu’ensuite tout Israël fût sauvé. Aussi l’Apôtre, abordant ces secrètes profondeurs, ce redoutable silence, s’écrie, comme frappé d’horreur à la vue de ces mystères: « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! combien sont impénétrables ses jugements; et ses voies incompréhensibles! qui connaît les desseins de Dieu, et qui est entré dans ses conseils (Rom. XI, 33, 34)? » L’Apôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, qu’il ne le recommande à notre admiration. C’est à la faveur de ce silence, que le Seigneur, dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues de sa providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime détestable du traître, afin que la mort d’un seul homme, que se proposait le perfide Judas, devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous les hommes.
Ce psaume est donc le chant d’une âme parfaite et déjà digne de connaître le secret de Dieu. Elle chante: « Pour les paroles de Chusi », paroles de ce silence qu’elle a mérité de connaître. C’est en effet un silence et un secret pour les infidèles et les persécuteurs du Christ; pour ceux au contraire à qui Jésus-Christ a. dit: « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître; mais je vous appellerai mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père (Jean, XV, 15) », pour (147) ces amis du Christ il n’y a plus de silence, mais les paroles du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné de pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou de la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce qu’il a fait pour eux, et pourtant « notre gauche», est-il dit, «ne doit point savoir ce que fait notre droite (Matt. VI, 3) ». L’âme parfaite, qui a compris ce secret, chante alors cette prophétie: « Pour les paroles de Chusi », ou pour la découverte de ce mystère, que Dieu, qui est la droite, lui a fait connaître par une faveur spéciale: de là vient que ce silence est appelé fils de la droite, ou Chusi, fils de Gémini.
2. « Seigneur, mon Dieu, mon espoir est en vous, sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi (Ps. VII, 2) ». Toute guerre, toute hostilité contre les vices est surmontée, et l’âme parfaite n’ayant plus à combattre que la jalousie du démon, s’écrie: «Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme un lion, il ne ravisse mon âme (Ibid. 3) ». Car saint Pierre nous dit que « le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un à dévorer (I Pierre, V, 8) ». Aussi le Prophète, après avoir dit au pluriel ! «Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent », reprend ensuite le singulier, en disant: « De peur qu’il ne ravisse mon âme, comme un lion », non pas: « Qu’ils ne ravissent», car il n’ignore pas l’ennemi qui reste à vaincre, le redoutable adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni rédempteur, ni sauveur »; c’est-à-dire, de peur qu’il ne ravisse mon âme, tandis que vous ne la rachetez et ne la sauvez point; puisqu’il nous ravit, si Dieu ne nous rachète et nous sauve.
3. Ce qui nous montre que ce langage est celui de l’âme parfaite, qui n’a plus à redouter que les piéges si artificieux du démon, c’est le verset suivant: « Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela (Ps VII, 4)». Qu’est-ce à dire: e Cela? s S’il ne nomme aucun péché, les voudrait-il désigner tous? Si nous rejetons une telle interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit; et comme si nous demandions au Prophète ce qu’il entend par « cela, istud », il nous répondra: « Si l’iniquité est dans mes mains ». Mais il nous montre qu’il entend parler de tout péché, puisqu’il dit: « Si j’ai rendu le mal pour le mal (Ps. VII, 5) », parole qui n’est vraie que dans la bouche des parfaits. Le Seigneur nous dit en effet: « Soyez parfaits, comme votre Père du ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, qui donne la pluie aux justes et aux criminels (Matt. V, 45, 48) ». Celui-là donc est parfait qui
ne rend pas le mal pour le mal. L’âme parfaite prie donc « pour les paroles de Chusi, fils de Gérnini », ou pour la connaissance de ce profond secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour nous sauver, dans sa bonté miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience les perfidies de celui qui le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait les raisons de ce silence et lui disait: « Pour toi, qui étais impie et pécheur, et pour laver dans mon sang tes iniquités, j’ai mis le plus grand silence, et une longanimité invincible à souffrir près de moi un traître; n’apprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point rendre le mal pour le mal? » Cette âme, considérant et comprenant ce que le Sauveur a fait pour elle, et s’animant par son exemple à marcher vers la perfection, dit à Dieu: « Si j’ai rendu le mal pour le mal», si je n’ai point suivi dans mes actes vos saintes leçons, « que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemis ». Il a raison de ne pas dire: « Si j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me faisaient », mais bien, «qu’ils me rendaient», puisqu’on ne peut rendre que quand on a reçu quelque chose. Or, il y a plus de patience à épargner celui qui nous rend le mal pour les bienfaits qu’il a reçus de nous, que s’il voulait nous nuire, sans nous être aucunement redevable. « Si donc j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me rendaient»; c’est-à-dire, si je ne vous ai point imité dans ce silence, ou plutôt dans cette patience dont vous avez usé à mon égard, que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemi ». Il y a une vaine jactance chez l’homme qui, tout homme qu’il est, veut se venger d’un autre. Il cherche à vaincre un adversaire, et lui-même est à l’intérieur vaincu par le démon; la joie qu’il ressent d’avoir été comme invincible, lui enlève tout mérite. Le Prophète sait donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse, et ce que nous rendra notre Père qui voit dans le secret (Id. VI, 6). Pour ne pas tirer vengeance de ceux (147) qui lui rendent le mal, il cherche à vaincre sa colère, et non son ennemi: instruit qu’il est de ces paroles de l’Ecriture: « il y a plus de gloire à vaincre sa colère, qu’à prendre une ville (Prov. XVI, 32, suiv. les LXX.) ». Si donc «j’ai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, que je tombe sans gloire sous la main de mes ennemis (Ps. VII, 5)». Il paraît en venir à l’imprécation, qui est le plus grave des serments pour tout homme qui s’écrie: « Mort à moi si je suis coupable ». Mais autre est l’imprécation dans la bouche d’un homme qui fait serment, et autre, dans le sens d’un prophète, qui annonce les malheurs dont sera infailliblement frappé l’homme qui tire vengeance du mai qu’on lui rend, mais ne les appelle ni sur lui, ni sur d’autres par ses imprécations.
4. « Que mon ennemi poursuive mon âme, et qu’il l’atteigne Id. 6) ». Il parle une seconde fois de son ennemi au singulier, et nous montre de plus en plus celui qu’il représentait but à l’heure sous l’aspect d’un lion; cet ennemi qui poursuit l’âme et s’en rend maître, s’il parvient à la séduire. Les hommes peuvent sévir jusqu’à tuer le corps, mais cette mort extérieure ne leur assujettit point notre âme, au lieu que le diable possède les âmes qu’il atteint dans ses poursuites. « Qu’il foule ma vie sur la terre », c’est-à-dire qu’il fasse de ma vie une boue qui lui serve de pâture. Car cet ennemi n’est pas seulement appelé lion, mais encore serpent; et Dieu lui a dit: «Tu mangeras la terre», quand il disait à l’homme pécheur: « Tu es terre et tu re« tourneras dans la terre (Gen. III, 14, 19) ». « Qu’il traîne ma gloire dans la poussière »; dans cette poussière que le vent soulève de la surface de la terre (Ps. I, 4): car la vaine et puérile jactance de l’orgueilleux, n’est qu’une enflure et n’a rien de solide; c’est un nuage de poussière chassé par le vent. Le Prophète veut avec raison une gloire plus solide qui ne se réduise pas en poussière, nous qui subsiste dans la conscience et devant Dieu, qui ne souffre point la jactance. « Que celui qui se glorifie», est-il dit, « ne le fasse que dans le Seigneur (I Cor. I, 31) ». Cette stabilité se réduit en poussière quand l’homme, dédaignant le secret de la conscience, où Dieu seul nous approuve, cherche les applaudissements des hommes. De là cette autre parole de l’Ecriture: « Dieu brisera les os de ceux qui veulent plaire aux hommes (Ps. LII, 6) ». Mais celui qui connaît pour l’avoir appris ou éprouvé, dans quel ordre il fait surmonter nos vices, sait bien que celui de la vaine gloire est le seul, ou du moins le plus à craindre pour les parfaits. C’est le premier ou l’âme soit tombée, c’est le dernier qu’elle peut vaincre. « Car le commencement de tout péché, c’est l’orgueil », et « le commencement de l’orgueil chez l’homme, c’est de se séparer de Dieu (Eccli. X, 14, 15)
5. « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère (Ps. VII, 7)». Comment cet homme que nous disions parfait, vient-il exciter Dieu à la colère? et la perfection ne serait-elle pas plutôt en celui qui dit: « Seigneur, ne leur imputez point ce crime (Act. VII, 59)?» Mais est-ce bien sur les hommes que tombe cette imprécation du Prophète, et ne serait-ce point contre le diable et contre ses anges qui ont en leur possession le pécheur et l’impie? C’est donc par un sentiment de pitié et non de colère, que l’on demande au Dieu qui justifie l’impie (Rom. IV, 5) d’arracher cette proie au démon. Car justifier l’impie c’est le taire passer de l’impiété à la justice, et changer cet héritage du démon en temple de Dieu. Et comme c’est châtier quelqu’un, que lui arracher une proie qu’il veut garder en son pouvoir, le Prophète appelle colère de Dieu, ce châtiment qu’il exerce contre le démon, eu lui arrachant ceux qu’il possède. « Levez-vous donc, Seigneur, dans votre colère ». « Levez-vous», montrez-vous, dit-il, expression figurée, mais ordinaire dans le langage humain, comme si Dieu dormait quand il nous dérobe ses desseins. « Signalez votre puissance dans les régions de mes ennemis».Le Prophète appelle région, ce qui est sous la puissance du démon, et il veut que Dieu y règne, c’est-à-dire qu’il y soit honoré et glorifié plutôt que noire ennemi, par la justification de l’impie, et ses chants de triomphe. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, selon la « loi que vous avez portée (Ps. VII, 7) », c’est-à-dire, montrez-vous humble, puisque vous recommandez l’humilité; accomplissez vous-même avant nous votre précepte, afin que votre exemple détruise l’orgueil, et que nous ne soyons pas au pouvoir du démon qui souffla l’orgueil contre vos préceptes, en disant: « Mangez, et vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux (Gen. III, 5)». (148)
6. « Et l’assemblée des peuples vous environnera (Ps. VII, 8) ». Cette assemblée des peuples peut s’entendre des peuples qui ont cru, ou des peuples persécuteurs, car l’humilité de notre Sauveur a obtenu ce double effet: les persécuteurs l’ont environné parce qu’ils méprisaient cette humilité, et c’est d’eux qu’il est dit: « A quoi bon ces frémissements des nations, et ces vains complots chez les peuples (Id. II, 1)? » Ceux qui ont cru en vertu de cette humilité, l’ont environné, et ont fait dire avec, beaucoup de vérité, « qu’une partie des Juifs sont tombés dans l’aveuglement, afin que la multitude des nations entrât dans l’Eglise (Rom. XI, 25)». Et ailleurs: « Demande-moi, et je te «donnerai les nations en héritage, et jusqu’aux confins de la terre pour ta possession (Ps. II, 8)». « Et en sa faveur, remontez en haut», c’est-à-dire, en faveur de cette multitude; et nous savons que le Seigneur l’a fait par sa résurrection et son ascension. Ayant obtenu cette gloire, il a donné le Saint-Esprit qui ne pouvait descendre avant que Jésus fût glorifié, selon cette parole de l’Evangile: « Le Saint-Esprit n’était point encore descendu, parce que Jésus n’était pas encore entré dans sa gloire (Rom. XI, 25) ». Donc après s’être élevé au ciel en faveur de la multitude des peuples, il envoya l’Esprit-Saint, dont les prédicateurs de l’Evangile étaient remplis, quand, à leur tour, ils remplissaient d’églises l’univers entier.
7. Ces paroles: « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, planez au-dessus des régions de mes ennemis (Ps. VII, 7) », peuvent encore s’entendre ainsi: Levez-vous dans votre colère, et que mes ennemis ne vous comprennent point, alors « exaltare, soyez au-dessus», signifierait: Elevez-vous à une telle hauteur que vous soyez incompréhensible; ce qui a rapport au silence de tout à l’heure. Un autre psaume a dit à propos de cette élévation: « Il est monté au-dessus des Chérubins, et il a « pris son vol et s’est dérobé dans les ténèbres (Id. XVII, 11, 12) ». Cette élévation vous cachait à ceux que leurs crimes empêchaient de vous connaître, et qui vous ont crucifié; et voilà que l’assemblée des fidèles vous environnera. C’est à son humilité que le Seigneur doit d’être élevé; c’est-à-dire incompris. Tel serait le sens de: « Elevez-vous selon la loi que vous avez portée (Ps. VII, 7) », c’est-à-dire, dans votre humiliation apparente soyez tellement élevé que mes ennemis ne vous comprennent point. Car les pécheurs sont les ennemis du juste, et les impies de l’homme pieux. « Et les peuples vous environneront en foule (Id. 8)»; car ce qui porte à vous crucifier ceux qui ne vous connaissent pas, fera que les nations croiront en vous, et ainsi les peuples vous adoreront en foule. Mais si tel est vraiment le sens du verset suivant, il faut plutôt nous attrister à cause de l’effet que nous en ressentons dès ici-bas, que nous réjouir de l’avoir compris. Il porte, eu effet: « Et à cause d’elle remontez en haut (Ibid.)»; c’est-à-dire, à cause de ces hommes dont la foule encombre vos églises, remontez bien haut, ou cessez d’être connu. Qu’est-ce à dire: « A cause de cette foule? » sinon, parce qu’elle doit, vous offenser, et ainsi justifier cette, parole: « Pensez-vous que le Fils de l’homme, revenant sur la terre, y trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8)? » Il est dit encore, à propos des faux prophètes ou des hérétiques: « A cause de leur iniquité, la charité se refroidira chez un grand nombre (Matt. XXIV, 12) ». Or, quand au sein de l’Eglise, ou dans la société des peuples et des nations que le nom du Christ a si complètement envahis, le crime débordera avec cette fureur que nous lui voyons en grande partie déjà, n’est-ce point alors que se fera sentir la disette de la parole, annoncée par un autre prophète (Amos, VIII, 11)? N’est-ce point à cause de cette congrégation qui, à force de crimes, éloigné de ses yeux la lumière de la vérité, que Dieu remonte en haut, de manière que la vraie foi, pure de tout alliage d’opinions perverses, ne se trouve plus nulle part, sinon dans le petit nombre dont il est dit: « bienheureux celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé (Matt. X, 22)? ». C’est donc à bon droit qu’il est dit: « Et à cause de cette assemblée, remontez en haut ». Retirez-vous dans vos secrètes profondeurs, justement à cause de cette assemblée des peuples qui portent votre nom, sans accomplir vos oeuvres.
8. Que l’on adopte la première explication, ou cette dernière, ou toute autre de valeur égale, et mémé supérieure, le Prophète n’a pas moins raison de dire que «le Seigneur juge les peuplés (Ps. VII, 9) ». Si non entend par s’élever en haut, qu’il est ressuscité pour monter (149) au ciel, on peut dire fort bien que « le Seigneur juge les peuples », puisqu’il en descendra pour juger les vivants et les morts. S’il remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait perdre aux fidèles l’intelligence de la vérité, comme il est dit à propos de son avènement: « Pensez-vous que le Fils de l’homme venant en ce monde y trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8)? » « Le Seigneur juge encore les peuples ». Mais quel Seigneur, sinon Jésus-Christ? « Car le Père ne juge personne; il a donné au Fils le pouvoir de juger (Jean, V, 22) ». Voyez alors comme cette âme si parfaite en sa prière, s’émeut peu du jour du jugement, et avec quelle sécurité de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur: «Que votre règne arrive (Matt. VI, 10 », puis: « Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice (Ps. VII, 9) ». Dans le psaume précédent, c’était un infirme qui priait, sollicitant le secours de Dieu bien plus qu’il ne faisait valoir ses propres mérites, car le Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les pécheurs (Luc, V; 32). Aussi disait-il: « Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre miséricorde (Ps. VII, 5) », et non à cause de mes mérites. Maintenant que docile à l’appel de Dieu, il a gardé les préceptes qu’il a reçus, il ose bien dire: « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et selon mon innocence d’en haut (Id. VII, 9). » La véritable innocence est de ne pas nuire, même à ses ennemis. Il peut donc demander à être jugé selon son innocence, celui qui a pu dire en toute vérité « Si j’ai tiré vengeance de celui qui me rendait le mal (Id. 5) ». Cette expression « d’en haut, super me », doit s’appliquer à sa justice aussi bien qu’à son innocence, et alors il dirait: « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon mon innocence, justice et innocence d’en haut »; expression qui nous montre que l’âme n’a point en elle-même la justice et l’innocence, et qu’elle les reçoit de la lumière dont il plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un autre psaume: « C’est vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau (Ps. XVII, 29) ». Et il est dit de Jean: « Qu’il n’était point la lumière, mais qu’il rendait témoignage à la lumière (II Jean, I, 8), qu’il était une torche enflammée et brillante (Id. V, 35) ».Cette lumière donc, à laquelle nos âmes s’illuminent comme des flambeaux, ne brille point d’un éclat d’emprunt, mais d’un éclat qui lui est propre et qui est la vérité. « Jugez-moi donc », est-il dit, « selon ma justice et selon mon innocence d’en haut », comme si la torche allumée et brillante disait: Jugez-moi selon cette splendeur d’en haut, c’est-à-dire qui n’est point moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous m’avez allumée.
9. « Que la malice des pécheurs se consomme (Ps. VII, 10) ». Cette consommation est ici le comble, d’après cette parole de l’Apocalypse: « Que celui qui est juste le devienne plus encore, et que l’homme souillé se souille davantage (Apoc. XXII, 11) ». L’iniquité paraît consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité, pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu’elle s’élève jusqu’à son comble et qu’elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit Que l’homme souillé se souille encore; mais il est dit aussi: Que le juste devienne plus juste; c’est pourquoi le Prophète poursuit en disant: « Et vous dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les cœurs et les reins (Ps. VII, 10) ». Mais comment le juste peut. il être dirigé, sinon d’une manière occulte? puisque les mêmes actions que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution, ces actions, aujourd’hui que le nom chrétien est arrivé à l’apogée de sa gloire, servent à développer l’hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu? Dans cette confusion de pratiques hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon par le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, qui voit nos pensées, désignées ici sous l’expression de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins? Le Prophète a raison d’attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les biens temporels; c’est en effet la partie inférieure de l’homme, et comme le siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères. Donc, ce Dieu qui sonde les coeurs et voit qu’ils sont (150) où est notre trésor (Matt. VI, 21), qui sonde les reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Gal. I, 16), nous mettons nos délices dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans cette conscience même, où il est présent, où l’oeil de l’homme ne pénètre point, mais seulement l’oeil de celui qui connaît l’objet de nos pensées et de nos plaisirs. Car le but de nos soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans ses pensées ne se propose que d’y parvenir. Dieu qui sonde les coeurs voit nos soucis, et il en voit le but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins; et quand il verra que nos soucis, loin de s’arrêter à la convoitise de la chair, à la convoitise des yeux, ou à l’ambition mondaine, choses qui passent comme l’ombre (I Jean, II, 16, 17), s’élèvent jusqu’aux joies éternelles que ne trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins et les coeurs conduit le juste par la voie droite, Telle oeuvre que nous faisons, peut être connue des hommes, si elle consiste en paroles ou en actes extérieurs; mais notre intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la faire, ne sont connus que de Dieu qui sonde les reins et les coeurs.
10. « J’attends un juste secours du Seigneur, qui sauve les hommes au cœur droit (Ps. VII, 11) ». La médecine a une double tâche, d’abord de guérir la maladie, ensuite de conserver la santé. C’est dans le premier but qu’un malade disait dans le psaume précédent: « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible (Id. VI, 3) ». En vue du second but, nous trouvons dans le psaume qui nous occupe: « Si l’iniquité souille mes mains, que je tombe justement sous les efforts de mes ennemis (Id. VII, 4, 5) ». Dans le premier cas, le malade implore sa guérison, et dans le second, l’homme en santé demande à n’être point malade. L’un s’écrie donc: « Sauvez-moi dans votre miséricorde (Id. VII, 5) »; et l’autre: « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice ». Le premier demande le remède qui le guérira, le second le préservatif contre la maladie. Aussi le premier dit-il: Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde, et le second: J’attends un secours juste du Seigneur, qui sauve l’homme au cœur droit. Dans l’un comme dans l’autre cas, c’est la miséricorde qui nous sauve: dans le premier, en nous faisant passer de la maladie à la santé; dans le second, en nous maintenant en santé. Il y a dans le premier un secours de miséricorde, puisqu’il n’y a nul mérite chez le pécheur qui désire seulement être justifié par la foi en celui qui justifie l’impie (Rom. IV, 5): dans le second, un secours de justice, car il est accordé à celui qui est déjà justifié. Que ce pécheur alors qui disait: Je suis infirme, dise maintenant: Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde; et que le juste qui pouvait dire: Si j’ai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, dise maintenant: J’attends un juste jugement du Seigneur qui sauve l’homme au coeur droit. Car si Dieu nous donne le remède qui guérit notre maladie, combien plus nous donnera-t-il le moyen de conserver la santé? Car si Jésus-Christ est mort pour nous quand nous étions pécheurs, maintenant que nous sommes justifiés, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère du Seigneur (Id. V, 8, 9).
11. « J’attends un juste secours du Seigneur, « qui sauve l’homme au coeur droits. Le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, donne aussi la droiture au juste; et par un juste secours il sauve ceux qui ont le coeur droit. Toutefois, il ne donne pas le salut à ceux qui ont la droiture dans le coeur et dans les reins, de la même manière qu’il sonde les reins et les coeurs. Dans le coeur, en effet, siègent les pensées: mauvaises, quand il est dépravé; bonnes, quand il est droit; mais aux reins appartiennent les plaisirs condamnables qui ont quelque chose de bas et de terrestre, tandis qu’un plaisir pur n’est plus dans les reins, mais dans le coeur. Aussi ne peut-on pas dire: La droiture des reins, comme on dit: La droiture du coeur; car où est la pensée, là aussi est la jouissance: cette droiture ne peut avoir lieu que si nous pensons aux choses divines et éternelles. Aussi le Prophète s’écriait-il: «Vous avez mis la joie dans mon coeurs, après avoir dit: « La lumière de votre face est empreinte sur nous (Ps. IV, 7) ». Ce n’est point le coeur, en effet, mais bien les reins qui trouvent une certaine jouissance dans cette joie folle et délirante que nous causent de vaines imaginations, quand les fantômes des choses temporelles, que se forme notre esprit, le bercent d’un espoir vain et passager; tous ces fantômes nous viennent d’en bas, ou des choses terrestres et charnelles. De là vient que Dieu, (151) sondant les coeurs et les reins, et voyant le coeur occupé de pensées droites, les reins sevrés de toute volupté, donne un juste secours à ce coeur droit qui sait allier à des pensées pures d’irréprochables délices. Aussi, après avoir dit dans un autre psaume: « Jusque dans la nuit mes reins m’ont tourment », le Prophète parlait du secours divin, et s’écriait: « J’avais toujours le Seigneur présent devant moi, parce qu’il est à ma droite, et je ne serai point ébranlé (Ps. XV, 7, 8) », marquant ainsi que ses reins lui ont seulement suggéré, mais non causé la volupté, qui l’eût ébranlé, s’il l’avait ressentie. Il dit donc: « Le Seigneur est à ma droite, et je ne serai point ébranlé »; puis il ajoute: « Aussi mon coeur a-t-il tressailli de joie (Id. 9) ». Les reins ont bien pu le tourmenter, mais non lui donner la joie. Ce n’est donc point dans les reins qu’il a senti la joie, mais dans ce coeur qui lui a montré que Dieu le soutiendrait contre les suggestions de ses reins.
12. « Dieu est un juge équitable, il est fort et patient (Id. VII, 12) ». Quel est ce Dieu juge, sinon le Seigneur qui juge les peuples? Il est juste, car il rendra à chacun selon ses œuvres (Matt. XVI, 27); il est fort, puisque nonobstant sa toute-puissance, il a enduré pour notre salut les persécutions des méchants; il est patient, puisqu’il n’a point livré ses bourreaux au supplice, aussitôt après sa résurrection, mais il a différé afin qu’ils pussent détester cette impiété, et se sauver; il diffère encore aujourd’hui, réservant le supplice éternel pour le dernier jugement, et chaque jour appelant les pécheurs au repentir. « Il n’appelle point chaque jour sa colère ». Cette expression: « Appeler sa colère », est plus significative que se mettre en colère, et nous la trouvons dans la version grecque (Me orge epogon); elle nous montre que cette colère, qui le porte au châtiment, n’est point en lui-même, mais dans les sentiments de ses ministres qui obéissent aux lois de la vérité: ce sont eux qui ordonnent aux ministres inférieurs, appelés anges de colère, de châtier le péché. Ceux-ci, à leur tour, éprouvent, en châtiant les hommes, la satisfaction, non de la justice, mais de la méchanceté. « Dieu donc n’appelle point chaque jour sa colère »; c’est-à-dire, ne convoque point chaque jour les ministres de ses vengeances. Maintenant, sa patience nous invite au repentir; mais au dernier jour, quand les hommes, par leur dureté et l’impénitence de leur coeur, se seront amassé un « trésor de colère pour le jour où se révélera la colère et le juste jugement de Dieu (Rom. II, 5) », alors il brandira son glaive.
13. « Si vous ne retournez à lui »,dit le Prophète, « il brandira son glaive (Ps. VII, 13) ». On peut dire de Jésus-Christ, qu’il est le glaive de Dieu, glaive à deux tranchants, framée qu’il n’a point brandie à son premier avènement, mais qu’il a tenue cachée dans le fourreau de son humilité; mais au second avènement, quand il viendra juger les vivants et les morts, les éclairs de cette framée brilleront de tout l’éclat de sa splendeur, pour illuminer les justes, et jeter les impies dans l’effroi. D’autres versions, au lieu de: « Brandira son glaive », portent: « Fera briller sa framée »: expression qui s’applique fort bien, selon moi, à cette splendeur de Jésus-Christ, au dernier avènement; car en parlant au nom de Jésus-Christ même, le psalmiste a dit ailleurs: « Seigneur, délivrez mon âme des mains de l’impie, et votre glaive des ennemis de votre puissance (Id. XVI, 13, 14) ». « Il a tendu son arc et l’a préparé ». Il ne faut point négliger ce changement de temps dans les verbes: il est dit au futur que Dieu brandira son épée»; et au passé, qu’il a tendu son arc », et le discours continue au passé.
14. « Il a mis en lui l’instrument de la mort: il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents (Id. VII, 14) ». Dans cet arc, je verrais volontiers les saintes Ecritures, où la force du Nouveau Testament, pareille à un nerf, a fait fléchir et a dompté la raideur de l’Ancien. Cet arc a lancé comme des flèches; les Apôtres ou les saints prédicateurs. Ces flèches que Dieu a fabriquées avec le charbon ardent, embrasent de l’amour divin ceux, qu’elles ont frappés. De quelle autre flèche serait blessée l’âme qui chante ainsi: « Conduisez-moi dans les lieux où se garde le vin, établissez-moi dans les parfums, environnez-moi de miel, parce que l’amour m’a blessée (Cant. II, 4, suiv. les LXX.)?» De quelle autre flèche peut être embrasé celui qui veut revenir à Dieu, qui quitte le chemin de l’exil, qui implore du secours, contre les langues menteuses, et s’entend dire: « Que vous donner? comment vous secourir (152) contre les langues menteuses? les flèches du vainqueur sont aiguës; ce sont des charbons ardents (Ps. CXIX, 3,4)? » c’est-à-dire, si vous en étiez atteint, vous brûleriez d’un tel amour du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux. qui vous résisteraient, et qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein: vous vous ririez de leurs persécutions et vous diriez: « Qui me séparera de l’amour de Jésus-Christ? L’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la persécution ou le glaive? J’ai la certitude », poursuit l’Apôtre, « que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni les vertus, ni ce qu’il y a de plus haut, ni ce qu’il y a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur (Rom. VIII, 35-39). » C’est ainsi qu’il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents. Car la version grecque porte: « Ses flèches sont fabriquées au moyen de charbons ardents », quand, presque toujours, nous lisons dans la version latine. « Ses flèches sont ardentes »; mais que les flèches brûlent, ou qu’elles allument le feu, ce qui leur serait impossible si elles n’étaient brûlantes, le sens est le même.
15. Le Prophète ne parle pas seulement de flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore d’instruments de mort et l’on peut se demander, si des instruments de mort ne désigneraient point les hérétiques, car, eux aussi, s’élancent du même arc du Seigneur, ou des saintes Ecritures, non pour enflammer les âmes, de la charité, mais pour les tuer de leurs poisons ce qui n’arrive qu’à celles qui l’ont mérité par leurs crimes: et cette décision est encore l’oeuvre de la divine Providence, non qu’elle porte les hommes au péché, mais parce qu’elle dispose des pécheurs dans l’ordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Ecritures avec mauvaise intention, et le sens dépravé qu’ils sont forcés d’y donner, devient le châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui stimule les enfants de l’Eglise catholique, les tire de l’assoupissement et leur fait comprendre les saintes Ecritures. « Il faut, en effet, qu’il y ait des hérésies », dit l’Apôtre, « afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous, dont la vertu est éprouvée (I Cor. XI, 19) »; c’est-à-dire, afin qu’on les reconnaisse parmi les hommes, car ils sont connus de Dieu. Ces flèches, ces instruments-de mort, ne seraient-ils point préparés pour l’extermination des infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas faites brûlantes, ou avec des charbons ardents, afin d’embraser les fidèles? Car elle n’est point mensongère, cette parole de l’Apôtre.: « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et aux autres une s odeur de mort pour la mort; et qui est propre à ce ministère (II Cor. II, 16)? » Il n’est donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu pour embraser les coeurs de ceux qui ont cru.
16. Après en avoir agi de la sorte, Dieu fera voir l’équité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à nous faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le châtiment dans son injustice même; et à nous prémunir contre cette pensée qu’il y aurait dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de punir les crimes: toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie même que goûtait l’homme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour le Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, « qu’il a enfanté l’injustice (Ps. VII, 15)». Mais qu’avait-il conçu pour enfanter ainsi l’injustice? « Il avait conçu le travail (Gen. III, 17) », ce travail dont il est écrit: « Tu mangeras ton pain dans le labeur »; et ailleurs: « Venez à moi, vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés; mon joug est doux, et mon fardeau léger (Matt. XI, 28, 30)». Car le labeur pénible ne finira point pour l’homme, tant qu’il n’aimera point ce qu’on ne pourra lui enlever malgré lui. En effet, tant que nous aimons ce qui peut nous échapper malgré notre volonté, nous subirons le travail et la peine: étroitement resserrés dans les difficultés de cette vie où chacun, pour posséder ces biens, s’efforce tantôt d’en prévenir un autre, tantôt de les extorquer au possesseur, nous ne pouvons les acquérir que par d’injustes combinaisons. Il est donc bien, il est parfaitement dans l’ordre que l’homme enfante l’injustice après avoir conçu le travail. Que peut-il enfanter, sinon ce qu’il a porté dans son sein, bien qu’il n’enfante (153) pas ce qu’il a conçu? Car le sujet à la naissance n’est plus celui de la conception: concevoir se dit d’un germe, mais c’est l’être que ce germe a formé, qui arrive à la naissance. Le travail est donc le germe de l’iniquité; et concevoir le travail, c’est concevoir le péché, ce premier péché qui nous sépare de Dieu (Eccli. X, 14). Il a donc porté l’injustice, celui qui avait conçu le travail, et « il a mis au monde l’iniquité ». Et comme l’iniquité c’est l’injustice, il a fait éclore ce qu’il avait porté. Que dit-il ensuite?
17. « Il a ouvert une fosse, il l’a creusée (Ps. VII, 16)». Ouvrir une fosse dans les affaires terrestres, aussi bien que dans la terre, c’est préparer un piége où puisse tomber celui que veut tromper l’homme injuste. Le pécheur ouvre cette fosse, quand il ouvre son âme aux suggestions des terrestres convoitises; il la creuse, quand il y donne son adhésion et s’occupe d’ourdir la fraude. Mais comment serait-il possible que l’iniquité blessât l’homme juste qu’elle attaque, avant d’avoir blessé le coeur injuste qui la commet? Un voleur, par exemple, reçoit de l’avarice une blessure, quand il cherche à endommager le bien d’autrui. Qui serait assez aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare ces deux hommes, dont l’un subit la perte de son argent, l’autre de son innocence? « Ce dernier donc tombera dans la fosse qu’il aura creusée »; comme le psalmiste l’a dit encore ailleurs: « Le Seigneur se fait connaître dans ses jugements, et le pécheur s’est pris lui-même dans les oeuvres de ses mains (Id. IX, 17) ».
18. « Son travail pèsera sur lui, et son iniquité retombera sur sa tête (Jean, XVIII, 34) ». C’est lui qui n’a pas voulu fuir le péché; mais il s’en est rendu volontairement l’esclave, selon cette parole du Seigneur: « Tout pécheur devient l’esclave du péché ». Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même s’est soumis au péché; dès lors qu’il n’a pu dire à Dieu, comme toute âme droite et innocente: « C’est vous qui êtes ma gloire et qui élevez ma tête (Ps. III, 4) », c’est donc lui qui sera abaissé, de manière que l’iniquité le dominera et descendra sur lui: elle sera pour lui un poids très-lourd, et l’empêchera de prendre son essor vers le repos des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand l’âme est esclave, et que les passions dominent.
19. « Je confesserai le Seigneur selon sa justice (Ps. III, 18) ». Cette confession n’est point l’aveu des pécheurs; car celui qui parle ainsi disait plus haut avec beaucoup de vérité: « Si vous trouvez l’iniquité dans mes mains (Id. VII, 18) ». C’est donc un témoignage rendu à la justice de Dieu; comme s’il disait: Vraiment, Seigneur, vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les éclairer par vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son châtiment dans sa propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession élève la gloire du Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui veulent des excuses pour leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur faute, c’est-à-dire qu’ils ne veulent point que la culpabilité soit coupable. Ils accusent de leurs péchés, ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel notre Créateur a voulu que nous pussions résister, ou même une nature qui ne viendrait point de Dieu; ils s’égarent en de misérables fluctuations, plutôt que de mériter de Dieu leur pardon par un aveu sincère. Car il n’y a de pardon possible que pour celui qui dit: J’ai péché. Or, celui qui comprend que Dieu, dans sa sagesse, rend à chacune des âmes ce qu’elle a mérité, sans déroger aucunement à la beauté de l’univers, loue Dieu dans toutes ses oeuvres; et ce témoignage ne vient pas des pécheurs, mais des justes. Ce n’est point avouer des fautes que de dire au Seigneur: « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux petits (Matt. XI, 25)». De même, nous lisons dans l’Ecclésiastique: « Confessez le Seigneur dans toutes sas oeuvres. Et voici ce que vous direz dans vos confessions: Tous les ouvrages du Seigneur proclament sa sagesse (Eccli. XXIX, 19, 20)». Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à comprendre, avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur, qui récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa justice, maintient toute créature qu’il a faite et qu’il gouverne, dans une admirable beauté, que peu d’hommes comprennent. Il s’écrie donc: « Je confesserai le Seigneur selon sa justice », comme le ferait celui qui a compris que le Seigneur n’a point fait les ténèbres, quoiqu’il en dispose avec sagesse. Dieu dit en effet: « Que la (154) lumière soit faite, et la lumière fut (Gen. I, 3) »; mais il ne dit pas: Que les ténèbres soient, et les ténèbres furent faites; et toutefois il les a réglées, puisqu’il est dit « qu’il sépara la lumière des ténèbres, qu’il donna le nom de jour à la lumière, et celui de nuit aux ténèbres (Id. 4, 5) ». Il y a donc cette différence qu’il fit l’un et le régla; et qu’il ne fit pas l’autre, bien qu’il la réglât néanmoins. Que les ténèbres figurent le péché, c’est ce que nous apprend ce mot d’un Prophète: « Et vos ténèbres seront pour vous le soleil (Isa. LVIII, 10) »; et cette parole de saint Jean: « Celui-là est dans les ténèbres qui a de la haine contre son frère (I Jean, II, 11). »; et surtout celle-ci de saint Paul: « Dépouillons-nous des oeuvres ténébreuses, pour revêtir les armes de la lumière (Rom. XIII, 12) ». Ce n’est pas qu’il y ait une nature ténébreuse; car toute nature existe nécessairement comme nature. Mais exister, c’est le propre de la lumière, tandis que ne pas exister, est le propre des ténèbres. Donc, abandonner celui qui nous a créés pour nous incliner vers ce néant d’où nous avons été tirés, c’est nous couvrir des ténèbres du péché; ce n’est point périr tout à fait, mais descendre au dernier rang. Aussi, quand le Prophète a dit: « Je confesserai devant le Seigneur » a-t-il soin d’ajouter, pour ne point nous laisser croire à un aveu de ses fautes: « Et je chanterai le nom du Seigneur Très-Haut (Ps. VII, 18) ». Or, chanter est le propre de la joie, tandis que le repentir de nos fautes accuse la douleur.

20. On pourrait appliquer ce psaume à la personne de l’Homme-Dieu, en rapportant à notre nature infirme, qu’il avait daigné revêtir, tout ce qui est dit à notre confusion.

CE JOUR QU’A FAIT LE SEIGNEUR, EXULTONS ET SOYONS DANS LA JOIE (PS 117, 24).

20 février, 2013

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ARTICLE 3 : LE TROISIÈME COMMANDEMENT

II. LE JOUR DU SEIGNEUR

CE JOUR QU’A FAIT LE SEIGNEUR, EXULTONS ET SOYONS DANS LA JOIE (PS 117, 24).

LE JOUR DE LA RÉSURRECTION : LA CRÉATION NOUVELLE
2174 Jésus est ressuscité d’entre les morts,  » le premier jour de la semaine  » (Mt 28,1 ; Mc 16,2 ; Lc 24,1 ; Jn 20,1). En tant que  » premier jour « , le jour de la Résurrection du Christ rappelle la première création. En tant que  » huitième jour  » qui suit le sabbat (cf. Mc 16,1 ; Mt 28,1) il signifie la nouvelle création inaugurée avec la Résurrection du Christ. Il est devenu pour les chrétiens le premier de tous les jours, la première de toutes les fêtes, le jour du Seigneur (Hè kuriakè hèmera, dies dominica), le  » dimanche
Nous nous assemblons tous le jour du soleil parce que c’est le premier jour [après le Sabbat juif, mais aussi le premier jour] où, Dieu tirant la matière des ténèbres, a créé le monde et que, ce même jour, Jésus Christ notre Sauveur, ressuscita d’entre les morts (S. Justin, apol. 1, 67).
LE DIMANCHE – ACCOMPLISSEMENT DU SABBAT
2175 Le Dimanche se distingue expressément du Sabbat auquel il succède chronologiquement, chaque semaine, et dont il remplace pour les chrétiens la prescription cérémonielle. Il accomplit, dans la Pâque du Christ, la vérité spirituelle du sabbat juif et annonce le repos éternel de l’homme en Dieu. Car le culte de la loi préparait le mystère du Christ, et ce qui s’y pratiquait figurait quelque trait relatif au Christ (cf. 1 Co 10, 11) :
Ceux qui vivaient selon l’ancien ordre des choses sont venus à la nouvelle espérance, n’observant plus le sabbat, mais le Jour du Seigneur, en lequel notre vie est bénie par Lui et par sa mort (S. Ignace d’Antioche, Magn. 9, 1).
2176 La célébration du dimanche observe la prescription morale naturellement inscrite au cœur de l’homme de  » rendre à Dieu un culte extérieur, visible, public et régulier sous le signe de son bienfait universel envers les hommes  » (S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 122, 4). Le culte dominical accomplit le précepte moral de l’Ancienne Alliance dont il reprend le rythme et l’esprit en célébrant chaque semaine le Créateur et le Rédempteur de son peuple.
L’EUCHARISTIE DOMINICALE
2177 La célébration dominicale du Jour et de l’Eucharistie du Seigneur est au cœur de la vie de l’Église.  » Le dimanche, où, de par la tradition apostolique, est célébré le mystère pascal, doit être observé dans l’Église tout entière comme le principal jour de fête de précepte  » (⇒ CIC, can. 1246, § 1).
 » De même, doivent être observés les jours de la Nativité de notre Seigneur Jésus Christ, de l’Epiphanie, de l’Ascension et du Très Saint Corps et Sang du Christ, le jour de Sainte Marie Mère de Dieu, de son Immaculée Conception et de son Assomption, de saint Joseph, des saints Apôtres Pierre et Paul et de tous les Saints  » (⇒ CIC, can. 1246, § 1).
2178 Cette pratique de l’assemblée chrétienne date des débuts de l’âge apostolique (cf. Ac 2,42-46 ; 1 Co 11, 17). L’épître aux Hébreux rappelle :  » Ne désertez pas votre propre assemblée comme quelques-uns ont coutume de le faire ; mais encouragez-vous mutuellement  » (He 10,25).
La tradition garde le souvenir d’une exhortation toujours actuelle :  » Venir tôt à l’Église, s’approcher du Seigneur et confesser ses péchés, se repentir dans la prière … Assister à la sainte et divine liturgie, finir sa prière et ne point partir avant le renvoi … Nous l’avons souvent dit : ce jour vous est donné pour la prière et le repos. Il est le Jour que le Seigneur a fait. En lui exultons et réjouissons-nous  » (Auteur anonyme, serm. dom.).
2179  » La paroisse est une communauté précise de fidèles qui est constituée d’une manière stable dans une Église particulière, et dont la charge pastorale est confiée au curé, comme à son pasteur propre, sous l’autorité de l’évêque diocésain  » (⇒ CIC, can. 515, § 1). Elle est le lieu où tous les fidèles peuvent être rassemblés par la célébration dominicale de l’Eucharistie. La paroisse initie le peuple chrétien à l’expression ordinaire de la vie liturgique, elle le rassemble dans cette célébration ; elle enseigne la doctrine salvifique du Christ ; elle pratique la charité du Seigneur dans des œuvres bonnes et fraternelles :                
Tu ne peux pas prier à la maison comme à l’Église, où il y a le grand nombre, où le cri est lancé à Dieu d’un seul cœur. Il y a là quelque chose de plus, l’union des esprits, l’accord des âmes, le lien de la charité, les prières des prêtres (S. Jean Chrysostome, incomprehens. 3, 6 : PG 48, 725D).
L’OBLIGATION DU DIMANCHE             
2180 Le commandement de l’Église détermine et précise la loi du Seigneur :  » Le dimanche et les autres jours de fête de précepte, les fidèles sont tenus par l’obligation de participer à la Messe  » (⇒ CIC, can. 1247).  » Satisfait au précepte de participation à la Messe, qui assiste à la Messe célébrée selon le rite catholique le jour de fête lui-même ou le soir du jour précédent  » (⇒ CIC, can. 1248, § 1).
2181 L’Eucharistie du dimanche fonde et sanctionne toute la pratique chrétienne. C’est pourquoi les fidèles sont obligés de participer à l’Eucharistie les jours de précepte, à moins d’en être excusés pour une raison sérieuse (par exemple la maladie, le soin des nourrissons) ou dispensés par leur pasteur propre (cf. ⇒ CIC, can. 1245). Ceux qui délibérément manquent à cette obligation commettent un péché grave.
2182 La participation à la célébration commune de l’Eucharistie dominicale est un témoignage d’appartenance et de fidélité au Christ et à son Église. Les fidèles attestent par là leur communion dans la foi et la charité. Ils témoignent ensemble de la sainteté de Dieu et de leur espérance du Salut. Ils se réconfortent mutuellement sous la guidance de l’Esprit Saint.
2183  » Si, faute de ministres sacrés, ou pour toute autre cause grave, la participation à la célébration eucharistique est impossible, il est vivement recommandé que les fidèles participent à la liturgie de la Parole s’il y en a une, dans l’église paroissiale ou dans un autre lieu sacré, célébrée selon les dispositions prises par l’évêque diocésain, ou bien s’adonnent à la prière durant un temps convenable, seuls ou en famille, ou, selon l’occasion, en groupe de familles  » (⇒ CIC, can. 1248, § 2).
JOUR DE GRÂCE ET DE CESSATION DU TRAVAIL
2184 Comme Dieu  » se reposa le septième jour après tout le travail qu’il avait fait  » (Gn 2, 2), la vie humaine est rythmée par le travail et le repos. L’institution du Jour du Seigneur contribue à ce que tous jouissent du temps de repos et de loisir suffisant qui leur permette de cultiver leur vie familiale, culturelle, sociale et religieuse (cf. GS 67, § 3).
2185 Pendant le dimanche et les autres jours de fête de précepte, les fidèles s’abstiendront de se livrer à des travaux ou à des activités qui empêchent le culte dû à Dieu, la joie propre au Jour du Seigneur, la pratique des œuvres de miséricorde et la détente convenable de l’esprit et du corps (cf. ⇒ CIC, can. 1247). Les nécessités familiales ou une grande utilité sociale constituent des excuses légitimes vis-à-vis du précepte du repos dominical. Les fidèles veilleront à ce que de légitimes excuses n’introduisent pas des habitudes préjudiciables à la religion, à la vie de famille et à la santé.
L’amour de la vérité cherche le saint loisir, la nécessité de l’amour accueille le juste travail (S. Augustin, civ. 19, 19).
2186 Que les chrétiens qui disposent de loisirs se rappellent leurs frères qui ont les mêmes besoins et les mêmes droits et ne peuvent se reposer à cause de la pauvreté et de la misère. Le dimanche est traditionnellement consacré par la piété chrétienne aux bonnes œuvres et aux humbles services des malades, des infirmes, des vieillards. Les chrétiens sanctifieront encore le dimanche en donnant à leur famille et à leurs proches le temps et les soins, difficiles à accorder les autres jours de la semaine. Le dimanche est un temps de réflexion, de silence, de culture et de méditation qui favorisent la croissance de la vie intérieure et chrétienne.
2187 Sanctifier les dimanches et jours de fête exige un effort commun. Chaque chrétien doit éviter d’imposer sans nécessité à autrui ce qui l’empêcherait de garder le jour du Seigneur. Quand les coutumes (sport, restaurants, etc.) et les contraintes sociales (services publics, etc.) requièrent de certains un travail dominical, chacun garde la responsabilité d’un temps suffisant de loisir. Les fidèles veilleront, avec tempérance et charité, à éviter les excès et les violences engendrées parfois par des loisirs de masse. Malgré les contraintes économiques, les pouvoirs publics veilleront à assurer aux citoyens un temps destiné au repos et au culte divin. Les employeurs ont une obligation analogue vis-à-vis de leurs employés.
2188 Dans le respect de la liberté religieuse et du bien commun de tous, les chrétiens ont à faire reconnaître les dimanches et jours de fête de l’Église comme des jours fériés légaux. Ils ont à donner à tous un exemple public de prière, de respect et de joie et à défendre leurs traditions comme une contribution précieuse à la vie spirituelle de la société humaine. Si la législation du pays ou d’autres raisons obligent à travailler le dimanche, que ce jour soit néanmoins vécu comme le jour de notre délivrance qui nous fait participer à cette  » réunion de fête « , à cette  » assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux  » (He 12,22-23).

A propos de l’espérance au temps de l’Ancien Testament

29 décembre, 2012

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A propos de l’espérance au temps de l’Ancien Testament

Au regard de l’espérance lumineuse qui fait courir les chrétiens aujourd’hui, celle des hommes de l’Ancien Testament paraît bien terne ! On peut en effet être surpris que l’auteur du livre de l’Ecclésiaste – qui se présente comme un sage sous les traits du roi Salomon –  reconnaisse avec lucidité et grande vénération que Dieu a « implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité » (Ecclésiaste 3.11, La Bible du Semeur)… avant de confesser finalement l’aspect décevant de la vie humaine qui s’achève par la vieillesse et la mort (Ecclésiaste 12.1-7, 3.19-20) !
Paradoxalement, tandis que depuis longtemps les adeptes de certaines religions polythéistes de l’ancien Orient croient fermement à la résurrection et à une vie future, les enfants d’Israël, eux, s’ouvrent en dernier à cette croyance… et semblent voués inexorablement à la désespérance quant à l’au-delà ! Ce n’est en fait que tardivement, vers la fin de l’Exil (soit entre 550 et 539 avant Jésus-Christ), qu’ils découvrent – ou redécouvrent (1) – progressivement l’idée d’éternité. Un comble pour le peuple qui deviendra celui de l’espérance ! Attardons-nous un instant sur ces questions.

Une vision d’éternité commune à tous les peuples anciens
La croyance en une « survie de l’individu » après la mort semble remonter aux origines de l’espèce humaine et de tout temps, dans toutes les civilisations, ce qui peut paraître étonnant, une grande majorité s’est ralliée à l’idée que l’homme est immortel par nature.
« Ce qui est commun aux religions, [écrit le scientifique et ancien ministre Claude Allègre] depuis celles des Sumériens ou des Égyptiens en passant par celles des Perses, des Babyloniens, des Assyriens, des Indiens ou des Chinois jusqu’à celles qui inspirent les Sepik de Nouvelle-Guinée ou les Indiens d’Amazonie, c’est qu’elles ont toutes développé le concept de dieu, de transcendance et d’au-delà, faisant toutes espérer aux meilleurs, l’immortalité (2). »
Plus de 2000 ans avant J.-C., l’Egypte pharaonique est certainement l’une des premières civilisations à s’édifier dans la perspective de l’éternité. Les Egyptiens en effet, tout en reconnaissant la brièveté du temps terrestre, croient en une autre forme d’existence. Osiris, mort et ressuscité, devenu dieu de l’au-delà, leur apporte l’assurance d’une survie éternelle.
Environ 13 siècles plus tard, sur la base d’une espérance similaire, le philosophe persan Zoroastre (fondateur du zoroastrisme, ancienne religion de la Perse) promet à ses disciples l’avènement d’un sauveur suprême, Saoshyant, qui présidera à la résurrection et à l’émergence d’une vie éternelle après la mort. Notons que le zoroastrisme, religion dualiste fondée sur la lutte permanente entre un Dieu bon (Ahura Mazdâ) et un démon (Ahriman) enseigne aussi le libre arbitre, le jugement final, l’enfer, le paradis et la victoire finale du bien sur le mal. Ce qui représente, soit dit en passant, une sorte de préfiguration du christianisme… en tout cas, une incontestable révolution religieuse au début du VIIe siècle avant J.-C. !
Curieusement donc, en ce qui concerne cette idée de survie post mortem, les Hébreux restent imperméables à toute influence, égyptienne notamment. Face à la vision d’éternité commune à beaucoup de religions antiques, ils ne se lassent pas de nourrir une vague espérance dont ils semblent se satisfaire, mais qui toutefois se précise graduellement au cours des siècles.

De l’espérance terrestre à l’espérance céleste
Ce n’est en effet qu’à l’époque de la rédaction du livre de Daniel que le peuple juif arrive enfin à croire peu à peu en la résurrection et en une vie après la mort. Durant de très nombreux siècles, étonnamment celui-ci se contente d’une espérance terrestre sans vision d’éternité, ou tout au plus d’une espérance en une survie nationale.

Tout d’abord, une espérance à courte vue
Ainsi, pendant longtemps, c’est le modèle de la rétribution – strictement terrestre – qui dicte la pensée des enfants d’Israël. Ceux-ci croient que Dieu « rétribue » ici-bas les hommes selon leurs actes, autrement dit que les justes sont récompensés par une longue vie tranquille et prospère tandis que les pécheurs sont condamnés à une vie malheureuse, courte et sans descendance… en attendant avec frayeur – justes comme pécheurs, d’ailleurs – le sort qui les attend, le sheol (3) où tous resteront abandonnés à jamais.
Mentionnons à cet égard quelques textes bibliques attestant cette espérance à courte vue : « Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans, et pour les plus robustes, à quatre-vingt ans. […] Enseigne-nous à bien compter nos jours, […] Rassasie-nous chaque matin de ta bonté, et nous serons toute notre vie dans la joie et l’allégresse. Réjouis-nous autant de jours que tu nous as humiliés, autant d’années que nous avons vu le malheur » (Psaume 90.10-15) ; « Donne-nous encore des jours comme ceux d’autrefois ! » (Lamentations 5.21) ; « Voici ce que je veux repasser en mon cœur, ce qui me donnera de l’espérance. Les bontés de l’Éternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne sont pas à leur terme » (Lamentations 3.21-22) ; « Soutiens-moi pour que je vive, tu l’as promis, ne déçois pas mon espérance » (Psaume 119.116, BFC) ; « Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de l’Eternel jusqu’à la fin de mes jours » (Psaume 23.6) ; « L’Eternel m’a châtié, mais il ne m’a pas livré à la mort » (Psaume 118.18).
Comme il se dégage de nombreux passages de l’Ancien Testament, Dieu – dans un premier temps – répond à ses enfants sans leur proposer davantage : « Je te sauverai, et tu ne tomberas pas sous l’épée, ta vie sera ton butin, parce que tu as eu confiance en moi, dit l’Éternel » (Jérémie 39.18) ; « Celui qui m’écoute […] vivra tranquille et sans craindre aucun mal » (Proverbes 1.33) ; « Il m’invoquera, et je lui répondrai. Je serai avec lui dans la détresse, je le délivrerai et je le glorifierai. Je le rassasierai de longs jours, et je lui ferai voir mon salut » (Psaume 91.15-16) ; « N’oublie pas mes enseignements, […] car ils prolongeront les jours et les années de ta vie, et ils augmenteront ta paix » (Proverbes 3.1-2) ; « Ils [les justes] ne sont pas confondus au temps du malheur, et ils sont rassasiés aux jours de la famine » (Psaume 37.19) ; « Ceux qui espèrent en l’Éternel posséderont le pays » (Psaume 37.9) ; « Aimez le Seigneur votre Dieu, obéissez-lui, restez-lui fidèlement attachés, c’est ainsi que vous pourrez vivre et passer de nombreuses années dans le pays que le Seigneur a promis de donner à vos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob » (Deutéronome 30.20, BFC)… Pour ne citer que ces versets !

L’espérance collective, une perspective nouvelle pour Israël
Bien que la croyance en la rétribution soit historiquement ancrée dans la réalité quotidienne du peuple d’Israël, certains en voyant « le bonheur des méchants » (Psaume 73.3) – ou en quelque sorte, l’inversion de cette théorie de la rétribution – ont du mal à comprendre la justice de Dieu et se mettent à réfléchir. C’est le cas du roi David (Psaume 37) et du psalmiste Asaph (Psaume 73).
Job, héros des temps anciens, fait aussi partie de ceux qui osent remettre en cause la croyance classique (Job 12.13-25). « Contre cette corrélation rigoureuse [la liaison entre la souffrance et le péché personnel], Job s’élève avec toute la force de son innocence. Il ne nie pas les rétributions terrestres, il les attend, et Dieu les lui accordera finalement […] Mais c’est pour lui un scandale qu’elles lui soient refusées présentement et il cherche en vain le sens de son épreuve. Il lutte désespérément pour retrouver Dieu qui se dérobe et qu’il persiste à croire bon (4). »
Dans l’un de ses « grands textes », il arrive finalement à la conclusion que le bien et le mal ont leur sanction outre-tombe plutôt qu’ici-bas, une avancée théologique considérable ! C’est ainsi qu’au-delà de l’espoir d’être délivré de ses maux en ce monde, il ose affirmer – certes, de façon imprécise, la traduction de ce passage reste difficile – son espérance en la résurrection : « Pour ma part, je sais que celui qui me rachète est vivant et qu’il se lèvera le dernier sur la terre. Quand ma peau aura été détruite, en personne je contemplerai Dieu. C’est lui que je contemplerai, et il me sera favorable. Mes yeux le verront, et non ceux d’un autre » (Job 19.25-27).
Pour d’autres hommes de l’Ancien Testament également confrontés à l’injustice, l’espérance individuelle se mue alors en espérance collective. Si la réussite des méchants offre un spectacle révoltant, « le Seigneur s’intéresse à la vie de ceux qui sont irréprochables, le pays dont ils sont les héritiers leur est acquis pour toujours » (Psaume 37.18, BFC). Au VIIIe siècle av. J.-C., le prophète Esaïe à même l’intuition que son peuple « ressuscitera » : « Mon peuple, tes morts reprendront vie, alors les cadavres des miens ressusciteront ! Ceux qui sont couchés en terre se réveilleront et crieront de joie » (Esaïe 26.19). Vers la même époque, Osée, un autre porte-parole de Dieu, invite Israël à se repentir et évoque l’espérance d’une rénovation nationale : « Venez, retournons à l’Eternel ! Car il a déchiré, mais il nous guérira. Il a frappé, mais il bandera nos plaies. Il nous rendra la vie […] il nous relèvera, et nous vivrons devant lui » (Osée 6.1-2).
Mais c’est en réalité la grande épreuve de la déportation à Babylone qui amène les Juifs à s’interroger sur la « juste rétribution » de Dieu. En cette période particulièrement troublée, le prophète Jérémie, toujours soucieux du bien de ses compatriotes, se demande pourquoi ceux-ci lui manifestent tant de haine : « Seigneur, tu es trop juste pour que je m’en prenne à toi. Pourtant, j’aimerais discuter de justice avec toi. Pourquoi le chemin des méchants les mène-t-il au succès ? Et ceux qui te sont infidèles, pourquoi vivent-ils tranquilles ? » (Jérémie 12.1, BFC).
« Au-delà de la ruine qu’il voit approcher pour le peuple infidèle, il [Jérémie] entrevoit une sorte de résurrection dans le cadre d’une nouvelle alliance avec Dieu [le retour des survivants d’Israël et la reconstruction de Jérusalem, chapitre 31]. Il témoigne alors de sa confiance en la victoire de Dieu par un surprenant geste d’espoir [l’acquisition d’un champ, acte symbolique, chapitre 32] (5). »
Après le châtiment, il y aura donc un rétablissement, un avenir pour le peuple de Dieu… de quoi raviver l’espérance : « Je rétablirai le peuple de Juda et le peuple d’Israël, et je les rétablirai dans leur ancienne situation » (Jérémie 33.7, BFC). « Je multiplierai les descendants de mon serviteur David […] ils seront aussi nombreux que les étoiles qu’on ne peut compter dans le ciel » (Jérémie 33.22, BFC).
Quant à Ezéchiel – en dépit des circonstances dramatiques de l’époque –, il est l’un des rares prophètes de l’Ancien Testament à proclamer aussi explicitement qu’il y a une espérance pour Israël. Ainsi, dans sa célèbre vision des ossements desséchés (Ezéchiel 37.1-14), la renaissance de la nation d’Israël s’exprime pleinement. Bien qu’il s’agisse plutôt là d’une promesse de survie collective pour le peuple d’Israël, autrement dit d’une « résurrection nationale », on peut y voir en outre l’amorce de l’idée de résurrection individuelle. Citons quelques extraits de ce passage intéressant : « Voici ce que dit le Seigneur, l’Eternel : Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu’ils revivent ! […] Je vais ouvrir vos tombes et je vous en ferai sortir, vous qui êtes mon peuple, et je vous ramènerai sur le territoire d’Israël » (Ezéchiel 37.9-12).

En route vers l’espérance céleste
En fait, le point de départ – discret – de ce lent cheminement vers le ciel peut être relevé dans le livre des Psaumes où certains versets portent en germe la notion de résurrection : « Non, Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort, tu ne permets pas que moi, ton fidèle, je m’approche de la tombe. Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie. On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi » (Psaume 16.10-11, BFC) ; « Eternel, tu as fait remonter mon âme du séjour des morts, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans la tombe » (Psaume 30.4) ; « Dieu sauvera mon âme du séjour des morts » (Psaume 49.16) ; « Ta bonté envers moi est grande, et tu délivres mon âme des profondeurs du séjour des morts » (Psaume 86.13) ; « C’est lui qui délivre ta vie de la tombe, qui te couronne de bonté et de compassion » (Psaume 103.4).
Mais c’est surtout le livre de Daniel (6) qui nous éclaire un peu plus sur l’évolution de la conception de l’au-delà chez les Juifs. C’est bien d’une résurrection personnelle suivie d’une vie éternelle que les justes hériteront : « A cette époque-là [pouvons-nous lire dans Daniel 12.1-3] se dressera Michel, le grand chef, celui qui veille sur les enfants de ton peuple. Ce sera une période de détresse telle qu’il n’y en aura pas eu de pareille depuis qu’une nation existe jusqu’à cette époque-là. A ce moment-là, ceux de ton peuple qu’on trouvera inscrits dans le livre seront sauvés. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte, pour l’horreur éternelle. Ceux qui auront été perspicaces brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigné la justice à beaucoup brilleront comme les étoiles, pour toujours et à perpétuité. »
Cependant, ce n’est vraiment qu’à partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ que l’espérance en la résurrection devient une réalité pour le peuple juif. A la mort d’Alexandre le Grand, la Palestine « passe sous l’autorité des monarchies hellénistiques, des Lagides d’Egypte d’abord, puis des Séleucides de Syrie. La politique d’hellénisation radicale instaurée par Antiochus IV Epiphane (175-164 av. J.-C.), doublée d’une intolérance agressive vis-à-vis des Juifs, suscite un grand mouvement de révolte. Ce mouvement, à la fois national et religieux, est conduit par le prêtre Mattathias et son fils Judas, dit Maccabée. […] Antiochus IV s’efforce d’imposer aux Juifs les mœurs et la religion grecques. La pratique du judaïsme devient passible de mort (7) ».
Dans ce contexte de résistance et de répression féroce – où le dogme de la rétribution ici-bas est tragiquement mis en échec –, les nombreux martyrs, fidèles à la loi de Moïse, s’interrogent sérieusement sur la justice divine. Torturés et mis à mort pour leur foi, ils finissent par croire réellement que Dieu les ressuscitera et que leur rétribution sera d’outre-tombe.
Le deuxième livre des Maccabées, probablement écrit vers 120-100 avant J.-C., décrit justement l’héroïque résistance de sept frères « Maccabées » et de leur mère (modèles des premiers martyrs juifs) qui préfèrent être torturés à mort plutôt que de toucher à la viande de porc interdite par la loi. Citons ici quelques versets de ce livre deutérocanonique de l’Ancien Testament témoignant de cette foi naissante en la résurrection :
« Au moment de rendre le dernier soupir, il [le second supplicié] dit : Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 Maccabées 7.9, TOB).
« On soumit le quatrième aux mêmes tortures cruelles. Sur le point d’expirer, il dit : Mieux vaut mourir de la main des hommes en attendant, selon les promesses faites par Dieu, d’être ressuscité par lui » (2 Maccabées 7.13-14, TOB).
« Eminemment admirable et digne d’une excellente renommée fut la mère, qui voyait mourir ses sept fils en l’espace d’un seul jour et le supportait avec sérénité, parce qu’elle mettait son espérance dans le Seigneur. Elle exhortait chacun d’eux dans la langue de ses pères. Remplie de nobles sentiments et animée d’un mâle courage, cette femme leur disait : Je ne sais pas comment vous avez apparu dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie, […] Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé l’homme à sa naissance et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il dans sa miséricorde et l’esprit et la vie, parce que vous vous sacrifiez maintenant vous-mêmes pour l’amour de ses lois » (2 Maccabées 7.20-23, TOB).
Enfin, on peut mentionner le livre de la Sagesse, autre apocryphe rédigé vers la même époque (Ier siècle avant J.-C.) dans lequel on trouve, quoique de façon larvée, le thème de la résurrection : « Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra plus. Aux yeux des insensés, ils passèrent pour morts, et leur départ sembla un désastre, […] Pourtant, ils sont dans la paix. Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité » (Sagesse 3.1-4).
Comme le remarque Jean Civelli, prêtre à Fribourg (Suisse), « cette idée d’une résurrection des morts ne devait plus s’oublier dans le judaïsme. Ce sont les Pharisiens qui la recueillirent, contrairement au parti des Sadducéens, parti des prêtres et de la noblesse du Temple de Jérusalem, qui, eux, n’acceptèrent pas ce qu’ils considéraient comme une doctrine fausse, car ils ne la trouvaient pas dans la Loi de Moïse (cf. Marc 12.18 et Actes 23.8). […] Le sceau définitif de cette foi en la résurrection sera donné par Jésus lui-même, dans sa propre résurrection (8) ».
« La croyance en la résurrection, qui va se développer dans le monde sémitique, [affirme de son côté, Marie Lucien, docteur en théologie de l'Université de Strasbourg] apparaît comme une nouveauté radicale et impressionnante […] La résurrection personnelle de chaque homme deviendra alors l’espérance commune aux trois religions monothéistes issues du monde sémitique, le judaïsme, le christianisme et l’islam (9). »
Après avoir ainsi esquissé à grands traits l’histoire de l’espérance religieuse en Israël, une question demeure cependant : pourquoi cette dernière est restée si longtemps une piètre espérance… avant que finalement le Nouveau Testament ne la porte à son plus haut degré ? A défaut de pouvoir répondre ici avec certitude à cette question, nous voulons par contre dire toute notre admiration pour les hommes de l’Ancien Testament ayant fait le bon choix de faire confiance à Dieu et de marcher avec lui en se contentant de sa faveur et de l’assurance du pardon de leurs péchés… portés seulement par l’espérance d’une longue vie prospère – ici-bas – et en dépit du système simpliste des rétributions temporelles ne fonctionnant pas toujours.
Alors que nous, croyants du XXIe siècle, pouvons nous enorgueillir de notre belle espérance solidement ancrée dans la résurrection de Jésus-Christ – ce qui ne nous laisse plus aucune excuse pour notre incrédulité –, puissions-nous également faire nôtres les propres louanges de ces héros de la foi… pourtant adressées à un Dieu qu’ils n’imaginaient pas si généreux : « Je chanterai l’Eternel tant que je vivrai, je célébrerai mon Dieu tant que j’existerai. […] Je veux me réjouir en l’Eternel » (Psaume 104.33-34).

Claude Bouchot
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1. En effet, il est raisonnable de penser qu’Adam et les premiers patriarches bénéficièrent déjà d’une révélation divine particulière concernant l’au-delà qui leur était réservé. En tout cas, l’auteur de l’épître aux Hébreux en est convaincu lorsqu’il fait l’éloge de la foi des ancêtres illustres tels qu’Abel, Hénoc, Noé et Abraham : « C’est dans la foi que tous ces hommes sont morts. Ils n’ont pas reçu les biens que Dieu avait promis, mais ils les ont vus et salués de loin. Ils ont ouvertement reconnu qu’ils étaient des étrangers et des exilés sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils recherchent une patrie. […] En réalité, ils désiraient une patrie meilleure, c’est-à-dire la patrie céleste » (Hébreux 11.13-16, BFC). Hélas, les Hébreux semblent avoir vite oublié « l’espérance de la vie éternelle, promise avant tous les siècles par le Dieu qui ne ment point » (Tite 1.2).
2. Allègre Claude, Dieu face à la science, Paris : Fayard, 1997, p. 223 (LP).
3. « Sheol est un terme hébraïque intraduisible, désignant le « séjour des morts », la « tombe commune de l’humanité », le puits, sans vraiment pouvoir statuer s’il s’agit ou non d’un au-delà. La Bible hébraïque le décrit comme une place sans confort, où tous, juste et criminel, roi et esclave, pieux et impies se retrouvent après leur mort pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière » (L’encyclopédie libre Wikipédia, Sheol, [En ligne] http://www.wikipedia.org/, consulté en décembre 2010).
4. La Bible de Jérusalem, Introduction au livre de Job, Paris : Editions du Cerf, 1981, p. 650.
5. La Bible Expliquée, Introduction au livre de Jérémie, Villiers-le-Bel : Société biblique française, 2004, p. 897-AT.
6. A noter que, presque unanimement, les théologiens libéraux contemporains mettent en doute l’authenticité historique du livre de Daniel en datant celui-ci du IIe siècle av. J.-C. seulement et en l’attribuant à un auteur inconnu, alors que la tradition juive et chrétienne – reposant à cet égard sur un solide fondement – le situait au VIe siècle avant notre ère… c’est-à-dire à l’époque où vivait justement Daniel !
7. Simon Marcel, « 2000 ans de christianisme », Vol. 1, Le monde juif, berceau du christianisme, Paris : Aufadi – S.H.C. International, 1975, p. 14, 18.
8. Civelli Jean, La résurrection des morts : et si c’était vrai ?, Saint-Maurice : Editions Saint-Augustin, 2001, p. 24-25.
9. Lucien Marie, Le message de Jésus : une spiritualité universelle inusitée, Paris : Editions L’Harmattan, 2009, p. 135-136.

L’esprit d’enfance : le Psaume 131

29 novembre, 2012

http://www.interbible.org/interBible/cithare/psaumes/2004/psa_040109.htm

L’esprit d’enfance : le Psaume 131

Seul poème, dans le livre des Psaumes, attribué à une femme. Il comporte en effet le verset « comme un petit enfant contre sa mère ». Cette image viendrait plus facilement sous la plume d’une femme qui a fait l’expérience de la maternité ou qui s’est occupé d’êtres humains dans la petite enfance. Toutes les personnes de la terre ont ressenti un jour le bien-être de l’enfant encore bébé et qui a reposé contre sa mère. Le poupon jouit alors d’un calme et d’une tranquilité qu’il ne retrouvera probablement jamais plus.

     Lisons le Psaume dans toute sa longueur (il est parmi les plus brefs de tout le livre):

Yahvé, je n’ai pas le coeur fier, ni le regard hautain.
Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent.
Non, je tiens mon âme en paix et silence;
comme un petit enfant contre sa mère,
comme un petit enfant, telle est mon âme en moi.
Mets ton espoir, Israël, en Yahvé,
dès maintenant et à jamais!
     Le titre proposé par la Bible de Jérusalem, « L’esprit d’enfance », place le Psaume à l’origine d’un grand courant de la spiritualité chrétienne. Il recèle une valorisation de l’enfant telle que Jésus l’a faite dans les évangiles. À l’époque, l’être humain, tant qu’il n’avait pas atteint l’âge d’agent productif, le service de la maison ou le travail aux champs, n’était pas digne d’intérêt. Jésus a changé cela en disant: « Si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. » (Mt 18,3) Il y a là une invitation à reconnaître que Dieu agit envers nous à la façon d’un père qui a la tendresse d’une mère.

     Thérèse de l’Enfant Jésus en a fait l’expérience, elle qui est connue pour avoir emprunté la Petite Voie : « Rester petit, c’est reconnaître son néant, attendre tout du Bon Dieu, ne pas trop s’affliger de ses fautes, ne point gagner de fortune, ne s’inquiéter de rien,… vouloir ne pas se suffire à soi-même,… se sentir incapable de gagner sa vie, la Vie éternelle… » Le psaume a de l’actualité chez les couples qui ne veulent pas d’enfant. Les époux manquent alors de confiance en l’avenir qui appartient à Dieu. L’élaboration de grands projets du lendemain qui sont exagérés et chimériques ne rend pas heureux. La confiance en Dieu, si!

Pierre Bougie, PSS
professeur au Grand séminaire de Montréal

Le corps dans l’Ancien Testament

25 octobre, 2012

http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/toussaint03/seneve001.html

Le corps dans l’Ancien Testament

Jérôme Levie

En ces temps de valorisation frénétique d’un corps jouisseur et hédoniste, aseptisé et cosmétisé, privé de toute conscience, étranger au temps, à toute émotion authentique et à Dieu, la tradition chrétienne, réputée pour son intellectualisme et son mépris du corps, a-t-elle quelque chose à nous dire ?1 Pour répondre à la question posée par ce Sénevé, tournons-nous vers les Écritures, en particulier vers l’Ancien Testament. Le langage biblique du corps, aux antipodes d’un glossaire anatomique2, place chacune des composantes dans une optique synthétique : non comme pièce d’un assemblage, mais comme un aspect de la personne par lequel l’être entier est exprimé, dans un symbolisme parfois déroutant. L’homme pense, désire, souffre, jubile, de tout son être et à travers tout son corps3. Il y a, dans la Bible chrétienne, malgré la diversité des langues et l’évolution de la foi d’Israël au cours de la Révélation, une profonde unité de langage, de système symbolique, de vision du monde. Hélas les expressions corporelles, les symboles et métaphores, sont le plus souvent occultées dans nos traductions. L’étude de l’anthropologie vétéro-testamentaire est essentielle, non seulement en vue d’une compréhension profonde des Évangiles dont on sait combien ils sont charnels, mais pour saisir à quel point et comment la vie chrétienne est enracinée dans le corps, dans la liturgie, dans les rites sacramentels, dans notre prière. Je ne signalerai pas tous les prolongements de cette vision du corps dans le Nouveau Testament et dans la liturgie chrétienne, mais bon nombre d’entre eux sauteront aux yeux de ceux qui les fréquentent un tant soit peu.

Dieu créa les humains à sa propre ressemblance. (Gn 1 27)4
Le langage biblique, et en premier lieu l’hébreu, conserve le lien entre un organe et ses fonctions5, et les prend comme symboles6 des réalités intérieures qu’ils mobilisent. Il ne nie pas la possibilité d’une duplicité de l’homme : les psaumes sont pleins de l’opposition entre les coeurs droits et unifiés et les coeurs faux. Les relations entre Dieu et l’homme sa créature étant le sujet essentiel de la Bible, chacune des réalités du corps humain (hormis les exceptions significatives de la chair et des os) est appliquée à Dieu, de qui toute
duplicité est absente. La Bible, si elle loue chacune des potentialités corporelles de l’homme, les soupçonne dès qu’elles se referment sur elles-mêmes, s’écartant de leur orientation, qui est celle de l’homme tout entier : le face-à-face avec Dieu. Ainsi, ces anthropomorphismes, justifiés par le théomorphisme initial, cohabitent sans heurts avec l’insistance biblique sur l’absolue transcendance de Dieu. La ressemblance avec Dieu se traduit par une injonction : user de notre corps, de notre être, comme Dieu le fait, malgré l’abyssale différence entre Lui et nous.

Le surnaturel est lui-même charnel.7
Pour les hébreux, le sujet n’est pas incarné, mais est charnel dès le départ. Leur anthropologie est très différente de la conception grecque de l’âme incorruptible incarnée (voire juxtaposée) dans un corps. Ce mot «corps» n’existe pas en hébreu, et n’apparaît pas dans l’Ancien Testament, sauf dans les textes sapientiaux tardifs8. Le terme basar, traduit par «chair», n’est pas restreint aux aspects matériels, ni lié au péché. La chair désigne l’individu entier (Qo 4,5 : Le sot se croise les mains, et mange sa propre chair ; Gn 6,17, où Dieu veut détruire «toute chair»). L’expression «toute chair» peut désigner l’humanité (Jl 3,1) ou toute la création animale (Gn 6,19). Cette même chair, susceptible et suspectée de péché, trouvera son accomplissement (Gn 6,13) en la gloire de Dieu : Et la gloire de l’Éternel sera révélée, et toute chair ensemble la verra. (Is 40,5, cf. la chair sainte de Jr 11,15)
L’homme… ses jours sont comme l’herbe; il fleurit comme la fleur des champs (Ps 103, 15) : les aspects désignés par la chair9 sont, outre l’homme manifesté et extériorisé, notamment dans son corps (2 R 9,36; Jb 19,26), l’homme comme créature, lié par là à l’animalité et à la terre (Ps 90), l’homme fragile et mortel (Ps 16,9; Is 40,6), impuissant (Ps 56,5 : En Dieu je me confie : je ne craindrai pas. Que me fera la chair ?), dépendant entièrement de Dieu (Jr 17,5–7; Jb 6,12; 2 Ch 32,8). La chair désigne donc le créé, étant un des rares termes anthropologiques ne s’appliquant pas à Dieu (il est appliqué aux anges en Ez 10,12; Jude 7).
Or maintenant, Éternel, tu es notre père : nous sommes l’argile, tu es celui qui nous as formés, et nous sommes tous l’ouvrage de tes mains (Is 64,7) : la chair, créée par Dieu (comme un potier : Jb 10,8; Gn 2,7; ou un tisserand : Jb 10,11), donc digne d’admiration (Qo 11,5; 2 M 7,22–23) ne véhicule pas, au départ, de connotation péjorative ni d’infériorité. Elle nous permet de nous extérioriser, de communiquer, nous fait frères (Gn 29,14; Gn 37,27) ou époux (Gn 2,23–24) et construit la communion entre nous. En la chair est inscrite l’Alliance, c’est le lieu de l’énergie sexuelle prolongeant la fécondité divine. Elle ne se limite pas au corps, ce qui serait l’«horizontaliser», la stériliser en la privant de son orientation verticale vers sa finalité divine : elle a peur, désire, se réjouit (Ps 84,2–3; Pr 4,22). Un coeur de chair, sensible et intelligent (d’une chair se reconnaissant telle, avec ses limites), comprenant et appliquant les commandements divins, est préférable à un coeur de pierre, endurci, un esprit bouché (Ez 11,19; Ez 36,26; Za 7,12).

Maudit l’homme qui se confie en l’homme, et qui fait de la chair son bras, et dont le coeur se retire de l’Éternel ! (Jr 17 5)
Les actes humains doivent exprimer l’OEuvre du Créateur, le prolonger. L’image qu’est l’homme ne pouvant subsister indépendamment de Celui qu’elle doit exprimer10, elle doit rester ouverte à Son souffle. Le mal et la souffrance physiques, ainsi que les divisions, sont, pour les Hébreux, le résultat du mal moral11 (le livre de la Genèse en est une illustration, l’homme se désolidarisant de sa femme, puis de sa parentèle), du péché de la chair se fiant à elle-même, ou à des «citernes percées» (Jr 2,13).
Plus misérable que l’argile, sa vie ! Car il a méconnu Celui qui l’a modelé, qui lui a insufflé une âme agissante et inspiré un souffle vital. (Sg 15,10–11) Le péché provient d’une «erreur de visée» de notre nature, d’une insubordination de la créature à son Créateur. La chair s’égare si elle se fie à elle-même et non à Dieu qui la maintient en vie, l’homme se perd s’il veut disposer libertairement de sa propre vie. Le péché, rejet de l’amitié, de la dépendance vitale entre Dieu et Adam le glébeux, issu de la terre mais, grâce à sa relation privilégiée à Dieu, ne s’y limitant pas12, s’exprime par une utilisation de chaque partie du corps sans référence à l’usage voulu par Dieu. Ainsi la chair signifiera parfois la chair voulue pour elle-même, poursuivant son but propre, refusant de reconnaître son caractère de dépendance vis-à-vis de Dieu, et s’opposera alors à l’esprit (Is 31,3 : Les chevaux des Égyptiens «sont chair et non esprit»).
S’abîmant ainsi dans les iniquités et les «sépulcres de la convoitise» (Nb 11,4), elle creuse la distance entre Dieu et l’homme. La chair n’est bonne qu’ordonnée à Dieu et à l’esprit, et telle est le sens de la circoncision, et de la phrase de Paul : La chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair (Ga 5,17; cf. Ga 3,3). La chair n’est chair qu’unie à l’âme, vivifiée par l’Esprit — l’hébreu ne nomme jamais «chair» un cadavre (cf. 2R 9,37).
L’idée de faire des idoles a été l’origine de la fornication, leur découverte a corrompu la vie. (Sg 14,12) La sexualité, voulue par Dieu (Gn 1,27–28; Qo 9,9)13, est inscrite comme incomplétude au creux de la chair de chacun, et liée à la fécondité de Dieu insufflant la vie. Mais un désir de possession égoïste perturbe en l’introvertissant la poussée sexuelle vers l’autre (Pr 5,18–27; Si 26,13–16). La chair est dès la création signe de l’Alliance que j’établis entre moi et toute chair qui est sur la terre (Gn 9,17), et de la promesse de fécondité faite à Abraham. L’Alliance, extériorisée par la circoncision (Gn 17), écarte l’enflure du moi pour révéler l’homme à lui-même en l’ordonnant ontologiquement à Dieu, en le faisant membre de Son peuple. Toute la vie humaine devant être reliée à Dieu, la notion de circoncision s’est élargie aux lèvres (Ex 6,30; Ha 2,15), à l’oreille (Jr 6,10) et à toute impureté (Lv 19,23; Is 52,1), à l’idolâtrie, l’infidélité (Israël est incirconcise de coeur, Jr 9,25; Jr 4,4 : Ôtez le prépuce de votre coeur), l’hypocrisie, l’orgueil (Lv 26,41). Cette tension entre les sens extérieur et intérieur de la circoncision devient paroxystique dans le Nouveau Testament (Rm 2,25).

Car mes jours s’évanouissent comme la fumée, et mes os sont brûlés comme un foyer. (Ps 102 3)
Les os signifient aussi l’humain dans son caractère dérisoire lorsque non animé par Dieu. La chair, disparaissant plus rapidement que ceux-ci après la mort, a désigné particulièrement la fragilité de la créature humaine, les os rappelant la vie durable, puis la mort définitive. Les os, symboles du cadavre et de l’état post mortem, sont revivifiés par le Souffle divin dans Ez 37. Un homme est d’autant plus vivant qu’il a de la chair autour des os (Jb 33,19–21; 7,5; 30,30); l’état de la moëlle indique l’âge de l’individu (Jb 20,11). Les os peuvent ressentir des émotions durables (Pr 14,30; 15,30; Ps 6,2; 38,4 : Point de paix dans mes os, à cause de mon péché), la honte (Pr 12,4), le trouble (Ps 6,3), la tristesse (Ps 31,10), et peuvent, métaphoriquement, se disloquer (Ps 22,15), dépérir loin de Dieu (Ps 32,3; Jb 30,30), se briser lorsqu’on attaque Dieu (Ps 42,11). Chair et os sont les conditions premières de toute vie, et le signe de reconnaissance d’un parent, d’un homme (Gn 2,21–25 : Adam reconnaît Ève; Gn 29,14 : Laban reconnaît Jacob, David et Israël se retrouvent; 2 S 5,1; 19,12–13). Ainsi le Christ ressuscité n’est pas un simple esprit, car il est de chair et d’os (Lc 24,39).
Un coeur sain est la vie de la chair, mais l’envie est la pourriture des os. (Pr 14,30) Au départ de la pensée hébraïque, la vie, bien que transcendante (Jos 9,24; Ps 34,23; 72,13–14) est liée au temps (Ps 6,6; Jb 7,10), et l’état post mortem est l’inespoir du Shéol (Qo 5,14). Néanmoins, les ossements conservent un pouvoir, une énergie vitale, et exigent un certain respect (2 S 21,12–14; 2 R 23,18; 2 R 13,20–21). L’expérience d’intimité avec l’Éternel (Ps 16,11), la confiance en Sa fidélité (Ps 16,10 : Car tu n’abandonneras pas mon âme au shéol, tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption.), amènent à espérer une vie pleine (Pr 3,18; 11,30), une résurrection14, espérance qui s’ancrera lors de la persécution d’Antioche15. La personne, donc la chair, sera restaurée en son intégralité, à l’image de la délivrance des puissances de mort, de péché, que Dieu accomplit ici-bas (Ps 13,1–5; 94,17; 103,4; Os 13,14 : Où est ta peste, ô Mort ? Où est ta contagion, ô Shéol ?).

La poussière retourne à la terre comme elle en est venue, et le souffle à Dieu qui l’a donné. (Qo 12 7)
Le mot nephesh, qui est le plus utilisé pour parler de l’âme (l’autre mot est neshamah, haleine), désigne la gorge, le lieu par excellence des échanges de nourriture et d’air. C’est le lieu du principe vital, vivifié par le souffle de Dieu. Par suite, ce mot prendra la signification de principe vital, présent en tout être vivant (Gn 1,20), et de ses fonctions — à la fois les opérations psychiques les plus basiques (se nourrir, respirer) et les opérations spirituelles les plus hautes. Parmi celles-ci, la louange s’exprime par le verbe hallelu, onomatopée désignant le bruit gazouillant obtenu en frappant les mains contre la gorge : Bénis le Seigneur, ô mon âme ! Alleluia ! (Ps 104,35) Être vivant, c’est avoir en soi le souffle (2 S 1,9), car à la mort l’âme repart (Gn 35,18; Jr 15,9). La Bible nomme la dépouille âme morte (Nb 6,6; Lv 21,11), ou simplement âme (Nb 22,4; Nb 5,2), signifiant par là qu’une âme n’est rien si elle n’est pas animée par le Souffle divin. Plus souvent Dieu reprend l’esprit (Jb 34,14; Qo 12,7), et l’âme meurt (Nb 23,10; Jg 16,30; Ez 13,19) ou «habite le silence» (Ps 94,17). Paul reprendra cette distinction, parlant des stades psychique et pneumatique16 de l’homme.
Les bonnes nouvelles d’un pays éloigné sont de l’eau fraîche pour une âme altérée. (Pr 25,25) L’âme désigne l’homme vivant (Lv 5,2; 1 R 17,21–22; Ex 21,23.24 : âme pour âme, oeil pour oeil) et sert à compter les individus (Gn 46,27; Nb 31,46; Dt 10,22). L’expression «toute âme», moins fréquente que «toute chair», désigne parfois les hommes (Ex 12,16), parfois les êtres vivants (Gn 9,10–12). Un autre aspect de l’homme (1 S 18,1–3) ou de Dieu (Am 6,8; Jr 51,14) qu’elle souligne est l’engagement profond dans le secret. Devenue spirituelle, l’âme peut toujours avoir soif (Ps 63,2), faim (Ps 107,9), être noyée (Ps 69,2); en elle se ressentent le désir sexuel (Gn 34,2–3), la soif de Dieu (Ez 22,24), la joie (Ps 86,4), l’orgueil (Ha 2,5), la tristesse (Ps 42,6). L’âme bénit (Gn 27,4; Ps 103,1), l’âme de Dieu hait le méchant (Ps 11,5), l’âme de l’homme aime et cherche Dieu (Dt 6,5).
L’âme n’est pas la source autonome de la vie, qui est l’haleine (neshamah ou ruah) insufflée de Dieu (Ps 104,29) : elle ne vit qu’unie à la chair qu’elle vivifie (du moins dans les textes anciens). C’est le coeur vivant de l’être, auquel seule la Parole a accès. L’homme n’est pas le maître de la vie : Oui, c’est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort, qui fais descendre aux portes de l’Hadès et en fais remonter. L’homme, dans sa malice, peut bien tuer, mais il ne ramène pas le souffle une fois parti, et ne libère pas l’âme que l’Hadès a reçue de Dieu. (Sg 16,13.14) L’âme est dans la main de Dieu (Sg 3,1), qui protège les justes, combat les ennemis d’Israël (1 S 25,29) et juge les âmes (Sg 12,22–23; 4,14).
L’Esprit de Dieu m’a fait, et le souffle du Tout-puissant m’a donné la vie. (Jb 33,4) Le mot ruah, vent, symbolisa vite le souffle des narines de Dieu17 (Lm 4,20; Ex 15,8–10; Ps 18,16), instrument de Sa justice (Os 13,15; 4,19), exécuteur de Ses préceptes et de Sa création (Gn 1,2; Jdt 16,14; Ps 33,6). La vigueur, la vitalité, le maintien en vie du monde en dépendent18 (Jb 34,14–15; 12,10). Ce vent peut être violence (Ez 13,13; Is 30,33) ou murmure (1 R 19,12), desséchant, fécondant ou renouvelant (Ez 37,9–10; 39,29). Il représente aussi l’esprit humain (opposé, au moins par endroits, au souffle animal), force soulevant, animant le corps par la respiration. Il vient de Dieu et y retourne (Gn 6,3; Qo 12,7), vivifie la chair inerte, lui donne une âme vivante. Il désigne l’homme en tant qu’animé par Dieu (Gn 7,22; Is 42,14), ouvert à la vie divine et à la Sagesse (Jb 32,8–9; Ps 143,10).
Et l’Esprit de Dieu vint sur les messagers de Saül, et eux aussi ils prophétisèrent. (1 S 19,20) On voit ici clairement comment l’observation de la nature rejaillit sur l’anthropologie. La ruah inspire toutes les actions humaines selon la Justice de Dieu : ainsi les prophètes sont les interprètes (au sens large) de l’esprit de Dieu (Nb 11,29; Is 61,1; Jl 3,1–2). Inséparable de l’être (chair et âme) qu’il anime, pas toujours bien distingué de l’âme, l’esprit humain, s’il peut implorer Dieu (Za 12,10), désigne au départ une vie physio-psychologique particulièrement vigoureuse (vitalité : 1 S 30,12, colère : Jg 8,3, discernement : Is 28,6, sagesse : Is 11,2). Il peut s’égarer, mentir (1 R 22,23), s’abandonner à des forces néfastes, des «esprits mauvais» (1 S 16,14–16; Jg 9,23), lorsque la conscience humaine ne s’appartient plus, dans la jalousie (Nb 5,14), la haine et l’impureté (Za 13,2), mais il peut aussi, s’il est en relation avec la ruah divine, être source de renouvellement de l’être.
J’entends le sang de ton frère dans le sol me crier vengeance. (Gn 4,10) L’origine du mot nephesh montre bien l’importance du sang. Circulant dans la gorge, il s’identifie avec l’âme de l’être vivant, la vie de sa chair (Ps 72,14; Lv 17,11 : L’âme de la chair est dans le sang, Lv 17,14). Chair et sang ensemble désignent l’homme dans sa nature terrestre, faillible (Si 14,18; Mt 16,17). Le sang étant, comme la vie, sacré, on ne peut mêler sangs animal et humain, ni ingérer du sang (Gn 9,4; Lv 7,27). Si le sang menstruel est impur, le sang du sacrifice, le sang de l’Alliance, est expiatoire, pouvant par-là même protéger.

Ma chair et mon coeur sont consumés; Dieu est le rocher de mon coeur, et mon partage pour toujours. (Ps 73 26)
Le coeur (lev, levav) est celui de nos organes que nous sentons le plus constamment. S’il est le moteur de nos mouvements (1 S 25,37–38; Ps 38,11), il désigne également, plus largement qu’en nos langages, le dedans de l’homme, son centre d’intériorité, le siège de ses sentiments (Is 65,14), sa santé (les deux étant liés en Pr 17,22 : La bonne humeur favorise la guérison, mais la tristesse fait perdre toute vitalité), de sa mémoire, de sa personnalité consciente (2 S 15,13). Le coeur de l’homme est différent du coeur de la bête (Dn 5,21; 7,4).
En outre, plus que le siège du sentiment amoureux19, le coeur est le lieu de la mise en ordre de nos sensations, de l’intelligence et de la connaissance (Dt 29,3), de la délibération avant l’action : tout sauf le symbole de l’irrationalité ! Salomon est large de coeur (1 R 4,29) par l’étendue de son savoir et de sa sagesse. Connaître au sens biblique (l’expression populaire signifie : avoir des rapports sexuels) n’est pas séparable d’aimer et de comprendre. Celui qui manque de coeur est idiot (Os 7,11) ou insensé (Pr 10,13), dit dans son coeur : Il n’y a point de Dieu (Ps 53,2). Dieu inscrit Sa Parole dans le coeur de Son peuple (Dt 6,6), qui Le suit en confiance. Et c’est dans un tel coeur que Marie conserve les paroles de son fils (Lc 2,51).

Sagesse et connaissances humaines ne sont rien devant Dieu (Is 44,25). Le psalmiste demande un coeur propre, c’est-à-dire une conscience pure (Ps 51,12). Un coeur endurci demande une conversion, une circoncision qui est re-création à l’image du coeur de Dieu, Alliance renouvelée (Jr 31,33; 32,39; Dt 30,6; Is 65–66; Ez 18,31)
Le coeur de Dieu souffre et se réjouit avec nous (Os 11,8). C’est avec son coeur que l’on cherche Dieu (Dt 4,29) ou retourne à Lui (Jr 24,7), qu’on L’aime (Dt 6,5) et Lui est fidèle (1 S 7,3). Par Son coeur il connaît nos coeurs, id est nos projets, décisions, idées, souvenirs : Moi, l’Éternel, je sonde le coeur, j’éprouve les reins. (Jr 17,10) On ne peut cacher l’intérieur de notre coeur à Dieu, et nos hypocrisies éclatent au grand jour (Am 5,21; Ps 78,36–39).
Mes entrailles ! mes entrailles ! je suis dans la douleur ! Les parois de mon coeur ! (Jr 4 19)
Pour les Hébreux, conscients des connections psychosomatiques, les paroles et les actes extérieurs ont des effets sur le corps jusqu’au creux des entrailles (Pr 18,8). Le foie, de l’homme ou de Dieu, souffre de la destruction du peuple (Lm 2,11), est transpercé par la fornication comme d’une flèche (Pr 7,23), ou se réjouit : Mes entrailles jubilent. (Ps 16,9)
Les reins désignent la puissance procréatrice (2 S 7,12; Ps 132,11), la vigueur physique en général (1 R 12,10) et la source des passions les plus fortes (Ps 38,8 : Mes reins sont pleins de fièvre; 1 M 2,24; Na 2,11) : la joie (Pr 23,15–16), le désir (Jb 15,17; 16,12–13 je me tourmentais dans mes reins), l’indignation (Ps 73,21). Comme le foie (mais plus fréquemment cités), ils sont le lieu des blessures sentimentales. Là règne la sécheresse de l’amour perverti, ou l’ardeur de la fécondité; c’est le symbole de la descendance future et du développement de la personnalité : Car tu as possédé mes reins, tu m’as tissé dans le ventre de ma mère. (Ps 139,13) L’homme a beau vouloir cacher ses sentiments, à cette région lombaire des desseins cachés (Jr 11,20) qu’Il a lui-même tissée, Dieu, qui «sonde les reins et les coeurs», a également accès20. La puissance de Dieu sur nos projets (Ps 69,23), nos actions, notre descendance, est ainsi rappelée. Ceindre ses reins d’homme ou de femme, c’est s’ordonner au service fidèle de Dieu (Ex 12,11; Pr 31,17; Is 11,5 : La justice sera la ceinture de ses reins, et la fidélité, la ceinture de ses flancs.)
Une femme oubliera-t-elle son nourrisson, pour ne pas avoir compassion du fruit de son ventre ? Même celles-là oublieront; mais moi, je ne t’oublierai pas. (Is 49,15) Le mot rahamim, désignant la compassion, la générosité, fréquemment attribuées à Dieu, dont les entrailles peuvent s’émouvoir (Is 63,15; 54,8; Ps 116,5; 77,9.10; Dt 13,18; Jr 31,20; Os 11,8), découle de rehem, utérus, ventre. La demande d’un enfant était une des plus pressantes adressées à Dieu, seul capable de l’exaucer (1 S 1,10–13; Gn 30,1–2; Dt 34,4 : Je le donnerai à ta semence.), Lui qui nous connaît dès avant notre conception (Jr 1,5; Ps 22,9–10). Malgré l’impureté rituelle de la femme menstruée, décrétée en Lv 15,19–21 (impureté comparée au péché d’Israël en Ez 36,16–17), le ventre fécond d’une femme, qui n’appartient qu’à Dieu, est une promesse, et une poitrine pleine (Is 66,11; Ps 131,2; Os 9,4 a contrario) annonce abondance et rédemption. Lorsque Salomon attribue (1 R 3) une moitié d’enfant à chacune des deux prétendues mères, la vraie mère est celle qui manifeste de la compassion21. Si la sympathie, l’empathie, ont dans l’esprit hébreu une origine féminine privilégiée, les hommes peuvent aussi l’éprouver (Gn 45,2). Par cette relation sémantique, l’aspect maternel de Dieu (pour son peuple) est souligné (Os 11; Jr 21,4–7).
L’esprit de l’homme est une lampe de l’Éternel; il sonde toutes les profondeurs du coeur. (Pr 20,27) Toutes ces entrailles, avec le coeur, symboles de la réactivité psychosomatique de l’homme, sont connues (donc visitées) par Dieu. Elles sont l’espace intérieur où nous digérons nos sensations et prenons nos décisions22, le for intérieur d’où nous louons Dieu : Que mon âme bénisse l’Éternel, et tout ce qui est au dedans de moi, son saint nom ! (Ps 103,1)

Fais luire ta face sur ton serviteur; sauve-moi par ta bonté. (Ps 31 16)
Au Proche-Orient, le crâne était enterré à part23, la tête était (comme la main et l’organe sexuel) un trophée de guerre. Chez les Hébreux, la tête, comme pars pro toto, représente la personne entière. Vulnérable, elle exige respect et vénération : les têtes de rois ou de prophètes sont ointes ou couronnées (1 S 10,1; Jb 19,9), et la Bible dénonce ceux qui mésusent de leur puissance (Ps 147,10; Is 9,3–5; Jdt 9,11–14) et exploitent les pauvres parce qu’ils écrasent la tête des faibles sur la poussière de la terre (Am 2,7).
Parmi les éléments de la tête, la face exprime la personnalité en contact, en relation, le partage des états d’âme s’y inscrivant (la honte : Ps 44,16; 69,7.8; la vie : Pr 16,15). D’aucuns refusent de voir la réalité en tournant la tête vers le mur (1 R 21,4; 2 R 20,1–2; Is 38,2); de même après le meurtre d’Abel, Caïn fuit la face de Dieu (Gn 4,4–6). S’incliner face contre terre est la réaction normale face à Dieu (Jg 13,20; 1 R 18,39); cracher à la figure d’une personne est la marque suprême du mépris (Nb 12,14; Dt 25,9; Jb 30,10). Le face-à-face est le lieu de la communication la plus intime, d’où l’aspiration cultuelle à voir la face de Dieu (Ps 17,15), symbolisant Sa présence (Ex 34,28–35), ce qui fut, après Jacob (Gn 32,22–32) et Moïse (Ex 33,11), réservé au temple (2 S 21,1). Dieu détourne Sa face du péché d’Israël (Dt 31,17; Jb 13,24; Ps 51,11–12), et ne montre l’éclat stellaire de Son visage, la «lumière de Sa face», qu’à ceux qu’Il aime (Nb 6,22–27; Ps 4,7; 44,4; 67,2).
Mais ils refusèrent d’être attentifs, et opposèrent une épaule revêche, et appesantirent leurs oreilles pour ne pas entendre. (Za 7,11)24 Le front, au centre de la tête, symbolise l’affirmation de soi (Ez 3,7–9), et le port de tête les diverses attitudes de l’homme. La nuque, comme le front et l’épaule, peut être souple, montrant l’humilité, haute, exprimant la fierté (Is 3,16–24), ou raide, montrant l’entêtement (Ex 32,9; Is 48,4; Jg 2,19), ployée sous un joug (Jos 10,24; Jr 27–28).
Le nez perçoit les odeurs, agréables (Ct 7,14) ou non (Am 4,10); les narines sont le lieu du souffle divin maintenant la vie. En outre, un nez fort symbolise la décision, un nez haut l’arrogance, un nez enflammé la rage (Jb 32,2–3) ou la colère divine (Jr 21,5), attribut très masculin de Dieu, qu’on essaye de calmer avec de saintes odeurs.
Tu pris ta croissance, et tu devins grande, et tu parvins au comble de la beauté; tes seins se formèrent, et ta chevelure se développa (Ez 16,7) : les cheveux représentent le dynamisme et la vitalité25 (Ct 6,5; 4,1; 2 S 10,4; Nb 6; Jg 13–16 : Samson), pour les femmes l’érotisme. Les coiffures, différentes d’un peuple à un autre, étaient réglementées26, ainsi que l’hygiène capillaire, pour tout Israélite, spécialement les prêtres et guérisseurs (Lv 19,27–28; Jr 9,25; Lv 13,40–44; Ez 44,20). Un des voeux des nazirs, consacrés à Dieu, était de se laisser croître les cheveux (Nb 6,5; Jb 16,17).

Ils se baisèrent l’un l’autre et pleurèrent l’un avec l’autre, jusqu’à ce que les pleurs de David devinssent excessifs. (1 S 20 41)
Avec la bouche, nous communiquons avec le monde, par l’ingestion de nourriture, et avec nos semblables, par le rire, le baiser (amoureux Ct 1,2 ou familial, pour se saluer : Gn 29,13; Rt 1,9–14; Ex 18,7, sceller un héritage : Gn 33,4; 48,10), contact intime et transparent27 (Gn 29,11), provoquant les larmes, ce «sang de l’oeil»28, et le langage. Mais le baiser, célébré par la Bible, peut être signe de défaite ou d’hypocrisie (Pr 27,6).
J’ai ouvert ma bouche, et j’ai soupiré; car j’ai un ardent désir de tes commandements. (Ps 119,131) L’ingestion de nourriture est positive, car nécessaire à la vie. Mais la manne (Ex 16,31) acquiert vite un sens spirituel (Dt 8,3) signifiant la Loi, la Parole. Mais une bouche avide (Is 3,14) montre une cupidité malsaine.
Les ouvriers d’iniquité parlent paix avec leur prochain tandis que la méchanceté est dans leur coeur. (Ps 28,3) La Bible ne cesse de nous exhorter à mesurer nos paroles, expressions privilégiées de notre intelligence, de notre sagesse. Le langage, privilège de l’homme, instrument de domination (Pr 18,21), doit, via les lèvres, la bouche et la langue (comme d’ailleurs nos actes et notre visage), exprimer à Dieu et à notre semblable les sentiments de notre coeur (Pr 16,23). Sinon, non seulement l’homme est divisé, mais son coeur lui-même l’est (Ps 12,3). Seuls les coeurs unifiés sont heureux (Si 27,23) : rien de pire que la duplicité et le mensonge (Ex 23,1; Jr 9,3). La Bible vilipende la parole d’iniquité (Ps 36,3.4), fausse, perverse, flatteuse (Pr 26,28), violente, proférant des malédictions (Ps 10,7), faisant du gosier un «sépulcre du mensonge» (Ps 5,10), souillant l’homme (Si 20,24–26), brisant jusqu’à son esprit et sa santé (Pr 12,18; 10,11; 15,4). Jésus, traitant les pharisiens d’hypocrites, de langues de vipères, reprend cette tradition (Mt 12,34–37). Aimé de Dieu (Pr 12,22) le juste dont la parole est sagesse, pesée, maîtrisée, informée et judicieuse (Pr 10,20; 20,15; 12,19; 17,27; 29,20; Jc 1,26.27). Cette parole vraie, qui est d’argent, est comparée à la beauté des lèvres, dents et joues, célébrée en Ct 4,2–3 : Celui qui répond des paroles justes donne un baiser aux lèvres. (Pr 24,26)
Pour ne point être avides ou contraires à l’Éternel (Is 3,12), les lèvres doivent être suspendues aux lèvres de Dieu, idéal de sincérité, écouter l’incomparable Parole de Dieu (Ps 12,7), agissante et percutante comme nulle autre (Is 55,8–11; Ps 33,6; Jr 23,29), pour obtenir la grâce de simplicité, et La reproduire (Ps 119,43), malgré leur radicale impureté (Ex 6,12).
Que toute chair fasse silence devant l’Éternel, car il s’est réveillé de sa demeure sainte. (Za 2,13) Les lèvres doivent être ouvertes pour exprimer le fond du coeur, aussi dans le Nouveau Testament (Mc 7,32–35), et si, plutôt qu’une logorrhée injuriant l’Éternel29, le silence peut être sagesse (Jb 13,5; Lm 3,26), il peut aussi révéler une incapacité de répondre à Dieu, de le louer (Ps 38,14–15; Is 56,10). Mais «l’Éternel ouvrira les yeux des aveugles» (Ps 146,8), alors leur bouche «annonce [sa] louange» (Ps 51,16) et «la langue du muet chantera de joie» (Is 35,5; voir aussi 32,3.4 et Ps 88,11; Jb 8,21).

Voici, tu es belle, mon amie; voici, tu es belle ! Tes yeux sont des colombes derrière ton voile. (Ct 4 1)
Ici l’hébreu insiste, non sur l’aspect extérieur de l’organe, mais sur le dynamisme de la fonction. Les yeux ne sont pas passifs, ils envoient des messages (Ct 4,9), ont un éclat30 qui est le rayonnement de la personne (Ps 38,10; Gn 29,16–18 : Rachel et Léa; 1 S 16,12 : David). Il s’ensuit que Dieu, s’il «voit tout ce qu’Il a créé» (Gn 1,31), a certes un regard pénétrant, mais plutôt compatissant (Ex 3,7; Jb 36,5–7) et secourant31 que surplombant (voir cependant Am 9,3–8). Rappelons que le sens de la prohibition des images (Ex 20,4–5; Dt 5,8–9) est de protéger Israël de la dépendance aux faux dieux, aux réalités écartant d’une vie pleine. Si, on le verra, le sens auditif n’est pas peu important, les yeux de l’homme cherchent Dieu et implorent son secours (Ps 121,1), et voir Dieu reste la fin suprême : Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant mon oeil t’a vu. (Jb 42,5)
Souviens-toi que c’est mal d’avoir un oeil avide. (Si 31,13) Voir, surtout pour les prophètes, signifie connaître, comprendre et expérimenter substantiellement. On comprend alors l’importance des paroles de Siméon : mes yeux ont vu ton salut (Lc 2,30) et de Pierre en 2 P 1,16. Dans l’Ancien Testament, et davantage encore dans le Nouveau, il y a ceux qui voient et écoutent (id est qui comprennent en leur coeur et se convertissent) et ceux qui ne voient ni n’écoutent (Is 6,9–10; Ez 12,2–3; Mc 4,11–12). C’est là tout le sens de la pédagogie des paraboles de Jésus et de ses guérisons d’aveugles et de sourds32 annoncées par Isaïe. Cependant, sur fond de peur du «mauvais oeil» (Pr 28,22 : L’homme qui a l’oeil mauvais se hâte pour avoir des richesses), la sagesse biblique critique le regard idolâtre et avide (trouvant son prolongement en Mt 5,29) : l’homme est en danger s’il s’attache aux choses vues (Jb 31,7 : si mon coeur a suivi mes yeux) et les désire avidement. Comme la véritable écoute, le regard véritable n’est pas qu’extérieur (Is 32,3–4).

Donne donc à ton serviteur un coeur qui écoute, pour juger ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal. (1 R 3 9)
C’est en «écoutant», c’est à dire en apprenant et en expérimentant, que Salomon s’attire la faveur divine de vivre longtemps, et écrit «ses» proverbes (Pr 1,1–6). Ils nous poussent à écouter (donc à suivre) les enseignements de nos parents et de Dieu (Pr 23,22; 22,17) — sinon la peine capitale est au bout du chemin (Dt 21,18–21). Israël est vu comme une communauté à l’écoute amoureuse de Dieu (Dt 6,4–9), c’est le Shema Israël. C’est cette écoute que désire Dieu, non des sacrifices : Tu ne veux ni sacrifices ni offrandes, mais tu m’as donné une oreille ouverte. (Ps 40,7; cf. 1 S 15,21.22) Dans la bouche de ceux qui L’écoutent, dont Il ouvre lui-même les oreilles, Il mettra Sa propre Parole, et ils interpréteront Ses signes (Is 40,4–5), comme Moïse et Aaron (Ex 4,10–16; Dt 32,1–2). Comme le regard, l’audition entre Dieu et Son peuple est une relation intime33 : ainsi Dieu, au contraire des idoles (Ps 115,6; 135,17; 1 R 18,27), écoute les cris et les suppliques des affligés (Ex 2,23–24; 22,22–23; Ps 34,16; 116,1–2), exauce les demandes de descendance (Gn 16,11; 1 S 1,20) — mais ce que Dieu entend peut aussi réveiller sa colère (Nb 11,1). Cette théologie liant écoute, réflexion (Pr 18,13 : fous ceux qui parlent avant d’écouter), ouverture à la foi et actes droits, est sous-jacente aux guérisons de sourds par Jésus (Lc 8,21; Mc 7,32–35; 4,14–20; cf. Jc 1,22–25).

Si l’Éternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent y travaillent en vain. (Ps 127 1)
Les bras et la main (un même mot en sémitique primitif), sont le signe de l’action humaine. Le langage des mains est complexe et varié : on peut taper des mains pour applaudir (2 R 11,12), encourager (Is 55,12; Ps 98,4), ou pour rejeter, s’écarter d’un malheureux, d’un disgrâcié (Jb 27,23; Ez 21,17; 25,6; 6,11)34. Le travail de nos mains sera béni ou non (Dt 14,29), suivant notre attitude vis-à-vis de Dieu; s’il n’est pas relié à notre «coeur», donc à notre intelligence, et à Dieu, ce travail est aliéné (Gn 31,42) et inutile.
J’ai mis Yahvé devant moi sans relâche; puisqu’il est à ma droite, je ne bronche pas. (Ps 16,8) La main gauche, qui porte l’iniquité (Ez 4,4) et est subalterne (Gn 48,13–20), est nettement différenciée de la droite (seule utilisée pour les gestes sacrificiels), qui est droiture et puissance. Si Dieu a deux mains, il n’a qu’une main droite (Is 63,12), Sa puissance, Sa solidité, qui est la nôtre quand Il nous protège. Le doigt de Dieu est sa trace, sa signature (Ex 8,18), sa volonté et son action (Ex 31,18; Dt 10,2), par laquelle Jésus chassera les démons. Le bras des rois, symbole de leur puissance via le sceptre (Jg 5,14; Est 4,11; 5,2), peut être brisé (Ez 30,21–25; Jr 48,17), le bras de Dieu seul ayant la vraie puissance (Is 59,16; 62,8). Dieu seul peut nous aider (Dt 4,34.35; 7,19), «à main forte et à bras étendu». Tu ouvres ta main, et tu rassasies à souhait tout ce qui vit (Ps 104,28) : potier et tisserand, Dieu tire de Sa main toute vie, de Sa main généreuse offre les moissons, rend le bétail fécond. C’est donc en Ses mains que l’on se remet en toute confiance, à l’heure de la mort ou de la détresse (Ps 31,6).

Ta parole est une lampe à mon pied, et une lumière à mon sentier.
(Ps 119 105)
L’hébreu n’a qu’un mot, regel, pour les pieds, les jambes et les genoux (et parfois, l’entrejambe35). Jambes et genoux représentent la force de réalisation de l’homme, son lien à la terre et à l’animalité36 (Ps 147,10). Fléchir le genou est un signe37 d’infériorité, de soumission (Is 45,23), mais également de sainteté. L’agenouillement dans la prière marque l’imploration muette, la supplication profonde. Les pieds nous lient à la terre, avec eux nous nous tenons debout et nous marchons. Avec la démarche (Pr 30,29; Sg 14,11 : les idoles sont «un piège pour les pieds des insensés»), ils symbolisent notre personnalité dans sa solidité et ses fondements. Le boiteux est vu comme très fragile (2 S 9,13; 1 R 15,23), et chacun se doit de l’assister, d’«être ses pieds» (Jb 29,15) — comme du reste le sourd et l’aveugle. Signalons qu’a contrario, ceux qui courent trop vite sont mal vus, soupçonnés d’espionnage (1 S 26,4; 2 S 15,10.11), sauf le messager du salut (Is 52,7). Les pieds d’une femme, en particulier d’une vierge, sont adulés (Ct 7,1.2; Ez 16,10; Jdt 10,4; 16,9), et incarnent sa fierté, son pas altier.
Siège à ma droite, avant que je ne fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. (Ps 110,1) Cette expression (cf. Ps 18,37–39) sera fréquemment appliquée à Jésus (Mc 12,36; Ac 2,35). Indiquant la suprématie, elle est appliquée à Dieu (Ps 99,5; Is 66,1), ou à l’homme, pour indiquer sa prépondérance au sein de la création (Ps 8,6.7) ou sur la terre que Dieu lui donne (Gn 13,17)38. Par suite, l’humiliation suprême, à ne faire quasiment que devant Dieu ou ses envoyés (Ps 2,12; 99,5; 132,7; 2 R 4,27.37; exception: 1 S 25,23), est la prostration aux pieds de quelqu’un. Enlever ses sandales et aller pied nu est un signe d’impuissance (2 S 15,30; Is 20,2–4), de honte (associé au crachat à la figure en Dt 25,9–10); en outre, les sandales, liées à la terre, sont impures par excellence (Ex 3,5), et enlever celles d’autrui était une des plus basses tâches (de même pour laver les pieds, ce qui se faisait cependant aussi entre amis).

Par l’Esprit Saint il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme…39
Voilà donc la culture à travers laquelle Dieu S’est révélé, dans laquelle il Lui a plu d’Incarner Son Fils. Il me semble que sa vue unifiée de l’homme, sa juste appréciation de ce qu’est la chair, fragile mais capable de déification, la rendait particulièrement propice à saisir le mystère glorieux qu’est l’Incarnation. Outre une vision renouvelée, réconciliée, de notre propre corps, l’Ancien Testament, toujours orienté sur les rapports entre l’homme et Dieu, nous apprend que l’ensemble de notre être, chacune de nos fonctions physiologiques, psychologiques et spirituelles, est créé à l’image de Dieu, à laquelle nous sommes invités à nous conformer. À travers Son visage, Son regard, Son bras, Son souffle, Dieu y apparaît parfois ferme, voire violent, parfois tendre et aimant, aspects mystérieusement réconciliés en la Justice parfaite du Père. Par ses retournements successifs, sa relation à la fois respectueuse et suspecte vis-à-vis, non tant des réalités corporelles, mais de nos fonctions de créatures, enfin par sa conscience aiguë de l’unité pneumato-psycho-somatique de l’homme, la sagesse biblique, que j’ai tenté d’esquisser, a je crois beaucoup à apporter à notre monde actuel.

J.L.


DOSSIER : « Le couple dans l’Ancien Testament » : Création et fécondité (Gn 1–2)

12 septembre, 2012

http://www.bible-service.net/site/1385.html

DOSSIER : « Le couple dans l’Ancien Testament »
par Bertrand Pinçon

Création et fécondité (Gn 1–2)

« Au commencement… » Les premières pages du livre de la Genèse évoquent un temps mythique, le temps d’avant l’histoire. Pourtant, rien de comparable avec ce qui se dit et s’écrit en Mésopotamie ou en Égypte. Le Dieu Un organise, sans violence autre que la force de sa parole, un espace où il place l’être humain. La relation homme/femme se détache sur cet horizon ; elle est au centre de l’ordre du monde. Au début du livre de la Genèse, deux récits « de création », celui des sept jours (Gn 1,1 – 2,4a) et celui du jardin (Gn 2,4b-25), décrivent, chacun selon son projet théologique, une relation de couple voulue par le Créateur et destinée à être féconde.
Contrairement aux récits mythologiques, le premier récit (Gn 1) fait coïncider l’histoire universelle avec le commencement du monde. On le dit de tradition sacerdotale, inspiré par l’exil à Babylone (VIe s. av. J.-C.), s’opposant résolument aux récits concernant Enki, Mardouk et autres dieux. Il n’y a pas d’histoire de la divinité avant l’histoire de l’humanité. « Au commencement », il n’y a que Élohim (Dieu) et la terre informe, « tohu-bohu ». Le monde des humains n’est pas le fruit d’un accouplement divin mais le résultat d’une création par séparation des éléments du cosmos. Il existe en vertu de la parole performative du Créateur : « Il dit… et [cela] fut ».
Le Dieu créateur de la Genèse est aussi le Dieu libérateur de l’Exode. Celui qui se fera connaître comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est celui qui se révélera à Moïse comme Yhwh (le Seigneur), c’est-à-dire le Dieu d’Israël, dans une relation d’alliance. Le deuxième récit (Gn 2), qui est peut-être plus ancien que le premier et en tout cas proche d’un milieu sapiential, le suggère en « rétroprojetant » le tétragramme Yhwh (nom propre du Dieu d’Israël) accolé au nom commun d’Élohim : Yhwh-Élohim (le Seigneur-Dieu).
Sixième jour : l’être humain sexué (1,26-28)
Dans le premier récit, au cours des cinq premiers jours de la création, une régularité s’instaure au moyen d’une formule introductive (« Dieu dit : “Que…” ») et d’une conclusion (« Dieu vit que cela était bon » et « Il y eut un soir, il y eut un matin : jour premier,… deuxième jour, […] …cinquième jour »).
En revanche, le sixième jour n’entre pas dans la somme des jours précédents. En effet, la formule introductive est au pluriel (« Dieu dit : “Faisons…” », v. 26), et le refrain conclusif est plus développé (« Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà : c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour », v. 31).
Par ailleurs, entre le projet divin et son exécution, trois différences se font clairement entendre :
– D’un pluriel « faisons » (v. 26), nous passons à un singulier « Dieu créa » (v. 27).
– De l’expression « image et ressemblance » (v. 26) ne sera retenue que l’» image » seule (v. 27).
– À cela s’ajoute l’instauration d’une différence sexuelle (v. 28) qui, on l’apprendra plus tard, met l’humain à égalité avec les animaux (voir Gn 6,19). Pour autant, cette différence sexuelle est au service d’une fécondité objet d’une vocation (v. 28), laquelle sera renouvelée après le déluge (Gn 9,1-7).
Finalement, tout se passe comme si l’humain était placé dans une situation médiane entre divinité et animalité : de Dieu, il partage l’« image », mais avec les animaux il a en commun la sexualité. C’est ce que suggère le changement de pronom en Gn 1,27 : « Dieu créa l’humain à son image / à l’image de Dieu il le créa / mâle et femelle, il les créa. » À l’image de Dieu, l’humain, masculin et féminin, est un (« il le créa »), mais pour être fécond, il doit être pluriel (« il les créa »). Par conséquent, l’adam est tout autant singulier que pluriel. Là réside le défi de sa fécondité créatrice, celle qu’il aura vocation à humaniser.
À peine l’humanité est-elle créée que Dieu bénit adam et la première parole qu’il lui adresse révèle sa vocation : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1,28).
Être fécond, multiplier, emplir la terre. Cette invitation adressée à l’homme et à la femme est semblable à celle donnée, le cinquième jour, aux animaux qui nagent dans les eaux ou volent dans le ciel (v. 22). La fécondité et la prolifération font partie de l’identité de tout être vivant. Cela est donné par Dieu en bénédiction.
Soumettre la terre, dominer les animaux. La précision est d’importance : la fécondité humaine – et elle seule – va de pair avec un pouvoir confié, lequel s’exerce au besoin par la force, selon un vocabulaire typiquement guerrier. En effet, la racine hébraïque kabash signifie : « réduire en esclavage », « soumettre », « exploiter » (Jr 34,11-16 ; Ne 5,5 ; au passif, voir Nb 32,22.29 ; Jos 18,1). Or, cette suprématie est aussitôt corrigée par le don d’une nourriture végétale (v. 29). Ce type d’alimentation implique une appréhension paisible des choses de la terre, une limitation de la violence et donc un frein dans la domination sur les autres vivants. Maîtriser son pouvoir en le limitant, telle est la mission confiée par Dieu au partenaire humain de la création.

Le couple créé pour l’unité (2,18-25)
Le second récit, celui du jardin, commence par faire état d’un double manque : un manque d’eau pour la terre, un manque d’humain pour la cultiver (Gn 2,4b-7).
Le Seigneur-Dieu y remédie en modelant l’humain (adam) avec la poussière du sol et en plaçant un fleuve pour arroser le jardin. Cependant, la création de l’humain n’est pas encore entièrement achevée. À partir du v. 18, un troisième manque apparaît ; il concerne non plus la terre mais adam : la solitude. Ce manque est constaté par le personnage divin, ce qui lui confère une certaine gravité : « Le Seigneur-Dieu dit : “Il n’est pas bon que l’adam soit seul…”. » Dans une lecture canonique qui prend en compte l’articulation des deux récits de création, il est à noter que ce manque vise non pas l’« homme » en particulier, mais l’être humain en général, l’adam créé sexué (1,27). La différence sexuelle, porteuse de tant de promesses, peut également être source d’une profonde solitude. L’être humain sexué est donc appelé à avoir des relations justes, mais avec qui ? Deux cas de figures sont présentés par le récit :
• Une altérité inadéquate (v. 18-20). Elle vient du monde extérieur à l’adam. Le modelage qui se réalise s’apparente à celui de l’adam mais sans lui être tout à fait identique puisqu’il se fait à partir de adamah (« le sol ») et non de ‘aphar adamah (« la poussière du sol »). En outre, il n’est pas assorti, comme pour l’humain, d’une « haleine de vie » (v. 7). Les animaux sont proches de l’humain sans pour autant être animés par un principe vital et relationnel susceptible de combler sa solitude.
• Une altérité réussie (v. 21-24). Elle résulte d’une nouvelle action divine provenant de l’intérieur de l’adam. C’est de l’adam (et non de l’adamah) que sort celle qui sera son égal, en face de lui. La réalisation est décrite sous les traits d’une opération chirurgicale : « Le Seigneur-Dieu fit tomber une torpeur sur l’adam et il s’endormit. Il prit un de ses côtés et il referma la chair à sa place » (v. 21). C’est dire que l’action divine échappe entièrement à la connaissance humaine. Le conjoint, devant soi, sera toujours un mystère. Bien que partenaire du plus intime de sa vie, on ne parviendra jamais à le saisir entièrement. Un nouveau mot de vocabulaire illustre le rapport de face à face : « Le Seigneur-Dieu bâtit le côté qu’il avait pris de l’adam en une femme (’ishshah) et il l’amena vers l’adam » (v. 22). Ainsi, le féminin apparaît-il à côté du masculin. Pour combler le manque initial (la solitude), le Seigneur-Dieu ajoute un autre manque : la perte d’une part de soi, de son intégrité corporelle. Mais, de cette humanité soustraite, naît un couple dans lequel l’autre est reçu comme un don.
Alors l’humain devient un sujet de parole : « Et l’adam dit : “Celle-ci, cette fois, os de mes os, chair de ma chair ; celle-ci sera appelée femme (’ishshah) car d’un homme (’îsh) elle a été prise, celle-ci !” » (v. 23). Pour la première fois, l’adam s’exprime : il sort de lui-même pour reconnaître sa partenaire. Cette reconnaissance le fait littéralement « ex-ister ». Mais, dans son cri, l’adam estompe la relation de vis-à-vis ; il insiste plus sur les ressemblances que sur les différences : « os/os ; chair/chair » (cf. Laban et Jacob en Gn 29,14 ; Joseph et ses frères en 37,27). L’adam ne nomme pas formellement la femme comme il l’a fait pour les animaux. Le rapport est autre. Il la reçoit comme un don qui lui permet de briser l’isolement et vivre une rencontre. L’appellation joue sur les mots : ’îsh/’ishshah (à la fois ressemblance et dissemblance). En nommant sa partenaire ’ishshah, l’adam se désigne lui-même d’un nom nouveau : ’îsh, et, par conséquent, trouve comment désigner la juste relation qu’il entretient avec la femme.
À cela s’ajoute une parole de type prophétique : « C’est pourquoi l’homme (’îsh) quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme (’ishshah) et ils deviennent une chair une » (v. 24). Cette parole ne peut évidemment concerner le premier couple de la Bible (qui n’a pas de parents) mais tous les humains à venir.
Pour devenir ’îsh, l’adam doit se séparer de son père et de sa mère, comme ’ishshah a été séparée de l’adam. Toute relation nouvelle exige, au préalable, une prise de distance qui porte l’homme et la femme l’un vers l’autre en vue de devenir « chair une (ehad) » (et non pas « une seule chair » selon la traduction habituelle). Dans la tradition d’Israël, la chair désigne l’être humain tout entier. Et le ehad renvoie à l’acte créateur du « jour premier » ou « jour un » (yôm ehad, Gn 1,5). Par ailleurs, il renvoie au Dieu Un de la prière du Shema Israël (Dt 6,4) : le Seigneur est Un en lui-même, non parce qu’unique mais unifié. Pour être « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1,26-27), la relation de couple est appelée à s’unifier : non à s’aliéner l’un par l’autre au point de fusionner dans un tout mais à exister l’un pour l’autre. C’est la raison pour laquelle la nudité n’est pas encore vécue comme une situation de honte (v. 25). Elle va rapidement le devenir.

Bertrand Pinçon, Cahier Évangile n° 158 (décembre 2011) p. 10-14.

PREMIERE LECTURE – Isaïe 35, 4-7a – commentaires de Marie Noëlle Thabut

7 septembre, 2012

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

Dimanche 9 septembre : commentaires de Marie Noëlle Thabut

PREMIERE LECTURE – Isaïe 35, 4-7a

4 Dites aux gens qui s’affolent :
« Prenez courage, ne craignez pas.
Voici votre Dieu :
c’est la vengeance qui vient,
la revanche de Dieu.
Il vient lui-même
et va vous sauver. »
5 Alors s’ouvriront les yeux des aveugles
et les oreilles des sourds.
6 Alors le boiteux bondira comme un cerf
et la bouche du muet criera de joie.
L’eau jaillira dans le désert,
des torrents dans les terres arides.
7 Le pays torride se changera en lac ;
la terre de la soif, en eaux jaillissantes.
A l’écoute de ce texte, deux mots nous ont surpris, peut-être, ou même choqués : la vengeance de Dieu et la revanche de Dieu : « Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu ». Disons-le tout de suite, ils n’ont pas du tout le même sens ici que dans notre langage courant du vingt-et-unième siècle !
Pour les comprendre , il faut les replacer dans leur contexte : je vous lis la phrase en entier : « Prenez courage, ne craignez pas : Voici votre Dieu, c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver » ; ce qui veut dire que la revanche de Dieu, c’est de nous sauver. Pour bien faire, il faudrait écrire : « Voici la revanche de Dieu : (« deux points ») il vient lui-même et va vous sauver », on devrait même dire « voici la revanche de Dieu : (« deux points ») il vient lui-même pour vous sauver ».
Et tout le reste du texte, ce sont des promesses : promesses de guérison, de rétablissement pour les aveugles, les sourds, les muets, les boiteux… « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds, alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »
Promesses, surtout, de retour au pays pour les exilés : les versets suivants que nous ne lisons pas ce dimanche viennent éclairer le contexte : « Ils reviendront, les captifs rachetés (c’est-à-dire « libérés ») par le SEIGNEUR, ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie, un bonheur sans fin illuminera leur visage ; allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront. » Effectivement, quand Isaïe prononce ces paroles, le peuple d’Israël est en exil à Babylone, après avoir vécu les atrocités du siège de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor.
Cinquante années d’exil, de quoi perdre courage. Ce n’est pas par hasard qu’Isaïe leur dit « Dites aux gens qui s’affolent : Prenez courage, ne craignez pas ».
Cinquante ans pendant lesquels on a rêvé de ce retour, sans oser y croire. Et voilà que le prophète dit « c’est pour bientôt » ; pour rentrer au pays, le chemin le plus direct entre Babylone et Jérusalem traverse le désert d’Arabie ; mais cette traversée du désert, Isaïe la décrit comme une véritable marche triomphale… mieux, une procession grandiose : le désert se réjouira, le pays aride exultera et criera de joie, il « jubilera » dit même le texte hébreu dans les versets qui précèdent le passage que nous lisons aujourd’hui ; ici, il insiste : « L’eau jaillira dans le désert, des torrents dans les terres arides. Le pays torride se changera en lac ; la terre de la soif, en eaux jaillissantes. » Il faut entendre la résonance de telles paroles dans un pays de sécheresse et de soif !
Et c’est cela la vengeance de Dieu ! Les assoiffés seront désaltérés ; mieux encore, les humiliés pourront relever la tête ! « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »
C’est donc un sens extrêmement positif du mot « vengeance » ; pour l’homme de la Bible, il est bien clair que Dieu ne se venge pas de nous, il ne prend pas sa revanche contre nous, mais contre le mal qui nous atteint, qui nous abîme ; sa revanche c’est de nous rendre notre dignité. C’est cela la gloire de Dieu.
Mais il faut bien dire qu’on n’a pas toujours pensé comme cela ! Le texte d’Isaïe est assez tardif dans l’histoire biblique ; il a fallu tout un long chemin de révélation pour en arriver là. Au début de son histoire, le peuple de la Bible était comme tous les autres : il imaginait un Dieu à l’image de l’homme, un Dieu qui se venge comme les humains. Puis, au fur et à mesure de la Révélation, grâce à la prédication des prophètes, on a commencé à découvrir Dieu tel qu’il est, et non pas tel qu’on l’imaginait ; alors le mot « vengeance » est resté mais son sens a complètement changé ; nous avons déjà vu plusieurs fois dans la Bible ce phénomène de retournement complet du sens d’un mot : c’est le cas pour le sacrifice, par exemple, et aussi pour la crainte de Dieu.
Il a fallu bien des étapes et bien des siècles pour qu’on découvre le vrai visage de Dieu, un Dieu tout autre que nous et tout autre que ce que nous imaginons spontanément : « Ses pensées ne sont pas nos pensées et nos chemins ne sont pas ses chemins » (comme dit Isaïe : Is 55, 8)… un Dieu qui n’est qu’amour et miséricorde pour tous les hommes sans exception, même les méchants, un Dieu qui « ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18, 23). On a peu à peu découvert que l’expression « voici la revanche de Dieu : il vient lui-même et va vous sauver » signifie « Dieu vous aime plus que tout être au monde, et, quelle que soit l’humiliation physique ou morale que vous ayez subie, il vient pour vous libérer, pour vous relever.
Isaïe parlait de la libération des captifs de Babylone et de leur retour à Jérusalem ; mais l’humanité attend encore sa libération définitive de toute humiliation, de tout aveuglement, de toute surdité : ce sera l’oeuvre du Messie, les contemporains de Jésus le savaient bien. C’est pour cela que pour se présenter à la synagogue de Nazareth (Luc 4), Jésus a cité un autre passage tout à fait semblable d’Isaïe « Le SEIGNEUR m’a envoyé porter un joyeux message aux humiliés, guérir ceux qui ont le coeur brisé, annoncer aux prisonniers la délivrance et aux captifs la liberté, annoncer les bienfaits du SEIGNEUR et le jour de la vengeance de notre Dieu. » (Is 61, 1-2). Et quand les disciples de Jean lui ont demandé « Es-tu celui qui doit venir ? » Jésus a simplement répondu : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Luc 7, 22)… La bonne nouvelle, c’est que Dieu nous relève et vous sauve.

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