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Des parents à la rencontre de Jésus

3 décembre, 2012

http://www.bible-service.net/site/1579.html

Des parents à la rencontre de Jésus

Parmi les personnes qui rencontrent Jésus, il est une catégorie qui mérite une mention spéciale : ce sont les parents confrontés à la maladie ou la mort d’un enfant. Les épisodes du paralytique de Capharnaüm (Mc 2,1-12 et //) ou de l’aveugle de Bethsaïde, tout comme les sommaires des évangiles synoptiques, nous ont déjà rendus attentifs aux groupes indifférenciés qui accompagnent les malades et parfois intercèdent pour eux. Un pas se trouve franchi quand le lecteur se trouve en présence d’intercesseurs ayant un lien de parenté avec celui/celle qui souffre : le quatrième évangile nous montre des sœurs supplier pour leur frère malade (Jn 11,3), mais les synoptiques parlent exclusivement de père ou de mère intercédant pour leur enfant.

Parents et enfants
Chez Marc, Matthieu et Luc, tout se concentre sur les relations entre parents et enfants comme l’atteste le tableau ci-après. Pour être complet, il aurait peut-être fallu ajouter la belle-mère de Simon-Pierre (Mc 1,29-31 et //), mais l’intercession ne vient pas de la parente, elle va vers elle ; c’est néanmoins la première fois que Jésus pénètre dans un espace familial.

Récits communs aux trois évangiles
Il s’agit de la résurrection de la fille du notable (un chef de synagogue nommé Jaïre par Mc et Lc) et de l’exorcisme d’un jeune épileptique après la scène de la transfiguration.
La présentation de la fillette du notable contraste avec celle de la femme hémorroïsse. L’une et l’autre sont aux prises avec la mort. En se prosternant aux pieds de Jésus, le notable pose un acte de foi auquel Jésus répond sans hésiter puisqu’il se met en route. Dans les trois évangiles, en affirmant que l’enfant n’est pas morte, Jésus s’expose à l’entourage qui « rit » (dans une maison en deuil !).
Avant l’épisode du garçon possédé, les évangiles nous ont fait entendre une voix paternelle, céleste : « Celui-ci est mon fils… », « …bien aimé » selon Mc et Mt, « …élu » selon Lc. Dans l’épisode, nous en entendons une autre, terrestre, implorante : « [Voici] mon fils… » (Luc ajoute « …mon seul enfant »). Cette forte charge émotionnelle renforce l’enseignement sur la force de la foi et de la prière. Le point de départ, c’est la détresse d’un père qui se fraie un chemin dans la foule « incrédule » jusqu’à Jésus (Mc 9,19 et // ; chez Mc et Mt, les disciples partagent le manque de foi).

Récits communs à deux évangiles

Le serviteur d’un païen
L’épisode du serviteur du centurion de Capharnaüm, commun à Matthieu et Luc, met en scène pour la première fois Jésus et un païen. Que ce dernier soit un centurion permet de guider vers la compréhension du mystère de Jésus (à partir de l’expérience de l’autorité, Mt 8,8-9 // Lc 7,6b-8). Jésus admire la foi du païen et exauce sa prière par une guérison opérée à distance. Le centurion se considère comme un protecteur pour celui qui vit sous son toit et ses mots ont des harmoniques paternelles. Matthieu joue de l’ambivalence sémantique de « ho païs mou » (« mon serviteur », mais aussi « mon enfant ») ; Luc utilise le terme doulos (« serviteur, esclave »), mais précise immédiatement qu’il était cher à son maître (Lc 7,2). La scène aurait-elle la même intensité si une affectivité de type familial n’était pas engagé  ? (Le quatrième évangile rapporte un épisode souvent mis en parallèle : il se situe à Cana et concerne le fils (et non pas le serviteur) d’un officier royal (et non pas un centurion) qui demeure à Capharnaüm ; la guérison a lieu, là aussi, à distance [Jn 4,46-54]).

La fille d’une païenne
L’épisode, commun à Marc et Matthieu, est situé dans la région de Tyr. Jésus est confronté à une femme païenne, qualifiée de Syro-phénicienne (Mc) ou de Cananéenne (Mt). Dans l’un et l’autre évangile, la scène est forte du fait de la résistance de Jésus et de l’insistance de la femme qui « retourne » Jésus. Les commentaires mettent en valeur les enjeux ecclésiologiques de l’épisode (serait en cause, dans les premières communautés, la participation des pagano-chrétiens au repas eucharistique des judéo-chrétiens). Remarquons pour notre part que c’est une mère en détresse qui supplie Jésus ; quant à l’argument que celui-ci oppose sous forme de proverbe : « On ne prend pas le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens », il touche directement à la responsabilité parentale. La réponse de la femme – dans les deux versions – ne se fait guère attendre : Jésus a pénétré dans ses préoccupations maternelles, elle peut donc retourner le proverbe. Jésus y reconnaît un acte de foi.
Pouvons-nous rapprocher cette rencontre du martyre de Jean le baptiste raconté peu avant ? Matthieu et Marc ont situé la scène, qui se déroule en l’absence de Jésus, dans un univers qui lui est étranger : l’univers des grands, chez Hérode (Mc 6,17-29 // Mt 14,3-12). Il y a là une mère, sa fille et un roi puissant qui font mourir un prophète ; la fille se fait porte-parole de sa mère pour devenir agent de mort. En contraste, du côté de Tyr, une mère se fait porte-parole de sa fille pour une œuvre de salut.

Récits particuliers
Matthieu et Luc possèdent chacun un récit qui leur est propre. Chez Matthieu, avant l’entrée à Jérusalem, on voit intervenir la mère des fils de Zébédée. Certes les deux disciples ne sont pas en danger, ce qui rend la démarche un peu dérisoire, toutefois Jésus répond à la demande maternelle. Chez Luc, dans l’épisode de la veuve de Naïn, la mère est en deuil et ne sollicite rien mais Jésus va ressusciter son fils et le lui rendre.

Perdre son enfant
Au Ier siècle de notre ère, maladies et mortalité infantiles n’étaient pas chose rare. Une controverse entre Jésus et les sadducéens est fondée sur le fait que mourir sans enfant c’est être menacé dans la possibilité de se survivre (Mc 12,18-27 et //). Quoi qu’il en soit, la perte d’un enfant est dans tous les cas une épreuve terrible ; comme le dit l’adage : « On ne met pas des enfants au monde pour les voir mourir. »Les récits évangéliques ont offert aux premiers chrétiens affrontés à cette épreuve un secours pour leur foi. Ils s’avéraient d’autant plus nécessaires quand les non-chrétiens, s’appuyant sur l’enseignement de Jésus (Mc 10,29-30 et // ; Mc 13,12), pouvaient leur reprocher d’être opposés aux liens familiaux.
Chacun de ces récits insiste sur les obstacles : présence de la foule, intervention de l’hémorroïsse qui retarde Jésus dans sa marche vers la maison du notable, différence païens/juifs pour le centurion et la Cananéenne, incapacité des disciples à chasser le démon de l’épileptique, résistance de Jésus lui-même vis-à-vis de la Cananéenne. Ces parents qui supplient Jésus ne sont pas seulement des personnages aux prises avec une extrême détresse, mais des gens qui se révèlent croyants au cœur de celle-ci. Chacun des évangélistes nous fait plonger à sa manière dans ce drame.

Vianney Bouyer, Cahier Évangile n° 160 (juin 2012) p. 41-43.

Les anonymes de l’Évangile: Rencontres avec des souffrants

27 novembre, 2012

 http://www.bible-service.net/site/1578.html

Les anonymes de l’Évangile

(poursuite des chapitres que j’ai déjà mis)

Rencontres avec des souffrants

Dans les trois évangiles synoptiques, le ministère de Jésus se déroule sous le signe de la rencontre avec celles et ceux qui souffrent : malades, possédés et leur entourage. Depuis longtemps, la recherche exégétique s’est employée à classer ce qu’on appelle communément les « récits de miracle », elle en a dégagé les schémas types et s’est rendue attentive à l’originalité littéraire et théologique de chaque évangile. Nous y ajouterons les catégories apparues dans le chapitre précédent : premier, dernier, unique. Pour chaque évangile, nous poserons la question : qui sont le premier et le dernier souffrants rencontrés par Jésus ? En quoi chaque rencontre est-elle unique ?

L’étude se déploiera comme suit : un premier temps sera consacré aux convergences entre les évangiles synoptiques et un second temps à l’originalité de chacun. Et ceci en nous plaçant de deux points de vue : d’abord en essayant de saisir la trajectoire qui mène de la première à la dernière rencontre, ensuite en nous concentrant sur le portrait d’une personne particulière.

Convergences

Nous envisageons ici les récits de guérison et d’exorcisme communs aux évangiles synoptiques, dans leur singularité comme dans leur succession. À la lecture du tableau suivant, il est possible de relever un certain nombre de séquences communes qui s’enchaînent plus ou moins dans un même ordre.

Premières guérisons

Cette première séquence comprend la guérison d’un possédé et celle de la belle-mère de Pierre suivi d’un « sommaire » au coucher du soleil, dans le cadre plus ou moins strict d’une journée à Capharnaüm. On peut y joindre la guérison du lépreux. Selon les évangiles, les récits ne s’enchaînent pas dans le même ordre, en fonction de la christologie de chacun.

Le pur et l’impur

Toutefois, même si chez Matthieu la carrière de Jésus commence par la purification d’un lépreux alors qu’elle débute, chez Marc et Luc, par un exorcisme, ces premiers récits de rencontre se situent tous sur la frontière entre le pur et l’impur. L’homme de la synagogue est « possédé par un esprit impur » (Mc 1,23 ; Lc 4,33) et le lépreux demande à « être purifié » (Mt 8,2-3) ; les trois synoptiques ont fait le choix de saisir Jésus sur une zone de fracture des sociétés de leur temps. Et cela, de façon publique : l’exorcisme a lieu dans le cadre public de la synagogue de Capharnaüm (Mc 1,21 ; Lc 4,33) et des foules nombreuses suivent Jésus qui descend de la montagne quand survient le lépreux (Mt 8,1). Ce dernier récit se trouve d’ailleurs dans les trois évangiles. Jésus « étend la main », comme jadis Moïse quand il accomplissait des prodiges (Ex 14,21.27).

Une femme malade

Les évangélistes synoptiques s’accordent pour dire que la belle-mère de Pierre est la première femme rencontrée par Jésus. C’est aussi la première fois que Jésus franchit le seuil d’une maison. Les trois récits s’achèvent sur le service : « elle les [le] servait » (Mc 1,31 et //). Certains auteurs féministes ont pu, à raison, analyser ce récit, en particulier celui de Mt, comme un récit de vocation : Pierre et ses compagnons sont appelés à devenir pêcheurs d’hommes, la belle-mère de Pierre est appelée à servir. Quoi qu’il en soit, nous pouvons au moins prendre acte d’un nouveau point d’accord entre les évangiles synoptiques : le contraste entre cette femme, personnalité reconnue de l’entourage apostolique, et les autres anonymes qualifiés par leur seule maladie : le possédé, le lépreux.

Les rencontres avec les pécheurs

Cette deuxième séquence comprend la guérison du paralytique, l’appel du collecteur d’impôt et le repas en compagnie des pécheurs qui s’achève sur une déclaration de Jésus révélant le sens de sa mission : « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs » (Mc 2,17 et //).

Le récit de la guérison du paralytique présente des traits communs aux trois synoptiques : Jésus voit la foi avant de libérer l’infirme de son péché et de son handicap. Pour la première fois dans le cours des évangiles apparaît le groupe des scribes opposants à Jésus ; dans le même temps, le récit s’achève sur un chœur final qui rend gloire à Dieu (Mc 2,12b et //).

Un contraste est établi entre le paralytique anonyme et le disciple collecteur d’impôt connu sous le nom de Lévi (selon Lc et Mc) ou Matthieu (selon Mt). Dans les deux cas, la rencontre commence par un regard : Jésus « voit » la foi des porteurs, puis il « voit » le collecteur d’impôt assis à son bureau. Par la suite, sa parole a un effet immédiat : le paralytique prend son brancard et part, Lévi/Matthieu se lève et suit Jésus.

Les polémiques

Une polémique vient s’insérer dans le récit de la guérison de l’homme à la main desséchée. Une controverse précédente a porté sur le respect du sabbat (Mc 2,23 et //). L’épisode, qui a pour cadre le sabbat et la synagogue, vient conforter et illustrer la déclaration de Jésus : « Le Fils de l’homme est maître du sabbat » (Mc 2,27 et //). En tous les cas, elle aboutit à un complot contre Jésus. Le verbe katagorô, « accuser » apparaît ici pour la première fois (Mc 3,2 et //) et ne revient que dans le cadre des récits de la Passion. Cette guérison provocante oriente déjà vers le drame final. La perspective s’élargit ensuite par la mention de guérisons et exorcismes collectifs (Mc 3,10-11 et //).

Les récits de tempêtes

Jésus passe en pays païen et affronte la tempête des flots et celle du démoniaque. Dans ces deux récits, la mer joue un rôle capital comme lieu de mort par noyade (Mc 4,38 et // ; 5,13 et //).

Dans le récit de la tempête apaisée, Jésus « menace » les éléments naturels, comme il menace habituellement les esprits impurs. Curieusement, ce verbe n’est pas repris dans le récit du possédé de Gérasa. Mais il y a tout un jeu entre le singulier et le pluriel : Jésus devient de plus en plus singulier [seul] et le[s] démoniaque[s] de plus en plus pluriel[s]. Le démon s’exprime au pluriel, il se perd dans un troupeau de porcs. Et toute la ville (nouveau pluriel) vient demander à Jésus de s’en aller. Ce premier coup d’éclat de Jésus en pays païen aboutit à son expulsion de ce territoire. Le cri du possédé : « De quoi te mêles-tu, Fils du Dieu très haut ? » (Mc 5,7 et //) constitue une réponse à la déclaration des passagers de la barque : « Qui donc est-il ? » (Mc 4,41 et //). D’une certaine manière, Jésus joue son identité et le succès de sa mission dans cette rencontre tumultueuse avec le possédé païen.

La femme malade et la fillette morte

Ces deux récits sont arrimés l’un à l’autre par la technique de l’enchâssement. Par plus d’un trait, les deux personnages font l’objet d’une mise en parallèle :

 leur âge : une femme malade depuis douze ans, une fillette du même âge (Mc 5,25.42) ;
 leur statut social : une femme seule qui approche de manière subreptice, une fille de notable qui bénéficie du soutien paternel ;
 le contact avec Jésus : l’une touche son manteau alors que Jésus saisit la main de l’autre (infraction au code de pureté).
Le parallélisme entre les personnages féminins est redoublé par celui entre la femme et le père de la fillette. La foi de la femme malade rejoint la foi du notable prosterné ; notons un glissement de vocabulaire significatif : le notable supplie Jésus pour sa « fille » (thugater), mais quand Jésus est confronté à la femme guérie, c’est lui qui use de ce terme : « [Ma] fille, ta foi t’a sauvée », comme s’il se faisait le père de cette femme qui jusqu’alors ne bénéficiait d’aucune protection masculine (c’est la seule femme que Jésus interpelle de la sorte).

La technique de l’enchâssement souligne les correspondances entre les personnages et les actes de foi du notable et de la femme impure se complètent. Si l’on se place sur le plan de la rencontre, il y a là la traduction d’une expérience humaine simple et profonde : parti secourir un homme en détresse, Jésus est retardé en cours de route par une autre détresse.

Les deux fils

La guérison de l’enfant épileptique, après la transfiguration, fait résonner une voix paternelle humaine : « Je t’ai amené mon fils » (Mc 9,17 et //), qui fait écho à la voix paternelle divine : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le » (Mc 9,7 et //). Le récit illustre par ailleurs l’absence de foi des disciples et la puissance de Jésus.

Le point d’aboutissement : l’aveugle guéri

S’il y a divergence entre les synoptiques sur la première rencontre de Jésus, il y a par contre accord sur la dernière rencontre. La scène se déroule à Jéricho, elle met face à face Jésus et un [deux] aveugle[s] (Mc 10,46-52 et //), elle clôt le ministère de Jésus avant Jérusalem. Notons qu’habituellement tous les récits de guérison se concluent par le renvoi de la personne malade mais qu’ici, de façon inattendue, l’aveugle suit Jésus sur la route de Jérusalem (encadré ci-dessous). De façon diverse, selon les évangiles, la rencontre s’achève comme un récit de vocation qui semble faire pendant au récit de l’appel des premiers disciples (Mc 1,16-18 et //). C’est bien là le paradoxe : le récit du dernier miracle accompli par Jésus, c’est l’histoire de la première personne guérie qui se décide à le suivre !

Contrastes

Diversement selon les séquences, les évangiles jouent d’un certain nombre de contrastes :

 entre les foules et les individus : alternance entre les récits de guérisons collectives (les « sommaires ») et les récits de rencontre personnelle ; le même ressort fonctionne quand un personnage surgit de la foule (femme hémorroïsse chez Mc et Lc, aveugle[s] de Jéricho chez tous) ;
 entre les hommes et les femmes : le lépreux et la belle-mère de Pierre, le notable et la femme hémorroïsse ;
 entre les personnalités reconnues (la belle-mère de Pierre, le disciple Lévi/Matthieu) et les personnes anonymes (le lépreux, le possédé, le paralytique) ;
 contraste social enfin : la fillette qui bénéficie de l’intercession de son père, un notable, et la femme hémorroïsse dans sa solitude avant d’être désignée comme « fille ».
Ainsi, les évangiles permettent-ils de saisir la variété des personnes rencontrées par Jésus au-delà des clivages que la société juive du Ier siècle pouvait imposer. Jésus semble même marquer une nette préférence pour ceux qui se situent aux marges. Chaque récit évangélique organise ces contrastes de façon originale.

Vianney Bouyer, Cahier Évangile n° 160 (juin 2012) p. 17-21.

Les anonymes des évangiles (Introduction)

21 novembre, 2012

http://www.bible-service.net/site/1578.html

Les anonymes des évangiles

(Introduction)

Les évangiles se présentent à nous comme une succession des rencontres de Jésus. Récits de vocation, récits de miracles, discours et polémiques provoqués par des interlocuteurs à chaque fois nouveaux, ce sont plus d’une trentaine d’épisodes qui s’articulent sur l’intrigue principale de chaque évangile. De nombreux personnages apparaissent puis disparaissent. Si on excepte Jésus, le héros de l’histoire, ainsi que ceux qui l’accompagnent, nous sommes peu renseignés sur la plupart d’entre eux. Nous ignorons leur destin et même leur nom pour la plus grande joie des conteurs et des romanciers qui imagineront la suite de l’histoire, comblant ainsi les vides…
Si l’on s’en tient aux évangiles, il n’est pas inutile de s’interroger sur la signification de ces rencontres : qui Jésus rencontre-t-il ? Comment ? Pourquoi ? Bien sûr, affronter ces questions, c’est interroger les choix narratifs, considérer les récits dans leur particularité et dans leur enchaînement – ce que nous pouvons appeler leur « trajectoire ». Cette trajectoire est au service d’une orientation théologique, d’un regard porté sur le Christ, sa manière d’entrer en relation avec les hommes et les femmes, souvent anonymes, qui croisent sa route. Au gré des lectures et des analyses, il s’agit donc de tenir ensemble trois expériences qui s’articulent, s’éclairent et parfois s’entremêlent :
 le noyau dur, irréductible et inatteignable, de l’expérience de Jésus historique, homme de la rencontre ;
 l’expérience des premières communautés qui ont recueilli la mémoire de Jésus, non sans la mesurer à la multiplicité des rencontres qui les avaient constituées comme communautés ;
 notre expérience personnelle et communautaire de lecteurs marqués par des rencontres de personnes dont nous ignorons les noms mais qui ont fait date dans nos existences.
Dans le cadre de ce Dossier, il n’était évidemment guère possible de traiter l’ensemble des évangiles. Il a donc fallu opérer un certain nombre de choix :
1) Nous nous sommes restreints aux évangiles synoptiques. L’étude de l’évangile de Jean nous aurait entraînés sur d’autres terrains : les récits de rencontre y sont plus longs et plus complexes. Il suffit de mentionner ici l’épisode de la guérison de l’aveugle-né (Jn 9) qui se déploie en plusieurs petites scènes dont certaines se déroulent en l’absence de Jésus.
2) Dans les évangiles synoptiques, nous nous sommes limités à ce qu’il est convenu d’appeler le « ministère de Jésus » depuis son baptême jusqu’à l’entrée à Jérusalem, prédication dans le Temple incluse.
3) Parmi les nombreux épisodes, nous avons privilégié les suivants :
 La rencontre de Jésus avec la veuve dans le Temple (Mc 12,41-44) est apparue comme une bonne entrée en matière, le personnage étant anonyme et la rencontre rapide (s’agit-il d’ailleurs vraiment d’une rencontre ?). La lecture de l’épisode fournira quelques clés pour la suite du travail.
 L’étude des rencontres de Jésus avec les personnes souffrantes (malades ou possédés) s’est imposée, vu leur importance dans les récits évangéliques.
· La catégorie des rencontres avec les parents qui intercèdent pour leur enfant, quoique peu nombreuse, méritait d’être traitée à part, non seulement pour l’émotion qui s’en dégage, mais pour la théologie construite par chaque évangéliste.

Rencontres avec des souffrants
Dans les trois évangiles synoptiques, le ministère de Jésus se déroule sous le signe de la rencontre avec celles et ceux qui souffrent : malades, possédés et leur entourage. Depuis longtemps, la recherche exégétique s’est employée à classer ce qu’on appelle communément les « récits de miracle », elle en a dégagé les schémas types et s’est rendue attentive à l’originalité littéraire et théologique de chaque évangile. Nous y ajouterons les catégories apparues dans le chapitre précédent : premier, dernier, unique. Pour chaque évangile, nous poserons la question : qui sont le premier et le dernier souffrants rencontrés par Jésus ? En quoi chaque rencontre est-elle unique ?
L’étude se déploiera comme suit : un premier temps sera consacré aux convergences entre les évangiles synoptiques et un second temps à l’originalité de chacun. Et ceci en nous plaçant de deux points de vue : d’abord en essayant de saisir la trajectoire qui mène de la première à la dernière rencontre, ensuite en nous concentrant sur le portrait d’une personne particulière.
Convergences
Nous envisageons ici les récits de guérison et d’exorcisme communs aux évangiles synoptiques, dans leur singularité comme dans leur succession. À la lecture du tableau suivant, il est possible de relever un certain nombre de séquences communes qui s’enchaînent plus ou moins dans un même ordre.
Premières guérisons
Cette première séquence comprend la guérison d’un possédé et celle de la belle-mère de Pierre suivi d’un « sommaire » au coucher du soleil, dans le cadre plus ou moins strict d’une journée à Capharnaüm. On peut y joindre la guérison du lépreux. Selon les évangiles, les récits ne s’enchaînent pas dans le même ordre, en fonction de la christologie de chacun.
Le pur et l’impur
Toutefois, même si chez Matthieu la carrière de Jésus commence par la purification d’un lépreux alors qu’elle débute, chez Marc et Luc, par un exorcisme, ces premiers récits de rencontre se situent tous sur la frontière entre le pur et l’impur. L’homme de la synagogue est « possédé par un esprit impur » (Mc 1,23 ; Lc 4,33) et le lépreux demande à « être purifié » (Mt 8,2-3) ; les trois synoptiques ont fait le choix de saisir Jésus sur une zone de fracture des sociétés de leur temps. Et cela, de façon publique : l’exorcisme a lieu dans le cadre public de la synagogue de Capharnaüm (Mc 1,21 ; Lc 4,33) et des foules nombreuses suivent Jésus qui descend de la montagne quand survient le lépreux (Mt 8,1). Ce dernier récit se trouve d’ailleurs dans les trois évangiles. Jésus « étend la main », comme jadis Moïse quand il accomplissait des prodiges (Ex 14,21.27).
Une femme malade
Les évangélistes synoptiques s’accordent pour dire que la belle-mère de Pierre est la première femme rencontrée par Jésus. C’est aussi la première fois que Jésus franchit le seuil d’une maison. Les trois récits s’achèvent sur le service : « elle les [le] servait » (Mc 1,31 et //). Certains auteurs féministes ont pu, à raison, analyser ce récit, en particulier celui de Mt, comme un récit de vocation : Pierre et ses compagnons sont appelés à devenir pêcheurs d’hommes, la belle-mère de Pierre est appelée à servir. Quoi qu’il en soit, nous pouvons au moins prendre acte d’un nouveau point d’accord entre les évangiles synoptiques : le contraste entre cette femme, personnalité reconnue de l’entourage apostolique, et les autres anonymes qualifiés par leur seule maladie : le possédé, le lépreux.
Les rencontres avec les pécheurs
Cette deuxième séquence comprend la guérison du paralytique, l’appel du collecteur d’impôt et le repas en compagnie des pécheurs qui s’achève sur une déclaration de Jésus révélant le sens de sa mission : « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs » (Mc 2,17 et //).
Le récit de la guérison du paralytique présente des traits communs aux trois synoptiques : Jésus voit la foi avant de libérer l’infirme de son péché et de son handicap. Pour la première fois dans le cours des évangiles apparaît le groupe des scribes opposants à Jésus ; dans le même temps, le récit s’achève sur un chœur final qui rend gloire à Dieu (Mc 2,12b et //).
Un contraste est établi entre le paralytique anonyme et le disciple collecteur d’impôt connu sous le nom de Lévi (selon Lc et Mc) ou Matthieu (selon Mt). Dans les deux cas, la rencontre commence par un regard : Jésus « voit » la foi des porteurs, puis il « voit » le collecteur d’impôt assis à son bureau. Par la suite, sa parole a un effet immédiat : le paralytique prend son brancard et part, Lévi/Matthieu se lève et suit Jésus.
Les polémiques
Une polémique vient s’insérer dans le récit de la guérison de l’homme à la main desséchée. Une controverse précédente a porté sur le respect du sabbat (Mc 2,23 et //). L’épisode, qui a pour cadre le sabbat et la synagogue, vient conforter et illustrer la déclaration de Jésus : « Le Fils de l’homme est maître du sabbat » (Mc 2,27 et //). En tous les cas, elle aboutit à un complot contre Jésus. Le verbe katagorô, « accuser » apparaît ici pour la première fois (Mc 3,2 et //) et ne revient que dans le cadre des récits de la Passion. Cette guérison provocante oriente déjà vers le drame final. La perspective s’élargit ensuite par la mention de guérisons et exorcismes collectifs (Mc 3,10-11 et //).
Les récits de tempêtes
Jésus passe en pays païen et affronte la tempête des flots et celle du démoniaque. Dans ces deux récits, la mer joue un rôle capital comme lieu de mort par noyade (Mc 4,38 et // ; 5,13 et //).
Dans le récit de la tempête apaisée, Jésus « menace » les éléments naturels, comme il menace habituellement les esprits impurs. Curieusement, ce verbe n’est pas repris dans le récit du possédé de Gérasa. Mais il y a tout un jeu entre le singulier et le pluriel : Jésus devient de plus en plus singulier [seul] et le[s] démoniaque[s] de plus en plus pluriel[s]. Le démon s’exprime au pluriel, il se perd dans un troupeau de porcs. Et toute la ville (nouveau pluriel) vient demander à Jésus de s’en aller. Ce premier coup d’éclat de Jésus en pays païen aboutit à son expulsion de ce territoire. Le cri du possédé : « De quoi te mêles-tu, Fils du Dieu très haut ? » (Mc 5,7 et //) constitue une réponse à la déclaration des passagers de la barque : « Qui donc est-il ? » (Mc 4,41 et //). D’une certaine manière, Jésus joue son identité et le succès de sa mission dans cette rencontre tumultueuse avec le possédé païen.
La femme malade et la fillette morte
Ces deux récits sont arrimés l’un à l’autre par la technique de l’enchâssement. Par plus d’un trait, les deux personnages font l’objet d’une mise en parallèle :
 leur âge : une femme malade depuis douze ans, une fillette du même âge (Mc 5,25.42) ;
 leur statut social : une femme seule qui approche de manière subreptice, une fille de notable qui bénéficie du soutien paternel ;
 le contact avec Jésus : l’une touche son manteau alors que Jésus saisit la main de l’autre (infraction au code de pureté).
Le parallélisme entre les personnages féminins est redoublé par celui entre la femme et le père de la fillette. La foi de la femme malade rejoint la foi du notable prosterné ; notons un glissement de vocabulaire significatif : le notable supplie Jésus pour sa « fille » (thugater), mais quand Jésus est confronté à la femme guérie, c’est lui qui use de ce terme : « [Ma] fille, ta foi t’a sauvée », comme s’il se faisait le père de cette femme qui jusqu’alors ne bénéficiait d’aucune protection masculine (c’est la seule femme que Jésus interpelle de la sorte).
La technique de l’enchâssement souligne les correspondances entre les personnages et les actes de foi du notable et de la femme impure se complètent. Si l’on se place sur le plan de la rencontre, il y a là la traduction d’une expérience humaine simple et profonde : parti secourir un homme en détresse, Jésus est retardé en cours de route par une autre détresse.
Les deux fils
La guérison de l’enfant épileptique, après la transfiguration, fait résonner une voix paternelle humaine : « Je t’ai amené mon fils » (Mc 9,17 et //), qui fait écho à la voix paternelle divine : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le » (Mc 9,7 et //). Le récit illustre par ailleurs l’absence de foi des disciples et la puissance de Jésus.
Le point d’aboutissement : l’aveugle guéri
S’il y a divergence entre les synoptiques sur la première rencontre de Jésus, il y a par contre accord sur la dernière rencontre. La scène se déroule à Jéricho, elle met face à face Jésus et un [deux] aveugle[s] (Mc 10,46-52 et //), elle clôt le ministère de Jésus avant Jérusalem. Notons qu’habituellement tous les récits de guérison se concluent par le renvoi de la personne malade mais qu’ici, de façon inattendue, l’aveugle suit Jésus sur la route de Jérusalem (encadré ci-dessous). De façon diverse, selon les évangiles, la rencontre s’achève comme un récit de vocation qui semble faire pendant au récit de l’appel des premiers disciples (Mc 1,16-18 et //). C’est bien là le paradoxe : le récit du dernier miracle accompli par Jésus, c’est l’histoire de la première personne guérie qui se décide à le suivre !
Contrastes
Diversement selon les séquences, les évangiles jouent d’un certain nombre de contrastes :
 entre les foules et les individus : alternance entre les récits de guérisons collectives (les « sommaires ») et les récits de rencontre personnelle ; le même ressort fonctionne quand un personnage surgit de la foule (femme hémorroïsse chez Mc et Lc, aveugle[s] de Jéricho chez tous) ;
 entre les hommes et les femmes : le lépreux et la belle-mère de Pierre, le notable et la femme hémorroïsse ;
 entre les personnalités reconnues (la belle-mère de Pierre, le disciple Lévi/Matthieu) et les personnes anonymes (le lépreux, le possédé, le paralytique) ;
 contraste social enfin : la fillette qui bénéficie de l’intercession de son père, un notable, et la femme hémorroïsse dans sa solitude avant d’être désignée comme « fille ».
Ainsi, les évangiles permettent-ils de saisir la variété des personnes rencontrées par Jésus au-delà des clivages que la société juive du Ier siècle pouvait imposer. Jésus semble même marquer une nette préférence pour ceux qui se situent aux marges. Chaque récit évangélique organise ces contrastes de façon originale.

Vianney Bouyer, Cahier Évangile n° 160

DOSSIER : « Le couple dans l’Ancien Testament » : Création et fécondité (Gn 1–2)

12 septembre, 2012

http://www.bible-service.net/site/1385.html

DOSSIER : « Le couple dans l’Ancien Testament »
par Bertrand Pinçon

Création et fécondité (Gn 1–2)

« Au commencement… » Les premières pages du livre de la Genèse évoquent un temps mythique, le temps d’avant l’histoire. Pourtant, rien de comparable avec ce qui se dit et s’écrit en Mésopotamie ou en Égypte. Le Dieu Un organise, sans violence autre que la force de sa parole, un espace où il place l’être humain. La relation homme/femme se détache sur cet horizon ; elle est au centre de l’ordre du monde. Au début du livre de la Genèse, deux récits « de création », celui des sept jours (Gn 1,1 – 2,4a) et celui du jardin (Gn 2,4b-25), décrivent, chacun selon son projet théologique, une relation de couple voulue par le Créateur et destinée à être féconde.
Contrairement aux récits mythologiques, le premier récit (Gn 1) fait coïncider l’histoire universelle avec le commencement du monde. On le dit de tradition sacerdotale, inspiré par l’exil à Babylone (VIe s. av. J.-C.), s’opposant résolument aux récits concernant Enki, Mardouk et autres dieux. Il n’y a pas d’histoire de la divinité avant l’histoire de l’humanité. « Au commencement », il n’y a que Élohim (Dieu) et la terre informe, « tohu-bohu ». Le monde des humains n’est pas le fruit d’un accouplement divin mais le résultat d’une création par séparation des éléments du cosmos. Il existe en vertu de la parole performative du Créateur : « Il dit… et [cela] fut ».
Le Dieu créateur de la Genèse est aussi le Dieu libérateur de l’Exode. Celui qui se fera connaître comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est celui qui se révélera à Moïse comme Yhwh (le Seigneur), c’est-à-dire le Dieu d’Israël, dans une relation d’alliance. Le deuxième récit (Gn 2), qui est peut-être plus ancien que le premier et en tout cas proche d’un milieu sapiential, le suggère en « rétroprojetant » le tétragramme Yhwh (nom propre du Dieu d’Israël) accolé au nom commun d’Élohim : Yhwh-Élohim (le Seigneur-Dieu).
Sixième jour : l’être humain sexué (1,26-28)
Dans le premier récit, au cours des cinq premiers jours de la création, une régularité s’instaure au moyen d’une formule introductive (« Dieu dit : “Que…” ») et d’une conclusion (« Dieu vit que cela était bon » et « Il y eut un soir, il y eut un matin : jour premier,… deuxième jour, […] …cinquième jour »).
En revanche, le sixième jour n’entre pas dans la somme des jours précédents. En effet, la formule introductive est au pluriel (« Dieu dit : “Faisons…” », v. 26), et le refrain conclusif est plus développé (« Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà : c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour », v. 31).
Par ailleurs, entre le projet divin et son exécution, trois différences se font clairement entendre :
– D’un pluriel « faisons » (v. 26), nous passons à un singulier « Dieu créa » (v. 27).
– De l’expression « image et ressemblance » (v. 26) ne sera retenue que l’» image » seule (v. 27).
– À cela s’ajoute l’instauration d’une différence sexuelle (v. 28) qui, on l’apprendra plus tard, met l’humain à égalité avec les animaux (voir Gn 6,19). Pour autant, cette différence sexuelle est au service d’une fécondité objet d’une vocation (v. 28), laquelle sera renouvelée après le déluge (Gn 9,1-7).
Finalement, tout se passe comme si l’humain était placé dans une situation médiane entre divinité et animalité : de Dieu, il partage l’« image », mais avec les animaux il a en commun la sexualité. C’est ce que suggère le changement de pronom en Gn 1,27 : « Dieu créa l’humain à son image / à l’image de Dieu il le créa / mâle et femelle, il les créa. » À l’image de Dieu, l’humain, masculin et féminin, est un (« il le créa »), mais pour être fécond, il doit être pluriel (« il les créa »). Par conséquent, l’adam est tout autant singulier que pluriel. Là réside le défi de sa fécondité créatrice, celle qu’il aura vocation à humaniser.
À peine l’humanité est-elle créée que Dieu bénit adam et la première parole qu’il lui adresse révèle sa vocation : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1,28).
Être fécond, multiplier, emplir la terre. Cette invitation adressée à l’homme et à la femme est semblable à celle donnée, le cinquième jour, aux animaux qui nagent dans les eaux ou volent dans le ciel (v. 22). La fécondité et la prolifération font partie de l’identité de tout être vivant. Cela est donné par Dieu en bénédiction.
Soumettre la terre, dominer les animaux. La précision est d’importance : la fécondité humaine – et elle seule – va de pair avec un pouvoir confié, lequel s’exerce au besoin par la force, selon un vocabulaire typiquement guerrier. En effet, la racine hébraïque kabash signifie : « réduire en esclavage », « soumettre », « exploiter » (Jr 34,11-16 ; Ne 5,5 ; au passif, voir Nb 32,22.29 ; Jos 18,1). Or, cette suprématie est aussitôt corrigée par le don d’une nourriture végétale (v. 29). Ce type d’alimentation implique une appréhension paisible des choses de la terre, une limitation de la violence et donc un frein dans la domination sur les autres vivants. Maîtriser son pouvoir en le limitant, telle est la mission confiée par Dieu au partenaire humain de la création.

Le couple créé pour l’unité (2,18-25)
Le second récit, celui du jardin, commence par faire état d’un double manque : un manque d’eau pour la terre, un manque d’humain pour la cultiver (Gn 2,4b-7).
Le Seigneur-Dieu y remédie en modelant l’humain (adam) avec la poussière du sol et en plaçant un fleuve pour arroser le jardin. Cependant, la création de l’humain n’est pas encore entièrement achevée. À partir du v. 18, un troisième manque apparaît ; il concerne non plus la terre mais adam : la solitude. Ce manque est constaté par le personnage divin, ce qui lui confère une certaine gravité : « Le Seigneur-Dieu dit : “Il n’est pas bon que l’adam soit seul…”. » Dans une lecture canonique qui prend en compte l’articulation des deux récits de création, il est à noter que ce manque vise non pas l’« homme » en particulier, mais l’être humain en général, l’adam créé sexué (1,27). La différence sexuelle, porteuse de tant de promesses, peut également être source d’une profonde solitude. L’être humain sexué est donc appelé à avoir des relations justes, mais avec qui ? Deux cas de figures sont présentés par le récit :
• Une altérité inadéquate (v. 18-20). Elle vient du monde extérieur à l’adam. Le modelage qui se réalise s’apparente à celui de l’adam mais sans lui être tout à fait identique puisqu’il se fait à partir de adamah (« le sol ») et non de ‘aphar adamah (« la poussière du sol »). En outre, il n’est pas assorti, comme pour l’humain, d’une « haleine de vie » (v. 7). Les animaux sont proches de l’humain sans pour autant être animés par un principe vital et relationnel susceptible de combler sa solitude.
• Une altérité réussie (v. 21-24). Elle résulte d’une nouvelle action divine provenant de l’intérieur de l’adam. C’est de l’adam (et non de l’adamah) que sort celle qui sera son égal, en face de lui. La réalisation est décrite sous les traits d’une opération chirurgicale : « Le Seigneur-Dieu fit tomber une torpeur sur l’adam et il s’endormit. Il prit un de ses côtés et il referma la chair à sa place » (v. 21). C’est dire que l’action divine échappe entièrement à la connaissance humaine. Le conjoint, devant soi, sera toujours un mystère. Bien que partenaire du plus intime de sa vie, on ne parviendra jamais à le saisir entièrement. Un nouveau mot de vocabulaire illustre le rapport de face à face : « Le Seigneur-Dieu bâtit le côté qu’il avait pris de l’adam en une femme (’ishshah) et il l’amena vers l’adam » (v. 22). Ainsi, le féminin apparaît-il à côté du masculin. Pour combler le manque initial (la solitude), le Seigneur-Dieu ajoute un autre manque : la perte d’une part de soi, de son intégrité corporelle. Mais, de cette humanité soustraite, naît un couple dans lequel l’autre est reçu comme un don.
Alors l’humain devient un sujet de parole : « Et l’adam dit : “Celle-ci, cette fois, os de mes os, chair de ma chair ; celle-ci sera appelée femme (’ishshah) car d’un homme (’îsh) elle a été prise, celle-ci !” » (v. 23). Pour la première fois, l’adam s’exprime : il sort de lui-même pour reconnaître sa partenaire. Cette reconnaissance le fait littéralement « ex-ister ». Mais, dans son cri, l’adam estompe la relation de vis-à-vis ; il insiste plus sur les ressemblances que sur les différences : « os/os ; chair/chair » (cf. Laban et Jacob en Gn 29,14 ; Joseph et ses frères en 37,27). L’adam ne nomme pas formellement la femme comme il l’a fait pour les animaux. Le rapport est autre. Il la reçoit comme un don qui lui permet de briser l’isolement et vivre une rencontre. L’appellation joue sur les mots : ’îsh/’ishshah (à la fois ressemblance et dissemblance). En nommant sa partenaire ’ishshah, l’adam se désigne lui-même d’un nom nouveau : ’îsh, et, par conséquent, trouve comment désigner la juste relation qu’il entretient avec la femme.
À cela s’ajoute une parole de type prophétique : « C’est pourquoi l’homme (’îsh) quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme (’ishshah) et ils deviennent une chair une » (v. 24). Cette parole ne peut évidemment concerner le premier couple de la Bible (qui n’a pas de parents) mais tous les humains à venir.
Pour devenir ’îsh, l’adam doit se séparer de son père et de sa mère, comme ’ishshah a été séparée de l’adam. Toute relation nouvelle exige, au préalable, une prise de distance qui porte l’homme et la femme l’un vers l’autre en vue de devenir « chair une (ehad) » (et non pas « une seule chair » selon la traduction habituelle). Dans la tradition d’Israël, la chair désigne l’être humain tout entier. Et le ehad renvoie à l’acte créateur du « jour premier » ou « jour un » (yôm ehad, Gn 1,5). Par ailleurs, il renvoie au Dieu Un de la prière du Shema Israël (Dt 6,4) : le Seigneur est Un en lui-même, non parce qu’unique mais unifié. Pour être « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1,26-27), la relation de couple est appelée à s’unifier : non à s’aliéner l’un par l’autre au point de fusionner dans un tout mais à exister l’un pour l’autre. C’est la raison pour laquelle la nudité n’est pas encore vécue comme une situation de honte (v. 25). Elle va rapidement le devenir.

Bertrand Pinçon, Cahier Évangile n° 158 (décembre 2011) p. 10-14.

Melchisédech figure du Christ

5 juillet, 2012

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Melchisédech figure du Christ

L’interprétation typologique de Melchisédech comme figure du Christ domine l’exégèse médiévale. Mais elle n’empêche pas les commentateurs de s’interroger sur le personnage historique qui apparaît en Gn 14. Les interrogations portent à la fois sur la personne de Melchisédech et sur la ville de Salem. Les recherches menées à cet égard par les auteurs patristiques sont abondamment utilisées, comme on le voit dans cet extrait d’un commentateur dominicain du début du XIVe siècle, le toulousain Dominique Grima († 1347), qui résume en fait des données prises chez Jérôme et Augustin, sur l’identification de Salem (on observe que sont exposées deux thèses contradictoires de Jérôme).

Dominique Grima,  » Commentaire de Gn 14,18 « 
Melchisédech roi de Salem. […] Dans la lettre qui commence par  » Tu m’as envoyé « , Jérôme affirme que Salem ne doit pas être comprise comme la cité de Jérusalem mais est une place-forte près de Nicopolis. Jérôme dit que l’on y voit encore le palais de Melchisédech parmi les ruines. Sur Salem, voir Gn 33 : Jacob vint à Sokot et se rendit à Salem, ville des Sichémites. Son nom apparaît sous la forme corrompue de Salim en Jn 3 : Jean baptisait à Ennon près de Salim. Selon Jérôme, dans le Livre des questions hébraïques <sur la Genèse>, Salem, dont Melchisédech était le roi, fut appelée par la suite Jérusalem, et Flavius Josèphe semble du même avis. Pour cela, il faut dire qu’il y a eu deux villes de Salem, l’une, la cité des Sichémites dont parle Augustin, l’autre des Cananéens ou plutôt des Jébuséens, qui étaient appelés Cananéens au sens large.

Malgré l’identification traditionnelle avec Sem, le personnage de Melchisédech lui-même fait l’objet d’interrogations ; ce qui est dit de lui en He 7,3 suscite des doutes. Rupert de Deutz, bénédictin du début du XIIe s. (1075 – v. 1130), dont le commentaire est d’une grande richesse, fait état d’hypothèses anciennes, qu’il juge absurdes.

Rupert de Deutz,  » Commentaire de Gn 14,18-20 « 
L’Apôtre, rappelant ce passage, dit : Ce Melchisédech, sans père, sans mère, sans généalogie, n’ayant ni début de ses jours ni fin de sa vie, assimilé au Fils de Dieu, reste prêtre à jamais. Ces paroles et d’autres qu’ajoute le même Apôtre ont fourni à ceux qui comprennent mal une occasion de soupçon : ils pensent que Melchisédech ne fut pas un homme mais un ange ou même (ce qui est encore plus dément) qu’il s’agit de l’Esprit saint lui-même, apparu sous les traits d’un homme. Mais les autres, extrêmement nombreux, ont été d’accord que c’était un homme cananéen, roi de la ville de Jérusalem, appelée d’abord Salem, puis Jébus et enfin Jérusalem. Il n’est pas étonnant, disent-ils, qu’il soit décrit comme un prêtre du Très-haut, bien que sans circoncision ni lois cérémonielles ni de la famille d’Aaron, puisqu’aussi bien Abel, Enoch et Noé ont plu à Dieu et ont offert des sacrifices [… ] Mais les Hébreux pensent autrement : ils rapportent que celui-ci est le fils aîné de Noé […].
Dominique Grima, dont nous avons lu un passage, donne davantage de précisions sur les auteurs de ces identifications ; il cite les noms d’Hippolyte, d’Irénée, d’Eusèbe de Césarée et d’Eustathe comme tenants de l’hypothèse selon laquelle Melchisédech serait un souverain cananéen ; d’après lui, Origène et Didyme le considèrent comme un ange, un texte anonyme comme l’Esprit saint. Mais ces identifications sont très rares au moyen âge et l’on voit généralement en lui soit Sem, soit un souverain païen. Le fait qu’il n’ait ni père ni mère ni généalogie permet de poser les fondements de l’interprétation spirituelle. Dans ses leçons sur l’Épître aux Hébreux, Thomas d’Aquin nous donne des explications d’une grande clarté.

Thomas d’Aquin,  » Commentaire de He 7,3 « 
Il faut savoir que dans l’Ancien Testament, toutes les fois qu’il est fait mention d’une personne importante, sont énoncés son père et sa mère, l’époque de sa naissance et de sa mort […]. Or ici c’est d’une manière subite qu’est introduit Melchisédech, sans que soit du tout fait mention de sa génération et de tout ce qui la concernerait. Et cela, certes, d’une manière tout à fait justifiée. En effet, quand il est dit sans père, est signifiée la naissance du Christ d’une vierge, donc sans père, comme il est dit en Matthieu : Ce qui est né en elle vient de l’Esprit saint. Or ce qui est propre à Dieu ne doit pas être attribué à une créature. Il appartient seulement à Dieu le Père d’être le père du Christ. Donc, dans la naissance de celui [Melchésédech] qui préfigurait le Christ, il ne devait pas y avoir de mention d’un père charnel.
De plus, le texte dit sans mère, pour ce qui est de la génération éternelle. Et ne comprends pas cela comme une génération matérielle, comme quand une mère donne la matière à l’enfant qu’elle engendre ; mais c’est une génération spirituelle, comme celle qui fait naître la splendeur du soleil […]. En outre, quand un engendrement est fait par un père et une mère, tout ne provient pas du père : la matière est fournie par la mère. C’est donc pour écarter toute imperfection du Christ et pour indiquer que tout ce qu’il a vient du Père, qu’il n’est pas fait mention de la mère : d’où le vers :  » Dieu est sans mère, sa chair est sans père « . Ainsi le Psaume : Dès le sein, avant l’aurore, je t’ai engendré, c’est-à-dire moi seul. Sans généalogie : sa généalogie n’est pas indiquée dans l’Écriture pour deux raisons : l’une, pour indiquer que sa génération est ineffable, Isaïe : Sa génération, qui la racontera ?; l’autre pour indiquer que le Christ, introduit comme prêtre, n’appartient pas à la famille des lévites ni à la généalogie de la vieille Loi.

Melchisédech, prêtre du très-haut
Supplément au Cahier Evangile n° 136 (pages 40-42).

Fête de la Sainte Trinité (3 juin 2012)

2 juin, 2012

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Fête de la Sainte Trinité (3 juin 2012)

Nul ne pourra jamais décrire parfaitement tout ce que Dieu fait pour lui. Dieu règne sur le ciel comme sur la terre (première lecture). Le psaume prolonge cette lecture, en affirmant que Dieu donne ses bienfaits à tous ceux qui se tournent vers lui (psaume). St Paul, dans l’épître aux Romains (deuxième lecture), témoigne de l’action d’un dieu Trinité en disant que c’est avec le Fils, dans l’Esprit, que les croyants appellent Dieu “ Abba, Père ! ” C’est de ce Dieu là dont les disciples sont appelés à témoigner à toutes les nations (Evangile)

• Deutéronome 4,32-34.39-40
Dans ce discours, alors que le peuple est en vue de la Terre promise, Moïse l’invite à relire son histoire pour voir si d’autres peuples pourraient se targuer de vivre la même relation d’amour avec leur Dieu. Car il est évident que le Dieu d’Israël n’est pas comme les autres dieux. Il n’est pas dans un lieu, enfermé dans une fonction. Il aime son peuple, il vient vers lui, il agit pour lui “ par la force de sa main et la vigueur de son bras ”, le libérant de l’esclavage et lui donnant une Loi pour vivre. Dans son discours, Moïse s’appuie essentiellement sur les événements du Sinaï. Ainsi, rester fidèle à Dieu en observant ses commandements est un gage de bonheur.

• Psaume 32
Continuant la lecture du Deutéronome, ce psaume parle du Dieu Créateur, du Dieu de l’Alliance : “ Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers, par le souffle de sa bouche… ”. Deux manières d’affirmer la même conviction : tout ce qui existe vient de Dieu. La troisième strophe précise même : tout cela vient de l’amour de Dieu.
Ensuite, le psaume évoque le Dieu de l’Alliance : celui qui prie met son espoir en Dieu, car il sait que “ Dieu veille sur ceux qui le craignent ”. Celui qui prie peut être un individu, mais également un collectif, le peuple. La certitude de vivre dans l’Alliance avec Dieu est un appui, un bouclier, une force contre toute adversité. Lors, le psalmiste peut laisser éclater sa joie (dernière strophe), qui s’exprime elle aussi en termes d’Alliance, avec ce va-et-vient qui unit terre et ciel : “ Que ton amour soit sur nous comme notre espoir est en toi ! ”.

• Matthieu 28,16-20
Pour saisir cette mention de la Trinité lors de l’envoi des disciples à la fin de l’Évangile de Matthieu, il n’est pas inutile de remonter au baptême. En effet, pour les évangiles (sauf Jean), la vie publique de Jésus commence avec son baptême dans les eaux du Jourdain.  Et, lors de sa dernière apparition à ses disciples, après sa Résurrection, il leur commande d’aller enseigner toutes les nations, d’en faire des disciples et de les baptiser “ au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ”.
Le baptême de Jésus dans le Jourdain fut le moment de la première claire manifestation – dans le Nouveau Testament, et donc dans toute la Révélation – du Dieu Père, Fils et Esprit.
Lorsque Jésus descendit dans les eaux du fleuve, pour y être baptisé par Jean-Baptiste, comme le faisaient les foules qui descendaient de Jérusalem, l’Esprit descendit sur lui sous la forme d’une colombe, et il entendit la voix du Père disant :  “ Tu es mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances. ” Et dans l’Évangile d’aujourd’hui, au moment de quitter ses disciples, il leur dit de baptiser les nations et de le faire “ au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit ”.
À travers tout son enseignement Jésus témoigne de la relation privilégiée qu’il entretenait avec Dieu qu’il appelait “ Père ” ; tout son être se trouve exprimé dans cette relation de Fils à Père.  Le Père se dit tout entier dans son Verbe;  et lorsque le Verbe incarné dit “ Abba, Père ”, il exprime dans ce simple mot tout son être de Fils.  Il n’est rien d’autre.  Jésus nous enseigne aussi tout au long de l’Évangile que son Père et Lui sont un, unis par l’Esprit d’amour qui leur est commun.  Et, finalement, il révèle que les chrétiens sont appelés à vivre la même relation.  Cet appel devient une réalité à travers le baptême et le don de l’Esprit. Au contact de Jésus, les disciples ont appris une nouvelle manière de connaître Dieu et de vivre avec lui.

4° dimanche de Pâques (29 avril 2012) – biblique

27 avril, 2012

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4° dimanche de Pâques (29 avril 2012)

Pour exprimer totalement la sollicitude de Jésus envers les hommes, St Jean affirme que Jésus “ donne sa vie pour ses brebis ”, librement (Évangile). Il est le Bon Pasteur. Ce berger innocent a été rejeté par les bâtisseurs, mais il est devenu la pierre d’angle de l’Église (première lecture). Mais il n’a pas repris son amour pour les hommes ; bien plus, il les déclare “ enfants de Dieu ” (deuxième lecture), une réalité qui reste encore à découvrir.

• Actes 4,8-12
Dans la première prédication de Pierre, peu de jours après la Résurrection et la Pentecôte, les images utilisées s’entrecroisent et se complètent.  Alors qu’aux pasteurs de Galilée, les évangélistes employaient plutôt une image qui leur parlait – celle du berger – Pierre, parlant aux habitants de Jérusalem, utilise l’image d’une construction.  Aux chefs du peuple et aux Anciens, il affirme que Jésus est la pierre qu’eux, les bâtisseurs, ont rejetée, et qui est devenue la pierre d’angle.  Tout salut, même la guérison conférée par Pierre au boiteux qui ne demandait d’ailleurs qu’une aumône, vient de lui. Cette guérison est le signe que Dieu donne à son peuple : celui qui sauve, c’est le Christ. N’oublions pas que Pierre s’adresse au Grand Conseil d’Israël. En les questionnant sur leur rapport à Jésus, il les oblige à faire un choix. Le Ressuscité est le pivot de l’Alliance nouvelle, celle qui accomplit la première Alliance.
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Pour ce 4° dimanche de Pâques, la revue “Célébrer” propose simplement un bref commentaire pour la seconde lecture (1 Jn 3,1-2), et des propositions pour la célébration (« Célébrer » n° 390).

«Voyez comme il est grand l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » (1 Jn 3,1).
Voilà bien notre véritable identité : nous sommes enfants de Dieu. Le Verbe s’est fait chair et il est venu dans ce monde pour cela. Seule la foi chrétienne ose proclamer une chose aussi inouïe.

Pour prolonger la méditation…

Par Franck Widro
Le mercenaire, une âme d’actionnaire (Jn 10,11-18)
 Mon âme,
par instants,
est tentée de vivre en mercenaire,
de servir mes seuls intérêts,
et lâcher mes congénères,
les laisser,
par un loup idolâtre,
être capturé ;
choisir les bras de Dieu,
c’est m’arracher d’un cœur clôturé.
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• Psaume 117
Nous avons déjà lu ce psaume à deux reprises ; c’est ici la troisième. Si l’Église a choisi de faire prier les chrétiens sur le psaume 117, c’est sans doute parce qu’il exprime l’action de grâces et la reconnaissance envers le Seigneur, et témoigne de la mort et de la résurrection, à travers la destruction et la reconstruction du Temple ici célébrées. La pierre d’angle, expression un peu mystérieuse, désigne la clé de voûte de la construction, ce qui fait tout tenir. Pour les chrétiens, il ne s’agit plus de Jérusalem et du Temple, mais bien du Christ, mort et ressuscité. C’est lui la pierre d’angle.

• Jean 10,11-18
“ Bon pasteur ” est la traduction habituellement reçue et connue.  Et pourtant, le texte original grec se traduit littéralement, par :  “ Je suis le beau pasteur ” (‘o poimèn ‘o kalós). De fait, on peut arguer il n’y a pas tellement de différence entre les deux car est véritablement beau ce qui est bon et vrai.  Lorsque nous rencontrons une personne admirable par sa générosité, son amour, sa fidélité, ne disons-nous pas : “ quelle belle personne ! ”, et lorsqu’on nous raconte un récit particulièrement touchant, ne disons-nous pas : “ quelle belle histoire ! ” ?  C’est dans ce sens que Jésus est un “ beau pasteur ”.  L’évangéliste utilise cette image pour décrire la nature des relations de Jésus avec nous. Trois caractéristiques semblent décrire ce “ bon/beau berger ”.
L’évangile souligne tout d’abord la différence entre un vrai berger, à qui les brebis appartiennent, qui prend soin d’elles, et le mercenaire.  La différence entre les deux se manifeste tout spécialement dans les moments de danger, lorsqu’un loup apparaît, par exemple.  Le vrai berger est prêt à risquer sa vie;  le mercenaire ne pense qu’à sauver la sienne.
La deuxième caractéristique du “ beau pasteur ” est la connaissance mutuelle entre lui et ses brebis.  Pour un étranger qui regarde un troupeau de brebis, elles sont toutes identiques;  mais le vrai berger les distingue toutes les unes des autres, et connaît chacune par son nom. De plus, Jésus  va beaucoup plus loin que ce que laisse entendre cette image.  Il affirme que cette connaissance mutuelle entre lui et ses disciples est de même nature que la connaissance mutuelle entre Lui et son Père.  Cette connaissance n’est pas théorique et intellectuelle;  elle est de l’ordre de l’amour et est telle que l’on est prêt à donner sa vie pour celui qu’on aime.
Enfin, troisième et dernière caractéristique, Jésus parle de brebis qui lui appartiennent mais ne sont pas de cette bergerie.  Même si elles ne sont pas du même bercail, elles sont “ siennes ” et il doit aussi les guider.  Un jour viendra, à un moment que personne ne connaît ni ne peut prévoir, où il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. On trouvera des pistes d’approfondissement pour la deuxième lecture (1 Jn 3,1-2), ainsi que de brèves citations d’auteurs spirituels d’hier et d’aujourd’hui dans les Fiches Dominicales n° 14 bis, pages 2-3. Ceux qui préparent la liturgie y trouveront aussi des idées pour une mise en œuvre.

Mercredi des Cendres (22 février 2012)

21 février, 2012

http://www.bible-service.net/site/433.html

Mercredi des Cendres (22 février 2012)

Ce jour commence le Carême. Les textes de la Parole de Dieu nous orientent vers le Seigneur, dans un long chemin jusqu’à Pâques. L’Evangile du jour nous indique le sens de ce chemin : c’est une épreuve, une tentation. Mais c’est le Seigneur “ tendre et miséricordieux ” qui appelle et fait revenir à lui (première lecture), à partir du moment où nous disons comme le psalmiste : “ Contre toi, j’ai péché ” (Psaume). Alors, comme St Paul nous le conseille, “ Laissez-vous réconcilier avec Dieu ” (deuxième lecture)

• Joël 2,12-18
Aux Juifs pour qui c’était l’usage d’exprimer l’indignation ou la douleur en déchirant leurs vêtements, le prophète Joël conseille tout bonnement de déchirer plutôt leur cœur, c’est-à-dire de revenir à Dieu par une démarche intérieure (et non pas des rites extérieurs).  À l’appui de ce conseil, il rappelle ce que de nombreux passages de la Bible énoncent : “ Revenez à moi… ! ” En effet, le plus grave, pour le prophète Joël, ce ne sont pas les menaces, les conflits, mais l’abandon du Seigneur. Et en même temps, le prophète sait que, malgré l’infidélité du peuple, le Seigneur l’aime et fait tout pour que son peuple revienne à lui. Derrière tout cela, il y a la théologie de l’Alliance : si le peuple revient vers le Seigneur, Dieu pourra revenir lui aussi. Il prend même l’initiative. La fin de ce passage du livre de Joël laisse présager une issue heureuse : Dieu “ s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple ”… Dans la langue hébraïque, le verbe est plus fort et plus imagé : “ Dieu a été saisi aux entrailles ”. C’est très beau, car cela suggère que Dieu éprouve pour son peuple la même tendresse que celle d’une mère.

• Psaume 50
C’est un des rares psaumes qui soit à la fois situé (d’après son titre, il est attribué au roi David après son adultère avec Bethsabée) et universel : ce qu’il évoque concerne chaque homme à chaque époque. En effet, c’est la confession confiante d’un homme pécheur devant Dieu miséricordieux. Cet homme reconnaît son péché multiforme (péché, faute, offense), et en même temps croit en l’amour de Dieu capable de lui “ créer un cœur pur ”, de lui “ rendre la joie d’être sauvé ”. Dieu ne se détourne pas de qui revient vers lui. De fait, recréé par Dieu, soutenu par l’Esprit, l’homme pardonné peut témoigner de la miséricorde du Seigneur.

• Matthieu 6,1-6.16-18
Dans cet Évangile, Jésus commente les trois principales œuvres juives de piété : l’aumône, la prière et le jeûne, en insistant plus sur l’esprit que sur le faire.
Ainsi, il met en garde contre l’ostentation dans la pratique de l’aumône.  Il peut être facile d’être généreux et d’aider les autres si nous éprouvons du plaisir à le faire, ou si nous portons le désir secret d’en obtenir aussi bien des marques de reconnaissance que la récompense céleste.  Nous risquons alors de nous constituer les premiers bénéficiaires de notre propre générosité !
De même pour la prière, ce qui compte, ce n’est pas de multiplier les gestes extérieurs de la prière commune ou personnelle, mais bien à pénétrer toujours plus profond dans la solitude de notre maison, et dans le silence de nos cœurs, pour y rencontrer notre Père céleste qui nous y attend toujours.
Enfin, ce que dit Jésus du jeûne vaut de toute forme d’ascèse ou de pénitence.  Dieu sait ce que nous faisons ou ne faisons pas, et c’est tout ce qui compte.  Moins cela est connu des autres, mieux c’est.
Jésus invite donc ses disciples à agir, non pas en fonction de ce que les autres pensent ou disent, mais simplement en fonction du Père céleste.
Ce que Jésus proclame dans l’Évangile d’aujourd’hui c’est : “ Tenez-vous debout sur vos propres pieds ”. Et surtout : “ Tenez-vous debout devant votre Père. N’agissez pas pour être admirés; et n’estimez pas votre valeur personnelle à partir de ce que les gens pensent de vous. ” En bref, ces pratiques de piété, Jésus nous invite à les vivre en ce Carême, non comme des actes de compétition ou de bravoure, mais comme des chemins pour se laisser réconcilier par Dieu, comme l’écrivait St Paul.

commentaires sur la première lecture (Isaïe)

18 février, 2012

http://www.bible-service.net/site/432.html

commentaires sur la première lecture (Isaïe)

Isaïe 43,18-19.21-22.24-25

Dans la première lecture, le prophète Isaïe met dans la bouche de Dieu des paroles de fidélité à l’égard de l’engagement qu’il a pris envers son Peuple.  Dieu a aimé son peuple, il l’a éduqué patiemment ; et il n’y a pas d’amour authentique qui ne soit pas cohérent et donc fidèle à lui-même, quels que soient les péchés ou le manque de réciprocité de la personne aimée. Bien souvent le peuple a été infidèle, s’est tourné vers des idoles. Pire, le peuple est en exil, loin de sa terre, accablé. Mais le Seigneur ne l’abandonne pas. Il le fera revenir, le retour sera comme un nouvel exode. Dieu n’est pas rancunier : “ Je te pardonne tes révoltes – dit Dieu – à cause de moi-même, et je ne veux plus me souvenir de tes péchés. ”  “ À cause de moi-même ” : c’est là la cohérence absolue, qui fait que Dieu oublie même les offenses faites à son amour bafoué. Dieu ne libère pas son peuple pour le récompenser (de quoi ?). Il lui pardonne, il lui est fidèle “ à cause de lui ”. Voilà le socle de notre espérance !

Le Serviteur verra une descendance (Is 52,13 – 55,13)

10 janvier, 2012

http://www.bible-service.net/site/777.html

Le Serviteur verra une descendance (Is 52,13 – 55,13)

Le Serviteur sera haut placé

La manière dont Dieu décrit le sort de  » son serviteur  » au v. 52,13 ( » il sera haut placé, élevé, exalté « ) ne peut pas manquer de surprendre le lecteur. En effet, les adjectifs  » haut « ,  » élevé  » et  » exalté  » (ram et nisa’) avaient été utilisés pour dénoncer l’orgueil des chefs qui se glorifient eux-mêmes (2,12-15) dans l’oubli du seul vrai Roi qui apparaissait au voyant dans le temple assis sur un trône  » haut  » et  » élevé  » (6,1).
La surprise du lecteur correspond d’ailleurs à celle des foules d’abord horrifiées (52,14) puis émerveillées (52,15). Or la méprise des foules au sujet du serviteur vient de ce qu’elles jugent l’homme à son apparence. Tout ceci rappelle en fait le récit de l’onction de David par le prophète Samuel. Ce dernier, voyant Éliav et sa  » haute  » taille, le prend pour le messie de YHWH, mais Dieu lui dit :  » Ne considère pas son apparence ni sa haute taille… les hommes voient ce qui saute aux yeux mais YHWH voit le cœur  » (2 Sm 16,7). Le parallèle entre l’élection de David et l’exaltation du serviteur s’enrichit encore d’un détail lexical. Le mot étrange qui sert à décrire l’apparence du serviteur ( » une corruption  » d’homme : mishha) est très proche en hébreu de celui par lequel Samuel, dans son erreur, qualifie Éliav :  » le messie – mashiah – de YHWH  » (1 Sm 16,6). Le rédacteur a donc une nouvelle fois recours à l’ironie pour battre en brèche le credo messianique traditionnel : YHWH en la matière fait du neuf et les rois en restent bouche close !

Le fondateur d’une nouvelle dynastie
C’est alors que le groupe du  » nous  » entre en scène, confessant lui aussi sa méprise :  » Il avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions, ni apparence telle que nous le recherchions  » (53,2). Pourtant  » racine sortant d’une terre aride « , le serviteur ne rappelle-t-il pas la  » racine de Jessé qui sera érigée, en ce jour-là, en étendard des peuples  » (11,10) ? En outre, comme le rejeton de Jessé, le Serviteur fait resplendir la justice.
Son sort évoque aussi celui d’Ézéchias lors de sa maladie : comme lui, il est  » rejeté par sa génération « ,  » retranché de la terre des vivants  » (53,8 cf. 38,11). Mais tandis qu’Ézéchias était surtout préoccupé de son sort et de celui de sa descendance, le serviteur porte celui du peuple. À cet égard, il est éclairant de lire le chant en regard de la diatribe qui ouvre le livre (1,1-9) :  » maladie « ,  » blessure « ,  » péché « ,  » révolte « , tous les maux du peuple énumérés dans cette diatribe sont maintenant endossés par le serviteur. Pourtant il ne se trouve en lui ni cette  » violence  » si caractéristique des fils d’Adam (Gn 6,11-13), ni la  » fraude  » dont font preuve Jacob et ses fils (Gn 27,35 ; 34,13).
C’est pourquoi, contrairement à ce qui arrive à Ézéchias, figure royale imparfaite, le serviteur se voit assurer par Dieu non seulement  » une prolongation de ses jours  » mais aussi  » une descendance « . Les fondements d’une nouvelle dynastie sont ainsi posés en remplacement de la dynastie davidique incapable de mettre en œuvre le plan de YHWH.

Sion et les fils-serviteurs
Sion est invitée à accueillir cette nouvelle dynastie dans la joie (54,1). Ézéchias se lamentait, comparant Jérusalem assiégée à une femme en travail :  » Des fils se présentent à la sortie du sein maternel et il n’y a pas de force pour enfanter  » (37,3). Le groupe du  » nous  » confessait :  » Nous avons été dans les douleurs mais nous avons enfanté du vent  » (26,18). Ici,  » celle qui n’a pas enfanté… qui n’a pas été dans les douleurs  » est invitée à accueillir  » une descendance  » si nombreuse qu’elle doit  » élargir l’espace de sa tente et distendre les toiles de ses demeures « .
La paire  » tente, demeure  » évoque l’époque précédant la construction du premier temple à propos de laquelle YHWH déclarait par la bouche du prophète Nathan :  » Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ?… jusqu’à ce jour, j’ai cheminé sous une tente et à l’abri d’une demeure  » (2 Sm 7,6). La situation est ici la même que lorsque Nathan rendit visite à David : on parle certes de construire (54,12), mais ce qui compte c’est d’abord d’établir une maison de chair, une dynastie.
Comme au ch. 50, YHWH se présente comme l’époux de Sion : un temps il l’avait abandonnée, mais il veut maintenant renouveler son alliance avec elle. Il est le père de ses fils et, paradoxalement, ces  » fils  » sont aussi la descendance promise au Serviteur puisque pour la première fois dans le livre le mot  » serviteurs  » apparaît au pluriel pour les désigner (54,17). Enfin, ces fils sont des  » disciples « , comme le Serviteur (50,4) et comme ceux en qui le prophète avait  » enfermé l’attestation  » et  » scellé l’instruction  » (8,16). Mais qu’en est-il du groupe du  » nous  » constitué autour du prophète au ch. 8 ?

Renouvellement de l’alliance
C’est précisément au groupe du  » nous  » – groupe qui inclut les disciples, les serviteurs et même, potentiellement, les lecteurs – que s’adresse l’invitation de YHWH :  » O vous tous qui êtes assoiffés venez vers les eaux !  » Et voici que ces invités deviennent les destinataires inattendus d’un renouvellement radical des promesses faites à David ( » ta maison et ta royauté seront stables pour toujours  » [2 Sm 7,16]) :  » Je conclurai avec vous une alliance de toujours, selon les bienfaits stables accordés à David  » (Is 55,3).
Ainsi une réponse commence à être donnée à la douloureuse question de la fidélité de YHWH à ses promesses, et le lecteur découvre combien  » les pensées (de YHWH) sont hautes par rapport aux pensées (des hommes)  » (55,8). Bien que la maison de David se soit révélée incapable de servir le plan de YHWH, celui-ci réussit néanmoins à être fidèle. En effet, rien n’empêche que la maison du Serviteur puisse inclure celle de David (c’est bien pourquoi Sion est invitée à élargir l’espace de sa tente). Il est jusqu’au lecteur qui est convié à en faire partie puisque l’exhortation faite ici à  » rechercher YHWH  » (55,6) redouble celle présente dans le diptyque d’ouverture de la seconde partie :  » Cherchez dans le livre de YHWH et lisez !  » (34,16).

La fidélité de Dieu se lit à travers les  » signes « 
Se retournant, le lecteur peut effectivement retracer tout le développement de la question davidique à travers les occurrences du mot  » signe  » :
• Is-7,11.14 : Achaz refuse de demander un signe, il en est donné un à la maison de David : l’annonce de l’enfantement de l’Emmanuel.
• Is-37,30 : des signes sont donnés à Ézéchias indiquant la délivrance de la ville et sa guérison miraculeuse, mais lorsqu’il demande un signe pour monter à la maison de YHWH (38,22), il ne lui est fait aucune réponse si ce n’est la venue des Babyloniens.
• Is-55,13 : la descendance d’Israël procure à YHWH un  » nom  » et cela constitue  » un signe perpétuel qui ne sera jamais retranché « .

Maintenant que la nouvelle dynastie est ainsi solidement établie, il peut à nouveau être question du temple (qui avait disparu du livre depuis le faux pas d’Ézéchias) selon l’ordre de priorités que Dieu avait déjà imposé à David (2 Sm 7).

Dominique Janthial, Cahier Évangile n° 142 (décembre 2007) pages 42-44

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