Archive pour la catégorie 'Biblique: Ancient Testament étude'

FIGURES MARIALES DE L’ANCIEN TESTAMENT – DEUXIEME PARTIE -

9 décembre, 2013

http://campus.udayton.edu/mary/resources/french/figuresmarial.html

FIGURES MARIALES DE L’ANCIEN TESTAMENT   – DEUXIEME PARTIE -

MIRYAM Le nom de la Vierge Marie lui fut donné par ses parents sans doute en l’honneur de Miryam, la sœur de Moïse et d’Aaron (dans l’Ancien Testament). Sous la conduite de Moïse, elle fut une prophétesse et un leader du peuple dans sa traversée de la mer Rouge et du désert. Anne et Joachim ont peut-être été motivés par le désir d’une renaissance du peuple d’Israël, de même que les parents de Marie Madeleine, Marie de Béthanie, Marie mère de Jacques ou encore Marie mère de Marc. Son nom signifierait « dame princesse » ou, s’il y a un lien avec le lieu appelé Méribah, « eaux amères ». Miryam, la sœur de Moïse, est seule dans l’Ancien Testament à porter ce nom si on excepte la Miryam inconnue de 1 Chroniques 4,17. O. Bardenhewer a recensé pas moins de 67 étymologies différentes pour le nom « Miryam » ! Plus probablement, ce nom aurait désigné une dame de haut rang, une princesse donc, et ainsi plutôt belle. Si le nom a une origine égyptienne, le sens de « chère » ou « chérie » en serait la meilleure traduction. Selon de la Potterie, le kécharitôménê de Luc 1,28 serait utilisé comme un équivalent de « Marie » et indiquerait que ce nom s’appliquerait à une femme comblée de grâce par Dieu, donc gracieuse et belle. Le judaïsme considère Myriam comme une prophétesse. Elle reprend le chant de victoire célébrant Dieu qui a libéré son peuple pendant l’Exode :

            « Miryam, la prophétesse, sœur d’Aaron, prit en main un tambourin et toutes les            femmes la suivirent avec des tambourins, formant des chœurs de danse. Et    Miryam leur entonna : “Chantez pour Yahvé, car il s’est couvert de gloire, il a jeté    à la mer cheval et cavalier” » (Exode 15,20-21).

Dans l’évangile de l’enfance selon Luc, le Magnificat est attribué à Marie (certains manuscrits mineurs l’attribuent à Élisabeth). Les deux hymnes partagent plusieurs thèmes. Marie glorifie Dieu comme son Seigneur et Sauveur alors que Moïse ou Miryam chante la gloire, kabôd, de Dieu. Dans les deux cas, Dieu est identifié comme Seigneur et Sauveur. Abraham est le père dans la foi des deux femmes. Les deux exaltent Dieu dans son triomphe sur les puissants. Pharaon est mis à bas comme les orgueilleux du Magnificat. Dieu déploie la force de sa droite, de son bras dans les deux chants. Les œuvres puissantes de Dieu sont exaltées. L’amour constant de Dieu a sauvé et libéré Israël, son peuple. Ces parallèles apparaissent plus clairement dans la comparaison de la version grecque de la Septante du « chant de victoire » avec le texte, grec, de Luc. Ce dernier a imité le style, les expressions et le vocabulaire de cette traduction grecque du « chant de victoire ». La fuite en Égypte de Marie et Joseph, pour échapper à la tyrannie et violence d’Hérode, suit le parcours inverse de Moïse qui, avec Miryam et Aaron, fuyait Pharaon. Marie de Nazareth aura néanmoins touché le même sol égyptien que sa matronyme Miryam (Mt 2,13-15)on Le fait que la Bible contient sept passages différents parlant de Miryam atteste de son rôle de leader en Israël. Le prophète Michée l’exalte : « Car je t’ai fait monter du pays d’Égypte, je t’ai racheté de la maison de servitude ; j’ai envoyé devant toi Moïse, Aaron et Miryam (Mi 6,4).

MIRYAM ET MARIE En repérant les qualités de Miryam, la sœur de Moïse, on observe ce qui suit : elle est un leader, une prophétesse, une médiatrice, une initiatrice, une servante, un modèle de discrétion et de pertinence, une négociatrice et une femme qui prend soin des autres et qui collabore dans les coulisses, mais efficacement, à l’histoire salvifique du peuple élu. Dans les hymnes et litanies de l’Église, la tradition catholique attribue de telles qualités à Marie. Les fondements bibliques de l’emploi de ces expressions sont tirés des récits de l’Annonciation, de la Visitation (Lc 1,28-45) et des noces de Cana (Jn 2,1-11).

JUDITH Judith est l’héroïne du livre deutéro-canonique du même nom. Elle incarne la femme idéale de la piété juive tardive (150-100 av. J.C.). Bien des aspects de sa vie laissent voir en elle une pharisienne. Dans sa victoire sur Holopherne, elle ressemble à Déborah et Yaël dans leur victoire sur Sisera. Elle se décrit en Judith 11,17 : « Car ta servante est une femme pieuse : Nuit et jour elle honore le Dieu du ciel. » De par son observance religieuse, Judith est une personne juste. Elle observe les prescriptions de la Torah, est une chaste veuve, observe les fêtes et même les veilles de fêtes (8,6). Elle observe les lois et rituels de purification (12,2.9.19 ; 16,18). « …elle est un modèle de religion pharisienne. Il n’est pas étonnant que sa dévotion soit bénie ; elle est riche, elle est belle, tous l’estiment (8,7-8) même s’il est à noter que le texte ne parle pas d’enfants. L’histoire se concentre sur son courage, son initiative, son don de soi (13,20)… » [Voir : Reginald C. Fuller, éd., A New Catholic Commentary on Holy Scripture. (Nashville : Thomas Nelson, 1969) 404.] Judith représente l’ensemble du peuple d’Israël fidèle. Cela apparaît notamment dans son hymne final (16,1-17). Judith appartient aux pauvres de Yahvé (tapeinoi : 6,19 ; 13,20 ; 16,11). Les biblistes reconnaissent que la physionomie spirituelle de Judith est sans aucun doute celle des pauvres en esprit. Dans ses actes, Judith devient un paradigme de la libération humaine. Elle témoigne de la vérité fondamentale selon laquelle la foi ne dépend pas de résultats visibles (8,17-27) et que la puissance de Dieu ne réside pas dans le nombre (9,11).

JUDITH ET MARIE On trouve en Marie de Nazareth un écho à la confiance absolue placée en Dieu par Judith en tant que « pauvre de Yahvé ». On trouve chez l’une comme chez l’autre l’observance des rituels des lois de purification et des fêtes, en particulier la Pâque. Toutes deux sont exemplaires dans leur vie de prière et leur participation aux pratiques religieuses. Dans les lectures liturgiques des messes en l’honneur de Marie, la bénédiction de Judith annonce celle de Marie par Élisabeth : « Sois bénie, ma fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes de la terre » (Jdt 13,18). Les louanges adressées à Judith – « Tu es la gloire de Jérusalem ! Tu es le suprême orgueil d’Israël ! Tu es le grand honneur de notre race ! » (Jdt 15,9) – ainsi que des paroles provenant de son propre hymne sont aussi fréquemment employées en lien avec Marie :

            « Je veux chanter à mon Dieu un cantique nouveau. Seigneur tu es grand, tu es   glorieux, admirable dans ta force, invincible. Que toute ta création te serve ! Car   tu as dit et les êtres furent, tu envoyas ton souffle et ils furent créés, et personne          ne peut résister à ta voix » (Jdt 16,13-14).

ESTHER Esther est une héroïne et le paradigme de la femme totalement libérée qui place toute sa confiance en Dieu. Par la prière et le jeûne, elle est en mesure de contrer le mal projeté par les Perses et d’intercéder en faveur de son peuple Israël auprès du roi Assuérus. Reine, Esther est concernée par le destin des juifs, même si son statut pourrait la mettre à l’abri du décret d’extermination lancé contre son peuple. Elle demande aux juifs un jeûne de trois jours pour préparer avec elle son apparition devant le roi à qui elle compte demander le salut de son peuple, au risque d’être punie de mort pour son audace. Au moins, elle aura essayé ! Il y a en elle à la fois de la résignation et une courageuse liberté ainsi que l’espoir que sa démarche aboutira. [Voir : John F. Craghan, « Esther: A Fully Liberated Woman », The Bible Today 24 (1986), pp. 6-11.] Aujourd’hui encore, les Juifs commémorent Esther lors de la fête de Purim où les enfants rejouent les scènes du livre avec toutes sortes de déguisements. L’ennemi juré du peuple d’Israël, Haman, est habituellement représenté en costume noir. Dans la célébration de Purim, les valeurs mises en évidence sont le sacrifice de soi et la providence divine. Ce sont aussi les deux thèmes majeurs du livre d’Esther. [Voir : C. G. Montefiore and H. Loewe, A Rabbinic Anthology. (New York : Schocken, 1974), pp. 99-101.] Dans la tradition juive, le livre d’Esther fait partie des cinq megillot ou rouleaux. Esther en constitue le rouleau, megillah, par excellence. « À moins qu’un autre des cinq ne soit spécifié, le terme megillah en est venu à désigner le seul livre d’Esther. » . » [Voir : Rufus Learsi, Israel: A History of the Jewish People. (New York : Meridian, 1966), 120.]

ESTHER ET MARIE Marie, la mère de Jésus, ressemble à Esther dans sa prière et son pouvoir d’intercession auprès de Dieu. Elle promeut aussi le bien et du peuple et du peuple chrétien dans son rôle de Reine. Trois passages du livre d’Esther sont utilisés dans la mariologie des premiers auteurs chrétiens et dans la liturgie catholique : 2,16-18 ; C,12.14-15.25.30 et 8,3-8.16-17.

TAMAR Tamar, « le palmier », est la première femme mentionnée dans la généalogie de Matthieu : « Juda engendra Pharès et Zérah, de Tamar » (Mt 1,3). La raison de la mention de Thamar se trouve en Genèse 38. Juda, dont les deux aînés ont été successivement mariés à Thamar et son mort, craint pour son troisième fils, Shéla. Au lieu de le donner en mariage à Thamar, comme il devrait le faire, il renvoie Thamar veuve et sans enfants. Par un stratagème ingénieux, Tamar se déguise en prostituée et Juda couche avec elle. Elle prend cependant soin de subtiliser quelques objets appartenant à Juda. Elle conçoit et est accusée d’adultère. Quand elle montre les objets appartenant à l’homme duquel elle a conçu, Juda reconnaît que c’est lui qui a enfreint la loi divine : « Elle est plus juste que moi. C’est qu’en effet je ne lui avait pas donné mon fils Shéla » (Gn 38,26). Elle donne naissance à des jumeaux, Pharès et Zérah. Pharès sera l’ancêtre de David (Rt 4,18ss.) et donc, finalement, du Messie.

L’HISTOIRE DE TAMAR EST UNE ILLUSTRATION DE LA LOI DU LÉVIRAT :             « Si des frères demeurent ensemble et que l’un d’eux vienne à mourir sans enfant,          la femme du défunt ne se mariera pas au-dehors avec un homme d’une famille      étrangère. Son « lévir » (beau-frère) viendra à elle, il exercera son lévirat en la       prenant pour épouse et le premier-né qu’elle enfantera prendra le nom du frère défunt, afin que ce nom ne soit pas effacé d’Israël » (Dt 25,5-6).

TAMAR ET MARIE Pourquoi Matthieu relève-t-il le nom de Tamar dans sa généalogie ? Parce que c’est de la lignée messianique de Juda que surgira David. Tamar atteste aussi le côté anormal de sa situation de veuve ayant besoin de l’intervention divine pour rétablir la justice en sa faveur. De même, Marie, la mère de Jésus, se retrouve dans une situation anormale à cause de sa grossesse à laquelle Joseph, son fiancé, n’est pour rien. Comme Tamar est reconnue juste devant Dieu, Marie est reconnue innocente. Joseph découvre cela dans un rêve. 

RAHAB De même que Tamar n’est pas condamnée comme prostituée quand elle cherche à obtenir justice de la famille de Juda qui lui était redevable, de même Rahab (Jos 2) ne l’est pas non plus, elle qui est au contraire louée pour sa foi, son ingéniosité et son hospitalité, vertus qui comptent parmi les plus exaltées par les Écritures. Elle est aussi vénérée dans le Nouveau Testament (He 11,31 ; Jc 2,25) ainsi que dans les anciennes traditions chrétiennes (1 Clément 12,1) et juives (Mek Ex 18,1 ; Midr. Ruth 2,1). Son statut sexuel inhabituel est sans doute l’une des raisons pour lesquelles Matthieu l’a incluse dans sa généalogie de Jésus. Elle n’est pas une fille vierge ou une épouse non vierge. Pour cela, elle représente une menace pour la structure sociale patriarcale. Toutefois, en tant que prostituée professionnelle, elle est aussi victime de ce système. Cette femme qui se situait en dehors de la culture patriarcale en général et celle, ethnique, d’Israël en particulier, se retrouve intégrée aux deux (Jos 6,5). La « profession de foi » de Rahab (Jos 2,9-11) explique pourquoi elle protège les espions de Josué (vv. 12-13). On peut y voir déjà dans ce texte ancien comment le pouvoir de Dieu se mêle à l’initiative extraordinaire prise par Rahab en face des puissances du monde patriarcal. Sa foi et le soutien qu’elle apporte au peuple élu de Dieu, Israël, peuvent aussi rendre compte de sa mention dans la généalogie de laquelle le Messie est issu. Le fait qu’elle gagne, pour elle-même et sa famille, une place dans l’histoire d’Israël peut aussi expliquer son inclusion dans la généalogie de Matthieu. C’est une femme sensible, réceptive à la présence de Dieu et sachant user de ses ressources. En tant que telle, elle est digne de figurer parmi les mères d’Israël. Quoique enfermée dans les structures patriarcales de son époque, elle les dépasse par sa foi, son instinct créatif et sa faculté à discerner l’action de Dieu derrière les guerriers d’Israël. La littérature rabbinique l’exalte comme Mère d’Israël dont descendront huit prêtres et huit prophètes.

RAHAB ET MARIE Il existe plusieurs points de convergence entre les histoires de Rahab et de Marie, qui nous aident à mieux comprendre les deux femmes et la foi qui les a inscrites dans la tradition biblique : la sexualité est concernée par les deux histoires ; les deux femmes encourent une punition (mort) ; toutes deux furent instruments par lesquels Dieu a pris possession du pays et des cœurs ; toutes deux furent signes et exemples de foi (He 11) ; toutes deux furent mères de la foi.

RUTH Ruth figure aussi parmi les « Mères d’Israël ». Le Targum de Ruth 2,12 traduit : « …tu es celle qui est arrivée… protégée par l’ombre de la majesté de Dieu et la gloire de Dieu et, grâce à cette récompense, tu seras libérée du jugement de la Géhenne car tu as ta place parmi Sara, Rébecca, Rachel et Léa ; c’est-à-dire parmi les mères d’Israël. » (Rabbah Ruth 5,5 à 2,13 ; Pesikta de Rob. Kohaha 26,1.) Ruth personnifie Israël alors que Booz, son mari, symbolise Dieu. La littérature rabbinique compare sa relation à Booz avec celle d’Israël à Dieu qu’Israël doit glorifier (Ex 15,2) et en dehors duquel il n’aura pas d’autre dieu (cf. Ex 20,3). Ceci est étroitement lié à l’Alliance entre Dieu et Israël qui est semblable à l’alliance conjugale entre Ruth et Booz. D’une telle alliance naîtra l’Oint, le Messie.

RUTH ET MARIE L’Église aussi, dans sa tradition primitive, reprend la typologie en faisant de Booz une figure du Christ et Ruth une image de l’Église. Aux 12ème et 13ème siècles, Marie à son tour est vue comme ayant été préfigurée par Ruth. Pierre de Celle (1115-1182) voit un parallèle entre les mots de Ruth « Je suis Ruth, ta servante » (Rt 3,9) et ceux de Marie « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole ! » (Lc 1,38). Aussi bien Ruth que Marie répondent activement à Dieu dans leurs vies. En tant que telles, elles représentent leur peuple Israël dans sa réponse primordiale à l’alliance au Sinaï. Ruth anticipe la réponse « Tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons et nous y obéirons » (Ex 24,7). Ruth dit à Booz : « Comment ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que tu t’intéresses à moi qui ne suis qu’une étrangère ? » (Rt 2,10), et à Noémi : « Tout ce que tu me dis, je le ferai » (Rt 2,10). Marie aussi a été objet de faveur ou de grâce : « Réjouis- toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (Lc 1,28). Marie reconnaît cela dans son propre cantique : « …parce qu’il a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante, oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1,48). Marie aussi, comme Israël au Sinaï, répond à l’appel de Dieu en disant : « qu’il m’advienne selon ta parole ! » (Lc 1,38). Les deux femmes sont objets de faveur et y répondent positivement. Ruth est mentionnée dans la généalogie de David dans les derniers versets du livre ! Une dernière remarque à propos du paradoxe d’un Dieu qui agit au travers de l’histoire humaine. La situation de Ruth, étrangère sans enfants, est transformée par son affection (hesed) envers Noémi. Ruth devient l’épouse de Booz, mais c’est Dieu qui lui donne de concevoir (Rt 4,13). C’est aussi ce que Matthieu suggère dans le paradoxe de Marie qui est la dernière femme mentionnée dans sa généalogie : « de laquelle naquit Jésus, que l’on appelle Christ » (Mt 1,16). Au coeur du cantique de Marie, il y a l’amour tendresse de Dieu. Le mot hébreu hesed rend compte de cette disposition de Dieu. Selon Elaine Wainwright, la hesed donne aussi la clef de l’histoire de Ruth : « Le livre de Ruth célèbre également la hesed de la femme (Rt 1,8 ; 2,20 ; 3,10) et, même si les allusions au dévoilement des pieds de Booz soulève des questions quant au côté anormal créé par cette situation, aucun vocabulaire de péché n’est associé à Ruth dans tout le livre ». . » [Voir : Wainwright, Feminist Critical 64 (cf. 166-168). David Daube, The New Testatment and Rabbinic Judaism (London : Athlone, 1956) 27-36. J. Massingberd Ford, « Mary's Virginitas Post-Partum and Jewish Law », Biblica 54 (1973) 269-272.] Cela s’applique aussi aux textes qui, en Luc, traitent de la Vierge Mère de Jésus. Les traditions et de la Synagogue et de l’Église ont, respectivement, maintenu l’absence de péché chez ces deux mères d’Israël.   BETHSABÉE Dans la généalogie de Matthieu, Bethsabée est appelée « la femme d’Urie » (Mt 1,6). Son nom n’est pas mentionné. Son rôle est pourtant essentiel dans la généalogie. L’absence du nom souligne ce que son union maritale avec David avait d’irrégulier. Après la mort d’Urie, elle devient l’épouse de David, puis « Reine Mère » ou Gebîrah dans la mesure où son fils Salomon montera sur le trône de David à l’instigation du prophète Nathan aidé en cela par Bethsabée elle-même (1 R 1,11-37). La reine mère (gebîrah) a joué un rôle clairement défini dans nombre de sociétés anciennes et modernes. Le mythe omphalos, qui présentait la terre comme centre vital symbolisé par la déesse mère (mère divine), a été supprimé par les prophètes et historiographes de l’Ancien Testament. Certains voient dans la figure de Dame Sagesse (Pr 1-9) une sorte de subsistance, sous une forme modifiée, de cette ancienne déesse mère. La fonction de reine mère en Judée pourrait aussi être une conséquence de ce mythe. Cette fonction correspondrait à une position d’aînée à la cour et répondrait à la description de Dame Sagesse dans le livre des Proverbes. Mais elle pourrait aussi résulter du fait que les rois disposaient d’un harem : beaucoup d’épouses, mais une seule mère. Quoiqu’il en soit, la reine mère était la « First Lady » du royaume. La Bible n’utilise pas le mot gebîrah à propos de Bethsabée, mais elle est la deuxième personne du royaume (1 R 2,19) : le roi se prosterne devant elle. Bethsabée a l’oreille du roi son fils ; on lui demande de présenter des requêtes au roi. Elle joue un rôle d’intercesseur. Sa position fait d’elle une personne de conseil et une source de sagesse. À la mort de David, elle s’est préoccupée de sa succession et de la stabilité du royaume. Dans son effort pour assurer le trône à son fils, elle en a appelé directement à David mourant. Devenue reine mère, elle joue un rôle de conseiller politique et judiciaire à la cour, et de médiateur entre les factions politiques du pays. Son fils Salomon l’écoute, ce qui démontre le prestige dont la reine mère jouit à Jérusalem. « La reine mère était une dame conseillère dont le rôle se reflète dans le motif de Dame Sagesse du livre des Proverbes » [Anchor Bible, vol 5, p. 585.] Dans la tradition juive contemporaine de la formation du Nouveau Testament, Bethsabée est vue comme une noble dame d’Israël. Après avoir exercé son influence sur David, elle a eu, en tant que Reine Mère, Gebîrah, une grande influence sur son successeur Salomon. De même que les autres femmes de la généalogie, Bethsabée est située à l’intérieur de l’histoire du salut d’Israël et du plan de Dieu. Cette femme est donc une figure-clef qui aide à mieux comprendre la dernière femme mentionnée, Marie, mère de Jésus. Bethsabée aussi est engagée dans l’action de l’Esprit et dans l’histoire du salut.

BETHSABÉE ET MARIE Dans toute comparaison entre Bethsabée et Marie, mère de Jésus, la notion de « Reine Mère » permet peut-être de saisir que ce thème est né de l’Ancien Testament pour ensuite déboucher sur le thème de la royauté de Marie dans la liturgie et la dévotion. Comment comprendre alors la royauté de Marie à la lumière du concept de la Reine Mère ? On a dit que certaines « femmes puissantes » de l’Ancien Testament préfigurent Marie. Des versets concernant Esther et Judith ont été utilisés en référence à Marie dans la liturgie de l’Église : «  Tu es la gloire de Jérusalem ! Tu es le suprême orgueil d’Israël ! Tu es le grand honneur de notre race ! » (Jdt 15,9). Ces versets expriment les sentiments de la communauté chrétienne. La Reine Mère joue un rôle actif et assuré par rapport à son fils. Elle a le souci du royaume. On peut dire que Marie est responsable de la royauté de son fils en raison de sa maternité et son réel souci du royaume de Dieu (Lumen Gentium 56). Il est en revanche difficile de prouver que Marie ait été conscience de quelque dimension royale de son assentiment au moment de l’Annonciation. Marie n’a pas recherché le trône pour son fils comme l’ont fait d’autres « reines mères ». Au contraire, elle s’est mise au service du mystère de la rédemption « dans la dépendance au Christ » (Lumen Gentium 56). C’est un service d’effacement de soi, à l’image de son fils. La reine mère disposait d’une puissante influence dans le royaume. Ce pouvoir dérivait de son statut de mère du roi. Si nous comparons cela à la médiation de Marie, on peut y voir un lien avec sa médiation maternelle. Le rôle de Marie est subordonné à l’action du Christ. Elle n’a jamais « régné » à sa place comme l’ont fait certaines reines mères. Le rôle de Marie, à l’image de celui du Christ, ne doit pas être compris en termes de domination, sauf sur le mal. Son règne, comme celui du Christ, est fondé sur l’humilité et l’obéissance, et est caractérisé par la foi, l’espérance et la charité. C’est de cette façon qu’elle et son fils se situent par rapport aux fidèles. [Voir : George Francis Kirwin, The Nature of the Queenship of Mary. Thèse, Catholic University of America, 1973, p. 320.] L’activité de Marie en tant que reine mère se manifeste dans sa fidélité à Dieu et son identification à la communauté de ceux qui suivent le Christ. Son influence se laisse saisir dans les paroles « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,5). L’influence de Marie s’exerce à l’intérieur de la communion des saints. Son pouvoir d’intercession auprès de Dieu est partagé par tous les fidèles. Son intercession maternelle, son « intercession répétée » (Lumen Gentium 62) constitue ce qui la relie au motif de la gebîrah. Une ancienne hymne qui loue Marie en tant que reine, mère et médiatrice est le « Salve Regina » :

Salut, ô Reine, Mère de miséricorde, notre vie, notre consolation, notre espoir, salut ! Enfants d’Ève, de cette terre d’exil nous crions vers vous ; vers vous nous soupirons, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes. O vous, notre Avocate, tournez vers nous vos yeux compatissants. Et, après cet exil, obtenez nous de contempler Jésus, le fruit béni de vos entrailles, Ô clémente, ô miséricordieuse, ô douce Vierge Marie !

 Finalement, en ce qui concerne les femmes de l’Ancien Testament mentionnées dans la généalogie de Matthieu, R. Brown conclut que c’est sans doute en raison du caractère non ordinaire de leur statut marital qu’elles ont été incluses dans cette généalogie et qu’elles préfigurent Marie, plutôt que parce qu’elles seraient pécheresses ou étrangères.

FILLE DE SION

Pendant l’Avent, la liturgie catholique romaine célèbre le plan du salut au cours duquel le Dieu de miséricorde a appelé les patriarches, les a unis à lui dans une alliance d’amour, a établi la loi par Moïse, a fait surgir les prophètes et a choisi David et Bethsabée dont la lignée donnera naissance au Sauveur du monde. Les livres de l’Ancien Testament, en annonçant la venue du Christ, « font apparaître progressivement dans une plus parfaite clarté la figure de la femme, Mère du Rédempteur » (Lumen Gentium 55) : c’est la Vierge Marie, que l’Église proclame joie d’Israël et noble fille de Sion. Notre Dame est « fille d’Adam par nature » ; en croyant au message de l’ange, elle a conçu le Fils de Dieu dans son sein virginal et est « de la descendance d’Abraham par sa foi ». En outre, « de l’arbre de Jessé par sa naissance, elle a produit sa fleur et son fruit, Jésus, le Christ, notre Seigneur ». [Extraits de la préface de la messe « la Vierge Marie, fille de Sion ».] Dans son obéissance sincère à la Loi et sa pleine acceptation de la volonté de Dieu, elle occupe, selon les mots du Concile Vatican II, « la première place parmi ces humbles et ces pauvres du Seigneur qui espèrent et reçoivent le salut de lui avec confiance. Enfin, avec elle, la fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s’accomplissent les temps et s’instaure l’économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu prit d’elle la nature humaine pour libérer l’homme du péché par les mystères de sa chair » (Lumen Gentium 55). Nous vous invitons à prier avec l’Église l’oraison suivante de la messe « la Vierge Marie, fille de Sion », la première des Messes en l’honneur de la Vierge Marie :

Seigneur Dieu, pour accomplir la promesse faite à nos pères, tu as choisi la Vierge Marie, fille de Sion, pour qu’elle soit la mère du Sauveur ; aide-nous à suivre son exemple, dans son humilité qui te fut agréable et dans son obéissance dont nous ressentons le bienfait. Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu,

qui vit avec Toi dans l’unité du Saint Esprit,

pour les siècles des siècles.

Retour à La Page de Marie

This page, maintained by The Marian Library/International Marian Research Institute, Dayton, Ohio 45469-1390, and created by Kelly Bodner was last modified Wednesday, 6-December-2007 by Michael P. Duricy.

LE NOM DE JACOB ET SON COMBAT AVEC L’ANGE (2003)

20 novembre, 2013

http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2003/clb_031010.htm 

LE NOM DE JACOB ET SON COMBAT AVEC L’ANGE  

(chronique du 10 octobre 2003)  

QuestionDans la Bible, le prénom de Jacob a-t-il une connotation positive ou négative? Et que signifie son combat avec l’ange? Est-ce un test pour Jacob? Question de Géraldine P.
RéponseLe cycle de Jacob se trouve, en gros, en Gn 25-40. Le nom « Jacob », en hébreu Ya’aqob, viendrait des anciennes langues mésopotamiennes qui sont de la même famille que l’hébreu, et signifierait « Que Dieu protège » (on reconnaît l’élément Ya qui renvoie au nom de Dieu). Le nom a été repris en grec et en latin, Jacobus, pour donner en français Jacques.
     Les anciens aimaient s’amuser sur le nom de quelqu’un, mais il faut se garder d’y voir plus que ce que les auteurs ont voulu y mettre. Ainsi, les récits qui constituent le cycle de Jacob ne sont certainement pas historiques, mais plutôt légendaires ou anecdotiques. Cela est admis par tous les biblistes aujourd’hui. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas un enseignement religieux ou un message. Ainsi, le nom de Jacob a été rapproché du mot hébreu ‘aqeb signifie « talon ». On a alors composé le récit de Gn 25,26. On a encore rapproché ce nom du verbe ‘aqab qui signifie « supplanter ». De là viennent les récits de Gn 27 où Jacob « supplante » son frère aîné Ésaü. Le récit n’y voit rien de mal, sinon l’accomplissement du plan de Dieu.
     Le seul passage biblique qui se permet un certain jugement négatif sur ce qu’a fait Jacob est en Osée 12,4. Le Seigneur est en procès avec son peuple et il lui reproche ses péchés et les péchés de ses pères, selon le principe « tel père, tel fils ». Le prophète prend appui sur le récit de Gn 27.

Le combat de Jacob avec l’ange
     Plusieurs des récits très anciens du livre de la Genèse sont « étiologiques ». On entend par là un récit ou une petite histoire qui veut expliquer une situation, une coutume, un nom, etc. Ainsi, le nom de Béer Shéva peut signifier en hébreu « le puits des sept » ou « le puits du serment ». On trouve un récit qui donne chacune de ces explications dans le Genèse (respectivement Gn 21,25-32 et 26,23-33). L’explication est simple. Comme pour aujourd’hui, les noms sont très anciens et on ne sait pas, ou on ne sait plus, pourquoi tel endroit porte tel nom. Alors, les sociétés orales des anciens aimaient composer un récit qui propose une explication. Les Amérindiens faisaient la même chose pour expliquer la forme d’une montagne ou d’un lac, par exemple.
     Il semble bien que le récit du combat de Jacob avec l’ange (Gn 32,25-33) soit, lui aussi, un récit étiologique. Il s’agit bien d’un combat avec Dieu ; dans les récits très anciens, Dieu ou un ange, c’est pareil (voir Gn 18). Le récit entend expliquer comment Jacob a été surnommé Israël, qui signifie « Que Dieu lutte, se montre fort ». Si le nom d’Israël signifie cela, il faut donc qu’il y ait eu une lutte avec Dieu à un moment donné. Il y a peut-être aussi une autre étiologie au sujet de la mention de la hanche de Jacob (32,26.32). Au v. 26, le texte parle de « la paume de la cuisse ». S’agit-il des parties viriles, comme c’est souvent le cas dans la Bible (voir Gn 24,2)? Le texte veut-il dire que la force d’Israël est tempérée par une faiblesse congénitale? Une chose est certaine, c’est qu’après son combat avec Dieu, « Jacob boitait de la hanche » (voir le v. 32), ce qui signifie que le combat avait laissé des traces visibles ou perceptibles. Évidemment, il s’agit d’un récit assez mystérieux que l’aspect étiologique n’épuise probablement pas. Les relectures juives et chrétiennes qui y voient toute la vie spirituelle du croyant avec Dieu sont pleinement justifiées.

Hervé Tremblay, OP
Professeur au Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa) 

DIMANCHE 10 NOVEMBRE, COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE 2MACCABÉES 7, 12. 9-14

8 novembre, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 10 NOVEMBRE : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Deuxième livre des Martyrs d’Israël 7, 1-2. 9-14


1 Sept frères avaient été arrêtés avec leur mère.
 A coups de fouet et de nerf de boeuf,
 le roi Antiochus
 voulut les contraindre à manger du porc, viande interdite.
2 L’un d’eux déclara au nom de tous :
 « Que cherches-tu à savoir de nous ?
 Nous sommes prêts à mourir
 plutôt que de transgresser les lois de nos pères. »
9 Le deuxième frère lui dit,
 au moment de rendre le dernier soupir :
 « Tu es un scélérat, toi qui nous arraches à cette vie présente,
 mais puisque nous mourons par fidélité à ses lois,
 le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle. »
10 Après celui-là, le troisième fut mis à la torture.
 Il tendit la langue aussitôt qu’on le lui ordonna,
 et il présenta les mains avec intrépidité,
11 en déclarant avec noblesse :
 « C’est du Ciel que je tiens ces membres,
 mais à cause de sa Loi je les méprise,
 et c’est par lui que j’espère les retrouver. »
12 Le roi et sa suite
 furent frappés du courage de ce jeune homme
 qui comptait pour rien les souffrances.
13 Lorsque celui-ci fut mort,
 le quatrième frère fut soumis aux mêmes tortures.
14 Sur le point d’expirer, il parla ainsi :
 « Mieux vaut mourir par la main des hommes,
 quand on attend la résurrection promise par Dieu,
 tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection
 pour la vie éternelle. »

Ce texte marque une étape capitale dans le développement de la foi juive : c’est l’une des premières affirmations de la Résurrection des morts. Nous sommes vers 165 avant J.C., en un moment de terrible persécution déclenchée par le roi Antiochus Epiphane. Il était très certainement mégalomane et voulait être révéré comme un dieu. Pour obliger les Juifs à renier leur foi, il exigeait d’eux des gestes de désobéissance à la Loi de Moïse : cesser de pratiquer le sabbat, offrir des sacrifices à d’autres dieux que le Dieu d’Israël, manquer aux règles alimentaires de la Loi juive… Leur fidélité a conduit de nombreux Juifs au martyre : plutôt mourir que de désobéir à la Loi de Dieu ; mais paradoxalement, c’est au sein même de cette persécution qu’est née la foi en la Résurrection : car une évidence est apparue… qu’on pourrait exprimer ainsi : puisque nous mourons par fidélité à la loi de Dieu, lui qui est fidèle nous rendra la vie.
 Aujourd’hui, nous lisons un passage de l’histoire de sept martyrs, sept frères, torturés et exécutés par Antiochus Epiphane. C’est cette extraordinaire découverte de la foi en la Résurrection qui les a soutenus : « Puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde (sous-entendu le véritable Roi du monde) nous ressuscitera pour une vie éternelle ». On a donc là une affirmation très claire de la Résurrection ; et une résurrection, on l’aura remarqué, très charnelle : l’un des frères parle de « retrouver ses membres »… « C’est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de sa Loi je les méprise, et c’est par lui que j’espère les retrouver ».
 C’est presque la première affirmation de cette foi dans la Bible(1) : jusque-là, on y parlait relativement peu de l’après-mort ; l’intérêt se concentrait sur cette vie et sur le lien vécu ici-bas entre Dieu et son peuple. Ce lien qu’on appelait l’Alliance. On s’intéressait à l’aujourd’hui du peuple, au lendemain du peuple, et non au lendemain de l’individu… Après la mort, le corps était déposé dans la tombe, « couché avec ses pères », selon la formule habituelle. On pensait que seule une ombre subsistait dans le « shéol », lieu de silence, de ténèbres, d’oubli, de sommeil.
 C’est donc au deuxième siècle seulement que la foi en la Résurrection a été formulée en Israël. Des prophètes comme Isaïe ou Ezéchiel avaient préparé le terrain en affirmant très fortement la fidélité de Dieu, mais jamais ils n’avaient envisagé une véritable résurrection des hommes.
 Il faut lire chez Ezéchiel, par exemple, la fameuse vision des ossements desséchés (Ez 37). Il prêche au moment du désastre de l’Exil à Babylone : alors que le peuple a tout perdu, Ezéchiel annonce contre toutes les apparences, le sursaut du peuple, son renouveau : oui, le peuple revivra, il retrouvera sa force, il se relèvera ; pour oser dire une chose pareille, Ezéchiel s’appuie sur sa foi : Dieu ne peut manquer à sa promesse, le peuple élu reste le peuple élu. Cette annonce de relèvement du peuple, Ezéchiel la dit en images : il décrit un immense champ de bataille jonché d’ossements, les cadavres d’une armée vaincue ; tout le monde sait que rien ne les ressuscitera ; eh bien, « moi je vous dis (c’est Ezéchiel qui parle), votre peuple ressemble à cela : il est anéanti comme ces cadavres et à vues humaines, il n’y a plus aucun espoir… mais aussi vrai que Dieu est le Dieu de la vie, votre peuple va se relever, comme si ces ossements se recouvraient soudainement de chair, de muscles, de peau, comme si le sang, à nouveau, coulait dans leurs veines. » Dans cette vision, il ne s’agit donc pas encore de résurrection individuelle.
 Et c’est précisément parce que la résurrection d’un corps mort apparaît à tout le monde comme le type même des choses impossibles qu’Ezéchiel prend cet exemple pour annoncer ce à quoi on a bien du mal à croire à savoir le relèvement du peuple d’Israël.
 Isaïe, lui, avait annoncé : « Dieu fera disparaître la mort pour toujours ; le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et dans tout le pays, il enlèvera la honte de son peuple. Il l’a dit, lui, le SEIGNEUR » (Is 25, 8). Mais on peut penser qu’il ne parlait pas ici de la mort biologique mais de la mort spirituelle que représente le péché et qui est effectivement la honte de son peuple.
 Bien sûr, après coup, on se dit « Ezéchiel et Isaïe ne croyaient pas si bien dire » : par leur bouche l’Esprit-Saint annonçait beaucoup plus que eux-mêmes n’en avaient conscience.
 On a donc aujourd’hui avec le texte des Martyrs d’Israël une étape beaucoup plus avancée du développement de la foi d’Israël : la découverte de la foi en la résurrection des corps n’a été possible qu’après une longue expérience de la fidélité de Dieu : et alors tout d’un coup, c’est devenu une évidence que le Dieu fidèle, celui qui ne nous a jamais abandonnés, ne peut pas nous abandonner à la mort… quand nous acceptons de mourir par fidélité justement.
 C’est donc une étape capitale sur le chemin de la découverte de Dieu ; mais seulement une étape : une étape provisoire, qui sera, à son tour, dépassée : pour l’instant, on envisage la résurrection seulement pour les justes. Ceux qui sont morts de leur fidélité à Dieu, le Dieu fidèle les ressuscitera. C’est ce que dit le quatrième frère : « Mieux vaut mourir par la main des hommes quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie éternelle. » Il faudra encore des siècles d’éducation patiente de Dieu pour que la foi en la résurrection des morts soit affirmée sans restriction. Aujourd’hui nous l’affirmons dans le « je crois en Dieu » : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir » : cette affirmation, nous la devons entre autres à ces sept frères anonymes (du livre des Martyrs d’Israël) morts en 165 avant Jésus-Christ sous Antiochus Epiphane.
 ——————–
 Note

 (1) – Il semble bien que la toute première affirmation de la Résurrection se trouve dans le Livre du prophète Daniel, écrit précisément au moment de cette terrible persécution d’Antiochus Epiphane : « Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront… » (Dn 12, 2-3). Les sept frères se seraient inspirés de lui justement. Le Livre des Martyrs d’Israël (autrement appelé Livre des Maccabées), lui, qui relate cette phase de l’histoire, est plus tardif.

DIMANCHE 6 OCTOBRE : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

4 octobre, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 6 OCTOBRE : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Habacuc 1, 2-3 ; 2, 2-4
1, 2 « Combien de temps, SEIGNEUR,
 vais-je t’appeler au secours,
 et tu n’entends pas,
 crier contre la violence,
 et tu ne délivres pas !
3 Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination
 et restes-tu à regarder notre misère ?
 Devant moi pillage et violence ;
 dispute et discorde se déchaînent.
2, 1 Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR. »
2, 2 Alors le SEIGNEUR me répondit :
 « Tu vas mettre par écrit la vision,
 bien clairement sur des tablettes,
 pour qu’on puisse la lire couramment.
3 Cette vision se réalisera, mais seulement au temps fixé,
 elle tend vers son accomplissement, elle ne décevra pas.
 Si elle paraît tarder, attends-la :
 elle viendra certainement, à son heure.
4 Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite,
 mais le juste vivra par sa fidélité. »

Le prophète Habacuc n’est plus très à la mode aujourd’hui, mais il l’était certainement à l’époque du Nouveau Testament, puisqu’il y est cité plusieurs fois. Par exemple, la phrase de la Vierge Marie dans le Magnificat : « Je bondis de joie dans le Seigneur, j’exulte en Dieu, mon Sauveur » se trouvait déjà, des siècles auparavant, dans le livre d’Habacuc (Ha 3, 18) ; c’est de lui également que Saint Paul a retenu et cité à plusieurs reprises une phrase si importante pour lui, qui fait partie de notre lecture d’aujourd’hui : « Le juste vivra par sa fidélité » (Rm 1, 17 ; Ga 3, 11) ; ce petit livre vaut donc la peine d’être ouvert ; ce n’est qu’un tout petit livre en effet, trois chapitres seulement, d’environ vingt versets chacun, mais quelle palette de sentiments ! De la complainte à la violence, de l’appel au secours à l’exultation pure ; ses cris de détresse font penser à Job : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence et tu ne délivres pas ! » Mais l’espérance ne le quitte jamais : quand Saint Pierre invite ses lecteurs à la patience, lui aussi reprend une expression inspirée d’Habaquq : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse… » (2 P 3, 9).
 Les premiers versets d’aujourd’hui sont un cri : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas… crier contre la violence et tu ne délivres pas ! » C’est un cri de détresse, d’appel au secours, devant le déchaînement de la violence ; mais aussi et surtout le cri de la détresse suprême, celle du silence de Dieu. Ce cri-là est toujours d’actualité. Et ici, comme dans le livre de Job, comme dans beaucoup de psaumes, la Bible ose dire des phrases presque impertinentes, où l’homme se permet de demander des comptes à Dieu. « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas !
 La violence dont parle Habacuc ici, c’est celle de l’ennemi du moment, Babylone. Il l’appelle « Les Chaldéens », traduisez les armées de Nabuchodonosor. Nous sommes vers 600 avant Jésus-Christ : l’ennemi numéro un, il n’y a pas longtemps encore, c’étaient les Assyriens de Ninive. Mais ils ont été écrasés à leur tour par Babylone qui est désormais la puissance montante au Moyen-Orient. Depuis que le monde est monde, les mêmes horreurs de la guerre se répètent ; on les devine ici : « Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. »
 Mais Habacuc ne perd pas la foi pour autant. Il ajoute : « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu » ; dans cette expression, il y a au moins deux choses : d’abord c’est le guet du veilleur, assuré que l’aube viendra ; c’est le thème du psaume 129/130 : « Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur n’attend l’aurore ». Et ce verbe « attendre » veut dire attendre tout de Lui. Dans la phrase « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu », la première chose, c’est donc la confiance ; la deuxième chose, c’est la conscience que son interpellation est un peu osée : le prophète Habacuc a demandé des comptes à Dieu et il s’attend à être rappelé à l’ordre : « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu ».
 Or, chose intéressante, Habacuc ne se fait pas rappeler à l’ordre. La réponse de Dieu ne lui fait aucun reproche ; il l’invite seulement à la patience et à la confiance ; les heures de victoire de l’ennemi ne dureront pas toujours : « Le SEIGNEUR me répondit : Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Cette vision se réalisera, mais seulement au temps fixé, elle tend vers son accomplissement, elle ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, à son heure. » Pour l’instant, Habacuc ne décrit pas la vision elle-même, ce sera l’objet du chapitre suivant ; mais, on s’en doute déjà, il s’agit de la libération de ceux qui, actuellement, sont opprimés.
 Pour autant, Dieu n’a pas vraiment répondu à la question ; il n’a pas dit pourquoi, à certains moments, il semble devenu sourd à nos prières. Il a seulement réaffirmé une fois de plus qu’il ne nous abandonne jamais… Si bien que le message d’Habacuc semble bien être : dans les épreuves, même les plus terribles, la seule voie possible pour le croyant c’est de garder confiance en Dieu : accepter de ne pas comprendre, mais ne pas accuser Dieu. Toute autre attitude nous détruit : la méfiance à l’égard de Dieu ne nous fait que du mal. C’est probablement l’un des sens de la formule finale de ce texte : « Le juste vivra par sa fidélité » ou, pour le dire autrement, c’est la confiance en Dieu qui nous fait vivre ; le soupçon ou la révolte nous détruit. Mais si la Bible nous fait lire les cris de détresse et même les reproches faits à Dieu, c’est qu’un croyant a le droit de crier sa détresse, son impatience de voir cesser la violence qui l’écrase.
 Reprenons la dernière phrase : « Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité ». L’insolent, c’est Babylone qui s’enorgueillit de ses conquêtes et qui croit fonder sur elles une prospérité durable ; le juste, lui, sait que Dieu seul fait vivre. A ce sujet, l’exemple le plus célèbre dans l’histoire d’Israël, c’est Abraham : quand il a quitté son pays, sa famille, sur un simple appel de Dieu, il ne savait pas bien où Dieu le conduisait, vers quelle destinée. Quand, encore sur un appel de Dieu, Abraham s’apprêtait à offrir son fils unique, il ne comprenait pas, mais il a continué de faire confiance à celui qui lui a donné ce fils… Et, là encore, sa foi les a fait vivre, lui et son fils (Gn 22). Le texte biblique dit de lui « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et cela lui fut compté comme justice » (Gn 15, 6).
 Dernière remarque : quand Habacuc parle de Babylone, il dit « les Chaldéens » (entre parenthèses, c’est l’Irak d’aujourd’hui) mais, souvenons-nous, Abraham lui-même était un Chaldéen… or Abraham est qualifié de « juste » par la confiance qu’il a manifestée envers Dieu alors que les Chaldéens, ses compatriotes, quelques siècles plus tard, sont traités d’insolents qui n’ont pas l’âme droite. On peut en déduire que la justice n’est pas une affaire d’origine, de race, ou de circoncision, donc de religion, mais seulement d’attitude du coeur. Nous ferions peut-être bien de nous en souvenir quand nous rencontrons des croyants d’autres religions … ?
 ——————————————————————————————————————————
 Compléments

 - « Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes » : on écrivait sur des tablettes les textes que l’on souhaitait conserver ; on peut comprendre ici comme une insistance de Dieu : « Mes petits enfants, n’oubliez jamais ». Dieu est silencieux, mais il n’est pas absent, il reste à nos côtés
 - « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR » : Le rôle du prophète est d’être un guetteur. Ezéchiel emploie le même mot pour dire sa vocation : « Fils d’homme, je t’établis guetteur pour la maison d’Israël ; quand tu entendras une parole venant de ma bouche, tu les avertiras de ma part. » (Ez 3,17 // 33, 7)

DIMANCHE 18 AOÛT : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE – JÉRÉMIE 38, 4 – 6. 8 – 10

16 août, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 18 AOÛT : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – JÉRÉMIE 38, 4 – 6. 8 – 10

Pendant le siège de Jérusalem, 
 les chefs qui tenaient Jérémie en prison
4 dirent au roi Sédécias :
 « Que cet homme soit mis à mort : 
 en parlant comme il le fait, 
 il démoralise tout ce qui reste de combattants dans la ville, 
 et toute la population. 
 Ce n’est pas le bonheur de la population qu’il cherche, 
 mais son malheur. »
5 Le roi répondit :
 « Il est déjà entre vos mains, 
 et le roi ne peut rien contre vous ! »
6 Alors ils se saisirent de Jérémie 
 et le jetèrent dans la citerne du prince Melkias, 
 dans la cour de la prison.
 On le descendit avec des cordes. 
 Dans cette citerne, il n’y avait pas d’eau, mais de la boue, 
 et Jérémie s’enfonça dans la boue.
8 Un officier du palais, l’Ethiopien Ebed-Mélek, 
 vint trouver le roi :
 9 « Mon Seigneur le roi, ce qu’ils ont fait au prophète Jérémie, 
 c’est mal ! 
 Ils l’ont jeté dans la citerne, 
 il va y mourir de faim ! »
10 Alors le roi donna cet ordre à l’Ethiopien Ebed-Mélek :
 « Prends trois hommes avec toi, 
 et retire de la citerne le prophète Jérémie
 avant qu’il ne meure. »

Le nom de Jérémie a donné naissance au mot « jérémiades ». Mais ce serait une erreur de penser que ce prophète a passé son temps à geindre et à se lamenter. En revanche, il est vrai qu’il a été conduit souvent à crier grâce sous l’accumulation des épreuves. Dieu sait s’il en a connues ! Le proverbe « Nul n’est prophète en son pays s’applique particulièrement à lui ». On trouve parfois sous sa plume des expressions de découragement absolu : « Quel malheur, ma mère, que tu m’aies enfanté, moi qui suis, pour tout le pays, l’homme contesté et contredit… Pourquoi ma douleur est-elle devenue permanente, ma blessure incurable ? (15, 10… 18) ou encore : « Maudit le jour où je fus enfanté ! Le jour où ma mère m’enfanta, qu’il ne devienne pas béni ! … Pourquoi donc suis-je sorti du sein, pour connaître peine et affliction, pour être chaque jour miné par la honte ? » (20, 14). Devant les échecs répétés de sa mission et les maux dont il est victime, il se pose de graves questions et il va jusqu’à demander des comptes à Dieu dont il juge la conduite étonnante sinon injuste : « Toi, SEIGNEUR, tu es juste ! Mais je veux quand même plaider contre toi. Oui, je voudrais discuter avec toi de quelques cas. Pourquoi les démarches des coupables réussissent-elles ? Pourquoi les traîtres perfides sont-ils tous à l’aise ? Tu les plantes, ils s’enracinent et vont jusqu’à porter du fruit ! » (12, 1-2).
 En lisant le livre de Jérémie on se rend compte qu’il avait de bonnes raisons de se poser de telles questions et de se lamenter : on voit apparaître chapitre après chapitre les complots de ses adversaires, les pièges qu’ils lui tendent, les menaces qu’ils profèrent et qu’ils mettent cruellement à exécution : « J’entends les propos menaçants de la foule – c’est partout l’épouvante : Dénoncez-le ! – Oui, nous le dénoncerons ! » Tous mes intimes guettent mes défaillances : « Peut-être se laissera-t-il tromper dans sa naïveté, et nous arriverons à nos fins, nous prendrons notre revanche. » (20, 10) « Allons mettre au point nos projets contre Jérémie… allons le démolir en le diffamant, ne prêtons aucune attention à ses paroles. » (18, 18). Dans son village natal, Anatoth, il a entendu les menaces de mort : « Ne prophétise pas au nom du SEIGNEUR, sinon tu mourras de notre main. » (11, 21), ainsi que les avertissements de quelques amis bienveillants : « Même tes frères, les membres de ta famille, oui, eux-mêmes te trahissent, oui, eux-mêmes convoquent dans ton dos des tas de gens. Ne te fie pas à eux quand ils te parlent gentiment. » (12, 6).
 Dans le passage que la liturgie nous offre ce dimanche, nous sommes devant l’un des malheurs de Jérémie, un épisode typique de sa vie où apparaissent la plupart des arguments de ses adversaires et des méchancetés que nous venons d’évoquer : « Que cet homme soit mis à mort : en parlant comme il le fait, il démoralise tout ce qui reste de combattants dans la ville et toute la population. Ce n’est pas le bonheur de la population qu’il cherche, mais son malheur. » … « Alors ils se saisirent de Jérémie et le jetèrent dans la citerne du prince Melkias, dans la cour de la prison. On le descendit avec des cordes. Dans cette citerne, il n’y avait pas d’eau, mais de la boue et Jérémie s’enfonça dans la boue. » On ne peut pas être plus réaliste dans la description de la persécution que Jérémie a dû subir.
 Mais Dieu n’abandonne pas son prophète ; il tient la promesse qu’il lui avait faite dès le jour de sa vocation, de le soutenir envers et contre tous. Il s’agissait vraiment d’une alliance entre Dieu et lui : « Le SEIGNEUR m’adressa la parole et me dit : Avant même de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les peuples. Lève-toi, tu prononceras contre eux tout ce que je t’ordonnerai. Ne tremble pas devant eux, sinon, c’est moi qui te ferai trembler devant eux. Moi, je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te délivrer. Parole du SEIGNEUR. » (1, 4-5. 17-19). Et un jour où Jérémie était particulièrement découragé, Dieu lui avait confirmé sa mission et avait réitéré sa promesse de le soutenir : « Je te délivre de la main des méchants, je t’arrache à la poigne des violents. » (15, 21).
 Aujourd’hui l’instrument de cette délivrance va être un étranger, un Ethiopien nommé Ebed-Mélek. Ce n’est pas la première fois que la Bible nous donne en exemple des étrangers plus respectueux de Dieu et de ses prophètes que les membres du peuple élu ! Il a le courage d’intervenir auprès du roi : « Mon Seigneur le roi, ce qu’ils ont fait au prophète Jérémie c’est mal ! Ils l’ont jeté dans la citerne, il va y mourir de faim ! ». Son intervention est efficace : le roi lui donne l’autorisation de sauver Jérémie. Quand Jésus racontera plus tard la parabole du Bon Samaritain peut-être pensait-il à cet Ethiopien venu au secours du prophète. Plus d’un point rapproche les deux hommes. Cela saute aux yeux si on lit dans la Bible le récit jusqu’au bout ; voici les versets 11, 12 et 13 qui ne nous sont pas donnés dans le texte liturgique : l’auteur accumule volontairement les détails qui mettent en valeur la délicatesse du païen qui vient au secours du prophète, prenant mille précautions pour ne pas risquer de le blesser au cours de la remontée ! « Ebed-Mélek prit les hommes avec lui, se rendit au palais, ramassa sous le trésor de vieux chiffons et les fit parvenir à Jérémie dans la citerne au moyen de cordes. Ebed-Mélek, l’Ethiopien, dit à Jérémie : Mets-toi les vieux chiffons au dessous des aisselles, sur les cordes. Jérémie le fit. Ils hissèrent donc Jérémie avec les cordes et le firent remonter de la citerne. » Peut-on trouver une charité fraternelle plus délicate ?
 Une fois de plus, nous voici confrontés à la question cruciale, celle qui a déchiré tant de témoins de Dieu : pourquoi la Bonne Nouvelle est-elle si mal accueillie ? Pourquoi nul n’est-il prophète en son pays ? Probablement parce que l’annonce de l’amour de Dieu pour les hommes se double d’une exigence, celle d’aimer à notre tour.
 ———————-

 Complément
 Les plaintes de Job (au chapitre 3) sont étonnamment semblables à celles de Jérémie ; l’auteur du livre de Job s’est probablement inspiré des cris de Jérémie qui était considéré comme l’exemple même du juste persécuté.

PREMIERE LECTURE – GENÈSE 18, 20-32

27 juillet, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

Dimanche 28 juillet : commentaires de Marie Noëlle Thabut

PREMIERE LECTURE – GENÈSE 18, 20-32

Les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome.

20 Le SEIGNEUR dit : 
 « Comme elle est grande,
 la clameur qui monte de Sodome et de Gomorrhe ! 
o Et leur faute, comme elle est lurde !
21 Je veux descendre pour voir 
 si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. 
 Si c’est faux, je le reconnaîtrai. »
22 Les deux hommes se dirigèrent vers Sodome, 
 tandis qu’Abraham demeurait devant le SEIGNEUR.
23 Il s’avança et dit : 
 « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le pécheur ?
24 Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville.
 Vas-tu vraiment les faire périr ? 
 Est-ce que tu ne pardonneras pas
 à cause des cinquante justes qui sont dans la ville ?
25 Quelle horreur, si tu faisais une chose pareille ! 
 Faire mourir le juste avec le pécheur, 
 traiter le juste de la même manière que le pécheur, 
 quelle horreur ! 
 Celui qui juge toute la terre 
 va-t-il rendre une sentence contraire à la justice ? »
26 Le SEIGNEUR répondit : 
 « Si je trouve cinquante justes dans Sodome, 
 à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. »
27 Abraham reprit : 
 « Oserai-je parler encore à mon Seigneur, 
 moi qui suis poussière et cendre ?
28 Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : 
 pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? »
 Il répondit : 
 « Non, je ne la détruirai pas, 
 si j’en trouve quarante-cinq. »
29 Abraham insista : 
 « Peut-être en trouvera-t-on seulement quarante ? » 
 Le SEIGNEUR répondit : 
 « Pour quarante, 
 je ne le ferai pas. »
30 Abraham dit :
 « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, 
 si j’ose parler encore : 
 peut-être y en aura-t-il seulement trente ? » 
 Il répondit : 
 « Si j’en trouve trente, 
 je ne le ferai pas. »
31 Abraham dit alors :
 « Oserai-je parler encore à mon Seigneur ? 
 Peut-être en trouvera-t-on seulement vingt ? » 
 Il répondit : « Pour vingt, je ne détruirai pas. »
32 Il dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère : 
 je ne parlerai plus qu’une fois. 
 Peut-être en trouvera-t-on seulement dix ? » 
 Et le SEIGNEUR répondit :
 « Pour dix, je ne détruirai pas la ville de Sodome. »

Ce texte marque un grand pas en avant dans l’idée que les hommes se font de leur relation à Dieu : c’est la première fois que l’on ose imaginer qu’un homme puisse intervenir dans les projets de Dieu. Malheureusement, la lecture liturgique ne nous fait pas entendre les versets précédents, là où l’on voit Dieu, parlant tout seul, se dire à lui-même : « Maintenant que j’ai fait alliance avec Abraham, il est mon ami, je ne vais pas lui cacher mes projets. » Manière de nous dire que Dieu prend très au sérieux cette alliance ! Voici ce passage : « Les hommes se levèrent de là et portèrent leur regard sur Sodome ; Abraham marchait avec eux pour prendre congé. Le SEIGNEUR dit : Vais-je cacher à Abraham ce que je fais ? Abraham doit devenir une nation grande et puissante en qui seront bénies toutes les nations de la terre, car j’ai voulu le connaître… » Et c’est là que commence ce que l’on pourrait appeler « le plus beau marchandage de l’histoire ». Abraham armé de tout son courage intercédant auprès de ses visiteurs pour tenter de sauver Sodome et Gomorrhe d’un châtiment pourtant bien mérité : « SEIGNEUR, si tu trouvais seulement cinquante justes dans cette ville, tu ne la détruirais pas quand même ? Sinon, que dirait-on de toi ? Ce n’est pas moi qui vais t’apprendre la justice ! Et si tu n’en trouvais que quarante-cinq, que quarante, que trente, que vingt, que dix ?… »
 Quelle audace ! Et pourtant, apparemment, Dieu accepte que l’homme se pose en interlocuteur : pas un instant, le Seigneur ne semble s’impatienter ; au contraire, il répond à chaque fois ce qu’Abraham attendait de lui. Peut-être même apprécie-t-il qu’Abraham ait une si haute idée de sa justice ; au passage, d’ailleurs, on peut noter que ce texte a été rédigé à une époque où l’on a le sens de la responsabilité individuelle : puisque Abraham serait scandalisé que des justes soient punis en même temps que les pécheurs et à cause d’eux ; nous sommes loin de l’époque où une famille entière était supprimée à cause de la faute d’un seul. Or, la grande découverte de la responsabilité individuelle date du prophète Ezéchiel et de l’Exil à Babylone, donc au sixième siècle. On peut en déduire une hypothèse concernant la composition du chapitre que nous lisons ici : comme pour la lecture de dimanche dernier, nous sommes certainement en présence d’un texte rédigé assez tardivement, à partir de récits beaucoup plus anciens peut-être, mais dont la mise en forme orale ou écrite n’était pas définitive.
 Dieu aime plus encore probablement que l’homme se pose en intercesseur pour ses frères ; nous l’avons déjà vu un autre dimanche à propos de Moïse (Ex 32) : après l’apostasie du peuple au pied du Sinaï, se fabriquant un « veau d’or » pour l’adorer, aussitôt après avoir juré de ne plus jamais suivre des idoles, Moïse était intervenu pour supplier Dieu de pardonner ; et, bien sûr, Dieu qui n’attendait que cela, si l’on ose dire, s’était empressé de pardonner. Moïse intervenait pour le peuple dont il était responsable ; Abraham, lui, intercède pour des païens, ce qui est logique, après tout, puisqu’il est porteur d’une bénédiction au profit de « toutes les familles de la terre ». Belle leçon sur la prière, là encore ; et il est intéressant qu’elle nous soit proposée le jour où l’évangile de Luc nous rapporte l’enseignement de Jésus sur la prière, à commencer par le Notre Père, la prière « plurielle » par excellence : puisque nous ne disons pas « Mon Père », mais « Notre Père ».. Nous sommes invités, visiblement, à élargir notre prière à la dimension de l’humanité tout entière.
 « Peut-être en trouvera-t-on seulement dix ? » (Ce fut la dernière tentative d’Abraham.) « Et le SEIGNEUR répondit : Pour dix, je ne détruirai pas la ville de Sodome. » Ce texte est un grand pas en avant, disais-je, une étape importante dans la découverte de Dieu, mais ce n’est qu’une étape, car il se situe encore dans une logique de comptabilité : sur le thème combien faudra-t-il de justes pour gagner le pardon des pécheurs ? Il restera à franchir le dernier pas théologique : découvrir qu’avec Dieu, il n’est jamais question d’un quelconque paiement ! Sa justice n’a rien à voir avec une balance dont les deux plateaux doivent être rigoureusement équilibrés ! C’est très exactement ce que Saint Paul essaiera de nous faire comprendre dans le passage de la lettre aux Colossiens que nous lisons ce dimanche.

DIMANCHE 21 JUILLET : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE – Genèse 18, 1 – 10a

19 juillet, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 21 JUILLET : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Genèse 18, 1 – 10a


1 Au chêne de Mambré, le SEIGNEUR apparut à Abraham 
 qui était assis à l’entrée de la tente. 
 C’était l’heure la plus chaude du jour.
2 Abraham leva les yeux, 
 il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. 
 Aussitôt, il courut à leur rencontre, 
 se prosterna jusqu’à terre et dit :
3 « Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, 
 ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur.
 4 On va vous apporter un peu d’eau, 
 vous vous laverez les pieds, 
  et vous vous étendrez sous cet arbre.
 5 Je vais chercher du pain 
 et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, 
 puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » 
 Ils répondirent : 
 « C’est bien. Fais ce que tu as dit. »
6 Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, 
 et il lui dit : 
 « Prends vite trois grandes mesures de farine, 
 pétris la pâte et fais des galettes. »
7 Puis Abraham courut au troupeau, 
 il prit un veau gras et tendre, 
 et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer.
8 Il prit du fromage blanc, du lait, 
 le veau qu’on avait apprêté, 
 et les déposa devant eux ; 
 il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, 
 pendant qu’ils mangeaient.
 9  Ils lui demandèrent : 
 « Où est Sara, ta femme ? » 
 il répondit :
 « Elle est à l’intérieur de la tente. »
10 Le voyageur reprit : 
 « Je reviendrai chez toi dans un an, 
 et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Mambré est un habitant du pays de Canaan qui, à plusieurs reprises, a offert l’hospitalité à Abraham dans son bois de chênes (près de l’actuelle ville d’Hébron). On sait que, pour les Cananéens, les chênes étaient des arbres sacrés ; le récit que nous venons de lire rapporte une apparition de Dieu à Abraham alors qu’il avait établi son campement à l’ombre d’un chêne dans le bois qui appartenait à Mambré ; mais à vrai dire, ce n’est pas la première fois que Dieu parle à Abraham. Depuis le chapitre 12, le livre de la Genèse nous raconte les apparitions répétées et les promesses de Dieu à Abraham. Mais, pour l’instant, rien ne s’est passé ; Abraham et Sara vont mourir sans enfant.
 Car on dit souvent que Dieu a choisi un peuple… En fait, non, Dieu a d’abord choisi un homme, et un homme sans enfants de surcroît. Et c’est à cet homme privé d’avenir (à vues humaines tout au moins) que Dieu a fait une promesse inouïe : « Je ferai de toi une grande nation… En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (Gn 12, 2-3). A ce vieillard stérile, Dieu a dit « Compte les étoiles si tu le peux… Telle sera ta descendance. » Sur cette seule promesse, apparemment irréalisable, Abram a accepté de jouer toute sa vie. Abraham ne doutait pas que Dieu honorerait sa promesse mais il ne connaissait que trop le fait qui lui opposait un obstacle majeur : lui et Sara étaient stériles ! Ou, du moins, il pouvait le croire, puisqu’à soixante quinze et soixante cinq ans, ils étaient sans enfant.
 Alors il avait imaginé des solutions : Dieu m’a promis une postérité, mais, après tout, mon serviteur est comme mon fils. « SEIGNEUR Dieu, que me donneras-tu ? Je m’en vais sans enfant, et l’héritier de ma maison, c’est Eliézer de Damas. » (Gn 15, 2). Mais Dieu avait refusé : « Ce n’est pas lui qui héritera de toi, mais c’est celui qui sortira de tes entrailles qui héritera de toi. » (Gn 15, 4). Quelques années plus tard, quand Dieu reparla de cette naissance, Abraham ne put pas s’empêcher d’abord d’en rire (Gn 17, 17) ; puis il imagina une autre solution : ce pourrait être mon vrai fils, cette fois, Ismaël, celui que j’ai eu de mon union (autorisée par Sara) avec Agar : « Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? Sara, avec ses quatre-vingt-dix ans pourrait-elle enfanter ?… Puisse Ismaël vivre en ta présence ! » Cette fois encore Dieu refusa : « Mais non ! Ta femme Sara va t’enfanter un fils et tu lui donneras le nom d’Isaac. » (Gn 17, 19). La Promesse est la Promesse.
 Le texte que nous lisons ce dimanche suppose toute cette histoire d’Alliance déjà longue (vingt-cinq ans, si l’on en croit la Bible). L’événement se passe près du chêne de Mambré. Trois hommes apparurent à Abraham et acceptèrent son l’hospitalité : arrêtons-nous là. Contrairement aux apparences, l’importance de ce texte n’est pas cette hospitalité si généreusement offerte par Abraham ! Rien de plus banal, à cette époque-là, dans cette civilisation-là, même si c’est exemplaire !
 Le message de l’auteur de ce texte, ce qui suscite son admiration, et du coup, l’envie de l’écrire pour le léguer aux générations futures est bien plus haut ! L’inouï vient de se produire : pour la première fois de l’histoire de l’humanité, Dieu en personne s’est invité chez un homme ! Car il ne fait de doute pour personne que les trois illustres visiteurs symbolisent Dieu ; la lecture de ce texte est pour nous un peu difficile, car on ne comprend pas très bien s’il y a un ou plusieurs visiteurs : « Abraham leva les yeux, il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui… il dit : Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux… On va vous apporter un peu d’eau, vous vous laverez les pieds… vous reprendrez des forces… Ils lui demandèrent : Où est Sara, ta femme ? Le voyageur reprit : Je reviendrai chez toi dans un an… ». En fait, notre auteur écrit longtemps après les faits sur la base de plusieurs récits d’origines diverses. De tous ces récits, il ne fait qu’un seul, en harmonisant au mieux les formulations. Comme il veut éviter toute apparence de polythéisme, il prend bien soin de rappeler à plusieurs reprises que Dieu est unique. N’y cherchons donc pas trop vite une représentation de la Trinité ; l’auteur de ce texte ne pouvait la concevoir encore ; ce qui est sûr, c’est que Abraham a reconnu sans hésiter, dans ces trois visiteurs, la présence divine.
 Dieu, donc, puisque c’est lui, à n’en pas douter, Dieu s’est invité chez Abraham, et pour lui dire quoi ? Pour lui confirmer le projet inespéré qu’il formait pour lui : l’an prochain, à pareille époque, Sara, la vieille Sara, aura un fils, et de ce fils naîtra un peuple qui sera l’instrument des bienfaits de Dieu : « Je reviendrai chez toi dans un an, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. » Sara qui avait écouté aux portes n’a pas pu s’empêcher de rire : ils étaient si vieux tous les deux ! Alors le voyageur a répondu cette phrase que nous ne devrions jamais oublier : « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? » (Gn 18, 14). Et l’impossible, à vues humaines, s’est produit : Isaac est né, premier maillon de la descendance promise, innombrable comme les étoiles dans le ciel.

DEUXIEME LECTURE – Colossiens 1, 24 – 28
Frères,
24 je trouve la joie dans les souffrances 
 que je supporte pour vous, 
 car ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, 
 je l’accomplis dans ma propre chair, 
 pour son corps qui est l’Eglise.
25 De cette Eglise je suis devenu ministre, 
 et la charge que Dieu m’a confiée, 
 c’est d’accomplir pour vous sa parole,
26 le mystère qui était caché depuis toujours 
 à toutes les générations, 
 mais qui maintenant a été manifesté 
 aux membres de son peuple saint.
27 Car Dieu a bien voulu leur faire connaître 
 en quoi consiste, au milieu des nations païennes, 
 la gloire sans prix de ce mystère : 
 le Christ est au milieu de vous, 
 lui, l’espérance de la gloire !
28 Ce Christ, nous l’annonçons : 
 nous avertissons tout homme, 
 nous instruisons tout homme avec sagesse 
 afin d’amener tout homme à sa perfection dans le Christ.

La première phrase de ce texte est redoutable ! « Ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair » : comment entendre cette phrase ? Resterait-il donc des souffrances à subir par le Christ ou par nous, pour faire bonne mesure, en quelque sorte ? Apparemment, il reste des souffrances à subir, puisque Paul le dit, mais ce n’est pas « pour faire bonne mesure ». Cela ne découle pas d’une exigence de Dieu ! C’est une nécessité malheureusement due à la dureté de cœur des hommes !
 Ce qui reste à souffrir, ce sont les difficultés, les oppositions, voire les persécutions que rencontre toute entreprise d’évangélisation. Jésus lui-même l’a dit clairement à plusieurs reprises, avant et après sa propre passion et sa Résurrection ; à ses apôtres, il avait dit : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. » (Lc 9, 22) ; et après sa Résurrection, il l’expliqua aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26). Et ce qui fut le sort du maître sera celui de ses disciples ; là encore, il les a bien prévenus : « On vous livrera aux tribunaux et aux synagogues, vous serez roués de coups, vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : ils auront là un témoignage. Car il faut d’abord que l’évangile soit proclamé à toutes les nations. » (Mc 13, 9-10). Nous voilà prévenus : tant que la tâche n’est pas terminée, il faudra encore se donner de la peine et traverser bien des difficultés, voire des persécutions. Cela bien concrètement, dans notre propre chair.
 Il n’est évidemment pas question d’imaginer que cela résulterait d’un décret de Dieu, avide de voir souffrir ses enfants, et comptable de leurs larmes ; une telle supposition défigure le Dieu de tendresse et de pitié que Moïse lui-même avait déjà découvert. La réponse tient en deux points : premièrement, pour l’oeuvre d’évangélisation, Dieu sollicite des collaborateurs ; il n’agit pas sans nous ; deuxièmement, le monde refuse d’entendre la Parole, pour ne pas avoir à changer de conduite ; alors il s’oppose de toutes ses forces à la propagation de la Bonne Nouvelle. Cela peut aller jusqu’à persécuter et supprimer les témoins gênants de la Parole. C’est exactement ce que vit Paul, emprisonné pour avoir trop parlé de Jésus de Nazareth.1 Et dans ses lettres aux jeunes communautés chrétiennes, il encourage à plusieurs reprises ses interlocuteurs à accepter à leur tour la persécution inévitable : « Que personne ne soit ébranlé au milieu des épreuves présentes, car vous savez bien que nous y sommes destinés. » (1 Thes 3, 3). Et Pierre en fait autant « Résistez, fermes dans la foi, sachant que les mêmes souffrances sont réservées à vos frères dans le monde. » (1 P 5, 9-10).
 Il n’est donc pas question de baisser les bras : « Ce Christ, nous l’annonçons, dit Paul, (sous-entendu, envers et contre tout), nous avertissons tout homme, nous instruisons tout homme avec sagesse afin d’amener tout homme à sa perfection dans le Christ. » Celui-ci a commencé, il nous reste à achever l’oeuvre d’annonce. C’est bien ainsi que, dans la lettre aux Romains, Paul envisage son ministère : « La grâce que Dieu m’a donnée est d’être un officiant de Jésus-Christ auprès des païens, consacré au ministère de l’Evangile de Dieu, afin que les païens deviennent une offrande qui, sanctifiée par l’Esprit Saint, soit agréable à Dieu. » (Rm 15, 15-16).
 Ainsi grandit peu à peu l’Eglise, Corps du Christ ; par rapport à la première lettre aux Corinthiens (1 Co 12), la vision de Paul s’est encore élargie : dans la lettre aux Corinthiens, Paul employait déjà l’image du corps, mais seulement pour parler de l’articulation des membres entre eux, dans chaque Eglise locale ; ici, il envisage l’Eglise universelle, grand corps, dont le Christ est la tête. Elle est cette part de l’humanité qui reconnaît la primauté du Christ sur tout le cosmos dont parlait l’hymne des versets précédents : « Le Christ est l’image du Dieu invisible, le premier-né par rapport à toute créature, car c’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles : tout est créé par lui et pour lui. Il est avant tous les êtres, et tout subsiste en lui. Il est aussi la tête du corps, c’est-à-dire de l’Eglise. » (Col 1, 15-18).2
 Ce mystère du projet de Dieu a été révélé aux chrétiens, il est leur source intarissable de joie et d’espérance : « Le Christ est au milieu de vous, lui, l’espérance de la gloire ! » (verset 27). Et c’est l’émerveillement de cette présence du Christ au milieu d’eux qui transforme les croyants en témoins. Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, Paul peut dire : « De même que les souffrances du Christ abondent pour nous, de même, par le Christ, abonde aussi notre consolation. » (2 Co 1, 5). Et dans la lettre aux Philippiens : « Dieu vous a fait la grâce à l’égard du Christ, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. » (Phi 1, 29). Ici, il avait commencé par affirmer : « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Eglise. »

LA GRÂCE DANS LE JUDAÏSME : APRÈS ‘HEN, ‘HESED, L’AMOUR GRACIEUX

8 juillet, 2013

http://coirault-neuburger.blog.lemonde.fr/2013/07/02/la-grace-dans-le-judaisme-apres-hen-hesed-lamour-gracieux/

LA GRÂCE DANS LE JUDAÏSME : APRÈS ‘HEN, ‘HESED, L’AMOUR GRACIEUX

02 JUILLET 2013

‘hesed : un mot d’amour qui, comme ‘hen, peut parfois être traduit par « grâce ». C’est l’un des treize attributs dits de « miséricorde », et dans la Cabale c’est l’une des Séphirot, la première à ne plus être associée directement à la connaissance pour être associée à l’action. D’ailleurs très souvent dans la Bible on dit : « Fais-nous la grâce » : « asinou ‘hesed » (Samuel et  Juges). C’est cet amour qui préside dit-on au premier jour de la Création, à l’impulsion initiale. C’est aussi l’amour de la paix comme plénitude, dans les Psaumes (62,13) où il eset associé à « techalem ». Rabbi Simlai dans le Talmud dit que la Torah commence et finit par le ‘hesed, et effectivement, dans le dernier des Proverbes dit de la « femme vaillante », que nous récitons chaque Chabbat, il est question d’une « torat ‘hesed », un enseignement d’amour gracieux.
Très souvent dans la Bible ‘hesed est associé à ce que Dieu est en tant que vérité, « émet » : l’expression est « ‘hesed véémet » (surtout dans les Psaumes, mais aussi en Josué 2, 14). Cela va avec l’idée que la vérité est favorable à l’homme. La vérité n’est pas dure à entendre, dans sa perfection divine : elle fait du bien à l’âme car elle ne ressemble pas à la médisance, au souci de se faire valoir aux dépens des autres. Elle a un côté imprévisible, comme la grâce, en ce que, comme elle, elle est inconditionnelle, même si, comme on le voit parfois dans la Bible, et dans l’enseignement des sages, faire preuve de ‘hesed avec autrui peut entraîner le ‘hesed divin à notre égard (Chroniques 1, 19,2).
Une autre interprétation de l’association ‘hesed véémet se dégage du commentaire de Rachi sur Genèse 47,29 : Jacob implore Joseph de ne pas l’enterrer en Egypte : il lui demande de « faire » « ‘hesed véémet » : il y a là un modèle d’amour gracieux : celui envers les morts, qui n’attend évidemment rien en retour puisqu’ils sont morts. Il y a donc un véritable amour gracieux, un amour désintéressé « béémet », « en vérité », voilà ce qu’est ce ‘hesed qui préside à la création, ce qui n’empêche pas la volonté divine de faire une création sage (‘hokhma) et savante (bina). Cet amour n’est pas inconciliable avec la justice : le Psaume 101,1 dit par exemple : « ‘hesed oumichpat », « amour gracieux et justice du juge ». Jonas, lui, croit que Dieu a trop voulu faire passer le ‘hesed avant l’exécution du jugement prophétique. En réalité, les deux vont ensemble, la prophétie est aussi un acte de ‘hesed.
On connaît la phrase centrale de Michée 6,8 : « On t’a raconté, Adam, ce qui est bien et ce que l’Eternel recherche de ta part : que tu fasses la justice (michpat), et l’amour de la grâce(ahavat ‘hesed), et que tu marches humblement avec ton Dieu. » ‘hesed est au centre, et l’homme doit « faire » l’amour de cette attitude gracieuse en même temps qu’il « fait » la justice.
‘hesed est une vertu associée à Abraham, le premier des patriarches, qui se mit en route le premier par amour pour Dieu.

DIMANCHE 7 JUILLET : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE ET DEUXIEME LECTURE

5 juillet, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 7 JUILLET : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Isaïe 66, 10-14
10 Réjouissez-vous avec Jérusalem, 
 exultez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez ! 
 Avec elle soyez pleins d’allégresse, 
 vous tous qui portiez son deuil !
11 Ainsi vous serez nourris et rassasiés 
 du lait de ses consolations, 
 et vous puiserez avec délices 
 à l’abondance de sa gloire.
12 Voici ce que dit le SEIGNEUR : 
 Je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve, 
 et la gloire des nations comme un torrent qui déborde. 
 Vous serez comme des nourrissons
 que l’on porte sur son bras, 
 que l’on caresse sur ses genoux.
13 De même qu’une mère console son enfant, 
 moi-même je vous consolerai, 
 dans Jérusalem vous serez consolés.
14 Vous le verrez et votre coeur se réjouira ; 
 vos membres, comme l’herbe nouvelle, seront rajeunis. 
 Et le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs.
Quand un prophète parle autant de consolation, on peut se poser des questions ! Vous avez entendu : « De même qu’une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai, dans Jérusalem vous serez consolés. » et un peu plus haut « vous serez nourris et rassasiés du lait des consolations ».
 Cela veut dire que tout allait mal et qu’on avait grand besoin d’être consolés ! Nous avons vu souvent que le prophète est celui qui, dans les moments de détresse, sait réveiller l’espoir. Car un prophète, c’est quelqu’un qui se refuse à écouter les voix découragées qui s’élèvent pour dire que Dieu lui-même ne peut rien contre la mauvaise volonté, l’instinct de puissance, les rivalités, les guerres…
 Effectivement, ce texte que nous lisons ici a été écrit dans un moment difficile : l’auteur (que nous appelons le Troisième Isaïe), est un des lointains disciples du grand Isaïe, (ses paroles ont été annexées plus tard au livre du grand prophète Isaïe). Il prêche juste au retour de l’Exil à Babylone, vers 535 av. J.C. Les exilés sont revenus au pays, mais ce retour tant espéré s’est révélé décevant à tous les égards : Jérusalem, pour commencer, la ville bien-aimée, porte encore les cicatrices de la catastrophe de 587 (sa destruction par les armées de Nabuchodonosor). Le Temple est en ruines, une partie de la ville aussi. Pour le reste, ceux qui revenaient n’ont pas reçu l’accueil triomphal qu’ils avaient imaginé de loin : comme toujours dans ces circonstances, ceux qui sont partis ont bien souvent été oubliés, remplacés… surtout pour une captivité de cinquante ans !
 Voilà pourquoi, bien qu’ils soient de retour à Jérusalem, le prophète parle de deuil et de consolation. Mais, face au découragement qui s’installe, le prophète ne se contente pas de paroles de réconfort, il ose un discours presque triomphal : « Réjouissez-vous avec Jérusalem, exultez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle soyez pleins d’allégresse, vous tous qui portiez son deuil ! » On peut se demander d’où lui vient son bel optimisme ? C’est bien simple, sa foi, ou plutôt l’expérience d’Israël ! Le seul argument du peuple d’Israël, pour continuer à espérer, c’est toujours le même à toutes les époques de son histoire, c’est la présence de Dieu, la puissance de Dieu. C’est quand tout paraît perdu qu’il faut à tout prix se souvenir que rien n’est impossible à Dieu ; comme l’Ange du Seigneur l’avait dit à Abraham et Sara : « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? » (Gn 18, 14) ; comme le Seigneur lui-même l’avait dit à Moïse, un jour de découragement, pendant l’Exode : « Crois-tu que j’aie le bras trop court ? » (Nb 11, 23) ; c’est une image que nous connaissons : nous entendons parfois dire qu’une personne a « le bras long » ! On retrouve à plusieurs reprises la même image dans le livre d’Isaïe ; par exemple, pendant l’Exil quand on perdait espoir d’être libérés un jour, le deuxième Isaïe l’avait employée : « Est-ce que ma main serait courte, trop courte pour affranchir ? » (Is 50, 2).
 Plus tard, après le retour, en période de découragement, le troisième Isaïe, celui que nous lisons aujourd’hui, reprend deux fois le même discours. Au chapitre 59, il a affirmé : « Non, la main du SEIGNEUR n’est pas trop courte pour sauver, son oreille n’est pas trop dure pour entendre! » (Is 59, 1). Et dans le dernier verset de notre texte d’aujourd’hui, nous avons lu : « Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs » ; c’est la traduction liturgique ; mais le texte hébreu dit : « Le SEIGNEUR fera connaître sa main à ses serviteurs. »
 C’est donc un appel à l’espérance, celui-là même dont ce peuple a besoin dans cette période de découragement. Dieu a libéré son peuple à maintes reprises dans le passé, il ne l’abandonnera pas. A lui seul, le mot « main » est une allusion à la sortie d’Egypte, car on aime dire que, à ce moment-là, Dieu est intervenu « à main forte et à bras étendu ».
 L’expression « Vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations » est, elle aussi, un rappel de l’Exode : au cours de sa marche au désert, le peuple avait connu la faim et la soif et cela avait été pour lui une terrible épreuve pour sa foi. Et Dieu lui a toujours procuré le nécessaire. Désormais, ce sera la surabondance : « Vous puiserez avec délices à l’abondance de sa gloire ».
 Ce rappel de l’Exode comporte deux leçons : d’une part, Dieu nous veut libres et soutient tous nos efforts pour instaurer la justice et la liberté ; mais d’autre part, il y faut nos efforts. Le peuple est sorti d’Egypte grâce à l’intervention de Dieu, on ne l’oublie jamais, mais il a fallu marcher, et parfois péniblement, vers la terre promise. Quand Isaïe promet de la part de Dieu : « Je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve », cela ne veut pas dire que la paix s’instaurera magiquement un beau jour ! Il y faudra une vraie volonté et un effort soutenu des hommes, on ne le sait que trop. Mais cet effort et cette volonté ne pourront se maintenir et aboutir que si nous nous raccrochons résolument à la conviction que « rien n’est impossible à Dieu ».
 Dans sa deuxième lettre, saint Pierre dit exactement la même chose : à des Chrétiens qui trouvent que le royaume de Dieu se fait attendre, il répond : « Il y a une chose en tout cas que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour… Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habitera. » Et il ajoute : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent, mais que tous parviennent à la conversion ». Saint Pierre rappelle bien ici les deux leçons de l’Exode dont je parlais il y a un instant : premièrement, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, c’est-à-dire, accrochez-vous à la conviction de sa présence permanente et agissante à vos côtés, mais, deuxièmement, vos efforts sont indispensables, la paix, la justice, le bonheur ne s’instaureront pas un beau jour par un coup de baguette magique : « c’est pour vous qu’il patiente ». Moralité, à nous de jouer, il y a urgence !

 DEUXIEME LECTURE – Galates 6, 14-18
14 Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ 
 reste mon seul orgueil. 
 Par elle, le monde est à jamais crucifié pour moi, 
 et moi, pour le monde.
15 Ce qui compte, ce n’est pas la circoncision, 
 c’est la création nouvelle.
16 Pour tous ceux qui suivent cette règle de vie 
 et pour le véritable Israël de Dieu, 
 paix et miséricorde.
 17 Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter. 
 Car moi, je porte dans mon corps 
 la marque des souffrances de Jésus.
18 Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ 
 soit avec votre esprit.

Je reprends la première phrase : « Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. » Cette insistance sur le mot « seul » laisse deviner qu’il y a un problème. Effectivement, Paul avait commencé sa lettre aux Galates par un reproche sévère : « J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un autre Evangile ». Et il expliquait : « Il y a des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent renverser l’Evangile du Christ ». Ceux qui jetaient le trouble parmi les Chrétiens de Galatie, c’étaient des Juifs devenus chrétiens (des judéo-chrétiens) qui voulaient obliger tous les membres de leurs communautés à pratiquer toutes les règles de la religion juive, y compris la circoncision.
 Paul écrit alors à ces communautés pour les mettre en garde ; ce qui se cache derrière cette discussion pour ou contre la circoncision, c’est une véritable hérésie : c’est la foi au Christ, et elle seule qui nous sauve, la foi au Christ concrétisée par le Baptême ; imposer la circoncision reviendrait à le nier, à laisser entendre que la croix du Christ ne suffit pas. Ce sont des « faux frères » dit Paul, ces gens qui peuvent soutenir des thèses pareilles.
 Il rappelle aux Galates que leur seul orgueil est la croix du Christ. Mais, pour comprendre Paul, il faut bien préciser que, pour lui, la croix n’est pas un objet, pas même un objet de vénération… c’est un événement. Quand Paul parle de la croix du Christ, il ne se livre pas à une contemplation de ses douleurs, au rappel de ses souffrances ; pour lui, la croix du Christ est un événement historique, c’est même l’événement central de l’histoire du monde, l’événement qui a opéré une fois pour toutes la réconciliation entre Dieu et l’humanité d’une part, la réconciliation entre les hommes, d’autre part.
 Quand Paul dit « Par la croix du Christ, le monde est à jamais crucifié pour moi », je crois que la formule « par la croix » signifie « depuis l’événement de la croix » et « le monde est à jamais crucifié » signifie « le monde est définitivement transformé ».
 C’est un événement décisif : plus rien ne sera jamais comme avant. Comme le dit la lettre aux Colossiens : « Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix. » (Col 1, 19-20).
 La preuve que la croix est l’événement décisif de l’histoire du monde, c’est que la mort est vaincue pour la première fois : Christ est ressuscité. Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi est votre foi ». Pour Paul, la croix et la Résurrection sont indissociables : il s’agit d’un seul et même événement.
 Par la croix est née la « création nouvelle » par opposition au « monde ancien ». Au début de cette même lettre aux Galates, il dit : « A vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ, qui s’est livré pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde mauvais… » Et cette expression « à vous grâce et paix » ce n’est pas une formule toute faite ! Réellement grâce et paix sont acquises désormais aux Chrétiens, c’est cela que Paul veut dire.
 Tout au long de cette lettre, il a opposé le régime ancien qui était le régime de la loi et le régime nouveau qui est celui de la foi ; la vie selon la chair et la vie selon l’esprit ; l’esclavage ancien et notre liberté acquise par Jésus-Christ ; désormais, par la foi, par notre adhésion à Jésus-Christ, nous sommes des hommes libres de vivre selon l’Esprit.
Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il dit quelque chose d’analogue : « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né ». Le monde ancien, c’est le monde en guerre, l’humanité en révolte contre Dieu, le monde qui soupçonne Dieu de ne pas être amour et bienveillance ; du coup il désobéit aux commandements de Dieu et ce sont les rivalités entre les hommes, les guerres, les luttes pour le pouvoir ou pour l’argent. La création nouvelle, au contraire, c’est l’obéissance du Fils, sa confiance jusqu’au bout, son pardon pour ses bourreaux, sa joue tendue à ceux qui lui arrachent la barbe, comme dit Isaïe. La Passion du Christ a été un paroxysme de haine et d’injustice commis au nom de Dieu ; le Christ en a fait un paroxysme de non-violence, de douceur, de pardon. Et nous, à notre tour, parce que nous sommes greffés sur le Fils, nous sommes rendus capables de la même obéissance, du même amour : capables d’abandonner le mode de vie selon le monde, pour choisir le mode de vie selon le Christ. Ce retournement extraordinaire qui est l’oeuvre de l’Esprit de Dieu inspire à Paul une formule particulièrement frappante : « Par la croix, le monde est à jamais crucifié pour moi, et moi, pour le monde. » Traduisez « la manière de vivre selon le monde est abolie, désormais, nous vivons selon l’Esprit ». Une telle transformation est bien un sujet de fierté pour les Chrétiens : réellement, comme dit Paul « la croix de notre Seigneur Jésus Christ est notre seul orgueil ». C’est bien la raison d’être des crucifix qui ornent les murs de nos maisons ou de nos églises.
 Pour cette annonce de la croix du Christ, Paul a déjà payé de sa personne. Quand il dit que désormais nous sommes dans la grâce et la paix, cela ne veut pas dire que tout ira forcément tout seul ! Logiquement, si nous annonçons vraiment l’Evangile, nous devrions rencontrer des oppositions semblables à celles que le Christ a rencontrées et que Paul rencontre à son tour. Quand il dit « je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus », il fait certainement allusion aux persécutions qu’il a lui-même subies pour avoir annoncé l’Evangile. Chaque fois que nous faisons le signe de la croix, nous manifestons que nous sommes dans cette création nouvelle où toute parole est dite, où tout geste est accompli au nom du Père et du Fils et de l’Esprit ; et en même temps nous nous engageons à témoigner de la transformation que l’Esprit d’amour est seul capable d’opérer.

DIMANCHE 30 JUIN : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE – 1 Rois 19, 16b. 19-21

29 juin, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 30 JUIN : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – 1 Rois 19, 16b. 19-21

Le Seigneur avait dit au prophète Elie :
16 « Tu consacreras Elisée, fils de Shafate,
 comme prophète pour te succéder. »
19 Elie s’en alla.
 Il trouva Elisée, fils de Shafate, en train de labourer. 
 Il avait à labourer douze arpents,
 et il en était au douzième.
 Elie passa près de lui et jeta vers lui son manteau.
20 Alors Elisée quitta ses boeufs, courut derrière Elie, 
 et lui dit :
 « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère,
 puis je te suivrai. »
 Elie répondit :
« Va-t’en, retourne là-bas !
 Je n’ai rien fait. »
21 Alors Elisée s’en retourna ;
 mais il prit la paire de boeufs pour les immoler,
 les fit cuire avec le bois de l’attelage,
 et les donna à manger aux gens. 
 Puis il se leva, partit à la suite d’Elie
 et se mit à son service.

Elie et Elisée sont deux très grands prophètes de l’Ancien Testament : leur prédication nous est rapportée par les deux livres des Rois ; quelques mots d’abord sur ces livres des Rois pour nous replonger dans le contexte : ils font partie de ce que nous appelons les « livres historiques » et cette classification risque de nous tromper un peu ; en apparence, effectivement, ce sont des livres d’histoire : sur cinq siècles, du dixième au sixième siècles avant J.C., ils décrivent deux histoires parallèles, deux dynasties, celle du Nord et celle du Sud, puisque, dès la mort de Salomon, en 933, le territoire a été divisé en deux royaumes distincts ; le royaume du Nord garde le nom d’Israël, le royaume du Sud s’appellera Juda.
 Mais, en réalité, les livres des Rois ne sont pas des manuels d’histoire comme on en écrirait aujourd’hui, avec un souci de rigueur et d’objectivité : visiblement, les auteurs ont sélectionné leurs matériaux avec des intentions bien précises pour que nous retenions la leçon, ce que nous appelons la « morale de l’histoire ». Leur but est toujours d’ordre théologique ; la grande leçon sous-jacente à tout cet ensemble est simple : seule, la fidélité à l’Alliance proposée par Dieu peut assurer le bonheur du peuple élu. Et, si ces livres y insistent tant, c’est que ce rappel n’est pas superflu ! Précisément, sur toute la période de la royauté dans les deux royaumes d’Israël et de Juda, les auteurs n’ont que trop d’occasions de rapporter les infidélités du peuple mal guidé par ses rois, l’idolâtrie permanente, mais aussi les malheurs incessants : guerres, rivalités, injustices criantes. Et ceci explique cela : respecter les commandements de Dieu, c’est semer la paix et la justice. A l’inverse, oublier Dieu, c’est oublier sa Loi, rechercher le pouvoir et l’argent, mentir, voler, tuer… Et, inexorablement, semer l’injustice et la haine, donc la violence… Et, malheureusement, pendant toute cette période, l’exemple vient de haut.
 Les deux prophètes Elie et Elisée, qui se succèdent au neuvième siècle, se font donc les champions de la fidélité au Dieu unique et ils consacrent leur vie et toutes leurs énergies (et Dieu sait qu’ils n’en manquent pas !) à ramener le peuple au seul vrai Dieu. Ce dimanche, nous lisons le récit de la vocation d’Elisée : « Le Seigneur avait dit au prophète Elie : Tu consacreras Elisée, fils de Shafate, comme prophète pour te succéder ». L’intention du texte est claire : il s’agit d’affirmer que c’est Dieu lui-même qui a choisi Elisée, et Elie ne fait que lui transmettre l’appel de Dieu. Il s’agit de bien montrer que, par choix de Dieu, Elisée est le digne successeur d’Elie, son fils spirituel.
 Elisée était en train de labourer : première remarque, c’est au sein de sa vie quotidienne que l’appel retentit. Jusqu’ici, il était agriculteur ; quand on fait la liste des personnages bibliques, on constate qu’ils sont recrutés dans des milieux et des métiers très divers. Et que l’appel de Dieu retentit quand on ne s’y attend pas, au milieu des occupations quotidiennes. Moïse, David et Amos gardaient leurs moutons, Gédéon battait le blé, Samuel dormait en pleine nuit, Saül rentrait des champs derrière ses boeufs ; même chose pour les appelés du Nouveau Testament : Matthieu était à sa table de douane, et les premiers disciples étaient à la pêche.
 Le texte continue : « Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième » : toujours, dans la Bible, ce chiffre douze est signe de plénitude, d’accomplissement parfait ; Elisée en est au douzième arpent : il a donc fini sa tâche ; son ancienne mission, son ancienne vie est terminée ; une nouvelle vie commence. « Elie passa près de lui et lui jeta son manteau » : il faut croire que ce geste était très parlant puisqu’Elisée a tout de suite compris ce qu’Elie voulait dire ; en jetant son manteau sur les épaules d’Elisée, Elie l’invitait à participer à sa mission. Alors Elisée quitte ses boeufs et court derrière Elie pour lui dire : « Laisse-moi seulement le temps de faire mes adieux chez moi et je te suivrai ». Il a donc très bien compris l’appel mais il prend le temps d’accomplir ce qu’il considère comme son devoir : embrasser son père et sa mère, manger une dernière fois avec eux.
 Elie répond : « Va-t’en, retourne là-bas ! Je n’ai rien fait ». Cette phrase d’Elie nous surprend peut-être et certains y voient un geste d’humeur. Mais, en fait Elie n’a pas repris son manteau : on sait bien que les dons de Dieu sont sans repentance. Elie rappelle seulement à Elisée qu’il est libre ; en même temps il veut lui faire comprendre que cette vocation, s’il l’accepte, implique un choix radical, une rupture : il lui faut se tourner résolument vers l’avenir, tout quitter.
 Là encore, le texte est étonnant de sobriété : quelques mots seulement, des gestes qui parlent, et visiblement les deux interlocuteurs se sont parfaitement compris ! C’est en toute liberté qu’Elisée retourne faire ses adieux ; et son geste est très significatif : il tue les deux boeufs de son attelage, brûle l’attelage lui-même pour faire cuire les boeufs et fait un repas d’adieu pour toute la maison. Geste définitif : désormais, plus rien ne le retient, il ne possède plus rien, il est totalement libre pour se mettre au service d’Elie pour la mission que Dieu voudra. C’est bien une rupture définitive, radicale avec son ancienne vie. La mission à laquelle il est appelé exige cette radicalité ; mais sans violence pour sa famille et ses proches ; il prend le temps de leur dire adieu.
 Plus tard, quand Elie sera enlevé au ciel, Elisée ramassera son manteau. Il sera alors « habillé » en quelque sorte de la mission d’Elie : Saint Paul a repris exactement cette symbolique du vêtement pour parler du Baptême et nous faire comprendre que nous participons à notre tour à la mission du Christ : « Vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ ».

1...67891011