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BENOÎT XVI – LE PSAUME 3

17 septembre, 2015

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BENOÎT XVI – LE PSAUME 3

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 7 septembre 2011

Chers frères et sœurs,

Nous reprenons aujourd’hui les audiences place Saint-Pierre et, à l’«école de la prière» que nous vivons ensemble en ces catéchèses du mercredi, je voudrais commencer à méditer sur certains psaumes qui, comme je le disais au mois de juin dernier, forment le «livre de prière» par excellence. Le premier Psaume sur lequel je m’arrête est un Psaume de lamentation et de supplication empreint d’une profonde confiance, dans lequel la certitude de la présence de Dieu fonde la prière qui jaillit d’une situation de difficulté extrême dans laquelle se trouve l’orant. Il s’agit du psaume 3, rapporté par la tradition juive à David au moment où il fuit son fils Absalom (cf. v. 1): il s’agit de l’un des épisodes les plus dramatiques et douloureux de la vie du roi, lorsque son fils usurpe son trône royal et le contraint à quitter Jérusalem pour sauver sa vie (cf. 2 S 15sq). La situation de danger et d’angoisse ressentie par David est donc l’arrière-plan de cette prière et aide à la comprendre, en se présentant comme la situation typique dans laquelle un tel Psaume peut être récité. Dans le cri du Psalmiste, chaque homme peut reconnaître ces sentiments de douleur, d’amertume et dans le même temps de confiance en Dieu qui, selon le récit biblique, avaient accompagné la fuite de David de sa ville.
Le Psaume commence par une invocation au Seigneur: «Seigneur, qu’ils sont nombreux mes oppresseurs, nombreux ceux qui se lèvent contre moi, nombreux ceux qui disent de mon âme: “Point de salut pour elle en son Dieu!”» (vv. 2-3).
La description que fait l’orant de sa situation est donc marquée par des tons fortement dramatiques. Par trois fois, on répète l’idée de multitude — «nombreux» — qui, dans le texte original, est exprimée à travers la même racine hébraïque, de façon à souligner encore plus l’immensité du danger, de façon répétitive, presque martelante. Cette insistance sur le nombre et la multitude des ennemis sert à exprimer la perception, de la part du Psalmiste, de la disproportion absolue qui existe entre lui et ses persécuteurs, une disproportion qui justifie et fonde l’urgence de sa demande d’aide: les oppresseurs sont nombreux, ils prennent le dessus, tandis que l’orant est seul et sans défense, à la merci de ses agresseurs. Et pourtant, le premier mot que le Psalmiste prononce est: «Seigneur»; son cri commence par l’invocation à Dieu. Une multitude s’approche et s’insurge contre lui, engendrant une peur qu’amplifie la menace, la faisant apparaître encore plus grande et terrifiante; mais l’orant ne se laisse pas vaincre par cette vision de mort, il maintient fermement sa relation avec le Dieu de la vie et s’adresse tout d’abord à Lui pour rechercher de l’aide. Mais les ennemis tentent également de briser ce lien avec Dieu et de briser la foi de leur victime. Ils insinuent que le Seigneur ne peut intervenir, et affirment que pas même Dieu ne peut le sauver. L’agression n’est donc pas seulement physique, mais touche la dimension spirituelle: «Le Seigneur ne peut le sauver» — disent-ils, — le noyau central de l’âme du Psalmiste doit être frappé. C’est l’extrême tentation à laquelle le croyant est soumis, c’est la tentation de perdre la foi, la confiance dans la proximité de Dieu. Le juste surmonte la dernière épreuve, reste ferme dans la foi et dans la certitude de la vérité et dans la pleine confiance en Dieu, et précisément ainsi, trouve la vie et la vérité. Il me semble qu’ici, le Psaume nous touche très personnellement: dans de nombreux problèmes, nous sommes tentés de penser que sans doute, même Dieu ne me sauve pas, ne me connaît pas, n’en a peut-être pas la possibilité; la tentation contre la foi est l’ultime agression de l’ennemi, et c’est à cela que nous devons résister, ainsi nous trouvons Dieu et nous trouvons la vie.
L’orant de notre Psaume est donc appelé à répondre par la foi aux attaques des impies: les ennemis — comme je l’ai dit — nient que Dieu puisse l’aider, et lui, en revanche, l’invoque, l’appelle par son nom, «Seigneur», et ensuite s’adresse à Lui en un tutoiement emphatique, qui exprime un rapport stable, solide, et qui contient en soi la certitude de la réponse divine: «Mais toi, Seigneur, mon bouclier, ma gloire tu tiens haute ma tête. A pleine voix je crie vers le Seigneur; il me répond de sa montagne sainte» (vv. 4-5).
La vision des ennemis disparaît à présent, ils n’ont pas vaincu car celui qui croit en Dieu est sûr que Dieu est son ami: il reste seulement le «Tu» de Dieu; aux «nombreux» s’oppose à présent une seule personne, mais beaucoup plus grande et puissante que beaucoup d’adversaires. Le Seigneur est aide, défense, salut; comme un bouclier, il protège celui qui se confie à Lui, et il lui fait relever la tête, dans le geste de triomphe et de victoire. L’homme n’est plus seul, ses ennemis ne sont pas imbattables comme ils semblaient, car le Seigneur écoute le cri de l’opprimé et répond du lieu de sa présence, de sa montagne sainte. L’homme crie, dans l’angoisse, dans le danger, dans la douleur; l’homme demande de l’aide, et Dieu répond. Ce mélange du cri humain et de la réponse divine est la dialectique de la prière et la clef de lecture de toute l’histoire du salut. Le cri exprime le besoin d’aide et fait appel à la fidélité de l’autre; crier signifie poser un geste de foi dans la proximité et dans la disponibilité à l’écoute de Dieu. La prière exprime la certitude d’une présence divine déjà éprouvée et à laquelle on croit, qui dans la réponse salvifique de Dieu se manifeste en plénitude. Cela est important: que dans notre prière soit importante, présente, la certitude de la présence de Dieu. Ainsi, le Psalmiste, qui se sent assiégé par la mort, confesse sa foi dans le Dieu de la vie qui, comme un bouclier, l’enveloppe d’une protection invulnérable; celui qui pensait être désormais perdu peut relever la tête, car le Seigneur le sauve; l’orant, menacé et raillé, est dans la gloire, car Dieu est sa gloire.
La réponse divine qui accueille la prière donne au Psalmiste une sécurité totale; la peur aussi est finie, et le cri s’apaise dans la paix, dans une profonde tranquillité intérieure: «Et moi, je me couche et je dors; je m’éveille: le Seigneur est mon soutien. Je ne crains pas ce peuple nombreux qui me cerne et s’avance contre moi» (vv. 6-7).
L’orant, bien qu’au milieu du danger et de la bataille, peut s’endormir tranquille, dans une attitude sans équivoque d’abandon confiant. Autour de lui, ses adversaires montent leurs campements, l’assiègent, ils sont nombreux, ils se dressent contre lui, se moquent de lui et tentent de le faire tomber, mais lui en revanche se couche et dort tranquille et serein, certain de la présence de Dieu. Et à son réveil, il trouve encore Dieu à côté de lui, comme un gardien qui ne dort pas (cf. Ps 121, 3-4), qui le soutient, le tient par la main, ne l’abandonne jamais. La peur de la mort est vaincue par la présence de Celui qui ne meurt pas. Et précisément la nuit, peuplée de craintes ataviques, la nuit douloureuse de la solitude et de l’attente angoissée, se transforme à présent: ce qui évoque la mort devient présence de l’Eternel.
A l’aspect visible de l’assaut ennemi, massif, imposant, s’oppose l’invisible présence de Dieu, avec toute son invincible puissance. Et c’est à Lui que de nouveau le Psalmiste, après ses expressions de confiance, adresse sa prière: «Lève-toi, Seigneur! Sauve-moi, mon Dieu!» (v. 8a). Les agresseurs «se levaient» (cf. v. 2) contre leur victime. En revanche, celui qui «se lèvera», c’est le Seigneur, et il les abattra. Dieu le sauvera, en répondant à son cri. C’est pourquoi le Psaume se conclut avec la vision de la libération du danger qui tue et de la tentation qui peut faire périr. Après la demande adressée au Seigneur de se lever pour le sauver, l’orant décrit la victoire divine: les ennemis qui, avec leur injuste et cruelle oppression, sont le symbole de tout ce qui s’oppose à Dieu et à son plan de salut, sont vaincus. Frappés à la bouche, ils ne pourront plus agresser avec leur violence destructrice et ils ne pourront plus insinuer le mal du doute dans la présence et dans l’action de Dieu: leur parole insensée et blasphème sera définitivement démentie et réduite au silence par l’intervention salvifique du Seigneur (cf. v. 8bc). Ainsi, le Psalmiste peut conclure sa prière avec une phrase aux connotations liturgiques qui célèbre, dans la gratitude et dans la louange, le Dieu de la vie: «Du Seigneur, le salut! Sur ton peuple, ta bénédiction!» (v. 9).
Chers frères et sœurs, le Psaume 3 nous a présenté une supplique pleine de confiance et de réconfort. En priant ce Psaume, nous pouvons faire nôtres les sentiments du Psalmiste, figure du juste persécuté qui trouve en Jésus son accomplissement. Dans la douleur, dans le danger, dans l’amertume de l’incompréhension et de l’offense, les paroles du Psaume ouvrent notre cœur à la certitude réconfortante de la foi. Dieu est toujours proche — même dans les difficultés, dans les problèmes, dans les ténèbres de la vie — il écoute, il répond et il sauve à sa façon. Mais il faut savoir reconnaître sa présence et accepter ses voies, comme David dans sa fugue humiliante de son fils Absalom, comme le juste persécuté dans le Livre de la Sagesse et, en dernier et jusqu’au bout, comme le Seigneur Jésus sur le Golgotha. Et lorsque, aux yeux des impies, Dieu semble ne pas intervenir et que le Fils meurt, c’est précisément alors que se manifeste, pour tous les croyants, la vraie gloire et la réalisation définitive du salut. Que le Seigneur nous donne foi, qu’il vienne en aide à notre faiblesse et qu’il nous rende capable de croire et de prier à chaque angoisse, dans les nuits douloureuses du doute et dans les longs jours de douleur, en nous abandonnant avec confiance à Lui, qui est notre «bouclier» et notre «gloire». Merci.

LA POÉSIE DES PSAUMES

10 septembre, 2015

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/208.html

LA POÉSIE DES PSAUMES

Contexte littéraire

Commencer

Les psalmistes, pour faire partager leur expérience de Dieu, ont choisi le langage poétique qui évoque et suggère.
Les psalmistes, pour faire partager leur expérience profonde et vitale de Dieu, ont choisi le langage poétique. Par ses images, son rythme, sa musique, le poème évoque et suggère; il n’enferme pas et invite à aller au-delà des mots pour rejoindre ce que les mots sont impuissants à communiquer.

Le parallélisme
Toute poésie a ses techniques et ses règles. Le Ps 81,9-10.12 permet d’approcher un des ressorts caractéristiques de la poésie hébraïque : le parallélisme (ce qui est dit dans un vers est repris d’une autre manière dans le vers suivant).

Écoute, mon peuple, je t’en adjure !
Israël, si tu m’écoutes,
Il n’y aura pas chez toi de dieu étranger
tu ne te prosterneras pas devant un dieu différent.

Mais mon peuple n’a pas écouté ma voix,
Israël n’a pas voulu de moi…

Trois formes
On distingue habituellement trois formes de parallélismes : le p. simple, le p. de contraste et le p. complémentaire.
D’abord le parallélisme simple (synonymique) : le second vers ne fait que prendre le premier avec une formulation différente.

Et maintenant, ô rois, comprenez !
Instruisez- vous, maître de la terre !
Serve le Seigneur avec crainte
Rendez-lui hommage en tremblant (Ps 2,10-12)

Ne t’échauffe pas contre les méchants,
Ne jalouse pas les artisans de fausseté (Ps 37,1)

Ensuite le parallélisme de contraste (antithétique) : le second vers établit un contraste avec le premier

Aux uns les chars, aux autres les chevaux,
à nous d’invoquer le nom du SEIGNEUR notre Dieu.
Eux, ils plient, ils tombent,
Nous, debout, nous tenons (Ps 20,8-9)

Enfin, le parallélisme complémentaire (synthétique) : ce qui est exprimé dans le premier vers est développé (complété) dans le second :

Chantez ou SEIGNEUR un chant nouveau !
Chantez au SEIGNEUR, toute la terre ! (Ps 96,1)

Elles ont une bouche et ne parlent pas,
elles ont des yeux et ne voient pas. (Ps 135,16)

La poésie hébraïque joue aussi fortement sur le rythme (chaque vers a un nombre établi de syllabes accentuées) et sur la sonorité des mots. Évidemment, les traductions ne peuvent que très difficilement en rendre compte !
Un autre élément important est la construction du poème. Ainsi, dans le Psaume 81, l’oracle du milieu est agencé de façon à donner la place centrale à l’affirmation  » C’est moi le Seigneur ton Dieu…  »

© Service Biblique catholique Évangile et Vie

À lire :
 »Le livre des psaumes », Cahiers Evangile n° 92 (1995)

Jean Paul II – Le pouvoir royal du Messie – Lecture: Ps 71, 1-3.7.10-11

1 septembre, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/audiences/2004/documents/hf_jp-ii_aud_20041201.html

JEAN-PAUL II

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 1er décembre 2004

Le pouvoir royal du Messie – Lecture: Ps 71, 1-3.7.10-11

1. La Liturgie des Vêpres, dont nous commentons progressivement les textes tirés des Psaumes et les cantiques, propose en deux étapes l’un des Psaumes les plus chers à la tradition juive et chrétienne, le Psaume 71, un chant royal que les Pères de l’Eglise ont médité et réinterprété dans une optique messianique.
Nous venons à présent d’écouter le premier grand mouvement de cette prière solennelle (cf. vv. 1-11). Il s’ouvre par une intense invocation chorale à Dieu, afin qu’il accorde au souverain le don qui est fondamental pour le bon gouvernement, la justice. Celle-ci est en particulier rendue aux pauvres qui, en revanche, sont généralement les victimes du pouvoir.
On remarquera l’insistance particulière avec laquelle le Psalmiste place l’accent sur l’engagement moral de diriger le peuple selon la justice et le droit: « O Dieu, donne au roi ton jugement, au fils de roi ta justice, qu’il rende à ton peuple sentence juste et jugement à tes petits. Il jugera le petit peuple » (vv. 1-2.4).
De même que le Seigneur dirige le monde selon la justice (cf. Ps 35, 7), le roi qui est son représentant visible sur la terre – selon l’antique conception biblique – doit se conformer à l’action de son Dieu.
2. Si l’on viole les droits des pauvres, on n’accomplit pas seulement un acte politique incorrect et moralement injuste. Pour la Bible, on commet également un acte contre Dieu, un délit religieux, car le Seigneur est le protecteur et le défenseur des pauvres et des opprimés, des veuves et des orphelins (cf. Ps 67, 6), c’est-à-dire de tous ceux qui n’ont pas de protecteurs humains.
Il est facile de comprendre comment la tradition a remplacé la figure souvent décevante du roi David – déjà à partir de l’effondrement de la monarchie de Juda (VI siècle av. J.C.) – par la figure lumineuse et glorieuse du Messie, dans le sillage de l’espérance prophétique exprimée par Isaïe: « Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays » (11, 4). Ou, selon l’annonce de Jérémie, « Voici venir des jours – oracle de Yahvé – où je susciterai à David un germe juste; un roi régnera et sera intelligent, exerçant dans le pays droit et justice » (23, 5).
3. Après cette imploration vive et passionnée du don de la justice, le Psaume élargit son horizon et contemple le royaume messianique-royal dans son déploiement le long des deux coordonnées, celles du temps et celle de l’espace. D’un côté, en effet, l’on exalte sa durée dans l’histoire (cf Ps 71, 5.7). Les images de type cosmique sont très évocatrices: on trouve l’écoulement des jours rythmé par le soleil et par la lune, mais également celui des saisons avec la pluie et la floraison.
Un royaume qui est donc fécond et serein, mais toujours placé à l’enseigne des valeurs qui sont capitales: la justice et la paix (cf. v. 7). Tels sont les signes de l’entrée du Messie dans notre histoire. Dans cette perspective, le commentaire des Pères de l’Eglise, qui voient dans ce roi-Messie le visage du Christ, roi éternel et universel, nous éclaire.
4. Ainsi, saint Cyrille d’Alexandrie, dans son Explanatio in Psalmos, observe que le jugement, que Dieu donne au roi, est celui dont parle saint Paul, « le dessein [...] de ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ » (cf. Ep 1, 10). En effet, « lorsque viendront ses jours, fleurira la justice et abondera la paix », comme pour dire que « lorsque viendront les jours du Christ, grâce à la foi surgira pour nous la justice, et alors que nous nous tournons vers Dieu surgira pour nous l’abondance de la paix ». Du reste, c’est précisément nous qui sommes les « pauvres » et les « fils des pauvres » que ce roi secourt et sauve: et si, tout d’abord, « il appelle « pauvres » les saints apôtres, car ils étaient pauvres en esprit, c’est ensuite nous qu’il a sauvés en tant que « fils des pauvres », en nous justifiant et en nous sanctifiant dans la foi au moyen de l’Esprit » (PG LXIX, 1180).
5. D’autre part, le Psalmiste décrit également le cadre géographique dans lequel se situe la royauté de justice et de paix du roi-Messie (cf. Ps 71, 8-11). C’est ici qu’entre en scène une dimension universaliste, qui va de la Mer Rouge ou de la Mer Morte jusqu’à la Méditerranée, de l’Euphrate, le grand « fleuve » oriental, jusqu’aux frontières extrêmes de la terre (cf. v. 8), évoquées également en citant Tarsis et les îles, les territoires occidentaux les plus reculés selon l’ancienne géographie biblique (cf. v. 10). Il s’agit d’un regard qui s’étend sur toute la carte du monde alors connu, qui comprend les Arabes et les nomades, souverains d’Etats éloignés, et même les ennemis, dans une étreinte universelle souvent chantée par les Psaumes (cf. Ps 46, 10; 86, 1-7) et par les prophètes (cf; Is 2, 1-5); 60, 1-22; Ml 1, 11).
Le sceau idéal de cette vision pourrait alors précisément être formulé par les paroles d’un prophète, Zaccharie, des paroles que les Evangiles appliqueront au Christ: « Exulte avec force, fille de Sion! Crie de joie, fille de Jérusalem! Voici que ton roi vient à toi, il est juste… Il retranchera d’Ephraïm la charrerie et de Jérusalem les chevaux; l’arc de guerre sera retranché. Il annoncera la paix aux nations. Son empire ira de la mer et du fleuve aux extrémités de la terre » (Zc 9, 9-10; cf. Mt 21, 5)

JEAN PAUL II – Ps 148, 1-6, GLORIFICATION DE DIEU, SEIGNEUR ET CRÉATEUR

25 août, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/audiences/2002/documents/hf_jp-ii_aud_20020717.html

JEAN PAUL II – GLORIFICATION DE DIEU, SEIGNEUR ET CRÉATEUR

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 17 juillet 2002

GLORIFICATION DE DIEU, SEIGNEUR ET CRÉATEUR

Lecture: Ps 148, 1-6

1. Le Psaume 148 qui vient de s’élever vers Dieu constitue un véritable « cantique des créatures », une sorte de Te Deum de l’Ancien Testament, un alleluia cosmique qui entraîne tout et tous dans la louange divine.
Un exégète contemporain le commente ainsi: « Le psalmiste, en les appelant par leur nom, place les êtres dans l’ordre: dans le ciel, deux astres selon le moment, et les étoiles à part; d’un côté, les arbres fruitiers, de l’autre, les cèdres; sur un plan, les reptiles, et sur un autre, les oiseaux; ici, les princes et là, les peuples; sur deux rangs, se donnant peut-être la main, de jeunes garçons et de jeunes filles… Dieu les a établis en leur donnant une place et une fonction; l’homme les accueille, en leur donnant une place dans son langage, et ainsi disposés, il les conduit à la célébration liturgique. L’homme est le « pasteur de l’être » ou le liturgiste de la création » (L. Alonso Schökel, Trente psaumes: poésie et prière, Bologne 1982, p. 499).
Nous suivons nous aussi ce choeur universel, qui retentit dans l’abside du ciel et qui a pour temple le cosmos tout entier. Laissons-nous conquérir par le souffle de la louange que toutes les créatures élèvent à leur Créateur.
2. Dans le ciel, nous trouvons les poètes de l’univers stellaire: les astres les plus lointains, les groupes d’anges, le soleil et la lune, les étoiles brillantes, les « cieux des cieux » (cf. v. 4), c’est-à-dire l’espace interstellaire, les eaux supérieures que l’homme de la Bible imagine conservées dans des réservoirs avant de se déverser sous forme de pluie.
L’alleluia, c’est-à-dire l’invitation à « louer le Seigneur », retentit au moins huit fois et a pour objectif final l’ordre et l’harmonie des êtres célestes: « Il les posa [...] sous une loi qui jamais ne passera » (v. 6).
Le regard se tourne ensuite vers l’horizon terrestre où se déroule une procession de poètes, au moins vingt-deux, c’est-à-dire une sorte d’alphabet de louange, disséminé sur notre planète. Voilà les monstres marins et les abîmes, symboles du chaos aquatique sur lequel la terre est fondée (cf. Ps 23, 2), selon la conception cosmologique des anciens sémites.
Le Père de l’Eglise, saint Basile, observait: « Même les abîmes ne furent pas jugés méprisables par le Psalmiste, qui les a accueillis dans le choeur général de la création; au contraire, avec un langage qui leur est propre, ils complètent eux aussi harmonieusement l’hymne au Créateur » (Homiliae in hexameron, III. 9: PG 29, 75).
3. La procession se poursuit avec les créatures de l’atmosphère: le feu des éclairs, la grêle, la neige, le brouillard et le vent d’ouragan, considéré comme un messager rapide de Dieu (cf. Ps 148, 8).
Arrivent ensuite les montagnes et les collines, considérées par la tradition populaire comme les créatures les plus antiques de la terre (cf. v. 9a). Le règne végétal est représenté par les arbres fruitiers et les cèdres (cf. v. 9b). Le monde animal est en revanche représenté par les fauves, le bétail, les reptiles et les oiseaux (cf. v. 10).
Voilà enfin l’homme qui préside la liturgie de la création. Il est présenté à tous les âges et sous toutes ses formes: enfants, jeunes et personnes âgées, rois et populations (cf. vv 11-12).
4. Nous confions à présent à saint Jean Chrysostome la tâche de jeter un regard d’ensemble sur cet immense choeur. Il le fait à travers des paroles qui renvoient également au Cantique des trois jeunes gens dans la fournaise ardente, sur lequel nous avons médité lors de la dernière catéchèse. Cet éminent Père de l’Eglise et Patriarche de Constantinople affirmait: « En raison de leur grande rectitude d’âme, les saints, lorsqu’ils s’apprêtent à rendre grâce à Dieu, ont l’habitude d’appeler de nombreuses créatures à participer à leur louange, en les exhortant à entreprendre avec eux cette belle liturgie. C’est également ce que firent les trois jeunes gens dans la fournaise, lorsqu’ils appelèrent toute la création à rendre grâce pour les bienfaits reçus et à chanter des hymnes à Dieu (Dn, 3). C’est également ce que fait ce Psaume, en interpellant les deux parties du monde, celle qui se trouve en haut et celle qui se trouve en bas, la partie sensible et la partie intelligible. Le prophète Isaïe fit également la même chose, lorsqu’il dit: « Cieux criez de joie, terre exulte, que les montagnes poussent des cris, car Yahvé a consolé son peuple » (Is 49, 13). Et le Psautier s’exprime de nouveau ainsi: « Lorsque Israël sortit d’Egypte, que la maison de Jacob sortit d’un peuple barbare, les montagnes sautillèrent comme des béliers et les collines commes les agneaux d’un troupeau » (Ps 113, 1.4). Et ailleurs, dans Isaïe: « Que les nuages déversent la justice » (Is 45, 8). En effet, les saints considérant qu’ils ne suffisaient pas à eux seuls pour louer le Seigneur, se tournent de tous les côtés en interpellant chacun pour participer à l’hymne commun » (Expositio in psalmum CXLVIII: PG55, 484-485).
5. Nous sommes invités nous aussi à nous associer à cet immense coeur, en devenant la voix explicite de chaque créature et en louant Dieu dans les deux dimensions fondamentales de son mystère. D’un côté, nous devons adorer sa grandeur transcendante, car « sublime est son nom, lui seul, sa majesté par dessus terre et ciel! », comme le dit notre Psaume (v. 13). De l’autre côté, nous reconnaissons sa bonté pleine de bienveillance, car Dieu est proche de ses créatures et il vient en particulier en aide à son peuple: « Il rehausse la vigueur de son peuple… le peuple de ses proches » (v. 14), comme l’affirme encore le Psalmiste.
Face au Créateur tout-puissant et miséricordieux, recueillons alors l’invitation de saint Augustin à le louer, à l’exalter, à le célébrer à travers ses oeuvres: « A la vue de ces créatures, tu es ravi, tu t’élèves jusqu’au Créateur, la vue des créatures visibles t’élève jusqu’aux créatures invisibles. Alors sa confession est sur la terre et aussi dans le Ciel… Si ses oeuvres sont belles, combien est plus grande la beauté du Créateur? » (Ennarationes sur les Psaumes, IV, Rome 1977, pp. 887-889).

SAINT JEAN CHRYSOSTOME – EXPLICATION DU PSAUME CXII.

19 mai, 2015

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/psaumes/psaume112.htm

SAINT JEAN CHRYSOSTOME

EXPLICATION DU PSAUME CXII. «LOUEZ, ENFANTS, LE SEIGNEUR, LOUEZ LE NOM DU SEIGNEUR. »

ANALYSE.

1. Ce que c’est que bénir et glorifier Dieu.
2. La nouvelle loi prédite. Que le langage de l’Ancien Testament est un langage de condescendance.
3. Dieu relève ce qui est humble : allusion à la venue du Christ. Récapitulation.

1. Il est souvent question de ces louanges dans les Ecritures : ce n’est pas , en effet, une chose de peu d’importance, mais un sacrifice, une offrande agréable à Dieu: le sacrifice de louanges me glorifiera , est-il écrit. (Ps. XLIX, 23.) Et ailleurs: « Je louerai le nom de mon Dieu avec un chant, je le célébrerai dans une louange : et cela plaira à Dieu plus qu’un jeune veau à qui la corne pousse au front et au pied. » (Ps. LXVIII, 31, 32.) Les (135) saints Livres répètent le même précepte eu plusieurs endroits; et ceux qui sont sauvés croient témoigner avec éclat leur reconnaissance en offrant ce genre de sacrifice. Et qu’y a-t-il là de difficile? dira-t-on; n’est-il pas aisé au premier venu d’en faire autant, de louer Dieu? Pour peu que vous prêtiez une exacte attention vous verrez à la fois et la difficulté attachée à cette offrande et le profit qu’on en retire. D’abord c’est aux justes que sont demandés les hymnes de ce genre: avant de les chanter à Dieu, il faut commencer par bien vivre. « Il n’y a pas de belle louange dans la bouche d’un pécheur. » (Eccli. XV, 9.) En second lieu , comme il y a deux manières de louer, Soit en paroles, soit en actions, c’est la dernière que Dieu recherche surtout; telle est la glorification qu’il préfère. « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos belles actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Matth. V, 16.) Telles sont les louanges des Chérubins. Et voilà pourquoi le Prophète, qui a entendu cette mélodie mystique, accuse sa propre misère, en disant: malheureux que je suis ! « Homme, ayant des lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple qui a des lèvres impures. » (Isaïe, VI, 3.) Aussi le Psalmiste, quand il prescrit d’offrir des louanges, commence-t-il par les puissances d’en-haut, en disant: « Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le, vous tous qui êtes ses anges. » (Ps. CXLVIII, 1, 2.) Il faut donc devenir un ange et ensuite chanter la louange. Ne voyons donc pas en cela un éloge ordinaire: avant notre bouche, il faut que notre vie résonne; avant notre langue, notre conduite doit faire entendre sa voix. De cette façon , jusque dans le silence nous pouvons louer Dieu: de cette façon, si notre voix s’élève, elle formera avec notre vie un concert harmonieux. Mais ce n’est pas la seule chose qui soit à considérer dans ce psaume : remarquez encore que tous les hommes y sont invités à concerter ensemble à former un choeur universel. Car ce n’est pas à une ni à deux personnes que s’adresse le Psalmiste, c’est au peuple tout entier. Le Christ nous invite à la concorde et à la charité , en nous prescrivant de faire en commun nos prières , et de nous confondre dans l’Eglise entière devenue comme une seule personne, en disant: « Notre Père, donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Remettez-nous nos offenses comme nous les remettons : et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Partout il emploie le pluriel; et il prescrit à chaque fidèle en particulier, soit qu’il adresse sa prière isolément ou en commun, de prier en même temps pour ses frères. De même le Prophète invite tous les hommes à un concert de prières, et dit: « Louez le nom du Seigneur. » Que fait ici : « Le nom: » sans doute ce mot exprime la ferveur de la personne qui parle : mais il fait entendre quelque chose de plus, à savoir, que le nom du Seigneur soit glorifié par notre entremise, que notre vie même montre qu’il est digne d’hommages: il l’est en réalité : mais Dieu veut que notre conduite même rende cette vérité sensible. Que si vous voulez vous en convaincre, voyez la suite. « Que le nom du Seigneur soit béni dès ce jour et jusque dans l’éternité (2).» Qu’est-ce à dire, pour qu’il soit béni? votre souhait est-il nécessaire ? voyez-vous qu’il ne s’agit pas ici de la bénédiction attachée naturellement à Dieu, mais de celle qui s’exprime par l’entremise des hommes? C’est au sujet de cette dernière que Paul écrit pareillement: « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit. » (I Cor. VI, 20.) Par lui-même Dieu est grand , sublime, digne de toute louange: parmi les hommes, il devient tel quand ses serviteurs offrent le spectacle d’une vie capable d’appeler sur son nom les bénédictions de tous ceux qui les voient. Le Christ nous ordonne la même chose, lorsqu’il nous recommande de répéter toujours dans nos prières: « Que votre nom soit sanctifié. » (Matth. VI, 9.) C’est-à-dire que notre vie même le glorifie. En effet, si nous le blasphémons en vivant mal, nous le glorifions, le bénissons , le sanctifions , en pratiquant la vertu. Voici le sens de ces paroles : accordez-nous de passer toute notre vie dans la vertu , afin que nous contribuions aussi à faire de votre nom un objet de bénédictions. « Du lever du soleil à son couchant, louable est le nom du Seigneur (3). » Voyez-vous comment il annonce en quelque sorte la cité nouvelle, et fait entrevoir dès lors la noblesse de l’Eglise. Ce n’est plus seulement de la Palestine, de la Judée qu’il est ici question, mais de toutes les contrées de la terre. Or quand cela s’est-il vu,, sinon depuis les progrès de notre foi? Dans l’ancien temps, le nom de Dieu, loin d’être béni en Palestine ; était encore blasphémé à (136) cause des Juifs qui habitaient ce pays. Il est écrit.: « A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. » (Isaïe, LII, 5.) Et aujourd’hui ce même nom est célébré par toute la terre. C’est ce qu’un autre prophète annonçait en disant: « Le Seigneur paraîtra, et exterminera tous les dieux des nations ; et ils l’honoreront, chacun de sa place. » (Soph. II, 11.) Un autre prophète dit également : « Parce qu’en nous les portes seront fermées, et que le feu de mon autel ne sera pas allumé gratuitement, car du lever du soleil à son couchant mon nom a été glorifié parmi les nations et en tout lieu l’on offre à mon nom l’encens et une oblation pure. » (Mal. I, 10, 11.)
2. Voyez-vous comment il ravale, il anéantit le judaïsme, étend sur toute la terre le gouvernement de l’Eglise, et prédit notre culte? Le prophète qui parle ainsi vivait après le retour de Babylone. S’il fit alors cette prophétie, ce fut pour empêcher les Juifs de dire que cette captivité, cet abandon sont ceux de Babylone. Ces épreuves étaient finies, les Juifs étaient revenus à leur premier régime: c’est alors que le messager de Dieu s’exprime ainsi, par allusion à l’abandon qui devait avoir lieu sous Vespasien et Titus, abandon qui doit rester à jamais irréparable. Car le tour de l’Eglise est venu. De là ces mots: « Mon nom est grand parmi les nations; » c’est-à-dire béni, loué par leur vie , dans le même sens qu’il dit ici; « Que le nom du Seigneur soit béni. Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations (4). »
Vous voyez encore ici son culte pénétrer chez les nations, non pas seulement chez une, deux ou trois, mais chez toutes les nations de la terre. Quoi de plus clair que cette prophétie ? Mais comment Dieu est-il élevé sur toutes les nations ! Est-ce nous qui l’élevons? Ce n’est pas sans doute qu’il nous appartienne d’ajouter quelque chose à sa grandeur? A Dieu ne plaise ! Il s’agit ici des dogmes, du culte, de l’adoration et de tous les autres hommages que nous lui rendons, en concevant de lui non pas une idée basse comme les Juifs, mais une idée beaucoup plus haute et plus relevée. Telle est en effet notre loi : autant le ciel est au-dessus de la terre, autant la nouvelle loi surpasse l’ancienne. De là ces expressions : «Le Seigneur est élevé sur toutes les nations. » En effet, lorsque nous le relevons en un sens par le culte que nous lui rendons, nous n’ignorons pas que ce culte appelle sa condescendance. Il surpasse celui de l’ancienne loi, mais il est encore bien peu digne de Celui à qui il s’adresse. Paul a dit, pour montrer cela et marquer la différence qui sépare la connaissance que nous avons aujourd’hui, de celle qui nous est réservée dans la vie future : « Quand j’étais petit enfant, je raisonnais comme un petit enfant, mais quand je suis devenu homme, je me suis dépouillé de ce qui était de l’enfant. » (I Cor. XIII, 11.) Et encore : « C’est imparfaitement que nous connaissons et imparfaitement que nous prophétisons. » Et enfin : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors nous verrons face à face. » (Ibid. IX, 12.) Il montre par là que la connaissance actuelle diffère autant de la connaissance future que l’enfant diffère de l’homme parvenu à la pleine maturité. « Sa gloire est au-dessus des cieux. » Après avoir parlé de la louange, de la glorification qui résulte de la conduite humaine , après nous avoir invités à exalter Dieu, à le louer, le glorifier de la sorte; en progressant dans la vertu, il indique l’endroit où cela se fait principalement. Cet endroit est le ciel. Là réside la gloire de Dieu. Ce sont les anges, avant tout, qui le glorifient : ils le glorifient non-seulement par leur propre nature, mais encore par une obéissance de bons serviteurs, en accomplissant avec scrupule ses ordres et ses volontés. Voilà pourquoi il dit ailleurs : « Puissants, accomplissant sa parole. » (Ps. CII, 20.) Voilà pourquoi dans les Evangiles le Christ ordonne de prier et de dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme aux cieux. » C’est-à-dire qu’il nous soit donné, à nous aussi, de le sanctifier comme le sanctifient les anges, exempts de tout vice et fidèlement attachés à la pratique de la vertu. Le Psalmiste fait entendre la même chose en disant : « Sa gloire est au-dessus des cieux. » Ne vous bornez pas à considérer sur la terre les créatures visibles, ni même l’ordre des corps célestes, élevez-vous, par la pensée des choses sensibles aux choses intelligibles, contemplez la beauté des essences célestes , la magnificence de l’empire qui est là-haut, et vous saurez alors comment sa gloire est dans les cieux.
« Qui est comme le Seigneur notre Dieu qui habite les hauteurs (5) et regarde les choses humbles (6) ? » Ne vous semble-t-il pas que (137) voilà une grande parole? Néanmoins, si vous songez de qui il est question, vous la trouverez bien insuffisante. Il ne tarit pas, je l’ai dit, s’en tenir aux paroles, il tarit porter plus haut sa pensée. Comment peut-il habiter dans les cieux, celui dont la présence remplit le ciel et la terre, celui (lui est partout, celui qui dit : « C’est Dieu, c’est moi qui m’approche, Dieu n’est pas loin. (Jér. XXIII, 23.) Celui qui a mesuré le ciel à l’empan et la terre dans la paume de la main, celui qui embrasse le tour de la terre.» (Isaïe, XL, 12,22.) C’est parce qu’alors il s’adressait aux Juifs qu’il emploie ce langage afin d’initier peu à peu leur esprit, d’élever, de soulever de terre insensiblement leur pensée. Voilà pourquoi le Psalmiste ne se borne pas à dire : « Celui qui habite les hauteurs leurs et qui regarde ce qui est humble; » il commence par dire d’abord : « Qui est comme le Seigneur notre Dieu? » et par là il explique la seconde partie de sa phrase. Il parie ainsi pour condescendre à la faiblesse des Juifs qui avaient la superstition des images et adoraient des dieux enfermés dans des temples et des lieux déterminés. Voilà pourquoi il procède par comparaison, bien que Dieu soit hors de comparaison avec quelque chose que ce soit, comme je l’ai dit plus haut (et je ne me lasserai pas de le répéter) : il approprie ainsi son langage à la faiblesse de ses auditeurs. Il songeait moins alors à parler dignement de la majesté divine, qu’à se faire comprendre des Juifs. C’est pour cela qu’il n’avance que pas à pas, sans néanmoins s’en tenir à la bassesse de leurs idées et tout erg leur découvrant des perspectives plus hautes. En effet, après ces mots : « Lui qui habite les hauteurs et regarde ce qui est humble, » il passe à un ordre de conception plus relevé, en ajoutant : « Dans le ciel et sur la terre. » Par là il indique que Dieu est à la fois là-haut et ici-bas. S’il considère ce qui se passe sur la terre, ce n’est pas de loin ni du tond du ciel, il n’est pas emprisonné dans le ciel, il est partout présent, il est auprès de chaque être.
3. Voyez-vous comment il élève progressivement l’esprit de ses auditeurs? Après cela, quand il les a soulevés de terre, qu’il a fixé sur le ciel leurs regards, afin de leur proposer encore un plus grand spectacle, il passe à une autre preuve de la puissance divine, en disant: « Celui qui tire de la poussière l’indigent, et relève le pauvre de dessus son fumier (7). » (137) Car c’est le propre d’une grande, d’une infinie puissance, que d’élever jusqu’aux petites choses. Ailleurs l’Ecriture nous représente le contraire, à savoir, les grandes choses abaissées, par exemple en ce passage: « Broyant la force, et déchaînant le malheur contre les solides remparts. » (Amos, V, 9.) — Ici au contraire il est dit que Dieu sait élever les petits. Tout cela est dit en général. Si l’on veut néanmoins y chercher un sens figuré, on verra que cela s’applique très-bien aux nations, que le genre humain a passé par un tel changement lors de la venue du Christ. En effet, quoi de plus misérable que notre espèce? Cependant le Christ l’a relevée, l’a fait monter au ciel avec nos prémices, l’a fait asseoir sur le trône paternel. « Et relève le pauvre de dessus son fumier. Pour le faire asseoir avec les chefs, avec les chefs de son peuple (8). » Par ce mot fumier il désigne une basse condition, et le coup subit qui vient la changer, montrant ainsi que tout pour Dieu est aisé et facile. Il passe ensuite à quelque chose de plus élevé. Qu’est-ce donc? C’est que Dieu sait non-seulement bouleverser les fortunes et changer la bassesse en élévation, mais déplacer les bornes de la nature même, et rendre mère une femme stérile. Il poursuit donc ainsi : « Celui qui donne à celle qui était stérile la joie de se voir dans sa maison mère de plusieurs enfants (9). » C’est ce qui advint pour Anne et pour mille autres femmes. Voyez-vous que l’hymne est désormais complet et terminé? Le Psalmiste a dit le bonheur réservé à la terre, comment le judaïsme devait finir, comment la lumière d’une nouvelle loi, celle de l’Eglise; devait briller à son tour, comment le sacrifice serait offert désormais en tout lieu. Ensuite afin de convaincre les hommes les plus grossiers de la vérité de sa prédiction, il confirme au moyen de faits passés ce qu’il annonce pour l’avenir. Voici le sens de ses paroles: N’allez pas. douter de ce grand changement, qui doit porter au plus haut degré de gloire les nations perdues. Ne voyez-vous pas ces choses arriver tous les jours? Les petits grandir et prendre place au premier rang. Ne voyez-vous pas la nature corrigée dans ses imperfections, des lemmes stériles qui deviennent mères tout à coup? Il est arrivé quelque chose de semblable pour l’Eglise : elle était stérile, et elle est devenue mère d’innombrables enfants. De là ces paroles d’Isaïe : « Réjouis-toi, femme stérile, toi qui n’enfantes point: (138) élève la voix et crie, toi qui ne portes pas parce que les enfants de la délaissée sont plus nombreux que ceux de l’épouse.» (Isaïe, LIV, 1.) Il prédit ainsi la future destinée de l’Eglise. Voilà pourquoi le Psalmiste termine son hymne en cet endroit, après avoir donné à sa prophétie la confirmation des faits précédemment opérés par la grandeur de Dieu. Car tout ce que Dieu juge à propos, il n’a pas de peine à l’accomplir. Il peut changer l’ordre de la nature, convertir la bassesse en grandeur, et réformer le coeur de l’homme. Instruits de ces vérités, faisons notre devoir, et nous jouirons d’une gloire parfaite, nous atteindrons l’ineffable sommet, grâce à la protection de Dieu, à qui puissance et gloire, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit il.

UN CRI DANS LA NUIT. COMMENTAIRE DU PSAUME 22

4 mars, 2015

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/442.html

UN CRI DANS LA NUIT. COMMENTAIRE DU PSAUME 22

Commentaire au fil du texte

Commencer

 »Pourquoi…? » Question angoissée à un Dieu muet. Ainsi commence le psaume 22.

Ps 22 (21) : Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

 »Jamais sans doute un psalmiste n’a décrit de plus près la lutte contre la mort et n’a approché de plus près de la victoire » (Paul Beauchamp). Patiemment, au fil du texte, première approche de cette lutte.
 »Pourquoi…? » Le cri déchire le ciel. Question angoissée à un Dieu muet. Ainsi commence le psaume. Suivent trois moments que l’on pourrait nommer respectivement : abandon, supplication, louange.

Le frôlement de la mort
Le premier moment, abandon, est encadré par un soupir douloureux :  »Mon Dieu » (v. 2 à 11). Le psalmiste se souvient des louanges anciennes de son peuple et y expose ce qui le déshumanise :  »je suis un ver, pas un homme, injurié…, rejeté… ». Quel est son drame ? Guerre, maladie, persécution, trahison ? Tout est possible. Le deuxième moment, supplication (v. 12 à 22), commence et se termine par un appel au secours :  » ne reste pas (si) loin »,  »personne pour m’aider »,  »à l’aide ! Vite ! » ; le suppliant y accuse son Dieu :  »tu me déposes dans la poussière de la mort ». La situation initiale du psaume :  »Le salut est loin de moi… » a un écho pathétique aux v. 20-22 :  »ne reste pas si loin… sauve ma vie… »
Quelque chose est advenu ! La lamentation du v. 3 :  »tu ne réponds pas… » devient cri de joie :  »Tu m’as répondu » (v. 22). Quand la réponse a-t-elle eu lieu ? Où ? Comment ? Nous l’ignorons mais nous assistons à un changement radical du suppliant : troisième et dernier moment d’un psaume désormais marqué par la louange (v. 22b-32 ; le verbe  »louer » y est répété 4 fois). Au centre, il y a comme un inattendu :  »les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ». Fini le sentiment d’abandon, voici les merveilles actuelles et futures du Seigneur non seulement envers celui qui vient d’être sauvé mais pour une multitude de gens, sur un horizon universel. L’action de grâce est infinie : on passe de  »je vais proclamer ton nom à mes frères » à  » la génération future proclamera la justice [du Seigneur] au peuple qui va naître… » (v. 23 et 32).
Ces trois moments dessinent un mouvement où la louange se métamorphose : dans le premier moment, elle était contredite par l’expérience de l’abandon (v. 2 à 11), dans le troisième, elle se renouvelle et se déploie dans le temps et l’espace (v. 22b à 32). Mais ce renouvellement est passé par l’ombre de la mort et l’impossibilité de chanter (v. 12 à 22a).

L’étonnante redécouverte de Dieu
La métamorphose de la louange et du suppliant s’accompagne d’une redécouverte de Dieu. En effet, le premier moment ( v. 2 à 11) joue du contraste entre le sentiment d’abandon et la geste salvifique du Dieu  »des pères ». Le suppliant fait un constat amer : les récits d’autrefois ne fonctionnent plus (cf. la répétition stérile de  »ils espéraient »), les hymnes laissent place aux ricanements ironiques. Mais cette expérience ouvre à un nouveau regard sur Dieu. Celui-ci n’est plus seulement le Dieu de l’histoire, il est aussi celui de la création : quand le Dieu Sauveur semble se taire, l’action du Dieu accoucheur et éducateur – père ? mère ? – revient à la mémoire :  »à toi, je fus remis dès ma naissance… »
Dans le deuxième moment, le plus atroce (v. 12 à 22a), la violence des fauves se déchaîne (taureaux, lions, chiens, buffles…), le corps se disloque (cœur, entrailles, langue, mâchoires, mains, pieds, os, vêtements, habits,…), tantôt liquide et tantôt argile sèche. Or le Dieu intime qui vient d’être découvert reste silencieux. Serait-il complice de la violence ? Le suppliant insiste, halète, bien que sa langue  »colle aux mâchoires » : quand plus rien ne va, il reste encore la parole comme lien entre  »toi », Dieu de la vie, et  »moi » qui vais mourir, parole qui accuse (v. 16), parole qui appelle (v. 20 à 22).
Entre l’appel et la réponse, nous ne saurons pas ce qui s’est passé, mais Dieu est intervenu. Le troisième moment du psaume (v. 22b à 32) non seulement déploie la louange, mais développe de nouvelles relations humaines : frères, race, famille des nations, générations à venir. Les frontières du peuple choisi (Jacob/Israël) s’ouvrent à la terre entière. Les hymnes qui chantaient les relations de Dieu et des  »pères » changent de contenu : aux récits des hauts-faits libérateurs, succèdent, autour de la table des pauvres, les souhaits du frère à son frère :  »A vous, longue et heureuse vie ! » ou du fidèle à son Dieu :  »Au Seigneur, la royauté, il domine les nations ! » Les membres de l’assemblée – sans doute l’assemblée du culte – sont interpellés, intégrés dans la louange. Où étaient-ils quand on raillait l’homme abandonné ? Quel changement ! Changement de regard du psalmiste ? Celui qui a été sauvé renonce à parler de lui-même pour ne parler que des autres et de l’Autre. Il voit loin, vers le passé, vers le futur. Il voit large, vers les nations. Il voit profond, vers les malheureux. Il voit haut, vers le Dieu universel : Le Seigneur des origines, le Père aux gestes maternels redécouvert dans la détresse, est proclamé Dieu de tous les vivants…
Mais qui donc est ce psalmiste ? Nous ignorons ce que fut exactement son malheur. Il n’a pas un mot de malédiction pour ses bourreaux, il n’avoue aucune faute et ne proteste même pas de son innocence. Mais à nous, qui faisons partie de la  »génération à venir », il donne ses mots et invite à passer, avec lui, de l’effroi à la confiance, de l’angoisse à la foi.

CONFÉRENCE DU MERCREDI 24/7 : PSAUME 50

17 février, 2015

http://www.orval.be/fr/108/Conference-du-mercredi-247-Psaume-50

CONFÉRENCE DU MERCREDI 24/7 : PSAUME 50

3 Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4 Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
5 Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
6 Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Ainsi, tu peux parler et montrer ta justice,
être juge et montrer ta victoire.
7 Moi, je suis né dans la faute,
j’étais pécheur dès le sein de ma mère.
8 Mais tu veux au fond de moi la vérité ;
dans le secret, tu m’apprends la sagesse.
9 Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ;
lave-moi et je serai blanc, plus que la neige.
10 Fais que j’entende les chants et la fête :
ils danseront, les os que tu broyais.
11 Détourne ta face de mes fautes,
enlève tous mes péchés.
12 Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.
14 Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
15 Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.
16 Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur,
et ma langue acclamera ta justice.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas,
tu n’acceptes pas d’holocauste.
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ;
tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
20 Accorde à Sion le bonheur,
relève les murs de Jérusalem.
21 Alors tu accepteras de justes sacrifices, oblations et holocaustes ;
alors on offrira des taureaux sur ton autel.

Commentaire du Psaume 50 (51)
J’aborde immédiatement le texte, verset par verset.
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
Selon ta grande miséricorde, efface mon péché. (v.3)
Comme souvent dans les psaumes, les premiers mots donnent le thème (et le ton). Pitié… pour moi, mon Dieu… c’est la prière d’une seule personne et cette prière concerne cette personne même, dans sa propre réalité intime. C’est du moins la première impression. Il est vrai que sans individus il n’y a pas de communauté. Mais il est vrai aussi que l’individu contribue à faire la communauté. L’homme est un être social. Le psaume nous l’apprendra et nous le verrons vers la fin.
Apparemment la relation entre Dieu et le psalmiste est brisée par quelque chose de grave. Le psalmiste demande donc pardon. Le mot pitié, dans le langage biblique, n’a pas la même résonance négative que dans le français courant. En français, le mot pitié a une connotation un peu négative. Il sonne paternaliste. Mais, dans le langage biblique, le mot veut dire : com-passion (souffrir avec). Le psalmiste compte sur Dieu parce qu’il sait que Dieu est amour et compassion .
La compassion est le fleuron, la forme la plus achevée de l’amour. Dans ce premier verset ce n’est pas l’image du Dieu juge qui est mise en avant (pas encore parce qu’il viendra bientôt).
Il est clair que le psalmiste veut être libéré de quelque chose. Le mot « effacer » est en effet repris par des synonymes dans le verset suivant. L’image est surtout celle de l’eau qui lave et purifie :
Lave-moi tout entier de ma faute
Purifie-moi de mon offense. (v.4)
Purifier renvoie aux rites de purification dans l’eau courante. Il faut sentir ce que veut dire être lavé entièrement, être plongé dans un bain, jusqu’au-dessus de la tête. Aucune partie de l’homme n’est oubliée.
Aussi le mot péché du v. 1 est repris :
Oui, je connais mon péché,
Ma faute est toujours devant moi. (v.5)
La première ligne de ce verset est touchante par sa simplicité. Dans la phrase « oui, je connais mon péché » il n’y a aucune emphase, aucun faux-semblant. L’aveu est confondant. « Oui, je connais mon péché ». Aucune excuse. La deuxième partie du verset dit qu’il s’agit d’une faute très concrète. Le psalmiste se rappelle cette faute constamment. C’est une obsession qui envahit sa vie. Le film tourne tout le temps devant ses yeux. Mais de quoi s’agit-il ? Nous ne le savons pas encore et le psalmiste ne semble pas prêt à le dire. Cela lui pèse trop lourd, sans doute. Il devra aller tout un chemin avant de pouvoir nommer simplement l’acte qu’il a commis. Et c’est vrai pour nous aussi : pour nommer les choses – surtout nos grandes souffrances – il faut quelquefois beaucoup de temps. Et il faut même être déjà un peu au-delà pour pouvoir les dire. Celui qui peut dire sa souffrance est déjà en voie de guérison. Le psalmiste est sur le chemin, au début du chemin. Il avoue… mais quoi exactement ? Il s’identifie à sa faute. Et en cette faute sont concentrées toutes ses autres fautes.
Quelque chose au moins est clair dans la tête et le cœur du psalmiste. Quoi qu’il ait fait, il en connait la dimension de péché. Il fait donc la distinction entre faute et péché. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Aujourd’hui nous voyons plus facilement la dimension sociale de la faute. Nous la verrons aussi chez le psalmiste, quand il sera capable de dire de quoi il s’agit. Mais ici, il se situe dans sa relation à Dieu :
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
Ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait. (v.6ab)
Cette façon de se positionner est importante du point de vue religieux. Le péché est toujours par rapport à Dieu. Mais chez nous, le péché et la culpabilité psychologique sont mêlés, mélangés. Si certains n’aiment plus parler de péché, ce n’est pas nécessairement parce que leur sens du péché est sous-développé, mais parce qu’ils veulent se libérer d’un sentiment de culpabilité exacerbé. C’est le côté psychologique qui les gêne. Pourtant les deux ne sont pas la même chose. Pour dire la différence en une seule phrase, on peut dire que dans le péché, Dieu est au centre et dans la culpabilité, je suis moi-même au centre. Ou plus concrètement, mon idéal du moi est au centre ainsi que les normes que j’ai intériorisées de l’extérieur, mais avec lesquelles je m’identifie. Comme pour nous donc, chez le psalmiste le sens du péché se mêle très vite avec sa culpabilité. Et cela le mène sur une mauvaise piste. Le Dieu d’amour, du v. 1, devient un juge, et surtout un juge sévère. Le Dieu d’amour se confond avec un gendarme intérieur. Mais c’est en fait le psalmiste qui projette sur Dieu sa propre sévérité envers lui-même. C’est inévitable. Il est bon de le voir dans le psaume et de cheminer avec le psalmiste. Avant d’avoir une vision juste de Dieu, nous traversons quelquefois pendant de longues années une vision de Dieu très mélangée.
Le psalmiste commence donc par dire :
Ainsi tu peux parler et montrer ta justice,
Être juge et montrer ta victoire. (v.6cd).
Le mot « victoire » est un peu discutable comme traduction , mais je garde le texte comme il est. On a l’impression que le psalmiste s’écrase devant un jugement qu’il reconnaît toutefois comme juste. Il attend sa punition. Il accepte les conséquences logiques d’un acte qui n’était pas une peccadille. Nous ne sommes pas devant un scrupuleux. En même temps dans les mots « tu peux montrer ta victoire » on sent une sorte d’inimitié. Dieu est vu comme quelqu’un qui se met en opposition. Il sera l’adversaire qui a raison. Dieu, le Saint par excellence, et le péché sont incompatibles. Le psalmiste reconnaît donc son tort. Il se prépare intérieurement à s’incliner… à s’écraser. Il donne même le droit à Dieu de prononcer un jugement sévère (sans se douter qu’il se trompe peut-être sur Dieu).
Alors, vient un verset qui est très important. Les commentateurs du psaume vont un peu dans tous les sens. Les premiers mots en hébreu sont une exclamation : הֵן (hên) qu’on pourrait traduire par « Oh ! Oh, je sais bien ! Nous voilà ! ». Une autre traduction, mais plus faible, est : MAIS. Ce petit mot significatif n’est pas repris dans notre traduction. On le sent tout de même derrière le texte et la diction du texte peut aider :
[MAIS] Moi, je suis né dans la faute, [oh, je le sais bien ]
J’étais pécheur dès le sein de ma mère. (v. 7)
Comment comprendre cela ? Pauvre mère ! Est-elle responsable de mon péché ? (Et le père alors ?) Sans s’en rendre compte, le psalmiste sort d’un contexte purement religieux (« contre toi et toi seul j’ai péché »), pour entrer dans le cercle infernal de la culpabilité. Mais le psalmiste essaie de se défendre . Il doit le faire pour ne pas se noyer psychologiquement. Il le fait en « rationalisant » la situation, en donnant une raison qui explique sa culpabilité. On est toujours dans la faute. Cela vaut pour tout être humain. On n’est pas né parfait. Je lis ces phrases comme une sorte de défense contre le Dieu juge. Le psalmiste dit : d’accord, je reconnais ma faute. Toi, Dieu, tu es un Dieu qui a raison (bien sûr). Tu as gagné et moi j’ai tort. Seulement, n’oublie pas que je suis né dans la faute, que tout le monde est pécheur et que, par conséquent, tout le monde est coupable. Dès qu’on respire l’air, on respire les microbes. C’est ainsi.

Le psaume aurait pu s’arrêter ici. Le jugement est fait et accepté. Mais avec ce qui est dit, où est la liberté et donc la vraie responsabilité de l’homme ? Et au Dieu Créateur je peux répondre : ce n’est pas ma faute si le monde n’est pas parfait. Tandis que moi, je dois en subir les conséquences. C’est le sentiment de beaucoup de gens. Finalement, ce Dieu juge est-il vraiment juste ?

Le reste du psaume est une réaction contre cette vision des choses, exprimée dans notre verset 6 ; vision très répandue chez les personnes et qui mène souvent au rejet de Dieu. Il faut se débarrasser de ce Dieu qui est en concurrence avec l’homme.
Le psaume nous apprend que Dieu lui-même n’est pas d’accord avec cette façon de voir du psalmiste. Et le psalmiste, au plus intime de lui-même, le sait bien. De là une deuxième fois ce petit mot « mais » par lequel commence aussi la phrase suivante et qui exprime une rectification. « MAIS » est de nouveau la traduction du même mot hébreu qui avait été omis dans la traduction du verset précédent : הֵן (hên : oh, je sais bien). Donc, à la première négation – « mais, tu es un juge injuste » – suit la négation de cette négation, comme pour dire : « mais ce n’est pas ainsi que toi, tu vois les choses ; et tu m’en fais prendre conscience ».
MAIS tu veux au fond de moi la vérité ;
Dans le secret, tu m’apprends la sagesse. (v. 8)
Le psalmiste dit : s’il est vrai que nous, les humains, nous vivons toujours dans un climat d’imperfection, de faute, de péché, toi (Dieu), tu ne te contentes pas de cette explication. Il est trop facile de se cacher derrière un principe général pour ne pas assumer sa propre responsabilité. Toi, Dieu, tu me prends à part et tu me demandes : « et toi ? Où en es-tu ? Comment as-tu vécu dans ce climat général ? Où est ta complicité avec le mal ? En as-tu profité pour faire ce que tu voulais faire en sachant que ce n’était pas bien ? » Le psalmiste comprend. « Tu veux au fond de moi (au plus intime de moi, là où je ne peux plus me cacher derrière des excuses) la vérité (la vraie vérité ; pas la vérité abstraite qui vaut pour tout le monde, mais ce qui vaut pour moi, sans pouvoir me retrancher derrière autre chose). » Et dans ce silence intérieur, dans le recueillement, dans le secret de moi-même, Dieu, tu abordes les choses bien autrement. Tu m’aides à convertir ma situation de coupable en expérience de sagesse (voilà la vraie conversion !). Tu me l’apprends en me faisant traverser mes propres obscurités ! Ainsi donc, Dieu, tu m’obliges à voir ma vie, ma propre vie (pas celle des autres, derrière laquelle je voudrais me cacher). Tu m’apprends ainsi une vérité, qui a la densité de mon histoire, de ma chair, de mon sang (on reviendra sur le sang !). C’est cela : la sagesse.
Immédiatement après en avoir pris conscience, le psalmiste demande :
Purifie-moi avec l’hysope et je serai pur ;
Lave-moi et je serai blanc, plus que la neige. (v. 9)
Nous lisons plusieurs choses dans ce verset. Dans la bible, l’hysope est un arbrisseau utilisé pour asperger avec de l’eau ou du sang . Le verset est une reprise du début : « lave-moi tout entier de ma faute, / purifie-moi de mon offense » (v. 4). Mais la phrase se dit maintenant après une prise de conscience intérieure qu’il y a vraiment une relation personnelle entre Dieu et le psalmiste. Au début du psaume, le psalmiste voulait retrouver son intégrité personnelle, pour être pur à ses propres yeux, pour n’avoir rien à se reprocher. Attitude très narcissique, finalement, qui plaçait le psalmiste au centre. Il luttait avec sa culpabilité psychologique. Ici on a l’impression que le psalmiste se jette dans les bras de Dieu. Il s’abandonne vraiment et il croit (vraiment) que Dieu peut le purifier. Il ne se cache plus derrière la constatation (exacte par ailleurs) que tout le monde est né dans la faute et qu’on est pécheur dès le sein de sa mère. Non, Dieu peut rétablir la relation avec lui ; il peut libérer quelqu’un du péché. L’image est évidemment absolue : je serai pur, totalement. Et blanc, plus que la neige. Mais la pureté n’est pas la perfection. Elle est une relation rétablie !!!! L’eau qui lave et la blancheur de l’homme renouvelé renvoient le chrétien directement au baptême.
La conséquence ne se fait pas attendre :
Fais que j’entende les chants et la fête :
Ils danseront, les os que tu broyais. (v. 10)
Les chants et la fête sont là, indépendamment de la nuit intérieure du psalmiste. Mais il ne les entendait plus. Le soleil brillait en dehors de lui, pour les autres. Intérieurement il était dans les ténèbres. La joie de son entourage ne l’atteignait plus.
Dieu peut guérir et faire qu’on ne voie plus seulement la misère dans l’humanité (oui, la faute est partout – v. 7). Libéré d’un poids intérieur, on peut de nouveau s’ouvrir à l’extérieur, et participer à la joie de vivre qui y existe elle aussi. Pour le psalmiste c’est une vie renouvelée. « Ils danseront, les os que tu broyais ». Que tu broyais ?… image du Dieu vengeur… ? Le psalmiste est toujours en train de s’en distancier. Chaque être humain doit se libérer de cette image. Combien de fois entend-on dire : « Où ai-je mérité cela ? » « Qu’est-ce que j’ai fait pour être puni ? ». Longtemps on a interprété le mal subi ou la maladie comme une punition de Dieu. Et on continue à le faire. On se le dit pour trouver une raison quelque part. Mais avec le psalmiste nous évoluons vers une perception plus juste de Dieu. Au point où nous en sommes dans le psaume, Dieu reste quelque peu ambigu. Est-ce pour cela, par une peur qui traine toujours dans son inconscient, que le psalmiste n’est pas encore capable de nommer sa faute ? Nous ne savons toujours pas pourquoi il demande pardon !
Continuons donc l’approfondissement de notre relation à Dieu. Il y a plusieurs étapes.
Détourne ta face de mes fautes,
Enlève tous mes péchés. (v. 11)
C’est la première fois que le psalmiste parle de la « face » de Dieu. Dans une relation, le visage est important. Ne pas avoir un contact des yeux avec quelqu’un exprime (dans beaucoup de cultures) ou bien la peur (la timidité) ou le mépris (le rejet). D’autre part, on peut détourner la face pour ne pas voir ce qui est laid, comme si on ne l’avait pas vu. C’est la première chose que le psalmiste demande : ne regarde pas. Dans l’ancien testament, on ne peut voir la face de Dieu. Mais pour nous, chrétiens, la situation a beaucoup changé. Jésus est la face de Dieu, tournée vers nous. Une fois qu’on a découvert Jésus, on ne demande plus à Dieu de détourner la face. Au contraire : qu’il me regarde et qu’il regarde mon mal-être avec ses yeux à lui. Si j’y lis de l’exigence, c’est l’exigence de l’amour.
Le psalmiste demande encore autre chose : « enlève tous mes péchés ». En fait, cette demande va beaucoup plus loin. Fais disparaître mes péchés. Et pas seulement ce péché que j’ai toujours devant les yeux comme une obsession. Non, tous les péchés. Une fois de plus ce verset a pour nous, chrétiens, une forte résonnance christique. Là encore, Jésus va au-delà de la demande. Non seulement il « enlève tous mes péchés », mais tous les péchés du monde. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Avec Jésus, la prière du psalmiste est plus qu’exaucée. Quelqu’un – Jésus – a pris sur lui d’enlever radicalement ce qui nous gênait tellement dans notre rapport à Dieu. Même si nous devons toujours faire notre chemin, refaire le chemin… et le psaume est en train de nous y aider.
Enlève le péché, tous mes péchés. Mais avec le cœur que j’ai, il est sûr que je recommencerai. Alors,
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
Renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. (v. 12)
Le cœur est le centre de l’humain, là où le cerveau (l’intelligence) et les entrailles (les sentiments) se rencontrent. Le cœur est encore plus que cela. Il est le centre de la décision et de la volonté. Et en plus : le lieu de Dieu, la demeure de l’Esprit. C’est le verset le plus fort du psaume, juste au milieu du texte. Au centre du texte, nous descendons dans le centre de l’homme. Au début du psaume, en se cachant derrière l’idée d’une culpabilité universelle, le psalmiste restait dans la tête. Mais le cœur du psalmiste restait malade. Il était atteint par le mal, objectivement. Il luttait avec sa culpabilité – sentiment subjectif tellement humain. Il est aussi spirituellement malade, parce que sa relation envers Dieu est blessée. De là, une nouvelle demande, plus radicale encore : « Crée en moi un cœur pur ».
Le centre de notre psaume – la lumière dont nous avons besoin – nous renvoie ainsi à la création. Le verbe créer, utilisé dans notre verset, est effectivement le même verbe qu’au début de la bible : בָּרָא ‎ (bârâ‘) : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » . Mon cœur a besoin d’être re-créé. J’ai besoin d’un cœur nouveau. Ezéchiel avait déjà prophétisé: « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’enlèverai votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit : alors vous suivrez mes lois, vous observerez mes commandements et vous y serez fidèles » (Ez 36, 26-27). Il y a plusieurs thèmes que ce chapitre d’Ezéchiel a en commun avec notre psaume . La pureté, dont le psaume a parlé déjà plusieurs fois (v. 4, v. 9) ne peut donc venir que par une nouvelle création, un renouveau spirituel complet. Le cœur pur n’est pas tellement un cœur lavé de l’impureté, mais un cœur sans mélange, qui est dirigé uniquement vers Dieu. Pensons aux Béatitudes : « heureux les cœurs purs ; ils verront Dieu » (Mt 5, 8). Ceci est une nouveauté radicale.
Le psalmiste demande aussi que cette nouveauté demeure et ne soit pas quelque chose d’un instant : « raffermis au fond de moi mon esprit ». Que mon esprit soit solidement dirigé vers Dieu. Le psalmiste introduit ici un nouveau mot, important : l’esprit (ruah). La ‘ruah’ (au féminin) ne désigne pas l’esprit au sens d’intelligence (‘nous’ en grec), mais le souffle (‘pneuma’ en grec ; il s’agit du souffle qui traverse les poumons). Il faut du souffle pour que ce retournement personnel dure et pour poursuivre sur le bon chemin.
Ainsi, pas seulement un nouveau cœur, mais aussi un nouvel esprit/souffle. Dans notre verset, il s’agit bien de « mon esprit/souffle », le mien. Si Dieu crée quelque chose de nouveau en moi, ce n’est pas pour m’aliéner, pour me désapproprier de moi-même. Au contraire, c’est pour que je sois enfin moi-même (c’est le péché qui est une aliénation !). Et cet esprit/souffle, qui est le mien – qui est moi – est en même temps reçu comme une nouvelle création, qui ne vient pas de moi. Un organe nouveau qui m’introduit dans la relation avec Dieu et qui fait de cette relation un cœur à cœur. Bien sûr je ne veux plus perdre cette relation :
Ne me chasse pas loin de ta face,
Ne me reprends pas ton esprit saint. (v. 13)
La face revient. À l’inverse du verset qui disait « détourne ta face de mes fautes », maintenant il est clair que Dieu continue à me regarder. Mais je ne veux pas être chassé de sa face. Moi, chrétien, je ne peux plus me passer du visage de Jésus. Être chassé me rappelle aussi l’épisode qui suit immédiatement la création et la chute : Dieu chassa Adam et Eve du paradis. Mon paradis, c’est d’avoir trouvé la face de Dieu, la face de Jésus, grâce au cœur re-créé. Être chassé loin de lui serait comme être chassé hors du paradis. Mon paradis, c’est la relation à Dieu. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3).
Nous rencontrons ici les trois personnes de Dieu, dont les chrétiens ont compris petit à petit qu’Il est communion dans la Trinité : on s’adresse à Dieu-Père, en lui demandant de ne pas être chassé de sa face (Jésus) et de ne pas perdre sa Ruah, son Esprit/Souffle. Le Souffle de Dieu, l’Esprit, est le principe de toute vie (en même temps physique et spirituelle, comme on le voit dans le récit de la création). Le psalmiste est maintenant entré dans une toute nouvelle réalité : celle de sa relation à Dieu. Il le fait comme un homme nouveau. Nous dirons : dans l’Homme Nouveau qui est Jésus, par le baptême.
C’est ce que nous appelons le salut. Le psalmiste le dit d’ailleurs dans le verset suivant :
Rends-moi la joie d’être sauvé ;
Que l’esprit généreux me soutienne. (v. 14)
Le salut, être sauvé, va ensemble avec la joie. Le salut c’est être unifié, réconcilié, intégré. En néerlandais (comme en allemand), le mot pour salut est « Heil », qui vient de « heel » (entier, réunifié) .
Quand l’homme est unifié, en harmonie, il est heureux. Mais, une fois de plus, le psalmiste demande que ce bonheur reste. C’est pourquoi il a besoin du soutien de l’esprit généreux. Littéralement c’est la joie du salut, du sauvetage. Le salut, c’est יֶשַׁע יֵשַׁע ‎ (yesha‛ yêsha‛). Le prénom ישוע (Iéshua) – Dieu sauve – est le prénom même Jésus en hébreu.
L’esprit me donne de la dignité, de la noblesse. L’esprit est appelé généreux. « Généreux » veut dire ici, magnanime, volontaire, libre. Je traduirais par « bien disposé ; bien-veillant ». C’est l’esprit qui me permet d’être libéré de moi-même et donc de me donner aux autres. Je me rends disponible. Pensons à la liberté de Jésus dans son amour jusqu’au bout. Jésus a dit aussi : « Tout homme qui commet le péché est un esclave. Mais…si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres » (Jn 8, 34-36). La liberté est assentiment. Notons le jeu entre « mon esprit » et l’Esprit Saint. En fait, les deux vont ensemble . Mon esprit est d’autant plus le mien qu’il est habité par l’Esprit Saint. Le salut signifie que nous sommes rendus à nous-mêmes.
La générosité, le don libre de soi, doit nécessairement déborder sur les autres. Celui qui est généreux est tourné vers l’extérieur. L’Esprit qui travaille à l’intérieur, dans le secret, au fond du psalmiste devient communication :
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
Vers toi, reviendront les égarés. (v.15)
Ce qu’on a reçu comme guérison ne peut pas rester privé. On veut aider les autres à trouver les chemins de la vie, eux aussi. Pour le Juif, « tes chemins », ce sont les recommandations de Dieu comme on les trouve dans la bible (notamment dans la Thora). Ce sont les paroles de vie, de la part de Dieu. Pour nous, les chrétiens, ce sont les chemins de l’amour comme Jésus nous l’a appris. On devient intermédiaire soi-même, passeur ; on devient messager, « missionnaire », envoyé en mission. On veut travailler à l’unification des autres : l’unité en eux-mêmes et par le fait même, l’unité entre les personnes. Avec le pardon naît une vie nouvelle tournée vers les autres. Dieu continue à écrire l’histoire à travers la fragilité de ceux qu’il envoie. Le pécheur pardonné est le seul à comprendre ce qu’il avait perdu.
Nous sommes déjà assez loin dans notre cheminement spirituel (chemin sous la conduite de l’Esprit, comme le psalmiste l’a demandé : « renouvelle mon esprit », « ne me reprends pas ton esprit saint », « que l’esprit généreux me soutienne »). Petit à petit le psalmiste s’est libéré de la culpabilité qui l’enchainait à lui-même pour être en relation avec Dieu, pour être devant sa face, pour entendre de nouveau les chants et la fête autour de lui. Maintenant seulement il est capable de nommer son péché qui l’a mis en route. Il peut dire enfin le mot qui est le seul vrai et simple et concret. Un mot de vérité, qui, parce qu’il est vrai, libère. Le psalmiste a pris suffisamment de distance par rapport à lui-même – il se sent suffisamment en confiance avec Dieu – pour pouvoir dire :
Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur (v. 16a).
Le psalmiste est… un meurtrier. (C’est l’interprétation traditionnelle). Il a versé du sang. C’est un assassin. Maintenant il est capable de le dire, il peut nommer sa faute. Pour lui, être sauvé signifie être libéré du sang versé. Voilà l’énormité de l’acte, un acte qui est bien le sien, qui n’a plus rien à voir avec le fait que, « bah, oui », tout le monde est né dans la faute et on est pécheur dès le sein maternel. Tout le monde n’est pas pour autant assassin ! Dans cette situation tout à fait particulière, Dieu devient aussi plus que jamais particulier : « Dieu, mon Dieu sauveur », et pas seulement le Dieu de tout le monde. Une fois de plus, Dieu sauveur est le sens du nom de Jésus.
Nous devons arriver, un jour – espérons sans faire de crimes majeurs – à cette confession de foi, que nous trouvons dans la bouche de saint Paul : « le Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Gal 2, 20). De la part de Paul qui n’a jamais connu Jésus de son vivant (comme nous d’ailleurs) c’est aussi une énormité ; surtout quand on se rappelle que Paul a poursuivi et assassiné des chrétiens !
Le verset – « Libère-moi du sang versé » – a fait attribuer ce psaume à David. David a volé Bethsabée, la femme d’Urie, pour coucher avec elle. Mais pour garder Bethsabée, David a fait tuer Urie, son époux. Urie était pourtant un de ses plus fidèles collaborateurs. Le prophète Nathan s’indignera pour tout cela fortement contre David (1Sam 11-12).
La libération de son crime fait dire au psalmiste (David) des paroles tout de même surprenantes (la deuxième partie du même verset) :
Et ma langue acclamera ta justice. (v. 16b)
N’est-ce pas choquant ? Où est la justice là-dedans ? Nous sommes certainement très loin du juge dont le psaume parlait au début, ce juge écrasant. Mais de là à appeler encore juste quelqu’un qui justifie un assassin, n’est-ce pas aller trop loin dans l’autre sens ? Cette soi-disant justice ne restitue pas la vie à Urie et ne redonne pas son mari à Bethsabée ! C’est irréaliste. Pensons (pour les Belges) à toute l’indignation dans l’affaire Dutroux et aux réactions suite à la libération conditionnelle de sa femme, Michèle Martin. Pour entendre ceci, nous préférerions que le psalmiste ait parlé de peccadilles. Mais dans une affaire aussi sérieuse ? C’est révoltant. Et qu’il s’agisse de David, ne fait qu’aggraver la situation (c’est ce que le prophète Nathan avait bien compris par ailleurs).
En fait nous sommes passés d’une justice vindicative (il faut condamner l’homme pécheur) à une justice de grâce (Dieu supprime le péché et recrée l’homme ; chez Lui il y a la gratuité à l’excès) . Mais ce n’est pas au psalmiste de s’en vanter. Le psalmiste l’a compris immédiatement. Oui, il a parlé trop vite et à la légère. C’est pourquoi il rectifie le tir :
Seigneur, ouvre mes lèvres,
Et ma bouche annoncera ta louange. (v. 17)
Si Dieu n’ouvre pas ses lèvres, rien n’en sortira. Mais si Dieu ouvre ma bouche, ce sera pour faire une annonce : l’annonce de la louange de Dieu (même pas de la libération du psalmiste, parce qu’il n’y a pas de quoi être vraiment fier). D’autre part, le psalmiste est vraiment capable de montrer le chemin aux pécheurs (comme il le disait au v. 15), parce qu’il est allé lui-même par ce chemin. Il ne présume plus de ses propres forces. Il sait qu’il ne peut pas se racheter lui-même. Mais il vit maintenant avant tout de sa relation à Dieu, « mon Dieu sauveur » (v. 16). Il n’a aucun mérite devant Dieu.
Un grand pas supplémentaire a été fait. Pas de mérite, pas de donnant-donnant. Le psalmiste sait maintenant, plus intimement que jamais, qu’on ne peut acheter Dieu.
Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas,
Tu n’acceptes pas d’holocauste. (v. 18)
Nous sommes tout à fait dans la spiritualité des prophètes. Jésus rappellera à plusieurs reprises la citation d’Osée (6, 6) : « C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice » (Mt 9, 13 ; 12, 7) . Le psaume précédent au nôtre – Ps 49 (50) – est d’ailleurs un long réquisitoire contre le peuple qui pense être juste à cause des sacrifices.
Le psalmiste a compris de quoi il s’agit, mais il l’a appris à travers la chute, l’échec, et l’humiliation :
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ;
Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. (v. 19)
Nous ne sommes pas devant un Dieu sadique qui veut que l’homme s’humilie pour être accepté. « L’esprit brisé » et « le cœur brisé et broyé » parlent de l’orgueil, de la prétention. Le psalmiste pensait pouvoir mépriser la loi. Il pouvait donc minimaliser l’importance de ses actes injustes. Maintenant ses yeux se sont ouverts et il voit tout le mal qu’il a fait. Cette humiliation le conduit vers la vraie humilité, celle qui aide à s’abandonner à Dieu et à entrer en même temps dans une relation de compassion avec le prochain.
Il se rend compte qu’avec son injustice, il a contribué à la destruction de sa communauté, de la « ville de Jérusalem ».
Le psaume montre aussi que le péché n’est pas effacé magiquement. Il laisse des traces profondes dans l’histoire et dans la conscience du psalmiste. Le pécheur pardonné reste encore fragile et vulnérable ; mais il est devenu plus humain . Nul ne peut consoler s’il n’a jamais souffert.
Accorde à Sion le bonheur,
Relève les murs de Jérusalem. (v. 20)
Selon certains commentateurs ce verset et le suivant, le dernier du psaume, sont un rajout. Peu importe pour nous. Ils font partie de notre texte. Le cœur sauvé, renouvelé qu’a reçu le psalmiste lui permet maintenant de s’ouvrir à la communauté, à la ville de Jérusalem, ville de paix. L’image est celle d’une ville ruinée. Et la ruine de Sion a eu lieu en 587 avant le Christ. Nous sommes donc historiquement parlant, à une époque bien plus tardive que celle de David (qui a vécu vers l’an 1000 a. JC.). Mais peu importe. Tout le processus que j’ai décrit de la culpabilité jusqu’au vrai sens du péché, le passage d’un Dieu jaloux au Dieu de vie, aide à la construction de la communauté. « Relève les murs de Jérusalem ». Qui les relève ? Dieu ? Le psalmiste bien sûr. Mais il s’appuie sur le pardon de Dieu grâce auquel il ne se noie plus dans le remords, comme au début du psaume. Sa guérison spirituelle lui permet maintenant de vivre un authentique repentir (volontaire et actif, au niveau moral) en travaillant à la reconstruction de sa communauté. Il n’est plus paralysé par sa faute. Au contraire, il assume sa responsabilité. Collaborer avec Dieu à la reconstruction de la ville est ainsi, dans la vision prophétique, de la part du psalmiste, un acte de réparation.
« La joie d’être sauvé » (v. 14) s’étend maintenant au peuple : c’est « le bonheur de Sion » (v. 20). On ne reste pas dans un monde individualiste et spirituel. Selon les prophètes c’est l’infidélité du peuple qui avait déclenché la destruction de Jérusalem et l’exil. L’homme sauvé et justifié pratique la justice. Ainsi il reconstruit la cité, il travaille pour la société humaine, il relève des murs qui mettent le prochain en sécurité. Cette ouverture sur la société plus large nous fait poser la question aujourd’hui, quel est le lien entre notre culpabilité personnelle d’une part et d’autre part le mal structurel, le péché collectif qui menace la création et l’humanité ?
Et alors seulement, les vieux rites peuvent avoir de nouveau un sens.
Alors tu accepteras de justes sacrifices, oblations et holocaustes ;
Alors on offrira des taureaux sur ton autel. (v. 21)
Le peuple (purifié dans ses membres) peut maintenant vivre de façon authentique l’Alliance. Celle-ci a effectivement prévu des sacrifices. Quand le peuple est fidèle, le rite est (ou redevient) agréable à Dieu. Evidemment, ce n’est pas dans la société d’aujourd’hui qu’on va encourager le sacrifice des animaux comme c’était le cas en Israël. Il me semble que l’idée à retenir est que des attitudes qui pourraient être seulement formalistes, trouvent un nouveau sens, leur vrai sens. Exactement comme Jésus n’a pas aboli les rites du temple (il y assistait et ses disciples l’ont fait aussi longtemps qu’ils n’étaient pas exclus de la synagogue). Et pourtant : quelle distance énorme entre la liberté de Jésus et le formalisme existant.
Des remarques qui auraient pu venir en introduction :
Il est bon d’approfondir les psaumes dans le cadre d’OJP. C’est que les psaumes sont déjà une prière. Ils nous aident donc à vivre notre relation à Dieu sous forme de prière… c’est précisément ce qu’OJP se pose comme but. Nous essayons de faire une expérience de la prière. Et la meilleure façon est d’entrer dans un texte concret. Aujourd’hui nous avons regardé d’un peu plus près un des psaumes les plus connus, les plus priés aussi : le Psaume 50 (51).
J’ai été guidé par quelques options qu’il est bon de rappeler plus clairement.
J’ai pris le texte du Ps 50 (51) comme nous le lisons en français pendant l’office à Orval, qui est la version œcuménique du texte liturgique. Je n’en discute pas la valeur. Comme tout texte il a ses limites. Cela vaut pour n’importe quelle traduction. Mais une fois qu’on a un texte devant soi, dans le cadre de la lectio, le but est de prier sans se laisser encombrer par des réflexions qui nous replient finalement sur nous-même au lieu de diriger notre attention vers Dieu. Dans la lectio, la première signification du texte est d’être comme un intermédiaire entre Dieu et nous. Dans la bible, Dieu nous donne des mots pour que nous puissions lui parler. Quand on rencontre un ami, on s’intéresse à sa personne plus qu’à ce qu’il dit ou ce qu’il fait. On s’intéresse à sa façon de parler et à son travail à cause de sa personne. Et pas l’inverse. On va de cœur à cœur ; pas d’idée en idée. Si on discute fermement, c’est encore d’abord pour le plaisir d’être ensemble. Nous nous situons dans l’amitié à un autre niveau. Dans un beau texte sur la lectio , Guillaume de Saint-Thierry, moine cistercien et théologien très instruit du 12e siècle, fait la distinction entre lectio et étude. Il dit que la lectio et l’étude sont comme l’amitié par rapport à l’hospitalité (les deux sont nécessaires, mais l’amitié est beaucoup plus intime) ; ou comme l’affection fraternelle en comparaison avec une simple salutation occasionnelle. Nous sommes à OJP pour faire l’expérience de l’amitié et l‘affection fraternelle ; pas pour séjourner quelques jours dans un hôtel où nous ne connaissons personne et pour nous contenter d’un geste de salutation à des inconnus.
Mon approche n’était pas exégétique (l’étude de la bible), aussi importante soit celle-ci. J’ai toutefois confronté mes réflexions à des études sérieuses. Le point de départ est resté le texte lui-même. Saint François demande de lire sa Règle « simplement et sans glose » , sans trop d’idées ajoutées. Ainsi, ma première option était de lire le texte, comme il nous est donné, offert dans la liturgie.
Deuxième option : s’attacher au texte ne veut pas dire seulement avoir de l’attention pour les mots utilisés. Un texte est plus qu’un assemblage de mots. Dans un texte il y a toute une dynamique. Et celui qui ne le voit pas, ne comprend pas le texte. Si un mot nous permet de faire une expérience spirituelle, c’est parce qu’il est utilisé dans le contexte plus large d’une phrase et du texte dans son ensemble. Dans le psaume 50 (51), le thème est celui de la faute et de la culpabilité. C’est une réalité avec laquelle chacun et chacune d’entre nous est confronté. Tout être humain – croyant ou pas – l’expérimente dans sa vie. Mais dans notre cas, le psalmiste se situe devant Dieu. Interviendra alors une autre notion : celle du péché. Aujourd’hui on n’aime pas trop parler du péché, peut-être parce que les générations précédentes en ont trop parlé. Le psaume nous aide, j’espère, à situer les choses de façon plus juste.
Voilà les deux principes : le texte comme il est (donc les mots comme ils se présentent) et la dynamique dans le texte.
Dans ce psaume, nous touchons de près la dimension psychologique et spirituelle de l’homme. Autant dire que le niveau spirituel se construit sur le niveau psychologique. Il doit le prendre en compte et ira en le renforçant ou en le guérissant. Le sujet est vaste.
Dans notre psaume, on part d’une culpabilité narcissique (le psalmiste est plus occupé de l’image de lui-même que de sa relation à Dieu). Puis, il passe par la phase névrotique : que Dieu me punisse. Le psalmiste est déjà préparé à encaisser la chose et à s’y conformer. Ces sentiments suscitent les désirs d’être purifié, de (re)devenir absolument pur. Heureusement, le psalmiste, à travers tous ces passages, ne rompt jamais la relation à Dieu. Il évolue petit à petit vers une vraie alliance de désir. Il sort d’une culpabilité pathologique pour vivre une vraie conversion. Il touche son vrai désir, qui élargit son existence vers Dieu en même temps que vers les autres et la communauté.

PSAUME 95 – JE VEUX TE DIRE : JE T’AIME PAPA

19 janvier, 2015

http://batschalom.canalblog.com/archives/2010/12/18/19909649.html

PSAUME 95 – JE VEUX TE DIRE : JE T’AIME PAPA

1 Venez, chantons à l’Éternel, Jetons des cris de réjouissance au rocher de notre salut.
2 Allons au-devant de lui avec la louange, Par des psaumes célébrons-le.
3 Car l’Éternel est un grand Dieu Et un grand roi par dessus tous les dieux !
4 Dans sa main sont les lieux profonds de la terre, Et les sommets des montagnes sont à lui.
5 A lui la mer, c’est lui qui l’a faite ; La terre aussi, ses mains l’ont formée.
6 Venez, prosternons- nous, inclinons-nous, Ployons les genoux devant l’Éternel qui nous a faits !
7 Car il est notre Dieu, Et nous, le peuple qu’il paît, le troupeau que sa main conduit… Si aujourd’hui vous écoutiez sa voix !
8 N’endurcissez pas votre cœur, comme à Mériba, Comme aux jours de Massa, au désert,
9 Où vos pères m’ont tenté Et m’ont éprouvé, quoiqu’ils vissent mes œuvres.
10 Quarante ans j’ai eu en dégoût une telle génération ! Et j’ai dit : C’est un peuple dont le cœur s’égare, Et ils n’ont point connu mes voies.
11 Aussi ai-je juré dans ma colère : Qu’ils n’ entrent dans mon repos !…

Ce psaume est partagé en plusieurs parties, dabord c’est une explosion de joie, les fidèles se réjouisseent dans la présence de D., ils le reconnaissent comme la source de leur salut, celui qui les a délivrés, et ils chantent sa grandeur, sa toute puissance.
Ils le louent comme le Créateur unique, le grand architecte de l’univers, celui qui nous générés pour vivre dans ce monde, modelé par sa main, parfait artisan, qui a su niveler les terrains, faire jaillir des sources d’eau, tendre poète qui a crée le verbe, pour nous donner la Parole, peintre au talent inestimable, qui a su jouer avec les couleurs et les formes.
Comment ne nous prosternerons pas devant celui par qui toutes choses a pris naissance, et qui nous donne chaque jour de vivre ses bénédictions?
A lui appartiennent ciel, terre et mer, il en est le seul Roi, et nous lui rendons grâce parce qu’il est notre berger qui sait d’une main sûre, affermir nous conduire dans des chemins bons pour nous. Nous sommes sont peuple aimé et choisi.
Mais il aime que notre coeur soit à lui également, il aime nos louanges quand elles sont pures, sincères, venant du plus profond de notre être, c’est pourquoi le psalmiste nous recommande de ne pas endurcir nos coeurs, quand nos coeurs sont endurçis, nous ne sommes plus capablels d’entendre la voix de celui que se veut notre Père.
Et le psamiste nous rappelle, en citant les eaux amères, et le passage du désert, nos périodes, où nous étions bénis, mais où, en enfants ingrats nous n’avons pas reconnu ses bienfaits comme venant de lui, où nos pensées nous conduisaient toujours vers des ce qui n’allait pas encore, alors que patient et amoureux, notre Seigneur nous ouvrait des portes.
Aussi comme un amant éconduit, D. attristé et irrité nous a retiré la paix, cette paix dont nous sommes pourtant si friands, car la véritable paix ne vient que de Jésus lui même, le repos de D. est un cadeau merveilleux, n’attristons pas son coeur, comme des enfants orgueilleux et capricieux, sachons reconnaitre ce qui vient de lui, pour que son coeur de Père soit également comblé, comme il comble le notre. Il le mérite par dessus tout, et ce que le réjouit le plus c’est quand on lui murmure : je t’aime Papa.

Corinne.

LOUEZ DIEU DANS SES SAINTS ! (Ps 150, 1)

14 janvier, 2015

http://www.monastere-transfiguration.fr/synaxaire/introduction_synaxaire.html

LOUEZ DIEU DANS SES SAINTS !

(Ps 150, 1)

Lorsqu’il fut transporté en esprit devant le trône de Dieu préparé pour le jugement de toute chose à la fin des temps, l’Apôtre saint Jean dit : Puis j’entendis comme la voix d’une foule nombreuse et comme la voix de grandes eaux, et comme la voix de puissants tonnerres qui disaient : Alléluia, car le Seigneur, notre Dieu le Tout-Puissant, a pris possession de la royauté. Réjouissons-nous, soyons dans l’allégresse et rendons lui gloire, car les noces de l’Agneau sont venues, son Épouse est parée, et il lui a été donné de se vêtir de lin fin d’une blancheur éclatante – le lin fin, ce sont les œuvres des saints (Ap 19, 6-8). Cela n’arrivera pas seulement à l’aube de la Résurrection, mais aujourd’hui déjà, la sainte Église, l’Épouse du Christ, s’est revêtue, comme d’un habit de pourpre et de lin fin, du sang des martyrs, des larmes des ascètes, de la tempérance des vierges, de la proclamation des apôtres, des écrits des docteurs, de la miséricorde des justes… Elle est ornée de toutes les vertus et de toutes les grâces que le Saint-Esprit a fait éclore dans les saints, en tout temps et en tout lieu. Qui pourrait dénombrer cette nuée de témoins (Hbr 12, 1) qui nous entoure ? Qui pourrait nommer chacun de ces vivants qui, avec le Christ, par le Christ et dans le Christ ont triomphé de la mort, se sont approchés du trône de Dieu, eux en qui Dieu se réjouit (cf. Is 62, 5) et trouve son repos (ibid. 57, 15) ?
Ils sont devenus concitoyens des anges et frères du Christ. Et lui, tel le soleil se reflétant sur les eaux, apparaît en eux, multiple et unique à la fois. Les saints qui habitent aujourd’hui la Jérusalem céleste, la Terre des Vivants, la Cité du grand Roi, sont les astres innombrables d’un firmament spirituel qu’éclaire le Christ, Soleil de Justice (Mal 4, 2). À mes yeux tes amis ont beaucoup de prix, ô Dieu – chante David le roi-prophète –, je les compte et ils sont plus nombreux que le sable (Ps 138, 17). Les milliers de saints commémorés dans tous les synaxaires et martyrologes d’Orient et d’Occident ne représentent qu’une infime partie de cette grande assemblée (Ps 39, 10). Ce sont les saints qui font l’objet d’un culte public. Mais combien plus nombreux sont ceux qui cachèrent Dieu dans le secret de leur cœur, restant humblement ignorés de tous et protégés de la vaine gloire des hommes. Il y en eut de toutes conditions, en tous temps et en tous lieux : patriarches, prophètes, apôtres, martyrs, confesseurs, évêques, prêtres, diacres, moines et vierges, hommes et femmes, enfants et vieillards, riches et pauvres, princes, prostituées, brigands… Ils ont, par amour de Dieu et au prix de souffrances volontaires, fait éclore en notre nature humaine les fleurs variées de la grâce du Saint-Esprit. À l’un en effet, c’est le discours de sagesse qui est donné par l’Esprit, à un autre, le discours de science selon le même Esprit ; à un autre, la foi dans le même Esprit ; à un autre les dons de guérison dans cet unique Esprit ; à un autre le pouvoir d’opérer des miracles ; à un autre la prophétie, à un autre le discernement des esprits ; à un autre diverses sortes de langues : à un autre l’interprétation des langues. Mais tout cela, c’est l’œuvre de l’unique et même Esprit qui distribue ses dons à chacun en particulier selon son gré. (1 Cor 12, 8-11).
En unissant en sa Personne, par son Incarnation, notre nature humaine, mortelle et pécheresse à sa nature divine, le Seigneur Jésus-Christ nous a ouvert les cieux et nous appelle à l’y suivre, lorsque nous aurons manifesté la gloire de sa divinité dans notre vie, dans les conditions où il nous a placés. Tout chrétien est appelé à la sainteté, en Christ et par le Christ : Soyez saints, car Je suis saint, disait déjà le Seigneur dans la Loi ancienne (Lv 11, 44 ; 1 Pt 1, 16). Tout chrétien, né à la vie nouvelle de l’Esprit par le baptême, est appelé à l’accomplissement de la vocation d’Adam : faire régner ici-bas la gloire de Dieu. Voilà pourquoi il n’est pas un endroit du monde qui ne doive être aspergé du sang des martyrs, baigné des larmes des moines, ou qui ne doive résonner de la prédication de la Bonne Nouvelle. C’est en tout temps et en tout lieu que s’est élevée, que s’élève et que s’élèvera la prière des saints pour le salut du monde. Car, selon le témoignage des premiers Pères, c’est par la prière des chrétiens que le monde peut subsister 1.
Le monde est sanctifié, sauvé, racheté par la présence des saints qui, comme le levain faisant lever la pâte (Mt 13, 33), préparent l’humanité à l’ultime révélation du Seigneur Jésus-Christ. Il viendra dans sa gloire, pour que la lumière de sa divinité resplendisse sans ombre aucune sur son Corps, l’Église. Alors, le nombre des saints devant apparaître sur la terre et dont Dieu seul connaît les noms, qu’il garde mystérieusement inscrits dans le livre de vie de l’Agneau (Ap 21, 27), sera complet. Le monde d’en haut sera consommé 2 et les saints de tous les temps seront réunis dans le Corps unique du Christ. Son union à l’Église-Épouse aura atteint sa plénitude, et l’humanité sera pour toujours la Demeure de Dieu, la Jérusalem céleste (Ap 22). Le Christ, qui se tient présentement caché dans ses saints, rayonnera en eux avec l’intensité de la gloire que, de toute éternité, il a en commun avec le Père et le Saint-Esprit : Afin que tous soient un, comme toi. Père tu es en moi et moi en toi, afin qu’eux aussi soient en nous (Jn 17, 21), dit-il, au moment de s’offrir en sacrifice pour notre salut.
Mais jusqu’à ce jour, la maison de Dieu est encore en cours d’édification. Le Seigneur patiente et temporise, attendant que tous les saints entrent dans la construction, telles des pierres vivantes (1 Pt 2, 4), adhérant, chacun à son tour, au Christ, la Pierre angulaire (ibid. et Is 28, 16), selon la grâce et les qualités qui lui ont été données. Les saints sont tout à la fois un et multiple, et chacun contribue de manière irremplaçable à la constitution du Corps du Christ, comme autant de membres. On pourrait encore les comparer à l’or et aux pierreries ornant la robe de la Reine se tenant à la droite du Seigneur, en vêtements tissés d’or, parée de couleurs variées (Ps 44, 10). Tels des diamants et des pierres précieuses, ils renvoient partout, en rayons multicolores, l’unique lumière du triple Soleil. Mais pour être ainsi pénétrés de lumière, il a fallu auparavant qu’ils soient taillés, ciselés, dégagés de la matière et de ses lourdeurs par le ciseau et le marteau des souffrances, des persécutions, des afflictions de toutes sortes. Ils ont dû passer, comme l’or encore grossier, dans la fournaise des tentations, afin d’être affinés et de resplendir comme nobles joyaux sur la robe de l’Église-Épouse.
Les saints brillent de la lumière de Dieu, ils sont devenus dieux par la grâce du Saint-Esprit, dans la mesure même où, baptisés dans le Christ, ils ont revêtu le Christ (Gal 3, 27). Dans la mesure où, avec le Christ, ils se sont chargés de leur croix (Mt 16, 24) pour crucifier en eux le vieil homme plein de passions, de péchés et d’impuretés, ils peuvent participer aussi à la gloire de sa Résurrection. En communiant à la Passion du Christ par le martyre, l’ascèse, les larmes et la pratique de toutes les vertus évangéliques, les saints ont vaincu la mort avec lui. Ils sont désormais vivants en Dieu, car le Christ a établi en eux sa demeure. Je suis crucifié avec le Christ, nous crient-ils ; ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi… (Gal 2, 20). Le Christ est monté au ciel, mais il n’a pas quitté l’Église terrestre. Le Christ est monté au ciel, mais il nous a envoyé le Saint-Esprit, qui fait de tous les saints autant de christs, de dieux par la grâce. L’œuvre de notre Seigneur Jésus-Christ, et sa Personne elle-même, divine et humaine, sont à la fois répétées et prolongées par la vie des saints dans l’Église, sous l’action du Saint-Esprit.

Des gens, dont le cœur et l’esprit sont insensibles à la vie spirituelle, trouvent les Vies des saints ennuyeuses. « C’est toujours la même histoire », disent-ils. Martyrs, confesseurs, ascètes, vierges et saints laïcs ; qu’ils aient vécu dans les premiers siècles ou hier, en Asie, en Palestine, en Égypte, en Italie, en Afrique ou en Amérique, c’est en effet toujours la même histoire. Tous ont eu un cœur brûlant d’amour pour le Seigneur et ont participé à son sacrifice, s’offrant volontairement à la mort pour avoir part à sa Résurrection. Tous ont été baptisés dans sa mort par le baptême d’eau, par le baptême de sang, par le baptême des larmes, pour que la vie nouvelle de l’Esprit pénètre en eux et que la gloire de Dieu, qui resplendit sur le visage du Christ, demeure dans leur cœur et rejaillisse sur leur corps.
Les saints vivent dans le Christ Jésus et le Christ vit en eux. Dans les saints, Il répète inlassablement, jusqu’à la fin du monde, le mystère unique de sa mort et de sa résurrection, de l’incarnation de Dieu et de la déification de l’homme. Sur les fresques représentant les martyrs et les saints militaires – celles de certains réfectoires du Mont Athos notamment – on constate que si les saints ont des postures, des vêtements et des attributs différents, ils ont à peu près tous le même visage, et ce visage est celui du Christ. Tels sont en effet les saints : identiques en Christ, mais infiniment divers dans leurs caractères personnels et les conditions dans lesquelles ils ont reproduit l’œuvre du Sauveur, dans un lieu et à un moment donnés. Chez les saints toutefois cette reproduction de la Passion du Seigneur n’est pas morne répétition. Elle est toujours nouvelle, toujours originale, toujours unique et contribue de manière irremplaçable à l’édification de l’Église des premiers-nés. Le Seigneur Jésus a ouvert la voie, il a sauvé la nature humaine en mettant à mort dans son propre corps la mort, mais il faut maintenant que chaque personne participe librement à cette œuvre de salut. Ce qui manque aux tribulations du Christ, écrit saint Paul, je le complète dans ma chair au profit de son corps qui est l’Église (Col 1, 24). Ces paroles de l’Apôtre ne signifient pas qu’il manque quoi que ce soit à l’œuvre du Christ et à notre Rédemption, mais seulement que chacun d’entre nous doit communier volontairement et de manière personnelle à sa Passion, pour avoir part à l’héritage des saints dans la lumière de Dieu (ibid.).
Unis au Christ par la foi et la grâce, les saints accomplissent les œuvres du Christ (Jn 14, 12). Habitant en eux par le Saint-Esprit, c’est le Christ lui-même qui accomplit par eux des miracles, convertit les païens, enseigne les secrets de la science spirituelle, réconcilie les ennemis et donne à leur corps la force d’affronter avec joie les plus horribles tortures ; de sorte que l’Évangile ne cesse d’être écrit jusqu’aujourd’hui par les œuvres évangéliques des saints 3. Voilà pourquoi les saints, proches et lointains, anciens et nouveaux, sont pour nous des guides sûrs nous conduisant au Christ qui habite en eux. Devenez mes imitateurs, tout comme je le suis moi-même du Christ (1 Cor 11, 1), nous disent-ils avec saint Paul. Si nous voulons faire resplendir en nous l’image du Christ, nous devons donc souvent tourner nos regards vers les saints pour avoir des exemples vécus et pratiques de la marche à suivre. Le peintre qui désire faire le portrait d’une personne qu’il ne voit pas devant lui, se sert de reproductions, les regarde attentivement, les compare pour s’en inspirer, de même nous faut-il regarder vers les saints, lire leurs Vies, les comparer, pour savoir comment progresser dans la vie en Christ.
Mais, dira-t-on, comment donc imiter ces martyrs qui ont souffert de si terribles tourments, alors qu’il n’y a plus de persécutions ? Comment suivre la voie de ces ascètes qui se sont retirés au fond des déserts pour soumettre leur corps à des privations que personne ne pourrait supporter aujourd’hui ? Cela n’est pas possible. Certes, les conditions géographiques, historiques, sociologiques, etc. qui sont les nôtres sont fort différentes de celles dans lesquelles vécurent nombre de saints dont nous lisons les Vies. Mais est-ce vraiment là une raison pour dire que la sainteté n’est plus possible et succomber à la négligence ou réduire l’Évangile à un simple code moral ? Le Seigneur n’a-t-il pas dit que le Royaume des cieux est objet de violence et que ce sont les violents qui s’en emparent (Mt 11, 12) ? Le langage de la Croix n’a-t-il pas rendu folle la sagesse du monde (1 Cor 1, 20) ? De tels arguments, si raisonnables qu’ils paraissent, ne reviennent-ils pas à réduire à néant la Croix du Christ (idem, 17) en justifiant notre paresse et nos passions ? Les exploits des martyrs et des ascètes sont des réalités historiques, la gloire et l’ornement de l’Église ; et ils ne nous paraissent inaccessibles ou exagérés qu’à cause de notre manque de foi et d’amour de Dieu. Il nous est facile d’écouter l’enseignement de l’Évangile, d’assister à la divine Liturgie, de prier dans notre chambre, mais croyons-nous vraiment que le Royaume de Dieu ne consiste pas en paroles, mais en puissance (idem 4, 20), et que, par la grâce de Dieu, notre nature humaine peut être élevée au-dessus d’elle-même et accomplir des œuvres qui semblent impossibles à ceux qui sont prisonniers de ce monde ? La lecture des exploits des saints ne porte au découragement que les orgueilleux qui se confient en leurs propres forces ; tandis que, pour les humbles, elle est une occasion de voir leur propre faiblesse, de pleurer sur leur impuissance et d’implorer le secours de Dieu 4. Lisons donc les Vies des saints en psalmodiant avec David : Dieu est admirable dans ses saints, lui le Dieu d’Israël (Ps 67, 35). Tout comme eux, nous n’avons que notre faiblesse à offrir au Seigneur (2 Cor 11, 30). C’est lui qui agit et nous donne la victoire. Ceux qui sont prisonniers de la vaine gloire de ce monde mettent tout leur soin, nous dit saint Jean Chrysostome 5, à orner leur demeure de fresques, de peintures et d’objets précieux; de même, en lisant les Vies des saints, nous faut-il, à nous les fils de la Résurrection, orner la maison de notre âme par le souvenir de leurs souffrances et de leurs exploits, pour la préparer à recevoir le Christ et à être à jamais la demeure du Roi du Ciel.
En lisant assidûment les Vies des saints, en vivant avec tous les saints (Eph 3, 18), en nous promenant chaque jour dans ce jardin spirituel qu’est le Synaxaire, nous trouverons peu à peu certains saints qui attirent davantage notre sympathie, notre émotion, notre affection. Ils deviendront pour nous comme des amis intimes à qui nous aimerions confier nos joies et nos peines, à qui nous demanderions plus spécialement le secours de leurs prières, dont nous aimerions souvent relire la Vie, chanter les tropaires et vénérer l’icône. Ces amis intimes seront pour nous une puissante consolation et des guides privilégiés sur la route étroite qui nous mène au Christ (Mt 7, 14). Nous ne sommes pas seuls sur ce chemin et dans ce combat, nous avons avec nous notre Mère, la Toute-Sainte Mère de Dieu, notre Ange Gardien, le saint dont nous portons le nom et ces quelques amis que nous aurons choisis parmi la grande Assemblée des témoins de l’Agneau. Et si nous trébuchons sous l’effet du péché, ils nous relèveront ; lorsque nous serons tentés par le désespoir, ils nous rappelleront qu’avant nous, et plus que nous, ils ont souffert pour le Christ et goûtent désormais à la joie éternelle. Ainsi, sur le chemin rocailleux de cette vie, ces saints amis nous feront voir un peu de la lumière de la Résurrection. Cherchons donc dans les Vies des saints ces quelques amis intimes et, avec tous les saints, marchons vers le Christ.
Un jour, un moine doux et simple de l’Athos – un de ceux à qui le Christ a promis la terre en héritage (Mt 5, 5) – se préparait, comme d’habitude, à prier le saint du jour avec d’abondantes larmes et de nombreuses prosternations. Mais au moment de regarder son calendrier, il constata qu’il l’avait égaré et n’avait plus aucun moyen de savoir quel était le saint commémoré ce jour-là. Aussi commença-t-il sa prière en disant : « Saint du jour, intercède pour nous ! » Après quelques instants, le saint apparut devant lui et lui révéla son nom : Lucillien [3 juin]. Sans guère s’étonner, le bon vieillard compléta donc sa prière par le nom du saint, mais comme il était un peu sourd et qu’il n’avait pas bien compris le nom, il dit : « Saint Lucien, intercède pour nous ! ». Le saint apparut alors de nouveau et lui dit sur un ton de reproche : « Je ne suis pas Lucien, mais Lucillien », et il disparut, laissant le moine continuer paisiblement sa prière 6.
Un frère demanda à un autre athonite, le Père Abrahamios de Néa-Skitie († 1989) : – « Père, est-ce que tu ne te lasses pas de lire ainsi continuellement le synaxaire du saint du jour ? » L’Ancien lui répondit en souriant : – « Mon enfant, tous les saints, et spécialement les martyrs, il nous faut les aimer et les honorer, car “l’honneur rendu aux saints, c’est l’imitation des saints” 7. Puisque nous sommes incapables et pécheurs et que nous ne pouvons pas les imiter, étudions donc au moins leur Vie, pour ne pas passer notre temps en bavardage. De plus, par la lecture de leur Vie, nous nous les concilions en quelque sorte, pour qu’ils soient nos intercesseurs et nos aides, ici-bas comme lors de notre grand voyage vers les cieux. En outre, en étudiant les Vies des saints, nous voyons nos propres passions dans notre cœur, et il nous est donné l’occasion de lutter contre elles et d’utiliser pour cela les mêmes moyens qu’eux-mêmes ont utilisés. » 8
Ces deux anecdotes illustrent la familiarité que nous devons avoir avec les saints et montrent combien ils sont proches de nous, interviennent dans notre vie quotidienne, nous écoutent dans nos prières, nous reprennent dans nos chutes et nous montrent par d’innombrables signes de leur présence, que notre vie n’est pas vraiment de ce monde, que nous vivons comme des étrangers et des voyageurs entre ciel et terre.
Dans notre vie spirituelle, nous pouvons communiquer quotidiennement avec les saints de trois façons : en chantant leurs hymnes et leur office liturgique, en vénérant leur icône et en lisant leur Vie dans le Synaxaire. S’il est difficile à ceux qui vivent dans le monde de se rendre chaque jour à l’église pour chanter les louanges des saints, tous les chrétiens peuvent cependant chez eux, seuls ou en famille, chanter le tropaire des saints du jour, tous peuvent vénérer leur icône, tous peuvent consacrer quelques instants à lire ou à relire leur Vie dans le Synaxaire. Toutefois, la lecture quotidienne de ces résumés des Vies des saints ne nous sera vraiment profitable que si nous nous approchons d’eux avec les mêmes dispositions que lorsque nous vénérons une icône. Si imparfaites soient-elles, les notices du Synaxaire sont, en effet, dans le domaine du récit ce que sont les icônes dans le domaine de l’image : elles nous rendent le saint présent et peuvent nous apporter autant de grâce que les saintes icônes. Tout dépend de la simplicité de notre cœur. Ainsi, où que nous nous trouvions, quel que soit l’état de notre avancement spirituel, quel que soit notre désir de consacrer notre vie à Dieu, nous trouverons dans le Synaxaire un renouvellement de nos forces et comme un avant-goût de la vie éternelle, où tous les saints danseront avec les anges autour du trône de Dieu en disant :

Saint, Saint, Saint est le Seigneur
le Dieu Tout-Puissant,
Celui qui était, qui est et qui vient ! (Ap 4, 8).

JEAN-PAUL II : ROYAUME DE PAIX ET DE BÉNÉDICTION PS 71, 12-13.17-19

2 décembre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/audiences/2004/documents/hf_jp-ii_aud_20041215_fr.html

JEAN-PAUL II

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 15 décembre 2004

ROYAUME DE PAIX ET DE BÉNÉDICTION

LECTURE: PS 71, 12-13.17-19

1. La Liturgie des Vêpres, que nous suivons à travers la série de ses Psaumes, nous propose en deux étapes distinctes le Psaume 71, un hymne royal et messianique. Alors que nous avons déjà médité sur la première partie (cf. vv. 1-11), se trouve à présent devant nous le deuxième mouvement poétique et spirituel de ce chant consacré à la figure glorieuse du roi Messie (cf. vv. 12-19). Nous devons cependant immédiatement signaler que le finale des deux derniers versets (cf. vv. 18-19) est en réalité un ajout liturgique successif au Psaume.
Il s’agit, en effet, d’une brève mais intense bénédiction, qui devait sceller le deuxième des cinq livres dans lesquels la tradition hébraïque avait divisé le recueil des 150 Psaumes: ce deuxième livre avait commencé par le Psaume 41, celui de la biche assoiffée, symbole lumineux de la soif spirituelle de Dieu. C’est à présent un chant d’espérance dans une ère de paix et de justice qui conclut cette séquence de Psaumes et les paroles de la bénédiction finale sont une exaltation de la présence efficace du Seigneur dans l’histoire de l’humanité, où « il accomplit des merveilles » (Ps 71, 18), ainsi que dans l’univers créé comblé de sa gloire (cf. v. 19).
2. Comme il apparaissait déjà dans la première partie du Psaume, l’élément décisif pour reconnaître la figure du roi messianique est surtout la justice et son amour pour les pauvres (cf. vv. 12-14). Ces derniers n’ont que lui comme point de référence et source d’espérance, dans la mesure où il est le représentant visible de leur unique défenseur et patron, Dieu. L’histoire de l’Ancien Testament enseigne qu’en réalité, les souverains d’Israël n’ont que trop souvent oublié cet engagement, opprimant les faibles, les humbles et les pauvres.
C’est pourquoi le regard du Psalmiste se pose à présent sur un roi juste, parfait, incarné par le Messie, l’unique souverain prêt à racheter « de l’oppression, de la violence » les opprimés (cf. v. 14). Le verbe hébreu utilisé est le terme juridique du protecteur des derniers et des victimes, également appliqué à Israël « racheté » de l’esclavage lorsqu’il était opprimé par la puissance du pharaon.
Le Seigneur est le « racheteur-rédempteur » primordial qui oeuvre de façon visible à travers le roi-Messie, en protégeant « la vie et le sang des pauvres », ses protégés. Or, « vie » et « sang » sont la réalité fondamentale de la personne, il s’agit de la représentation des droits et de la dignité de chaque être humain, des droits souvent violés par les puissants et les violents de ce monde.
3. Le Psaume 71 se termine, dans sa version originale, avant l’antienne finale que l’on a déjà mentionnée, par une acclamation en l’honneur du roi-Messie (cf. vv. 15-17). Celle-ci est semblable à un son de trompette qui accompagne un choeur de voeux et de souhaits adressés au souverain, pour sa vie, pour son bien-être, pour sa bénédiction, pour la permanence de son souvenir au cours des siècles.
Nous nous trouvons naturellement en présence d’éléments qui appartiennent au style des poésies de cour, avec l’emphase qui leur est propre. Mais ces paroles acquièrent désormais leur vérité dans l’action du roi parfait, attendu et espéré, le Messie.
Selon une caractéristique des poésies messianiques, toute la nature est concernée par une transformation qui est tout d’abord sociale: le froment des moissons sera tellement abondant qu’il deviendra comme une mer d’épis qui ondoient jusqu’au sommet des montagnes (cf. v. 16). Tel est le signe de la bénédiction divine qui se répand en plénitude sur une terre pacifiée et sereine. Toute l’humanité, oubliant et effaçant même chaque division, convergera vers ce souverain de justice, accomplissant ainsi la grande promesse faite par le Seigneur à Abraham: « Bénies seront en lui toutes les races de la terre » (v. 17; cf. Gn 12, 3).
4. Dans la figure de ce roi-Messie, la tradition chrétienne a perçu le portrait de Jésus Christ. Saint Augustin, dans son Commentaire sur le Psaume 71, relisant précisément le chant dans une optique christologique, explique que les humbles et les pauvres, au secours desquels le Christ vient, sont « le peuple des croyants en lui ». Rappelant les rois que le Psaume avait auparavant mentionnés, il précise même que « dans ce peuple sont aussi compris les rois qui l’adorent. Ils n’ont pas, en effet, dédaigné être humbles et pauvres, c’est-à-dire confesser humblement leurs propres péchés et reconnaître qu’ils ont besoin de la gloire et de la grâce de Dieu, afin que ce roi, fils du roi, les libérât du puissant », c’est-à-dire de Satan, le « calomniateur », le « puissant ». « Mais notre Sauveur a humilié le calomniateur, et il est entré dans la maison du puissant, en emportant ses vases après l’avoir enchaîné; il « a libéré le petit du puissant, et le pauvre qui n’avait personne pour le secourir ». En effet, aucune puissance créée n’aurait été capable d’accomplir cela: ni celle de quelque homme juste, ni même celle de l’ange. Il n’y avait personne en mesure de nous sauver; voilà alors qu’il est venu lui-même, en personne, et qu’il nous a sauvés » (71, 14: Nuova Biblioteca Agostiniana, XXVI, Roma 1970, pp. 809-811).

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