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LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS D ANS LA THÉOLOGIE CONTEMPORAINE

19 mai, 2014

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LES TENTATIONS DU CHRIST

LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS D ANS LA THÉOLOGIE CONTEMPORAINE

CE PASSAGE DE LA PREMIÈRE ÉPÎTRE DE PIERRE (1 P 3,18-20) POSE BIEN DES PROBLÈMES AUX EXÉGÈTES CONTEMPORAINS…

Le Symbole des apôtres mentionne la descente du Christ aux enfers comme conséquence de sa mort : il est mort et a été enseveli, il est descendu aux enfers. Il serait faux de dire que les éléments ici évoqués appartiennent à un même ordre de langage : mort et ensevelissement font partie de l’expérience ordinaire, tandis que les enfers échappent à notre investigation ; ils sont une manière imaginative de signifier la vérité de la mort de Jésus puisqu’il est allé au lieu où tous les êtres humains étaient sensés séjourner, une fois décédés — le chéol, le monde des morts dans l’A.T. Les enfers sont l’habitat définitif de l’armée des ombres. Dans le Credo, la mention de la descente aux enfers souligne qu’il n’y a réalité de la résurrection que s’il y a mort effective.
Les interprétations anciennes de la descente du Christ aux enfers ont été plus ou moins écartées par les théologies récentes. Elles ne sont cependant pas dénuées d’intérêt : le thème de la force christique réduisant à néant l’arrogance du mal et le thème de la libération de la misère la plus radicale demeurent pertinents, tant la puissance du mal s’affirme avec forfanterie et tant le malheur rôde, ne serait-ce que par le règne universel de la mort.
Pourtant à l’orée des temps modernes, après avoir critiqué la mythologie enfantine des commentateurs antiques, Calvin propose un chemin qui aura du succès dans les théologies contemporaines ( » Institution chrétienne  » II, 16; cf. n° 92) : il articule l’abandon de Dieu et la descente aux enfers à l’étonnante conviction que Dieu fait subir à Jésus le châtiment du péché de tous. Sa descente aux enfers représente l’expérience de l’éloignement de Dieu, de la damnation. Elle est assumée par Jésus de telle sorte qu’il en retourne le sens : son obéissance à notre place jusque dans la condamnation le justifie aux yeux de Dieu et assure à l’humanité le salut.
Cette idée est reprise par Karl Barth. Elle n’exclut pas certains éléments des antiques lectures.

Karl Barth,  » Credo  » :
Si Dieu souffre lui-même, en Jésus Christ, le châtiment qui devait frapper notre existence, c’est qu’il a sacrifié son existence pour nous. Nous devons dès lors nous reconnaître comme ceux qu’il s’est acquis et qui lui appartiennent. Si Dieu ne veut pas nous punir parce que le châtiment est accompli, nous pouvons vivre comme des êtres libérés par lui, c’est-à-dire comme ses enfants. Enfin si Dieu, sans cesser d’être Dieu, a connu la tentation en Jésus Christ, si Jésus Christ est descendu aux enfers, et par là a réellement mis en question son unité existentielle de Dieu et d’homme, ne l’a-t-il pas fait pour nous et ne nous en a-t-il pas ainsi dispensés ? Nous ne sommes plus obligés d’aller en enfer.

Wolfhart Pannenberg reprend une interprétation similaire en y ajoutant quelques nuances. Il refuse la rigueur luthérienne (prédication aux enfers qui démontre aux damnés leur culpabilité), tout en acceptant sa part de vérité intégrable à la position réformée : la descente du Christ aux enfers est une partie de sa passion ; elle est le point le plus bas de son abaissement. Toutefois, l’intérêt de W. Pannenberg porte essentiellement sur le caractère universel de la mission du Christ que révèle la descente aux enfers.

Wolfhart Pannenberg,  » Esquisse d’une théologie  » :
Les images de la descente de Jésus aux enfers et de sa prédication dans le royaume des morts ne concernent pas la résurrection de Jésus comme on l’a dit à tort ; elles sont l’expression de la signification propre à un autre événement, sa mort. Cette signification n’appartient à la mort de Jésus qu’à la lumière de sa résurrection. Elle souligne l’efficacité de sa force de représentation même pour les morts. Le récit imagé de la descente de Jésus aux enfers explique comment même les hommes qui ont vécu avant la mort de Jésus et ceux qui ne l’ont pas connu ont part au salut qui s’est manifesté en lui. (…) L’idée de la descente de Jésus aux enfers, de sa prédication dans le royaume des morts, favorise cette dernière opinion. Elle enseigne que les hommes qui sont hors de l’Eglise visible ne sont pas automatiquement exclus du salut.

Le chemin ouvert par Calvin se comprenait à partir d’une idée de substitution : Jésus expie le péché à notre place. W. Pannenberg ne le récuse pas. Hans Urs von Balthasar l’emprunte en la développant d’une manière originale à partir d’un commentaire de Nicolas de Cuse (XVe s.) : Nicolas de Cuse parle d’une  » vision intérieure de la mort  »  » en vertu d’une expérience immédiate  », et y voit le  » châtiment le plus complet  ». Ainsi  » la passion du Christ est la plus grande qu’on puisse concevoir, elle était comme celle des damnés qui ne peuvent plus être damnés davantage, c’est-à-dire : elle allait jusqu’à la peine infernale. Sur cette base que Urs von Balthasar bâtit son interprétation.

Hans Urs von Balthasar,  » La gloire et la croix  » :
Le concept néotestamentaire de “l’enfer” (…) est, en des sens multiples, un concept christologique. D’abord, dans la mesure où seul le Rédempteur mort a (…) éprouvé tout le sérieux de ce que devait devenir le chéol. Ensuite, pour autant que l’abandon où il était laissé par le Père dans la mort avait un caractère unique (…). Troisièmement, dans la mesure où dans cette vision de la (seconde) mort était également contemplé tout le fruit de la Croix rédemptrice : le péché “à l’état pur”, séparé de l’homme, le “péché en soi”, dans sa réalité, dans toute sa violence informe et chaotique; et du même coup ce “reste” impossible à intégrer dans l’œuvre créatrice du Père, parce qu’il avait laissé à l’homme la liberté de décider pour ou contre Dieu, cette part inachevée de la création, dont l’achèvement était laissé au Fils incarné et dans laquelle le Père introduit maintenant celui-ci pour qu’il y accomplisse sa mission d’obéissance.  » Il descendit dans les régions inférieures de la terre afin de voir de ses yeux la partie inachevée de la création  » (Irénée).

Ces citations font peu de cas de la victoire glorieuse sur les puissances du mal représentées dans les icônes. Le châtiment accepté par Jésus pour d’autres que lui est la clé de ces lectures, même si, finalement, cette humiliation d’un juste à la place des pécheurs est l’indice de l’amour que porte le Christ aux hommes.

Albert Rouet, dans son livre sur le Credo, s’écarte de ces interprétations. Il met en lumière à partir d’un texte du Talmud le mouvement de Jésus vers la pauvreté la plus radicale, avant de souligner que la descente aux enfers illustre la seigneurie du Christ.

Albert Rouet,  » Autour du Credo  » :
On pose la question suivante à un rabbin :  » Voilà un homme qui est le plus grand de tous les pécheurs. À un moment, la miséricorde de Dieu peut-elle s’adresser à lui ? À un moment, cet homme peut-il être rejoint par l’amour de Dieu ?  » Le rabbin questionné répond : (…)  » Il y a un moment où même le pire des pécheurs est le plus pauvre, le plus petit et le plus fragile : c’est au moment de sa mort. À ce moment-là, Dieu, dans sa miséricorde, se doit de se rapprocher de lui…  » (…) Là où l’homme se défait, dans tous les camps de concentration, dans ces terrains boueux et sanguinolents des champs de bataille et de haine. Là où l’homme défait la création, là où l’homme dé-crée ce que Dieu a fait, refusant d’être homme vis-à-vis des autres, tuant son propre frère. Là où nous sommes moins qu’humains, le Christ s’est rendu présent.

Ces quelques citations montrent à la fois l’importance de cet article du Credo et sa fluidité.
L’importance : dès l’origine, il attire l’attention sur le fait que le parcours historique de Jésus n’était qu’un des éléments de son action. Forcer le monde des morts démontre que le Règne du Christ n’est pas à confondre avec un règne politique ; il est autre puisqu’il concerne aussi l’au-delà dans sa réalité la plus énigmatique.
La fluidité : les interprétations sont plus que divergentes ; elles confinent à la contradiction. Dans l’antiquité, l’article du Credo illustre surtout la puissance du Christ à l’œuvre. La théologie occidentale postérieure fut par contre très marquée par l’idée de substitution, qui conduisit à une perspective de solidarité dans le malheur extrême. Ce n’est que tout récemment que l’antique perspective s’impose à nouveau. Ce déplacement est la conséquence d’un rejet : l’expiation et le sacrifice ne sont plus les idées-clés des théologies de la rédemption.

Christian Duquoc, SBEV / Éd. du Cerf, Supplément au Cahier Evangile n° 128 (juin 2004), « La descente du Christ aus enfers », p. 100-103.

 

MARIE ACCUEILLE LA PAROLE DE DIEU

18 février, 2014

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1352.html

MARIE ACCUEILLE LA PAROLE DE DIEU

THÉOLOGIE   Commencer La scène dite de la Visitation concentre quelques lignes de force de l’œuvre de Luc. Parmi elles, l’accueil et la proclamation de la Parole de Dieu… La scène dite de la Visitation concentre quelques lignes de force de l’œuvre de Luc. Parmi elles, l’accueil et la proclamation de la Parole de Dieu. Au début de l’Évangile selon St Luc, il y a une opposition entre deux lieux : le Temple et la maison. Dans le Temple, la Parole de Dieu ne circule plus. Le prêtre Zacharie, qui aurait dû se rappeler les naissances miraculeuses d’Isaac ou de Samuel, doute des paroles de l’Ange du Seigneur et demande un signe. Il en obtient un… en devenant muet ! Sans la foi, le Temple n’est plus qu’un bâtiment stérile. Il n’en va pas de même dans la maison de Marie.

Les lieux du quotidien Dans cette maison, la Parole de Dieu, transmise par l’Ange, est accueillie. La jeune fille ne soulève pas d’objection concernant l’impossible naissance d’un enfant. Elle ne demande pas de signe, mais une simple précision. Malgré sa virginité, elle mettra au monde un enfant qui aura une qualité réservée à Dieu seul : il sera « Saint ». Suite à cette annonce, Marie n’est pas muette, mais va proclamer les merveilles du Seigneur au loin, dans la maison… du muet du Temple ! Nous retrouvons ce schéma de la circulation de la Parole tout au long de l’œuvre de Luc. Partout où Jésus est présent, Dieu est célébré et son plan d’amour se dévoile aussi bien dans le Temple que dans les maisons. Quand Jésus, tout enfant, est présenté au Temple par Joseph et Marie, Syméon le prend dans ses bras et voit en lui le « salut préparé face à tous les peuples » et Anne parle de lui à « ceux qui attendaient la libération de Jérusalem. » (Luc 2,22-40). Quand Jésus adolescent pénètre dans ce même Temple, il dit qu’il est « chez son Père » (Luc 2,41-52). Ensuite, tout au long de l’Évangile, il annonce la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu en priorité sur les lieux du quotidien, dans les synagogues et dans les maisons, celle de Simon Pierre, de Marthe et Marie ou de Zachée…

Symbole de la communauté chrétienne Au début du livre des Actes, nous retrouvons le Temple. Depuis 40 ans, un infirme de naissance gît à ses portes. Pierre et Jean le remettent sur ses pieds et l’introduisent dans le Temple « au nom de Jésus Christ, le Nazôréen » (Actes 3,1-10). Puis, de maisons en maisons – celle de Marie, mère de Jean-Marc, celle de Lydie ou du gardien de prison de Philippes, etc. – la communauté chrétienne annonce et célèbre son Seigneur. Jusqu’à cette maison de Rome où Paul enseigne librement « ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ » (Actes 28,31). Replacée dans l’œuvre de Luc, la scène de la Visitation, n’est donc pas un simple épisode familial où Marie rend visite à sa cousine. Elle annonce la « visitation » du peuple par son Dieu. Porté par Marie, le Seigneur se rend dans la maison de Zacharie. Il y est reconnu grâce à Jean – déjà grand prophète ! – et célébré sous l’inspiration de l’Esprit Saint. À l’orée de l’Évangile, Marie est le symbole vivant de la communauté chrétienne qui, partout, porte « en hâte » la bonne nouvelle du Seigneur Jésus.  

LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. AU FIL DU TEXTE : JN 1,1-18

3 janvier, 2014

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LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. AU FIL DU TEXTE : JN 1,1-18

COMMENTAIRE AU FIL DU TEXTE  

Prologue à l’évangile L’évangile selon Jean s’ouvre par un texte admirable mais difficile : le Prologue. En quelques lignes il nous livre la nouveauté de la révélation chrétienne. Ecrit dans un langage poétique, d’une construction très élaborée, le texte de Jn 1,1-18 est rythmé en trois mouvements principaux. Il chante successivement la préexistence du Verbe (v. 1-5) sa présence auprès des hommes (v. 6-15), son incarnation en la personne de Jésus (v. 16-18). Au commencement (v.1-5)  »Au commencement était le Verbe » : c’est la reprise des premiers mots de la Bible où l’on nous dit qu’  »au commencement » Dieu créa le ciel et la terre. Le premier verset du Prologue rappelle donc le premier verset de la Bible, pour que nous contemplions le Verbe qui n’a pas été créé, qui existe de toute éternité, qui est  »auprès de Dieu ». On apprend ainsi que le Verbe n’existe pas pour lui-même, mais qu’il est tourné, tendu vers Dieu. C’est une manière de dire qu’il se reçoit de Dieu en même temps qu’il se donne à lui. Depuis toujours, il est vers Dieu, et il est Dieu. Comme tel, précise le Prologue, le Verbe a été le maître d’œuvre de la création, puisque tout a été fait par lui et que rien ne subsiste en dehors de lui. Du Verbe, ce texte nous dit enfin qu’il est inséparablement vie et lumière. Tout au long de son évangile, Jean appliquera ces deux mots à la figure de Jésus qu’il présentera comme la  »Lumière du monde » (8,12) et  »la Résurrection et la Vie » (11,25). Non sans évoquer le récit de la Genèse, ces mots s’inscrivent pourtant ici dans un contexte de résistance et d’opposition. Mais le texte du Prologue est ambigu, et les traducteurs hésitent. En traduisant  »la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée », on soulignera la force et la victoire du Verbe dans son combat contre les ténèbres. En traduisant  »et les ténèbres ne l’ont pas comprise », on mettra l’accent sur le refus de la Lumière par quelques-uns. Du Verbe lumière au Verbe fait chair (v.6-15) Nous voilà maintenant conduits sur terre. Après la contemplation du Verbe dans son éternité, le texte nous oriente vers un homme, Jean (il s’agit de Jean-Baptiste). Et l’évangéliste précise qu’il  »n’était pas la Lumière mais il était là pour lui rendre témoignage » (vv.7-8). Pourquoi une telle précision ? Pourquoi, dans le verset suivant, cette autre remarque :  »Le Verbe était la vraie Lumière » (v.9) ? On pourrait penser que la polémique prend ici le pas sur la méditation. Il n’en est rien. De manière décisive, le Prologue distingue le Verbe qui était  »dès le commencement tourné vers Dieu » et Jean-Baptiste, un homme venu de la part de Dieu. Mais il élève Jean-Baptiste au rang de témoin privilégié de la Lumière. Ce qui fera dire plus loin à l’auteur du Quatrième évangile :  »Ce qu’il a dit au sujet de cet homme est vrai » ( 10, 41). À cela s’ajoute pourtant un double constat douloureux concernant le Verbe.  »Il était dans le monde, dit le Prologue,  »lui par qui le monde s’était fait, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu » (v.11). Heureusement, certains l’ont accueilli et ils sont devenus  »enfants de Dieu » (v.12). Nous sommes ici au cœur de la composition poétique du Prologue, exactement au milieu. Nous sommes également au cœur de la pensée johannique. La Première Lettre de Jean le réaffirmera : il n’y a pas de don plus grand que celui de devenir enfant de Dieu (1 Jn 3,1-2). Suit une dernière mention du Verbe. Des mots nouveaux apparaissent : chair, gloire, Fils unique, Père. Du Verbe, dont nous savions qu’il existe depuis toujours et que tout subsiste en lui, nous apprenons maintenant qu’il est entré dans l’histoire des hommes. Lui, le Fils unique, il a pris notre chair, et  »nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père… » (v.14). Mystère étonnant de la manifestation de la Gloire de Dieu dans et à travers l’incarnation du Verbe. Enfin le texte évoque une dernière fois Jean-Baptiste pour qu’on entende de ses lèvres l’aveu de sa dépendance radicale :  »Lui qui vient derrière moi, il a pris place devant moi… » (v.15). Jésus Christ (v. 16-18) Dans ces versets, le  »Verbe » disparaît et un nom apparaît : Jésus Christ (v.16). Face à un autre nom : Moïse. Comme pour relier – ou opposer ? – l’ancienne et la nouvelle alliance. Vient un ultime verset :  »Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fis unique qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le faire connaître » (v.18). Et voilà que tout s’éclaire : Jésus Christ, le Fils unique, est le Verbe fait chair. En lui, Dieu a livré à l’humanité la plénitude de sa grâce. Par lui, le Père s’est fait connaître. Tel est le cœur de la révélation chrétienne. En Jésus-Christ, Dieu  »a planté sa tente parmi nous ». Il s’est fait Parole vivante. Pour que nous découvrions son vrai visage et notre vrai visage. En Jésus Christ, le Verbe fait chair, la création a été saisie et transfigurée par celui qui est à l’origine de tout et qui entretient avec le Père une relation unique. Pour que nous reconnaissions en chaque être humain la lumière divine et que nous devenions enfants de Dieu.

 Pierre DEBERGÉ.

Note : Il a planté sa tente Le Verbe a  »habité » chez les hommes. Mieux, il a  »planté sa tente ». Pourquoi insister sur cette image ? Souvenons-nous : lors de l’exode et du séjour au désert, Le Seigneur avait fait construire une tente, lieu de rencontre entre lui et Moïse et signe de sa présence au milieu de son peuple. De plus la  »Gloire » du Seigneur remplissait cette tente (Exode 40,34-38). Pour le Quatrième évangile, la personne de Jésus est désormais le lieu saint où les hommes rencontrent Dieu.

PARADIS PERDU OU À RETROUVER ?

28 octobre, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1457.html

PARADIS PERDU OU À RETROUVER ?

THÉOLOGIE

Commencer

Qu’en est-il aujourd’hui duP aradis ? Est-il définitivement fermé ?
Dieu ayant expulsé l’homme et la femme du Paradis, tout est-il perdu pour autant ? Dieu est-il définitivement brouillé avec les hommes ?
L’humanité ne vit plus dans le jardin aux arbres merveilleux, là où les animaux parlent et où Dieu se promène au souffle du jour. Elle gagne maintenant son pain à la sueur de son front. La femme transmet la vie dans la souffrance. La violence est omniprésente et, dans le récit de Caïn et Abel, un homme tue son frère. L’humanité est-elle pour autant maudite par Dieu ou abandonnée par lui ? Dieu refuse-t-il de pardonner ? Fait-il porter à tout le monde, et de génération en génération, la faute de quelques-uns ? La Bible ne le dit nullement.

Un jugement clément
Reprenons le procès où l’homme et la femme comparaissent devant Dieu. Il s’agit bien d’un procès en effet avec recherche des coupables, interrogatoire, jugement et sanction. Oublions le comportement lamentable des deux prévenus qui se défaussent chacun de leur responsabilité. Dieu prononce une sentence qui consiste à introduire l’humanité dans le monde réel où elle est appelée à vivre. Elle quitte le monde merveilleux régi par les lois de l’immortalité pour commencer son existence terrestre.
La terre est basse et le travail de la terre est pénible bien sûr. Mais le travail n’est pas une punition. Le Seigneur Dieu avait invité l’homme à cultiver et à garder le jardin. Il lui a même donné l’exemple en travaillant lui-même dans le jardin, et avec quelle énergie !
Les souffrances de l’accouchement sont réelles mais, comme dit Jésus : «Lorsque la femme enfante, elle est dans l’affliction puisque son heure est venue; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de son accablement, elle est toute à la joie d’avoir mis un homme au monde» (Jn 16,21). Jamais dans la Bible nous ne voyons une femme se plaindre des douleurs de l’enfantement. Elle gémit par contre amèrement quand elle ne peut accéder à la joie de la maternité.
Dieu n’a pas maudit l’homme et la femme. Il leur a donné le monde pour qu’ils le transforment par le travail et le peuplent par le don de la vie. Il les a associés, en quelque sorte, à sa propre fonction paternelle et maternelle. Dieu par contre a maudit le serpent et, à travers lui, le mal qui rôde dans le monde. Il a annoncé sa défaite inéluctable.

Des habits et un signe qui protègent
Avant d’expulser l’homme et la femme du jardin Dieu leur fait des habits de peau. Décidément il sait tout faire! Après le travail du potier, de l’anesthésiste, du chirurgien et du juge, voici maintenant celui de la couturière. Des habits de cuir sont plus seyants et plus solides que des pagnes en feuilles de figuier. Dieu se comporte comme un père et une mère de famille qui voient s’éloigner leurs enfants de la maison familiale et qui leur donnent le minimum nécessaire dans l’existence.
En dehors du jardin la sollicitude de Dieu n’abandonne pas l’humanité. Il protège même l’assassin. Sur Caïn qui dit : «Ma faute est trop lourde à porter», le Seigneur met un signe «pour que personne en le rencontrant ne le frappe». Il protège l’humanité contre elle-même pour qu’elle n’entre pas dans le cycle infernal de la vengeance. Avec Noé puis avec Abraham il conclut une alliance. Avec Moïse il donne sa loi. Avec les prophètes il intervient sans cesse pour rappeler sa prévenance, sa miséricorde et son amour pour son peuple élu et pour tous les hommes.
Israël raconte ainsi son histoire. Il n’y est jamais question d’un Dieu qui abandonne les hommes mais de sa tendresse et de sa fidélité. Les hommes par contre se détournent de lui. L’histoire «sainte» n’est en fait qu’une longue suite de rébellions contre Dieu.

Péché originel ou péché des origines
Le péché originel désigne cela, cette inclinaison des hommes à faire le mal. Saint Paul le dit très bien dans la lettre aux Romains : «Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais» (7,19). Avec l’histoire d’Adam et Ève, la Bible raconte l’amour de Dieu pour son humanité. Il lui donne le bien le plus précieux : la liberté. L’arbre de la connaissance de ce qui est bien ou mal représente l’épreuve à laquelle l’humanité est soumise. Il ne va pas de soi qu’elle fasse le bon choix. Laissée à elle-même, elle ne cherche pas naturellement à vivre en harmonie avec Dieu. Avec le Christ par contre tout change. Par sa grâce nous sommes réconciliés avec Dieu. Dans la même lettre aux Romains, saint Paul explique que si nous sommes solidaires dans le péché en Adam nous sommes également et surtout solidaires dans le salut en Jésus Christ.

Paradis, vie éternelle et Jérusalem céleste
Dans le Nouveau Testament le Paradis n’est plus derrière nous mais devant nous. Le Christ le promet pour « aujourd’hui » au Bon Larron. Il reprend et amplifie les promesses d’un monde nouveau faites par Isaïe. Depuis le troisième av. J.-C., la conception juive de l’au-delà s’est enrichie d’une croyance plus affirmée en la résurrection des morts. Le lieu vague et triste où dormaient les morts, le shéol, est devenu un lieu de bonheur avec Dieu.
La phrase de Jésus entre tout à fait dans cette perspective. Les morts sont attendus par Dieu dans un paradis, un « ciel » qui a les caractéristiques du jardin. Paradis et vie éternelle deviennent des expressions équivalentes. L’auteur de l’Apocalypse place dans la Jérusalem céleste l’arbre de vie qui était dans le jardin : « Au milieu de la place de la cité et des deux bras du fleuve est un arbre de vie produisant douze récoltes.» (Ap 22, 2). Et il promet cette récompense aux fidèles : « Heureux ceux qui lavent leurs robes, afin d’avoir droit à l’arbre de vie, et d’entrer, par les portes, dans la cité. » (Ap 22, 14)

30° DIMANCHE ORDINAIRE C : 27 OCTOBRE 2013 – COMMENTAIRES BIBLIQUE POUR LES LECTURES

25 octobre, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/435.html

30° DIMANCHE ORDINAIRE C : 27 OCTOBRE 2013 – COMMENTAIRES BIBLIQUE POUR LES LECTURES

« Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé… « 
Dans l’évangile de ce jour, Jésus invite à se situer en vérité devant Dieu. La prière du pauvre traverse les nuées, dit Ben Sirac (1° lecture). Le Seigneur entend ceux qui l’appellent, chante le psalmiste. Le Seigneur me sauvera, il me fera entrer au ciel, dans son Royaume, écrit Paul (2° lecture). Entrons à notre tour dans cette démarche pleine de confiance envers Dieu, notre père.

• Ben Sirac le sage, 35,12-14.16-18
Le texte présente Dieu comme un juge impartial qui ne tient pas compte du rang social ou de la fortune de celui qui se présente devant lui. Il écoute la veuve et l’orphelin. Les cris du pauvre parviennent jusqu’à lui. Le mot pauvre désigne ici une personne dépourvue de biens matériels mais également de relations sociales. Il n’a personne qui peut intervenir pour lui. Le texte décrit une prière ardente et persévérante et en montre l’efficacité.

• Psaume 33
Chant d’action de grâce. La première strophe est un invitatoire en direction des pauvres. Ceux-ci peuvent être des indigents, mais également des personnes qui ne comptent pas sur leurs propres bonnes œuvres et qui s’en remettent au Seigneur. Le mot pauvre englobe les justes, ceux qui appellent, les cœurs brisés, les serviteurs. Tous ces gens sont assurés de trouver une oreille bienveillante : le Seigneur regarde, écoute, entend et délivre.
Dans la dernière strophe relevons l’image d’un Dieu qui rachète ses serviteurs. Elle va à l’encontre d’une mauvaise théologie de la rédemption qui présente Dieu comme un raquetteur qui exige le sang de son Fils pour libérer les êtres humains de leurs fautes. Dans le langage biblique, racheter signifie libérer. On ne se pose pas la question du prix à payer ni à qui il faut le payer. Dieu s’est manifesté comme un libérateur lors de la sortie d’Égypte. Il continue à se manifester ainsi, et de manière éclatante, en la personne de Jésus, lui qui nous libère de l’emprise du péché pour faire de nous des êtres libres.

• Luc 18,9-14
Dimanche dernier, la liturgie nous a présenté la parabole de la pauvre veuve et du juge inique. Elle illustrait la force d’une prière persévérante. Aujourd’hui, nous lisons une nouvelle parabole sur la prière. Elle montre également l’efficacité de la prière qui ne dépend pas de la bonté de celui qui prie mais de la bonté de Celui qui exauce la prière. Elle dénonce un travers largement répandu chez les gens pieux qui pensent que le salut leur est dû et qui ne voient pas qu’il est essentiellement un don de Dieu.
La parabole est introduite par un chapeau qui précise les destinataires du récit. Il s’agit de ceux qui sont convaincus d’être justes et qui méprisent les autres. Catégorie de croyants largement répandue en tous temps et en tous milieux.
La parabole décrit les deux hommes qui prient dans le Temple. On voit l’emplacement où ils se tiennent, on voit leur attitude et on les entend prier. Les deux prières sont sincères. Chacun est de bonne foi, même si chez l’un la foi n’est pas bonne. Le pharisien dit vrai. Il est un homme pieux qui jouit de l’estime de tous. Il vit en une confrérie avec d’autres hommes pieux qui en rajoutent sur l’observation de la Loi. Ils jeûnent deux fois par semaine alors que ce n’est pas exigé par la Loi. Ils donnent au Temple un dixième de leurs revenus. Ce que dit cet homme est exact. Il ne se vante pas.
Lucide sur lui-même, le publicain dit également la vérité. Il est un pécheur. Un voleur, un escroc, un collaborateur avec l’occupant. Il fait partie de ceux qui avancent l’argent des taxes aux puissances occupantes, puis qui en récupère le montant chez le peuple, en se remplissant les poches au passage. Le publicain est méprisé par la population et tout spécialement par le groupe des pharisiens. A la différence de la veuve de la parabole précédente, ce publicain n’est pas un pauvre, financièrement parlant du moins. Il est plus riche que le pharisien.
Ayant présenté les deux hommes, Jésus porte un jugement sur l’efficacité de leur prière. Sans le nommer, il évoque un troisième personnage. C’est même le personnage central de cette histoire. Il s’agit de Dieu. C’est à lui en effet que les deux hommes s’adressent. C’est lui qui accueille ou refuse leur prière. Connaissant le Père comme personne ne le connaît, Jésus sait la réponse qu’il donnera aux deux hommes. Le Père justifiera celui qui demande à être justifié. Il ne pourra rien faire pour l’autre qui se justifie lui-même. La justice de Dieu ne se gagne pas à la force du poignet. Elle est d’abord un libre don de Dieu, accordé à ceux qui s’en montrent dignes. Paradoxe : le pécheur qui se repend y accède plus facilement que juste qui compte sur ses propres mérites et qui prétend en plus fermer les portes du ciel à celui ou à celle qui n’est pas comme lui.
On trouvera des pistes d’approfondissement pour la deuxième lecture (2 Timothée 4,6-8.16-18), ainsi que de brèves citations d’auteurs spirituels d’hier et d’aujourd’hui dans les Fiches Dominicales n° 12. Ceux qui préparent la liturgie y trouveront aussi des idées pour une mise en œuvre.

LES IMAGES « HISTORIQUES » DU DIVIN DANS L’ANCIEN ISRAËL

21 octobre, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1137.html

LES IMAGES « HISTORIQUES » DU DIVIN DANS L’ANCIEN ISRAËL

APPROFONDIR

L’étude de la religion d’Israël est dépendante de la manière dont l’histoire d’Israël est interprétée…
L’étude de la religion d’Israël, en particulier du « yahwisme » – la relation avec Yhwh, Dieu Un – est dépendante de la manière dont l’histoire d’Israël est interprétée. Des études récentes ont modifié la perception des origines d’Israël, la compréhension du royaume uni de David et de Salomon, et du rapport entre le royaume d’Israël et de Juda. Elles ont montré l’importance du VIIe s. av. J.-C., de l’exil (587-539) et de l’époque perse (539-333) pour la formation de la littérature biblique.
C’est donc dans ce cadre que se situe notre étude qui suivra les grandes périodes historiques ci-dessous :
• Début XIIe -Xe  s. av. J.-C. : émergence d’États indépendants. Naissance d’Israël et installation des groupes nomades dans les hautes terres de Samarie et de Judée ;
• Fin Xe-VIIIe s. av. J.-C. : époque assyrienne. Époque royale en Israël et Juda. Autour de l’an 1000, naît le premier royaume de Saül dans les hautes terres d’Éphraïm et de Benjamin, à Sichem ou Silo. Le grand royaume d’Israël autour de Samarie s’éteint en 722. Sur les Hautes terres de Juda, le royaume de David prend naissance autour de Jérusalem au Xe s. av. J.-C ;
• Fin VIIIe s.-début VIe s. av. J.-C. : époques assyrienne et babylonienne. Fin viiie s. av. J.-C., le royaume de Juda et Jérusalem se développent. La prise de Jérusalem en 597 en marque la fin 
• Fin VIe s.-début IVe s. av. J.-C. : époque perse. Communautés juives en Judée et en diaspora.

Le temps de la religion « cananéenne »
Du début du XIIe s. au Xe s. av. J.-C., la période qui correspond à l’émergence d’Israël peut être caractérisée comme celle des sanctuaires locaux.
Selon nombre d’historiens, la naissance d’Israël est liée à la crise qui marque le passage du bronze récent (1550-1150 av. J.-C. en Canaan) à l’âge du fer (à partir de 1150) par l’effondrement de la civilisation des cités-États (caractéristique de l’âge du bronze) causée par de multiples facteurs et en particuliers des facteurs économiques. Des groupes de pasteurs se sédentarisent sur les « hautes terres » (c’est ainsi que l’on dénomme les montagnes de Samarie et de Juda) et se structurent autour de lignage et des liens d’appartenance à une famille. L’origine de l’Israël historique est située au XIIe s. av. J.-C. par les historiens, ce qu’atteste la stèle de Merneptah.
La stèle du pharaon Merneptahcontient la plus vieille mention connue du nom d’Israël : elle y nomme un groupe habitant des hautes terres dont le nom théophore (formé sur le nom d’une divinité) n’est pas yahwiste. Dans le nom « Israël », la divinité tutélaire n’est pas Yhwh mais le dieu cananéen El, bien connu des textes ougaritiques. L’étymologie d’Israël, « qu’El lutte, se montre fort » ou « El dominera », serait la trace à la fois d’une séparation d’une population pastorale ne pouvant plus subsister dans le voisinage des villes-États (en raison d’une crise économique) et à la fois le signe d’une continuité avec une longue culture syro-palestinienne du IIe millénaire av. J.-C. Le nom divin El fait partie de la tradition patriarcale. Il est associé à Abraham avec le nom de « El Shaddaï » età Jacob avec le nom de « El, dieu d’Israël ». Il est utilisé à quatre reprises dans la Genèse, en lien avec Jacob et Joseph (Gn 33,20 ; 35,7 ; 46,3 et 49,25). El fut la divinité dominante de la région et il devient un nom du dieu des clans liés aux figures des patriarches.

Le culte yahwiste
Les principales caractéristiques de cette haute période sont celles d’un « pluralisme religieux interne » et celle d’un culte domestique lié aux groupes familiaux. L’onomastique biblique et extrabiblique permet de comprendre ce que sous-tend le vocable de « pluralisme ». Les noms de personnes sont associés à des noms de divinités : El, Baal, Sedeq, Shalom. Le nomShaddaï est à l’origine une divinité de groupes nomades. Les noms ab « père », ah « frère »font référence à des divinités tutélaires de clans, et aux cultes des ancêtres.
À ce stade de l’histoire des débuts d’Israël, le culte yahwiste n’est guère attesté et n’appartient pas à l’origine aux traditions religieuses cananéennes. Aucun patronyme des fondateurs d’Israël ne porte un nom yahwiste, de même que les noms éponymes des tribus, hormis Juda, ne sont des noms yahwistes.
La datation de la pénétration du culte yahwiste en Canaan demeure une question. Le culte de Yhwh est vraisemblablement originaire de Madian au Sud de Canaan. Yhwh y est une divinité climatique comme le laisse entendre Jg 5,4 : « Seigneur, quand tu sortis de Séïr, quand tu partis de la steppe d’Édom, la terre trembla, les cieux ont déversé, les nuées ont déversé de l’eau… »
Cette provenance est corroborée par quelques attestations du nom yhwdans des inscriptions datant d’Amenhotep III (1390-1352 av. J.-C.) et de Ramsès II (1279-1212) mentionnant l’association d’un groupe tribal avec le nom de yhw (shsw yhw, les Shoshous de Yhw) et d’autres noms. L’analyse de ces listes conduit à penser que le nom yhw y est plutôt un toponyme car les autres noms connus de la liste sont des noms de lieux se référant à la région de Madiam et d’Édom, tel Séir.
Les incursions madianites, dont témoignent les traditions de Jg 6–8, s’inscrivent fort bien dans le contexte de la formation d’agrégats de tribus, et sont, selon M. Liverani, le contexte le plus probable de la pénétration du culte yahwiste en Canaan. Le texte de Dt 32,8 fournit une indication sur l’appartenance ancienne de Yhwh à un panthéon dans lequel El (nommé ici El Elyon) est le dieu souverain qui attribue un pays à chaque divinité dont Yhwh : « Lorsque le Très Haut (El Elyon) partageait les nations, comme il dispersait les fils d’Adam, il fixa les frontières des nations selon le nombre des fils de Dieu[1], car la part du Seigneur (Yhwh) c’est son peuple ; et Jacob est le patrimoine qui lui revient » (Dt 32,8).
C’est à la faveur de l’implantation de Yhwh comme culte en Canaan qu’une identification progressive El/Yhwh se dessine, ce que la tradition biblique atteste, puisque le dieu El ne fait l’objet d’aucune polémique et que la référence à ce nom ne pose pas de questions sur l’identité du dieu ainsi désigné.

Images anthropomorphiques du divin
Quelle que soit la présence d’un proto-yahwisme pendant la période du XIIe-Xe s. av. J.-C.en Canaan, Ch. Uehlinger remarque une continuité de la pratique cultuelle et de la production de représentations anthropomorphiques du divin entre le bronze récent (1550-1200 av. J.-C.) et l’âge du fer ancien (1200-1000 av. J.-C.) pour ce qui est de la statuaire de métal, objets en pierre, autels en terre cuite, statuaire et figurines en terre cuite, sceaux représentant des scènes cultuelles. Ainsi la présence de « divinités au bras levé » trouvées à Meguiddo, évoque les figures de Baal d’Ougarit au bras levé.
On observe une pérennisation de la religion climatique attestée en Canaan sous la forme d’un culte de type Baal-Hadad. Il s’agit d’une religion de la continuité de la vie liée à la fertilité de la terre et à la fécondité des êtres vivants comme en témoignent les plaques figurines de Canaan, datées de la période XIIe-Xe  av. J.-C., représentant des femmes/déesses assises « se tenant la poitrine » ou « tenant un enfant ». 
Les attestations de culte anthropomorphique sont liées surtout à l’Israël du nord. Le peu d’évidence archéologique en Juda au Xe s. tardif av. J.-C. donne peu de crédit au point de vue biblique selon lequel Jérusalem sous le règne de Salomon fut le sanctuaire central d’Israël et de Juda.
Notre connaissance de la religion pratiquée par les Israélites à l’époque de l’émergence d’Israël à la fin du IIe millénaire av. J.-C demeure très parcellaire.Le yahwisme est alors intégré à l’héritage cananéen si prégnant dans la région, et il est encore loin d’avoir les caractéristiques et d’occuper la place dominante que lui attribue la littérature biblique. Lareligion du premier Israël est « cananéenne ».

[1] Le texte hébreu massorétique a la leçon « selon le nombre des fils d’Israël ». Nous traduisons ici la Septante grecque qui repose sur un texte hébreu plus ancien.

LES BIBLISTES FRANCOPHONES À L’ÉCOUTE DES HYMNES

17 septembre, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/796.html

LES BIBLISTES FRANCOPHONES À L’ÉCOUTE DES HYMNES

Cent vingt biblistes, enseignants, étudiants ou animateurs bibliques s’y sont retrouvés pour étudier « Les hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions ». Qu’est-ce qu’un(e) hymne ? La question a accompagné interventions et débats. En effet, s’il est habituel de dénommer  » hymne  » ou  » cantique  » certaines pièces proposées par les liturgies chrétiennes et tirées de l’évangile de Luc, des lettres de Paul ou de l’Apocalypse, la définition reste vague. Le Congrès, sans en élaborer une qui fasse désormais autorité, a permis une redécouverte de morceaux bien connus qui, situés dans leur contexte historique et littéraire, éclairaient ceux-ci autant qu’ils étaient éclairés par eux.
En ouverture, illustrant la complexité des questions en jeu, Camille Focant (Louvain) a parcouru une nouvelle fois le beau texte de 1 Co 12,31–14,1. Choisi régulièrement lors des célébrations de mariage, il est souvent appelé  » hymne à l’amour « . Hymne ? Non pas, mais éloge de l’amour dans une prose rythmée, avec parallélismes et métaphores. Paul adopte là un style qui tranche sur le contexte. Rupture d’écriture qui s’accorde avec la radicalité en cause, l’amour-agapè si fortement christologique. Coup de force qui permet de relire l’ensemble de la lettre et appréhender tant les problèmes qui taraudaient autrefois les Corinthiens que, pouvons-nous ajouter en dépassant C. Focant, ceux qui traversent l’engagement du mariage aujourd’hui – puisque ce texte est choisi par les fiancés.

Un rite identitaire
Il revenait alors à Thomas Osborne (Luxembourg) de se livrer à l’exercice périlleux de  » l’état de la question  » – une première dans le domaine francophone ! La conclusion ne manquait pas d’impertinence, montrant que si, aujourd’hui, les définitions sont floues il en était de même dans l’antiquité. Au Ve s. av. J.-C., Platon regrettait que  » tout se confonde avec tout  » alors qu’autrefois les distinctions étaient claires entre  » hymnes « ,  » thrènes « ,  » péans  » et  » dithyrambes  » ! Longtemps après, les écrivains de Qoumrân ou du N.T. vont hériter de la confusion. Pourquoi celle-ci ? Une réponse s’est dessinée dans l’exposé de Yves Lehmann (Strasbourg), spécialiste de la Grèce antique : le rite social, identitaire, a pu recouvrir la poétique même des prières aux dieux (hymnes) et des célébrations de personnes ou de choses (éloges). Cette fonction identitaire a d’ailleurs été repérée par Claude Coulot (Strasbourg) dans la conclusion hymnique de la Règle de la communauté de Qoumrân. Ajoutée au corps du texte, elle aurait été proclamée, selon certaines hypothèses, lors de l’admission de nouveaux membres de la communauté au cours d’une célébration de l’alliance.

Densité et approfondissement
C’est un tout autre angle d’approche, plus littéraire, qu’a adopté Daniel Gerber. Il a montré comment le petit cantique de Siméon (Lc 2,29-32)  » densifie « , en exergue du récit lucanien, le motif lumineux du salut privilégié par la suite. Ce motif résonne tant dans le contexte proche (Lc 1–2) que dans le contexte large (Luc-Actes) et Luc situe ainsi la venue de Jésus sur l’horizon de l’attente d’Israël et des nations. L’analyse rendait justice à la fonction narrative et théologique d’un cantique que la liturgie chrétienne isole. La remarque vaut aussi pour l’hymne aux Philippiens (Ph 2,6-11). Élian Cuvillier l’a relu dans le cadre de l’épître entière, faisant apparaître – comme C. Focant précédemment à propos de 1 Co 13 – la radicalité et la profondeur que l’hymne donnait au propos de Paul, y compris dans son aveu autobiographique (Ph 3). On a pu débattre du statut  » mythique  » attribué au texte par É. Cuvillier, mais on a reconnu que Ph 2, mieux que bien des exhortations, fait entrer les chrétiens dans l’événement pascal. Fonction d’approfondissement encore que celle de l’hymne qui ouvre l’épître aux Éphésiens examinée par Chantal Reynier. Là, l’originalité de l’épître, marquée par un net caractère de louange, tient dans les  » extensions hymnologiques  » qui parcourent le texte – saturation liturgique sans doute mais surtout stratégie de communication : la partie argumentative de l’épître expliquerait et développerait un contenu hymnique qui rebondit, retenant sans cesse l’attention du lecteur par sa richesse et sa beauté.

Les harmoniques liturgiques
Jacques Schlosser s’est attaché à 1 Pierre dont il a mis en lumière le style liturgique. Particulièrement en 1 P 1,3-5.17-21 et 2,4-10, la  » langue hymnique  » participe de la célébration de la miséricorde divine qui culmine dans le choix de la pierre rejetée et dans le sang du Christ, fondement de la sainteté chrétienne et du rassemblement ecclésial. Si 1 P contient ainsi des éléments hymniques à forte teneur théologique qui travaillent l’argumentation, le livre de l’Apocalypse propose des passages bien délimités (huit en tout) qui semblent interrompre le fil narratif. Michèle Morgen a souligné qu’ils ressaisissent les motifs importants du salut, du Règne, du sang, du peuple de Dieu, du rachat, des prémices, etc. Mais elle n’en est pas restée à cet usage rhétorique. Reprises ou non à des liturgies chrétiennes déjà existantes, les hymnes préparent les lecteurs à la grande célébration finale qui clôt le livre, anticipant le rendez-vous eschatologique vers lequel sont tendues les visions de Jean.

Christologie et liturgie
En conclusion, Jean-Noël Aletti a ressaisi quelques convictions. À l’époque du N.T., la définition du genre  » hymne  » est problématique, on l’a vu dès l’introduction de T. Osborne. S’il y a des distinctions à faire, elles doivent s’appuyer sur la rhétorique gréco-latine ou l’hymnologie vétéro-testamentaire. Pour sa part, J.-N. Aletti retient le chant, l’éloge (encomium), le prologue (proemium) et l’expansion hymnique, quatre formes générales qui, d’une manière ou d’une autre, ont toutes une fonction christologique. Les chants, tels ceux de Lc 1–2, résument et concentrent le salut de Dieu raconté ou à raconter. Les éloges, tels 1 Co 13 ou Ph 2, ont un rôle d’exemple et font passer les auditeurs/lecteurs par un détour fondateur. Le prologue, tel Jn 1, précède la narration et parfois, tel Ep 1, avertit d’un mystère de Dieu qui ne va pas de soi, se rapprochant de l’ » eulogie « . Les expansions hymniques d’Ep, Col ou 1 P dynamisent l’argumentation. Se greffant sur ce dernier point, quelqu’un a fait remarquer que s’il existe dans la littérature grecque des pièces autonomes, hymnes ou odes, le N.T. n’en présente aucune, préférant les inscrire dans le fil du récit ou de l’argumentation. C’est la liturgie chrétienne, hors du canon des Écritures, qui découpe certains passages de style hymnique ou choral. La dimension liturgique se déplace ainsi des milieux producteurs d’autrefois (et il y aurait des études à reprendre sur le culte dans l’Antiquité) à la pratique des croyants d’aujourd’hui.

Le langage poétique
Le thème du Congrès de Strasbourg a fédéré moins de monde que d’habitude.  » Sujet trop particulier  » ou  » trop restreint « , a-t-on entendu dire. À tort. Les organisateurs, menés par Daniel Gerber pour la partie académique et Pierre Keith pour la logistique, ont réussi à entretenir l’intérêt par le croisement des méthodes exégétiques. La recherche historique et critique a été largement honorée grâce aux interventions de Y. Lehmann, C. Coulot, C. Reynier, J. Schlosser, M. Morgen et aux séminaires de E. Bons & J. Joosten (la prière d’Azarias en Dn LXX), G. Claudel (les citations psalmiques en Mt), A. Dettwiler (l’hymne aux Colossiens), J. Duhaime (les prières de la guerre de Qoumrân), R. Kuntzmann (le chant de Débora, Jg 5), T. Legrand (le targoum d’Ha 3). Elle a rencontré avec bonheur d’autres approches, narratives ou rhétoriques, dans les conférences de C. Focant, D. Gerber, E. Cuvillier, J.-N. Aletti, ou les séminaires de F. Laurent (le poème de Dt 32), J.-M. Sevrin (le prologue de Jn), T. Osborne et N. Siffer (les hymnes lucaniens). Le séminaire de D. Fricker s’interrogeait, lui, sur l’actualisation du prologue de Jn et de l’hymne aux Philippiens. L’actualisation était plus ouvertement pastorale avec la conférence grand public de J. Duhaime sur  » La prière d’action de grâce comme récit identitaire « . Les fonctions des hymnes, en effet, s’élaborent non seulement dans les communautés productrices, mais aussi dans le corps des gens qui, aujourd’hui, les reçoivent. Avec cette question (objet de futurs débats ?) : si les hymnes ne sont pas réductibles à des stratégies de communication, si elles sont aussi  » poésie « , quels sont les effets de ce langage qui n’est pas d’abord injonction, récit ou fiction mais tension entre l’inexprimable et l’inouï ?

Gérard Billon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 143 (mars 2008), « L’Alliance au cœur de la Torah »,  p. 67-69..

LES APOCRYPHES ET LE DOGME DE L’ASSOMPTION

13 août, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/878.html

LES APOCRYPHES ET LE DOGME DE L’ASSOMPTION

APPROFONDIR

Cette définition dogmatique s’est accompagnée d’une réflexion exégétique sur les apocryphes…
Le dogme de l’Assomption corporelle de Marie au ciel a été promulgué le 1er novembre 1950 par Pie XII dans la constitution apostolique « Munificentissimus Deus ». Le pape insiste avec force sur l’importance des célébrations liturgiques du 15 août, en Orient comme en Occident, et en tire argument pour affirmer que « le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie au ciel est contenu dans le dépôt de la foi chrétienne confié à l’Église ».
Cette définition dogmatique s’est accompagnée d’une impressionnante réflexion exégétique, historique et systématique, menée par les meilleurs érudits catholiques du moment. Plusieurs d’entre eux se sont penchés sur les « Transitus » apocryphes – dont la bulle papale tait l’existence –, faisant grandement avancer la recherche sur ces textes. Au terme de ces études, ces savants se sont souvent interrogés sur la valeur historique et doctrinale des traditions apocryphes sur la mort de Marie. Voici l’opinion de Martin Jugie, professeur à l’Athénée pontificale du Latran et à l’Institut catholique de Lyon, qui a publié une étude de référence sur le sujet.

Martin Jugie, La mort et l’assomption de la sainte Vierge, p. 167-171
Du point de vue historique, [la] valeur [des apocryphes] est absolument nulle. […] L’historien n’est pas plus renseigné, nous ne disons pas seulement sur les circonstances du passage de la Sainte Vierge de la terre à la vie du ciel mais sur le fait même de sa mort, que ne l’était saint Épiphane à la fin du IVe s. quand il écrivait : « Personne ne sait quelle a été la fin de Marie. » […] Les divergences et les contradictions perpétuelles que nous révèle leur confrontation […] sont bien faites pour augmenter notre scepticisme et nous confirmer dans la conviction qu’aucune tradition positive authentique et remontant jusqu’aux apôtres n’a existé dans l’ancienne Église sur la manière dont la Mère de Dieu a quitté la terre. […]
Au point de vue doctrinal, ces récits méritent d’attirer l’attention de l’historien du dogme, parce qu’ils nous renseignent sur les premières solutions que donna la piété chrétienne au problème posé par la mort de la Mère de Dieu. Du moment qu’on admet que celle-ci est morte – et sur ce point tous les apocryphes du Transitus sont d’accord – la question surgit du sort ultérieur du corps. […] Après le concile d’Éphèse, quand l’attention fut attirée sur l’éminente dignité que confère à Marie la maternité divine, on ne pouvait rester indéfiniment sur l’attitude agnostique qu’avait adoptée [Épiphane]. Le sens chrétien répugnait à admettre que la Vierge toute-sainte, Mère de Dieu, ait pu avoir le sort commun à tous les mortels et que son corps virginal ait connu la corruption du tombeau. Sûrement le Fils de Dieu avait dû soustraire sa Mère à cette humiliation. C’est ce qu’ont senti à peu près tous les auteurs du Transitus. Mais leur solution n’a pas été identique en tout. […]
Les récits apocryphes les plus anciens ont précédé l’institution d’une fête de la Dormition dans les Églises orientales, et il est vraisemblable que leur influence n’a pas été étrangère à cette institution. […] En parlant de la doctrine des Pères grecs sur l’Assomption à partir du VIIe s., nous aurons l’occasion de constater que plusieurs homélistes ont fait des emprunts discrets aux apocryphes […]. Il va sans dire que les représentations sculpturales et picturales de la mort et de l’assomption de la Vierge sont, la plupart du temps, en étroite dépendance des récits apocryphes […].
Ces brèves considérations nous montrent qu’il ne faut ni exagérer ni minimiser l’importance et l’influence des récits apocryphes du Transitus Mariae. Dans le domaine de la doctrine, ils sont, à leur manière, des témoins de l’ancienne tradition, des échos de la pensée chrétienne, à l’époque où ils ont été composés. Presque tous ceux qui sont parvenus jusqu’à nous ont pour auteurs des catholiques ou des monophysites*, qui rivalisaient de vénération et d’amour pour la sainte Theotokos. S’ils n’ont pas tous trouvé du premier coup la vraie solution qui s’impose à l’égard du sort final de la Mère de Dieu, il faut se souvenir de l’absence de tout témoignage explicite sur ce point dans les sources de la Révélation. Ceux qui se sont trompés, qui n’ont pas vu que, si Marie était morte, elle avait dû nécessairement ressusciter, ont, du moins, accordé à son corps le privilège de l’incorruption.

ÉPHÈSE AU TEMPS DE SAINT PAUL. TEXTES ET ARCHÉOLOGIE.

27 juin, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1676.html

ÉPHÈSE AU TEMPS DE SAINT PAUL. TEXTES ET ARCHÉOLOGIE.

Par Jerome Murphy-O’Connor
Jerome Murphy-O’Connor
Éphèse au temps de saint Paul. Textes et archéologie.
« Initiations Bibliques », Éd. du Cerf, Paris, 352 p., 44 €.

Voilà un livre d’une grande richesse : pour une part, un gros dossier, une sorte de compilation de tout ce qui a été écrit dans l’antiquité sur Éphèse ; pour le reste, un récit du ministère de Paul dans cette ville, récit exégétiquement fondé et un tantinet romancé.

Le dossier d’abord : Depuis Hérodote d’Halicarnasse (Ve siècle av. J.-C.) jusqu’à Callimaque de Cyrène (III e siècle apr. J.-C.), vingt six écrivains sont longuement cités – dans certains cas traduits en français pour la première fois – et commentés. Ainsi apparaissent aux yeux du lecteur, le corps et l’âme, si l’on peut dire, de la ville d’Éphèse, et cela de manière étonnamment concrète. Tout d’abord on réalise le rôle économique et stratégique majeur du port qui fut pour Rome la « porte de l’Asie ». Ensuite et surtout, chaque fois qu’il est question d’Éphèse, on constate l’omniprésence du fameux Artemision, le temple d’Artémis, une des sept merveilles du monde (avec, soit dit en passant, une intéressante réflexion sur les intentions sous-jacentes à cette appellation, qui, parait-il, avait le don de « taper sur les nerfs » des romains). Autre exemple significatif, ce qui est dit de la fiscalité romaine sur les provinces : lors de leur passage à Éphèse et sur ordre du sénat, Brutus et Cassius, les assassins de César, prélevèrent l’équivalent d’au moins 2.600 $ par habitant, femmes et enfants compris, et cela par le truchement des publicains bien connus des Évangiles ! Même si ceux de la Judée étaient moins voraces que leurs collègues d’Éphèse, on comprend le peu de sympathie que leur action suscitait.
Quant à la reconstitution du ministère de Paul, elle étonne d’abord le lecteur non prévenu, qui se retrouve tout soudain visitant Jérusalem aux côtés d’un Paul de vingt ans lors de sa première venue dans cette ville… Pour comprendre, il faut se référer aux précédents ouvrages de J. Murphy-O’Connor (J.M-C.). P. Debergé, dans sa recension de l’Histoire de Paul de Tarse et de Corinthe au temps de saint Paul (Cahier Évangile n°128), notait déjà que le lecteur avait intérêt à consulter le livre de J.M.-C. : Paul, a critical life, où il justifiait des prises de position considérées par la suite comme acquises. Il faut savoir aussi qu’il mêle délibérément une certaine part de fiction à ses hypothèses, de manière à donner de Paul et de ce qu’il a vécu une image vivante, incarnée. Le résultat est frappant de réalisme. Le regard porté sur Paul est lucide, un peu sévère sans doute. On a un peu l’impression qu’en réaction contre une vision idéalisée de l’Apôtre, l’auteur décide de le regarder par le petit bout de la lorgnette. Certes, Paul était bourré de défauts… mais on a envie de rappeler – ce que J.M.-C. sait bien, évidemment – que les lettres écrites à Éphèse sont des monuments littéraires et théologiques auprès desquelles le défunt Artemision fait pâle figure ! Signalons enfin que la liste des références des textes de l’antiquité et le tableau résumant l’activité de Paul à Éphèse sont bien utiles au lecteur. (Paul Agneray)
Niveau de difficulté : moyen

PAUL EN COMMUNION AVEC L’EGLISE DE JÉRUSALEM

26 juin, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/853.html

PAUL EN COMMUNION AVEC L’EGLISE DE JÉRUSALEM

Pourquoi Paul, après quatorze années d’action missionnaire, est-il monté à Jérusalem rencontrer Jacques, Pierre et Jean ?
Une question se pose au lecteur attentif : pourquoi Paul, après quatorze années d’action missionnaire, est-il monté à Jérusalem rencontrer Jacques, Pierre et Jean, figures d’autorité dans la communauté chrétienne primitive ? Paul leur reconnaît cette autorité, il les appelle donc d’abord « ceux qui sont considérés » (Ga 2,2.6), puis « ceux qui sont considérés comme des colonnes » (Ga 2,9).

Face aux apôtres de Jérusalem
Le texte de Ga 2 montre à quel point la situation était tendue : Paul monte pour « exposer » l’Évangile qu’il proclame parmi les païens. À titre de vérification, il emmène avec lui Tite qui est grec, et non circoncis. Mais il doit se garder des « faux frères qui se sont insinués, des intrus, qui espionnent notre liberté, celle que nous avons en Christ Jésus, pour nous réduire en esclavage » (2,4).

Le regard de Dieu
Au v. 6 commence une longue phrase embrouillée qui s’étend sur quatre versets, elle est « apocopée », c’est-à-dire que la construction s’interrompt brutalement pour reprendre autrement, signe de la passion et de l’émotion de Paul ! « De la part de ceux qui sont considérés… », mais Paul s’interrompt aussitôt : « Ce qu’ils étaient alors, peu m’importe, Dieu ne regarde pas les visages ! » La considération qui s’attache aux apôtres de Jérusalem est liée à leur rang dans la communauté, lui n’en tient pas compte, ne voulant voir que selon les critères de Dieu ! Une seule chose importe, ces hommes considérés « ne lui ont rien réclamé de plus », autrement dit pour Paul il n’est pas question de légitimation humaine ; seul Dieu légitime ses envoyés. D’ailleurs, les autorités de Jérusalem ont constaté que Dieu avait fait confiance à Paul, qu’il l’avait crédité de l’annonce de la Bonne Nouvelle aux incirconcis, comme il avait envoyé Pierre aux circoncis. Le même Esprit est à l’œuvre en chacun des deux apôtres.

Le partage des terrains missionnaires
Arrêtons-nous un instant sur le vocabulaire : « J’ai été crédité de l’évangile des incirconcis. » Le verbe est celui de la foi, pisteuô, mais bizarrement il est passif et suivi d’un complément direct ; au plus près il faudrait traduire : « Je suis crédité de l’annonce de l’Évangile aux incirconcis, comme Pierre aux circoncis » (v. 7). La racine grecque de pistis (« la foi »), est totalement du côté de la confiance et du crédit accordé (le mot est employé en grec moderne pour les banques de crédit) ; Paul affirme que Dieu connaît la fidélité de ses envoyés et leur fait confiance !
Le parallélisme avec Pierre est remarquable : selon la passionnante étude de Lucien Legrand (L’Apôtre des nations ?, 2001), nous assistons à un véritable partage des terrains missionnaires. Pierre ira vers les circoncis (les juifs), c’est-à-dire tous les comptoirs juifs de la grande diaspora orientale passant par Babylone au Nord, Alexandrie au Sud et allant jusqu’en Asie. Paul ira vers les incirconcis (les païens ou les grecs), c’est-à-dire tout l’empire romain occidental, où le judaïsme est moins présent. Mais il s’agit bien du même et unique Évangile !

S’inscrire dans la tradition
Toutefois, le mouvement de la phrase ne s’arrête pas à ces considérations qui restent annexes, il entraîne le lecteur plus loin et culmine sur le v. 9 : « Et parce qu’ils connaissaient la grâce qui m’a été faite, Jacques, Céphas et Jean, ceux qui sont considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main, à moi et à Barnabas, en signe de communion. » Paul ici reconnaît la place éminente des trois apôtres, « ceux qui sont considérés comme des colonnes », et il leur attribue l’initiative de la main tendue. Nous reviendrons sur l’importance de ce terme de koinônia qui, dans la bouche de Paul, scelle dans le Christ mort et ressuscité l’unité des communautés chrétiennes. Pour l’instant, soulignons l’importance du geste : Paul, parti en franc-tireur au nom d’une mission qu’il ne veut tenir que de Dieu seul, au moment où il récolte les fruits de cette mission, ressent comme une révélation impérieuse et incontournable la nécessité de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant lui, pour recevoir d’eux « une main de communion ». Paul, l’avorton, le treizième apôtre, ne peut faire autrement que de venir s’inscrire dans la tradition chrétienne déjà présente à Jérusalem.

La communauté de Jérusalem
On constatera que la communauté jérusalémite est, elle-même, la réunion de judéo-chrétiens venus d’horizons divers, et que le groupe des trois noms n’est pas homogène : d’une part Céphas et Jean, disciples de Jésus depuis le début, de l’autre Jacques, ce « frère » de Jésus que les Actes des Apôtres introduisent brutalement au chapitre 12 comme une présence de fait. Pierre, avant de quitter Jérusalem, confie la responsabilité de la communauté « à Jacques et aux frères » (Ac 12,17). Le kérygme ancien rapporté par Paul en 1 Co 15,1-8 énonce aussi successivement « Céphas et les douze », « Jacques et tous les apôtres ». Tôt dans l’histoire de la première communauté de Jérusalem, la famille de Jésus est venue y jouer un rôle important en la personne de Jacques. Quelles que soient ses réticences ou plutôt ses désaccords avec Jacques de Jérusalem dont les tendances judaïsantes sont manifestes, Paul le reconnaît comme « colonne », et sans jamais se prononcer sur l’autorité réelle de Jacques, il reçoit de lui la main de communion qu’il est venu chercher. Il ne s’agit ni de soumission ni de compromission, mais de la vérité même de l’Évangile, qui exige la communion de ceux que Dieu a crédités de sa confiance pour la mission auprès de tous les hommes.
Désormais nul ne saurait se prévaloir d’une autorité apostolique s’il s’oppose à l’unique Évangile et renonce à la communion une fois scellée au nom de cet Évangile. Paul s’autorisera de ce moment pour se dresser s’il le faut contre Céphas (Ga 2,11-14) !

Concluons…
Une conclusion semble s’imposer, l’apostolat de Paul repose sur trois piliers qui se confortent mutuellement : l’appel du Seigneur qui l’a saisi et l’a mis en route pour cette extraordinaire aventure missionnaire à laquelle il ne cessera de se consacrer, « oubliant ce qui est derrière, tout tendu vers ce qui est devant, [il] poursuit le but vers le prix attaché à l’appel d’en haut venu de Dieu dans le Christ Jésus » (Ph 3,14) ; la vie des communautés qu’il a « engendrées » : « comme un père traite ses enfants, nous vous avons exhortés, encouragés et adjurés de vous conduire de façon digne de Dieu qui vous appelle à son Royaume et à sa gloire » (1 Th 2,12) ; enfin la communion gardée avec la première communauté de Jérusalem, quels que soient ceux qui sont alors à sa tête, et en dépit – osons-le dire – du ressentiment manifeste que Paul nourrit à l’égard de Jacques de Jérusalem.
D’une façon ou d’une autre, il n’est pas de communauté chrétienne si le lien de communion n’est pas assuré avec ceux qui furent témoins oculaires de Jésus de Nazareth durant son existence terrestre.

Roselyne Dupont-Roc, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 147 (mars 2009), « Saint Paul : une théologie de l’Église ? « , pages 14-16.

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