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 » MIS À PART DÈS LE SEIN DE MA MÈRE  » – (Jérémie et Paul)

30 juillet, 2015

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 » MIS À PART DÈS LE SEIN DE MA MÈRE « 

THÉOLOGIE

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Choisis par Dieu pour une mission divine, Jérémie et Paul sont « mis à part dès le sein maternel » : pour quels enjeux ?
Parmi les personnages bibliques choisis par Dieu pour une mission divine, Jérémie et Paul sont  » mis à part dès le sein maternel ». Si l’expression n’est pas utilisée pour Samson, Jean-Baptiste ou Jésus, les parallèles sont pourtant nombreux. Quels sont les enjeux de cette mise à part ? Comment éclaire-t-elle la mission donnée à l’élu ? Et quelle liberté réserve-t-elle à l’appelé ?
L’expression « mis à part » (ou « consacré » selon les traductions), signifie « choisi parmi un groupe pour être institué dans une mission ». Elle sous-entend une délimitation, une définition et une séparation. Dans l’Ancien Testament, elle qualifie la distinction entre le pur et l’impur, entre le profane et le sacré. Elle désigne également la mission confiée au peuple élu (Cf. Lv 20,26).

• Le choix de Dieu
La mise à part s’inscrit dans le mouvement de l’appel de Dieu. Pour Jérémie, Paul, Samson ou Jean-Baptiste, choisis dès le sein de leur mère, l’initiative du choix revient à Dieu de manière absolue. La perception d’un Dieu qui façonne sa créature dans le sein maternel, qui en connaît d’emblée toute l’existence (Cf. Ps 139), est placée ici au cœur de la vocation. Cette tradition est complétée dans le Psaume 51 (50) où l’élu de Dieu se reconnaît pécheur dès le sein de sa mère, et donc déjà placé sous le regard de Dieu. On peut parler d’une « prédestination » de la part de Dieu qui raisonne comme un appel à orienter et engager toute sa vie sur la voie qu’il nous ouvre.
La mise à part est liée aussitôt à une mission. C’est là son fondement et son but. Jérémie est mis à part dès le sein maternel car Dieu « fait (de lui) un prophète pour les nations « . De même, Paul est mis à part pour voir se révéler le Fils et l’annoncer aux païens. Jean-Baptiste, lui, reçoit la mission d’être prophète du Très-Haut, de marcher devant, sous le regard du Seigneur, et de préparer ses chemins (Lc 1,16.76).

• La réponse de l’élu
Pour accomplir sa mission, l’élu est supposé avoir une vie intime avec le Seigneur, une connaissance particulière. L’assurance de la présence du Seigneur avec lui ou de l’Esprit en lui, le rendra fidèle à sa mission. Sa fidélité ne lui vient pas d’une qualité personnelle qu’il détiendrait mais de sa capacité à accueillir la grâce de Dieu. Ainsi Jérémie se considère trop jeune ou incapable d’assumer sa mission au point de maudire le jour de sa naissance. Mais le Seigneur lui confirme son choix à plusieurs reprises pour lui ôter ses doutes. L’élu devient comme l’instrument du Seigneur.
La consécration réduirait-elle la liberté de l’élu, puisque sa mise à part a lieu dès le sein de sa mère ? Le Seigneur appelle et suscite une réponse de l’élu. Celui-ci accepte d’accueillir sa grâce, son Esprit, devenir son mandataire et rester fidèle en dépit de l’adversité rencontrée. Les réticences de Jérémie à l’encontre de l’appel divin montrent qu’entre Dieu et son envoyé, s’instaure un dialogue. La liberté de l’élu se situe non pas du côté de l’appel, mais du côté de sa réponse et de son consentement à faire la volonté de Dieu. L’appelé ne connaît pas d’emblée la mission qui lui est confiée. Il la découvrira progressivement, se laissera modeler par elle, et aura à l’accepter librement (ou y renoncer) à chaque instant. Elle s’inscrit dans le dessein de Dieu, lequel échappe à l’élu. C’est dans ce oui à la volonté de Dieu que se dit la liberté de l’appelé.
Jésus accomplit pleinement cette adhésion libre à la volonté du Père. Sa mise à part et sa mission sont exprimées dès l’Annonciation : le fruit du sein de Marie est saint et béni, recevra le nom de Jésus, sera grand et appelé fils du Très-Haut, recevra le trône de David son père et régnera pour toujours (Lc 1,31-32). Sa conception mystérieuse par l’action de l’Esprit Saint manifeste la volonté de Dieu. Sa mission accueillie et assumée, Jésus la vivra dans la connaissance intime du Père. Il priera pour la partager avec ceux que le Père lui a donnés et qu’il lui demande de consacrer alors (Jn 17). Mis à part et consacré pour la mission, Jésus vient accomplir et donner sens à toute vocation.

Christophe RAIMBAULT.

LA CROIX : ÉCHEC DE LA SAGESSE HUMAINE, SCANDALE ET FOLIE

29 juillet, 2015

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LA CROIX : ÉCHEC DE LA SAGESSE HUMAINE, SCANDALE ET FOLIE 

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« Eh bien nous, nous proclamons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs », affirme saint Paul

Échec de la sagesse humaine
La première étape met en crise toutes les prétentions humaines à la sagesse pour leur opposer la croix. Le verset 21 offre une expression condensée de l’échec de la sagesse : « puisque plongé dans la sagesse de Dieu, le monde n’a pas reconnu Dieu grâce à la sagesse de Dieu… ». Ni les œuvres de la création, ni la raison accordée à l’être humain lui-même n’ont conduit les hommes à reconnaître Dieu créateur ; ils n’ont su, dit la Lettre aux Romains, ni le glorifier ni lui rendre grâce ! Au contraire, les hommes ont fait des œuvres la création et de leur propre sagesse un objet d’idolâtrie sur lequel ils ont refermé la main. Aussi la sagesse des hommes affolée de son propre pouvoir s’est-elle recourbée sur elle-même et s’est-elle affaissée.
Dès lors, Dieu a choisi l’antithèse, l’opposé absolu de la sagesse, « la folie de la proclamation » qui appelle les hommes à la foi : « c’est par la folie de la proclamation que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient ». Folie qui renvoie dos-à-dos toutes les grandes traditions philosophiques et religieuses que l’humanité avait jusqu’alors parcourues : « Puisque les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent une sagesse… ». Les Grecs et les Juifs, dans la bouche du juif Paul, sont les deux parties constitutives de l’humanité. Or, les uns sont en quête de sagesse : la recherche de la connaissance et de la vérité occupe la philosophie grecque depuis des siècles, la raison y cherche une maîtrise du monde ; les autres réclament des signes : les Juifs attendent que la puissance de Dieu qui s’est manifestée jadis dans un acte spectaculaire de délivrance « à main forte et à bras étendu » se déploie à nouveau dans une intervention décisive, sauvant le peuple élu que distinguent les marques dans la chair.
« Eh bien nous, nous proclamons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs ». Toutes les tentatives humaines pour s’assurer un pouvoir sur le monde et sur l’être humain, les tentations symétriques et opposées que sont pour les uns la recherche d’une sagesse supérieure qui sauve, pour les autres la certitude d’une élection qui les sépare pour leur donner la terre, tout cela revient à mettre la main sur Dieu et sur l’avenir de l’humanité. Tout cela, dit Paul, Dieu le balaie au nom d’une folie qui est celle de la croix et qu’il est chargé de proclamer.

Le scandale et la folie
Les deux mots sont lourds de sous-entendus, l’un dans le monde juif, l’autre dans le monde grec.
Nous avons réduit le scandale soit à son étymologie (la pierre que le pied heurte et qui fait tomber), soit à sa dimension sociale (ce qui heurte les représentations communes). Mais la croix est d’abord pour le monde juif un scandale d’ordre religieux. Dans la Lettre aux Galates, où Paul se bat contre la tentation judaïsante, il explicite le scandale : « Christ est devenu pour nous malédiction, car il est écrit : « maudit quiconque est pendu au bois »» (Ga 3,13). La citation de Dt 21,23 rappelle que pour la loi juive la pendaison est malédiction de Dieu : un Messie pendu au bois, un Messie crucifié est plus qu’une contradiction dans les termes, l’expression s’apparente au blasphème, et atteint l’image même de Dieu.
Symétriquement, pour le monde grec, la croix est objet d’horreur, moins par la cruauté du supplice que par l’ignominie de la condition sociale qu’elle évoque : c’est le supplice des esclaves et des criminels, le supplice humiliant par excellence. Un Messie crucifié est l’inverse de tout ce que la sagesse grecque dans sa quête de connaissance et d’intelligence peut rechercher. C’est une folie, et Paul n’emploie pas le terme grec de mania, cette folie envoyée par les dieux, qui peut caractériser le poète, voire le sage ou même le philosophe ; non, il choisit la môria, le contraire de l’intelligence spéculative ou pratique, la stupidité de la bête brute. Si la violence des termes et des représentations nous échappe largement, elle n’échappait pas aux Corinthiens : tout ce qu’ils avaient espéré comme avancée vers le monde de la connaissance, vers la seigneurie grecque de la raison, tout est balayé et renvoyé à la stupidité brute de la croix !

© Roselyne Dupont-Roc, Cahier Évangile n° 166, Le mystère de la croix, p. 11-12.

 »DIEU N’A PAS FAIT LA MORT » (SG 1-2)

26 juin, 2015

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 »DIEU N’A PAS FAIT LA MORT » (SG 1-2)

Sagesse 1-2 fait entendre l’opposition de deux discours sur l’existence, de deux philosophies de la justice. Le discriminant, c’est la position par rapport à la mort.  La Sagesse de Salomon est un livre tardif : on le date généralement de la fin du 1er siècle avant l’ère chrétienne. Attribué fictivement à Salomon, il est écrit par un Juif d’Alexandrie, ville d’Égypte où se vivait un dialogue permanent avec la culture grecque. Sagesse 1-2 font entendre, d’entrée de jeu, l’opposition de deux discours sur l’existence, de deux philosophies de la justice. Le discriminant de ces deux discours, c’est la position que l’on prend par rapport à la mort. La thèse du livre de la Sagesse est la suivante :  »Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Car il a créé tous les êtres pour qu’ils subsistent et, dans le monde, les générations sont salutaires ; en elles il n’y a pas de poison funeste et la domination de l’Hadès ne s’exerce pas sur la terre. Car la justice est immortelle. » (1,13-15)

Le plaisir de Dieu La première phrase pose l’affirmation de base, qui se déploie ensuite en quatre temps. Tout d’abord, la mort ne relève pas du vouloir de Dieu. Ce premier déploiement de l’affirmation initiale est appuyé par la mise en évidence de l’intention divine : la finalité de l’acte de création est de poser toute réalité dans l’être, non de la destiner au néant. Ensuite, la mort n’est pas une fatalité inscrite dans les phénomènes de la génération, ni une nécessité originaire (un  »poison ») inscrite dans l’évolution des êtres. Les biologistes nous ont appris le lien qu’il y a entre la génération (sexuée) et la mort : ici, la génération est posée comme  »salutaire », c’est-à-dire comme possibilité d’être libérée de ce lien. De plus, la corruptibilité évidente de la vie n’est pas perçue comme provenant d’une cause initiale, inscrite originellement dans l’existence. Enfin, la mort n’a pas le pouvoir sur la terre. Ces trois déploiements de l’affirmation initiale sont appuyés par une dernière assertion : la justice est immortelle. En d’autres termes, nous sommes invités à comprendre la quête de la justice comme la racine du combat et de la victoire possible contre la fatalité de la mort. C’est précisément en contraste à cette invitation que va s’affirmer, dans la suite du texte, la position des impies.

La pensée dominante Le discours des impies (2,1-20) s’articule en trois moments, selon une logique parfaite. Le premier temps (v.1-5) pose une évidence : la vie humaine a une fin. Considérer sans faux-fuyant la mort fait de la vie quelque chose de peu d’importance, d’éphémère,  »qui se dissipe comme la brume matinale » : on reconnaît ici la  »vanité » du livre de Qohélet. Logiquement alors (v.6-9), il n’y a rien d’autre à faire que de  »profiter de la vie ».  »Jouissons des biens présents, profitons de la création » : c’est là une manière de  »prendre » la création, contre laquelle celle-ci se rebellera à la fin du chapitre 5. Enfin (v.10-20), le caractère logique – totalitaire ? – de cette philosophie s’achève dans l’élimination nécessaire de quiconque ne pense pas ainsi. La différence n’est pas tolérable :  »la vie du juste ne ressemble pas à celle des autres […] tuons-le ». L’élimination du juste ne vise pas autre chose qu’à museler toute opposition à la philosophie dominante. Cependant un doute s’infiltre en finale, la mise à mort étant posée comme une mise à l’épreuve de ses convictions :  »Voyons si ses paroles sont vraies… »

La mort n’est pas une fin Le chapitre 2 s’achève par un nouveau déploiement de la thèse qui ne répond pas au discours des impies mais progresse à partir de lui. Les impies considéraient la mort comme un événement totalitaire (une fin) dans l’expérience humaine ? Celle-ci peut échapper à l’emprise de la dégradation car l’homme est créé pour l’incorruptibilité ! Comment s’affranchir de la mort-dégradation ? Cela n’est pas encore dit. Enfin, il est avancé que la mort (mais laquelle : la mort-événement, ou la mort-dégradation ? les deux sans doute) est entrée dans le monde par la jalousie vis-à-vis de ce que  »Dieu possède en propre », et dont l’image se trouve en l’homme depuis la création. Qu’est-ce que Dieu possède en propre ? En tout cas, si la mort étend ses ravages dans le monde, c’est bien parce que certains appartiennent à son parti, et contribuent à sa domination, en particulier les impies. Sagesse 1-2 pose bien des questions qui restent ouvertes : il faut continuer à lire… Un seul point semble acquis. Si la mort règne sur notre existence, c’est parce qu’elle trouve des partisans parmi les hommes. Où se trouve alors la racine de l’immortalité, la capacité de lutter contre la corruption ? Il faudra bien, pour avancer, repenser la justice… et la sagesse.

Jean-Marie CARRIÈRE Article paru dans Le Monde la Bible n° 145  »Tombeaux et momies d’Égypte », (Bayard-Presse, sept-oct 2002) p. 72

« JE SUIS UN DIEU JALOUX…

1 juin, 2015

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/899.html

« JE SUIS UN DIEU JALOUX… « 

THÉOLOGIE

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« YAHVÉ EST UN DIEU JALOUX »…

« Tu ne prosterneras pas devant un autre dieu, / car Yhwh, Jaloux est son Nom. Il est un Dieu jaloux » (Ex 34,14). Cette formulation abrupte du premier commandement se situe à l’intérieur du petit ensemble législatif (Ex 34,11-26) intégré au récit du renouvellement d’alliance (Ex 34,10-28), de rédaction deutéronomiste, qui suit la trahison du veau d’or et la rupture d’alliance symbolisée par le bris des tables. Ex 34,14 fait partie de « ces paroles sur la base desquelles l’alliance est à nouveau conclue » (Ex 34,27). La formulation de cet interdit est incisive, comme le montre la disposition en chiasme (abcb’a') :

Yhwh (a) / Jaloux (b) / est son Nom (c) / un Dieu jaloux (b’) / Lui (a’)

Les parties externes (a et a’) se correspondent (« Yhwh », « Lui »), ainsi que les parties médianes (b et b’) avec la reprise du mot « jaloux ». Au centre : le terme « Nom ». Ce chiasme s’accompagne de trois procédés rhétoriques qui ne sont pas sans portée théologique : d’abord la mise en relief du nom de Yhwh par le biais d’un casus pendens ; ensuite l’inversion à l’intérieur de la première proposition : le prédicat « jaloux » placé avant le sujet, « le nom » ; enfin la correspondance entre Yhwh et « Lui ». Cette écriture soignée dit assez l’importance que le rédacteur veut donner à cette déclaration divine.
Arrêtons-nous d’abord au casus pendens : placé en tête, le nom divin Yhwh n’a pas de fonction grammaticale dans la phrase. Cette donnée est associée au fait que dans la première proposition, le prédicat est placé avant le sujet et qu’ainsi le terme « Nom » se trouve au milieu de la formulation. Or, dans la Bible, le Nom renvoie à la réalité de l’être même de Dieu. Il faut en conclure que le propre de Dieu est d’être » jaloux », ce que confirme la seconde proposition.
La correspondance entre Yhwh et le pronom « Lui » souligne avec force cette conclusion : non seulement Yhwh s’appelle « Jaloux », mais il est réellement un Dieu jaloux. Comme, en même temps, le Nom dit la présence pour la rencontre, la déclaration divine d’Ex 34,14b retentit comme un avertissement solennel, voire comme une menace. Dans le premier commandement du décalogue, Yhwh disait déjà : « Moi, Yhwh ton Dieu, je suis un Dieu jaloux » (Dt 5,9 ; Ex 20,5). Ex 34,14 renchérit sur cette déclaration déjà quelque peu subversive : le propre de Dieu est d’être jaloux.
En Ex 34, l’expression ‘él-qanna’ « Dieu jaloux », est donc rattachée, elle aussi, au premier commandement : le v. 14 vise le culte des « autres dieux » ; en Ex 34,15-16, la prostitution renvoie au service cultuel de ces mêmes dieux et, en Ex 34,17, l’interdiction des images concerne le culte des idoles. N’oublions pas cependant que le renouvellement d’alliance (Ex 34,10-28) à l’intérieur duquel ces prescriptions sont insérées a été rendu nécessaire par la rupture d’alliance, conséquence de l’érection du veau (Ex 32). Or, cette statue se veut une représentation de Yhwh : « Fête en l’honneur de Yhwh », proclame Aaron (Ex 32,5). Dans l’unité rédactionnelle d’Ex 32-34, cette image de Yhwh se trouve ainsi placée au rang des idoles païennes. Elle pervertit tellement la conception orthodoxe de Yhwh qu’elle équivaut pratiquement à une idolâtrie : la représentation a pour visée de maîtriser cette puissance imprévisible qu’est devenue Yhwh aux yeux des Israélites. C’est là « le grand péché d’Israël » (Ex 32,21.30-31), expression aussi rare que solennelle.
La présentation de Dieu qu’implique la formulation d’Ex 34,14 connote donc l’intolérance de Yhwh qui ne peut supporter de rivaux et qui refuse d’être rabaissé au rang d’une divinité païenne. Il ne faut pas pour autant oublier que cette formule « Yhwh, un Dieu jaloux » résonne dans un contexte de renouvellement d’alliance qui repose sur le pardon (34,9) et sur la miséricorde (34,5-7) que Yhwh vient de révéler dans la grande théophanie du Sinaï.

Bernard Renaud, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 149 (septembre 2009), « Un Dieu jaloux entrre colère et amour », pages 28-29. 

VIOLENCE, JUSTICE ET PAIX DANS L’ANCIEN TESTAMENT (juin 1999)

12 janvier, 2015

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/989.html

VIOLENCE, JUSTICE ET PAIX DANS L’ANCIEN TESTAMENT (juin 1999)

Théologie

Beaucoup de chrétiens se méfient de l’Ancien Testament car le Dieu qu’il nous présente, pensent-ils, est violent, guerrier, parfois cruel…
Beaucoup de chrétiens se méfient de l’Ancien Testament. Le Dieu de l’Ancien Testament, pensent-ils, est violent, guerrier, parfois cruel, alors que le Nouveau Testament nous donnerait à connaître, à travers la vie et le message de Jésus-Christ, un Dieu d’amour, un Dieu doux et miséricordieux, patient et compréhensif. Mon but, dans ces quelques pages, ne sera pas de recenser l’ensemble des passages bibliques, de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui mériteraient d’être relus et scrutés en fonction de l’image de Dieu qu’ils paraissent nous proposer. Il ressortirait sans doute d’une telle enquête que le Dieu de l’Ancien Testament est moins monolithique qu’on l’imagine parfois et que le Nouveau Testament recèle, lui aussi, quelques pages dont la violence a de quoi interroger le lecteur. Il s’agira pour moi ici, plus simplement, de tenter de poser quelques jalons historiques et de voir dans quelle mesure les différents langages que nous rencontrons dans l’Ancien Testament sur l’exercice du pouvoir de Dieu — et donc, sur la manifestation de sa violence — ne trouvent pas un éclairage nouveau si on cherche à les situer dans leur contexte historique. La démarche historique permet une prise de distance qui à son tour se révèle libératrice et ouvre la voie, parfois, à une réappropriation théologique du texte.

1. Paix diffuse, violence larvée
La dispute, le conflit, la rivalité, la lutte au corps-à-corps, même les affrontements entre groupes humains, existent depuis qu’il y a des hommes. La guerre, en revanche, n’a été possible qu’à partir du moment où il y a eu des États (même embryonnaires) capables de les organiser et de mettre sur pied des armées. La paix, par conséquent, en tant qu’idéal conceptualisable, présuppose l’expérience de la guerre et, donc, l’État.
La littérature biblique certes ne remonte pas à une époque qui précéderait l’émergence des royaumes d’Israël et de Juda, mais cela ne l’empêche pas de mettre en scène, dans les récits patriarcaux de la Genèse, un univers dont l’État est encore absent, une société purement clanique qui ne connaît pas encore la guerre. Les légendes du cycle de Jacob, par exemple, se souviennent d’un mode d’existence — préétatique ou para-étatique — où les conflits se règlent par la ruse plutôt que par la violence et où les arrangements, souvent extorqués plutôt que consentis, ont le pas sur le droit.
Qu’en est-il de Dieu dans ces récits ? Bien que, pour les concepteurs du canon biblique tel que nous le connaissons, le Dieu de Jacob est le même que le Créateur de l’univers confessé en Gn 1, on devine que dans l’univers des récits patriarcaux, le dieu protecteur du clan n’est encore ni unique ni tout-puissant. En Gn 31,53, ce sont bien deux dieux différents, le dieu de chaque clan, qui garantissent le traité entre Jacob et Laban. Le Dieu de l’Israël jacobien a donc des «collègues» qui sont responsables d’autres groupes ou d’autres nations. C’est, là aussi, ce que nous révèle Dt 32,8-9 dans sa version probablement primitive :
«(8) Quand le Très-Haut (« Elyon) donna les nations en fiefs, quand il partagea les êtres humains, il fixa le territoire des peuples d’après le nombre des fils de El (TM : «fils d’Israël», à l’origine certainement benei El oubenei Elim : El Elyon partage le territoire habité selon le nombre de ses fils, afin que chacun de ces fils de Dieu ait un peuple),
(9) la part de Yhwh, ce fut Jacob, le territoire de son fief, ce fut Israël» (TM : «car la part de Yhwh, c’est son peuple, et Jacob est le patrimoine qui lui revient»).
En même temps, nous voyons, dans le cycle de Jacob, le Dieu du clan être identifié au dieu El vénéré, sous des noms de culte différents, à Béthel (Gn 31,13; 35,7), à Sichem (Gn 33,20) ou à Penuel (Gn 32,31). Les dieux nationaux peuvent donc être perçus à la fois comme des puissances tutélaires rivales (dans la mesure où leurs protégés le sont) et comme des émanations du grand El (qui apparaît à Ugarit comme le père des dieux et le créateur du ciel et de la terre).
Dans cet univers-là, la violence des dieux trouve donc sa limite dans le partage raisonnable de leurs zones d’influence parmi les hommes, tout comme la violence des hommes doit déboucher finalement sur un partage à l’amiable des terres habitables. Même dans le contexte théologique plus classique, celui du Dieu national guerrier, le partage des zones d’influence entre dieux nationaux reste sous-entendu. Lorsque Jephté s’adresse au chef des Ammonites, il lui dit :
«… (23) Et maintenant que Yhwh, Dieu d’Israël, a dépossédé les Amorites devant son peuple Israël, toi, tu voudrais le déposséder ? (24) Ne possèdes-tu pas ce que Kemosh, ton Dieu, te fait posséder ? Et tout ce que Yhwh, notre Dieu, a mis en notre possession, ne le posséderions-nous pas ?» (Jg 11,23-24).
Le Dieu tribal ou national peut certes se manifester aussi par des signes accompagnateurs «cosmiques», comme dans le Cantique de Débora (Jg 5,4-5.20-21), mais la paix n’est pas orchestrée par un Dieu suprême : elle résulte plutôt d’un processus d’autorégulation où les forces des groupes divers et de leurs dieux se retrouvent en équilibre.

2. Paix centralisée, violence instrumentalisée
Avec l’avènement de la royauté, de l’État fort, et surtout de l’État impérial, nous découvrons une vision de l’ordre pacifique à la fois beaucoup plus ambitieuse, plus élaborée dans son discours, et surtout plus centralisée, une vision de la paix telle qu’elle est incarnée et défendue par cet État. Tout au long de leur histoire, l’Égypte aussi bien que la Mésopotamie nous en fournissent des attestations nombreuses. Toutes relèvent de ce que l’on peut appeler l’idéologie royale.
En Égypte, le roi, fils de Re et incarnation du dieu Horus, est le garant de la maat, de l’ordre cosmique. Selon cette idéologie, le règne du Pharaon a des effets bénéfiques non seulement pour l’administration de son royaume au sens étroit — exercice de la justice, protection des faibles contre les puissants, tranquillité des villes et des campagnes — mais aussi pour la sécurité extérieure : bédouins asiatiques, envahisseurs libyens ou nubiens, animaux sauvages sont maintenus bien à l’écart des frontières — ainsi que pour la prospérité économique et même le maintien des cycles naturels : crues du Nil, abondance des récoltes, etc. Le conte prophétique de Neferty (une prophétie fictive annonçant en fait le règne d’Amenemhet Ier [env. 1991-1962 av. J.-C.]) nous brosse, par la voie de la négative, un tableau saisissant de cette idéologie.
26) (…) Les cours d’eau de l’Égypte seront à sec (…) (31) (…) Toute bonne chose s’en ira, la terre de misère s’étendra (32) à cause de ces nourritures des Bédouins Asiatiques qui seront à travers la terre. Les ennemis (33) adviendront à l’est; les Asiatiques descendront vers l’Égypte. La forteresse sera trop étroite (…) (34) On grimpera à l’échelle dans la nuit, on pénétrera dans les forteresses, on chassera l’ensommeillé, (35) (…). Les animaux du désert boiront aux rivières (36) de l’Égypte, ils se rafraîchiront à leurs rives car on ne les chassera plus. (…) (43) (…) L’homme sera inerte, se détournant (44) quand l’un tue l’autre. Je te montre le fils comme un ennemi, le frère comme un adversaire, un homme (45) qui tue son père. (… …).
C’est un roi (58) qui surgira pour le sud : Amen, juste-de-voix, est son nom. Il est le fils d’une femme du premier nome du sud (…) (61) (…) Le fils d’un homme (62) fera son renom pour toujours et à jamais. Ceux qui en sont venus au mal et ceux qui ont conçu la révolte, (63) ils auront baissé le ton de leurs paroles en raison de la terreur qu’il inspire. Les Asiatiques tomberont sous ses coups (64), les Libyens tomberont par sa flamme, les ennemis par sa fureur, les révoltés de sa (65) crainte. (…) (68) (…). La maat reviendra à sa place, (69) le mal étant repoussé à l’extérieur. (…)» (cité d’après la traduction de D. Devauchelle, in Prophéties et oracles. II. en Egypte et en Grèce, Suppl. au cah.év. 89, Paris, Le Cerf, 1994, p.10-13).
Des textes finalement assez comparables nous proviennent de la royauté sumérienne (cf. par exemple l’hymne royal de Lipitishtar de Isin (19e s. av. J.-C. dans A. Falkenstein, W. von Soden, Sumerische und Akkadische Hymnen und Gebete, Zurich, Stuttgart, Artemis, 1953, p. 126-130) : le roi Lipitishtar, comme il l’évoque dans son hymne à lui-même, permet à la nature de s’épanouir, au temple de prospérer, à la guerre d’anéantir l’ennemi, à l’administration d’exceller et au droit de s’imposer partout.
En Égypte comme en Mésopotamie, la paix est perçue comme un état étroitement associé à la justice : elle est avec la justice l’expression de l’ordre cosmique dont le Dieu est le créateur et le roi le garant. Mais le propre de l’ordre cosmique, c’est que le cosmos y est compris comme une sorte de capsule d’ordre au sein du chaos infini, comme une zone habitable cernée de toutes parts par les déserts et les océans, donc comme une nacelle protégée (mais par définition fragile) perdue dans les immensités du chaos. (Telle sera également l’image suggérée par Gn 1).
Dans cette perspective, la paix est toujours une paix de forteresse, une paix qui doit se défendre contre tous ses ennemis. En théorie, la prétention à l’extension de cette paix est universelle, mais en fait, chaque puissance sait bien jusqu’où s’étend son pouvoir concret. Telle sera la pax aegyptiaca, la pax assyriaca ou la pax romana, elle se présentera à ses bénéficiaires comme une sorte de cloche ou de parapluie : chacun a intérêt à s’y abriter, car à l’extérieur la guerre est impitoyable et la lutte éternelle.
Ce qui est assez étonnant, c’est que le petit royaume de Juda — pour le royaume d’Israël, le royaume du nord, nous manquons d’informations — a assumé la même idéologie royale, la même conception de l’ordre cosmique, toutefois en en situant le centre non à Thèbes ou à Assur, mais à Jérusalem. Les Psaumes royaux, notamment les Ps 2 (versets 7-9), 72 et 110 (versets 1. 5s.) ou encore le Ps 76, montrent bien que le roi de Jérusalem revendique, lui aussi, une souveraineté universelle : tous les rois de la terre lui doivent soumission ou allégeance, même si cela devait paraître un peu prétentieux. Comme en Égypte ou en Mésopotamie, on peut observer cependant de grandes variations quant au sort qui est réservé, dans la théorie, à ces rois étrangers. Dans les versions belliqueuses (Merenptah, Lipitishtar, Ps 2,9; 110,5-6; Joël 4,9-21), les rois sont écrasés et anéantis. Dans les versions plus sereines — par exemple, dans les scènes de présentation du tribut de tous les peuples de la terre à Akhénaton — les rois étrangers et leurs nations se soumettent volontairement et dans l’allégresse, et, dans nombre de passages bibliques (cf. par exemple Ps 22,28-30; 68,29-32; 76,9-13; Es 2,2-5; Mi 4,1-5), les rois et leurs nations se prosternent devant le Dieu d’Israël et se rendent en pèlerinage à Jérusalem. Mais toujours la paix se fait-elle au bénéfice du centre : Jérusalem, Assur, Thèbes se considèrent comme le centre du monde.
Une remarque encore : il n’y a pas que les ennemis de l’extérieur, les rois des nations, qui menacent l’ordre cosmique, il y a aussi les animaux sauvages. Ceux-ci restent, dans de nombreux textes, associés aux forces du chaos et sont considérés comme une menace pour la paix des hommes. C’est pourquoi, dans l’idéologie royale, la chasse tout comme la guerre fait partie des obligations et des prérogatives du roi (même si dans les faits, la chasse deviendra très rapidement une opération de prestige plus que de nécessité : en Assyrie, il faudra importer les lions pour que les rois puissent encore se livrer à leur chasse). Mais ce thème — en tout cas sur le plan métaphorique — reste important dans la littérature biblique. Là aussi, les bêtes sauvages sont soit écartées ou supprimées (Ez 34,25), soit — dans une perspective utopique et eschatologique — totalement pacifiées (Es 11,6-9; 65,25). Selon Os 2,20 (passage probablement secondaire), l’établissement du pouvoir de Yhwh sera si total que les animaux sauvages et les ennemis humains ne pourront plus nuire et que les armes de guerre et de chasse seront supprimées en même temps.
Il se pose toutefois, pour l’application au contexte israélite/judéen du concept de la paix cosmique, un problème majeur : ce concept n’a de sens que si le dieu qui le garantit est sinon le Dieu créateur, du moins le souverain du ciel et de la terre. Or, on a aujourd’hui quelques raisons de penser que le dieu national d’Israël, Yhwh, n’a été confessé explicitement comme Créateur du ciel et de la terre qu’à partir du milieu ou de la fin du VIIe siècle av. J.-C., probablement à partir du règne de Josias.
Donc, la présence dans la pensée judéenne d’un concept de paix à la fois universel et centré sur Yhwh et son temple à Jérusalem est une surprise, presque une anomalie : les contemporains et voisins de Juda en tout cas pouvaient y voir un signe de prétention et de démesure. Alors, comment expliquer l’apparition, dans le contexte judéen, d’une théologie et d’une cosmologie réservée normalement aux «grandes puissances» ?
Il faut se rendre compte, d’abord, comment cette vision s’exprime dans les récits de la conquête du pays de Canaan par Israël. En Ex 34,11-13, Yhwh annonce à Moïse qu’il va chasser devant Israël tous les anciens habitants du pays, puis il lui interdit de conclure des alliances avec eux et leur ordonne de renverser leurs autels et autres installations cultuelles. En Dt 20,10-14, Moïse donne aux Israélites les instructions sur la manière dont ils auront à traiter les villes du pays dans lequel ils s’apprêtent à entrer. Celles qui ouvriront leurs portes aux envahisseurs seront simplement astreintes à la corvée et à la servitude. Les villes qui résistent seront assiégées, leurs hommes tués et les femmes et enfants réduits en esclavage. Puis viennent, aux versets 15-18, une clause aggravante : seules les villes éloignées du nouvel habitat d’Israël subiront le sort qui vient d’être décrit. La population des autres villes, c’est-à-dire des villes proches, devra être entièrement exterminée. Enfin, dans le récit de la conquête lui-même, nous trouvons le bilan est tiré en Jos 11,16-20 : «(16) Ainsi Josué prit tout ce pays : la Montagne, tout le Néguev, tout le pays du Goshèn, le Bas-Pays, la Araba, la montagne d’Israël et son bas-pays. (17) Depuis le mont Halaq qui se dresse vers Séïr jusqu’à Baal-Gad dans la vallée du Liban sous le mont Hermon, et il s’empara de tous leurs rois, les frappa et les mit à mort. (18) Pendant de nombreux jours, Josué fit la guerre à tous ces rois. (19) Pas une seule ville ne fit la paix avec les fils d’Israël, à l’exception des Hivvites qui habitent Gabaon; toutes les autres furent prises par les armes. (20) En effet, Yhwh avait décidé d’endurcir leur coeur à engager la guerre avec Israël afin de les vouer à l’interdit en sorte qu’il ne leur soit pas fait grâce et qu’on puisse les exterminer comme l’avait prescrit Yhwh à Moïse.»
Tous ces passages n’appartiennent pas à la même rédaction, mais tous traduisent la même perspective de base. Nous avons là une version extrême du concept centralisé de paix : à l’intérieur, un peuple homogène astreint à une allégeance sans faille à son Dieu, et à l’extérieur, l’éjection, l’esclavage ou la mort de tous les autres !
L’école théologique et littéraire à laquelle nous devons cet idéal et cette compréhension de l’histoire d’Israël est appelée par l’exégèse historico-critique «l’école deutéronomiste»: «deutéronomiste» parce que c’est dans le livre du Deutéronome que l’on retrouve les principes de base de cette école. On doit à ce cercle une oeuvre historiographique qui comprend les livres allant du Deutéronome au 2e livre des Rois et qui retrace l’histoire d’Israël depuis la veille de l’entrée en Canaan jusqu’à la chute des royaumes d’Israël et de Juda.
Avant de s’interroger sur le contexte historique dans lequel une telle perspective de l’histoire a pu se développer, il faut d’abord insister sur le fait que — d’après les recherches concordantes de ces quatre ou cinq dernières décennies, tant sur le plan archéologique et épigraphique que sur celui de la critique historique des textes bibliques — la présentation des origines d’Israël dans les livres du Deutéronome et de Josué se révèle fictive de A à Z. Le Blitzkrieg de Josué, le bain de sang, le «nettoyage ethnique», tout est inventé ! En réalité, les tribus israélites qui se sont formées dans la partie montagneuse de la Palestine centrale ne doivent nullement leur présence dans le pays à une invasion guerrière, ni même à une infiltration plus diffuse de groupes en provenance de Syrie ou d’Égypte. Pour l’essentiel, même si certains groupuscules ont pu venir s’y adjoindre de l’extérieur, nous sommes en présence, très simplement, d’une population rurale autochtone et composite qui, au début du Fer I (12e/11e s.), développe l’habitat des montagnes, prend conscience de son autonomie et finit par s’organiser politiquement sur le mode clanique et tribal.
Mais si les événements rapportés par ces récits ne sont pas historiques, si donc ces récits ne sont qu’un montage idéologique, cela ne risque-t-il pas d’aggraver plutôt que d’atténuer le jugement sévère que nous serons tentés de porter sur ces textes et sur ceux qui les ont produits ? Comment expliquer une dérive aussi redoutable ?
Le contexte historique dont il faut prendre conscience, le voici : Le système de petits États syro-palestiniens dont faisaient partie Israël et Juda et au sein duquel les dieux et leurs peuples se considéraient comme des frères (même si cela ne les empêchaient pas de se livrer des guerres incessantes), ce système fut sérieusement ébranlé — et même aboli — lorsque surgit, dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, l’impérialisme assyrien. Ces petits États, qui avaient nourri l’illusion de leur indépendance alors qu’ils restaient, nominalement, dans la zone d’influence égyptienne, furent soudainement et brutalement transformés en royaumes vassaux des Assyriens, voire en provinces assyriennes. Le roi d’Assyrie se considérait comme le vicaire terrestre du dieu Assur, et il se sentait appelé à transformer les habitants du monde entier en «sujets de la Cité du dieu Assur». L’impérialisme assyrien s’approchait des États et des cités du Proche-Orient avec exactement les mêmes revendications que celles que nous trouvons dans les lois de la guerre de Dt 20 : «la capitulation ou la mort !» La terre entière devait être soumise au dieu Assur.
Le langage, les mises en scène et l’idéologie de la littérature deutéronomiste de l’Ancien Testament ne sont donc qu’une adaptation à Yhwh, une assimilation israélite du mode de penser assyrien. Pour s’opposer au militarisme totalitaire et brutal de l’Assyrie, les deutéronomistes acceptent de militariser et de brutaliser leurs propres tradition religieuses, (… un peu comme la théologie barthienne, pour s’opposer au totalitarisme nazi se fait l’avocat, dans l’interprétation de son propre patrimoine traditionnel, d’un transcendantalisme autoritaire). On peut aujourd’hui reconstruire avec un certain degré de probabilité les phases historiques de ce mouvement de pensée. Les «deutéronomistes», auteurs du Deutéronome, se situent d’abord dans la lignée du prophétisme du VIIIe siècle (qui était un mouvement d’opposition et d’exclusivisme religieux, cf. surtout Amos et Osée) : ils représentent un courant anti-assyrien, et ce sont eux qui vont instaurer le modèle de «l’alliance», c’est-à-dire du traité de vassalité imposé par les Assyriens, à la religion d’Israël. Le vrai suzerain d’Israël, martèleront-ils, n’est pas Assur mais Yhwh. La seule allégeance légitime pour Israël ne va pas au conquérant assyrien mais à Yhwh, le Dieu d’Israël.
Un peu plus tard, lorsque sous le règne de Josias (640-609), l’empire assyrien commence à s’affaiblir avant de s’effondrer complètement, le mouvement deutéronomiste sort de l’underground, entre à la cour et devient la doctrine officielle. La fameuse réforme de Josias en 622, qui centralise le culte à Jérusalem et qui officialise le Deutéronome, en est la manifestation visible. Dans ce contexte, on écrit l’histoire des origines d’Israël. On fait de l’exode et de l’alliance avec Yhwh par la médiation de Moïse l’événement clef de cette histoire et on représente l’entrée d’Israël en Canaan à la lumière des invasions assyriennes : un rouleau compresseur qui fait table rase. Josué n’est rien d’autre qu’une projection dans le passé de Josias lui-même, qui s’efforce d’ailleurs (mais avec moins de succès que son modèle) de reprendre les territoires de l’ancien royaume d’Israël.
Cette perspective triomphaliste, curieusement, se maintient, et même se radicalise encore, lorsqu’à nouveau la constellation internationale change du tout au tout. Josias a profité du vide passager créé par l’effondrement de l’Assyrie, mais il est capturé par les Égyptiens en 609 et mis à mort. Bientôt, les Néobabyloniens ont pris le relais des Assyriens, et c’est Nébukadnezzar qui en, 597, puis en 587, assiège puis détruit Jérusalem, entraînant l’élite judéenne dans ce qu’on appelle l’exil à Babylone. Les deutéronomistes, cette fois, accentuent la perspective du jugement : Si Israël et Juda ont sombré, cela n’est pas dû à une quelconque faiblesse de leur Dieu — au contraire, le livre de Josué sert maintenant à démontrer que le pays a été donné à Israël dans toute son extension, vidé de ses anciens habitants, quasi «clefs-en-mains», et que c’est Israël qui n’a pas été à la hauteur de sa tâche, se laissant toujours à nouveau gagner par l’infidélité à Yhwh. La chute des royaumes d’Israël et de Juda est donc vue comme un juste châtiment infligé par Yhwh à son peuple. Reste en suspens la seule question de savoir si ce châtiment est définitif — s’il représente en quelque sorte le dernier mot de l’histoire — ou non.
L’historiographie deutéronomiste proprement dite s’arrête en 562 (cf. 2 R 25,27-30), mais les héritiers de cette tradition littéraire et de cette forme de pensée vont gérer leur patrimoine jusqu’à la fin de la période biblique, et à certains égards, me semble-t-il, jusqu’à nos jours, tant dans le christianisme que dans le judaïsme. Au moment où se constituera, à l’époque perse, la Tora canonique du judaïsme naissant, ils veilleront à ce que leur tradition occupe, dans le nouvel ensemble une place de choix.

3. Paix universelle, violence conjurée
Heureusement, dirais-je — enfin, c’est là mon sentiment personnel — le courant deutéronomiste n’est pas le seul à se faire entendre dans la tradition biblique sur les origines d’Israël. Une autre voix, capitale et qui, en façonnant un certain nombre de récits-clef de la Tora, notamment dans le livre de la Genèse, va contribuer à l’universalisation du canon biblique, est la voix de l’auteur dit «sacerdotal» (désigné «P» par les biblistes) et de son école. Nous lui devons en particulier le récit de la création du monde en Gn 1, une des versions du récit du Déluge en Gn 6-9, le récit de l’alliance avec Abraham en Gn 17 ainsi que le baes de cette grande législation sacerdotale (*Ex 25 à Nb 10), qui place au centre la fondation du Tabernacle et qui conçoit la pratique rituelle comme une sorte de sacrement permettant à l’homme pécheur — le juif mais à travers lui, l’humanité entière — de subsister devant le Dieu très-saint.
L’école sacerdotale doit avoir elle aussi des antécédents qui remontent à l’époque préexilique, mais pour l’essentiel elle s’épanouit à partir de l’exil. L’auteur des textes de la Genèse est certainement une personnalité de la fin de l’exil. Cette période coïncide avec l’émergence de l’empire perse, période qui inaugure ce que l’on serait tenté d’appeler une ère de modernité. Cyrus entre à Babylone en 539, salué presque en libérateur (y compris par le Deutéroésaïe). Les Perses n’ont pas eu à conquérir leur empire: ils en ont hérité. Aussi leur attitude à l’égard des peuples de cet empire va-t-elle être à l’opposé de celle des Assyriens. Alors que les Assyriens tentaient par tous les moyens — par exemple, par des déportations massives — de dissoudre, d’assimiler, d’égaliser ou d’homogénéiser les peuples conquis et de les soumettre tous à Assur, les Perses, au contraire, ont vu leur intérêt dans la tolérance des particularités et des diversités. Leur dieu suprême, Ahuramazda, s’accommodait fort bien de la pluralité des cultures et des religions. Comme l’a montré H.-P. Frei en 1984, ils ont même favorisé, dans les diverses parties de leur empire, la fixation et la canonisation des lois et des traditions, en invitant les autorités locales à leur fournir une «version officielle» (Cf. P. Frei, K. Koch, Reichsidee und Reichsorganisation im Perserreich. Zweite, bearbeitete und stark erweiterte Auflage, OBO 55, Fribourg et Göttingen, Universitätsverlag, 1996, 1re édition: 1984). Ainsi en Lydie, en Égypte et … en Israël. On peut penser, en effet, que l’édition de la Tora, la rédaction normative du Pentateuque, n’est pas due simplement, comme on l’a pensé depuis deux cents ans, à une succession arbitraire de rédactions maladroites, mais qu’elle est le résultat d’une négociation intense entre les différents courants juifs, les partis présents étant fermement invités par les Perses à se mettre d’accord et à leur fournir une «copie» unique. L’AT lui-même en garde le souvenir, puisqu’il nous apprend que le grand «rédacteur» de la Tora, le juif Esdras, était un fonctionnaire perse, délégué à cette fin à Jérusalem (Esd 7; Ne 8). Il est évident que la tolérance des Perses avait des limites: ce qui aurait risqué de déstabiliser l’empire ou la coexistence de ses ethnies n’aurait pas passé la censure (encore que la sagesse politique perse pût aussi avoir consisté à intégrer la voix de l’opposition plutôt que de la supprimer), mais tout ce qui était particularisme, coutume ancestrale, loi religieuse était systématiquement favorisé. Depuis une dizaine d’années, on a donc appris à lire la Tora comme un formidable «match» entre deux grands courants opposés, le courant deutéronomiste et le courant sacerdotal.
L’auteur sacerdotal est un homme de l’empire perse. Il est aux antipodes du courant deutéronomiste, et il va introduire une vision de Dieu, d’Israël et de l’humanité qui se défera de toute agressivité guerrière et qui optera pour ce qui apparaît comme une sorte de pacifisme réaliste. Cette perspective, dont on n’a, me semble-t-il, pas encore mesuré l’originalité et la radicalité, j’aimerais ici et pour conclure en esquisser quelques éléments :
Dans l’histoire sacerdotale, qui va de la création de l’univers (Gn 1) à la mort de Moïse (Dt 34), aucune guerre n’est rapportée. Il n’est pas dit comment les Israélites entrent dans le pays. Apparemment, la terre de Canaan est restée vide jusqu’à l’arrivée des Israélites, et ce pays leur échoit sans guerre. Mais les Israélites ne sont pas les seuls habitants du pays. Car l’auteur sacerdotal renoue aussi avec la pensée généalogique de la période tribale. Pour cet auteur, deux ancêtres sont importants : Noé (Gn 9-10), qui est l’ancêtre de toute l’humanité, et Abraham (Gn 17) qui est l’ancêtre non seulement des Juifs mais aussi de tous les peuples voisins de Palestine et du Levant (notamment les Édomites et les Ismaélites), et c’est avec ces deux ancêtres, et avec eux seuls, que Dieu conclut une alliance. Israël partage avec tous les descendants d’Abraham la promesse du pays de Canaan. La particularité d’Israël n’est pas niée, mais elle est vue dans une perspective qu’on pourrait appeler sacerdotale : Israël est le gardien du Temple, il est le prêtre de l’humanité. Mais pour le reste, la perspective est résolument internationaliste et interethnique.
Si l’auteur sacerdotal exclut la guerre de ses récits, il propose toutefois une réflexion très subtile sur la violence, et donc sur la guerre, et donc sur la paix et la justice. En effet, le monde, dont il raconte la création en Gn 1, est un monde «bon» et même «très bon» (Gn 1,31). Les habitants de la terre, c’est-à-dire les animaux terrestres et les hommes, se partagent le même habitat mais n’entrent pas en conflit, car leur nourriture n’est pas la même : graines et fruits pour les hommes, herbes et verdure pour les animaux. Ni les hommes ni les animaux ne sont carnivores. C’est donc la paix et non la violence qui a été inscrite dans l’ordre de la création. Évidemment, il n’a pas échappé à notre auteur que cette vision idéale des choses était démentie par la réalité empirique. Mais il n’y a pas chez lui un récit de la «chute». Simplement, il constate, au début de l’histoire du déluge, que «toute chaire est corrompue et que la terre s’est remplie de violence» (Gn 6,11s.). C’est donc la violence qui est le mal par excellence. Mais qui en est responsable ? «Toute chair», c’est-à-dire les hommes et les animaux dans leur ensemble. Le problème n’est donc pas celui d’une culpabilité individuelle de tel ou tel individu ou groupe, d’humains ou d’animaux. On pourrait dire que le problème est structurel, et cela nous fait rejoindre la manière dont le problème est abordé dans certains mythes mésopotamiens. Dans l’épopée d’Atrahasis par exemple, c’est parce que les hommes, devenus prolifiques, font trop de bruit et l’empêchent de dormir que le dieu Enlil décide de les affamer, de les faire mourir de maladie et, finalement, de les noyer sous les eaux du Déluge. Derrière le «bruit» comme derrière la «violence» se profile le spectre de la surpopulation humaine et animale : il y a trop d’hommes, il y a trop d’animaux, ils font trop de bruit, et ils sont trop violents. Et c’est cette surpopulation, devenue «ingérable», qui précipite la catastrophe. Il faut faire table rase, recommencer à zéro. Mais la catastrophe ne résout rien.
«Faire la guerre pour mettre fin à toutes les guerres», c’est la tentation de toujours, et c’est la logique qui conduit au Déluge. Le Déluge survient, mais il n’arrange rien. Selon l’un de nos deux narrateurs (probablement un glossateur de P), Dieu dit : «Je ne recommencerai plus à maudire le sol à cause de l’homme, car le produit du coeur de l’homme est le mal, dès sa jeunesse. Plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait!» (Gn 8,21). La motivation pour ne plus envoyer de Déluge est exactement la même que celle qui avait justifié son déclenchement (6,5). Dieu a compris que les hommes d’après le Déluge ne sont pas meilleurs que les hommes d’avant. Et si le Déluge est désormais écarté, c’est parce que sa valeur pédagogique s’est révélée nulle. Il y a, en revanche, une certaine pédagogie de Dieu : Dieu fait l’expérience de ce qui «marche» et de ce qui ne «marche» pas dans le traitement des hommes.
Dès le moment où les solutions radicales ont échoué, on comprend mieux les enjeux du récit de la «reconstruction» postdiluvienne, telle qu’elle est envisagée par le narrateur sacerdotal. Dans ce récit, en Gn 9,1-17, Dieu établit une alliance avec Noé, et on ne s’étonnera pas que celle-ci tourne entièrement autour de la question de la violence et de son endiguement. La violence, non seulement entre hommes, mais aussi entre humains et animaux, ne peut plus être ni ignorée ni définitivement extirpée, et c’est pourquoi il s’agit maintenant de mettre en place des garde-fous afin que la vie des hommes et des animaux ne soit pas engloutie par la violence qu’elle ne cesse d’engendrer. La prolifération et la fécondité des hommes est maintenue (9,1), mais celui qui verse le sang en sera tenu pour responsable : «De votre sang, qui est votre propre vie, je demanderai des comptes à toute bête et j’en demanderai compte à l’homme : à chacun je demanderai compte de la vie de son frère.» (9,5). Et afin de bien montrer que les solutions radicales («venger sept fois», «exterminer et recommencer») sont désormais bannies, Dieu lui-même va donner l’exemple. L’arc-en-ciel, qui en est le signe visible, doit rappeler – aux hommes comme à Dieu lui-même – que Dieu a suspendu son arc dans les nuages (Gn 9,13-16), c’est-à-dire que l’arc – qui est l’arme de guerre, de chasse et d’extermination par excellence – a été rangé au râtelier. Dieu lui-même proclame qu’il ne contribuera plus au cycle de la violence. Et que cela se sache !
Pacifisme réaliste, avons-nous dit à propos de cet auteur. Dans les récits sacerdotaux du début de la Genèse, la réflexion sur les origines de la violence est, on le voit, étroitement associée à la réflexion sur les origines de l’humanité. Ce narrateur — mais cela peut être dit aussi des autres voix qui s’expriment en Gn 1-11 — savent fort bien que si l’avenir de l’humanité est menacé, c’est avant tout par la violence. Pourtant leurs récits ne suggèrent ni l’angélisme ni l’indignation automatique. La violence, pour eux, a bien quelque chose d’endémique. La condition humaine est telle que la violence est toujours là, un peu comme la bête tapie derrière la porte de Caïn, prête à bondir. Mais l’homme n’est pas pour autant dégagé de sa responsabilité vis-à-vis d’elle. C’est à l’homme qu’il appartient de dominer la violence, c’est-à-dire de l’apprivoiser, de l’endiguer, de la domestiquer comme on le ferait d’une bête sauvage : d’imaginer donc des structures dans lesquelles cette violence pourrait se faire moins menaçante ou de concevoir des stratégies qui pourraient la rendre moins dévorante.
Nous voici arrivés au terme d’un périple qui, en nous conduisant de l’Israël clanique et tribal au judaïsme naissant de l’empire perse, en passant par le royaume de Josias repensé à la lumière de la confrontation avec l’Assyrie, nous a permis de repérer trois conceptions différentes de la puissance et de la violence du Dieu d’Israël.
Le premier modèle, à la fois archaïque et moderne, part d’un monde pluripolaire et d’une humanité où les peuples sont à la fois collègues et rivaux et où leurs dieux eux-mêmes doivent coexister à l’intérieur d’un ordre cosmique diffus et se partager leurs zones d’influence. Ce qui compte là, c’est le bon sens mais aussi l’astuce, la décence mais aussi une certaine débrouillardise.
Le deuxième modèle nous introduit à une conception centralisée du monde et de l’ordre cosmique. La paix y est commandée et imposée par un pouvoir central, que ce soit par la persuasion ou par la force. A l’extérieur de cet ordre, il n’est point de salut. Ce modèle peut trouver des expressions sereines (souvent utopistes ou eschatologiques) ou alors, extrêmement agressives.
Le troisième modèle transcende les deux modèles précédents tout en valorisant certains de leurs aspects. En redécouvrant d’une part les vertus du système généalogique, en maintenant d’autre part le postulat d’un Dieu créateur unique, il propose une vision étonnamment universaliste et pacifique de la paix et de la justice. La violence est perçue comme un ferment de destruction extrêmement dangereux : Dieu et les hommes s’allient pour l’endiguer et pour conjurer la menace qu’elle représente pour l’un et les autres.

 

LECTURE SAINTE DE ISAÏE 9,1-6. : UNE LUMIÈRE A RESPLENDI

23 décembre, 2014

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1435.html

UNE LUMIÈRE A RESPLENDI

LECTURE SAINTE DE ISAÏE 9,1-6.

Regarder – méditer – prier : nous respectons les trois temps de la « lectio divina » ou lecture sainte afin que méditation et prière, pour ceux et celles qui le souhaitent, s’appuient sur une écoute attentive du texte biblique.
De par son usage liturgique dans la nuit de Noël, il est difficile de lire le poème d’Isaïe 9,1-6 sans l’appliquer immédiatement à Jésus. Essayons cependant de le relire d’un œil neuf en nous laissant étonner.

Regarder
1– Strophe par strophe, repérons les verbes. À quel temps sont-ils conjugués ? Passé, présent, futur… Un mouvement se dégage du texte. Lequel ?
2 – Regardons les personnages. Si le personnage central semble être « l’enfant » royal, il n’est pas pour autant le personnage principal. À qui le poète parle-t-il aux v. 2 et 3 (il le nomme à la fin du v. 6) ?
- Qu’a-t-il fait dans le passé ? Que fait-il aujourd’hui ? Que fera-t-il demain ?
- Observons comment le poète parle parfois de lui et parfois à lui.
Quels sont les autres personnages, singuliers ou collectifs, nommés ou évoqués ? Repérons ce qui change pour chacun d’eux. On peut s’aider :
- des oppositions d’images, des temps des verbes,
- de la manifestation des sentiments.

Qu’apprenons-nous sur « l’enfant » ?
- Par qui est-il donné ? À qui ?
- Qu’attend le peuple de lui ? (Regardons les verbes au futur qui expriment cette attente).
- Essayons de comprendre les titres extraordinaires qui lui sont attribués.
3 – Ce poème chante une figure royale. Que percevons-nous du rôle du roi ? (Rôle à l’extérieur vis-à-vis des autres nations; rôle à l’intérieur vis-à-vis du peuple; rôle vis-à-vis de Dieu).
Dans l’histoire, cela a-t-il été mis en pratique ? Feuilletons le 2e livre des Rois et relevons l’opinion de son auteur sur les rois d’Israël et de Juda. D’après ce que nous savons de son identité, le « Prince de la Paix » célébré par Isaïe a-t-il accompli sa mission ?

Méditer
Le vieux monde, attaché aux ténèbres, est un monde de violence. De l’Égypte à Madiân et à l’Assyrie, les coups de bâton pleuvent, les cultures sont pillées, les soldats versent le sang. Dans le peuple de Dieu lui-même il arrive au frère de haïr son frère.

« Un pauvre crie et le Seigneur entend » dit un psaume. Quelqu’un a dû crier puisque l’amour brûlant du Seigneur a répondu. Il s’est choisi un homme pour que s’étendent la justice et le droit, la paix et la fraternité. Pour cette action, cet avenir ouvert, cette lumière qui se lève, il faut le louer. Le Seigneur n’a pas fini de nous étonner.
À cet homme maintenant de devenir ce qu’il est. Sa mission est tout entière dans ses noms de règne. La parole du prophète la lui rappelle. Or cette parole ne peut pas échouer. Si le roi a pu décevoir nous savons que, plus tard, Jésus – le fils unique de Dieu – ne décevra pas. En tuant la haine sur la Croix, il devient notre paix définitive.

Prier
Nous te remercions, Père, Toi qui nous as donné ton fils. Il est mort sur la Croix, brisant le mur de la haine. Tu l’as ressuscité et exalté par ta droite comme Prince et Sauveur. Permets que nous soyons des membres actifs de ton royaume. Que le droit et la justice règnent sur cette terre ! Que la bonne nouvelle de ton salut soit annoncé à tous les hommes !

C’est toi, Seigneur, qui nous as choisis
Tu nous appelles tes amis
Fais de nous les témoins de ton amour.

 

L’ÉPREUVE DE JOB. COMMENTAIRE DE JOB 1,1-2,10

29 octobre, 2014

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/408

L’ÉPREUVE DE JOB. COMMENTAIRE DE JOB 1,1-2,10

Commentaire au fil du texte

Commencer
Job sur son tas de fumier, Rome, catacombe saints Pierre et …
Le Satan a lancé un défi à Dieu . L’épreuve de Job peut commencer.
Le Satan lance un défi à Dieu :  »Tu dis qu’il n’y a pas d’homme plus juste sur terre ? Je parie que Job te maudira en face ! » Commence l’épreuve. Mais ne nous y trompons pas : derrière un schéma simpliste à première vue, se cache une question fondamentale : d’où vient le mal ? Parcourons pas à pas le prologue du livre de Job.
La première phrase donne le ton :  »Il y avait… », devons-nous entendre :  »Il était une fois… » comme dans les contes ? Le héros est présenté : Job. Il n’est pas israélite. Il vient d’Ouç, pays lointain. Il est paré de toutes les qualités. Très riche, ses nombreux enfants sont le signe vivant d’une bénédiction divine. Il les élève dans la droiture et la crainte de Dieu, offrant l’holocauste pour eux. Le décor est planté, l’histoire peut commencer. Elle se déploie en diptyque : dans chacun des deux tableaux, l’action débute à la cour céleste, entre le Seigneur et le Satan et se prolonge sur terre, avec Job qui subit malheur sur malheur mais  »ne pèche point » (1, 22 et 2, 10).
Mise à l’épreuve (1, 6-22)
Au début du premier tableau, à la cour céleste, le Seigneur est présenté à l’instar d’un roi tenant audience, recevant les rapports de ses serviteurs (appelés ici  »Fils de Dieu ») sur la situation du royaume. Parmi eux s’en trouve un, nommé  »le Satan ». Le Satan (notez l’article) n’est pas encore le diable de la théologie juive et chrétienne, mais un prince de la cour. Les v. 6 à 12 le présentent comme une figure déplaisante, un accusateur, qui met en doute la sincérité des actions humaines et qui critique l’optimisme du Seigneur lui-même. Job, l’homme juste, ne serait pas sincère. Le Satan demande donc une mise à l’épreuve, persuadé que la foi de Job ne résistera pas. Le Seigneur accepte le pari, mais avec une restriction :  »Évite seulement de porter la main sur lui ».
Au v. 13, nous redescendons sur terre pour rejoindre Job et sa famille. Les lecteurs que nous sommes savent qu’il s’agit d’une épreuve. Pas Job. En quatre coups, il va tout perdre : ses ânes et ses bœufs, ses moutons, ses chameaux, et enfin, le pire pour un père, ses fils et ses filles (v. 14-19). À chaque fois, les serviteurs sont tués également. Ne subsistent que les messagers de mauvaises nouvelles. En quatre coups, Job est passé de la grande richesse au dénuement total. Il est à terre et il ne lui reste rien. Il a perdu ses enfants, fruits de la bénédiction divine. Va-t-il se révolter ? La réponse est aux v. 20-22 : Job demeure fidèle et, attitude étrange pour nous, il magnifie le nom du Seigneur.
Le fond du malheur (2, 1-10)
Le deuxième volet du diptyque répète le déroulement du premier : nouvelle audience à la cour céleste, nouvelle intervention du Satan, et prise de parole louangeuse du Seigneur envers Job. Le récit pourrait s’arrêter là, puisque l’épreuve est accomplie. Job en est sorti vainqueur. Mais le Satan n’accepte pas sa défaite. Il réplique, réclame une autre épreuve, plus dure, qui touchera Job dans son corps. Le Seigneur accepte. La restriction première change : il ne s’agit plus d’éviter de porter la main sur Job – ce qui va être fait – mais de respecter sa vie.
Au v. 7 on a une étonnante transition en  »fondu enchaîné ». Le Satan demeure sur scène, la cour céleste s’évanouit, Job apparaît. Dans le premier tableau, la transition avait été plus nette, le Satan disparaissant en même temps que le Seigneur pour laisser place au monde de Job. Ici, le Satan rejoint l’univers terrestre et frappe lui-même Job. Atteint dans sa chair, de la tête aux pieds, celui-ci est mis plus bas que terre, sur la cendre. Et voici un nouveau personnage : sa femme. Elle lui enjoint de maudire Dieu. Elle a la réaction que le Satan attendait de Job. Mais Job résiste, correspondant exactement au portrait que le Seigneur faisait de lui. Il accepte ce qui lui arrive et s’il ne magnifie plus le nom divin (comme à la fin du premier tableau), il ne pèche pas.
La machine infernale
L’histoire de Job ne fait que commencer. Déjà touché dans ses biens, son amour paternel, sa chair, Job va être touché, au long des 40 chapitres suivants, dans sa dignité et sa foi. Trois amis, Elifaz, Bildad et Tsofar, vont s’avancer. Plus tard, un quatrième, Élihu, les rejoindra. Le Satan, lui, ne reparaîtra plus. Il a mis en route une machine infernale qui va se nourrir désormais des représentations de Dieu qui habitent ces  »amis » et qu’ils exposent à longueur de discours : Dieu ne faisant rien sans raison, ils cherchent la faute cachée qui justifierait le déferlement des malheurs. Job a beau protester de son innocence, ils ne le croient pas. Job est seul. Seul il va se révolter et crier contre le ciel… Or – surprise – le Seigneur va l’approuver ! Et, dans l’épilogue (chap. 42), Job retrouvera santé et richesses.
Ce  »happy-end » ne saurait faire oublier que le livre pose des questions qui passent les générations : d’où vient le mal ? S’il ne vient pas de Dieu, qui donc est responsable ? Le prologue du livre de Job accuse l’obstination perverse du Satan. Est-ce si simple ? Derrière ces questions, d’autres surgissent, tout aussi existentielles : le Satan met en doute la gratuité des actions humaines. Pour lui, tout ce qui advient chez l’homme, même ses sentiments les plus profonds, est le fruit d’un calcul. La grandeur de Job, dans son épreuve et sa révolte, est de montrer qu’il n’en est rien.

À CAUSE DU CHRIST. LE RETOURNEMENT DE PAUL LE JUIF

2 septembre, 2014

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À CAUSE DU CHRIST. LE RETOURNEMENT DE PAUL LE JUIF

Par Yara Matta

À cause du Christ. Le retournement de Paul le Juif
« Lectio divina » 256, Éd. du Cerf, Paris, 2013, 384 p., 

Le beau livre que nous offre Yara Matta (Y.M.), religieuse de la Congrégation des Sœurs maronites de la Sainte-Famille, professeur à l’Institut catholique de Paris et à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, est issu de sa thèse de doctorat. Mais s’il a la précision et l’érudition d’une thèse, il est aussi d’une lecture agréable et soutient l’attention du lecteur tout au long de la démonstration. Y.M. se propose de reprendre à frais nouveaux le chapitre 3 de la lettre aux Philippiens, développement de caractère autobiographique où la « narration de soi » demande à être interprétée. Elle l’aborde en termes d’appartenance(s) et d’identité, fil rouge d’un retournement qui dépasse, annule puis réinterprète l’appartenance juive de l’apôtre, pour donner naissance à une identité nouvelle, elle-même en tension permanente vers son but. Mais l’identité de l’apôtre ne se construit que d’être un appel et un modèle pour que d’autres entrent dans la même dynamique de retournement et de marche en avant, à cause du Christ et vers lui.
Puisqu’il s’agit de montrer que Paul habite pleinement une appartenance pour la dépasser, la méthode originale de Y.M. est d’éclairer le texte paulinien en le situant dans le paysage complexe du judaïsme contemporain. La possibilité de rapprochements avec les traditions juives est certes soumise au problème récurrent de la datation de ces traditions, mais l’auteur maîtrise largement la question et la prudence de ses analyses permet que ses propositions soient toujours pertinentes.
La composition du livre est simple : après la question de l’intégrité de la lettre et de la délimitation du texte étudié, vient une proposition de structuration de Ph 3,2-21. Y.M. y donne une large place aux recherches de type rhétorique dont elle sait aussi relativiser l’importance. Les 5 chapitres suivants offrent une analyse serrée du texte paragraphe par paragraphe. Les traits innés ou acquis de l’appartenance juive, qui sont autant de motifs de fierté pour Paul, sont l’occasion d’une plongée dans les traditions juives contemporaines qui donnent un relief remarquable au discours paulinien. L’exemple le plus marquant est l’étude de la circoncision dont Y.M. détaille les significations multiples pour éclairer l’ampleur des démarches spirituelles en jeu. D’un geste sûr, elle choisit et présente les traits saillants mais composites qui font une appartenance.
Le chapitre central (chap. 5) donne son titre au livre : « À cause du Christ ». L’étude des quelques versets qui opèrent le retournement permet une analyse à nouveaux frais de la conception paulinienne de la « justice », et on résumerait volontiers l’ensemble par l’alternative : « la circoncision ou le Christ ». Le dialogue constant que Y.M. entretient avec les commentateurs récents de la lettre lui permet de guider progressivement le lecteur vers sa propre lecture, à la fois très équilibrée et toujours nuancée. Le fil conducteur d’une nouvelle identité reçue du Christ permet de réévaluer de façon négative l’appartenance juive de Paul (comme d’ailleurs toutes les autres appartenances), sans que soit pour autant niée sa réelle valeur.
Cependant l’ouvrage ne culmine pas sur ces versets qui disent la nouvelle appartenance en termes de connaissance intime et de participation à la dynamique pascale. Il poursuit plus loin, dans le sens de la tension eschatologique qui anime la course de l’apôtre, mais par là même aussi dans l’appel à l’imitation qui transforme l’expérience particulière de Paul en témoignage et exemple pour d’autres. On notera au passage les très jolies remarques sur les pratiques de la course au stade, qui soulignent l’originalité de Paul ; on y lira plus profondément le fait qu’il ne s’agit pas pour l’apôtre d’une compétition mais d’un désir d’entraîner avec lui tous les membres de l’Eglise de Philippes. Du coup, le témoignage personnel et subjectif est inséparable d’une prédication qui lui donne valeur universelle : tous sont appelés avec Paul et à sa suite, quelles que soient leurs appartenances, tous peuvent courir vers le même but, vers une nouvelle identité, à cause du Christ.
Ce livre marquera dans les études pauliniennes, et il passionnera spécialistes et enseignants. Mais la clarté de son écriture et la fermeté du propos, bien annoncé, bien balisé et remarquablement repris en conclusion, font qu’on peut le recommander à tous les animateurs bibliques et passionnés de la Bible : sa lecture renouvellera leur connaissance de l’apôtre Paul, de sa vocation et de sa mission. (Roselyne Dupont-Roc)
Niveau de difficulté : moyen

LE PARADOXE DES BÉATITUDES (MATTHIEU 5,1-12)

8 juillet, 2014

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LE PARADOXE DES BÉATITUDES (MATTHIEU 5,1-12)

COMMENTAIRE AU FIL DU TEXTE   Commencer

Jésus n’annonce pas un bonheur ou un malheur mais plutôt une manière paradoxale de vivre ce qui nous apparaît comme bonheur ou malheur.   Au fil du texte : Un bonheur paradoxal Selon Matthieu, c’est le début du premier discours de Jésus. La série des Béatitudes est donc un commencement. Un commencement au même titre que d’autres commencements dans la Bible ? La parole de Dieu est au commencement de toute la création (Gn 1). Elle dit et fait ce qu’elle dit, mais ce n’est pas une béatitude. Et cependant, à la fin de chaque étape de la création, Dieu voit que tout cela est bon… D’une montagne à l’autre Autre commencement majeur : le don de la Loi, l’alliance du Sinaï (Ex 19-24). Cela se passe sur la montagne et, pour la conclusion de l’alliance, Moïse est assis pour un repas avec 70 des anciens d’Israël : cela ressemble un peu à Jésus assis sur la montagne avec ses 12 disciples. Les premières phrases de l’alliance du Sinaï, ce sont les Dix Paroles (le Décalogue, Ex 20). Elles commencent par un tout petit récit :  »…je t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » qui rappelle à tout Israël les merveilles de l’Exode. Mais il s’agit d’autre chose sur la montagne avec Jésus : non le récit des merveilles du passé, mais la déclaration des béatitudes. C’est une autre manière de faire naître un peuple, une manière qui s’adresse à tous, pas seulement à Israël libéré par YHWH (Le Seigneur). Une joie inouïe Suivons le fil du texte de Mathieu. Le mot  »heureux » revient neuf fois. Une liste à neuf termes, cela paraît une liste incomplète (rappelons-nous les Dix Paroles !). Mais la liste des béatitudes s’achève par l’injonction du v. 12 :  »Soyez dans la joie et l’allégresse… » Ainsi est explicité le mot  »heureux » : ceux et celles que Jésus déclare heureux, répondront à cette déclaration en se tenant dans la joie et l’allégresse. Paradoxe des béatitudes : ceux et celles que Jésus déclare heureux ne se croyaient sans doute pas tels ! Mais que Jésus le leur déclare et cela engendre en eux une joie inouïe. notons que les deux dernières déclarations de Jésus (v. 11-12) diffèrent des précédentes. Elles s’adressent à un  »vous » :  »Heureux êtes-vous lorsque… » Alors qu’il paraissait s’adresser à la foule, Jésus se tourne-t-il maintenant vers quelques-uns en particulier ? Difficile à savoir. L’important, c’est qu’en s’adressant à quelques-uns ( »vous »), Jésus parle aussi de lui :  »…à cause de moi ». Le secret des déclarations de Jésus tient dans la relation entre lui et ceux à qui il parle. Si les béatitudes parlent à tout homme et lui disent qu’il a vocation – paradoxale – à être heureux, la joie et l’allégresse qui couronnent ce paradoxe sont le fruit de la relation à Jésus :  »…à cause de moi ». Un avenir ouvert L’ensemble des huit premières béatitudes (v. 3-10) est délimité par la mention du Royaume des cieux (v 3.10), introduit par un verbe au présent :  »…à eux est le Royaume des cieux » alors que toutes les autres (v. 4-9) emploient un verbe au futur :  »ils hériteront… seront consolés… etc. » Les béatitudes sont des déclarations qui valent pour le présent :  »Le Royaume des cieux (ou de Dieu) est parmi vous » ne cessera de proclamer Jésus sur les routes de Galilée. Et cette présence du Royaume dans notre présent nous ouvre un avenir : hériter, être consolé, être rassasié… Les béatitudes sont formulées de manière constante :  »Heureux ceux qui… ». Ceux qui sont déclarés heureux sont caractérisés par un adjectif (par un état) : pauvre en esprit, doux, affligé, pur de cœur, ou bien par un verbe (par une action) : avoir faim et soif, faire miséricorde, faire la paix, être persécuté. Cette manière de formuler les choses rappelle, par contraste, les malédictions proclamées autrefois par les prophètes :  »Malheur à ceux qui… » (cf. par ex. Am 5,18 et 6,1 ou la liste de sept malédictions en Is 5,8-25 et 10,1-4). À leurs contemporains stigmatisés ainsi pour leurs injustices, les prophètes annoncent pour conséquence un grand malheur. Au fond, les béatitudes ont quelque chose de prophétique. A ceci près que le prophète Jésus n’annonce pas un malheur mais plutôt une manière paradoxale de vivre ce qui nous apparaît comme malheur, à savoir être persécuté à cause de lui ! Il est possible de vivre toute notre vie avec l’allégresse au cœur à cause de lui et avec lui, si nous nous attachons à lui pour apprendre de lui comment vivre ce paradoxe. La justice du Royaume De qui parle Jésus ? Les quatre premières béatitudes s’adressent à des personnes qui vivent manifestement un manque : être pauvre (ou humble, voire humilié), être doux (sans violence ?), être affligé, avoir faim et soif… de justice ! Le manque fondamental, en fait, est celui de la justice et il donne sens à tous les autres. Les quatre béatitudes suivantes restent dans la thématique de la justice, mais cette fois au niveau d’un  »engagement » : faire miséricorde, être pur de cœur, faire la paix, être persécuté à cause du combat pour la justice. Sous différentes facettes, on peut dire que les béatitudes déclarent heureux ceux et celles pour qui la justice (du Royaume, cf. Mt 5,20) est un enjeu majeur. Si les prophètes dénonçaient ceux qui pratiquaient l’injustice, Jésus déclare heureux ceux qui placent au centre de leur vie le souci de la justice. Dans cette perspective, il faut noter enfin que Jésus parle très concrètement : de l’esprit (ou du souffle), du cœur, d’avoir faim et soif, du regard (et des pleurs). Le paradoxe par lequel Jésus déclare heureux ceux et celles qui ne se pensaient pas tels, mais qui sont concernés par la justice, touche au plus intime de notre être. Car ce paradoxe a quelque chose à voir avec la relation à Dieu : voir Dieu (v. 8), être appelé fils de Dieu (v. 9). En faisant confiance aux déclarations des béatitudes, à la suite de Jésus qui nous ouvre ce chemin, ce qui nous est promis n’est rien de moins que la joie et l’allégresse d’une relation filiale avec Dieu.

Jean-Marie CARRIÈRE.

PS 104 : HARMONIE DU MONDE, SPLENDEUR DE DIEU

3 juin, 2014

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Harmonie du monde… Commentaire de Psaume 104

Commentaire au fil du texte

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PS 104 : HARMONIE DU MONDE, SPLENDEUR DE DIEU

 »Béni le Seigneur, ô mon âme ! » L’exclamation encadre le psaume 104, l’un des plus somptueux de la Bible, description de l’harmonie du monde. Comme dans certains hymnes égyptiens, l’eau y ruisselle pour le bonheur des êtres vivants.
Les amoureux de l’Ancien Orient ont parfois rapproché le psaume 104 de l’hymne composé par le pharaon Aménophis IV, dit Akhenaton, en l’honneur du disque solaire Aton (vers 1350 av. J.-C.). Il n’est pas sûr que l’œuvre égyptienne ait inspiré l’hébraïque. La parenté du langage poétique est néanmoins une chance pour saisir la différence des théologies.
Splendeur de Dieu
Ainsi les deux poèmes commencent par s’adresser à la divinité :  »Tu apparais, parfait, à l’horizon du ciel / Disque vivant qui est à l’origine de la vie… / Tu es beau, grand, étincelant… » (hymne à Aton) ou  »Seigneur mon Dieu, tu es si grand, revêtu de splendeur et d’éclat, / drapé de lumière comme d’un manteau… » (Ps 104, v. 1-2).
Même admiration pour un dieu unique, mais éclat inégal : dans le premier cas, le dieu-soleil est origine de tout et agit par ses rayons, alors que dans le second, la lumière (distincte du soleil, cf. v. 19-22) n’est qu’un magnifique vêtement, annonciateur de bien d’autres merveilles.
Mouvement incessant
Le Seigneur est drapé de lumière mais la terre, elle, est – ou plutôt a été – vêtue de  »l’abîme des mers ». La première page de la Genèse raconte la séparation des eaux  »d’en haut » et des eaux  »d’en bas » (deuxième jour, Gn 1, 6-8) puis l’émergence de la terre hors des eaux d’en bas, et l’apparition des végétaux (troisième jour, Gn 1, 9-13). Il y a ici un écho de l’origine, mais d’une origine toujours recommencée, effet d’une parole divine toujours neuve et formidable :  »les eaux recouvraient les montagnes / à ta menace, elles prennent la fuite, à la voix de ton tonnerre elles se précipitent » (v. 6-7).
Toute une partie du poème vibre et frémit de ce mouvement des eaux auprès desquelles et vers lesquelles vont et viennent les êtres vivants, hommes ou bêtes (v. 8-14). L’œil du poète embrasse les sommets et les ravins, saisit ici le jaillissement des sources, s’attarde là sur la lenteur des rivières (l’eau  »chemine », v. 10), et prend le temps de voir les animaux s’abreuver, à commencer par les plus farouches, ceux que l’on n’observe qu’avec patience : âne sauvage ou volatiles (v. 11-12). Selon la cosmologie d’alors, les  »eaux d’en haut » – si près des demeures de la divinité –, orages et pluies, dévalent des monts et, de là, irriguent prairies et champs (v. 13-14).
Rien, dans le psaume, n’est particulier à Israël. Tout est universel. L’hymne à Aton est plus ethnocentrique. La partie consacrée au fleuve de l’Égypte y distingue un Nil  »dans le ciel » (autre manière d’évoquer orages et pluies) et un autre sur la terre. Celui du ciel a certes été placé par le Disque solaire pour faire vivre tous les pays :  »le Nil qui est dans le ciel, c’est le don que tu as fait aux peuples étrangers / et à toutes les bêtes du désert ». Mais  »le vrai Nil, il vient du monde inférieur pour l’Égypte » ! Et c’est autour de celui-ci, que, fécondés par les rayons du soleil, s’étendent les champs et passent les saisons.

Dissonance
Le psaume 104, sauf en ses derniers versets, n’évoque particulièrement ni le pays ni le destin d’Israël. La vie de tous s’y organise après la domestication des eaux par la Parole divine. La suite du poème, la plus longue, s’attache aux activités humaines, dans l’alternance des nuits et des jours. Elle donnerait à penser que le mal n’existe pas, que toute violence est évitée (les fauves gagnent leurs repaires quand les hommes sortent travailler, v. 22-23) si la conclusion ne mentionnait les  »pécheurs » et les  »impies » comme une atteinte à l’harmonie du monde (v. 35), une harmonie à laquelle participent même les monstres marins, fugitivement aperçus sur la mer à côté des bateaux (v. 25-26) !
Une ombre ternit ce qui était jusqu’alors lumière, mouvement et vie.  »Alleluia » (=  »Gloire à Dieu ») a beau s’élancer en finale du psaume 104, revenir dans le psaume 105 et encadrer le psaume 106, l’ombre grandira : après les splendeurs de la création (Ps 104), après les hauts-faits de l’alliance (Ps 105), seront énumérées les fautes d’Israël (Ps 106). Chanter le psaume en vérité, c’est donc affronter la dissonance finale et reprendre à son compte le souhait de la disparition du péché. L’aujourd’hui touche ici l’origine (la beauté) et la fin (victoire sur le mal), à Dieu remises. L’hymne à Aton ne parle d’aucun combat. Le psaume serait-il plus réaliste ? Et plus ouvert à l’espérance ? Car, à le suivre, nous apprenons que la Parole divine,  »menace » et  »tonnerre », peut canaliser et transformer les eaux dangereuses. Cette puissance, comment ne pas l’invoquer pour d’autres dangers ?

Gérard BILLON. Article paru dans Le Monde la Bible n° 138  »Le Nil, fleuve sacré d’Egypte » (Bayard-Presse, nov. 2001), p. 80

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