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DE L’HISTOIRE AVANT TOUTE CHOSE…Comprendre et lire la Bible, c’est aujourd’hui affronter les questions de « vérité » et d’ « historicité…

20 juin, 2013

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DE L’HISTOIRE AVANT TOUTE CHOSE…

THÉOLOGIE

APPROFONDIR

Comprendre et lire la Bible, c’est aujourd’hui affronter les questions de « vérité » et d’ « historicité…

En 2008, est parue la traduction française du maître livre de Mario Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire (Bayard éditions, Montrouge, 2008, 616 p., 28 € ; voir CE n° 131, 2005, p. 41-42 et CE n° 148, 2008, p. 68.) L’éditeur a demandé au professeur Jean-Louis Ska une préface. Nous la reproduisons ici avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. À sa façon, elle apporte un élément au débat contemporain sur le rôle de la démarche historique dans l’étude de la Bible et sur la place de la Bible concernant cette même recherche
Le livre de Mario Liverani m’invite à parodier le fameux vers de Paul Verlaine (« De la musique avant toute chose », « Art poétique », dans le recueil Jadis et Naguère, publié en 1884) pour plusieurs raisons. La première est sans doute la plus importante : si le chercheur veut parler d’histoire il doit le faire en historien, qu’il s’agisse de la Bible ou d’un autre sujet. Il est donc absolument essentiel de compulser tous les documents qui sont à sa disposition, de les passer au crible d’une critique rigoureuse et impartiale avant de tenter une synthèse qui permette de « donner sens » aux données et aux témoignages recueillis.
Que la Bible ait joué – et continue à jouer – un rôle spécifique dans la culture occidentale est indéniable. Qu’il faille, pour cette raison, étudier le « document biblique » d’une autre manière et selon d’autres méthodes que celles dont l’historien est coutumier ne se justifie pourtant en aucune façon.
C’est bien pourquoi de nombreuses « histoires d’Israël » traditionnelles souffrent ou ont souffert d’un grave défaut. Elles partaient en effet d’un présupposé plus ou moins conscient à propos de la « vérité » des récits bibliques, identifiant, au moins en partie, cette « vérité » avec la « vérité historique ». Bien des histoires d’Israël, pour cette raison, ont cherché à prouver l’historicité des grands personnages et des grands événements de l’Ancien et du Nouveau Testament. Dans ce cas, le texte biblique est le plus souvent paraphrasé sans être soumis à un examen rigoureux. De plus, bien peu d’effort est fait pour se demander quelle est l’intention des textes ou quel est leur genre littéraire. Les textes sont pris au pied de la lettre ou du moins comme des récits qui contiennent immanquablement des données objectives que le chercheur peut dégager assez facilement. La documentation fournie par les archéologues et les épigraphes est interrogée dans l’unique but de confirmer la « véracité » des textes bibliques ou, plus simplement encore, pour l’illustrer. Enfin, l’insistance sur le particularisme, voire le caractère unique des Écritures, empêche de voir les convergences et similitudes avec d’autres cultures du Proche-Orient ancien.
La situation a bien évolué ces dernières années, comme chacun sait. Mais elle est devenue très tendue. Dans bien des cas, pourtant, les discussions actuelles sur l’histoire d’Israël opposent moins les « minimalistes » aux « maximalistes » ou un monde laïque à un monde croyant que deux attitudes opposées face à l’enquête historique. D’un côté règne la méfiance vis-à-vis de toute recherche parce qu’elle pourrait mettre en danger les croyances traditionnelles ou du moins les formulations traditionnelles de ces croyances. De l’autre nous ne trouvons pas, comme peuvent le croire certains, une attitude iconoclaste qui chercherait seulement à dénigrer une religion naïve et obscurantiste ou à renvoyer au grenier de l’histoire les convictions nées de la révélation biblique. Nous trouvons plutôt une série de chercheurs honnêtes qui interrogent les textes en toute loyauté. Il faut dire que notre vision de la Bible ne peut que gagner à cette entreprise. Elle sera plus solide et plus éclairée. Elle sera débarrassée des éléments qui l’encombraient et qui empêchaient de distinguer l’essentiel de l’accessoire.
Il est un point important à noter à ce sujet. La « vérité » de la Bible n’est pas liée à un certain nombre de détails dont on peut mettre en doute l’historicité. Un historien critique peut douter qu’Abraham ait eu un fils alors qu’il était centenaire (Gn 21) ou se demander si Jésus est bien descendu en Égypte avec ses parents (Mt 2). Ce n’est pourtant pas une raison suffisante pour jeter au rancart les récits bibliques de la Genèse ou de l’Évangile comme étant des tissus de mensonges. La vérité sur Abraham est autre, tout comme celle sur Jésus. Et elle ne dépend pas de ces détails qu’il faut interpréter en fonction des conventions littéraires de l’époque et du contexte dans lequel ils apparaissent. La vérité vient de l’ensemble et non de l’un ou l’autre détail, ni même d’une accumulation de détails plus ou moins authentiques ou plus ou moins vérifiables de façon purement empirique. En outre, il faut se souvenir que la vérité, quelle qu’elle soit, est un processus dynamique et non pas une sorte de « chose » présente dans les textes ou les événements, chose qu’il faut seulement découvrir et accepter. Cela vaut également pour la vérité que l’historien peut dégager. Celle-ci ne peut être séparée de sa propre perspective, de ses propres présupposés ni surtout de son activité de synthèse qui rassemble toutes les données en une vue d’ensemble cohérente et intelligible.
Le livre de Mario Liverani, puisque c’est de lui qu’il s’agit, offre un bel exemple d’une histoire d’Israël conçue selon les critères rigoureux et acceptables de l’historiographie moderne. Ce n’est plus le texte biblique qui fournit la trame du livre (histoire patriarcale, exode, séjour au désert, conquête, les juges, la monarchie…). En outre, l’histoire d’Israël est inscrite dès le début dans le cadre général de l’histoire des peuples qui ont habité la même région, façonné son paysage et créé sa physionomie. Israël – puisqu’il faut bien donner un nom au peuple et au pays tout en sachant que l’on risque toujours d’être anachronique – est en dialogue avec ses voisins et il n’est pas possible de comprendre son histoire en faisant abstraction de ce dialogue. Du point de vue méthodologique, il est un autre dialogue qui s’instaure entre différentes disciplines : histoire documentaire, archéologie, épigraphie, exégèse… C’est une des richesses, et l’une des plus grandes de ce volume que cette « histoire en dialogue ».
Mario Liverani divise son étude en deux parties principales qu’il intitule « histoire normale » et « histoire inventée ». Pour simplifier les choses, je dirais que la première partie présente les résultats de l’historien tandis que la seconde veut montrer comment les écrivains bibliques ont cherché à construire l’histoire d’Israël. L’intention est assez claire : montrer la distance qui sépare l’historiographie biblique (ou les « histoires d’Israël » classiques) de l’histoire écrite par un chercheur contemporain. Pour être plus précis, la seconde partie entend relire les récits bibliques dans le contexte de leur composition littéraire, celui de l’époque perse (au moins pour la majorité d’entre eux), et montrer qu’ils répondent avant tout aux préoccupations de cette période. Il est donc assez vain de leur demander des informations sur les époques, parfois très reculées, qu’ils entendent décrire. Par exemple, il n’est pas opportun de chercher dans les récits de l’exode des indications sur l’itinéraire suivi par un groupe d’esclaves ayant fui leurs gardes-chiourmes par une nuit de printemps à l’époque de Ramsès II ou de Merenptah, son fils et successeur. Bon nombre de ces récits en disent davantage sur le « nouvel exode », c’est-à-dire sur le retour de l’exil.
Ce choix de Mario Liverani a plusieurs avantages. Il permet surtout d’apprécier le progrès accompli par la recherche dans le domaine de l’histoire d’Israël. Il permet aussi de mieux saisir la portée exacte de nombreux récits bibliques lorsqu’ils sont mesurés à l’aune de la recherche historique. Mais – si je puis me permettre une remarque personnelle – il pourrait aussi engendrer un certain malentendu. Car, en fin de compte, il faut bien remarquer que la première partie de l’ouvrage s’appuie assez souvent sur les documents bibliques, ce qui est tout à fait normal d’ailleurs. Il est impossible d’écrire une « histoire d’Israël » sans faire appel, d’une manière ou d’une autre, à la source la plus importante et la plus complète dans le domaine. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille lire ces documents de façon acritique. Au contraire. Mais le lecteur non prévenu pourrait s’étonner que les récits ou documents qui ont été utilisés dans la première partie appartiennent en fait à l’ « histoire inventée » de la seconde. Il pourrait aussi s’étonner de voir réapparaître certaines données jugées très anciennes dans la première partie parmi les « inventions » de la seconde. Je ne prends que deux exemples plus frappants. Le nom « Abraham », selon Mario Liverani, serait attesté dans l’aire palestinienne vers 1289 avant notre ère. Mais comment faire le pont entre cette découverte et le personnage Abraham « inventé » à l’époque postexilique ? De même, le commandement du respect des parents est fort ancien (il est attesté au XVe et au XIIIe siècle avant notre ère). Le Décalogue et la Loi, par contre, sont très récents. Il serait possible d’allonger la liste des exemples, mais ce n’est pas notre propos. Il est en effet possible, à mon avis, de réconcilier les termes de ces apparentes antithèses.
Tout d’abord, il ne faut pas oublier, comme nous le disait le vieux philosophe présocratique Anaxagore, que « rien ne se crée, rien ne se perd, mais tout se transforme ». Lavoisier, parmi d’autres, a repris ce principe pour l’appliquer à la chimie. Il vaut particulièrement pour le monde antique où une chose n’a de la valeur que si elle est ancienne. Par ailleurs, et il est important de noter ce fait, les Anciens invoquaient ce principe lorsqu’il leur fallait introduire des innovations. Puisque seul ce qui est ancien a de la valeur, il faut toujours montrer que ce qui est neuf ne l’est pas vraiment, mais qu’il remonte à la nuit des temps. Le lecteur du Nouveau Testament se souviendra immédiatement du personnage de Paul dans les Actes des Apôtres qui, pour cette raison, ne cesse d’affirmer sa fidélité à la tradition de ses ancêtres.
La tâche du chercheur est donc malaisée parce que les témoignages affirment avec force l’antiquité d’un personnage ou d’une institution alors que la recherche montre que le contexte est récent. La description du temple de Salomon, selon toute apparence, a pour but principal de donner des « lettres de noblesse » au second temple reconstruit après le retour de l’exil. Il est assez facile au regard critique de discerner les anachronismes dans le récit biblique. Faut-il dire pour autant qu’il n’y a jamais eu de temple de Salomon ? La réponse doit être nuancée. Il y a eu, très probablement, un temple de Salomon. La présence de temples à côté des palais royaux dans la région incite à le penser. Mais il est certain que la description qu’en donne 1 Rois 8 est bien loin de vouloir nous fournir une fidèle photographie de ce temple salomonien qui devait être tout au plus une sorte de « chapelle palatine » aux dimensions fort réduites.
Par ailleurs, des historiens comme Paul Veyne ou Hayden White et, faut-il le dire, Henri-Irénée Marrou ou Moses I. Finley, nous ont libérés d’une image très aseptisée du travail de l’historien. L’historien n’est pas seulement un collectionneur d’antiquités ou un pur photographe du passé. Pour reprendre cette dernière image, il peut être un photographe, mais il est avant tout un artiste, un de ces grands photographes qui sait trouver le détail curieux, le point de vue ou l’angle de vue original et surtout le cadrage idéal pour faire ressortir I’élément ou l’aspect que personne n’avait jamais remarqué auparavant. En d’autres termes l’historien est aussi un créateur, un artiste et – jusqu’à un certain point – un poète, au sens étymologique du terme. Certes, il ne crée pas la documentation qui est à sa disposition. Mais c’est lui qui donne une « signification » aux éléments épars qui lui sont fournis par les documents. Dans ce sens, il est certainement légitime de parler d’invention comme le fait Mario Liverani. Il s’agit, au demeurant, d’une invention qui connaît les limites et les règles du jeu, tout comme la poésie et la création littéraire d’ailleurs. De cela, c’est sans doute Paul Ricœur qui nous a le mieux parlé.
Sur ce point précis, les écrivains bibliques sont sans doute plus proches des historiens modernes qu’il ne peut sembler à première vue. Les données du problème sont différentes, les enjeux sont différents, les règles et conventions ne sont plus les mêmes, mais il s’agit toujours de reconstruire le passé et de lui donner « sens » pour chercher à comprendre son propre desti.
C’est dire que le lecteur des textes bibliques doit faire face à plus d’un défi. Sa tâche n’en est pas moins passionnante, et c’est un des grands mérites de Mario Liverani de bien vouloir nous servir de guide dans ce voyage à travers une histoire d’Israël beaucoup plus sobre, sans doute, que celle à laquelle nous avons pu être habitués, mais qui gagne en profondeur et en rigueur. Il est donc temps de lui laisser la parole et c’est ce que je fais avec un très grand plaisir, non sans profiter de l’occasion pour lui exprimer toute notre gratitude pour avoir mis sa remarquable érudition à notre portée.

Jean-Louis Ska, s.j., Institut Biblique Pontifical (Rome), SBEV, Bulletin Information Biblique n° 73 (Décembre 2009), p. 10.

UNE ÉGLISE VIVANTE QUI SE CONSTITUE PEU À PEU

7 mai, 2013

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UNE ÉGLISE VIVANTE QUI SE CONSTITUE PEU À PEU

THÉOLOGIE

COMMENCER
À lire les Actes des Apôtres, on découvre une Église vivante qui se constitue peu à peu comme communauté…
À lire les Actes des Apôtres, on découvre une Église vivante qui se constitue peu à peu comme communauté. Non pas un groupe replié sur lui-même, fermé, mais au contraire une communauté ouverte, qui veut partager ce qu’elle a de plus précieux, qui annonce sans réserve Celui qui est au cœur de sa foi. Une communauté qui célèbre les louanges de Dieu pour ce qu’il a fait en Jésus son serviteur, une communauté qui veut vivre de l’Esprit de son Seigneur et maître, Jésus de Nazareth.

Un peuple de témoins
« Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres » nous dit Luc (Ac 2,42). Quel est donc cet enseignement des apôtres qui retient l’attention des nouveaux croyants ? C’est précisément le témoignage qu’ils rendent à Jésus, annonçant sa résurrection, son mystère pascal et le salut qui est en lui : « cet homme que vous avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main de impies, Dieu l’a ressuscité  en le délivrant des douleurs de la mort » (Ac 2,23-24), déclare Pierre au jour de la Pentecôte. Et les apôtres sont eux-mêmes les « témoins de la résurrection de Jésus », comme le dit Pierre au moment de l’élection de Matthias comme douzième apôtre, pour compléter le groupe défait par la trahison de Judas (Ac 1,22).
Et leur témoignage concerne Jésus, vivante Parole de Dieu, messie promis et manifesté pour la délivrance de son peuple : « C’est lui la pierre que, vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut et qui est devenue la pierre angulaire. Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en lui ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom offert aux hommes qui soit nécessaire à notre salut », dit encore l’apôtre Pierre après la guérison de l’infirme de la Belle Porte du Temple (Ac 4,11-12).
Aujourd’hui encore, l’Église est ce peuple rassemblé par la Parole qui est le Christ. C’est le sens même du mot grec « ekklesia » qui signifie « assemblée » et que traduit notre mot « Église ». Et chaque dimanche, à l’eucharistie, nous commençons par nous rassembler pour écouter la Parole, pour entendre son message, actualisé par l’homélie d’un diacre ou d’un prêtre, qui prolonge ainsi l’enseignement des apôtres, car l’un et l’autre sont liés au ministère de l’Évêque, successeur des apôtres.
C’est ainsi que l’Église se constitue comme le peuple des témoins de Jésus, le peuple de prophètes qui répand dans le monde et pour lui la Bonne Nouvelle du ressuscité. L’Église découvre alors que, depuis le jour de la Pentecôte, elle « existe pour évangéliser » (Paul VI, Annoncer l’Évangile aux hommes de ce temps n°14, 1975). 

Un peuple de frères et de sœurs
« ils étaient assidus à la communion fraternelle », dit Luc. L’insistance de Luc est grande dans les Actes des Apôtres sur cette fraternité nouvelle qui constitue la communauté chrétienne : « Ils mettaient tout en commun » (2, 44), « ils vendaient leurs propriétés et leurs biens pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun » (2,45), « nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens, ils mettaient tout en commun » (4,32).
Cette fraternité ne se fonde pas seulement dans un désir solidaire de partage, elle se fonde en Jésus lui-même. En révélant à ses disciples que Dieu est Père, son Père et leur Père (Jn 20,17), Jésus leur découvre qu’ils sont tous frères et que Dieu ne fait pas de différence entre les êtres humains (Ac 10,34). Le baptême qui plonge les croyants dans la mort et la résurrection de Jésus fait donc d’eux des fils mais aussi des frères, qui doivent vivre de l’amour même de Jésus, selon sa parole : « Je vous donne un commandement nouveau :  aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. » (Jn 13,34-35)
L’Église du Christ ne cesse pas de vivre cette dimension du service, de la « diaconie », comme le cœur de son être. Au XXe siècle, elle a redécouvert avec le concile Vatican II la grandeur du sacerdoce commun des fidèles, qui lie tous les baptisés en un seul corps, en une seule fraternité, avant de poser les différences qui la structurent : « si donc, dans l’Église, tous ne marchent pas par le même chemin, tous, cependant, sont appelés à la sainteté et ont reçu à titre égal la foi qui introduit dans la justice de Dieu. Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité » (Vatican II, constitution Lumen Gentium, n°32). Cette fraternité, fondée en Jésus, le Fils qui nous fait fils avec lui, l’Église se doit de l’annoncer et la vivre dans de vraies communautés qui mettent en œuvre le sens du partage, entre ses membres mais aussi avec tous ceux qui sont démunis.

Un peuple de prêtres
« Ils étaient assidus à la fraction du pain et aux prières ». La fraction du pain dont parle St Luc, c’est le geste de Jésus devant les pèlerins d’Emmaüs, c’est le signe de reconnaissance du Ressuscité (Lc 24,35). Désormais, chaque dimanche, la communauté chrétienne célèbre le repas du Seigneur, manifestant ainsi qu’il est vivant et que c’est lui qui préside la communauté des siens. Très vite, les chrétiens, grâce à St Paul, prendront conscience qu’ils sont ensemble le corps du Christ ressuscité, animé par son Esprit.
En célébrant le repas du Seigneur, l’Église fait donc mémoire du mystère pascal de Jésus, elle offre sa vie donnée une fois pour toutes pour la réconciliation des hommes avec Dieu. Et même si les chrétiens de Jérusalem fréquentent encore assidûment le Temple pour les prières quotidiennes, le culte nouveau s’est tourné désormais vers Jésus lui-même. C’est lui, grand prêtre de l’alliance nouvelle, qui fait participer tout son peuple à son sacerdoce saint en même temps qu’il appelle certains au sacerdoce ministériel, comme prêtres, pour le service du peuple sacerdotal (Lumen Gentium, n°10). Ainsi l’Église est-elle le peuple de Dieu, un peuple de prêtres, de priants, chargé de chanter la louange du Seigneur, chargé aussi d’intercéder en faveur de tous les hommes par le nom de Jésus.
L’eucharistie, l’action de grâce de Jésus à son Père, apparaît ainsi le lieu « source » de l’Église en même temps que le « sommet de son action », selon la formule du Père Henri de Lubac. Née de l’eau et du sang qui coulent du côté ouvert de Jésus en croix (Jn 19,34), l’Église devient vraiment le corps du Christ, le corps dont Jésus Ressuscité est la tête et c’est de lui qu’elle reçoit toute sa vie, dans le pain de la Parole et dans le pain eucharistique. Nourris par cette vie, les chrétiens peuvent alors devenir eux-mêmes louange et action de grâce au Père, à la suite de Jésus et avec lui, ils peuvent s’offrir eux-mêmes en « sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu », selon la recommandation de St Paul (Rm 12, 1).
Communauté de la Parole, du partage et de la prière, peuple qui vit le témoignage, le service et la communion, telle nous apparaît l’Église au commencement de son histoire. C’est toujours à cette source du ministère de Jésus lui-même qu’elle puise aujourd’hui encore sa vie, pour annoncer aux hommes de ce temps la Bonne Nouvelle de Jésus, pour célébrer en son nom l’action de grâce de l’alliance nouvelle et éternelle, pour aimer comme il nous a aimés, pour servir comme lui.

LE SEPTIÈME JOUR

1 mai, 2013

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LE SEPTIÈME JOUR

L’Ancien Testament est traversé par une ambivalence qui rejaillit dans le Nouveau…
L’Ancien Testament est traversé par une ambivalence qui rejaillit dans le Nouveau : le travail est signe de la grandeur de l’être humain, mais il est aussi un des lieux majeurs de l’exploitation, de la domination et de l’asservissement. Dans cette tension, quelle est la place du sabbat ?
De manière générale, la Bible considère le travail comme la tâche normale de l’homme, voulue par Dieu, donc sainte et belle. Créé à l’image de Dieu, l’être humain est établi dans le jardin d’Éden « pour le cultiver et le garder » (Gn 2, 15). Travailler est même un des grands commandements divins « Tu travailleras six jours faisant tout ton ouvrage… » (Ex 20, 9). A l’inverse, parce que la création divine est comme prolongée par le travail humain, l’oisiveté et la paresse sont sévèrement blâmées. Elles éloignent de Dieu en même temps qu’elles conduisent à une misère certaine (cf. encadré).

LA DURETÉ DU TRAVAIL
Mais le travail est pénible et l’on s’interroge : s’il reflète la grandeur de l’être humain appelé à poursuivre la création divine, comment expliquer qu’il soit source de fatigues et de maux de toutes sortes ? Dans un langage qui s’apparente à celui des mythes, le deuxième récit de la création y voit une des conséquences du péché des hommes (Gn 3, 17-19). Outre le souci d’expliquer pourquoi le travail est trop souvent pénible alors que la création venant de Dieu est bonne, on perçoit ici la prise de conscience de la dure nécessité du travail pour vivre et survivre. Maintes pages de la Bible se font l’écho de ce drame qui semble toucher l’humanité dans ce qu’elle a de plus noble. C’est Job qui gémit après le « temps de corvée que le mortel vit sur terre » (Jb 7, 1ss) ou Qohélet qui considère l’importance du travail des hommes pour conclure amèrement à sa vanité (Qo 2, 22-23).
À ce constat, il faut ajouter les conditions de travail inhumaines auxquelles sont soumis les esclaves, les prisonniers de guerre, sans oublier l’exploitation dont sont victimes les plus pauvres (Jr 22, 13 ; Dt 24, 14-15). On reconnaît alors que le travail s’inscrit à l’intérieur d’institutions sociales marquées par la violence et l’injustice. S’il demande à être libéré de sa pénibilité naturelle, le travail doit donc être libéré des conditions injustes qui l’accompagnent souvent.
À cause de cela – ou à cause de l’influence de la culture grecque ? –, le travail manuel est présenté dans les derniers livres de l’Ancien Testament comme une activité subalterne. Ainsi, bien qu’il reconnaisse qu’il n’y aurait pas eu de villes à habiter s’il n’y avait pas eu d’artisans (38, 32), et que le travail manuel est nécessaire pour vivre (7, 15 etc.), Ben Sirac proclame la supériorité des scribes sur les artisans (38, 24-26).

JACQUES ET JÉSUS
De Jacques, on retiendra une terrible diatribe à l’encontre des riches qui exploitent leurs salariés (Jc 5, 4). De Jésus, on retiendra que ses paraboles sont généralement empruntées au monde du travail, qu’il s’agisse des semailles, des moissons, des vendanges ou des ouvriers attendant sur la place du village qu’on vienne les embaucher. Néanmoins, Jésus semble prendre ses distances par rapport à une certaine conception du travail : c’est l’épisode où Jésus met en garde Marthe contre le danger de l’activisme (Lc 10, 38-42) ; c’est l’invitation à ne pas faire de la nourriture ou du vêtement le seul horizon de sa vie (Lc 12, 22-32). Reste que l’on ne voit jamais Jésus travailler des ses mains, pas plus d’ailleurs que ses disciples qui abandonnent leur travail pour le suivre. C’est sans doute le signe que Jésus considère l’annonce de l’Évangile comme un  travail.

PAUL
Différemment de Jésus, Paul est fier de travailler de ses mains (1Th 2, 9 ; 1Co 4, 12), au point d’ailleurs de demander aux Thessaloniciens de l’imiter. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix : annoncer l’Évangile gratuitement en n’étant à la charge de personne (1Co 9, 18) ; rendre l’annonce de l’Évangile proche des réalités de ceux qui travaillent ; proposer une vision positive du travail. Dans un contexte où le travail manuel était souvent méprisé, parce que contraire à une « vie honorable », Paul voulait sans doute montrer que le travail n’est pas un signe d’esclavage ou un motif de honte mais un témoignage d’ »honnêteté » (cf.1Th 4, 11-12).
Face à des chrétiens qui prenaient prétexte des enseignements évangéliques ou de l’attente du retour du Christ pour ne rien faire, la deuxième lettre aux Thessaloniciens insistera sur la nécessité de gagner sa vie en travaillant, car « qui ne veut pas travailler ne doit pas non plus manger » (2Th 3, 6-12). C’était une manière de rappeler que l’attente du retour du Christ n’exclut pas un véritablement engagement dans le monde.

ET LE SABBAT ?
C’est un des aspects les plus étonnants de la Bible : aussi important soit-il, le travail des hommes est régulé par le sabbat et le devoir, un jour par semaine, de cesser, toute activité : « … le septième jour, c’est le sabbat du Seigneur ton Dieu » (Ex 20, 10). En s’arrêtant de travailler pour se consacrer à Dieu, les hommes se rappellent en effet qu’ils ne sont pas la mesure de toutes choses, mais seulement l’image de Celui à qui appartient l’univers et tout ce qui l’habite. En s’arrêtant, ils ne laissent pas prendre aux pièges du productivisme ou de l’efficacité. Ils reconnaissent  que leur œuvre est limitée et que le travail n’a de valeur que s’il est fécondé par la rencontre de Dieu ou que s’il est habité par la gratuité, la beauté, l’amour tout simplement. C’est plus que jamais d’actualité.

SBEV. Pierre Debergé

LA PENTECÔTE JUIVE – LA FÊTE DE PENTECÔTE VIENT DU JUDAÏSME…

23 avril, 2013

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LA PENTECÔTE JUIVE

LA FÊTE DE PENTECÔTE VIENT DU JUDAÏSME…

La fête de Pentecôte vient du judaïsme. Elle est liée à la célébration de Pâques, autrement dit à la sortie d’Égypte. Mais quel est son sens ? Est-il resté le même jusqu’à la Pentecôte chrétienne ?
En Israël, le passage d’un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire a provoqué de profonds changements dans la société et dans le culte. Par définition, le culte nomade ne peut pas être associé à des lieux fixes, comme des sanctuaires; tout doit pouvoir se transporter. Cependant, même dans la religion d’un peuple nomade il faut des lieux fixes qui ont un rôle symbolique fort. Il en est ainsi de la montagne du Sinaï, et de plusieurs autres sites dans le désert.

Trois grandes fêtes annuelles
Lors du passage à une vie sédentaire, vers la fin du 2° millénaire avant Jésus Christ, le culte se célèbre essentiellement dans des sanctuaires fixes. C’est à ce moment-là que le cycle des fêtes est adopté. Israël instaure trois grandes fêtes annuelles qui suivent le calendrier agricole.
Il y a d’abord la fête des pains sans levain (matsoth) au début de la moisson, qui sera combinée plus tard à la Pâque pour ne plus faire qu’une seule fête se référant à la sortie d’Égypte.
Il y a ensuite la fête des Moissons, appelée aussi fête des Semaines, qui est célébrée à la fin des moissons.
Il y a enfin la fête des vendanges qui clôture le cycle annuel des récoltes. Ces grandes fêtes annuelles sont des fêtes de pèlerinage. Leur célébration rappelle les grandes étapes de l’histoire du peuple et les réactualise.
Cinquante jours après Pâques : la Pentecôte
La fête des Semaines, ou fête du « Cinquantième » jour était appelée ainsi parce qu’elle était célébrée par les Israélites sept semaines après l’offrande des prémices de la moisson (en grec le mot Pentecôte signifie cinquante).
Le Livre du Deutéronome, au chapitre 16 décrit ces trois fêtes de pèlerinage.
Pour la fête des Semaines, il dit ceci :
Tu compteras sept semaines; c’est à partir du jour où on se met à faucher la moisson que tu compteras les sept semaines. Puis tu célébreras la fête des Semaines pour le Seigneur ton Dieu… .
Le Livre du Lévitique précise les modalités de la fête :
Vous compterez sept semaines à partir du lendemain du sabbat… jusqu’au lendemain du septième sabbat, vous compterez cinquante jours, et vous présenterez au Seigneur une offrande de la nouvelle récolte. (Lev 26, 15).
Le Livre décrit le déroulement de cette fête. On offrait deux pains de farine nouvelle, cuite avec du levain. La relation à la Fête de Pâques est évidente. Au début de la moisson, on mange des pains sans levain en signe de renouveau; à la fin de la moisson des blés, on offre du pain levé, qui est le pain quotidien des sédentaires. Le temps de la moisson est terminé, et, avec son produit, on reprend la vie ordinaire. La Pentecôte était la célébration de clôture de la Pâque, cinquante jours après.
Le don de la Loi au Sinaï
Les fêtes juives sont liées aux grandes étapes de l’histoire du salut. La Pâque étant devenue la célébration de la sortie d’Égypte, la fête des Semaines a été reliée assez naturellement à la promulgation de la Loi sur le mont Sinaï :
Le troisième mois après leur sortie d’Égypte, aujourd’hui même (= le jour de la Pentecôte), les fils d’Israël arrivèrent au désert de Sinaï (Exode 19,1).
Utilisant cette référence, les Israélites firent de la fête des Semaines, qui existait déjà, la commémoration de l’Alliance. La Pentecôte était la fête la plus importante pour la communauté des Esséniens (qui s’appelait elle-même la « Communauté de la Nouvelle Alliance »). Ils la célébraient comme la Fête du renouvellement de l’Alliance.

Du Temple à la maison du croyant
La fête prend une signification différente selon l’évolution du mode de vie des israélites : d’une vie nomade à une vie sédentarisée, de lieux mouvants à des lieux fixes. Les récits bibliques, faits d’ajouts rédigés à des époques différentes, donnent le sens de ces fêtes. Ils traduisent bien cette ambiguïté, en mélangeant souvent les deux modes de vie. Même si le Temple de Jérusalem est doté un statut particulier, de nombreux épisodes de l’Ancien testament privilégient encore le nomadisme. La fête de Pentecôte qui rappelle le don de la Loi à la montagne du Sinaï, a peut-être été célébrée au Temple de Jérusalem, pour aboutir, après la destruction du Temple, à la maison de chaque croyant.
Dieu ne peut plus être attaché à un lieu, fut-il sacré. Cette évolution ne correspond à une conviction : le croyant, homme en mouvement, disponible, ne doit avoir d’autre attachement que Dieu.

LES JUDÉO-CHRÉTIENS : DES TÉMOINS OUBLIÉS

17 avril, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/675.html

135 – LES JUDÉO-CHRÉTIENS : DES TÉMOINS OUBLIÉS

NOTE HISTORIQUE

APPROFONDIR

Ils se voulaient Juifs et chrétiens… Une page oubliée de l’histoire de l’Église pour relire le Nouveau Testament.
Ils se voulaient Juifs et chrétiens, mais  » ils ne sont ni Juifs ni Chrétiens ! « . C’est du moins l’opinion, pour une fois partagée, d’Augustin et de Jérôme.
Nous sommes au Ve siècle et les gens ainsi jugés allaient disparaître après avoir été poussés aux marges de l’Histoire. Qui étaient-ils ? Ici, on les appelle  » ébionites « , là  » nazôréens « . De ces sobriquets donnés par leurs adversaires, ils ont tiré fierté.  » Ébion « , en hébreu, signifie  » pauvre « . Origène – parmi d’autres – se moque de leur pauvreté intellectuelle ? Eux se placent dans la lignée des  » pauvres d’Israël  » ! Par ailleurs, qui ne serait honoré de porter le titre de  » nazôréen « , exactement comme Jésus lui-même ?
Dans le Dossier, Jean-Pierre Lémonon présente les résultats d’une enquête historique dont l’intérêt ne se limite pas à exhumer une page du passé. Qu’est-ce que la  » grande Église  » à dominante grecque et latine a fait des communautés proche-orientales de culture sémitique ? Pourquoi ce malaise devant ceux et celles qui pensaient pouvoir confesser Jésus le Christ et pratiquer les commandements de Moise ? Doit-on les rapprocher des  » faux frères  » dénoncés par Paul dans sa lettre aux Galates ? Quel a été, à l’aube du christianisme, le poids de l’Église de Jérusalem souvent citée à ce propos et, chez elle, de Jacques le frère du Seigneur ? Il nous faut relire, avec ces questions, les lettres de Paul, mais aussi l’œuvre johannique et le récit des Actes des Apôtres.
L’enquête historique croise bien des questions actuelles, comme la judéité de Jésus, I’élaboration progressive de la christologie ou les rapports – continuité, accomplissement, rupture – du Premier et du Nouveau Testament. Dans la vie quotidienne, sur quels critères se définissent donc la valeur d’une pratique et la vérité d’un discours ?
La partie « Actualités » donne, avant les habituelles recensions d’ouvrages récents, la fin d’une étude de François-Xavier Amherdt sur Paul Ricœur. Le philosophe récemment disparu a affronté la question de la vérité du discours biblique. Il a remarqué en particulier, concernant l’interprétation de la résurrection de Jésus, que les textes évangéliques, de Marc à Jean, comportaient un  » espace de variation  » remarquable.
Les judéo-chrétiens, à leur manière, témoignent de la richesse et des tensions de cet espace initial où se sont élaborés les mots de la foi chrétienne.

Cahier Évangile n°135
64 pages, SBEV/Éd. du Cerf, mars 2006

DOSSIER :  » Les judéo-chrétiens : des témoins oubliés ”
par Jean-Pierre Lémonon
p. 03 Au sein du christianisme primitif, certaines tendances ont fini par sortir de l’histoire. Parmi elles, se trouve le courant dénommé  » judéo-chrétien « , expression à la fois pratique et imprécise. Pratique, elle désigne des disciples de Jésus qui voulurent continuer à observer les commandements mosaïques. Imprécise, elle regroupe des communautés très diverses. À partir de notations disséminées surtout chez les Pères de l’Église, du IIe au Ve s., émergent les ébionites et les nazoréens. Qui étaient-ils ? Quelle était leur foi ? Pourquoi ont-ils disparu ? Quels liens peut-on établir avec les premières communautés chrétiennes, en particulier l’Église de Jérusalem ?
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CARACTÉRISTIQUES DES JUDÉO-CHRÉTIENS
NOTE HISTORIQUE

Approfondir
 Dans leur ensemble les judéo-chrétiens sont d’origine juive…
Dans leur ensemble les judéo-chrétiens sont d’origine juive, mais il n’est pas impensable que certains chrétiens provenant des nations se soient laissés entraîner dans un désir de double appartenance. Sans négliger la foi au Dieu Un et la certitude de l’élection d’Israël, le judaïsme se caractérise par une pratique dont les traits essentiels sont la circoncision, la célébration du sabbat et des fêtes, ainsi que le respect des règles alimentaires. Les judéo-chrétiens vont donc se distinguer par la volonté de mettre en uvre des observances spécifiques qui expriment le rattachement étroit de leur foi nouvelle à la tradition d’Israël. Certes, tous les disciples de Jésus ont eu le souci de rattacher leur foi à la tradition d’Israël, mais les judéo-chrétiens expriment ce lien par la mise en uvre des commandements de la Loi mosaïque.
Pratique des commandements
Préciser le contenu concret de ces commandements n’est pas des plus faciles. En effet, le judaïsme du Ier s. était divers, et tous les groupes juifs n’avaient pas la même compréhension des commandements. Or, dans la communauté des disciples rentrent des Juifs de diverses origines : lévites, prêtres, pharisiens (Ac 4, 36 ; 6, 7 ; 15, 5), baptistes (Jn 1, 35), habitants de Jérusalem de langue juive et d’autres de langue grecque (Ac 6, 1). Chaque groupe avait sa propre idée sur la mise en uvre des commandements issus de la Loi mosaïque. De plus, les bouleversements provoqués par la destruction du Temple en 70, puis par le décret d’Hadrien en 135 interdisant aux Juifs de résider à Jérusalem, ont considérablement modifié le champ des commandements. Il est donc très difficile de préciser les commandements suivis par les groupes dits  » judéo-chrétiens  » car, entre les uns et les autres, il pouvait y avoir des différences importantes. Il n’en demeure pas moins que tous, par la pratique des commandements mosaïques, pensaient se rattacher étroitement à la tradition d’Israël.
Selon Marcel Simon, un des pionniers dans le renouveau des études sur les judéo-chrétiens, on pourrait parler de  » judéo-chrétiens  » quand, tout en se proclamant disciples de Jésus, des personnes mettent en uvre des commandements mosaïques qui dépassent les obligations s’appliquant à tout croyant. Ces dernières sont mentionnées à la suite de l’assemblée de Jérusalem : abstention  » des souillures de l’idolâtrie, de l’immoralité, de la viande étouffée et du sang  » (Ac 15, 20). M. Simon formule ainsi son point de vue :  » sera judéo-chrétien celui qui ira au-delà de ce minimum indispensable et se pliera à d’autres prescriptions de la Loi rituelle juive  ». On peut discuter sur le point de départ proposé, il n’en demeure pas moins que l’intérêt du propos est de mettre en valeur l’observance des pratiques juives pour la définition des judéo-chrétiens. Mais la signification attachée à ces pratiques doit également être évaluée, car certains judéo-chrétiens en font une condition de salut tandis que d’autres les considèrent comme une simple affirmation de la continuité de l’histoire de l’Alliance.
Réserve vis-à-vis de Paul
Un parcours même rapide à travers l’ensemble des textes qui évoquent directement ou non ces hommes et ces femmes qui veulent être et juifs et chrétiens oblige à ajouter à la pratique des commandements un autre trait : toute une sensibilité manifeste de la réserve ou montre de l’hostilité vis-à-vis de l’apôtre Paul. Cependant ce dernier trait ne s’applique pas à tous les judéo-chrétiens.
Regards divers sur Jésus de Nazareth
L’attachement aux rites juifs ne suffit cependant pas à rendre compte de la diversité des groupes judéo-chrétiens, car ces communautés portent aussi un regard différent sur l’identité de Jésus. Certains le considèrent comme un maître ; d’autres reconnaissent en lui le Messie d’Israël sans confesser pourtant sa divinité, refusant notamment l’idée d’une naissance virginale ; d’autres enfin ont une confession christologique que ne renieraient pas les Pères de l’Église.
Aussi pour faire droit aux différentes sensibilités des groupes dits  » judéo-chrétiens  » et préserver, autant que faire se peut, la spécificité de chacun d’entre eux il est préférable de conserver les noms qu’ils reçoivent chez les Pères de l’Église, tout en sachant qu’il est fort vraisemblable qu’à l’origine ces noms leur furent donnés par leurs adversaires (voir Épiphane,  »Panarion » 29,1,3 ; 6,2).
Dans la littérature patristique les judéo-chrétiens apparaissent essentiellement sous trois noms : ébionites, nazôréens et elkasaïtes. Nous suivrons ici l’histoire des deux premiers groupes, nous réservant de parler des elkasaïtes en un long Appendice. En certains cas, en particulier à propos de la littérature rabbinique, nous serons cependant obligés de parler de  » judéo-chrétiens  » en général.

Jean-Pierre Lémonon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 135 (mars 2006) « Les judéo-chrétiens : des témoins oubliés »,  p. 7-9.

LA PAROLE DE LA CROIX CHEZ SAINT PAUL

12 février, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1126.html

LA PAROLE DE LA CROIX CHEZ SAINT PAUL

THÉOLOGIE

APPROFONDIR

Rien ne disposait Paul à devenir le messager de l’Evangile de Jésus-Christ crucifié et ressuscité…
Rien ne disposait Paul[1] à devenir l’apôtre des nations et le messager de l’Evangile de Jésus-Christ crucifié et ressuscité. C’est dans sa rencontre avec Celui qu’il persécutait qu’il lui a été donné de comprendre que Jésus qu’il croyait, « maudit de Dieu » était, en réalité, son Fils, un Fils parfaitement « obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix… élevé au rang de Seigneur de l’univers (Ph 2,9-11). Sur le chemin de Damas, Dieu a, en effet, « ôté le voile » qui empêchait Paul de voir sa gloire sur le visage du Christ Jésus crucifié. Dans le « dévoilement » du Fils (Ga 1,13-17), il a perçu le sens de la croix et la gratuité radicale de l’initiative de Dieu à son égard.
Parce qu’il lui a été révélé que la Passion est l’expression parfaite de l’amour du Christ pour son Père et pour l’humanité, en même temps que la révélation de la nature paradoxale de la toute-puissance du Dieu de Jésus-Christ, Paul a donc décidé de ne chercher que Jésus Christ crucifié, pour être crucifié avec lui : «  Avec le Christ, je suis un crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,19-20). En conséquence, s’il sera dominé par l’annonce de l’évangile qu’il a reçu (1 Co 15,3-5), le ministère de Paul sera surtout déterminé par la révélation de la nature déconcertante de la puissance de Dieu qui se donne à voir dans la faiblesse de Jésus-Christ crucifié. Alors que la première tradition chrétienne évoquait la mort de Jésus, mais sans nécessairement s’attarder sur la nature de cette mort, l’insistance sur la mort de Jésus par crucifixion sera même un trait caractéristique de la prédication de Paul[2].
Comme on le constate à la lecture des deux premiers chapitres de la 1ère lettre aux Corinthiens rédigée dans les années 53-54[3], Paul, pour la première fois, mettra en œuvre une « théologie de la croix[4] » qui ne relève pas d’une construction intellectuelle ou d’une théorie religieuse, car la croix a « parlé » dans son existence, lorsque Dieu s’est révélé à lui sous la figure d’un crucifié.

LA « PAROLE DE LA CROIX » EST FOLIE
Pour bien saisir les enjeux de la « théologie de la croix » que Paul va élaborer[5], il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la communauté de Corinthe était confrontée à de multiples problèmes, mais ce qui par-dessus tout semblait inquiéter l’apôtre, c’était l’existence de tensions identitaires au sein de la communauté (1 Co 1, 11). Chaque groupe en présence se référait, semble-t-il, à une figure fondatrice qui donnait une orientation particulière à l’expression de sa foi : Paul, Apollos ou Céphas (1 Co 1,12). Or, devant ces divisions (1 Co 1,10-17), conséquence d’une trop grande importance accordée à la parole (cf. 1 Co 2,1-5), à la connaissance (1 Co 8,1-3.11) ou à certaines manifestations de l’Esprit (1 Co 12-14)[6], que fait Paul ? Il plante la croix du Christ au milieu de la communauté déchirée de Corinthe : « Le Christ est-il divisé ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été crucifiés ? » (1 Co 1,13)
A ceux qui sont divisés, Paul oppose ainsi un événement scandaleux qui n’offre, à cette époque, aucune possibilité de référence identitaire, puisque la crucifixion était le « supplice le plus cruel et le plus infamant[7] » qui soit, celui que l’on réservait aux criminels et aux esclaves. Après avoir rappelé que l’unité de la communauté chrétienne n’a pas d’autre origine et fondement que la croix du Christ, l’apôtre consacre ensuite un long développement à la « parole de la croix » qui proclame sur Dieu le contraire de ce que les hommes conçoivent et comprennent habituellement de lui : « Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu (…) Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes» (1 Co 1,18.22-25)
Bien qu’inséparable de « la proclamation de la résurrection de celui qui est devenu, par elle, le Crucifié[8] », la « parole de la croix[9] »,  est, pour l’apôtre Paul, un « scandale » pour les Juifs et une « folie » pour les Grecs. Elle est un « scandale », une pierre d’achoppement, parce que l’aspect sous lequel le Messie se présente est en totale contradiction avec l’attente des Juifs et les représentations qu’ils se faisaient du Messie[10]. La croix semble même être la preuve par excellence que Celui qui y est pendu ne peut être le Messie. La croix est une « folie » pour les Grecs au sens où ne peut prétendre être dieu, même au sens mythologique, quelqu’un qui subit une telle mort, infrahumaine, réservée aux esclaves.
L’événement de la croix heurte ainsi de plein fouet les deux cultures, grecque et juive. C’est un défi pour la raison puisque la croix proclame la puissance de Dieu là où la sagesse des hommes ne perçoit que l’impuissance et l’échec. C’est un non-sens apparent, une aberration, qui rejoint l’humanité – représentée ici par les Grecs à la recherche de la sagesse et les Juifs qui attendent de Dieu des signes de puissance -, dans sa quête de vérité en faisant éclater les limites de la sagesse et de la piété, surtout lorsqu’à travers elles les hommes prétendent identifier Dieu, et par là se sauver eux-mêmes ou se poser comme leur propre fondement[11]. La croix « scandalise tout ce qui mesure (et c’est la folie même) les choses divines à la mesure du visible et de l’humain[12] »
A la lumière de la Résurrection, la mort de Jésus sur la croix, comprise par les hommes comme signe de faiblesse et d’anéantissement, met donc en échec toutes les représentations divines que l’être humain peut se faire, en même temps qu’elle donne accès à une nouvelle connaissance de Dieu (1 Co 1,23-25 ; 2 Co 13,4). Le Dieu que Juifs et Grecs croyaient connaître et dominer, est un Dieu qui se manifeste au cœur de l’humanité là où  le plus horrible revêt, par la mort du Fils comprise comme mort d’oblativité (Ga 1,4 ; 2,20 ; Ph 2,8), la forme la plus extrême de l’Amour[13]. Avec les conséquences qui en découlent pour la vie de l’Eglise et pour l’existence de chacun.

IL S’EST FAIT OBÉISSANT JUSQU’À LA MORT SUR LA CROIX
Pour illustrer les conséquences opérées par la « parole de la croix » pour la vie de l’Eglise, Paul indique ensuite aux chrétiens de Corinthe, comment, par leurs origines sociales ou leurs histoires personnelles, ils sont une illustration de la « folie » qui est au cœur de la prédication chrétienne : « Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de gens de bonne famille. Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu » (1 Co 1,26-29) [14].
Parce qu’elle rassemble des hommes et des femmes vils, faibles méprisables (cf. 1 Co 6,9-11) mais choisis, élus et aimés par Dieu, la communauté de Corinthe manifeste donc aux yeux du monde la grâce de Dieu qui appelle et sauve tout être humain sans condition et sans tenir compte de ses identités mondaines[15]. Accomplissement de la révélation biblique, la « parole de la croix » trouve ainsi, dans la réflexion de Paul, un corrélat ecclésiologique. Car ce qui vaut pour la mort du Christ sur la croix, avec le renversement qu’un tel événement induit par rapport aux représentations que l’on se fait de Dieu, cela vaut aussi pour les communautés chrétiennes qui incarnent la manière dont Dieu élit ce qui est faible et détruit ce qui est fort en contredisant les critères et les attentes des hommes[16].
Mais c’est aussi à l’intérieur de chaque communauté chrétienne, comprise comme Corps du Christ, que la « parole de la croix » fonde des exigences de fraternité, de solidarité, de communion et d’attention aux membres les plus faibles de la communauté « pour lesquels le Christ est mort » (1 Co 8,11). La manière dont Paul, dans la lettre aux Philippiens, relie sa bouleversante exhortation à l’humilité et à l’unité au Christ qui s’est abaissé et humilié en est une très belle illustration : « Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l’unité, ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres. Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ : lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie d’être l’égal de Dieu, mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, par son aspect, il était reconnu comme un homme ; il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui  a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue proclame que le Seigneur, c’est Jésus Christ à la gloire du Père » (Ph 2,2-11)[17]
En invitant chaque baptisé à se comporter au sein de sa communauté chrétienne dans la fidélité au Christ Jésus qui s’est abaissé et s’est fait obéissant jusqu’à la mort sur la croix, Paul entend poser ici le critère ultime et décisif pour une vie communautaire réellement chrétienne (Ph 2,5). A cet effet, il rappelle que la communion requise des baptisés ne peut être que le reflet de la communion trinitaire qui se révèle sur la croix. Il n’y a donc pas d’autre exigence pour le baptisé que de revêtir les sentiments du Christ qui, en s’abaissant et en s’humiliant a « tué le mur de la haine » (Ep 2,14-18) et réconcilié l’humanité avec Dieu et avec elle-même « en ayant établi la paix par le sang de la croix » (Col 1,20). La « parole de la croix » fonde ainsi un « universalisme » que l’on retrouvera dans la manière dont Paul construira des communautés où « il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave  ni homme libre, ni l’homme et la femme » (Ga 3,28)[18].
Enfin – c’est une autre forme d’universalité -, si « la croix est l’excès de la honte, elle est pour nous le témoignage que, quelle que soit l’abjection dans laquelle un homme puisse tomber, en elle il trouvera la croix du Christ, lui qui s’est abaissé, humilié (cf.Ph 2,8), pour compatir avec lui »[19]

POUR QUE NE SOIT PAS RÉDUITE À NÉANT LA CROIX DU CHRIST
C’est le troisième aspect de notre réflexion ; il s’inscrit dans le droit fil du développement de Paul qui, après avoir montré aux chrétiens de Corinthe comment ils incarnent le monde nouveau né de la mort et de la résurrection du Christ, poursuit sa réflexion en évoquant sa venue à Corinthe : « Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié ». Ce à quoi il ajoute « Aussi ai-je été devant vous faible, craintif et tout tremblant ; ma parole et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse, mais elles étaient une démonstration faite par la puissance de l’Esprit, afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (1 Co 2,3-5)
Voilà qui montre que l’orientation de la réflexion de Paul sur le Christ, mort crucifié et ressuscité[20], avec ses conséquences par rapport aux représentations que l’on se fait de Dieu et à la vie des communautés chrétiennes, éclaire aussi la manière dont l’apôtre envisage son ministère, notamment en s’interdisant toute annonce de l’Évangile qui risquerait de le réduire à un simple discours de sagesse humaine : « Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Évangile, et cela sans recourir à la sagesse du discours pour que ne soit pas réduite à néant la croix du Christ » (1 Co 1,17 ; 2,3-5). C’est la raison pour laquelle Paul défendra farouchement l’Évangile qu’il a reçu (Ga 1,6-9 ; 2,14ss) contre ceux qui, trahissant l’œuvre salvifique du Christ,  en prônant surtout le retour à la loi de Moïse, annoncent des évangiles  qui ne sont pas conformes à cet Evangile dont il ne cesse d’approfondir les conséquences pour l’humanité.
C’est aussi pour cela qu’à la lumière de la croix Paul interprètera les échecs et les épreuves qu’il rencontre. Ils sont un des lieux privilégiés de la configuration de l’apôtre au Christ et de la participation à son œuvre salvifique : « Sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus » (2 Co 4,10)[21]. Et l’auteur de la lettre aux Colossiens écrira : « Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète ce qui manque aux tribulations du Christ en ma chair pour son corps qui est l’Église » (Col 1,24)[22]. Il n’en est pas moins vrai que s’ils sont l’occasion, pour l’apôtre, de communier aux souffrances du Christ sur la croix, les épreuves, les faiblesses et les échecs sont surtout le lieu où l’apôtre peut expérimenter la présence du Ressuscité et la puissance de l’Amour de Dieu qui  console et rend fort (2 Co 1,3-5). D’autant plus que « nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. Notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Co 4,17 ; Rm 8,18).
On se souvient ici de ce passage de la lettre aux Philippiens où Paul lie de manière indissociable la puissance de la Résurrection et la communion aux souffrances du Christ : « Car il s’agit de le connaître, lui, avec la puissance de sa Résurrection et la communion à ses souffrances, de devenir semblable à lui dans sa mort afin de parvenir, s’il l’est possible, à la Résurrection d’entre les morts » (Ph 3,10-11).  Pourquoi une telle insistance ? Parce que, pour le disciple de Jésus, souffrances et persécutions sont « le moyen par lequel la puissance de Dieu se révèle en plénitude, comme dans le « logos tou staurou », lorsque la fragilité et la vulnérabilité deviennent le lieu même de la puissance divine[23] » Ce à quoi Jean Noël Aletti ajoute : « De plus, le disciple du Christ ne souffre pas seul, il souffre avec le Christ[24] et avec les autres croyants[25]; mieux étant en Christ, membre du corps du Christ, c’est en quelque sorte le corps du Christ qui souffre en lui et par lui[26] ». Pas de dolorisme ni de masochisme donc dans le désir qu’a Paul de participer aux souffrances du Christ, puisque c’est dans la perspective de la communion avec le Ressuscité, qui est le Vivant, que les souffrances sont envisagées et éprouvées. Pour que la puissance de Dieu puisse vraiment et paradoxalement se manifester.
Pour Paul, tel est le grand mystère de l’Annonce de l’Évangile : c’est dans la faiblesse et la pauvreté des situations que la puissance de Dieu peut donner toute sa mesure[27] (1 Co 1,26ss ; 2 Co 4,7-10). C’est aussi le mystère de toute vie baptismale et de tout apostolat où, au plus profond de sa misère, de sa faiblesse, de ses échecs et de ses souffrances, s’impose la nécessité d’accueillir l’œuvre de la toute-puissance divine : « À ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : ‘Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse afin que repose sur moi la puissance du Christ’. Donc, je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les angoisses pour le Christ. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,8-10).
Que dire en conclusion ? Que la croix, dans l’œuvre de Paul, est toujours en référence avec le Ressuscité ou le Seigneur de Gloire[28]. Comprise comme « parole de la croix », elle porte avec elle un langage qui n’est pas de négativité, puisqu’il s’inscrit toujours dans un contexte d’amour (Ga 2,21), de réconciliation (Col 1,28), de paix (Ep 2,14-18), de justice, de sanctification et de délivrance (lCo 1,30). La croix a ainsi, dans l’œuvre de Paul, une fonction de révélation[29] qui fait qu’à l’amour de Dieu manifesté par et sur la croix (Rm 8,31-39), le baptisé est invité à répondre dans un même élan d’amour et d’oblativité[30].
Mais, parce que la foi au Christ, crucifié et ressuscité comporte – et comportera toujours – un aspect de « scandale » et de « folie », on comprendra que la révélation chrétienne et l’existence du baptisé soient, pour Paul, irrémédiablement marqués du double sceau de la contradiction et de l’espérance qui lui est intimement liée[31],et qui fonde une manière particulière d’habiter la condition humaine (2 Co 4,8ss).

© Mgr Pierre Debergé, recteur de l’Institut catholique de Toulouse, SBEV, Bulletin Information Biblique n° 76 (juin 2011) p. 1.

NOTES SUR EL SITE

TRAVAILLER SOUS LE SOLEIl (Qohélet)

21 janvier, 2013

http://www.bible-service.net/site/211.html

TRAVAILLER SOUS LE SOLEIl

Qohélet, désabusé, dit qu’il y a un temps pour tout, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et qu’il faut donc jouir de la vie.

Il n’est jamais cité dans les évangiles. Cependant une parabole de Jésus rapportée par St Luc semble prendre à rebours son enseignement.

MANGER, BOIRE ET APRÈS ? 

L’évangile de Luc accorde une grande place aux choses de la vie comme l’argent, les récoltes, les repas. S’y vérifient concrètement les valeurs auxquelles nous sommes attachés :
Jésus dit une parabole à ses disciples : « Il y avait un homme riche dont la terre avait bien rapporté. Et il se demandait : ‘Que vais-je faire ? car je n’ai pas où rassembler ma récolte.’ Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en bâtirai de plus grands et j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens.’ Et je me dirai à moi-même : ‘Te voilà avec quantité de biens en réserve pour de longues années ; repose-toi, mange, bois, fais bombance.’ Mais Dieu lui dit : ‘Insensé, cette nuit même on te redemande ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ?’ […] Voilà pourquoi je vous dis : ‘Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. […] Ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, les païens de ce monde le recherchent sans répit, mais vous, votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. » (Luc 12, 16…31)
Jésus avertit ses disciples : cet homme riche qui travaille et décide de jouir des plaisirs de la table a fait un choix insensé. On pourrait lui répliquer que cela rejoint pourtant les conseils de Qohélet :  » Tout homme qui mange et boit et goûte au bonheur en tout son travail, cela, c’est un don de Dieu… » (Qo 3,13). Cette contradiction entre l’Ancien et le Nouveau Testament est d’autant plus étonnante que, par ailleurs, il n’est pas trop difficile de rapprocher Jésus et Qohélet.

LA FIN DES ILLUSIONS
Entre Qohélet et Jésus, il y a des rapprochements de style d’abord et d’attitude ensuite. Concernant le style, paradoxes, énigmes, images, formules-choc ponctuent leurs discours habituels. L’un dit : « un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort » et l’autre : « soyez rusés comme des serpents et candides comme des colombes ». Les béatitudes (quelles que soient les différences entre les textes de Matthieu 5 et de Luc 6) sont tout autant rythmées et musicales – mais d’une autre musique – que le couplet de Qohélet sur le temps. Concernant l’attitude devant la vie, Jésus et Qohélet partagent un même réalisme. Tous deux regardent les choses en face et font tomber les illusions : rien n’échappe à la mort et les calculs du riche cultivateur ne lui ont pas donné un jour de plus à vivre. Commentaire de Jésus rapporté par Luc : « Qui d’entre vous peut par son inquiétude prolonger tant soit peu son existence ? » (Luc 12,25)
Quelle est l’erreur de ce cultivateur ? De travailler, de s’être donné du mal, de vouloir prendre du bon temps ? Non. Alors ? Risquons une hypothèse : il n’a pas vu que ses efforts s’inscrivent dans des limites repérées par des gens comme Qohélet. Il plante, il arrache (plus précisément, il récolte), il démolit, il bâtit et mais il oublie le temps de mourir. Et tous ses efforts n’ont qu’un but : son ventre. Tout s’y engloutit ! Dans son réalisme, Qohélet, lui, voit beaucoup plus large : avant le temps de mourir, il y a celui d’enfanter. Ici, pas d’épouse, pas d’enfants, pas d’héritiers, personne avec qui faire la guerre ou la paix. Cet homme est solitaire. Il se veut solitaire. Là est sa folie.

ADAM ET SALOMON
Qohélet aime à répéter dans son livre que « sous le soleil, il n’y a rien de nouveau ». Et le propriétaire insensé a d’illustres prédécesseurs. À sa manière il répète la folie première, celle d’Adam (Gn 2-3). Souvenons-nous. Dieu a donné à Adam une occupation : cultiver et garder le jardin de l’Éden. Il y a là une multitude d’arbres comme autant de cadeaux pour le plaisir du corps. Mais un homme qui ne fait que manger n’est pas encore humain. Alors Dieu met une limite, un arbre à ne pas toucher, invitant Adam à décider, à poser des actes responsables. Aux dons de la nourriture et de la décision libre, Dieu ajoute enfin celui d’une compagne. Comme les jardiniers de l’Éden trompés par le serpent, le riche cultivateur oublie tout cela pour ne voir que des produits à consommer. Il ne s’inscrit plus dans le temps de naître et de mourir, ne respecte plus les limites, néglige tout rapport avec Dieu ou les autres et ne discerne plus, dans le goût du bonheur, les effets de la Loi divine.
« Sous le soleil, il n’y a rien de nouveau », ainsi en est-il de la nourriture, la liberté, l’amour, la vie et le bonheur qui existent dès les débuts du monde. Il y a une manière de s’y rapporter qui les transforme en biens de consommation : c’est le cas du propriétaire insensé réitérant la faute d’Adam. Jésus ouvre une autre piste : « chercher le Royaume de Dieu ». Où ? Très précisément au cœur de l’ordinaire. Jésus, en Luc 12,22 à 28, prend comme exemples les repas et les vêtements. D’une part ils sont le résultat d’une série d’actions complexes qui demandent du temps et causent du souci : semer, moissonner, engranger ou filer et tisser. Mais d’autre part, le premier qui se met en peine reste Dieu, lui qui est Père, nourrit les oiseaux et habille les fleurs des prés. Chercher le Royaume de Dieu, c’est remonter à l’origine par delà la surface visible des choses. Qui pourrait croire, à première vue, qu’un lys des champs est mieux habillé que Salomon (Luc 12,27) ? Regard de foi. Source de joie.

Gérard BILLON, Les dossiers de la Bible, n° 85, p. 22-23.

La Sainte Famille (30 Décembre 2012) – biblique

28 décembre, 2012

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La Sainte Famille (30 Décembre 2012)

La Maison du Seigneur, le Temple, est au cœur des lectures de ce jour. Le Seigneur a exaucé la prière d’Anne en mettant fin à sa stérilité. Devenue mère du petit Samuel, Anne vient le présenter au temple du Seigneur (première lecture). Le psaume quant à lui, chante la joie de ceux qui fréquentent le Temple : “ mon âme s’épuise à désirer les parvis du Seigneur ! ” Dans l’évangile enfin, Marie, Joseph et Jésus adolescent vont également dans le temple. À l’insu de ses parents, Jésus y reste auprès de son Père. Il est le Fils, venu nous annoncer la grandeur de l’amour du Père pour nous.

• 1 Samuel 1,20-22.24-28
C’était avant l’existence du Temple de Jérusalem. Elcana, un homme d’Arimathie (le village où naîtra plus tard Joseph, celui qui ensevelira le corps de Jésus) monte avec ses deux femmes au temple de Silo. La première, Peninna, a des fils et des filles. La seconde, bien que préférée par son mari, est stérile. Anne prie le Seigneur en présence du prêtre Éli. Elle fait un vœu : si le Seigneur l’exauce et lui donne un fils, elle offrira ce fils au Seigneur. Le Seigneur écoute Anne qui met au monde un fils.
Dans l’extrait de ce jour, Anne monte au sanctuaire, non pour le pèlerinage annuel, mais pour offrir son fils au Seigneur. Le Seigneur lui a donné ce fils, elle le lui rend, conformément à son vœu. L’enfant grandira auprès du prêtre Éli jusqu’au jour où le Seigneur l’appellera pour une mission prophétique. C’est lui qui choisira et qui consacrera Saül, puis David, les premiers rois d’Israël.

• Psaume 83
Ce psaume de pèlerinage a sans doute était prié par la Sainte Famille lors de son arrivée sur les parvis du Temple. Avec beaucoup de force, le croyant exprime le désir irrésistible qui le pousse vers la maison du Dieu vivant. Il envie les oiseaux qui nichent sur les corniches du Temple ! Si seulement il pouvait rester jour et nuit auprès de son Seigneur et de son Dieu, comme ces oiseaux et comme les prêtres et les lévites qui sont dans le sanctuaire.
Le psalmiste élargit sa prière en pensant au bonheur de tous ceux qui font confiance à Dieu et qui marchent à sa suite. Le Dieu du Temple est à la fois celui qui a fait alliance avec un peuple. Il est le Dieu de Jacob. Mais il est également le Dieu de l’univers, le Dieu de tous les hommes.
Le psaume s’achève par une prière pour le roi. Celui-ci est le protecteur de son peuple, son bouclier. Dieu l’a choisi. Il est le Messie de Dieu.

• Luc 2,41-52
Les deux premiers chapitres de l’Évangile de Luc utilisent un langage à la fois symbolique et théologique. Il n’a aucune prétention à nous informer sur l’enfance de Jésus, dont il ne sait probablement rien lui-même. Il nous annonce plutôt les grands thèmes de son évangile qui commence avec le baptême de Jésus dans le Jourdain par Jean-Baptiste.
Dans les deux chapitres d’introduction à son œuvre littéraire (son Évangile et les Actes des Apôtres), Luc fait venir Jésus deux fois au Temple de Jérusalem avec ses parents. Chaque fois Jésus retourne ensuite à Nazareth où il continue de croître en âge et en sagesse, devant Dieu et devant les hommes. De sa vie à Nazareth, Luc ne rapporte rien, sinon qu’il était soumis à ses parents.
Ces deux montées au Temple de Jérusalem préparent déjà la grande montée définitive vers Jérusalem à la fin de la vie de Jésus (Luc 19,45ss). En regardant de près, on repère de nombreux éléments communs à ces trois montées. Chaque fois, on vient au Temple par respect pour une prescription de la Loi. La première fois, pour la présentation du premier-né, et les deux autres fois pour la célébration annuelle de la Pâque. Chaque fois il y a des paroles qui provoquent l’étonnement. Lors de la présentation, “ le père et la mère de l’enfant étaient étonnés de ce que [Siméon] disait de lui ”. Lors de la deuxième montée, tous ceux qui entendent le jeune Jésus discuter avec les docteurs de la loi sont dans l’étonnement et ses parents ne comprennent pas sa réponse lorsqu’il leur dit qu’il doit être aux choses de son Père. Enfin, lors de la dernière prédication de Jésus au Temple, personne ne le comprend lorsqu’il annonce la destruction de ce Temple. Les trois jours pendant lesquels Marie et Joseph cherchent Jésus annoncent déjà symboliquement les trois jours au tombeau. Marie ne comprend pas, tout comme elle ne comprendra pas au pied de la croix, mais elle garde tout dans son cœur, y compris l’annonce faite par Syméon lors de la première montée au Temple.

Lc 2 : les anges de Noël

17 décembre, 2012

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Lc 2 : les anges de Noël

Luc 2, 1 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier. 2 Ce premier recensement eut lieu à l’époque où Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville; 4 Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Béthléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David, 5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.
6 Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva; 7 elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes.
8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau. 9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte. 10 L’ange leur dit :  »Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11 Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur; 12 et voici le signe qui vous est donné: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ».
13 Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : 14  »Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés ».
15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux:  »Allons donc jusqu’à Béthléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître ». 16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
17 Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. 18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers. 19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens. 20 Puis les bergers s’en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.

Le tombeau inconnu: Commentaire de Dt 34

4 décembre, 2012

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Commentaire de Dt 34

Le tombeau inconnu

Le livre du Deutéronome s’achève. Avec lui, s’achève aussi la Torah d’Israël. Alors s’éteint Moïse, lui qui, selon le livre même en a été rédacteur (voir par exemple Ex 24, 4 où il écrit tout ce que le Seigneur lui a dit). Son tombeau restera inconnu : le corps disparu du plus grand des prophètes a moins d’importance que les mots de la Loi, de l’Alliance et de la bénédiction qu’il laisse derrière lui.
On ne peut isoler le récit de la mort de Moïse (Dt 34) de la bénédiction des douze tribus d’Israël (Dt 33). Cela rapproche Moïse du patriarche Jacob (Gn 49). Le prophète et l’ancêtre meurent en laissant comme testament des vœux de bonheur. Au moment où ils disparaissent de la scène de l’histoire humaine, l’horizon, loin de se rétrécir, s’ouvre sur ceux qui ont été engendrés (bénédictions de Jacob) ou qui sont nés de nouveau dans l’eau de l’exode (bénédictions de Moïse). En relisant ces bénédictions, les tribus – ou ce qu’elles deviendront – plongent dans la mémoire de leurs origines : avant d’habiter « le pays de blé et de vin nouveau » (Dt 33, 28), le peuple de Dieu fut esclave en Égypte. Le prophète Osée, avec astuce, a vu ce lien entre le patriarche qui descendit en Égypte et Moïse qui en remonta (voir 0s 12, 13-14).

Moïse et la Terre promise.

La mort de Moïse s’est insinuée dans le récit dès les premières pages du livre du Deutéronome. Dans la plaine de Moab, à la frontière, le législateur relit la libération, le séjour au désert, le rapport à la Loi. Lui-même n’entrera pas dans le « bon pays » dit-il au détour d’un développement consacré à l’idolâtrie (Dt 4, 21-22). Pourquoi ? L’explication avancée (il aurait commis une faute, un manque de confiance) compte moins que le réseau des significations qui s’imprime en nos consciences : Moïse, né en Égypte, réfugié en Madian, guide dans le désert, est l’homme de l’errance sous la parole divine, pas celui de la conquête et des récoltes. Il appartient aux temps fondateurs, non au rythme habituel des mois et des saisons. L’installation dans la terre où coulent le lait, l’huile d’olive et le miel sera occasion de dangers, d’oubli et de reniement du Dieu vivant. Moïse en est exclu. Et c’est tant mieux.
Vers la fin du récit, ayant rappelé une dernière fois la Loi et l’Alliance, ce qu’elles engagent, ce qu’elles exigent, Moïse conclut sur son incapacité à « tenir sa place » à la tête du peuple (Dt 31, 2). Josué lui succède. Bientôt, il fera traverser le Jourdain, reprise modeste et enthousiaste du passage de la mer des Roseaux (Jos 3). Il emmène avec lui l’arche et le livre de la Loi qui y est déposé en témoignage.
L’espace géographique où le peuple va désormais s’ébrouer, Moïse le voit du haut d’une montagne – ou, plus exactement, le Seigneur lui fait voir (Dt 34, 1) après lui avoir raconté ce qui va se passer sur cette fameuse terre vers laquelle tous ont marché péniblement pendant quarante ans. Amer récit d’avenir : le paysage, qui devrait être lumineux, comprend infidélité et idolâtrie. Le peuple d’Israël, relisant plus tard ces paroles divines sur cette même terre (ou hors d’elle, peut-être, si ce passage fut composé en exil), y entend par avance le diagnostic de son échec : « après ma mort, vous allez vous corrompre totalement et vous écarter du chemin prescrit » (Dt 31, 29). Si l’en est bien ainsi, comment ne pas désespérer ?

D’un chant à l’autre.

Comment ? Par le chant ! De la part du Seigneur, Moïse compose un premier chant, cantique au «Rocher» d’Israël (Dt 32). Qu’elles qu’en soient les sources, ce chant où Dieu est magnifié comme jamais et où Israël se voit attribuer ce qu’on pense être un surnom de tendresse («Yeshouroun»), porte en son milieu le catalogue des fautes à venir mais aussi l’annonce inouïe que, malgré tout, le Seigneur fera grâce. Espoir.
Alors, sur ce fond de lucidité et de miséricorde, Moïse entonne un deuxième chant et déploie la bénédiction, le «dire» du bien. Jacob l’avait fait au moment de mourir en Égypte. Moïse le fait au moment de mourir loin de l’Égypte et tout près du pays du bonheur et du malheur. Le Seigneur y est exalté comme un soleil, un guerrier sur les nuées du ciel ; Israël/Yeshouroun y reçoit une béatitude (v. 29), invitation lancée à vivre le temps historique sur la terre donnée dans la confiance en ce Dieu unique, étrange, mystérieux, qui n’a pas d’égal. Moïse est désormais prêt. Il meurt, avec, sous les yeux, le pays et son histoire. Il meurt en pleine possession de ses moyens : pour l’éternité, il demeurera un vieillard sublime, aimé des peintres et des sculpteurs. On le pleure. Puis le deuil cesse. Josué prend la relève, direction le Jourdain prochain épisode, prochain livre.

Gérard BILLON. Article paru dans Le Monde la Bible n° 156  »Moïse, l’histoire et la légende » (Bayard-Presse, janv.-fév. 2004), p. 71

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