Archive pour la catégorie 'BIBLIE – A.T. – N.T.'

PREMIERE LECTURE – Isaïe 55, 1-3 (commentaires de Marie Noëlle Thabut)

3 août, 2011

du site:

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut-p.html

Dimanche 31 juillet 2011: commentaires de Marie Noëlle Thabut

PREMIERE LECTURE – Isaïe 55, 1-3

1 Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau !
 Même si vous n’avez pas d’argent,
 venez acheter et consommer,
 venez acheter du vin et du lait
 sans argent et sans rien payer.
2 Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas,
 vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
 Ecoutez-moi donc : mangez de bonnes choses,
 régalez-vous de viandes savoureuses !
 3 Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Ecoutez et vous vivrez.
 Je ferai avec vous une alliance éternelle,
 qui confirmera ma bienveillance envers David.

Voici la fin du deuxième livre d’Isaïe, tout entier tourné vers la fin de l’Exil et le retour vers le pays de la promesse : d’où le titre général de ce « livre de la consolation d’Israël » ; le chapitre 54 réitérait l’annonce du retour tant attendu ; le chapitre 55, le nôtre, précise bien dans quel esprit on doit rentrer. Rien de neuf donc dans tout cela, mais la répétition des thèmes majeurs de l’Alliance qu’on n’aurait jamais dû oublier, et qu’il est urgent d’assimiler si l’on ne veut pas revivre les mêmes cruelles expériences : quatre thèmes majeurs : je les prends dans l’ordre de notre texte :

 Premier thème, la gratuité des dons de Dieu « venez acheter sans rien payer »,
 Deuxième thème, la lutte contre l’idolâtrie,
 Troisième thème, l’écoute (ou la confiance, c’est la même chose) : « Prêtez l’oreille, venez à moi, écoutez et vous vivrez. »
 Quatrième thème : la fidélité de Dieu à son Alliance « Je ferai avec vous une alliance éternelle qui confirmera ma bienveillance envers David ».

 Le plus difficile à entendre, peut-être, pour nos oreilles humaines, c’est le premier thème, la gratuité des dons de Dieu, or c’est précisément l’insistance majeure de ce chapitre 55. Nous nous obstinons toujours à parler de mérites et de dignité à regagner pour paraître devant Dieu, alors que le propre de la miséricorde est d’aimer se pencher sur les petits et les pécheurs. Dans les versets suivants, Isaïe force encore le trait, il insiste : « Car vos pensées ne sont pas mes pensées, dit Dieu… »
 Combien de fois les philosophes ont-ils reproché aux religions d’inventer un Dieu à notre image! C’est Voltaire qui disait : « Dieu a fait l’homme à son image et l’homme le lui a bien rendu ». Et il avait raison en ce qui concerne les autres religions : c’est-à-dire que, spontanément (sans la Révélation biblique), nous imaginons un Dieu qui nous ressemble curieusement, qui éprouve les mêmes sentiments que nous : nous parlons de son amour, de sa justice, de sa colère, de son pardon sur le modèle de ce que nous vivons ; un amour limité et exclusif… une justice en forme de balance… une colère faite de frustration et de ressentiment… un pardon mesuré et conditionnel …
 Et même pour nous, les héritiers de la Bible, qui avons des siècles de Révélation derrière nous, si j’ose dire, ce n’est pas encore acquis. Et les paroles du deuxième livre d’Isaïe ne sont pas de trop pour nous le redire. Les images qu’il emploie sont celles de l’opulence : « Mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses ! » N’oublions pas qu’elles sont adressées à des exilés réduits aux travaux forcés à Babylone, pour qui des images de banquets ressemblent à des rêves irréalisables. Et cette profusion de bonnes choses est totalement gratuite, ce qui est plus invraisemblable encore, à vues humaines : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » Voilà les images que le prophète a choisies pour faire comprendre à ses contemporains la générosité du Dieu d’Israël. Si j’osais, je dirais « Au supermarché de Dieu, tout est toujours gratuit » !
 Généralement, quand on tient ce genre de propos, il se trouve toujours quelqu’un pour dire « si nous n’avons pas besoin de gagner des mérites, alors nous allons nous conduire n’importe comment … » Je ne le crois pas du tout ; le jour où nous serons vraiment convaincus, et donc éblouis de l’amour de Dieu, alors notre coeur changera et nous commencerons à lui ressembler : le feu prendra et nous entrerons petit à petit dans le registre de la gratuité.
 Notre Eglise a une tâche redoutable, il me semble : elle est une institution humaine, elle vit dans une société bâtie sur le commerce plus que sur le service ; et c’est au coeur même de cette société qu’elle doit faire germer le royaume de la gratuité. Il nous est interdit au nom de l’évangile et même au nom des prophètes de l’Ancien Testament de nous comporter comme une entreprise… Chaque fois que nous quittons le registre de la gratuité dans nos paroles ou dans nos actes, nous sommes loin des chemins de Dieu, pour reprendre le vocabulaire d’Isaïe. Notre mission de baptisés, c’est de témoigner au milieu des hommes non pas d’un AILLEURS, mais d’un AUTREMENT.
 Le deuxième thème, à peine esquissé, mais bien présent, c’est la lutte contre l’idolâtrie : « Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? » C’est-à-dire : ne cherchez pas ailleurs de faux bonheurs. On sait que la tentation d’idolâtrie n’était pas morte encore chez les exilés : pour la bonne raison que les dieux de leurs vainqueurs semblaient plus efficaces ! Cette deuxième partie du livre d’Isaïe, qui renferme les prédications du temps de l’Exil lutte vigoureusement contre cette tentation sans cesse renaissante. Dieu seul détient les clés de notre bonheur et de notre liberté et, avec lui, tout est donné. Il suffit de lui faire confiance.
 Et c’est le troisième thème : « Prêtez l’oreille, venez à moi, écoutez et vous vivrez. » Nous qui prêtons l’oreille si volontiers à tant de publicités commerciales, (c’est-à-dire intéressées, dictées par le souci du profit), comment se fait-il que cette publicité-là, celle d’Isaïe, au nom de Dieu, frappée au coin de la gratuité ne nous « accroche » pas plus, si j’ose dire. Justement peut-être parce qu’il s’agit de gratuité et que cela nous est étranger. Le chemin de la gratuité est bien au-dessus de nos chemins de calcul et de donnant-donnant. Pourquoi ne pas admettre une fois pour toutes que nous sommes sans argent (je veux dire sans titres à faire valoir) devant Dieu et qu’il n’attend de nous qu’un coeur offert, une « oreille ouverte », comme dit la Bible. « Ecoutez, c’est-à-dire faites-moi confiance, attachez-vous à moi et vous vivrez », dit Isaïe.
 Enfin, le quatrième thème de ce texte, et bien dans la ligne des deux autres, c’est la fidélité de Dieu à son Alliance « Je ferai avec vous une alliance éternelle qui confirmera ma bienveillance envers David ». C’est encore l’une des grandes lignes de force des prédications du deuxième Isaïe : exilés, on craignait d’être abandonnés de Dieu à tout jamais. On avait tant de fois manqué aux commandements dans le passé, Dieu ne s’était-il pas lassé de son peuple ? Non, bien sûr. Puisque son amour est totalement gratuit et sans conditions, le début de ce texte nous l’a rappelé, il ne remet jamais en cause son Alliance. Au contraire, il la renouvelle à chaque instant : l’allusion à David confirme l’enracinement lointain et la durée indéfectible de cette Alliance.
 C’est un rappel des promesses faites jadis à David par le prophète Natan (2 S 7). Depuis ces lointains débuts de la royauté en Israël, on sait que sa dynastie fera naître un jour celui qu’on appelle le Messie et qui apportera définitivement la liberté et la paix à son peuple. Pendant l’Exil à Babylone, ces lointaines promesses pourraient paraître caduques, raison de plus pour que le prophète les rappelle.  

Pape Benoît: Ap 15, 3-4 (Hymne d’adoration et de louange)

13 juillet, 2011

du site:

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2005/documents/hf_ben-xvi_aud_20050511_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 11 mai 2005

Hymne d’adoration et de louange

Lecture:  Ap 15, 3-4
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Apocalypse 15

Revelation 15 French: Martin (1744)

http://mar.saintebible.com/revelation/15.htm
 
1 Puis je vis au ciel un autre signe, grand et admirable, [savoir] sept Anges qui avaient les sept dernières plaies; car c’est par elles que la colère de Dieu est consommée.
2 Je vis aussi comme une mer de verre mêlée de feu, et ceux qui avaient obtenu la victoire sur la bête, sur son image, sur sa marque, et sur le nombre de son nom, se tenant sur la mer qui était comme de verre, et ayant les harpes de Dieu,
3 Qui chantaient le Cantique de Moïse serviteur de Dieu, et le Cantique de l’Agneau, en disant : que tes œuvres sont grandes et merveilleuses, ô Seigneur Dieu tout-puissant! tes voies [sont] justes et véritables, ô Roi des Saints!
4 Seigneur, qui ne te craindra, et qui ne glorifiera ton Nom? car tu es Saint toi seul, c’est pourquoi toutes les nations viendront et se prosterneront devant toi; car tes jugements sont pleinement manifestés.
5 Et après ces choses je regardai, et voici le Temple du Tabernacle du témoignage fut ouvert au ciel. 6 Et les sept Anges qui avaient les sept plaies sortirent du Temple, vêtus d’un lin pur et blanc, et ceints sur leurs poitrines avec des ceintures d’or. 7 Et l’un des quatre animaux donna aux sept Anges sept fioles d’or, pleines de la colère du Dieu vivant aux siècles des siècles. 8 Et le Temple fut rempli de la fumée qui [procédait] de la majesté de Dieu et de sa puissance; et personne ne pouvait entrer dans le Temple jusqu’à ce que les sept plaies des sept Anges fussent accomplies.

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Chers frères et soeurs,

1. Le Cantique que nous venons d’entendre et avons ainsi repris en l’élevant comme un hymne de louange au « Seigneur Dieu tout-puissant » (Ap 15, 3) possède un caractère bref et solennel, incisif et grandiose. Il s’agit là de l’un des nombreux textes de prière placés dans l’Apocalypse, le dernier livre de l’Ecriture Sainte, livre de jugement, de salut et surtout livre d’espérance.
En effet, l’histoire ne se trouve pas entre les mains de puissances obscures, du hasard ou des seuls choix humains. Sur le déchaînement des énergies malfaisantes que nous voyons, sur l’irruption véhémente de Satan, sur l’apparition de tant de fléaux et de maux, s’élève le Seigneur, arbitre suprême du cours de l’histoire. Il la conduit avec sagesse vers l’aube des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, chantés dans la partie finale du livre sous l’image de la nouvelle Jérusalem (cf. Ap 21, 22).
Ceux qui entonnent le Cantique sur lequel nous méditerons à présent sont les justes de l’histoire, les vainqueurs de la Bête satanique, ceux qui à travers la défaite apparente du martyre sont en réalité les artisans véritables du monde nouveau, dont Dieu est l’artisan suprême.
2. Ils commencent en exaltant les « grandes et merveilleuses oeuvres » et les « voies justes et droites » du Seigneur (cf. v. 3). Le langage utilisé dans ce Cantique est celui qui est caractéristique de l’exode d’Israël de l’esclavage égyptien. Le premier cantique de Moïse – prononcé après le passage de la Mer Rouge – célèbre le Seigneur « redoutable en exploits, artisan  de  merveilles »  (Ex  15, 11). Le deuxième cantique – rapporté par le Deutéronome au terme de la vie du grand législateur – réaffirme que « son oeuvre est parfaite, car toutes ses voies sont le Droit » (Dt 32, 4).
On souhaite donc réaffirmer que Dieu n’est pas indifférent aux événements humains, mais qu’il pénètre dans ceux-ci en réalisant ses « voies », c’est-à-dire ses projets et ses « oeuvres » efficaces.
3. Selon notre hymne, cette intervention divine a un objectif bien précis:  être un signe qui invite tous les peuples de la terre à la conversion. L’hymne invite donc chacun de nous sans cesse à la conversion. Les nations doivent apprendre à « lire » dans l’histoire un message de Dieu. L’aventure de l’humanité n’est pas confuse et sans signification, elle n’est pas non plus destinée sans recours aux prévarications des violents et des pervers.
Il existe la possibilité de reconnaître l’action divine cachée dans l’histoire. Le Concile oecuménique Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et spes, invite lui aussi le croyant à scruter, à la lumière de l’Evangile, les signes des temps pour trouver en eux la manifestation de l’action même de Dieu (cf. nn. 4 et 11). Cette attitude de foi conduit l’homme à reconnaître la puissance de Dieu en oeuvre dans l’histoire, et à s’ouvrir ainsi à la crainte du nom du Seigneur. Dans le langage biblique, en effet, cette « crainte » de Dieu n’est pas une peur, elle ne coïncide pas avec la peur; mais la crainte de Dieu est une tout autre chose:  elle est la reconnaissance du mystère de la transcendance divine. Celle-ci se trouve donc à la base de la foi et se mélange à l’amour. Dans le Deutéromone, l’Ecritiure Sainte dit:  « Le Seigneur ton Dieu te demande de le craindre et de l’aimer de tout ton coeur et de toute ton âme » (cf. Dt 10, 12). Et saint Hilaire, Evêque du IV siècle a dit:  « Toute notre crainte est dans l’amour ».
C’est dans cette optique que, dans notre bref hymne tiré de l’Apocalypse, s’unissent la crainte et la glorification de Dieu. L’hymne dit:  « Qui ne craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom? (15, 4). Grâce à la crainte du Seigneur, l’on n’a pas peur du mal qui envahit l’histoire et l’on reprend avec vigueur le chemin de la vie. Précisément grâce à la crainte de Dieu, nous n’avons pas peur du monde et de tous ses problèmes, nous n’avons pas peur des hommes parce que Dieu est plus fort. Le Pape Jean XXIII a dit un jour:  « Celui qui croit n’a pas peur, parce qu’en craignant Dieu qui est bon, il n’a pas peur du monde et de l’avenir ». Et ainsi disait le prophète Isaïe:  « Fortifiez les mains affaiblies, affermissez les genoux qui chancellent. Dites aux coeurs défaillants:  « Soyez forts, n’ayez pas peur »" (Is 35, 3-4).
4. L’hymne se termine par la prévision d’une procession universelle de peuples qui se présenteront devant le Seigneur de l’histoire, révélé à travers ses « jugements justes » (cf. Ap 15, 4). Ils se prosterneront en adoration. Et l’unique Seigneur et Sauveur semble leur répéter les paroles prononcées le dernier soir de sa vie terrestre quand il a dit à ses Apôtres:  « Ayez confiance; j’ai vaincu le monde! » (Jn 16, 33).
Nous voulons conclure notre brève réflexion sur le cantique de l’ »Agneau victorieux » (cf. Ap 15, 3), entonné par les justes de l’Apocalypse, par un antique hymne du lucernaire, c’est-à-dire de la prière vespérale, déjà connu de saint Basile de Césarée. Cet hymne dit:  « Parvenus  au  coucher  du soleil, en voyant la lumière du soir, nous chantons le Père, le Fils et l’Esprit Saint de Dieu. Tu es digne d’être chanté en tout moment avec des voix saintes, Fils de Dieu, toi qui donnes la vie. C’est pourquoi le monde te glorifie » (S. Pricoco-M. Simonetti, La prière des chrétiens, Milan 2000, p. 97).

Merci!

Commentaire sur le lavement des pieds – Saint Jean Chrysostome

14 mars, 2011

du site:

http://www.cathoweb.org/catho-bliotheque/lecture-spirituelle/docteurs-et-pere-de-l-eglise/commentaire-sur-le-lavement-des-344.html

Commentaire sur le lavement des pieds – Saint Jean Chrysostome

Publié le 9 avril 2009 par Jean-Baptiste Balleyguier
 
1. Bonté de Jésus-Christ envers ses ennemis et envers tous les hommes.
2. Saint Chrysostome a cru que Jésus-Christ lava les pieds de Judas les premiers. — Le lavement des pieds était une admirable leçon d’humilité donnée par le Seigneur à ses apôtres.
3. Avoir soin des veuves et des orphelins.

1.  » Soyez mes imitateurs « , dit saint Paul,  » comme je le suis moi-même de Jésus-Christ ». (1 Cor. XI, 1.) Car il à pris une chair de notre nature afin de nous enseigner la vertu par la chair,  » semblable « , dit l’apôtre,  » à la chair de péché ; et par le péché même, il a condamné le péché dans la chair « . (Rom. VIII, 3.) Et Jésus-Christ dit lui-même : a Apprenez ode moi que je suis doux et humble de cœur « . (Matth. xi, 29.) Il nous l’a appris non-seulement par ses paroles, mais encore par ses exemples. Les Juifs l’appelaient samaritain, possédé du démon, séducteur, et lui jetaient des pierres. Tantôt les pharisiens ont envoyé des archers pour le prendre, tantôt ils lui ont fait tendre des piéges par d’autres ; souvent ils font eux-mêmes outragé, quoique néanmoins ils n’eussent aucun reproche à lui faire, et qu’au contraire il leur fit fréquemment du bien. Et cependant, après tant d’insultes et d’outrages, il ne cesse point de les assister par ses paroles et par ses oeuvres. Un valet le frappe, et il répond :  » Si j’ai mal parlé, faites avoir le mal que j’ai dit ; mais si j’ai bien t parlé, pourquoi me frappez-vous ?  » (Jean, XVIII, 23.)
Mais c’est à ses ennemis, c’est à ceux qui lui dressaient des embûches que Jésus a parlé de la sorte ; voyons maintenant comment il en use à l’égard de ses disciples, ou plutôt ce qu’il fait pour un traître. Judas, le plus indigne et le plus détestable de tous les hommes, est reçu au nombre des disciples, mange à la table de son Maître, voit les miracles qu’il opère, en reçoit mille bienfaits, et il commet l’action la plus noire et la plus horrible qu’on puisse imaginer. Il ne lui jette pas de pierres, il ne lui dit point d’injures, mais il le trahit ; voyez cependant avec quelle douceur, avec quelle bonté Jésus-Christ le reçoit ; il lave ses pieds pour le détourner d’une si grande perfidie par ce bon office. Toutefois, s’il l’eût voulu, il pouvait le faire sécher de même que le figuier (Matth. XXI, 19) ; il pouvait le fendre en deux , de même qu’il fendit les pierres et déchira le voile du temple. (Id. XXVIII, 51.) Mais le Sauveur ne voulut point user de violence, il ne voulut pas le tirer par force du dessein qu’il avait conçu de le trahir ; voilà pourquoi il lava les pieds de ce malheureux, de ce misérable, que cela ne fit pourtant point rentrer en lui-même. » Avant la fête de Pâques », dit l’évangéliste,  » Jésus sachant que son heure était venue « . Ce ne fut pas seulement alors que Jésus le sut, entendez que c’est alors qu’il fit ce qui va suivre, mais il était instruit depuis longtemps.  » De passer ». L’évangéliste appelle la mort de [ 450] Jésus-Christ un passage. Cette expression est magnifique. Faites-vous attention, mes frères, que le divin Sauveur étant sur le point de se séparer de ses disciples, leur donne des marques d’un plus grand et plus violent amour ? Ces paroles :  » Comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’à la fin « , signifient : il n’a rien omis de ce que doit faire celui qui aime ardemment. Pourquoi dès le commencement Jésus-Christ n’a-t-il pas témoigné à ses disciples cet ardent amour ? Il leur en donne de plus grands témoignages à la fin de sa vie, pour augmenter leur charité et leur inspirer plus de fermeté et de courage à souffrir les maux qui leur devaient arriver. Au reste, saint Jean dit :  » Les siens « , par rapport à leur union et leur attachement à Jésus-Christ, car il donne aussi le même nom aux autres hommes par rapport à la création , comme quand il dit :  » Les siens ne l’ont point reçu « . (Jean, I, 11.)
Pourquoi ces mots :  » Qui étaient dans le monde ?  » Parce qu’il y avait aussi des siens qui étaient morts, Abraham, Isaac, Jacob, et plusieurs autres qui n’étaient point dans le monde. Ne remarquez-vous pas que Jésus-Christ est Dieu de l’Ancien et du Nouveau Testament ? Que signifie cette parole :  » Il les aima jusqu’à la fin ?  » C’est-à-dire, il a persévéré à les aimer, et l’évangéliste dit que c’est là un témoignage d’un grand amour. (Jean, x, 15.) Ailleurs il en produit un autre, à savoir, que Jésus-Christ a donné sa vie pour ses amis, mais cela n’était point encore arrivé. Pourquoi donne-t-il maintenant à ses disciples ces marques de son ardent amour ? Parce que de pareils témoignages dans un temps où il était si illustre et dans une si haute réputation, étaient plus touchants et beaucoup plus admirables, et aussi parce que se séparant d’eux, il a voulu leur laisser un plus grand sujet de consolation. Cette séparation ne pouvait manquer de jeter les disciples dans une profonde tristesse, le Sauveur a la bonté de leur donner une consolation proportionnée. » Et après le souper, le diable ayant déjà a mis dans le coeur de Judas le dessein de le trahir (2) « . L’évangéliste rapporte cette circonstance, tout étonné que son Maître lave les pieds de celui qui a résolu de le trahir. Il fait connaître l’extrême méchanceté de ce perfide, que ne purent retenir ni un repas pris en commun, ce qui est la chose du monde la plus capable de changer un cœur et d’étouffer tous les mauvais sentiments, ni la douceur d’un Maître qui se possède si bien. » Jésus, qui savait que son Père lui avait  » mis toutes choses entre les mains, qu’il était  » sorti de Dieu , et qu’il s’en retournait à  » Dieu (3) « . C’est encore avec admiration que saint Jean mentionne ceci. Quoi ! Jésus est si grand et d’une nature si relevée et si excellente, qu’il est sorti de Dieu, qu’il retourne à Dieu, et qu’il commandé à toutes choses ; et néanmoins il lavé les pieds d’un traître, et néanmoins il s’abaisse à une action si humiliante et si disproportionnée à sa dignité !Quand l’évangéliste dit que le Père a mis toutes choses entre les mains de Jésus, je pense qu’il a en vue le salut des fidèles ; car lorsque Jésus-Christ dit :  » Mon Père m’a mis a toutes choses entre les mains  » (Matth. II, 27), il parlé de cette sorte de don ; comme aussi quand il dit ailleurs.  » Ils étaient à vous, et vous mêles avez donnés  » (Jean, XVII, 6) ; et derechef :  » Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l’attire  » (Jean, VI, 44) ; et :  » S’il ne lui a été donné du ciel « . (Jean, III, 27.) Voilà ce qu’il veut dire, ou encore qu’il ne doit rien perdre pour cela de son élévation, lui qui est sorti de Dieu, qui retourne à Dieu (Sag, I), et qui tient tout sous son pouvoir.
Lorsque vous entendez ce mot :  » remettre », ne vous figurez rien d’humain : l’évangéliste ne fait qu’indiquer par là l’honneur que Jésus Christ rend à son Père, et son union avec lui, Comme son Père lui remet, de même aussi il remet à son Père : saint Paul le déclare en disant :  » Lorsqu’il aura remis son royaume à son Dieu et au Père v,. (I Cor. XV, 21.) Le Sauveur parle donc ici d’une manière humaine ; il fait connaître à ses disciples qu’il a pour eux une charité ineffable, qu’il a soin d’eux comme d’un héritage qui lui appartient, et il leur apprend que l’humilité, qu’il dit être aussi le commencement et la fin de la vertu, est la source de tous les biens. Et ce n’est pas en vain que l’évangéliste a mis ces mots :  » Il est sorti de Dieu, et il retourne à Dieu  » ; c’est pour nous apprendre que Jésus-Christ n’a rien fait qui ne fût digne de celui qui est sorti de Dieu et qui y retourne ; et qu’il a foulé aux pieds le faste et toutes les vanités de ce monde.

2.  » Et s’étant levé de table, et ayant quitté [451] ses vêtements (4) « . Remarquez, mes frères, jusqu’où va l’humilité du divin Sauveur : il ne la borne point à laver les pieds de ses disciples, mais il l’étend aussi à bien d’autres choses ; car, c’est après s’être assis, après que tous s’étaient assis, qu’il se leva de table. Ensuite, non-seulement il lava leurs pieds, mais il quitta ses vêtements. Et il ne se contenta pas de cela, mais il mit un linge autour de lui, et ce ne fut pas encore assez pour lui ; il remplit lui-même le bassin d’eau, et ne le donna point à un autre à remplir. Il fait tout lui-même ; en quoi il montre et nous apprend que, quand nous faisons ces petites choses en manière de bonnes oeuvres, nous ne les devons point faire négligemment ni par manière d’acquit, mais avec beaucoup de zèle.
Il me semble que Jésus-Christ lava premièrement les pieds de Judas, d’après ce que dit l’évangéliste :  » Jésus commença à laver les pieds de ses disciples (5) « , et sur ce qu’il ajoute :  » Il vint à Simon Pierre ; qui lui dit :  » Quoi ! vous me laveriez les pieds (6) ?  » Avec ces mêmes mains, dit-il, avec lesquelles vous avez ouvert les yeux des aveugles, vous avez guéri les lépreux, vous avez ressuscité les morts ? Ces paroles ont un grand, sens et une grande force. C’est pourquoi il n’a eu besoin que de ce mot : Vous, qui seul exprime et signifie tout.On peut ici justement demander pourquoi nul n’a fait de difficultés, si ce n’est Pierre seul, quand cette résistance n’eût pas été un médiocre témoignage d’amour et de respect quelle en est donc la raison ? Il me semble que le Sauveur commença par laver les pieds du traître, avant de venir à Pierre, et que les autres après furent avertis. Car par ces paroles :  » Il vint donc à Pierre « , il est visible que Jésus ne lava les pieds d’aucun autre avant ceux de Judas. Mais l’évangéliste n’est pas un violent accusateur ; il se borne à une insinuation, en disant :  » Il commença « . Quoique Pierre fût le premier, il y a toute apparence que le traître , qui était hardi et effronté, s’assit avant son chef. Et, en effet, son insolence s’était déjà fait connaître par d’autres traits, comme lorsqu’il mit la main au plat avec son Maître (Matth. XXVI, 23), et lorsqu’ayant été repris de ses vices, il n’en fut point touché de componction : bien différent de Pierre, qu’une seule réprimande que lui avait faite son Maître longtemps auparavant,pour lui avoir indiscrètement parlé, quoique par un excès d’amour, retint et intimida si fort, qu’ayant quelque chose à lui demander dans la suite, il n’osa lui-même l’interroger, et dans sa crainte s’adressa à un autre. Mais le traître Judas fut souvent réprimandé, et il ne le sentit, et il ne s’en aperçut même pas. » Jésus étant donc venu à Pierre, Pierre lui dit : Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds ? Jésus lui répondit : Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez ensuite (6 , 7)  » , c’est-à-dire , vous ne connaissez pas le fruit, l’utilité , l’abondante instruction qui revient de cet exemple, ni à quelle humilité il peut porter les hommes. Que répondit Pierre ? II résiste , il s’oppose encore, et il dit.  » Vous ne me laverez jamais les pieds (8) « . Pierre, que faites-vous ? Vous ne vous souvenez pas de ce que vous a déjà répondu votre Maître, lorsque vous lui avez dit :  » Epargnez-vous à vous-même tous ces maux [1] ?  » (Matth. XVI , 22.) N’avez-vous pas ouï qu’il vous a répondu :  » Retirez-vous de  » moi, Satan ?  » (Ibid. 23.) Vous ne vous corrigez pas, et vous vous laissez encore aller à votre humeur vive et bouillante ? Oui , dit-il, car ce que je vois m’étonne et me surprend prodigieusement. Mais Jésus-Christ reprend encore Pierre , et, pour cela, il se sert justement du violent amour qui lui suggérait cette résistance. Comme donc la première fois il lui fit une forte réprimande et lui dit :  » Vous  » m’êtes un sujet de scandale  » (Matth. Ibid.) ; de même à présent il lui parle en ces termes  » Si je ne vous lave, vous n’aurez point de  » part avec moi « . Que répond donc cet homme vif et bouillant ?  » Seigneur, non-seulement  » les pieds, mais aussi les mains et la tête (9) « . II est prompt, il est vif dans sa résistance, il est encore plus vif et plus prompt dans sa soumission. Mais l’un et l’autre part de son amour.Mais pourquoi Jésus-Christ ne lui a-t-il pas expliqué la raison qu’il avait de laver ainsi les pieds, et lui a-t-il fait des menaces ? Parce qu’autrement Pierre n’aurait point obéi. Si Jésus-Christ avait dit : Laissez-moi faire, je vous apprendrai par cette action à être humble , Pierre aurait mille fois protesté qu’il serait humble, pour empêcher le Seigneur de s’humilier à ce point. Mais maintenant, que dit Jésus-Christ ? Il le menace de ce que Pierre craignait le plus : savoir, d’être séparé de son Maître. C’est lui qui lui demandait souvent où il irait, et lui disait pour cette raison :  » Je donnerai ma vie pour vous « . Si, ayant entendu dire à son Maître :  » Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez ensuite  » , il ne cessa pas de résister ; bien moins aurait-il cédé, s’il avait déjà su de quoi il s’agissait. Voilà pourquoi Jésus lui dit :  » Vous le saurez ensuite  » ; sachant bien que si Pierre avait connu son intention, il aurait encore résisté davantage. Et Pierre ne dit point : Apprenez-le-moi maintenant, afin que je vous laisse faire ; mais, ce qui marquait plus de vivacité, il n’eut même pas la patience de l’apprendre , et continua à résister. Non , dit-il,  » vous ne me laverez point les pieds « . Mais lorsque Jésus l’eût menacé de n’avoir point de part avec lui, il se rendit et obéit sur-le-champ.Maintenant, que signifie cette parole :  » Vous le saurez ensuite ?  » En quel temps ? Lorsque vous chasserez les démons en mon nom, lorsque vous me verrez m’élever dans le ciel, lorsque vous aurez appris du Saint-Esprit que je suis assis à la droite de mon Père : vous saurez alors ce que je fais maintenant. Que répondit donc Jésus-Christ ? Comme Pierre avait dit.  » Non-seulement les pieds, mais aussi les  » mains et la tête  » , le Sauveur lui dit :  » Celui qui a déjà été lavé n’a plus besoin que de se laver les pieds , et il est pur dans tout  » le reste (10). a Et pour vous aussi, vous êtes purs,  » mais non pas tous. Car il savait qui était  » celui qui le devait trahir (11) « . S’ils sont purs, pourquoi lavez-vous leurs pieds ? C’est pour vous apprendre à vous abaisser et à vous humilier. Voilà pourquoi le Sauveur a lavé seulement celui des membres qui paraît le plus vil de tous.Et que signifient ces paroles :  » Celui qui a été lavé ?  » C’est-à-dire : Celui qui est pur. Mais les disciples étaient-ils purs, eux qui n’étaient point encore délivrés de leurs péchés , qui n’avaient pas encore reçu le Saint-Esprit ? Etaient-ils purs, lorsque le péché dominait encore dans le monde, lorsque l’arrêt de notre condamnation subsistait, lorsque la victime n’avait point encore été offerte ? Comment donc Jésus-Christ les dit-il purs ? Il les dit purs : mais afin que vous ne croyiez pas que, pour être purs, ils fussent entièrement affranchis du péché, il a ajouté.  » Vous êtes déjà purs à cause des instructions que je vous ai données  » (Jean, XV, 3) ; c’est-à-dire, vous êtes purs, en ce sens que vous avez reçu ma parole : vous avez déjà reçu la lumière : déjà vous êtes délivrés des erreurs et des superstitions juives. Le prophète dit :  » Lavez-vous, purifiez-vous, chassez la malice de vos coeurs ». (Isaïe , I, 16.) C’est pourquoi , celui qui a fait ces choses, est lavé et pur. Les disciples ayant donc renoncé à toutes sortes de malices, et vivant avec leur Maître dans une grande pureté d’esprit et de tueur, Jésus-Christ les dit purs, selon la parole du prophète : Celui quia été lavé est déjà pur. Car le Sauveur n’a point en vue ici la pureté légale qui s’acquiert par l’eau et les cérémonies judaïques : il parle de la pureté de conscience.

3. Soyons donc purs nous-mêmes aussi : apprenons a faire le bien. Et qu’est-ce que faire le bien ?  » Faites justice à l’orphelin, défendez la veuve  » ; et, après cela :  » Venez, et disputons [2] , dit, le Seigneur « . L’Ecriture fait souvent mention des veuves et des orphelins : mais nous n’y avons nul égard. Pensez pourtant à la récompense promise.  » Quand vos péchés « , dit le Seigneur,  » seraient comme l’écarlate, je les rendrai blancs comme la neige ; et quand ils seraient rouges comme le vermillon, je les rendrai blancs comme la neige la plus blanche « . Une veuve n’a personne pour la défendre et la protéger ; voilà pourquoi lé Seigneur en prend un grand soin, Une veuve est une femme qui, pouvant se remarier, souffre, par crainte de Dieu, les peines et les afflictions de la viduité. Tendons-leur donc la main, nous tous, et hommes et femmes, de peur que nous ne soyons un jour dans la même peine. Que si nous devons y tomber, assurons-nous par là à nous-mêmes la charité d’autrui.
Les larmes des veuves n’ont pas peu de force et de vertu, elles peuvent ouvrir le ciel même. Gardons-nous bien de les insulter, d’augmenter leurs peines et leurs calamités : mais au contraire assistons-les de toutes manières. Si nous le faisons, nous nous procurerons un asile bien sûr, et dans ce monde et clans l’autre. Ce n’est pas ici-bas seulement que ces femmes nous seront d’un grand secours, c’est encore en l’autre vie ; puisque le bien que nous leur aurons fait retranchera et effacera la plus grande partie de nos péchés, et nous fera comparaître avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ. Puissions-nous jouir tous de ce bonheur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles !

Ainsi soit-il.

Au désert comme au sanctuaire, une présence

22 novembre, 2010

du site:

http://www.spiritualite2000.com/page-133.php

CÉLÉBRER LES HEURES

1 février 2001

Au désert comme au sanctuaire, une présence – Psaume 62

Alain Gignac

S’il est un psaume que l’on connaît par coeur et que l’on croit comprendre à force de le répéter, c’est bien le Psaume 62 de la liturgie des Heures, repris au matin du dimanche de la première semaine et de toutes les Jetés. Un psaume familier, trop familier peut-être. Alain Gignac, professeur à la faculté de théologie de l’Université de Montréal, nous invite à jeter un regard neuf sur ce texte à partir de la version de la Septante.

1. Psaume de David, lorsqu’il était dans le désert de Judée.

2.- Dieu, mon Dieu, devant toi je suis matinal ;
Mon être eut soif de toi,
Combien de fois ma chair (eut soif) de toi ?
En une terre déserte, sans chemin, sans eau.
3. Ainsi dans le sanctuaire je fus vu par toi
Pour voir ta force et ta gloire :
4. « Meilleure au dessus des vies est ta miséricorde,
Mes lèvres feront ton éloge ;
5. Ainsi je te bénirai en ma vie,
En ton Nom je lèverai mes mains ;
6. Comme si de graisse et d’huile mon être était rempli,
Aussi, lèvres d’allégresse, ma bouche louera. »
7. Si je faisais mémoire de toi sur ma couche,
Dans les matins je m’exerçais (méditant) sur toi :
8. « Ta devins mon défenseur,
Et je serai en allégresse sous la couverture de tes ailes.
9. Mon être fut soudé derrière toi,
Ta droite me saisit.
10. Eux, cependant, en vain cherchèrent mon être :
Ils iront vers (l’endroit) le plus bas de la terre,
11. Ils seront livrés aux mains du sabre,
Ils seront (les) parts des renards. »
12. Le roi cependant se réjouira en Dieu ;
Quiconque jurant sur lui sera digne d’éloge ;
Parce que la bouche de ceux qui disent des choses injustes fut obstruée.

Une version viable pour un nouveau regard

Le texte ci-dessus a de quoi étonner. Plutôt que de commenter la traduction liturgique française du psaume, faite à partir du texte hébreu, je propose une traduction qui colle à la version grecque, dite de la Septante. Cette antique version fut élaborée au 3e siècle avant notre ère par la communauté juive d’Alexandrie. Elle fût ensuite la Bible des premiers chrétiens. Elle est très proche du texte hébreu qui fonde le texte de nos bibles mais opère ça et là quelques glissements significatifs, Or, durant toute l’Antiquité et le Moyen-Âge, les chrétiens prièrent les psaumes à partir de cette version grecque ou de sa traduction latine, intégrée par Jérôme à sa Vulgate’. Encore aujourd’hui, la numérotation liturgique du psautier est celle de la Septante. ..
Plus que tout texte biblique, les Psaumes sont avant tout paroles, reprises et recontextualisées à chaque génération. Or, ce jeu de l’Écriture, actualisée au moment même où elle se fait Parole sur nos lèvres, est à l’oeuvre dans le Psaume 62 lui-même. Au fil des versets, pour peu qu’on soit sensible aux métaphores, aux contrastes et aux aspérités du texte, s’ouvre un horizon de compréhension qui se renouvelle sans cesse.

Péché d’interprétation par omission? (v. L et 10-11)

La traduction liturgique omet les versets 10 et II, ainsi que le verset l. Ce choix oriente la prière vers une contemplation individuelle, paisible et spiritualisante, plus universelle aussi. Toutefois, il nous prive d’une clé de lecture susceptible de renouveler la prière.
. Les versets 10-11 décrivent le combat du priant face à ses ennemis. Peut-on prier avec un sentiment de haine ? Oui, répond le psaume, il faut prier avec ce que nous sommes et ce que nous portons. Car la prière ne se limite pas à une relation « Je-Tu», «moi devant toi, mon Dieu ». Acte solitaire, face à l’Autre, la prière demeure néanmoins une référence aux autres. Ceux-ci y ont leur place, même (et surtout) si ces autres sont mes ennemis.
. Le verset l indique dans quel esprit l’éditeur du psautier priait le Psaume 62 : « Psaume de David, lorsqu’il était dans le désert de Judée ». C’est une invitation à relire les versets qui suivent à la lumière du Premier livre de Samuel, qui raconte les aventures de David (7 Samuel 22 – 30). Peu importe que David soit l’auteur du poème, et encore moins que cette notice soit historiquement vérifiée (ou vérifiable) ! La notice situe la prière au désert (v. 2), lieu du combat et de l’épreuve (v. 7-11), en tension avec le sanctuaire (v. 3), lui-même lieu de l’action de grâce émerveillée et volubile (v. 4-6). On le verra, cette alternance des deux lieux de la prière structure le psaume.
Bref, ces versets omis par la liturgie des Heures rappellent à Forant que la prière est ouverture sur l’altérité et combat. Cette omission n’est pas péché d’interprétation, mais elle-même actualisation du texte…

Le contraste entre tableaux (V. 2-8)

Au verset 2, David prend la parole. Au Néguev où il s’est réfugié, hors-la-loi et vagabond, le futur roi s’identifie à cette terre sans chemin et sans eau qui l’a accueilli – le mot désert encadre le paragraphe aux versets l et 2. Le psaume s’ouvre sur un paysage flamboyant, celui du désert à l’aube, lorsque la crainte et le froid disparaissent, que les couleurs s’illuminent et que la terrible chaleur se lève. Un cri jaillit, premiers mots de la prière que les autres versets ne font que développer : « Dieu, mon Dieu » – cri que l’on rencontre deux autres fois dans le psautier (21, 2 ; 42, 4). Cri inaugural, où l’être – l’âme qui est la personne en toute son intégralité et son intégrité – se réduit à un amas de chair (littéralement : de viande). La prière est un cri de finitude
Le verset 3 fait contraste, en une sorte de flash-back : « Dans le sanctuaire je fus vu par toi, pour voir ta force et ta gloire. » Là où la traduction de la liturgie des Heures présente un parallélisme (« je t’ai contemplé… j’ai vu ta force et ta gloire»), la Septante souligne un mouvement fort intéressant, qui est celui même de la prière, par un jeu de mots autour du verbe voir, conjugué au passif et à l’infinitif : je me laisse voir par Dieu, tel que je suis, et c’est ainsi que je peux le voir.
Les versets 4-6 aient ce qu’était la prière au sanctuaire. En opposition à la chair informe (v. 2), les mots décrivent un visage, avec ses lèvres et sa bouche, une personne complète, debout, les mains levées. Ici, l’être n’est pas assoiffé ou diminué, mais rempli de graisse et d’huile. La traduction liturgique, en rendant cette image par le mot festin, lui enlève sa connotation cultuelle. Or, c’est une référence aux sacrifices d’animaux. Dans le sanctuaire, il est facile de louer Dieu et d’offrir un sacrifice, tandis que dans le désert, quelle peut être la louange, et que peut-on offrir, sinon soi-même réduit à l’état de chair ?
Au verset 7, retour à la case départ, c’est-à-dire au désert. Le guerrier attend l’aube (clin d’oeil au v. 2), dans son campement de fortune. Les versets 8-11 citent ce que peut être la prière en ce lieu. Le vocabulaire est militaire : combat, droite, ont cherché, sabre. Nous ne sommes plus dans l’intimité du sanctuaire, mais dans l’inconfort de la guerre, perdus au sein d’un vaste espace sauvage où les animaux sont compagnons de l’humain, que ce soient les renards (v. 11) ou l’aigle, évoqué pour dire la protection divine (v. 8). Les versets 8-9 redisent en d’autres mots, car dans un autre contexte, la prière des versets 4-6. David, le chantre du sanctuaire, est devenu le proscrit persécuté par Saül et craignant pour sa vie. Métamorphose paradoxale de la présence divine.
Un mot pourtant unit les deux tableaux : l’allégresse. Dans la contemplation, Dieu était présent ; dans le combat, Dieu l’est tout autant. Dans les deux cas, l’allégresse est suscitée par la miséricorde, meilleure que la vie, et même que toutes les vies (curieux pluriel !), au-dessus d’elles (v. 4). Ce triple pléonasme marque une insistance. Or, la miséricorde apparaît comme une présence enveloppante (v. 8, « sous la couverture de tes ailes »), irrésistible et intime (v. 9, « Mon être fut soudé derrière toi, Ta droite me saisit »). Fait notable : si l’allégresse et la louange se conjuguent au futur, comme une nécessité à venir, la miséricorde se conjugue au passé, comme une certitude.

Une relecture de l’ensemble du Psaume (V. 12)

Le verset 12, peut-être parce qu’il semble hors d’ordre, est omis (lui aussi !) par la liturgie des Heures. Il se présente comme une conclusion moralisante ajoutée au psaume : celui qui prie et s’appuie sur Dieu est un exemple à suivre, car la prière ne peut s’enraciner dans l’injustice. On y reprend trois thèmes du psaume : la joie, la louange, le sort des ennemis.
Or, ce verset pourrait s’avérer une clé de lecture pour la prière. Je le comprends comme une actualisation de tout le psaume : « Le roi cependant se réjouira en Dieu ; Quiconque jurant sur lui sera digne d’éloge ; Parce que la bouche de ceux qui disent des choses injustes fut obstruée. » Formulation non exempte d’ambiguïté : on croirait entendre un programme de gouvernement et une critique du gouvernement, tout à la fois. Le roi sera fidèle à Dieu et juste… Ainsi sa prière pourra-t-elle être entendue, contrairement à celle de l’injuste. Ainsi le roi pourra-t-il être loué par ses serviteurs. Ainsi le serviteur fidèle à un tel roi sera-t-il à son tour digne d’éloge.
Quel est le lien entre l’expérience de David décrite aux versets 2-11 et ce programme politique ? Imaginons une liturgie royale, au Temple, conduite par un prêtre qui s’adresse au roi pour lui donner David en exemple. Le successeur de David ne peut déjà plus redire ce psaume à la manière du fugitif au désert. L’expérience spirituelle de David est transposée au plan politique, comme critère de validation de l’institution monarchique. Mais pour nous, c’est une invitation à écrire une suite au psaume, un treizième verset inspiré de notre vie.
Une invitation à nous souvenir des moments de contemplation qui ont fondé notre expérience spirituelle, alors même que la plongée dans l’action semble nous éloigner de cette expérience. Ma prière est souvent sèche et aride, mais elle doit alors se nourrir des moments intenses et privilégiés de jadis…
Une invitation aussi à accepter une sécularisation de la prière. La culture actuelle n’est plus soumise à un encadrement sacré, spatial ou temporel. Il est lointain ce temps où les Vêpres se célébraient en paroisse. La prière ne se vit plus seulement au sanctuaire ; au coeur du désert de la vie profane s’ouvre un nouvel espace sacré. Comment discerner et construire ce nouvel espace ? Peut-être est- ce la question la plus cruciale du 3e millénaire.

NOTE : « l . La Vulgate contient deux traductions latines des psaumes. Pourquoi ? Saint Jérôme voulait traduire la Bible en latin a partir de l’hébreu, texte originel et donc préférable, selon lui. Or, les chrétiens étaient si attachés a leur traduction latine de la Septante que Jérôme fut obligé de déroger à sa règle hébraïque et d’inclure dans son ouvre une version latine à partir de la Septante et une autre faite à partir du texte breu. »

Source : Revue «Célébrer les Heures». No 21, printemps 1999.

Brève introduction aux Actes des Apotres, L’oeuvre de l’Evangéliste Luc

18 octobre, 2010

du site:

http://arras.catholique.fr/page-19071.html

Brève introduction aux Actes des Apotres

L’oeuvre de l’Evangéliste Luc

Luc a écrit une œuvre en deux parties : Evangile et Actes des Apôtres. Nos bibles séparent l’œuvre en deux pour mettre ensemble les 4 évangiles. Avec les Actes, nous espérons connaître l’histoire des premiers chrétiens, mais le lecteur moderne acceptera-t-il de se laisser dérouter par l’objectif et le langage de Luc, écrivain du premier siècle ? Luc témoigne, à sa manière à lui, de l’essor de la Parole : “La Parole de Dieu croissait et se multipliait.” Ac. 6,7. En présentant un itinéraire de Jérusalem à Rome, cœur de l’empire, Luc laisse de côté l’annonce au Sud (en Egypte, à Alexandrie), ou à l’Est (en Mésopotamie, à Babylone, l’actuel Irak).
Luc, chrétien de la 3ème génération, écrit vers 80, après la destruction de Jérusalem et la mort des premiers chrétiens dont Pierre, Paul, Jacques. A Rome, l’empereur Néron en a persécutés, mais Luc n’en dit rien. Nous découvrirons le groupe des Douze, des Sept, Pierre et Jean, Etienne, Paul, Barnabé, etc. Il nous faudra une carte pour situer des villes : Antioche, Ephèse, Lystres, Philippes ou Thessalonique, Corinthe ou Rome. A travers quelques récits ciblés et de nombreux discours, Luc justifie que des communautés de croyants parlent d’un Dieu présent au cœur de l’histoire ; ils proclament Jésus comme Christ et Seigneur : “Ce Jésus que vous avez crucifié, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes témoins”.
Luc parle le langage religieux de son époque, évoque sans complexe la présence de l‘Esprit Saint quand il s’agit de proclamer le Christ ou de rendre grâce à Dieu. Ses héros parlent et agissent au “Nom de Jésus”, jamais pour eux-mêmes. Parmi les alliés, nombre de Romains dont certains haut placés ; parmi les opposants, des gens de la Synagogue. Les Actes témoignent que le salut de Dieu est adressé à tous, Juifs et païens.

Les Actes et l’histoire.
 
Une première lecture en continu est objet de découvertes et provoque à mémoriser le contenu des récits et des discours. Notre esprit sera sollicité par chaque détail “pour mieux comprendre”. C’est utile mais s’arrêter à tout instant peut empêcher de garder à l’esprit le fil de la pensée de l’auteur.
En lisant les Actes dans leur ensemble, nous ouvrons une porte sur un monde partiellement connu mais souvent surprenant. Luc écrit un “récit des commencements”. Il fait œuvre de justification pour son temps : la Bonne Nouvelle proclamée par Jésus a poursuivi son chemin jusqu’aux extrémités de la terre. Si l’annonce a été rejetée par les Juifs, les païens, eux, écouteront, Ac 28,28. Evitons de chosifier les récits en demandant : comment cela s’est-il passé ? Demandons-nous surtout : Comment et pourquoi Luc témoigne de la première annonce de l’Evangile ?
 
Les Actes de apôtres. Selon Luc 
Saint Paul à Athènes

Les maisons d’Evangile.
 
Quatre intuitions sont à l’origine de l’initiative :
 La lecture de l’ensemble d’un livre ;
la lecture ensemble, en Eglise ;
oser prendre la parole à partir du texte de la Bible ;
devenir familier de l’Ecriture.
Découvrir et comprendre le témoignage de Luc, le recevoir, c’est porter attention à ce qu’il a écrit, avec les mots qu’il a utilisés, sans trop laisser notre esprit dévier par les multiples débats d’idées, certes utiles, mais qui risquent de nous éloigner du dialogue que Dieu veut entretenir avec nous comme avec des amis.

Les discours, dans les Actes
 
Les Actes sont composés pour un tiers de discours. Or, dans la primitive Eglise, aucun secrétaire n’a pris en notes les propos des apôtres. Ces propos ont été reconstitués par Luc. C’est conforme au modèle des historiens de l’Antiquité qui aimaient placer des discours sur les lèvres de leurs héros. Mais personne n’avait pris de notes. Ces historiens suivaient le principe adopté par Thucydide : “J’ai exprimé ce qu’à mon avis ils auraient pu dire qui répondit le mieux à la situation.”
Ainsi Luc se représente Pierre s’adressant aux Juifs à Jérusalem ou Paul aux habitants d’Athènes. Plus que les idées, il importe de repérer dans quelles circonstances et comment s’établissent –ou non- les relations entre les personnes en vue d’annoncer le Christ Jésus. Nous serons cependant troublés par la logique (la rhétorique) de Luc qui n’est pas la nôtre, étonnés aussi par son univers de symboles. Dans les discours aux Juifs, le renvoi à l’Ancien Testament est systématique. Par exemple, qui sait que la Pentecôte est la fête juive de l’Alliance au Sinaï entre Dieu et son peuple libéré ?
Dans les discours aux païens, à Athènes par exemple, Paul cherche une ouverture à partir de leur culture. C’est un essai d’inculturation. Est-ce réussi ou non ? Toujours est-il que le nom de Jésus a été proclamé jusqu’à nous qui, à notre tour, sommes appelés à faire entendre le nom de Jésus, à chacun dans sa langue maternelle.
Au fil de la lecture, bien des questions jailliront. Elles pourront faire l’objet d’explications à l’aide des fiches de lecture, sans pour autant transformer les maisons d’Evangile en groupes de formation. Ce n’est pas l’objectif du projet et le temps de rencontre est limité à une heure ½ : il comprend le temps de la lecture, de l’échange et de la prière. La fiche 00 propose un déroulement-type. On peut toujours solliciter le service diocésain à propos des questions apparues : Maison d’Evangile BP 1016 62008 Arras cedex, ou
hennart-eh@orange.fr

Abbé Emile Hennart et l’équipe de préparation

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