COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 7, 55 – 60
6 mai, 2016COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 8 MAI 2016
PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 7, 55 – 60
En ces jours-là, Étienne était en face de ses accusateurs. 55 Rempli de l’Esprit Saint, il fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu. 56 Il déclara : « Voici que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » 57 Alors ils poussèrent de grands cris et se bouchèrent les oreilles. Tous ensemble, ils se précipitèrent sur lui, 58 l’entraînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient déposé leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme appelé Saul. 59 Étienne, pendant qu’on le lapidait, priait ainsi : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » 60 Puis, se mettant à genoux, il s’écria d’une voix forte : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » Et, après cette parole, il s’endormit dans la mort.
Etienne a été dénoncé exactement comme Jésus et pour les mêmes raisons ; rien d’étonnant ! Ce qui avait été scandaleux pour les ennemis de Jésus l’est tout autant pour ceux d’Etienne. Il sera donc condamné lui aussi. En attendant, il est traîné devant le Sanhédrin où le grand-prêtre l’interroge ; et Etienne répond par tout un discours sur le thème : vous croyez au projet de Dieu qui a choisi notre peuple pour préparer la venue du Messie dans le monde. Vous croyez à Abraham, vous croyez à Moïse… Pourquoi vous dérobez-vous au moment où nous entrons avec Jésus dans la dernière étape ? Il faut imaginer l’énormité de ces déclarations d’Etienne : il prétend voir le Fils de l’homme (et pour lui, il ne fait pas de doute que c’est Jésus) debout à la droite de Dieu. Or, pour des Juifs, les mots « Fils de l’homme », « debout », « à la droite de Dieu » sont des mots très forts : la preuve, d’ailleurs, c’est qu’ils signent l’arrêt de mort de celui qui ose dire des choses pareilles. Comme, quelque temps plus tôt, des affirmations du même genre ont provoqué la condamnation de Jésus. Dans l’évangile de Luc, il avait dit à ses juges : « Désormais le Fils de l’homme siégera à la droite du Dieu puissant » ; et il avait provoqué la fureur du tribunal. Et, pour tout arranger, Etienne accuse ses juges de « résister à l’Esprit Saint ». Ce qui évidemment n’est pas pour leur faire plaisir ! Nous avons eu déjà de nombreuses occasions de voir que les autorités juives de Palestine au temps de Jésus (et tout aussi bien au temps d’Etienne, ce sont les mêmes) étaient des gens très bien, soucieux de bien faire. Ils ne sont en aucun cas, conscients de « résister à l’Esprit Saint », comme dit Etienne ! Depuis des siècles, on savait que le projet de Dieu était de répandre son Esprit sur toute l’humanité. Moïse, déjà, en rêvait : non seulement il ne voulait pas garder le monopole de l’intimité avec Dieu, mais au contraire, il avait eu cette phrase qui était restée célèbre : « Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son esprit » (Nb 11, 26). Et les prophètes avaient confirmé que c’était bien le projet de Dieu : tous les Juifs avaient en tête la prophétie de Joël par exemple : « je répandrai mon esprit sur toute chair », ou encore celle d’Ezéchiel : « je mettrai en vous mon propre esprit ». Au chapitre précédent du livre des Actes des Apôtres, au moment du choix des diacres, dont Etienne fait partie, Luc nous a dit qu’Etienne, justement, était « un homme plein de foi et d’Esprit Saint ». Ici, Luc le répète : il dit : « Rempli d’Esprit Saint, Etienne fixa ses regards vers le ciel ; il vit la gloire de Dieu , et Jésus debout à la droite de Dieu. Il déclara : Voici que je contemple les cieux ouverts »… fixer ses regards, voir, contempler, ce sont trois mots du vocabulaire du regard. Luc nous dit indirectement que c’est la présence de l’Esprit en lui qui ouvre les yeux d’Etienne ; et alors il peut voir ce que les autres ne voient pas. Et que voit-il que les autres, ses accusateurs, ne voient pas ? Il voit « les cieux ouverts » : cela revient à dire que le salut est arrivé ; il n’y a plus de frontière, de séparation entre le ciel et la terre : l’Alliance entre Dieu et l’humanité est rétablie, le fossé entre Dieu et l’humanité est comblé. On se souvient de la phrase d’Isaïe : « Ah, si tu déchirais les cieux ! » (Is 63, 19). Jésus est debout : le Ressuscité n’est plus couché dans la mort. Le mot « debout » était très symbolique dans les premiers temps de l’Eglise : à tel point que la position « debout » est devenue la position privilégiée de la liturgie ; celui qui prie, « l’orant » est toujours représenté debout. Pour la même raison, certains évêques des premiers siècles invitaient les fidèles à rester debout pendant toute la durée de la messe du dimanche : parce que c’est le jour où nous faisons mémoire de la résurrection de Jésus.1 Jésus est « à la droite de Dieu » : on disait des rois qu’ils siégeaient à la droite de Dieu ; appliquer cette expression à Jésus, c’est donc une manière de dire qu’il est le Messie. Les juges qui entendent cette phrase dans la bouche d’Etienne ne s’y trompent pas. Dire qu’il est le « Fils de l’homme » est tout aussi grave. L’expression « Fils de l’homme » était l’un des titres du Messie. En quelques mots, Etienne vient donc de dire que Jésus, cet homme méprisé, éliminé, rejeté par les autorités religieuses est dans la gloire de Dieu. Ce qui revient à les accuser d’avoir commis non seulement une erreur judiciaire, mais pire encore, un sacrilège ! Cette vision qu’a eue Etienne de la gloire du Christ va lui donner la force d’affronter le même destin que son maître : Luc accumule les détails de ressemblance entre les derniers moments d’Etienne et ceux de Jésus. Etienne est traîné hors de la ville tout comme le Calvaire était en dehors de Jérusalem ; pendant qu’on le lapide, il prie : et spontanément il redit le même psaume que Jésus : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (Ps 30/31) ; et enfin, il meurt en pardonnant à ses bourreaux. Jésus avait dit « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », Etienne, au moment de mourir, dit à son tour « Seigneur, ne leur compte pas ce péché » (et c’est bien le même auteur, Luc, qui le note). Et Luc, dont on dit souvent qu’il est l’évangéliste de la miséricorde, nous montre la fécondité de ce pardon : l’un des bénéficiaires du pardon d’Etienne est Saül de Tarse, l’un des pires opposants au Christianisme naissant. Il se convertira bientôt pour devenir témoin et martyr à son tour.
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Note 1 – « L’usage de ne pas plier les genoux pendant le jour du Seigneur est un symbole de la résurrection par laquelle nous avons été libérés, grâce au Christ, des péchés et de la mort qui a été mise à mort par lui. » (Saint Irénée, Traité sur la Pâque, deuxième siècle). « C’est debout que nous faisons la prière le premier jour de la semaine, mais nous n’en savons pas tous la raison. Ce n’est pas seulement parce que, ressuscités avec le Christ et devant « chercher les choses d’en haut » (Col 3, 1), nous rappelons à notre souvenir, en nous tenant debout quand nous prions en ce jour consacré à la Résurrection, la grâce qui nous a été donnée, mais parce que ce jour-là paraît être en quelque sorte l’image du siècle à venir… » (Saint Basile, Traité du saint Esprit, quatrième siècle).