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COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 7 DÉCEMBRE – Isaïe 40, 1-5. 9-11

5 décembre, 2014

http://www.eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/

COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 7 DÉCEMBRE

PREMIERE LECTURE – Isaïe 40, 1-5. 9-11

1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au coeur de Jérusalem.
Proclamez que son service est accompli,
que son crime est expié,
qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR
le double pour toutes ses fautes.
3 Une voix proclame :
« Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ;
tracez droit, dans les terres arides,
une route pour notre Dieu.
4 Que tout ravin soit comblé,
toute montagne et toute colline abaissées !
Que les escarpements se changent en plaine
et les sommets en large vallée !
5 Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR,
et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »
9 Monte sur une haute montagne,
toi qui portes la bonne nouvelle à Sion.
Elève la voix avec force,
toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem.
Elève la voix, ne crains pas.
Dis aux villes de Juda :
« Voici votre Dieu ! »
10 Voici le SEIGNEUR Dieu !
Il vient avec puissance ;
son bras lui soumet tout.
Voici le fruit de son travail avec lui,
et devant lui, son ouvrage.
11 Comme un berger, il fait paître son troupeau :
son bras rassemble les agneaux,
il les porte sur son coeur,
il mène les brebis qui allaitent.

« CONSOLEZ, CONSOLEZ MON PEUPLE »
C’est ici que commence l’un des plus beaux passages du Livre d’Isaïe ; on l’appelle le « Livret de la Consolation d’Israël » car ses premiers mots sont « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Cette phrase, à elle toute seule, est déjà une Bonne Nouvelle extraordinaire, presque inespérée, pour qui sait l’entendre ! Car les expressions « mon peuple »… « votre Dieu » sont le rappel de l’Alliance.
Or c’était la grande question des exilés. Pendant l’Exil à Babylone, c’est-à-dire entre 587 et 538 avant J.C. on pouvait se le demander : Dieu n’aurait-il pas abandonné son peuple, n’aurait-il pas renoncé à son Alliance…? Il pourrait bien s’être enfin lassé des infidélités répétées à tous les niveaux. Tout l’objectif de ce Livret de la Consolation d’Isaïe est de dire qu’il n’en est rien. Dieu affirme encore « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu », ce qui était la devise ou plutôt l’idéal de l’Alliance.
Je prends tout simplement le texte dans l’ordre : « Parlez au coeur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli » dit Isaïe ; cela veut dire que la servitude à Babylone est finie ; c’est donc une annonce de la libération et du retour à Jérusalem.
« Que son crime est expié et qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR le double pour toutes ses fautes. » D’après la loi d’Israël, un voleur devait restituer le double des biens qu’il avait volés (par exemple deux bêtes pour une). Parler au passé de cette double punition, c’était donc une manière imagée de dire que la libération approchait puisque la peine était déjà purgée.
Ce que le prophète, ici, appelle les « fautes » de Jérusalem, son « crime », ce sont tous les manquements à l’Alliance, les cultes idolâtres, les manquements au sabbat et aux autres prescriptions de la Loi, et surtout les nombreux manquements à la justice et, plus grave encore que tout le reste, le mépris des pauvres. Le peuple juif a toujours considéré l’Exil comme la conséquence de toutes ces infidélités. Car, à l’époque on pensait encore que Dieu nous punit de nos fautes.

LE RETOUR DE L’EXIL COMME UN NOUVEL EXODE
« Une voix proclame » : nulle part, l’auteur de ce « Livret de la Consolation d’Israël » ne nous dit qui il est ; il se présente comme « la voix qui crie de la part de Dieu » ; nous l’appelons traditionnellement le « deuxième Isaïe ».
« Une voix proclame » : Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ». Déjà une fois dans l’histoire d’Israël, Dieu a préparé dans le désert le chemin qui menait son peuple de l’esclavage à la liberté : traduisez de l’Egypte à la Terre promise ; eh bien, nous dit le prophète, puisque le Seigneur a su jadis arracher son peuple à l’oppression égyptienne, il saura aujourd’hui, de la même manière, l’arracher à l’oppression babylonienne.
« Tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! Que les escarpements se changent en plaine et les sommets en large vallée ! » C’était l’un des plaisirs du vainqueur que d’astreindre les vaincus à faire d’énormes travaux de terrassement pour préparer une voie triomphale pour le retour du roi victorieux. Il y a pire : une fois par an, à Babylone, on célébrait la grande fête du dieu Mardouk, et, à cette occasion, les esclaves juifs devaient faire ces travaux de terrassement : combler les ravins… abaisser les collines et même les montagnes, de simples chemins tortueux faire d’amples avenues… pour préparer la voie triomphale par laquelle devait passer le cortège, roi et statues de l’idole en tête !
Pour ces Juifs croyants, c’était l’humiliation suprême et le déchirement intérieur. Alors Isaïe, chargé de leur annoncer la fin prochaine de leur esclavage à Babylone et le retour au pays leur dit : cette fois, c’est dans le désert qui sépare Babylone de Jérusalem que vous tracerez un chemin… Et ce ne sera pas pour une idole païenne, ce sera pour vous et votre Dieu en tête !
« Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR, et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé » : on pourrait traduire « Dieu sera enfin reconnu comme Dieu et tous verront que Dieu a tenu ses promesses. »
« Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Elève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. » Au passage, vous avez remarqué le parallélisme de ces deux phrases : parallélisme parfait qui a simplement pour but de porter l’accent sur cette Bonne Nouvelle adressée à Sion ou Jérusalem, c’est la même chose : il s’agit évidemment du peuple et non de la ville. Le contenu de cette Bonne Nouvelle suit immédiatement : « Voici votre Dieu ! Voici le SEIGNEUR Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. »
« Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son coeur, il mène les brebis qui allaitent. » Nous retrouvons ici chez Isaïe l’image chère à un autre prophète de la même époque, Ezéchiel.
Ce texte, dans son ensemble, résonnait donc comme une extraordinaire nouvelle aux oreilles des contemporains d’Isaïe, au sixième siècle av.J.C. Et voilà que cinq ou six cents ans plus tard, lorsque Jean-Baptiste a vu Jésus de Nazareth s’approcher du Jourdain et demander le Baptême, il a entendu résonner en lui ces paroles d’Isaïe et il a été rempli d’une évidence aveuglante : le voilà celui qui rassemble définitivement le troupeau du Père… Le voilà celui qui va transformer les chemins tortueux des hommes en chemins de lumière… Le voilà celui qui vient redonner au peuple de Dieu sa dignité… Le voilà celui en qui se révèle la gloire (c’est-à-dire la présence) du SEIGNEUR. Fini le temps des prophètes, désormais Dieu lui-même est parmi nous !

« MIS À PART DÈS LE SEIN DE MA MÈRE  » (JÉRÉMIE ET PAUL)

25 octobre, 2014

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1319.html

« MIS À PART DÈS LE SEIN DE MA MÈRE  » (JÉRÉMIE ET PAUL)

Théologie

Choisis par Dieu pour une mission divine, Jérémie et Paul sont « mis à part dès le sein maternel » : pour quels enjeux ?
Parmi les personnages bibliques choisis par Dieu pour une mission divine, Jérémie et Paul sont  » mis à part dès le sein maternel ». Si l’expression n’est pas utilisée pour Samson, Jean-Baptiste ou Jésus, les parallèles sont pourtant nombreux. Quels sont les enjeux de cette mise à part ? Comment éclaire-t-elle la mission donnée à l’élu ? Et quelle liberté réserve-t-elle à l’appelé ?
L’expression « mis à part » (ou « consacré » selon les traductions), signifie « choisi parmi un groupe pour être institué dans une mission ». Elle sous-entend une délimitation, une définition et une séparation. Dans l’Ancien Testament, elle qualifie la distinction entre le pur et l’impur, entre le profane et le sacré. Elle désigne également la mission confiée au peuple élu (Cf. Lv 20,26).

• Le choix de Dieu
La mise à part s’inscrit dans le mouvement de l’appel de Dieu. Pour Jérémie, Paul, Samson ou Jean-Baptiste, choisis dès le sein de leur mère, l’initiative du choix revient à Dieu de manière absolue. La perception d’un Dieu qui façonne sa créature dans le sein maternel, qui en connaît d’emblée toute l’existence (Cf. Ps 139), est placée ici au cœur de la vocation. Cette tradition est complétée dans le Psaume 51 (50) où l’élu de Dieu se reconnaît pécheur dès le sein de sa mère, et donc déjà placé sous le regard de Dieu. On peut parler d’une « prédestination » de la part de Dieu qui raisonne comme un appel à orienter et engager toute sa vie sur la voie qu’il nous ouvre.
La mise à part est liée aussitôt à une mission. C’est là son fondement et son but. Jérémie est mis à part dès le sein maternel car Dieu « fait (de lui) un prophète pour les nations « . De même, Paul est mis à part pour voir se révéler le Fils et l’annoncer aux païens. Jean-Baptiste, lui, reçoit la mission d’être prophète du Très-Haut, de marcher devant, sous le regard du Seigneur, et de préparer ses chemins (Lc 1,16.76).

• La réponse de l’élu
Pour accomplir sa mission, l’élu est supposé avoir une vie intime avec le Seigneur, une connaissance particulière. L’assurance de la présence du Seigneur avec lui ou de l’Esprit en lui, le rendra fidèle à sa mission. Sa fidélité ne lui vient pas d’une qualité personnelle qu’il détiendrait mais de sa capacité à accueillir la grâce de Dieu. Ainsi Jérémie se considère trop jeune ou incapable d’assumer sa mission au point de maudire le jour de sa naissance. Mais le Seigneur lui confirme son choix à plusieurs reprises pour lui ôter ses doutes. L’élu devient comme l’instrument du Seigneur.
La consécration réduirait-elle la liberté de l’élu, puisque sa mise à part a lieu dès le sein de sa mère ? Le Seigneur appelle et suscite une réponse de l’élu. Celui-ci accepte d’accueillir sa grâce, son Esprit, devenir son mandataire et rester fidèle en dépit de l’adversité rencontrée. Les réticences de Jérémie à l’encontre de l’appel divin montrent qu’entre Dieu et son envoyé, s’instaure un dialogue. La liberté de l’élu se situe non pas du côté de l’appel, mais du côté de sa réponse et de son consentement à faire la volonté de Dieu. L’appelé ne connaît pas d’emblée la mission qui lui est confiée. Il la découvrira progressivement, se laissera modeler par elle, et aura à l’accepter librement (ou y renoncer) à chaque instant. Elle s’inscrit dans le dessein de Dieu, lequel échappe à l’élu. C’est dans ce oui à la volonté de Dieu que se dit la liberté de l’appelé.
Jésus accomplit pleinement cette adhésion libre à la volonté du Père. Sa mise à part et sa mission sont exprimées dès l’Annonciation : le fruit du sein de Marie est saint et béni, recevra le nom de Jésus, sera grand et appelé fils du Très-Haut, recevra le trône de David son père et régnera pour toujours (Lc 1,31-32). Sa conception mystérieuse par l’action de l’Esprit Saint manifeste la volonté de Dieu. Sa mission accueillie et assumée, Jésus la vivra dans la connaissance intime du Père. Il priera pour la partager avec ceux que le Père lui a donnés et qu’il lui demande de consacrer alors (Jn 17). Mis à part et consacré pour la mission, Jésus vient accomplir et donner sens à toute vocation.

Christophe RAIMBAULT.

LE LIVRE DE LA SAGESSE – INTRODUCTION

16 octobre, 2014

http://jesusmarie.free.fr/bible-fillion-sagesse-introduction.html

La Sainte Bible Commentée d’après la Vulgate et les textes originaux

LE LIVRE DE LA SAGESSE

INTRODUCTION

l° Le titre. – Dans la Vulgate, Liber Sapientiœ; d’après les Septante, S?f?a Sa??µ??t??, Sagesse de Salomon. Le syriaque et l’arabe paraphrasent ces noms: « La grande Sagesse de Salomon » et : « Livre de la Sagesse de Salomon, fils de David, qui régna sur les enfants d’Israël. » Les Pères grecs nomment quelquefois ce livre, comme les Proverbes: ? pa???et?? s?f?a, la sagesse qui procure toutes les vertus; ou bien: ? ?e?a s?f?a, la divine sagesse. Ces différentes dénominations expriment très bien la pensée dominante de l’écrit, qui traite, en effet, de la sagesse, de son origine et de ses effets.
2° La canonicité. – Le livre de la Sagesse ne fait point partie de la Bible hébraïque; il est donc deutérocanonique (voyez le tome 1, p. 13). Mais il n’est pas douteux qu’il n’ait été admis depuis longtemps dans la synagogue comme une portion intégrante des saintes Écritures, puisqu’il est contenu dans la Bible des Septante, destinée aux Juifs dits Hellénistes. Les écrivains du Nouveau Testament ne le citent pas d’une manière directe; mais ils y font souvent et clairement allusion, et c’est là un argument très sérieux en faveur de son autorité divine, car il est bien évident que les apôtres n’auraient pas traité avec tant d’honneur un livre profane et apocryphe (plusieurs rationalistes admettent la force de ce raisonnement. Comp. 8, 5 et ss, et Joan. 1, 1; 9, 1, et Joan. 1, 3; 16, 5 et ss., et Joan. 3, 14-15; 11, 16, et Rom. 1, 21; 15, 7, et Rom. 9, 21; 12, 20-21, et Rom. 9, 22-23; 3, 8, et 1 Cor. 6, 2; 9, 15, et 2 Cor. 5, 4; 5, 18-20, et Eph. 6, 13-17; 3, 18, et 1 Thess. 4, 13; 7, 25, et Jac. 3, 15; 3, 5-7, et 1 Petr. 1, 6-7; 7, 26, et Hebr. 1, 3; 7, 22-24, et Hebr. 4, 12-13. Etc). Les Églises, soit grecque, soit latine, n’ont jamais hésité sur ce point, ainsi qu’il résulte des témoignages des Pères et des Conciles. Déjà le pape saint Clément, dans sa première lettre aux Corinthiens, 27, citait deux passages de la Sagesse (11, 22, et 12, 12). Saint Irénée, saint Hippolyte, Clément d’Alexandrie, Origène, Tertullien, saint Cyprien, Lactance, saint Hilaire de Poitiers, saint Jérôme, etc., lui attribuent entièrement l’autorité d’un livre inspiré, et regardent son auteur comme un « prophète ». « Cum veneratione divinae auctoritatis, » disait saint Augustin, résumant toute la tradition (De Praedestinat. Sanct., 1, 14).
C’est absolument à tort que, de nos jours, on a attaqué la canonicité et l’inspiration, en prétendant trouver dans le livre de la Sagesse des erreurs historiques ou philosophiques, des légendes sans portée et les systèmes de Platon ou de l’école d’Alexandrie. Ces fausses assertions tombent d’elles-mêmes devant l’examen attentif et impartial des textes incriminés (voyez Cornely, Introductio specialis in didacticos et propheticos V.T. Libros, Paris, 1887, p. 232-237).
3° L’auteur et l’époque de la composition. – En accolant le nom de Salomon au titre du livre, les Septante, le syriaque et l’arabe n’ont nullement voulu attribuer sa composition à ce prince. Le traducteur syrien a fait des réserves formelles sur ce point, niant ouvertement que Salomon soit l’auteur réel. C’est donc là un pseudonyme, mais manifeste, « transparent » qui ne voulait tromper personne, et auquel bien peu se sont laissé prendre dans l’antiquité même (néanmoins quelques écrivains de marque, tels que Clément d’Alexandrie, Tertullien, saint Cyprien, etc., ont regardé Salomon comme le véritable auteur). Saint Irénée, Origène, saint Jérôme et saint Augustin sont aussi nets que possible à ce sujet : « Non… esse ipsius (Salomonis) non dubitant doctiores, » dit expressément ce dernier Père (De civit. Dei, 17, 20). Et ailleurs (De doct. Christ., 2, 8): « Salomonis libri tres: Proverbiorum, Cantica canticorum et Ecclesiastes; nam illi duo libri…, Sapientia… et Ecclesiasticus, de quadam similitudine Salomonis esse dicuntur. ». C’est donc, tout le monde en convient, dans un sens très large que, parfois, les Conciles tenus en Occident et les documents pontificaux mentionnent cinq livres de Salomon (les Proverbes, le Cantique, l’Ecclésiaste, la Sagesse et l’Ecclésiastique): simple formule d’abréviation, basée sur une coutume très ancienne, mais qui ne veut rien définir sur la question d’auteur.
La dernière ligne de saint Augustin que nous venons de citer indique le motif pour lequel l’écrivain sacré, à jamais inconnu, auquel nous devons le livre de la Sagesse, a probablement placé lui-même le nom de Salomon en tête de son œuvre; il voulait montrer ainsi qu’il allait traiter un sujet digne du roi renommé entre tous par sa sagesse, et analogue à ceux qui avaient en réalité servi de thème à Salomon dans ses écrits authentiques (c’est pour cela qu’il le met quelquefois en scène et le fait parler directement. Cf. 7, 1-21; 8, 10 et ss.; 9, 7-8). Ne pourrait-on pas aller plus loin et penser, avec des exégètes de renom (entre autres Bonfrère, Bellarmin, Lorin, Cornelius a Lap., Haneberg, Cornely. Voyez ce dernier, l.c., p. 224 et ss.), que l’auteur aurait mis à profit des notes laissées par le grand roi, de sorte que Salomon aurait eu une part réelle dans la composition du livre? Le fait n’est pas impossible en soi, et il expliquerait le double courant qui s’est formé dès le temps des Pères sur ce point délicat; mais ce n’est malheureusement qu’une conjecture sans fondement solide.
C’est aussi en vertu de simples hypothèses, mais certainement erronées, que l’on attribué, dans les temps anciens ou modernes, le livre de la Sagesse tantôt à Jésus, fils de Sirach, auteur de l’Ecclésiastique (saint Augustin, De doctr. Christ., 2, 8, qui abandonna plus tard ce sentiment. Cf. Retract., 2, 4), tantôt au célèbre théosophe juif Philon (« Nennulli scriptorum veterum » soutenaient déjà cette opinion au temps de saint Jérôme. Sur sa fausseté, voyez le Man. Bibl., t. 2, n. 868. Les ressemblances entre les théories de Philon et le livre de la Sagesse sont purement superficielles), tantôt à Zorobabel revenu de Babylone, tantôt à quelques chrétiens, notamment à Apollos.
A défaut d’une tradition certaine, on peut du moins présenter quelques arguments intrinsèques, qui aboutissent à une conclusion très sérieuse et assez généralement admise aujourd’hui. Ils sont tirés du style et du genre littéraire du livre. Sous ce rapport, la Sagesse offre deux particularités, contradictoires en apparence, mais qui se concilient parfaitement. D’une part, on y remarque souvent un coloris hébraïque très prononcé (locutions empruntées à l’hébreu (cf. 1, 1: qui judicatis terram, in bonitate, in simplicitate cordis; 2, 9 :haec est pars nostra; 2, 15: immutatae… viae ejus; 4, 15, etc.), parallélisme des membres (cf. 1, 1; 2, 1-6; 7, 17-21; 11, 9-10, etc.), construction des phrases parfois un peu lourde, etc.). D’autre part, comme l’affirmait à bon droit saint Jérôme, « ipse stylus graecam eloquentiam redolet, » à un degré vraiment inouï dans tout le reste de la Bible des Septante (emploi fréquent d’expressions très classiques, et spécialement de mots composés; assonances, allitérations et autres jeux de mots qui supposent une connaissance assez approfondie du grec (1, 1: ??ap?sate…, f????sate… ?? ??a??t?t? ?a? ?p??t?t?… ??t?sate. 1, 2: pe??????s??… ?p?st??s??. 1, 4: ???…?a? ?????. Etc.); familiarité avec les coutumes (cf. 1, 14; 4, 2, 3; 7, 22; 10, 12; 11, 17; 19, 20, etc. dans le texte grec) et les théories grecques (cf. 1, 16; 2, 2-3; 5, 10; 8, 5-9; 12, 3-8, etc.)). Cet écrit est donc « remarquable au point de vue littéraire ». Mais tout s’explique aisément, si l’on admet qu’il a été composé, pour ses coreligionnaires d’Égypte, par un Juif d’Alexandrie, très au courant de la langue et des choses helléniques, et qui connaissait également à fond, sinon 1’hébreu, du moins la traduction de la Bible par les Septante, toute parsemée d’hébraïsmes. De là le double coloris de son style (ce style est loin « d’être toujours égal : très élevé et sublime dans quelques parties, comme dans le portrait de l’épicurien (2), dans le tableau du jugement dernier (5, 15-24), dans la description de la sagesse (7, 26-8, 1), incisif et mordant dans la peinture des idoles (13, 11-19), il est diffus et surchargé d’épithètes… dans d’autres passages. » Man. Bibl, t.2, n. 868).
Relativement à l’époque de la composition, la seule chose qu’on puisse affirmer avec certitude, c’est que le livre est notablement antérieur au christianisme, et postérieur aux Septante, attendu qu’il cite leur version à plusieurs reprises (cf. 2, 12, et Is. 3, 10; 15, 10 et Is. 44, 20, etc.). Il fait allusion à d’assez rudes épreuves par lesquelles passaient alors les Juifs, (cf. 6, 5; 12, 2; 15,·14): circonstance qui peut convenir au règne soit de Ptolémée Philopator (222-205 av. J.-C.), soit de Ptolémée Physcon (145-117 av J.·C.).
4° Le sujet, le but, la division.- Ce livre est au fond un long discours, une sorte de manifeste adressé aux Juifs et aux païens contemporains, afin d’opposer aux faux principes et à la conduite mauvaise que suggère la sagesse humaine la perfection de la foi et de la vie, telle que la recommande la vraie sagesse. Mais ce sont les Juifs d’Égypte qu’il a plus particulièrement en vue, et cela dans un triple but : 1° pour les consoler et les encourager au milieu des souffrances qu’ils enduraient de la part de leurs ennemis; 2° pour attaquer ceux d’entre eux qui avaient lâchement apostasié, et qui ne craignaient pas de persécuter leurs frères, de concert avec les païens; 3° pour attaquer aussi le paganisme lui-même et en démontrer 1’ignominie et la folie.
La division est très nette. Deux parties: la première, générale et théorique (chap; 1-9), considère la sagesse dans son essence et ses heureux effets; la seconde, plus spéciale et historique (chap. 10-19), envisage les œuvres admirables de la sagesse dans un certain nombre d’événements de l’histoire des Hébreux. Deux sections dans la première partie : 1° la sagesse, source de vrai bonheur et d’immortalité, 1, 1,-5, 24; 2° la sagesse, guide très sûr de la vie humaine, 6 , 1-9, ,19. Trois sections dans la seconde partie : 1° puissance de la sagesse soit pour sauver, soit pour châtier, 10,1-12,27; 2° la sagesse démontre que l’idolâtrie est une folie criminelle, 13, 1-14, 31; 3° Contraste entre les païens et les adorateurs de Jéhovah, 15, 1-19, 22 (pour les détails de l’analyse, voyez le commentaire, et notre biblia sacra, p. 714-729).
5° L’importance du livre de la Sagesse est reconnue par ceux-là même qui le traitent comme un écrit apocryphe. Elle consiste surtout en ce qu‘ « il nous conduit au seuil du christianisme » par les idées qu’il exprime, et par le langage dont il se sert pour les exprimer. Et parmi ces idées, la principale est celle qui concerne l’origine et la nature de la Sagesse, cette divine hypostase, qui se confond avec le Logos du Nouveau Testament (voyez le Man. Bibl., t. 2, n. 874). Rien de plus net et de plus saisissant; aussi saint Jean et saint Paul emploient-ils une phraséologie analogue pour décrire les attributs de Notre-Seigneur Jésus-Christ en tant que Verbe incarné, Fils du Père. D’autres dogmes sont encore enseignés clairement dans ces pages, spécialement ceux de l’immortalité de l’âme et du jugement dernier (cf. 2, 23; 3, 1 et ss.; 4, 2, 7 et ss.; 5, 1 et ss.; 8, 17; 15, 3, etc). Elles occupent donc réellement une place d’honneur dans l’histoire de la Préparation évangélique.
6° Commentateurs catholiques. Lorin, Cornelius a Lapide, Jansénius de Gand (Annotationes in librum Sapientiœ) , Bossuet, Calmet. De nos jours, Gutberlet , das Buch der Weisheit übersetzt und erklaert (Munster, 1874), et Lesêtre, le Livre de la Sagesse (Paris, 1880) (La Vulgate ne fait guère que reproduire, pour ce livre, la traduction de l’ancienne Itala, légèrement retouchée par saint Jérôme. Elle est assez conforme à l’original grec. Elle contient un grand nombre d’expressions populaires, et le style est souvent peu soigné, ce qui jette parfois de l’obscurité sur la pensée).

JACOB ET L’ANGE : UN COMBAT RÉVÉLATEUR

31 juillet, 2014

http://www.massorti.com/Jacob-et-l-Ange-un-combat

JACOB ET L’ANGE : UN COMBAT RÉVÉLATEUR

Ruth Scheps -

C’est presque avec crainte et tremblement que j’ai décidé de m’attaquer à cet épisode de la paracha Vayichlah, désigné généralement comme le combat de Jacob avec l’Ange :
« Aventure étrange – dit Elie Wiesel -, mystérieuse de bout en bout, d’une beauté à faire frémir, d’une intensité à faire douter des sens. Qui n’a-t-elle fasciné ? Philosophes et poètes, rabbins et conteurs, tous cherchent à résoudre l’énigme de ce qui s’est passé cette nuit-là, à quelques pas du ruisseau Yabbok. »
Le récit tient en quelques lignes : huit versets qui feront basculer l’Histoire – c’est là que Jacob recevra le nom d’Israël – et vaciller nos opinions : Jacob est-il peureux ou courageux ? Son adversaire est-il bon ou méchant ? Jacob a-t-il combattu avec ou contre lui et qui l’a vraiment emporté ?
On peut noter pour commencer que cette lutte n’est pas la première dans la vie de Jacob. À vrai dire, toute son existence semble placée jusque-là sous le signe du conflit et de la ruse : ruse dont il fait preuve lui-même en usurpant le droit d’aînesse de son frère Esaü et en soutirant une bénédiction à son père Isaac, ou qu’il subit par la suite de la part de son beau-père Laban (l’histoire est bien connue, je ne m’y attarde pas)…
Au début du passage qui nous occupe, Jacob vient donc de fuir Laban et se sait poursuivi par la haine d’Esaü qu’il s’apprête pourtant à rencontrer le lendemain. Comment désamorcer cette haine et surmonter la peur qu’elle lui inspire ? Selon Rachi, Jacob le fera de trois manières : par des cadeaux à Esaü, par la prière à Dieu et par le combat au Yabbok.
Le choix du Yabbok n’est certainement pas fortuit ; c’est un gué, c’est-à-dire un lieu qui sépare : séparation traditionnelle entre les humains et les démons de la nuit, séparation géographique entre Jacob et Esaü. Mais c’est aussi un lieu de passage : passage physique que Jacob fait franchir à ses femmes, ses enfants et tous ses biens, et passage symbolique de Jacob lui-même vers une conscience accrue de sa propre identité et de sa mission. Passage qui prendra la forme d’un combat, difficile mais nécessaire, comme le fait entendre le texte lui-même à travers les mots utilisés : yeavek (il a combattu), Yaacov et Yabbok, dont la proximité phonétique invite au jeu de mots, et dont chacun ne semble pouvoir exister qu’en lien avec les deux autres… Car à la fin de l’épisode, lorsque le combat se changera en bénédiction, Yaacov changera de nom pour devenir Israël et le Yabbok lui-même sera appelé par Jacob Peni’el (ma face vers Dieu) puis Penou’el (votre face vers Dieu, comme pour indiquer aux générations futures la voie à suivre).
Sur la nature de ce combat, les commentaires sont nombreux et divergents. La seule certitude touche au caractère singulier dans toute la Tora de ce conflit entre l’humain et le divin : il arrive souvent que Dieu et l’homme soient en désaccord et le manifestent de part et d’autre par la colère ou le cas de conscience. Mais le corps à corps qui a lieu au Yabbok est un phénomène unique, et ce caractère exceptionnel est sans doute une des raisons de la fascination qu’il a toujours exercée sur les esprits.
Combat unique, mais aux dimensions multiples, attestées par les innombrables questionnements et commentaires qu’il a suscités : faut-il le considérer comme réel ou fictif ? Historique, prophétique ou simplement onirique ?
Pour Nahmanide, proche du sens littéral, le combat est réel puisque Jacob y est blessé ; mais il fait aussi allusion à l’histoire de la descendance de Jacob, en vertu du principe selon lequel « maassé avot siman lebanim » – les actions des ancêtres préfigurent celles de leurs descendants. Prolongeant cette interprétation, Rachi voit dans ce combat le symbole de la lutte historique engagée entre Israël et les nations jusqu’à l’aube de la liberté. Selon Maïmonide, il s’agit plutôt d’une vision prophétique car il est dit à la fin du récit qu’il s’agissait d’un ange, et pour Maïmonide, les figures corporelles que revêtent les anges n’existent que dans l’esprit de celui qui les voit. Enfin de nombreuses interprétations font de cette lutte un symbole universel de la lutte intérieure contre tout ce qui entrave l’accomplissement créateur de l’être : obscurité, chaos et forces du mal… Plusieurs éléments du récit suggèrent que cette lutte intérieure se déroule en rêve : son caractère extraordinairement elliptique (comme si seuls les événements les plus marquants en avaient été mémorisés) ; le jeu de mots entre Yaacov, Yabbok et ye’avek (typique de la logique de l’inconscient qui œuvre dans les rêves), que renforce encore le lien étymologique entre maavak, le conflit, et avak la poussière ; le fait que Jacob soit resté seul dans la nuit et que son adversaire ait surgi soudainement de nulle part ; enfin l’attitude paradoxale de l’ange, qui blesse Jacob avant de le bénir.
Il est étonnant de voir que rien n’est dit sur l’état d’esprit de Jacob, sur sa douleur et sur ses émotions tout au long du combat et juste après. Selon Rachi, Jacob s’était couché la veille irrité à l’idée des présents qu’il aurait à faire à Esaü pour l’amadouer… Et nous savons que la nuit et la solitude sont des facteurs d’angoisse… Il est donc probable que Jacob ait eu à lutter non seulement contre son adversaire, mais avant tout contre sa propre peur et sa propre colère. Le combat physique de Jacob serait ainsi venu confirmer sa lutte intérieure et en souligner l’ambivalence puisque Jacob en ressortira à la fois désarticulé physiquement (par la luxation de sa hanche) et ré-articulé dans son nom, devenu Israël.
Mais qui est donc cet adversaire au comportement aussi mystérieux que paradoxal, qui surgit sans crier gare, combat toute la nuit mais finit par lâcher prise, blesse Jacob puis le bénit ? Au chapitre 32 il est d’abord question d’« un homme » (ich), puis Jacob parle d’un être divin (elohim). La psychanalyse freudienne y verrait sans doute un surmoi, tour à tour persécuteur ou idéalisé. Mais pour la plupart des sources du Midrach et du Zohar, c’est à un ange que Jacob a eu affaire – un malakh, qui signifie à la fois ange et messager divin ou du divin. Et en effet cet ange se révélera porteur de messages essentiels autant pour Jacob que pour toute sa descendance et au-delà pour tout être humain.
De quel ange s’agit-il ? Selon Rachi, qui reprend à son compte les interprétations traditionnelles, il s’agirait de Samaël, l’ange d’Esaü, réputé pour sa méchanceté ; dans ce cas, le combat de Jacob serait destiné à le préparer à l’affrontement qu’il craint d’avoir avec son frère Esaü. Mais Elie Wiesel, quant à lui, préfère y voir l’ange gardien de Jacob lui-même ; celui-ci se battrait alors contre « le moi, en lui, qui doutait de sa mission ». Et dans un autre registre, voici comment Charles Baudelaire décrit les deux protagonistes de ce combat tel que l’a peint Delacroix : « l’homme naturel et l’homme surnaturel luttent, chacun selon sa nature, Jacob incliné en avant comme un bélier et bandant toute sa musculature, l’ange se prêtant complaisamment au combat, doux, comme un être qui peut vaincre sans effort des muscles et ne permettant pas à la colère d’altérer la forme divine de ses membres. » Magnifique description de ce malakh (qui est aussi en l’occurrence une melakha, c’est-à-dire une œuvre d’art), et chez qui la douceur l’emporte sur la colère et participe de sa transcendance.
Après ces quelques remarques sur la nature du combat mené par Jacob et sur l’identité de son adversaire, je voudrais vous livrer ma vision de leur dialogue car il est à mes yeux aussi important que le combat lui-même.
Si nous supposons, en accord avec le texte et toute la tradition, que l’antagoniste de Jacob est une émanation divine, nous devons supposer également qu’il est omniscient, donc qu’il connaît le nom de Jacob. Pourtant il le lui demande… Pourquoi ? Mon hypothèse est que c’est pour lui faire prendre conscience du fait que son nom Yaacov (celui qui est à la traîne) est désormais inadéquat puisqu’il est sorti victorieux d’un combat contre plus puissant que lui. Il lui annonce donc dans la foulée que désormais il s’appellera Israël, celui « qui a lutté victorieusement contre Dieu » selon la traduction la plus courante – mais notons que Israël signifie aussi prince et noble (sar), en même temps que droit (yachar), autrement dit « celui qui marche droit avec Dieu ».
Jacob à son tour demande à son Adversaire quel est son nom. Là il ne s’agit pas d’une question rhétorique car Jacob ignore vraiment ce nom. Mais en guise de réponse, son Antagoniste lui pose une autre question : « Pourquoi t’enquérir de mon nom ? », puis il le bénit, ce qui est un geste extrêmement fort s’il s’agit vraiment de l’Ange d’Esaü, lequel n’avait jamais accepté que la bénédiction de son père Isaac aille à Jacob et non à lui. Deux choses me semblent particulièrement significatives ici : d’une part, l’Ange ne bénit pas Jacob quand celui-ci le lui demande (en lui disant, verset 27 : « Je ne te laisserai pas que tu ne m’aies béni »), mais un peu plus tard, après lui avoir révélé son nouveau nom, comme pour montrer que la transcendance n’a pas à se plier à tous les désirs humains. Mais d’autre part, le désir de Jacob de connaître le nom de son Adversaire est tout de même satisfait et il le reconnaît au verset 31 : « raïti Elohim panim el panim » (j’ai vu un être divin face à face)… En fin de compte, dans ce choc de combativités, chacun sauve la face si j’ose dire, et aucun ne se sacrifie ; les corps lâchent prise et l’étreinte fait place au dialogue entre deux êtres séparés. Mais en même temps, chacun sort de ce combat profondément transformé aux yeux de l’autre : Jacob est devenu capable de reconnaître la divinité de son Antagoniste et celui-ci a pu voir en lui Israël. Comme le dit la théologienne Lytta Basset dans son livre Sainte colère : « L’Autre n’est bienveillant et bienfaisant que dans la mesure où l’humain le croit. Surmonter l’ambivalence est le fruit d’un combat. »
Voilà donc un premier acquis de cette haute lutte : Jacob est parvenu à surmonter ses sentiments ambivalents envers l’Ange pour ne plus voir en lui qu’une source de bénédiction. Mais ce n’est pas tout : sa lutte avec l’Ange (quel que soit son nom) a rendu Jacob capable de dépasser sa peur d’Esaü pour le voir désormais comme le frère humain avec lequel il pourra enfin parler. Et cette nouvelle manière d’appréhender Esaü ouvrira la voie à leur réconciliation. Notons l’habileté avec laquelle Jacob procédera au lendemain du combat lorsqu’il se trouvera face à Esaü : il lui dira « car j’ai vu ta face comme celle d’Elohim » (al ken raïti phanekha kir’oth pnei Elohim)… Rachi se demande à ce propos : « Pourquoi lui dit-il qu’il a vu l’ange ? C’est pour qu’Esaü ait peur de lui et qu’il dise : il a vu des anges et il a été sauvé, je ne pourrai donc rien contre lui. » Nous voyons ici qu’un équilibre fraternel s’est enfin instauré entre Jacob et Esaü : Jacob n’a plus peur d’Esaü et ne cherche plus à le duper ; Esaü n’est plus en colère contre Jacob, mais le respecte pour son courage.
Cette dynamique des sentiments et des émotions est à mon sens une des belles leçons de ce texte : comme Jacob et Esaü, chaque être humain est capable d’évoluer pour autant qu’il ne refuse pas d’affronter l’adversité en payant de sa personne et en s’impliquant par la parole. D’ailleurs pour Catherine Chalier, ce combat signe « l’acte de naissance d’une parole qui cherche à s’adresser aux autres hommes, même aux plus hostiles ».
Mais pour être entendue c’est-à-dire fructueuse, cette parole a besoin de la conscience qu’a chaque interlocuteur de l’altérité de l’autre : c’est en reconnaissant la nature radicalement autre c’est-à-dire transcendante de son adversaire que Jacob accède lui-même à un niveau d’être supérieur, indiqué par son nouveau nom Israël. Et cette prise de conscience s’obtient à la fois par la parole et par le combat assumé sans gloriole mais sans faiblesse non plus. Un combat qui, nous l’avons vu, se déroule essentiellement à l’intérieur de l’âme humaine tourmentée par ses contradictions et dont l’issue, quand elle est heureuse, ouvre aux vrais dialogues et aux vraies évolutions.
De ce combat, Jacob ressort donc doublement transformé : il porte désormais un nouveau nom, Israël, qui lui rappellera (et nous rappellera) constamment son exploit d’être humain face à la transcendance. Et d’autre part sa blessure à la hanche sera la marque non moins constante de sa vulnérabilité.
Ainsi va l’humain sans cesse tiraillé entre orgueil et humilité, entre force et faiblesse, entre Israël et Jacob… Toute victoire humaine est au prix d’une blessure et toute blessure cicatrisée aguerrit. Sachons donc nous préserver de l’arrogance et nous souvenir de cette dualité qui nous habite : c’est aussi à la blessure de Jacob que le peuple d’Israël tout entier doit sa spécificité, par la non-consommation du nerf sciatique des animaux… Et ce sont finalement les deux noms du fils d’Isaac, que notre Tradition a conservés : Jacob et Israël, Israël le vainqueur qui toujours se souvient de Jacob le boiteux.

Ruth Scheps

 

LE PROBLÈME DE DIEU (même biblique)

30 juillet, 2014

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LE PROBLÈME DE DIEU

Il y a trois problèmes dont l’examen s’impose nécessairement à tout homme qui réfléchit et plus particulièrement au Chrétien, parce que tout le destin de sa vie surnaturelle y est engagé : ce sont le problème de Dieu, le problème du Mal et le problème de la Conduite. Que savons-nous de Dieu ? Quelle place le Mal occupe-t-il dans l’ordonnance de l’Univers ? Dans quel livre est contenu le code de vie morale dont l’observance doit conférer à nos actes une valeur d’éternité ? Il ne s’agit pas ici, assurément, d’exposer des thèses philosophiques ou théoriques ni de confronter des systèmes, mais seulement de rechercher ce que signifient pour notre vie intérieure et spirituelle des notions qui possèdent évidemment, du point de vue pragmatique, une importance capitale. Dieu, le Mal, la Conduite humaine, autant de questions auxquelles il faut bien que nous donnions une réponse, si nous voulons êtres assurés de suivre le chemin de la Vérité et de la Vie. Il vaut donc la peine que nous y consacrions quelques instants de réflexion. Aussi bien, que nous le sachions ou non chacun des actes de notre vie quotidienne comporte déjà, à sa manière, une réponse à ces questions.
Nous traiterons aujourd’hui du problème de Dieu.

I Moïse avait demandé à l’Éternel de lui faire voir sa gloire : « Tu ne pourras pas voir ma face, répondit l’Éternel, car l’homme ne peut me voir et vivre. Mais voici une place à côté de moi : tu te rendras sur le rocher. Quand ma Gloire passera, je te cacherai dans le creux du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que j’ai passé. Puis, je retirerai ma main et tu me verras par derrière ; mais ma face ne peut être vue » (Exode, XXXIII, 20, 23). « Personne, en effet n’a vu le Père, dit Jésus, si ce n’est Celui qui vient du Père » (Jean VI, 46). La « connaissance du vrai Dieu » n’est-elle pas réservée à la vie éternelle ? (Jean, XVII, 3) « Là-haut, nous verrons face à face ; aujourd’hui nous voyons comme dans un miroir, confusément » ; là-haut « je connaîtrai comme je suis connu ; aujourd’hui, je ne connais qu’imparfaitement » (I Cor, XIII, 12).
Ainsi, il nous est donné dès la vie présente de posséder de Dieu une connaissance que l’Écriture qualifie de « vision par derrière ». « Les perfections invisibles de Dieu, dit en effet l’Apôtre, son éternelle puissance et sa divinité, sont depuis la création du monde, aperçues par notre intelligence au moyen de ses oeuvres. » ( Rom I, 20). Cette connaissance de Dieu par ses oeuvres est suffisante assurément, si elle est poussée en profondeur, à nous procurer sur sa nature, ses attributions, sa causalité, des notions dont la certitude est incontestable aux yeux de notre raison. Mais le problème est précisément de déterminer dans quelle mesure une pareille connaissance, toute conceptuelle, nous fait pénétrer dans l’intimité de la Substance divine.
Parce que tout être qui appartient à ce monde est soumis à la loi de l’universel devenir qui fait que rien de stable et de définitif ne peut subsister ici-bas, de sorte que l’être phénoménal évolue nécessairement et se transforme à chaque moment de son existence, poursuivant ainsi d’étape en étape le terme de sa destinée, la raison humaine est contrainte de conclure à la réalité d’un Être qui, situé en dehors de la durée, ne saurait avoir ni commencement ni fin et qui, demeurant de la sorte immuablement identique à lui-même, doit être défini comme l’Absolu, l’Inconditionné, l’Éternel. Mais il s’agit de savoir jusqu’à quel point nous avons dévoilé toute la signification que recèlent ces concepts, lorsque nous les appliquons à Dieu et qu’après les avoir dépouillés de leur terminologie négative, nous nous efforçons d’en saisir la valeur intrinsèque et totale. Il en est de même si, nous élevant du fini à l’Infini, nous formons la notion de l’Être qui, n’étant limité par aucun autre soit dans son essence soit dans sa puissance, possède dans sa véritable plénitude à la fois la perfection de l’essence et la toute-puissance : parce que nous avons posé Dieu en dehors et au delà de tout ce qui pourrait assujettir sa nature et son activité à des déterminations qui le particularisent, avons-nous, compris dans sa réalité profonde ce qui fait de lui l’Infini ?
Ainsi, nous ne pouvons nier que Dieu soit par définition l’Éternel et l’Infini ; mais, parce que nous demeurons en toute circonstance des êtres finis et soumis à la loi du temps, notre idée de Dieu ne peut prétendre en aucun cas s’égaler à l’être même de la Substance Divine. Nous avons bien atteint le plan dialectique où la raison pure forge en toute vérité la chaîne de ses concepts. Nous ne sommes pas allés au delà de ce qu’une intelligence humaine peut comprendre avec les seules puissances de sa nature finie. Et comment le fini pourrait-il comprendre l’Infini, ce qui passe saisir ce qui est en dehors de la .durée ? Entre Dieu et nous il n’y a pas de commune mesure et tout effort serait vain par lequel nous tenterions de nous élever au-dessus de notre raison à l’aide de cette même raison.
II Est-ce à dire que nous en sommes réduits à ne rien savoir de Dieu que ce que nous en apprend une raison enfermée dans le cadre de ses seuls concepts et dont la logique demeure à jamais impuissante à se dépasser elle-même ? Ce qui échappe nécessairement aux prises de notre raison, « Dieu, nous dit St Paul, nous l’a révélé par son Esprit, car l’Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu… Personne ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu ». (I Cor,II, 10-12). Et ceux-là seuls reçoivent l’Esprit de Dieu qui, ayant dépouillé le vieil homme, ont été « renouvelés pour la connaissance » (Coloss.III, 10) de sorte qu’ils ne connaissent plus Dieu selon la sagesse du monde, mais dans la sagesse même de Dieu. « Où est le sage ? demande l’Apôtre, où est le docteur ? Où est le dialecticien de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde. Car le monde avec sa sagesse n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu x. (I Cor, 20-21).
Cette connaissance de Dieu dans la sagesse de Dieu, demeurée « mystérieuse et cachée durant tous âges », (Coloss..I, 26). mais que Dieu avant tous les siècles avait destinée à notre glorification » (I Cor II, 7) c’est proprement la révélation du Père par le Fils, telle qu’elle est contenue dans le message apporté par le Christ sur la terre à tous les hommes qui, parce qu’ils sont de Dieu, entendent la parole de Dieu.
Sans doute, une première révélation avait été faite aux enfants d’Israël par l’entremise de Moïse ; mais, s’ils ont appris du prophète ce qu’est Dieu, ils n’ont pas connu ce qui est en Dieu, car, selon le témoignage de Celui qui a vu le Père, ils n’ont jamais « entendu Sa Voix, ni contemplé Sa Face ». (Jean, V, 37). Moïse avait dit à Dieu : « J’irai vers les enfants d’Israël et je leur dirai : le Dieu de vos pères m’envoie vers vous ; mais s’ils me demandent quel est son Nom, que leur répondrai-je ? Dieu dit alors à Moïse : « je suis Celui qui suis ». ( littéralement « l’Être est l’Être »). Et Dieu ajouta : « Celui qui est m’envoie vers vous » (Exode, III, 13-14) Sous cette formule ontologique, qui définit Dieu comme l’ « Identité suprême », nous retrouvons cette notion de l’Absolu que la raison nous avait fait déjà entrevoir par la seule logique de ses concepts. Mais Dieu parla encore à Moïse et lui dit : « je suis l’Éternel. je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob ,comme le Dieu tout-puissant ; mais je ne me suis pas fait connaître à eux sous mon nom de l’Éternel » ( Exode, VI, 2-3). On lit enfin dans le Décalogue : « je suis l’Éternel ton Dieu… Tu ne prendras pas le Nom de l’Éternel, ton Dieu, en vain ; car l’Éternel ne laissera pas impuni celui qui prendra son nom en vain ». (Exode XX, 2 et 7). Cette appellation de Dieu comme l’Éternel ne se distingue pas essentiellement de celle de l’Être absolu, puisque c’est le propre de l’Être absolu d’être transcendant à toute durée et ainsi de n’avoir ni commencement ni fin ; c’est aussi le propre de l’Être absolu d’être unique, puisque deux Absolus ne pourraient coexister sans contredire la notion même de l’Absolu. Tel est le sens de ce passage du Deutéronome : « Écoute Israël ! l’Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel » (Deut, VI, 4).
Absolu, Éternel, Unique, le Dieu qui s’est manifesté à Moïse n’est pas différent de celui-là même que nous avions déjà atteint par la voie métaphysique. Mais, remarque St-Paul, si Moïse a été « fidèle dans toute la maison de Dieu », ce fut « en qualité de serviteur pour communiquer ce qui lui avait été dit »; Celui-là seul a été « fidèle comme Fils à la tête de sa propre maison » (Hébr., III, 5-61), qui « connaît le Père, parce qu’il vient de lui et qu’il a été envoyé par lui » (Jean, VII, 28-29). Écoutons son témoignage, si nous voulons posséder « les paroles de la vie éternelle » (Jean, VI, 69).
III La dialectique de la raison pure nous a appris à connaître Dieu comme 1′Être absolu, éternel, infini, unique, l’Un primordial, l’identité suprême. La révélation faite à Moïse est conforme aux déductions de la logique rationnelle en ce qui touche l’existence de cet Être qui, parce qu’il est l’Incréé, est au-delà de toute existence. Mais suffit-il de connaître l’existence de Dieu pour le connaître vraiment tel qu’il est, c’est-à-dire pour connaître non seulement ce qu’il est, mais encore ce qui est en Lui, à savoir la vie infinie et profonde de sa Personnalité ineffable ? La révélation du Christ va sur ce point découvrir à notre pensée des horizons nouveaux et nous dévoiler quelques aspects de cette vie divine, qui est comme le jaillissement ininterrompu d’une activité débordante et éternellement féconde. Mais la question est de déterminer dans quelle mesure nous serons admis à pénétrer dans ce Saint des Saints où l’on contemple face à face Celui que l’homme ne peut voir sans mourir.
« Nul ne sait qui est le fils dit Jésus, si ce n’est le Père ; ni qui est le Père si ce n’est le Fils et celui qui le Fils a voulu le révéler » (Luc, X, 22). Et qui est le Fils ? « C’est de Dieu que je suis sorti, répond Jésus, et que je suis venu ». (Jean, VIII, 42). Mais les juifs de se récrier : « Quand le Christ viendra, personne ne saura d’où il vient ; nous savons pourtant d’où il est, celui-ci ». Et Jésus de répliquer: « Vous me connaissez et vous savez d’où je suis ! je ne suis pas venu de moi-même, mais Celui qui m’a envoyé est véritable et vous ne le connaissez pas.
Moi je le connais, car je viens de Lui et c’est Lui qui m’a envoyé » (Jean, VII, 26, 29). Aux pharisiens qui l’accusent de se rendre témoignage à lui-même, de sorte que son témoignage n’est pas digne de foi, Jésus répond avec assurance : « Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est digne de foi, car je sais d’où je suis venu et où je vais ; mais vous ne savez ni d’où je viens ni où je vais ». (Jean, VIII, 13-15). Alors ils lui demandèrent: « Qui donc es-tu ? » Et Jésus de déclarer : « je suis le Principe, moi qui vous parle » (Jean VIII, 25). De cette déclaration, par laquelle Jésus affirme sa divinité comme Fils du Père, rapprochons cette autre : « En vérité, en vérité, je vous le dis ; avant qu’Abraham fût, je suis » (Jean, VIII, 58). N’entendez-vous pas ici un écho de la parole de l’Éternel à Moïse : « je suis celui qui suis » (Exode,III , 13) ?
En déclarant de la sorte que Dieu était son Père, Jésus ne se faisait pas seulement « égal à Dieu », il se présentait comme étant Dieu lui-même : « Comme le Père a la vie en soi, il a donné également au Fils d’avoir la vie en soi ». « Tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement… De même que le Fils ressuscite les morts et les vivifie, de même aussi le Fils vivifie ceux qu’il veut… Tout ce qu’a le Père est à moi… Celui qui me voit, voit aussi le Père… Moi et le Père, nous ne sommes qu’un » (Jean, passion). Aux scribes alors d’intervenir : « Vous avez dit, Maître, en vérité qu’il n’y a qu’un seul Dieu et qu’il n’y en a pas d’autre que Lui ». (Marc, XII, 32), A cette attaque dirigée contre sa prétention à la divinité, Jésus, enseignant dans le temple, répond par une question : « Comment les scribes disent-ils que le Christ est fils de David ? Car David lui-même a dit par le St Esprit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds ? Ainsi, David lui-même l’appelle Seigneur ; comment donc est-il son Fils ? » ( Marc, XII, 35-37) ? Le Fils de David est aussi le Fils de Dieu et Dieu lui-même ; il est l’Homme-Dieu, « Roi des rois et Seigneur des Seigneurs » (Apoc., XIX, 16). Et Jésus de rappeler les juifs à l’étude des Écritures : « Scrutez les Écritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle ; ce sont elles aussi qui rendent témoignage de moi ». (Jean, V, 39).
Ce n’est pas tout. Jésus, qui se proclame Dieu le Fils, en union substantielle avec Dieu le Père, nous révèle l’existence d’une troisième Personne divine le St Esprit, qui est à la fois l’Esprit du Père et l’Esprit du Fils et qui, à son tour, comme le Père, rend témoignage au Fils. « Si vous m’aimez gardez mes commandements ; et moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet afin qu’il demeure éternellement avec vous l’Esprit de vérité… je vous ai dit ces choses pendant que je demeurais avec vous ; mais le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit… Lorsque le Paraclet, que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de Vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra témoignage de moi… Il vous est utile que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai… Quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité, car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu et il vous annoncera l’avenir. Il me glorifiera parce qu’il recevra de ce qui est à moi et vous l’annoncera. Tout ce qu’a le Père est à moi, c’est pourquoi j’ai dit : il recevra de ce qui est à moi et il vous l’annoncera. » (Jean, XIV, 16, 26 ; XV, 26 ; XVI, 7, 13).
Ne cherchons ici aucun enseignement dogmatique, aucune doctrine théologique ; ce que le Divin Maître nous révèle, ce sont proprement des faits de l’ordre surnaturel, dont la certitude emprunte son évidence à la qualité de Celui qui parle et qui n’est, autre que la Vérité elle-même, manifestée aux hommes. Aussi, peu nous importe de rechercher si l’Esprit procède, du Père par le Fils ou, à la fois, du Père et du Fils : il nous suffit de savoir que cet Esprit est aussi bien l’Esprit du Fils que l’Esprit du Père, c’est-à-dire qu’il participe à cette Unité substantielle en vertu de laquelle, déjà, le Père et le Fils sont un. Ainsi apparaît au sein de la Substance incréée une trinité de Personnes Divines dont l’existence est d’ailleurs explicitement affirmée dans le suprême commandement de Jésus à ses Apôtres : « Allez, enseignez toutes les Nations, les baptisant au Nom du Père et du Fils et du St Esprit., » (Matth., XXVIII,14)
IV Au nom du Père, du Fils et du St Esprit ! C’est un nom qui nous est donné, et non trois noms, comme s’il s’agissait de trois entités distinctes. Dieu n’a qu’un Nom, il s’appelle Père et Fils et St Esprit. Dans l’Ancien Testament il s’était révélé comme l’Éternel ; dans le message du Christ il se manifeste comme Père, Fils et St Esprit. Mais qu’avons-nous appris de particulier et de précis sur les trois Personnes qui, sans diviser la Substance divine, la font apparaître sous trois visages différents ? Jésus ne nous dit rien à leur sujet, si ce n’est que nous possédons par elles la vie éternelle. N’est-ce pas cela seul qui importe ? La seule chose qui soit nécessaire, tout. le reste devant nous être donné par surcroît ? Sans doute, St Jean nous dira du Fils qu’il est « le Verbe » (Jean, I, et suiv.), St-Paul qu’il est « l’image du Dieu invisible, le reflet de sa Gloire, l’empreinte de sa Substance » (Coloss. I, 15 ; Hébr., I, 3). Maïs ce ne sont là au fond que des mots par lesquels nous nous imaginons soulever le voile qui nous cache le mystère de la Vie divine. St-Paul lui-même rappelle cette parole de l’Écriture : « Ce sont là des choses que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a pas entendues et qui ne sont pas montées au coeur de l’homme ». (I Cor, II, 9). Dieu n’habite-t-il pas, remarque encore l’Apôtre, une « lumière inaccessible ». (I, Tim, VII, 16) ? Ce sera la béatitude des élus de connaître Dieu tel qu’il est en soi, dans sa Vérité, car ils verront alors toutes choses et Dieu lui-même dans la lumière de Dieu. Ici-bas, nous ne pouvons que l’adorer en esprit et en vérité » (Jean, IV, 24).
Adorer Dieu, en invoquant, en exaltant, en glorifiant son Nom : telle est la seule attitude qui convienne au Chrétien sur la terre en présence de son Créateur. On sait quelle place importante occupe le NOM de Dieu dans l’Écriture sainte et en particulier .dans les Psaumes : « Louez le Nom de l’Éternel ! Que le Nom de l’Éternel soit béni dès maintenant et à perpétuité ! Loué soit le Nom de l’Éternel, du soleil levant au soleil couchant » (Psaume 112, 2-3). « O Éternel ! ton Nom demeure éternellement » (Ps. 134, 13). Le Nom de Dieu est « saint et redoutable » (Ps. 110, 9), « admirable à travers toute la terre » (Ps. 8, 2) « bon » (Ps. 53, 8) « délectable » (Ps. 134, 4) « glorieux » (Ps. 28, 2) « Je célébrerai ton Nom, O Éternel » (Ps. 53, 8) « je bénirai ton Nom, éternellement » (Ps. 144, 1) « Louez le Nom du Seigneur, car le Seigneur est suave » (Ps. 99, 4). « En ton Nom, je lèverai mes mains » (Ps. 62, 5). « En ton Nom, Seigneur, sauve-moi. » (Ps. 53, 3) « Notre secours est dans le Nom du Seigneur » (Ps. 123, 8) « À cause de ton Nom, Seigneur tu pardonneras à mon iniquité » (Ps. 24 et 78).
Ce Nom du Seigneur, qui est invoqué et exalté à toutes les pages de l’Écriture, sans que l’Écriture l’ait pourtant revêtu d’une appellation propre et définitive, (1) c’est le Christ qui nous l’a révélé pour la première fois dans sa pleine signification : « Père juste, le monde ne vous a pas connu, mais moi, je vous ai connu et ceux-ci ont connu que vous m’avez envoyé. Je leur ai fait connaître votre Nom et je le leur ferai connaître, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux et moi aussi en eux » (Jean, XVII, 25-26) « Père… j’ai manifesté votre Nom aux hommes que vous m’avez donnés du milieu du monde » (Jean, XVII, 6). Et quel est ce nom de Dieu que le Christ a manifesté au monde ? « Lorsque vous priez, dit le Maître, n’usez pas de vaines redites, comme font les païens qui pensent être exaucés en parlant beaucoup. Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui êtes aux cieux, que votre Nom soit sanctifié. » (Luc. VI, 7, 9)..
Sans doute, Dieu, tel qu’il est en soi, porte « un Nom secret, que personne ne connaît que lui-même » (Apoc. XIX, 13) et « Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs » (Apoc. XIX, 16), le Père a été manifesté par le Fils, de sorte que celui qui a vu le Fils a vu aussi le Père (Jean, XIV, 9) et que quiconque aime le Fils sera aimé du Père (Jean, XIV, 21).. Ne suffit-il pas, dès lors, que nous demeurions dans le Fils pour que le Père aussi demeure en nous ? « je prie, dit Jésus, pour ceux qui doivent croire en moi, afin que tous soient un, comme vous, Père, êtes en moi et moi en vous, afin qu’ils soient, eux aussi, un en nous » (Jean XVII, 20). Et, puisque ainsi personne ne vient au Père si ce n’est par le Fils (Jean, XIV, 6), que le Fils est « la Voie, la Vérité et la Vie », il nous faut garder sa parole et ses commandements, si nous voulons posséder en Lui, par le Père, dans l’Esprit-Saint, la vie éternelle.

GABRIEL HUAN.
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(1) On rencontre dans l’Écriture dix noms différents de Dieu : Elieh, Iah, Jehovah, El, Eloha, Elohim, Jevé, Sabaoth, Shadaï, Adonaï.

IS 40, 1-11 : LA CONSOLATION D’ISRAËL

24 juillet, 2014

http://www.cenaclesauges.ch/diary9/39Is40.htm

IS 40, 1-11 : LA CONSOLATION D’ISRAËL

1. CONSOLEZ, CONSOLEZ mon peuple, dit votre Dieu.
2. Parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui
que son temps de service est accompli, que sa faute est payée,
qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour tous ses péchés.

3. Une voix crie :
« Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur,
dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu.
4. Que toute vallée soit comblée, toutes montages et collines abaissées,
que les lieux accidentés se changent en plaine,
et les escarpements en large vallée ;
5. alors la gloire du Seigneur se révélera, et toute chair d’un coup la verra,
car la bouche du Seigneur a parlé. »

6. Une voix dit : « Crie », et je dis : « Que crierai-je ? »
- « Toute chair est comme l’herbe,
sa consistance est comme la fleur des champs.
7. L’herbe se dessèche, la fleur des champs se fane,
quand le souffle du Seigneur passe sur elles.
Oui, le peuple c’est de l’herbe.
8. L’herbe se dessèche, la fleur se fane,
mais la Parole de notre Dieu demeure éternellement. »

9. Monte sur une haute montagne, toi qui apportes la BONNE NOUVELLE à Sion ;
élève et force la voix, toi qui apportes la BONNE NOUVELLE à Jérusalem ;
élève la voix, ne crains pas, dis aux villes de Juda :
« Voici votre Dieu,
10. voici le Seigneur Dieu qui vient avec puissance,
et son bras assure sa souveraineté ;
voici qu’il porte avec lui sa récompense, et son salaire devant lui.
11. Tel un BERGER il fait paître son troupeau,
de son bras il rassemble les agneaux, il les porte sur son sein,
il conduit doucement les brebis qui allaitent. »

0. INTRODUCTION
· Le livre d’Isaïe est considéré parfois comme le 5ème Évangile. C’est d’ailleurs le livre le plus cité dans le NT (TOB 743). C’est le livre prophétique où les annonces des temps messianiques sont les plus fortes et les plus abondantes.
· On distingue usuellement trois parties dans le livre d’Isaïe :
- 1-39 : écrite avant l’exil à Babylone
- 40-55 : Livre de la consolation d’Israël, écrit pendant l’exil
- 56-66 : écrite après l’exil
1. CONTEXTE HISTORIQUE
- Ch. 40-55 : Le deuxième Isaïe appelé Le livre de la consolation d’Isaïe. La consolation y est en effet le thème principal.
· Le deuxième Isaïe : est 200 ans postérieurs au 1er Isaïe. Jérusalem a été prise et détruite ; le peuple hébreu a été déporté (586) et est captif à Babylone. Trente ans après le début de cet exil, Cyrus devient le roi des Perses. Ses options politiques, ses victoires successives laissent entrevoir qu’une libération pourrait être possible. Il sera en fait l’instrument de Dieu pour la délivrance du peuple.
· Le prophète a prêché en Babylonie entre les premières victoires de Cyrus II, en 550 av. J.-C., qui laissaient présager la ruine de l’empire babylonien, et l’acte de libération en 538 (BJ, p. 1078). Le contexte de ce Livre de la consolation est donc les 12 dernières années d’exil, durant lesquelles l’espérance d’une libération commençait à apparaître. Le prophète annonce que le Seigneur va libérer son peuple.
· L’exil va durer 49 ans, sept semaines d’années (= année de jubilé, année de grâce). Entre les premiers signes d’espoir, en 550, et la libération effective, vers 538, 12 longues années vont s’écouler.
Il faut signaler que la libération a été opérée par Cyrus, un « Messie païen » !
· Contexte des déportations: d’une cruauté inimaginable ; cf. les déportations dans les camps de concentration, durant la dernière guerre mondiale. L’exil était moins rude, mais néanmoins douloureux (éloignement du temple ; cf. Ps 136-137)
2. MESSAGE DU LIVRE DE LA CONSOLATION (BJ 1079)
· La consolation y est évidemment le thème principal. Les images utilisés par le prophète pour décrire la libération et la consolation qui en découle sont extrêmement fortes. Elles vont bien au-delà de la libération opérée par Cyrus (du moins dans les textes qui suivent); elles laissent entrevoir la réalisation définitive du dessein de Dieu, son règne universel de justice et de paix.
- Annonce d’un Nouvel Exode, une nouvelle délivrance
- Annonce d’un complet renouveau, d’une nouvelle création. Thème du Dieu créateur lié à celui du Dieu sauveur.
- Textes eschatologiques : distinction entre deux temps : celui des choses passées et celui des choses à venir, d’un nouvel ordre : un seuil qualitatif.
3. STRUCTURE ET THÈMES PRINCIPAUX
Ces 11 premiers versets du 2ème livre d’Isaïe constituent une sorte de Prologue à plusieurs voix qui crient :
- v. 1-2 : voix d’un MESSAGER aux membres du peuple ; consolation, pardon
- v. 3-5 : voix d’un autre MESSAGER ; annonce d’un Nouvel exode
- v. 6-8 : voix encore d’autres MESSAGER, comme en dialogue : la fragilité la finitude humaine opposée à l’éternité de Dieu
- v. 9-11 : voix d’une MESSAGÈRE de Jérusalem : Puissance et douceur de Dieu, Berger d’Israël
1. « Consolez, consolez ! »
· Ce verbe a donné son titre au 2ème livre d’Isaïe, appelé Livre de la consolation. Le terme reviendra 16 fois dans cette partie d’Isaïe. C’est donc le thème principal du 2ème Isaïe.
· Le temps du verbe hébreu (inaccompli, iqutol) signifie un acte qui commence, dure ou se répète. Il s’agit donc d’une consolation qui commence et qui va durer.
· La consolation exprime ici bien plus que de « bonnes paroles et des manifestations de douceur destinées à faire oublier les misères de la vie. Le Seigneur vient réellement mettre fin à la servitude et à l’exil. Pour le Seigneur, consoler le peuple, c’est déjà proclamer la fin de sa captivité (cf. CE 20, p. 45-46)
· Cette consolation, dans le contexte du 2ème Isaïe signifie même plus que la délivrance du malheur et du mal : elle apporte aussi le reflet de la clarté, de la splendeur, de la gloire de Dieu (Cf. TOB, p. 739). Pour le Seigneur, consoler les membres du peuple, c’est leur communiquer réellement sa splendeur divine.
2. Parler au cœur :
A trois reprises dans la Bible en lien avec le verbe réconforter (Gn 50, 21 ;Rt 2,13). En hébreu, parler au cœur ne s’adresse pas seulement au sentiment, mais aussi à la raison et à la volonté (cf. le cœur dans la culture sémitique)
// Os 2, 16 : « C’est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur ». Cette parole était adressée au peuple d’Israël infidèle à Dieu, que le prophète Osée compare à une épouse infidèle.
Le désert (cf. v. 3) est le lieu du premier amour, le lieu de l’alliance entre Dieu et son peuple, le lieu considéré comme un idéal perdu. Et il y a toujours eu pour les justes d’Israël l’espoir d’un Nouvel Exode.
· Sa faute est payée… double punition pour tous ses péchés :
// Is 61, 7 « Au lieu de votre honte, vous aurez double part… aussi recevrez-vous un double héritage » : à la double punition correspond le double héritage.
Problème de Dieu qui punit : Est similaire au problème de Dieu qui provoque le malheur. Cf. Is 45, 7 « Je fais le bonheur et je crée le malheur ». Ce problème découle d’une philosophie et d’une théologie qui ne distinguent pas encore les causes premières et les causes secondes (la nature, l’être humain ; ex.) : si Dieu est créateur de tout l’univers, et est à l’origine de tout, si rien n’échappe à son pouvoir, on pensait alors qu’il était la cause directe de toute chose, du bonheur ainsi que de toutes les catastrophes et calamités qui nous arrivent.
Or, Dieu ne veut pas directement tous les malheurs qui se produisent : certes, ils n’échappent pas à son pouvoir ; Dieu les intègre dans sa providence, c’est-à-dire dans un projet ou un plan d’ensemble plus large. Il les accepte indirectement pour respecter la liberté de l’homme et les lois de la nature. Mais il ne les provoque pas directement.
Ce qu’il faut retenir de ce verset c’est qu’il veut exprimer le pardon de Dieu, et la fin de son épreuve.
3-5. Une voix crie : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur …»
· Des textes babyloniens parlent en termes analogue des voies triomphales préparées pour le dieu ou le roi victorieux.
· « C’est ici la route sur laquelle Yahvé conduira son peuple à travers le désert en nouvel Exode. » (BIBLE DE JÉRUSALEM, p. 1130, note h). Dieu y est aussi le berger de son peuple (v. 11). L’Exode est ici en arrière fond ; il sera explicité plus loin.
· Le terme Exode (exodos) désigne l’action de sortir, le chemin de sortie. Dans le langage biblique, il signifie la sortie du peuple captif en Égypte, et son chemin à travers le désert en vue de la terre promise, avec tous les signes et prodiges accomplis par Dieu.
· Pour Israël, l’Exode est un événement fondamental, fondateur, auquel sans cesse les textes bibliques se réfèrent. L’exode est le prototype et le gage de toutes les délivrances opérées par Dieu envers son peuple
· Or, le prophète dit que le plus merveilleux n’est pas dans le passé, mais il est dans l’avenir. Non seulement il y aura un Nouvel Exode, mais il sera tellement beau que l’on oubliera l’ancien ; les prodiges de la sortie d’Égypte seront éclipsés. (VOCABULAIRE DE THEOLOGIE BIBLIQUE 422 ; 423 ; CAHIER D’EVANGILE 20 p. 41-42)
· Le thème du Nouvel Exode est très important dans le 2ème Isaïe.
- Cahier d’Évangile 20 : « LE DEUXIÈME ISAÏE. Le prophète du nouvel Exode »,
- (Cf. Is 41, 17-20).
- Un texte fondamental : Is 43, 16-21, intitulé dans la Bible de Jérusalem : Les prodiges du Nouvel Exode
Le désert :
Dans la bible, le désert est présenté de deux manières différentes :
· Comme un lieu de malédiction : c’est un lieu aride, infertile, l’eau et la nourriture y sont rares, presque pas de végétation, la vie y est très difficile. C ‘est un lieu de combat et de tentation. C’est en quelque sorte un lieu de chaos et de malédiction (le lieu des démons ; cf. tentations du Christ).
Mais c’est aussi un lieu où on ne vit plus que de l’essentiel (cf. Bédouins : éviter tout geste inutile), où l’on est ramené à l’essentiel ; un lieu qui fait ressortir la futilité des choses auxquelles on accorde parfois tant de prix dans la vie de tous les jours.
Le lieu de la rencontre avec Dieu, lieu de naissance :
Et c’est peut-être pour cela que Dieu a voulu que son peuple naisse au désert. L’événement de l’exode va en fait transformer la symbolique précédente en la positivant : « Si le désert conserve toujours son caractère de lieu désolé, il évoque avant tout une époque de l’histoire sainte : la naissance du peuple de Dieu. » (VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 261) C’est le lieu des fiançailles de Dieu avec son peuple, un lieu de solitude, loin des futilités du monde, un lieu de ressourcement, le lieu où Dieu peut parler au cœur de l’homme.
Pourtant, Israël n’est pas appelé à rester au désert, il est appelé à la terre promise. Le désert n’est qu’un lieu transitoire de préparation, de naissance.
· Certains textes du Livre de la consolation présentent les temps messianiques comme la transformation du désert en paradis. Le désert serait ainsi le lieu où doit venir le Messie (cf. VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 264 ; Ap 12)
· NT : Dans le NT, cette voix qui crie dans le désert est comprise comme celle de Jean Baptiste (Mt 3, 3). L’Évangile veut ainsi affirmer que c’est Jésus qui entraîne son peuple dans ce Nouvel Exode, Jésus qui est le nouveau Moïse à la tête de ce peuple ; et même plus, Jésus est Dieu lui-même qui guide ce peuple comme un berger son troupeau.
· De fait, dans l’Évangile de Mt, Jésus revit le chemin accompli par Israël, il récapitule l’histoire d’Israël. Temps en Égypte (Mt 1, 14 ; Os 11, 1 : « D’Égypte j’ai appelé mon fils ». Jésus reste au désert pendant 40 jours, comme jadis Israël pendant 40 ans. Il y connaît les 3 tentations auxquelles Israël a succombé, mais que Jésus surmonte victorieusement. Puis il retourne en Galilée, ce pays ruisselant de lait et de miel, qui était la terre promise par Dieu au peuple hébreu.
« Jésus se présente comme celui qui accomplit en sa personne les dons merveilleux de jadis » (VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 265), lors de l’Exode : il est la source d’eau vive (Cf. Moïse), le vrai pain du ciel (Cf. manne), la lumière qui conduit l’humanité (cf. nuée lumineuse) ; il est la loi nouvelle, inscrite dans le cœur de l’homme (cf. Mont Sinaï)
· Ap 12 : la femme qui crie dans les douleurs de l’enfantement, et qui s’enfuit au désert pour être protégée ; si cette femme symbolise l’Église, celle-ci est appelée à vivre cachée au désert jusqu’au retour du Christ, qui mettra fin à la puissance de Satan. Et l’Église, c’est chacun de nous…
· On pourrait dire que le désert est comme un passage obligé, pour la naissance à la vie d’enfant de Dieu. Le désert est le lieu de notre Exode.
4. Que toute vallée soit comblée….
· Dans le sens des textes babyloniens, il s’agit réellement d’une préparation du terrain pour le roi victorieux, nécessaire vu l’état des chemins dans le désert. Encore plus nécessaire si c’est pour Dieu lui-même.
· Le NT, en Mt 3, 3, interprétera ces paroles en un sens spirituel , et ce sens nous concerne tous : le chemin d’accès à notre terre est caillouteux, cahoteux, encombré, sinueux, embrouillé…
5. Alors la gloire du Seigneur se révélera…
· Le mot hébreu traduit par gloire signifie originellement le poids. « Ici, Dieu va faire sentir le poids de son intervention en délivrant Israël » (TOB, p. 830 note v)
La gloire, la puissance du Seigneur se révélera comme au temps de l’Exode, par des signes et des prodiges éclatants. « D’un coup » exprime le caractère subit de cette venue.
Les v. 6-8 :
· Ces versets font le contraste entre la fragilité, la finitude humaine, et l’éternité, l’immuabilité de Dieu ; ils affirment la certitude dans la réalisation de la parole de Dieu. Cette partie s’insère d’ailleurs entre deux parties qui soulignent la gloire, la puissance de Dieu.
Is 55, 10-11 : « De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer… ainsi la parole qui sort de ma bouche… ne revient pas vers moi sans avoir accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission »
· Au fil des années d’exil, le doute s’est insinué dans la réalisation des promesses de Dieu. Au plan psychologique, nous fonctionnons en grande partie par mode de projections. Dieu affirme qu’il est au-delà de tout ce que nous pouvons penser ou imaginer, au-delà de tout ce que nous avons pu expérimenter dans notre vie.
9-11. Annonce la venue de Dieu parmi nous, au milieu de nous :
9. toi qui apportes la bonne nouvelle à Sion : Littéralement : « Messagère de la bonne nouvelle pour Sion » ; traduit dans la bible grecque des Septante : euangélistès, c’est-à-dire évangéliste. L’évangéliste est le messager de la bonne nouvelle. Cf. Is 61, 1 – Lc 4, 17ss
· Les versets 9-11 allient à la fois des termes qui expriment la puissance et l’autorité, et des termes qui expriment la douceur.
En fait, l’image du berger elle-même contient ces deux dimensions : « Le pasteur est à la fois un chef et un compagnon. C’est un homme fort, capable de défendre son troupeau contre les bêtes sauvages. » (VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 917) Cf. David : 1 S 17, 34-35 : « Quand ton serviteur faisait paître les brebis de ton père, et que venait un lion ou un ours qui enlevait une brebis du troupeau, je le poursuivais, je le frappais et j’arrachais celle-ci de sa gueule. Et s’il se dressait contre moi, je le saisissais par les poils du menton, et je le frappais à mort. ». Jésus…
Mais c’est aussi un homme doux, délicat, qui prend soin de ses brebis, qui s’adapte à leur situation, à leurs fragilités, à leurs infirmités et maladies : Ez 34, 11-16 : « Voici que j’aurai soin moi-même de mon troupeau et je m’en occuperai… C’est moi qui ferai paître mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer, oracle du Seigneur Dieu. Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée, je panserai celle qui est blessée, je fortifierai celle qui est malade. »
Le thème du berger est extrêmement fréquent dans la Bible : et c’est normal parce que le peuple hébreu à son origine était un peuple de bergers.
- Abraham, Isaac et Jacob étaient berger et avaient d’immenses troupeaux.
- Moïse était berger, et c’est lorsqu’il gardait les troupeaux de Jéthro que Dieu lui est apparu et lui a confié la mission de faire sortir son peuple d’Egypte.
- David était berger, et Dieu l’a tiré de derrière les parcs à moutons pour être le roi d’Israël.
- Le Seigneur lui-même est le berger de son peuple, qui le conduit avec douceur et justice. Les relations entre Dieu et son peuple sont comme une parabole du bon berger (cf. Ez 34, 11-16)
- Jésus se présentera comme le bon berger qui aime ses brebis (Jn 10). Si les mauvais bergers s’enfuient lorsqu’ils voient venir le loup, Jésus par contre dit qu’il va jusqu’à donner sa vie pour ses brebis. Il est le bon berger qui part à la recherche de sa brebis perdue, qui la porte sur ses épaules et la ramène dans son bercail
(Lc 15, 4-5).
4. SYNTHÈSE, INTERPRÉTATION
· Cet oracle est une parole de consolation, d’espérance pour un peuple depuis 40 ans dans la détresse de l’exil et de la servitude, un peuple qui a de la peine à croire à sa délivrance. C’est une parole qui s’adresse à nous, dans toutes nos détresses, tous nos exils, toutes nos servitudes, nos situations où il ne semble plus y avoir d’issue possible, où Dieu semble nous abandonner, ne pas intervenir.
· C’est une parole dit ce qu’elle va faire, mais aussi qui fait ce qu’elle dit. Une parole qui va s’accomplir avec certitude : « L’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole du Seigneur demeure éternellement ».
· C’est une parole qui annonce la venue du Seigneur et un Nouvel Exode (plus grand que le premier), qui annonce la manifestation de la gloire et de la puissance de Dieu.
· C’est au désert que Dieu viendra pour ce Nouvel exode, et c’est donc au désert qu’il faut l’accueillir.
· Le chemin doit être préparé pour sa venue (dans notre cœur). Une absence ou un manque de préparation n’empêchera pas le Seigneur de venir, mais nous risquons de passer à côté de sa venue (cf. Jésus).
· C’est le Seigneur lui-même qui dirigera ce nouvel exode, comme un berger son troupeau. Il le conduira à la fois avec autorité, force et douceur.
· Ce Berger est pour les chrétiens Jésus Christ, l’Emmanuel, Dieu avec nous, celui qui vient chercher sa brebis perdue, qui la défend contre les bêtes sauvages, et qui la prend sur ses épaules pour la ramener dans son bercail.
· Si le premier Exode faisait sortir d’Égypte pour conduire en terre promise, le Nouvel Exode vise à nous libérer de nos servitudes intérieures, de notre Exode, pour nous donner la liberté des enfants de Dieu, pour nous faire entrer dans le Royaume de Dieu. Exil, Exode en ce monde.
· Pour nous Chrétiens, la gloire de Dieu est apparue sur cette terre la nuit de Noël, lors de la venue du Christ parmi nous. Sa résurrection a été une épiphanie, une manifestation de la gloire divine. Mais nous attendons encore son extension dans notre vie, dans notre histoire. Nous préparons le chemin pour cette extension. Et nous attendons sa pleine manifestation à la fin des temps.
= hâter le jour de sa venue : préparer le chemin du Seigneur.
IS 40, 1-11 : PISTES D’APPROPRIATION
– Quelles sont les situations de ma vie où j’ai le sentiment d’avoir « payé au double », d’avoir trop souffert. Les situations où il me semble qu’il n’y a plus d’issue possible ?
- Quelles sont mes attentes, mes espoirs, mes déceptions peut-être, par rapport à ces situations ?
- Comment résonnent en moi ces paroles de consolation et d’espérance, cette Bonne Nouvelle d’un nouvel Exode (Exodus = sortie) ? Dans quel sens est-ce que je les reçois ?
- En quoi ai-je besoin de préparer le terrain pour la venue (ou le retour) du Seigneur Jésus ? Quels sont les obstacles, peut-être même les impossibilités ?
- Que signifie pour moi accueillir le Seigneur au désert ? Est-ce que les paroles de cette prophétie peuvent m’aider à traverser le désert que je vis peut-être actuellement ? Ai-je des plages de désert à ménager dans ma vie ?
- Méditer sur le thème du Bon Berger, Jésus, l’Emmanuel, qui vient au milieu nous pour chercher sa brebis perdue, blessée ou malade, et me porter sur ses épaules.

Maret Michel, Communauté du Cénacle au Pré-de-Sauges

 

HOMÉLIE PAPE JEAN-PAUL II – LE PATRIARCHE ABRAHAM (2000)

9 juillet, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/homilies/2000/documents/hf_jp-ii_hom_20000223_abraham_fr.html

HOMÉLIE PAPE JEAN-PAUL II – LE PATRIARCHE ABRAHAM

Mercredi 23 février 2000

1. « Je suis Yahvé qui t’ai fait sortir d’Ur des Chaldéens, pour te donner ce pays en possession [...] Ce jour-là Yahvé conclut une alliance avec Abraham en ces termes: « A ta postérité je donne ce pays, du Fleuve d’Egypte jusqu’au Grand Fleuve, le fleuve d’Euphrate » (Gn 15, 7.18).

Avant que Moïse n’entendit sur le Mont Sinaï les célèbres paroles de Yahvé: « Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude » (Ex 20, 2), le Patriarche Abraham avait déjà entendu d’autres paroles: « Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t’ai fait sortir d’Ur des Chaldéens ». Nous devons donc nous tourner par la pensée vers ce lieu important dans l’histoire du Peuple de Dieu, pour y chercher les prémisses de l’alliance de Dieu avec l’homme. Voilà pourquoi, en cette année du grand Jubilé, alors que nous retournons le coeur ouvert aux débuts de l’alliance de Dieu avec l’humanité, notre regard se tourne vers Abraham, vers le lieu où il entendit l’appel de Dieu et où il répondit à celui-ci avec l’obéissance de la foi. En même temps que nous, les juifs et les musulmans se tournent eux aussi vers la figure d’Abraham comme vers un modèle de soumission inconditionnée à la volonté de Dieu. (cf. Nostra aetate, n. 3).
L’auteur de la Lettre aux Hébreux écrit: « Par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait » (11, 8). Voilà: Abraham appelé par l’Apôtre Paul « notre Père dans la foi » (cf. Rm 4, 11-16), crut à Dieu, se fia à Lui qui l’appelait. Il crut à la promesse. Dieu dit à Abraham: « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom; sois une bénédiction. [...] Par toi se béniront tous les clans de la terre » (Gn 12, 1-3). Peut-être sommes-nous en train de parler de l’itinéraire d’une des multiples migrations typiques d’une époque où l’élevage des troupeaux était une forme fondamentale de la vie économique? C’est probable. Certainement, mais cependant, il ne s’agit pas seulement de cela. Dans l’histoire d’Abraham, à partir duquel commença l’histoire du salut, nous pouvons déjà percevoir une autre signification de l’appel et de la promesse. La terre, vers laquelle se dirige l’homme guidé par la voix de Dieu, n’appartient pas exclusivement à la géographie de ce monde. Abraham, le croyant qui accueille l’invitation de Dieu, est celui qui se dirige dans la direction d’une terre promise qui ne se trouve pas ici bas.
2. Nous lisons dans la Lettre aux Hébreux: « Par la foi, Abraham, mis à l’épreuve, a offert Isaac, et c’est son fils unique qu’il offrait en sacrifice, lui qui était le dépositaire des promesses, lui à qui il avait été dit: C’est par Isaac que tu auras une postérité » (11, 17-18). Voilà l’apogée de la foi d’Abraham. Abraham est mis à l’épreuve par ce Dieu en qui il avait placé sa confiance, par ce Dieu duquel il avait reçu la promesse concernant un avenir lointain: « C’est par Isaac que tu auras une postérité » (He 11, 18). Il est cependant appelé à offrir précisément Isaac en sacrifice à Dieu, son fils unique, à qui étaient liées toutes ses espérances, du reste conformes à la promesse divine. Comment pourra s’accomplir la promesse que Dieu lui a faite d’une nombreuse descendance, si Isaac, l’unique fils, devra être offert en sacrifice?
Grâce à la foi, Abraham sort victorieux de cette épreuve, une épreuve dramatique qui mettait directement en question sa foi. « Dieu, pensait-il, – écrit l’auteur de la Lettre aux Hébreux – est capable même de ressusciter les morts » (11, 19). En cet instant humainement tragique, où il était désormais prêt à infliger le coup mortel à son fils, Abraham ne cessa pas de croire. Au contraire, sa foi dans la promesse de Dieu atteint son sommet. Il pensait: « Dieu est capable même de ressusciter les morts » (He 11, 19). Ainsi pensait ce père éprouvé, humainement parlant, au-delà de toute mesure. Et sa foi, son total abandon en Dieu, ne le déçut pas. Il est écrit: « C’est pour cela qu’il recouvra son fils ». Il recouvra Isaac, car il crut à Dieu jusqu’au bout et de façon inconditionnée.
L’Auteur de la Lettre semble exprimer quelque chose de plus: toute l’expérience d’Abraham lui apparaît une analogie de l’événement salvifique de la mort et de la résurrection du Christ. Cet homme, placé à l’origine de notre foi, fait partie du dessein divin éternel. Selon une tradition, le lieu où Abraham fut sur le point de sacrifier son propre fils, est le même sur lequel un autre père, le Père éternel, devait accepter l’offrande de son Fils unique, Jésus-Christ. Le sacrifice d’Abraham apparaît ainsi comme une annonce prophétique du sacrifice du Christ. « Car Dieu – écrit saint Jean – a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (3, 16). Le Patriarche Abraham, notre père dans la foi, sans le savoir, introduit d’une certaine façon tous les croyants dans le dessein éternel de Dieu, dans lequel se réalise la rédemption du monde.
3. Un jour le Christ affirma: « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham existât, Je Suis » (Jn 8, 58), et ces paroles provoquèrent l’émerveillement des auditeurs qui objectèrent: « Tu n’as pas cinquante ans et tu as vu Abraham? » (Jn 8, 57). Ceux qui réagissaient ainsi, raisonnaient de façon purement humaine, et c’est pourquoi ils n’acceptèrent pas ce que le Christ disait: « Es-tu donc plus grand qu’Abraham, notre Père, qui est mort? Les prophètes aussi sont morts. Qui prétends-tu être? » (Jn 8, 53). Jésus leur répliqua: « Abraham, votre père exulta à la pen-sée qu’il verrait mon Jour. Il l’a vu et fut dans la joie » (Jn 8, 56). La vocation d’Abraham apparaît complètement orientée vers le jour dont parle le Christ. Là, les calculs humains ne sont pas valables; il faut appliquer la mesure de Dieu. Ce n’est qu’alors que nous pouvons comprendre la juste signification de l’obéissance d’Abraham, qui « en espérant contre tout espérance, crut » (Rm 4, 18). Il espéra devenir le père de nombreuses nations, et aujourd’hui il se réjouit certainement avec nous, car la promesse de Dieu s’accomplit au cours des siècles, de génération en génération.
Avoir cru, en espérant contre toute espérance, « lui fut compté comme justice » (Rm 4, 22), non seulement pour lui, mais également pour nous tous, ses descendants dans la foi. Nous « qui croyons en celui qui ressuscita d’entre les morts Jésus notre Seigneur » (Rm 4, 24), mis à mort pour nos péchés et ressuscité pour notre justification (cf. Rm 4, 25). Cela, Abraham ne le savait pas; toutefois grâce à l’obéissance de la foi, Abraham se dirige vers l’accomplissement de toutes les promesses divines, animé par l’espérance qu’elles se seraient réalisées. Et existe-t-il plus grande promesse que celle qui s’est accomplie dans le mystère pascal du Christ? Dans la foi d’Abraham, Dieu tout-puissant a véritablement établi une alliance éternelle avec le genre humain, et l’accomplissement définitif de celle-ci est Jésus-Christ. Le Fils unique du Père, de sa même substance, s’est fait Homme pour nous introduire, à travers l’humiliation de la Croix et la gloire de la résurrection, dans la terre de salut que Dieu, riche de miséricorde, a promis à l’humanité dès le début.
4. Le modèle inimitable du peuple racheté, en marche vers l’accomplissement de cette promesse universelle, est Marie, « celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45).
Fille d’Abraham selon la foi, outre que selon la chair, Marie en partagea en première personne l’expérience. Elle aussi, comme Abraham, accepta l’immolation du Fils, mais alors que le sacrifice effectif d’Isaac ne fut pas demandé à Abraham, le Christ but le calice de la souffrance jusqu’à la dernière goutte. Et Marie participa personnellement à l’épreuve de son Fils, croyant et espérant, debout à côté de la croix (cf. Jn 19, 25).
C’était l’épilogue d’une longue attente. Formée dans la méditation des pages prophétiques, Marie savait ce qui l’attendait et en exaltant la miséricorde de Dieu, fidèle à son peuple de génération en génération, elle exprimait sa propre adhésion à son dessein de salut; elle exprimait en particulier son « oui » à l’événement central de ce dessein, le sacrifice de cet Enfant qu’elle portait dans son sein. Comme Abraham, elle acceptait le sacrifice de son Fils.
Aujourd’hui, nous unissons notre voix à la sienne, et avec Elle, la Vierge Fille de Sion, nous proclamons que Dieu s’est rappelé de sa miséricorde, « selon qu’il l’avait annoncé à nos pères – en faveur d’Abraham et de sa postérité à jamais » (Lc 1, 55).

LES PATRIARCHES

9 juillet, 2014

http://www.regard.eu.org/Livres.2/Le.cri.des.pierres/06.html

LES PATRIARCHES

ABRAHAM
UR EN CHALDÉE
LE CHAPITRE XIV
MELCHISEDEK
JACOB ET ESAU
LES LETTRES DE TEL-EL-AMARNA
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ABRAHAM
L’histoire d’Abraham offre un intérêt de premier ordre pour l’archéologue. Elle nous met en rapport avec trois civilisations distinctes : la civilisation chaldéenne, cananéenne et égyptienne. Elle fait passer devant nos yeux un grand nombre de peuples et de localités et nous fait connaître des événements historiques de réelle importance. Elle comble, sur certains points, les lacunes de l’histoire profane ; d’autre part, l’histoire profane complète le texte sacré, l’explique et le confirme sans la moindre exception.
A cet égard, nous sommes bien plus privilégiés que les hommes d’il y a deux générations et même que ceux d’il y a trente ans à peine; car les découvertes se sont multipliées, surtout en ces dernières années, qui nous permettent de beaucoup mieux connaître qu’autrefois l’époque d’Abraham.
Les théories de la critique ont cherché, soit à nier la réalité historique d’Abraham et des événements qui se rattachent à son nom, soit à présent les hommes de cette époque comme des barbares à peine sortis de l’animalité, des primitifs ignorants, incapables d’écrire, sans vie littéraire, ni sociale. Mais elles sont venues se heurter, les unes après les autres, contre les ruines, contre les inscriptions mises à nu par les fouilles..

UR EN CHALDÉE
L’archéologie a réussi, tout récemment, à nous faire connaître la ville d’Ur, d’où est sortie Abraham, ville dont on a nié longtemps l’existence, ou que l’on ne savait retrouver. On sait maintenant que cette ville, autrefois si considérable, si puissante, constitue, par ses décombres, le monticule appelé Mugheir, sur le bras occidental de l’Euphrate, peu au-dessous de son embouchure. Ur était une capitale presque aussi considérable que le fut plus tard Babylone, et cela longtemps avant Abraham. Elle était célèbre par son temple en l’honneur du dieu Sin (la lune), aussi grandiose que celui d’Erech, autre ville prospère située à peu de distance d’Ur.
Ur était aussi célèbre par sa haute civilisation, ses sculpteurs, ses peintres, ses hommes de lettres. On a découvert en 1926 et l’on continue de découvrir dans ses ruines des poteries, des bijoux de très grande valeur qui indiquent une immense richesse et une haute culture. Ainsi Abraham, qui était certainement d’une condition sociale élevée, un chef de tribu puissant et respecté, a été, comme plus tard Moïse, au bénéfice d’une science et d’un art très avancés. Les archéologues ont retrouvé à Ur un grand nombre de tablettes qui portent les noms des différents rois d’Ur, qui s’intitulaient aussi rois de Babylone, de Sumer et d’Accad, bien avant Abraham. Voici, d’ailleurs, ce que nous lisons dans les journaux de 1927:
« Grâce à la collaboration étroite de deux missions, l’une anglaise, envoyée par le British Museum, l’autre américaine, formée par l’Université de Pennsylvanie, on a pu déblayer tout un quartier de la ville datant de 2.000 ans avant Jésus-Christ, dont les habitations sont fort bien conservées, ayant été pendant des siècles ensevelies dans un terrain sec, à une profondeur de plus de 6 mètres.
« Grâce aux tablettes trouvées dans certaines de ces maisons et déchiffrées sans difficultés par les savants, on a appris qu’elles avaient abrité des contemporains d’Abraham!
« Elles sont cependant très commodément aménagées, et on en rencontre encore, de nos jours, en Syrie, du même type.
« Dans la ville antique, les rues, étroites, menaient toutes vers le centre, vers la ville sacrée, entourée de murs construits par le roi Nabuchodonosor.
« On a retrouvé également à Ur des fragments de verre, ce qui prouve que l’industrie phénicienne du verre n’était pas ignorée des Chaldéens.
« Le mois de décembre a été fructueux dans les fouilles d’Ur, en Chaldée, la ville d’Abraham, détruite il y a si longtemps qu’au moment où Darius traversa la Mésopotamie pour attaquer les Grecs, il passa sur son emplacement sans se douter qu’une ville avait existé là.
« On a retrouvé deux grands bâtiments, datant l’un de 2100 environ avant Jésus-Christ, l’autre de 2300, qui ont permis de compléter utilement la topographie et notamment le dessin des remparts de la ville. On a également trouvé, à un mille environ de distance de l’enceinte sacrée, une grande halle qui peut avoir été une cour de justice royale et qui date des environs de 2000 avant Jésus-Christ. Cette trouvaille prouve l’étendue qu’avait toute la ville, mais elle est surtout importante par le fait que cette chambre avait un plafond arqué et voûté qu’on aurait jugé jusqu’à ces derniers temps tout à fait impossible à une date aussi ancienne. Les découvertes de portes arquées dans des maisons privées de la même période et de tombes voûtées en briques avaient déjà, d’ailleurs, sur ce point, modifié les idées que l’on se faisait de l’histoire de l’architecture dans l’Orient.
« Des inscriptions trouvées dans le temple de la Lune prouvent que celui-ci fut restauré de 1.117 à 1.100 avant Jésus-Christ par un roi de Babylone. Cette découverte a une grande importance historique, car c’est la première fois que l’on trouve les traces d’un intérêt quelconque des rois de Babylone pour les régions situées au sud de leur empire.
« Mais, en ce qui concerne les objets, les découvertes les plus intéressantes ont été celles d’une cassette portant une inscription phénicienne, la première trouvée en Mésopotamie, et surtout un nécessaire de toilette en ivoire : miroir à main, boîte à poudre, pot à lard et surtout un peigne magnifique en ivoire, portant de chaque côté des peintures exquises.
« Un peu plus loin on a trouvé un cimetière qui date des environ de l’an 3000 avant Jésus-Christ et qui contient une foule d’objets de nature à nous informer très exactement des moeurs du peuple de ce temps. On est surpris surtout de l’abondance de métal précieux qui s’y trouve, diadèmes, anneaux, boucles d’oreilles en or et en argent, longues aiguilles d’or ou d’argent à tête de lapis-lazuli, chaînes d’or et lapis-lazuli entremêlés, fleurs de lotus en argent, avec des pétales garnis de lapis-lazuli et d’or, qui doivent avoir servi d’ornements pour les cheveux, etc., etc. On a trouvé 180 tombes et l’on suppose qu’il y en a encore, dans le même cimetière, plus du double. »
D’Ur, Abraham alla à Charan ou Haran (Genèse, XI, 3), où Thérach, son père, mourut. On a pu retrouver les ruines de Haran. C’était une ville assez importante de la Mésopotamie septentrionale, à une forte journée au sud-est d’Edesse. Cette ville était très ancienne ; elle avait des rapports fréquents avec Ur et surtout avec Babylone et avait aussi un temple dédié à la lune. Abraham ne se sentait pas étranger dans cette localité, où il avait sans doute des amis et où l’on retrouvait un peu de la civilisation chaldéenne. Aussi semble-t-il avoir eu l’intention de s’y établir à demeure. Quoi qu’il en soit, Haran était l’itinéraire tout indiqué pour aller d’Ur en Palestine en évitant le désert. C’était le chemin qui unissait Babylone à l’ouest. D’ailleurs Haran signifie proprement « le chemin ».
Le nom d’Abram se retrouve dans les anciennes inscriptions babyloniennes sous la forme « Abreramu » et signifie « le père exalté, glorifié ». Quant au nom de Saraï, il est la forme syrienne du nom chaldéen Sara, qui signifie « princesse ».
Nous trouvons au chapitre XIII une indication précieuse relative aux habitants de la Palestine à l’époque d’Abraham. Le texte sacré dit que « les Cananéens et les Phéréziens étaient alors dans le pays » (XIII, V, 7). Il est encore mention des Phéréziens au chapitre XVII de Josué, V, 15. Ils constituaient une partie de la population primitive du pays, sans doute avant l’établissement de la puissance Amorrite.
A la fin du chapitre XIII (v, 18), nous trouvons la mention d’Hébron, ville qui apparaît plusieurs fois dans l’Ancien Testament et que l’on a pu identifier avec El-Chabil, qui signifie l’ami, à cause du souvenir d’Abraham. – Cette ville s’appelait primitivement Kirjath-Arba (Genèse XXIII, 2 ; XXXV, 27 ; Josué XIV, 15). A partir du livre des Juges, le nom de Kirjath-Arba disparaît complètement. Là, pendant une assez longue période, on pouvait voir des Amorrites et des Hittites mêlés les uns aux autres, comme aussi à Jérusalem même, avant l’occupation israélite. Le nom d’Hébron signifie « confédération » ; il indique que cette localité était le lieu de rendez-vous des diverses tribus. Dans les lettres de Tel-el-Amarria, nous voyons le roi de Jérusalem, Ebed-Tob, se plaindre sans cesse des habitants d’Hébron qu’il appelle, en égyptien, les « Khabiri », c’est-à-dire les confédérés. – C’était sans doute une confédération d’Amorrites et d’Hittites, tandis que, plus tard, ce lut la confédération des enfants d’Israël. Le nom d’Hébron serait donc expliqué par des circonstances politiques, provoquées, d’ailleurs, par l’excellence de la situation géographique de la localité, très propice à des rassemblements de peuples.
Hébron existait bien avant Abraham sous son ancien nom. Cette ville fut détruite et rebâtie plus tard, ainsi que le dit le livre des Nombres (XIII, 22) . « Hébron avait été bâti sept ans avant Tsoan en Egypte. » Il se produisit pour Hébron ce qui s’était produit pour Tsoan (Tanis), en Egypte. Tanis avait existé longtemps avant l’époque de Moïse, puisque c’était la capitale des Hyksos ; mais elle avait été assez longtemps délaissée après la disparition de la dynastie des rois Bergers. Ce n’est guère qu’avec Séti 1er et surtout Ramsès II qu’elle est ramenée à sa prospérité d’autrefois ; elle est alors bâtie à nouveau. Ces deux reconstructions, celle de Tanis et celle d’Hébron, furent à peu près simultanées et se produisirent peu avant l’Exode. Il n’y a donc aucune contradiction entre l’affirmation que ces deux villes étaient très anciennes, et que, d’autre part, elles avaient été récemment rebâties après une période plus ou moins longue de décadence.
C’est à Hébron que furent ensevelis les patriarches c’est à Hébron que David vengea le meurtre d’Ishbosheth (II, Sam., IV, 12). Hébron a longtemps été en possession des Croisés et c’est là que se trouve l’un des sanctuaires les plus vénérés des Musulmans.
La mosquée se trouve exactement sur l’ancienne caverne de Macpéla (XXIII, 17) dont l’entrée est jalousement gardée, mais dont l’exploration minutieuse pourrait bien, un jour, réserver des surprises.

LE CHAPITRE XIV
Le chapitre XIV est l’un des plus remarquables au point de vue des confirmations archéologiques ; l’un de ceux qui avaient été le plus attaqués, le moins compris, mais que les découvertes du XXe siècle sont venues légitimer de toutes manières.
Les tablettes de Tel-El-Amarna nous apprennent que, longtemps avant l’Exode, la Syrie et la Palestine étaient en contact étroit avec la Babylonie. Les armées babyloniennes avaient envahi la Palestine, du moins en partie. Les rois hyksos avaient fortifié Jérusalem contre les attaques des Babyloniens qui étaient maîtres, à ce moment, de toute une partie de la côte méditerranéenne. Les inscriptions font mention d’une expédition d’un roi Sargon, d’Accad, le long de la Méditerranée. Il envahit quatre fois ce qu’il appelle « le pays des Amorrites ». Son fils et successeur Naram-Sin envahit le pays de Madian et la péninsule du Sinaï. Il suivit à peu près le même chemin que, plus tard, Kedorlaomer, dans sa campagne contre les rois de Sodome et de Gomorrhe. Mr. Pinches a trouvé une tablette d’un roi de Babylone, Ammi-Satana (2241-2216), qui s’appelle « Roi du pays des Amorrites » et qui prétend vouloir dominer sur toute la Syrie (1).

La découverte la plus importante en ce qui concerne les premiers versets de notre chapitre, c’est celle qui nous a fait connaître l’existence d’un vaste empire élamite antérieur à l’empire babylonien et au grand roi Hammurabi. On a longtemps ignoré cet empire élamite et plusieurs criaient à l’invraisemblance en face de l’épisode de Kedorlaomer et de ses confédérés. Mais tout s’explique depuis qu’on possède, entre autres preuves péremptoires, une inscription du roi assyrien Assurbanipal qui raconte comment il a trouvé à Suse, ancienne capitale de l’empire élamite, l’idole de la déesse Nana qu’un roi d’Elam, Koudour-Nakhountéa, avait dérobée, comme il avait pillé les autres temples d’Accad. Il ressort de tout ce que nous savons que la puissance élamite fut très étendue, mais de courte durée, et fut surtout soutenue par trois rois : Koudour-Nachoundi ou Koudour-Nakhountéa qui s’empara de la Babylonie; Koudour-Maboug, qui prit le pays de Canaan et, enfin, Koudour-Lagamar, le Kédorlaomer de la Genèse, qui vint réprimer une révolte, au sud de son immense royaume.
Avec Kédorlaomer, nous voyons d’autres rois qui ont été identifiés: Arjoc, roi d’Ellasar, que l’on croit être Rim-Sin, roi de Larsa. Larsa (Ellasar, aujourd’hui Sinkéreh) était une capitale importante de la Basse-Chaldée, sur l’un des bras de l’Euphrate, au nord d’Ur.
Amraphel, roi de Sinéar ou de Sennaar, a été identifié avec Hammurabi ou Hammurapi, roi de Babylone, qui régna quarante-trois ans et dont le nom nous est surtout connu par le fameux code que l’on peut voir au Musée du Louvre. Nous savons combien ce roi avait d’autorité, non seulement par son pouvoir politique, mais aussi par ses remarquables capacités de législateur. Ce code si curieux, si suggestif, que nous comparerons plus tard au code mosaïque, est donc contemporain d’Abraham et montre combien la société d’où il était sorti était organisée savamment et combien la vie économique, sociale, intellectuelle était alors développée dans toute la Chaldée.
Thidéal, roi de Goïm. L’archéologue Pinches a découvert et déchiffré une tablette qui donne sans doute l’explication du mot « goïm ». Cette tablette nous informe que Kédorlaomer rassembla les « Umman-Manda » (hordes nomades de l’est) quand il fit la guerre au peuple et au pays de Bel. M. Pinches écrit à ce sujet : « Les « goïm » de la Bible ou « nations » seraient l’équivalent hébreu du mot Umman-Manda; et dans Thidéal, par conséquent, je vois un roi de hordes nomades qui avoisinaient Elam, au nord. Ceci éclaire un passage d’un grand ouvrage babylonien sur l’astronomie. Voici ce passage: « Les Umman-Manda viennent et dominent le pays ; les sanctuaires des grands dieux sont dévastés; Bel va en Elam. » Comme Kédorlaomer était roi d’Elam, nous pouvons comprendre pourquoi la conséquence de l’incursion des Umman-Manda fut que les dieux de Babylone allèrent en Elam.
Shinéab, roi d’Admah. Ce roi a été identifié par Sayce avec Sambu, roi de Ammon, dont il est question sur une inscription de Tiglath-Piléser III.
L’énumération des peuples vaincus par Kédorlaomer et ses alliés est aussi remarquable par sa précision et nous donne une indication précieuse sur les populations de cette région au temps d’Abraham: Les Réphaïm, dont il est aussi question au chapitre XV de la Genèse, appartenaient à la population primitive de Canaan ; il est fait mention d’eux sous la forme Anau-repsâ sur une inscription donnant la liste des villes conquises par Thotmès III. Les Horiens qui habitaient « la montagne de Séir » et possédaient El-Paran que l’on a identifié avec Elath, port qui a donné son nom au golfe élanitique. Les Amorrites dont l’empire a été un moment si puissant. Ils possédaient, dans cette région, « Hatsatson-Thamar » (XIV, 7). D’après II Chroniques (XX, 2), cette localité serait’ Enguédi, sur la côte occidentale de la mer Morte, dans une contrée autrefois très riche en palmiers, selon Pline. « Hatsatson-Thamar » signifie : « Rangée de palmiers ».

MELCHISEDEK
Le chapitre XIV se termine par un récit extrêmement intéressant, qui a inspiré à l’auteur de l’épître aux Hébreux un magnifique exposé de l’oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ, le souverain sacrificateur, et le roi souverain, sans généalogie, sans commencement ni fin, éternel, « selon l’ordre de Melchisédek ». Ici encore, la critique a fait appel au mythe et a voulu enlever toute valeur historique à ce récit, pourtant si précis et si simple.
Or, on a trouvé dans les tablettes de Tel-El-Amarna plusieurs lettres d’un roi de Jérusalem, tributaire du Pharaon d’Egypte, qui correspond assez souvent avec son suzerain. s’appelle Ebed-Tob. Ces lettres nous montrent que Jérusalem était, au temps du roi Akhounaton, et sans doute longtemps avant, une cité assez importante pour avoir un roi. Les archéologues sont presque unanimes à identifier la Salem de Melchisédek avec la Jérusalem d’Ebed-Tob. Rien ne nous empêche de croire, qu’au temps d’Abraham, il y avait aussi un roi à Jérusalem.
Mais le principal intérêt de l’histoire d’Ebed-Tob et de ses lettres est, sans contredit, dans le langage qu’il tient et qui jette une vive lumière sur le récit sacré, comme aussi sur le commentaire de l’épître aux Hébreux. Ebed-Tob se vante, en effet, d’occuper une place unique, d’avoir une gloire unique parmi les gouverneurs d’Egypte en Palestine. Il proclame qu’il a été mis à son poste non par Pharaon, « ni par le moyen de son père et de sa mère », mais uniquement par la décision et la puissance du « Grand Roi », du Dieu dont il dépend. Il proclame aussi qu’il est le roi de Jérusalem parce qu’il est le prêtre du Dieu de la cité.
Ainsi s’explique cette expression mystérieuse à propos de Melchisédek: « Il est sans père, sans mère, sans généalogie ; il n’a ni commencement ni fin. » (Hébreux, VII, 3).
Ainsi s’explique aussi le fait, mis en lumière par l’épître, que Melchisédek est à la fois prêtre et roi. Comme roi de Jérusalem, ville sainte dès les temps les plus reculés, Melchisédek a droit à la prêtrise, d’autant plus que, selon la Genèse, il est vraiment prêtre de Dieu Lui-même, du « Dieu Très-Haut, du Dieu qui a fondé les cieux et la terre » (XIV, 19).
Ce double titre de prêtre et de roi, Melchisédek, comme plus tard Ebed-Tob, ne le tient d’aucune autorité humaine, ni de ses ancêtres, mais de Dieu directement. Voilà ce qui le met à part des autres rois, qui sont toujours préoccupés d’appuyer leur puissance sur leur généalogie ou sur les faveurs de leur supérieur. Melchisédek n’a personne au-dessus de lui que le Très-Haut ; il ne dépend que du Très-Haut. Abraham le sait et il s’empresse, lui qui croit aussi au Dieu Très-Haut, d’aller lui rendre hommage en lui offrant la dîme.
Au reste, voici des extraits de cette lettre du roi Ebed-Tob qui est sûrement un descendant, par la fonction, de Melchisédek lui-même… « Ni mon père, ni ma mère ne m’ont élevé à cet honneur ; c’est le bras du Roi puissant qui m’a permis d’entrer dans la maison de mon père… Ni mon père, ni ma mère, mais l’oracle du Grand Roi m’a établi dans la maison de mon père. »
Sans doute, le cas de Ebed-Tob n’est pas absolument identique à celui de Melchisédek; mais il apporte une lumière précieuse sur certaines expressions qui paraissaient étranges ; et surtout il montre le rôle mystérieux, providentiel, qu’a joué, à travers les âges, cette ville de Jérusalem, cette ville de la paix (Salem), dont le chef a toujours été, semble-t-il, roi et prêtre, symbolisant ainsi à l’avance Celui qui est le Roi Souverain, le Prêtre Souverain et le Prince de la Paix. Le Seigneur Lui-même faisait allusion à ce rôle prophétique de la ville sainte qui, tout au moins avec Melchisédek, a servi le vrai Dieu, le Dieu Très-Haut, le véritable Grand Roi, et qui L’a servi ensuite avec David, en attendant de Le recevoir Lui-même dans son Temple, lorsqu’Il s’écriait, Parlant au peuple sur la montagne: « Mais moi, je vous dis de ne point jurer du tout : ni par le ciel, ni par la terre, ni par Jérusalem, car c’est la ville du Grand Roi » (Matthieu, v, 35).
L’énumération donnée, à la fin du chapitre XV, des peuples habitant le pays promis à Abraham, « depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve, au fleuve d’Euphrate », est très précieuse pour l’archéologie. Plusieurs de ces peuples nous sont encore inconnus: les Kéniziens, les Kéniens, les Kadmoniens. D’autres ont été récemment identifiés: les Amorrites et les Hittites, dont nous avons eu déjà l’occasion de parler. Cette liste, qui paraissait, il y a quelques années, ne reposer sur aucun fondement solide, est à l’heure actuelle confirmée d’une manière éclatante.
La catastrophe qui entraîna la disparition des villes de la Plaine, en particulier de Sodome et de Gomorrhe, est confirmée par l’histoire profane. « Strabon raconte, dans sa description de la mer Morte, que, d’après le témoignage des habitants du pays, il y avait eu là autrefois treize villes, dont Sodome était la capitale. Ces villes auraient été détruites par un tremblement de terre accompagné de jets de flammes et d’asphalte liquide; les rochers eux-mêmes se seraient embrasés et les villes auraient été les unes exploitées, les autres abandonnées par leurs habitants. Tacite aussi parle d’éclairs et de flammes qui auraient réduit en désert cette contrée précédemment fertile et couverte de grandes villes. »
Il est probable que ce cataclysme a provoqué une extension considérable de la mer Morte et que les villes sont enfouies sous l’eau, au nord de la mer. Des explorateurs modernes prétendent avoir découvert de ce côté des vestiges de constructions qui proviendraient sans doute de l’une ou l’autre de ces villes condamnées (Genèse, XIX).
Nous arrivons au v, 1 du chapitre XX: « Abraham partit de là pour la contrée du Midi, et s’établit entre Kadès (ou Kadesh) et Sur (ou Shur), et il séjourna à Guérar. » – « Sur » était le nom donné par les tribus sémites à la ligne de forts qui allait du nord au sud, le long de la frontière du canal actuel de Suez, et qui protégeait l’Egypte de l’invasion des Bédouins d’Asie. – Kadès où Kadesh est la même localité que Kadesh-Barnea ; son site a été découvert, en 1844, par John Rowlands. C’est un fertile oasis, connu pour sa source d’eau pure ; c’est de là que Moïse envoya des espions en Canaan. Les Amorrites en étaient alors les maîtres. Elle était, pour les rois d’Orient, un centre important, la clef de la route d’Orient en Egypte. – Guérar, où Abraham séjourna ensuite, se trouvait au sud de Gaza, dans le pays des Philistins (Genèse, XXVI). Elle s’appelle aujourd’hui Khirbet-el-Djérâr. Elle était, aux premiers siècles de notre ère, le siège d’un évêché chrétien.
« Abraham planta un tamaris à Beer-Shéba » (XXI, 33). C’était une coutume très répandue dans l’antiquité, que de planter, près d’un puits ou près d’une source, un arbre qui était considéré comme sacré et qui devenait une occasion de pèlerinage. Abraham n’est pas un adorateur de l’Arbre, comme le sont encore les Bédouins de ces régions où Abraham séjournait ; mais il était tout naturel pour lui de marquer, par la plantation d’un arbre, sa reconnaissance envers le Seigneur. Aussi le texte sacré ajoute-t-il : « Et il invoqua le nom de l’Eternel, Dieu d’éternité. »
L’épisode si pittoresque du voyage d’Eliézer à Haran, en Mésopotamie, la ville de Nachor, et le récit du mariage de Rébecca avec Isaac, nous met en présence d’un fait que les découvertes récentes ont pleinement confirmé, à savoir les relations des patriarches avec les populations Araméennes du Nord. Ces populations avaient, elles aussi, une civilisation assez avancée et une langue qui offre de nombreux traits de ressemblance avec la langue hébraïque. Cette ville de Haran fit partie, à un certain moment, d’un royaume araméen indépendant. Il y eut toujours, depuis le temps d’Abraham et d’Isaac, des relations fréquentes et amicales entre les Israélites et les Araméens du Nord de la Syrie ; ce qui explique que les Israélites aient si longtemps (jusqu’au temps du Seigneur tout au moins) parlé et écrit en Araméen.
Nous apprenons, au chapitre XXV, quelle fut la postérité d’Ismaël, fils d’Abraham et d’Hagar. Ces descendants d’Abraham habitèrent surtout l’Arabie du Nord. Plusieurs de ces tribus ont été identifiées, entre autres les descendants de Nebajoth ou Nabatéens; les descendants de Kédar (en Assyrien Kidrou) ; les descendants de Abdéel (en Assyrien Idibilé) ; les descendants de Massa: les Masanoi dont parle Ptolémée ou les Masaï des inscriptions assyriennes ; les descendants de Jétur, dont parle Strabon comme d’une tribu de brigands montagnards, probablement les ancêtres des Druses ; les descendants de Naphis, dont il est question au 1er livre des Chroniques (v, 19).
En somme, on peut dire que les Ismaélites ont occupé l’Arabie septentrionale et le désert syrien. C’est ce que dit Josèphe : c Les Ismaélites s’étendaient de l’Euphrate à la mer Rouge. »

JACOB ET ESAU
L’histoire de Jacob et d’Esaü nous apporte aussi des données intéressantes au point de vue historique. Jacob retrouve la ville de Haran où Abraham avait séjourné, où Eliézer avait rencontré Rébecca.> Les liens entre les enfants d’Abraham et les Araméens se resserraient ainsi de plus en plus par les mariages successifs d’Isaac avec Rébecca, de Jacob avec Léa et Rachel, filles de l’Araméen Laban.
Nous rencontrons, dans le récit, des détails frappants sur les moeurs et la religion de ces tribus araméennes. C’est ainsi que l’auteur sacré nous parle des « théraphim » : « Rachel déroba les théraphim de son père. » (XXXI, 19).
Les théraphim étaient des divinités domestiques de forme humaine (1, Samuel, XIX, 13) et de diverses grandeurs. Ils servaient à consulter l’avenir et étaient considérés comme les protecteurs attitrés de la famille. Aussi voyons-nous Rachel emporter ceux de son père, comme Enée emporte ses dieux pénates. L’habitude de posséder des dieux domestiques et de les porter avec soi quand on voyageait s’est longtemps conservée parmi les populations syriennes.
Le chapitre XXXVI est digne de remarque à cause de la généalogie des enfants d’Esaü, c’est-à-dire des Edomites. A l’encontre de son frère Jacob qui lui avait pris des femmes araméennes, de même race que lui, Esaü prit des femmes cananéennes, des femmes originaires du pays de Canaan, mais de diverses tribus. Nous apprenons que les Edomites eurent des rois « avant qu’un roi régnât sur les enfants d’Israël » ; chaque tribu eut son chef. Toutes ces tribus ont vécu dans le voisinage de la « montagne de Séir ». Elles formèrent assez vite un vaste peuple, puissant et organisé qui fut, malheureusement, un danger constant pour Israël.
La liste des rois d’Edom est remarquable par sa précision ; elle ne peut avoir été inventée, et d’ailleurs pourquoi aurait-elle été inventée ? A quoi ou à qui aurait-elle servi ? Elle a sans doute été fournie à Moïse par les documents édomites eux-mêmes. Un peuple organisé, discipliné comme le peuple édomite avait certainement une littérature, des archives tout au moins. Plusieurs archéologues pensent que nous avons, dans les proverbes de Lemuel, roi de Massa (Proverbes: XXXI, 1) (Massa de Genèse, XXV, 14, localité de la région de Séir, connue aussi par les inscriptions assyriennes), un échantillon de la littérature édomite.

L’ANCIEN TESTAMENT : UN PEUPLE, UN PAYS, DES ÉCRITS…

24 juin, 2014

http://www.saintloup-cathisere.cef.fr/spip.php?article349

L’ANCIEN TESTAMENT : UN PEUPLE, UN PAYS, DES ÉCRITS…

Un peu de géopolitique pour commencer…

L’ANCIEN TESTAMENT : UN PEUPLE, UN PAYS, DES ÉCRITS... dans biblique carte-MO-600

L’histoire se déroule autour du pays de Canaan, dans le Moyen Orient Ancien. C’est un petit pays (à peine plus grand que le département de l’Isère) coincé entre la mer et le désert – et en ces temps là, on ne traversait pas les déserts, on les contournait. Au sud-ouest, l’Afrique, berceau de l’humanité, et l’Égypte, une des plus anciennes civilisations. Au nord-est, la Mésopotamie, une région irriguée par deux grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate, que l’on appelle aussi « croissant fertile ». C’est dans cette région que l’agriculture est apparue pour la première fois, au 9ème millénaire Av JC, ainsi que l’écriture vers -3300. Là aussi de grandes civilisations vont se développer : l’Assyrie, la Babylonie, et plus loin à l’est la Perse. Au Nord-Ouest, d’autres civilisations apparaîtront plus tard : la Grèce, puis Rome…
C’est un pays au climat sec, composé d’une zone côtière, de collines, de montagnes, de zone arides au sud et de la profonde dépression du Jourdain : à près de 400m au dessous du niveau de la mer, la mer morte est l’endroit le plus bas de la terre. Dans ce pays, on va voir passer du monde… et souvent des armées qui parfois se livrent bataille. Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est sur ce territoire ouvert à toutes les cultures de l’époque que Dieu a choisi un peuple pour se révéler aux hommes…

Un peuple et son histoire…
L’histoire du peuple Israélite nous est connue essentiellement par la Bible, mais il s’agit de livres religieux, qui n’ont pas prétention à être historiques : ils sont une relecture des événements à portée essentiellement théologique. Pour les historiens, il y a donc beaucoup de points d’interrogation, parce-que l’histoire du peuple israélite telle qu’elle est racontée dans la Bible n’est pas vérifiée selon les méthodes scientifiques qui sont les leurs – ce qui ne veut pas forcément dire qu’elle soit fausse.
Quoi qu’il en soit, c’est l’histoire d’un petit peuple – même si certains passages de la Bible donnent l’image d’une grande puissance comme on peut la concevoir aujourd’hui : le territoire d’un des royaumes dont il est question ne représente tout au plus qu’un canton français ! C’est l’histoire d’un peuple nomade, qui s’est libéré de la servitude en Egypte, qui s’est sédentarisé et a dû lutter pour obtenir un territoire, puis a dû encore lutter pour préserver sa liberté. Parfois, il s’agit de guerres tribales, et parfois de se défendre face à l’hégémonie des grandes puissances de l’époque. C’est une histoire pleine de violences, qui remonte à une époque dure, où on accordait peu de valeur à la vie humaine.
Mais c’est aussi l’histoire d’un peuple auquel Dieu s’est révélé. Une révélation progressive, qui a grandi au fil des épreuves que ce peuple a connu, plus que de ses succès. L’exil à Babylone sera une étape essentielle de cette découverte, et la religion juive ne sera vraiment fondée qu’au retour de l’exil.
L’élément essentiel reste en tout cas du domaine de la foi : l’intervention de Dieu dans l’histoire de ce peuple. Une alliance proposée par Dieu à son peuple, sans cesse rompue par ce peuple, mais sans cesse renouvelée par Dieu ! En passant par le grec, puis le latin, ce mot d’alliance a été traduit par « testament », mais lorsque l’on parle d’Ancien ou de Nouveau Testament, c’est bien ce sens d’alliance qu’il faut retenir !

Des écrits…
Le mot Bible est un mot pluriel : il vient du grec biblia, qui signifie les livres. La Bible est une bibliothèque : l’Ancien Testament comporte 46 livres, d’auteurs et de styles bien différents.
La Bible est elle la Parole de Dieu ? Ce n’est pas un texte descendu du ciel… ou dicté par des anges… Elle a été écrite par des hommes, qui – comme nous le dit le concile Vatican II [1].
– ont agi en vrais auteurs, inspirés par l’Esprit Saint. Elle contient la Parole de Dieu, mais ne s’identifie pas avec elle : on peut trouver la Parole de Dieu dans la Bible si on se met aussi à l’écoute de l’Esprit Saint…

Quand ces livres sont ils écrits ?
Peu d’écrits remontent au delà du 7ème siècle avant Jésus Christ : quelques parties du livre de Samuel, ou des proverbes. Mais il y a aussi des traditions, longtemps transmises oralement, puis fixées par écrit. A partir du 7ème siècle, on commence à voir la rédaction de quelques livres : les prophètes Amos, Osée, Isaïe (le premier Isaïe), Jérémie ; des psaumes, les livres de Josué, des Juges, de Samuel, des Rois.
La grande période d’écriture de la Bible va commencer durant l’exil à Babylone, entre 587 et 538. Ce fut une période de remise en question, où les Israélites découvrent que leur religion est bien différente des autres : ils croient en un Dieu bon, unique, universel, créateur, qui a fait alliance avec son peuple. C’est un Dieu proche, qui réside au milieu de son peuple. Et les autres dieux ne sont rien ! Cette période verra deux prophètes : le second Isaïe, et Ézéchiel.
Après 538, le retour de l’exil verra la rédaction de nombreux écrits : rédaction finale du Pentateuque ; les prophètes Aggée, Malachie, Zacharie, le 3ème Isaïe ; les proverbes, le Cantique des cantiques, le livre de Job. Enfin, à partir du 3ème siècle, on verra l’écriture des livres d’Esdras et de Néhémie, des Chroniques, des Macchabées, du Qohéleth, des Psaumes, du Siracide, de Daniel, et enfin de la Sagesse, quelques décennies avant notre ère.

Les livres et leur transmission
Les livres sont sous forme de rouleaux [2] On écrit sur du papyrus, bon marché mais fragile, ou sur du parchemin, résistant, mais coûteux. La plus grande partie de la Bible est écrite en hébreu. Seules les consonnes sont écrites : celles-ci donnent la racine des mots, leur forme exacte est donnée par les voyelles. Il n’y a pas de ponctuation, ni d’espace entre les mots… La transmission et la compréhension du texte reposent donc beaucoup sur une transmission de maître à élève !
Après l’exil, le peuple ne parle plus l’hébreu : en Palestine, on parle araméen. On va donc avoir des traductions en araméen, les targoums, qui sont en fait plutôt des interprétations, assorties de paraphrases et de commentaires. A partir du 3ème siècle, il y a des communautés juives en Égypte où l’on parle Grec. La Bible sera donc traduite en grec par des rabbins d’Alexandrie : cette traduction est appelée la Septante (LXX en abrégé) [3]. Ce sera la version de référence des premières communautés chrétiennes.
Vers 90 après J.C. Le judaïsme est en crise, après la destruction du temple de Jérusalem (70) et la montée du christianisme. Un groupe de pharisiens se réunit à Jamnia, et définit la liste officielle (ou canon) des livres de la Bible hébraïque : ils retiennent 39 livres, tous écrits en hébreu : les 5 livres du Pentateuque (encore appelé la loi, ou la Torah), les livres prophétiques (incluant les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des rois), et enfin, « les autres écrits ».
Entre le 7ème et le 10ème siècle de notre ère, des érudits juifs, les massorètes « vocaliseront » le texte hébraïque pour en pérenniser la transmission, c’est à dire qu’ils ajouteront des voyelles au texte écrit. Ceci donnera naissance au texte massorétique qui est, jusqu’à aujourd’hui le texte hébraïque de référence utilisé par toutes les traductions de la Bible. Le plus ancien texte complet de la Bible hébraïque à ce jour remonte au 10ème siècle. Ce n’est qu’avec la découverte des manuscrits de Qumrân (dits de la mer morte) en 1947 que l’on pourra disposer de textes antérieurs à notre ère.
Les catholiques et les orthodoxes ont adopté le canon grec de la Bible (les livres de la LXX), avec un ordre des livres et un découpage un peu différent du canon hébraïque, et qui contient en plus les livres deutérocanoniques qui n’ont pas été retenus dans le canon hébraïque, car écrits en Grec. Après la réforme, les protestants retiendront le canon hébraïque.
Aujourd’hui, on dispose de centaines de manuscrits de la Bible. Malgré les multiples copies et traductions, les textes sont remarquablement proches les uns des autres. Désormais, les traductions de la Bible utilisent l’ensemble des documents disponibles [4].

En conclusion
Nous retiendrons en conclusion que l’ancien testament est une histoire d’amour entre un peuple et son Dieu… C’est un petit peuple, qui devait souvent lutter pour sa survie ou pour sa liberté. Ce peuple, progressivement, a découvert Dieu, et il nous a transmis sa découverte dans un texte qui a traversé des millénaires. Ce texte prend parfois des libertés avec l’histoire : l’essentiel aux yeux de ses auteurs n’était pas l’histoire qu’il transmet, mais ce qu’il dit de la relation de Dieu avec son peuple.

[1] Constitution dogmatique sur la révélation divine (Dei Verbum), sections 11 et 12
[2] La forme que l’on connait aujourd’hui, ou codex, n’apparaîtra qu’au 2ème siècle de notre ère.
[3] Selon la légende, cette traduction est l’œuvre de 70 rabbins.
[4] Sur certain passages, le texte de la LXX semble plus fiable que le texte massorétique.

A PROPOS DE L’ESPÉRANCE AU TEMPS DE L’ANCIEN TESTAMENT

16 juin, 2014

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A PROPOS DE L’ESPÉRANCE AU TEMPS DE L’ANCIEN TESTAMENT

Au regard de l’espérance lumineuse qui fait courir les chrétiens aujourd’hui, celle des hommes de l’Ancien Testament paraît bien terne ! On peut en effet être surpris que l’auteur du livre de l’Ecclésiaste – qui se présente comme un sage sous les traits du roi Salomon – reconnaisse avec lucidité et grande vénération que Dieu a « implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité » (Ecclésiaste 3.11, La Bible du Semeur)… avant de confesser finalement l’aspect décevant de la vie humaine qui s’achève par la vieillesse et la mort (Ecclésiaste 12.1-7, 3.19-20) !
Paradoxalement, tandis que depuis longtemps les adeptes de certaines religions polythéistes de l’ancien Orient croient fermement à la résurrection et à une vie future, les enfants d’Israël, eux, s’ouvrent en dernier à cette croyance… et semblent voués inexorablement à la désespérance quant à l’au-delà ! Ce n’est en fait que tardivement, vers la fin de l’Exil (soit entre 550 et 539 avant Jésus-Christ), qu’ils découvrent – ou redécouvrent (1) – progressivement l’idée d’éternité. Un comble pour le peuple qui deviendra celui de l’espérance ! Attardons-nous un instant sur ces questions.

Une vision d’éternité commune à tous les peuples anciens
La croyance en une « survie de l’individu » après la mort semble remonter aux origines de l’espèce humaine et de tout temps, dans toutes les civilisations, ce qui peut paraître étonnant, une grande majorité s’est ralliée à l’idée que l’homme est immortel par nature.
« Ce qui est commun aux religions, [écrit le scientifique et ancien ministre Claude Allègre] depuis celles des Sumériens ou des Égyptiens en passant par celles des Perses, des Babyloniens, des Assyriens, des Indiens ou des Chinois jusqu’à celles qui inspirent les Sepik de Nouvelle-Guinée ou les Indiens d’Amazonie, c’est qu’elles ont toutes développé le concept de dieu, de transcendance et d’au-delà, faisant toutes espérer aux meilleurs, l’immortalité (2). »
Plus de 2000 ans avant J.-C., l’Egypte pharaonique est certainement l’une des premières civilisations à s’édifier dans la perspective de l’éternité. Les Egyptiens en effet, tout en reconnaissant la brièveté du temps terrestre, croient en une autre forme d’existence. Osiris, mort et ressuscité, devenu dieu de l’au-delà, leur apporte l’assurance d’une survie éternelle.
Environ 13 siècles plus tard, sur la base d’une espérance similaire, le philosophe persan Zoroastre (fondateur du zoroastrisme, ancienne religion de la Perse) promet à ses disciples l’avènement d’un sauveur suprême, Saoshyant, qui présidera à la résurrection et à l’émergence d’une vie éternelle après la mort. Notons que le zoroastrisme, religion dualiste fondée sur la lutte permanente entre un Dieu bon (Ahura Mazdâ) et un démon (Ahriman) enseigne aussi le libre arbitre, le jugement final, l’enfer, le paradis et la victoire finale du bien sur le mal. Ce qui représente, soit dit en passant, une sorte de préfiguration du christianisme… en tout cas, une incontestable révolution religieuse au début du VIIe siècle avant J.-C. !
Curieusement donc, en ce qui concerne cette idée de survie post mortem, les Hébreux restent imperméables à toute influence, égyptienne notamment. Face à la vision d’éternité commune à beaucoup de religions antiques, ils ne se lassent pas de nourrir une vague espérance dont ils semblent se satisfaire, mais qui toutefois se précise graduellement au cours des siècles.

De l’espérance terrestre à l’espérance céleste
Ce n’est en effet qu’à l’époque de la rédaction du livre de Daniel que le peuple juif arrive enfin à croire peu à peu en la résurrection et en une vie après la mort. Durant de très nombreux siècles, étonnamment celui-ci se contente d’une espérance terrestre sans vision d’éternité, ou tout au plus d’une espérance en une survie nationale.

Tout d’abord, une espérance à courte vue
Ainsi, pendant longtemps, c’est le modèle de la rétribution – strictement terrestre – qui dicte la pensée des enfants d’Israël. Ceux-ci croient que Dieu « rétribue » ici-bas les hommes selon leurs actes, autrement dit que les justes sont récompensés par une longue vie tranquille et prospère tandis que les pécheurs sont condamnés à une vie malheureuse, courte et sans descendance… en attendant avec frayeur – justes comme pécheurs, d’ailleurs – le sort qui les attend, le sheol (3) où tous resteront abandonnés à jamais.
Mentionnons à cet égard quelques textes bibliques attestant cette espérance à courte vue : « Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans, et pour les plus robustes, à quatre-vingt ans. […] Enseigne-nous à bien compter nos jours, […] Rassasie-nous chaque matin de ta bonté, et nous serons toute notre vie dans la joie et l’allégresse. Réjouis-nous autant de jours que tu nous as humiliés, autant d’années que nous avons vu le malheur » (Psaume 90.10-15) ; « Donne-nous encore des jours comme ceux d’autrefois ! » (Lamentations 5.21) ; « Voici ce que je veux repasser en mon cœur, ce qui me donnera de l’espérance. Les bontés de l’Éternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne sont pas à leur terme » (Lamentations 3.21-22) ; « Soutiens-moi pour que je vive, tu l’as promis, ne déçois pas mon espérance » (Psaume 119.116, BFC) ; « Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de l’Eternel jusqu’à la fin de mes jours » (Psaume 23.6) ; « L’Eternel m’a châtié, mais il ne m’a pas livré à la mort » (Psaume 118.18).
Comme il se dégage de nombreux passages de l’Ancien Testament, Dieu – dans un premier temps – répond à ses enfants sans leur proposer davantage : « Je te sauverai, et tu ne tomberas pas sous l’épée, ta vie sera ton butin, parce que tu as eu confiance en moi, dit l’Éternel » (Jérémie 39.18) ; « Celui qui m’écoute […] vivra tranquille et sans craindre aucun mal » (Proverbes 1.33) ; « Il m’invoquera, et je lui répondrai. Je serai avec lui dans la détresse, je le délivrerai et je le glorifierai. Je le rassasierai de longs jours, et je lui ferai voir mon salut » (Psaume 91.15-16) ; « N’oublie pas mes enseignements, […] car ils prolongeront les jours et les années de ta vie, et ils augmenteront ta paix » (Proverbes 3.1-2) ; « Ils [les justes] ne sont pas confondus au temps du malheur, et ils sont rassasiés aux jours de la famine » (Psaume 37.19) ; « Ceux qui espèrent en l’Éternel posséderont le pays » (Psaume 37.9) ; « Aimez le Seigneur votre Dieu, obéissez-lui, restez-lui fidèlement attachés, c’est ainsi que vous pourrez vivre et passer de nombreuses années dans le pays que le Seigneur a promis de donner à vos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob » (Deutéronome 30.20, BFC)… Pour ne citer que ces versets !

L’espérance collective, une perspective nouvelle pour Israël
Bien que la croyance en la rétribution soit historiquement ancrée dans la réalité quotidienne du peuple d’Israël, certains en voyant « le bonheur des méchants » (Psaume 73.3) – ou en quelque sorte, l’inversion de cette théorie de la rétribution – ont du mal à comprendre la justice de Dieu et se mettent à réfléchir. C’est le cas du roi David (Psaume 37) et du psalmiste Asaph (Psaume 73).
Job, héros des temps anciens, fait aussi partie de ceux qui osent remettre en cause la croyance classique (Job 12.13-25). « Contre cette corrélation rigoureuse [la liaison entre la souffrance et le péché personnel], Job s’élève avec toute la force de son innocence. Il ne nie pas les rétributions terrestres, il les attend, et Dieu les lui accordera finalement […] Mais c’est pour lui un scandale qu’elles lui soient refusées présentement et il cherche en vain le sens de son épreuve. Il lutte désespérément pour retrouver Dieu qui se dérobe et qu’il persiste à croire bon (4). »
Dans l’un de ses « grands textes », il arrive finalement à la conclusion que le bien et le mal ont leur sanction outre-tombe plutôt qu’ici-bas, une avancée théologique considérable ! C’est ainsi qu’au-delà de l’espoir d’être délivré de ses maux en ce monde, il ose affirmer – certes, de façon imprécise, la traduction de ce passage reste difficile – son espérance en la résurrection : « Pour ma part, je sais que celui qui me rachète est vivant et qu’il se lèvera le dernier sur la terre. Quand ma peau aura été détruite, en personne je contemplerai Dieu. C’est lui que je contemplerai, et il me sera favorable. Mes yeux le verront, et non ceux d’un autre » (Job 19.25-27).
Pour d’autres hommes de l’Ancien Testament également confrontés à l’injustice, l’espérance individuelle se mue alors en espérance collective. Si la réussite des méchants offre un spectacle révoltant, « le Seigneur s’intéresse à la vie de ceux qui sont irréprochables, le pays dont ils sont les héritiers leur est acquis pour toujours » (Psaume 37.18, BFC). Au VIIIe siècle av. J.-C., le prophète Esaïe à même l’intuition que son peuple « ressuscitera » : « Mon peuple, tes morts reprendront vie, alors les cadavres des miens ressusciteront ! Ceux qui sont couchés en terre se réveilleront et crieront de joie » (Esaïe 26.19). Vers la même époque, Osée, un autre porte-parole de Dieu, invite Israël à se repentir et évoque l’espérance d’une rénovation nationale : « Venez, retournons à l’Eternel ! Car il a déchiré, mais il nous guérira. Il a frappé, mais il bandera nos plaies. Il nous rendra la vie […] il nous relèvera, et nous vivrons devant lui » (Osée 6.1-2).
Mais c’est en réalité la grande épreuve de la déportation à Babylone qui amène les Juifs à s’interroger sur la « juste rétribution » de Dieu. En cette période particulièrement troublée, le prophète Jérémie, toujours soucieux du bien de ses compatriotes, se demande pourquoi ceux-ci lui manifestent tant de haine : « Seigneur, tu es trop juste pour que je m’en prenne à toi. Pourtant, j’aimerais discuter de justice avec toi. Pourquoi le chemin des méchants les mène-t-il au succès ? Et ceux qui te sont infidèles, pourquoi vivent-ils tranquilles ? » (Jérémie 12.1, BFC).
« Au-delà de la ruine qu’il voit approcher pour le peuple infidèle, il [Jérémie] entrevoit une sorte de résurrection dans le cadre d’une nouvelle alliance avec Dieu [le retour des survivants d’Israël et la reconstruction de Jérusalem, chapitre 31]. Il témoigne alors de sa confiance en la victoire de Dieu par un surprenant geste d’espoir [l’acquisition d’un champ, acte symbolique, chapitre 32] (5). »
Après le châtiment, il y aura donc un rétablissement, un avenir pour le peuple de Dieu… de quoi raviver l’espérance : « Je rétablirai le peuple de Juda et le peuple d’Israël, et je les rétablirai dans leur ancienne situation » (Jérémie 33.7, BFC). « Je multiplierai les descendants de mon serviteur David […] ils seront aussi nombreux que les étoiles qu’on ne peut compter dans le ciel » (Jérémie 33.22, BFC).
Quant à Ezéchiel – en dépit des circonstances dramatiques de l’époque –, il est l’un des rares prophètes de l’Ancien Testament à proclamer aussi explicitement qu’il y a une espérance pour Israël. Ainsi, dans sa célèbre vision des ossements desséchés (Ezéchiel 37.1-14), la renaissance de la nation d’Israël s’exprime pleinement. Bien qu’il s’agisse plutôt là d’une promesse de survie collective pour le peuple d’Israël, autrement dit d’une « résurrection nationale », on peut y voir en outre l’amorce de l’idée de résurrection individuelle. Citons quelques extraits de ce passage intéressant : « Voici ce que dit le Seigneur, l’Eternel : Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu’ils revivent ! […] Je vais ouvrir vos tombes et je vous en ferai sortir, vous qui êtes mon peuple, et je vous ramènerai sur le territoire d’Israël » (Ezéchiel 37.9-12).

En route vers l’espérance céleste
En fait, le point de départ – discret – de ce lent cheminement vers le ciel peut être relevé dans le livre des Psaumes où certains versets portent en germe la notion de résurrection : « Non, Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort, tu ne permets pas que moi, ton fidèle, je m’approche de la tombe. Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie. On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi » (Psaume 16.10-11, BFC) ; « Eternel, tu as fait remonter mon âme du séjour des morts, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans la tombe » (Psaume 30.4) ; « Dieu sauvera mon âme du séjour des morts » (Psaume 49.16) ; « Ta bonté envers moi est grande, et tu délivres mon âme des profondeurs du séjour des morts » (Psaume 86.13) ; « C’est lui qui délivre ta vie de la tombe, qui te couronne de bonté et de compassion » (Psaume 103.4).
Mais c’est surtout le livre de Daniel (6) qui nous éclaire un peu plus sur l’évolution de la conception de l’au-delà chez les Juifs. C’est bien d’une résurrection personnelle suivie d’une vie éternelle que les justes hériteront : « A cette époque-là [pouvons-nous lire dans Daniel 12.1-3] se dressera Michel, le grand chef, celui qui veille sur les enfants de ton peuple. Ce sera une période de détresse telle qu’il n’y en aura pas eu de pareille depuis qu’une nation existe jusqu’à cette époque-là. A ce moment-là, ceux de ton peuple qu’on trouvera inscrits dans le livre seront sauvés. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte, pour l’horreur éternelle. Ceux qui auront été perspicaces brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigné la justice à beaucoup brilleront comme les étoiles, pour toujours et à perpétuité. »
Cependant, ce n’est vraiment qu’à partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ que l’espérance en la résurrection devient une réalité pour le peuple juif. A la mort d’Alexandre le Grand, la Palestine « passe sous l’autorité des monarchies hellénistiques, des Lagides d’Egypte d’abord, puis des Séleucides de Syrie. La politique d’hellénisation radicale instaurée par Antiochus IV Epiphane (175-164 av. J.-C.), doublée d’une intolérance agressive vis-à-vis des Juifs, suscite un grand mouvement de révolte. Ce mouvement, à la fois national et religieux, est conduit par le prêtre Mattathias et son fils Judas, dit Maccabée. […] Antiochus IV s’efforce d’imposer aux Juifs les mœurs et la religion grecques. La pratique du judaïsme devient passible de mort (7) ».
Dans ce contexte de résistance et de répression féroce – où le dogme de la rétribution ici-bas est tragiquement mis en échec –, les nombreux martyrs, fidèles à la loi de Moïse, s’interrogent sérieusement sur la justice divine. Torturés et mis à mort pour leur foi, ils finissent par croire réellement que Dieu les ressuscitera et que leur rétribution sera d’outre-tombe.
Le deuxième livre des Maccabées, probablement écrit vers 120-100 avant J.-C., décrit justement l’héroïque résistance de sept frères « Maccabées » et de leur mère (modèles des premiers martyrs juifs) qui préfèrent être torturés à mort plutôt que de toucher à la viande de porc interdite par la loi. Citons ici quelques versets de ce livre deutérocanonique de l’Ancien Testament témoignant de cette foi naissante en la résurrection :
« Au moment de rendre le dernier soupir, il [le second supplicié] dit : Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 Maccabées 7.9, TOB).
« On soumit le quatrième aux mêmes tortures cruelles. Sur le point d’expirer, il dit : Mieux vaut mourir de la main des hommes en attendant, selon les promesses faites par Dieu, d’être ressuscité par lui » (2 Maccabées 7.13-14, TOB).
« Eminemment admirable et digne d’une excellente renommée fut la mère, qui voyait mourir ses sept fils en l’espace d’un seul jour et le supportait avec sérénité, parce qu’elle mettait son espérance dans le Seigneur. Elle exhortait chacun d’eux dans la langue de ses pères. Remplie de nobles sentiments et animée d’un mâle courage, cette femme leur disait : Je ne sais pas comment vous avez apparu dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie, […] Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé l’homme à sa naissance et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il dans sa miséricorde et l’esprit et la vie, parce que vous vous sacrifiez maintenant vous-mêmes pour l’amour de ses lois » (2 Maccabées 7.20-23, TOB).
Enfin, on peut mentionner le livre de la Sagesse, autre apocryphe rédigé vers la même époque (Ier siècle avant J.-C.) dans lequel on trouve, quoique de façon larvée, le thème de la résurrection : « Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra plus. Aux yeux des insensés, ils passèrent pour morts, et leur départ sembla un désastre, […] Pourtant, ils sont dans la paix. Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité » (Sagesse 3.1-4).
Comme le remarque Jean Civelli, prêtre à Fribourg (Suisse), « cette idée d’une résurrection des morts ne devait plus s’oublier dans le judaïsme. Ce sont les Pharisiens qui la recueillirent, contrairement au parti des Sadducéens, parti des prêtres et de la noblesse du Temple de Jérusalem, qui, eux, n’acceptèrent pas ce qu’ils considéraient comme une doctrine fausse, car ils ne la trouvaient pas dans la Loi de Moïse (cf. Marc 12.18 et Actes 23.8). […] Le sceau définitif de cette foi en la résurrection sera donné par Jésus lui-même, dans sa propre résurrection (8) ».
« La croyance en la résurrection, qui va se développer dans le monde sémitique, [affirme de son côté, Marie Lucien, docteur en théologie de l'Université de Strasbourg] apparaît comme une nouveauté radicale et impressionnante […] La résurrection personnelle de chaque homme deviendra alors l’espérance commune aux trois religions monothéistes issues du monde sémitique, le judaïsme, le christianisme et l’islam (9). »*

Après avoir ainsi esquissé à grands traits l’histoire de l’espérance religieuse en Israël, une question demeure cependant : pourquoi cette dernière est restée si longtemps une piètre espérance… avant que finalement le Nouveau Testament ne la porte à son plus haut degré ? A défaut de pouvoir répondre ici avec certitude à cette question, nous voulons par contre dire toute notre admiration pour les hommes de l’Ancien Testament ayant fait le bon choix de faire confiance à Dieu et de marcher avec lui en se contentant de sa faveur et de l’assurance du pardon de leurs péchés… portés seulement par l’espérance d’une longue vie prospère – ici-bas – et en dépit du système simpliste des rétributions temporelles ne fonctionnant pas toujours.

Alors que nous, croyants du XXIe siècle, pouvons nous enorgueillir de notre belle espérance (10) solidement ancrée dans la résurrection de Jésus-Christ – ce qui ne nous laisse plus aucune excuse pour notre incrédulité –, puissions-nous également faire nôtres les propres louanges de ces héros de la foi… pourtant adressées à un Dieu qu’ils n’imaginaient pas si généreux : « Je chanterai l’Eternel tant que je vivrai, je célébrerai mon Dieu tant que j’existerai. […] Je veux me réjouir en l’Eternel » (Psaume 104.33-34).

Claude Bouchot

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