DES BÉATITUDES DANS UN FRAGMENT DÉCOUVERT À QOUMRÂN
26 novembre, 2018https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/524.html
Beato Angelico – Le tentazioni
DES BÉATITUDES DANS UN FRAGMENT DÉCOUVERT À QOUMRÂN
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Parmi les textes de sagesse découverts dans la grotte 4 de Qoumrân, le fragment 4Q525 comporte des « béatitudes »...
Nombreux ont été les textes de sagesse découverts dans la grotte 4 de Qoumrân. L’un d’eux, le fragment 4Q525, a livré des »béatitudes » à la fois proches et distinctes de celles que l’évangile de Matthieu attribue à Jésus (Mt 5, 3-12).
[''Heureux celui qui…] avec un cœur pur et ne calomnie pas avec sa langue / heureux qui s’attache à ses décrets et ne s’attache pas à des voies de perversité, etc. » dit le texte de Qoumrân (trad. Émile Puech in Monde de la Bible n° 86, 1994, p. 36). »Heureux » ! Le mot, on le sait, ouvre le Livre des psaumes.
Atteindre la sagesse
»Heureux l’homme qui ne va pas au conseil des impies… » (Ps 1) ou bien »Oh bonheur / Non il n’ira pas / Ce rassemblement criminel… » selon la traduction d’Olivier Cadiot. Avant d’engager le croyant sur le chemin du bonheur, le psalmiste dénonce les impasses : » …Il ne marche pas sur la trace de ceux qui se perdent / Il n’habite pas là où habite la dérision. » Alors, alors seulement, il montre une voie (une voix ?) : » Ma joie, je la trouve seulement dans la tora de Yhwh / Sa tora je la murmure jour et nuit ». Qoumrân a rassemblé des gens qui ont suivi cette voie, étroite ou royale comme on voudra mais honneur d’Israël : »Heureux l’homme qui a atteint la Sagesse et marche dans la Loi du Très-Haut et applique son cœur à ses voies et s’attache à ses leçons et dans ses corrections toujours se plaît… » (4Q525, ligne 4)
Dans le Ps 1 comme à Qoumrân, le bonheur est basé sur un choix radical (refuser le parti des égarés, opter pour la Tora, la Loi, au risque de se retrouver seul au milieu d’une foule de ricaneurs). Ce choix ramène aux origines, la Loi, l’arbre et le cours d’eau évoquant irrésistiblement le jardin de la Genèse. Néanmoins, dans l’Éden tout était don, alors qu’ici le bonheur semble du à un mérite, celui d’avoir fait justement le bon choix. Or, selon Matthieu, les béatitudes lancées par Jésus sur la montagne sont en continuité et en rupture avec une telle façon de voir.
»Doux et humble de cœur »
»Heureux les pauvres en esprit… » (Mt 5,3) Précisons, s’il le fallait, que cette pauvreté-là n’a rien à voir avec un handicap de l’intelligence. L’expression était connue à Qoumrân et désignait les humbles, ceux qui se laissent guider par l’Esprit Saint pour observer la Loi. Les quatre premières béatitudes exaltent cette humilité en ce qu’elle est fondamentalement un manque : pauvreté, douceur (de ceux qui ne peuvent résister ou se rebeller ?), affliction ou faim (Mt 5,3-6). Or il n’y a pas de mérite à reconnaître et creuser ce manque. Le bonheur souhaité aux humbles est moins le résultat d’une rectitude morale que l’accueil d’une initiative : il vient celui qui peut combler le manque ou, pour reprendre le terme du v. 6, celui qui peut rétablir la »justice », l’ajustement des rapports avec Dieu et le prochain. Oh bonheur ! Plus loin, le récit matthéen, comme un signe d’espoir à tous ceux qui peinent à observer la Loi, fera dire à Jésus : »Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes… » (Mt 11,29).
Pourquoi donc alors les béatitudes suivantes, délaissant le manque, récompensent-elles l’effort : miséricorde, pureté du cœur, œuvre de paix (Mt 5,7-9) ? La réponse tient dans les deux derniers souhaits à ceux qui sont persécutés (pour la justice ou à cause de Jésus, v.10-12). L’action des humbles, comme le choix de l’homme juste du psaume 1, provoque rejet et dérision. Ce n’est pas une prédiction, c’est un constat. Mieux, c’est un ajustement du corps et de l’âme avec Jésus »doux et humble de cœur » qui sera mis en procès et bafoué.
Couronne d’or et d’épines
En harmonie avec la finale du psaume 1, le juste de 4Q525 connaîtra sa récompense : »[la Sagesse] posera une couronne d’or pur sur sa tête et avec des rois le fera asseoir » (ligne 9). Écho du »sermon » sur la Montagne, le dernier grand discours de Jésus porte sur la fin des temps, en particulier sur le Jugement (Mt 25). Certains y reçoivent le Royaume. Pourquoi ? Parce qu’ils ont discerné autour d’eux des détresses, des manques et tenté d’y répondre : faim, soif, statut de l’étranger, nudité, maladie, prison. Il ne l’ont pas fait par souci de leur avenir mais par humanité, tout simplement. Doit-on dire par humilité ? Sans doute si le fait d’être pauvre en esprit rend solidaire des pauvres dans la chair. Quant au Fils de l’Homme, il dévoile qu’il s’est identifié aux malheureux ; ce n’est pas une formule rhétorique car Jésus fut arrêté, rejeté, son corps fut lacéré et mis à nu sur la croix. Paradoxe évangélique : avant d’être d’or, la couronne est d’épines (Mt 27,29).
SBEV Gérard BILLON