Archive pour la catégorie 'art sacré'

BENOÎT XVI – ART ET LA PRIÈRE (2011)

3 juin, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2011/documents/hf_ben-xvi_aud_20110831.html

BENOÎT XVI – ART ET LA PRIÈRE

AUDIENCE GÉNÉRALE

Castel Gandolfo

Mercredi 31 août 2011

Chers frères et sœurs,

Ces derniers temps, j’ai rappelé à plusieurs reprises la nécessité pour chaque chrétien de trouver du temps pour Dieu, pour la prière, parmi les nombreuses préoccupations qui remplissent nos journées. Le Seigneur lui-même nous offre de nombreuses occasions pour que nous nous souvenions de Lui. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement sur l’une des voies qui peuvent nous conduire à Dieu et nous aider également à le rencontrer: c’est la voie des expressions artistiques, qui font partie de la via pulchritudinis — «voie de la beauté» — dont j’ai parlé à plusieurs reprises et dont l’homme d’aujourd’hui devrait retrouver la signification la plus profonde.
Il vous est sans doute parfois arrivé, devant une sculpture ou un tableau, les vers d’une poésie ou en écoutant un morceau de musique, d’éprouver une émotion intime, un sentiment de joie, c’est-à-dire de ressentir clairement qu’en face de vous, il n’y avait pas seulement une matière, un morceau de marbre ou de bronze, une toile peinte, un ensemble de lettres ou un ensemble de sons, mais quelque chose de plus grand, quelque chose qui «parle», capable de toucher le cœur, de communiquer un message, d’élever l’âme. Une œuvre d’art est le fruit de la capacité créative de l’être humain, qui s’interroge devant la réalité visible, s’efforce d’en découvrir le sens profond et de le communiquer à travers le langage des formes, des couleurs, des sons. L’art est capable d’exprimer et de rendre visible le besoin de l’homme d’aller au-delà de ce qui se voit, il manifeste la soif et la recherche de l’infini. Bien plus, il est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien. Et une œuvre d’art peut ouvrir les yeux de l’esprit et du cœur, en nous élevant vers le haut.
Mais il existe des expressions artistiques qui sont de véritables chemins vers Dieu, la Beauté suprême, et qui aident même à croître dans notre relation avec Lui, dans la prière. Il s’agit des œuvres qui naissent de la foi et qui expriment la foi. Nous pouvons en voir un exemple lorsque nous visitons une cathédrale gothique: nous sommes saisis par les lignes verticales qui s’élèvent vers le ciel et qui attirent notre regard et notre esprit vers le haut, tandis que, dans le même temps, nous nous sentons petits, et pourtant avides de plénitude… Ou lorsque nous entrons dans une église romane: nous sommes invités de façon spontanée au recueillement et à la prière. Nous percevons que dans ces splendides édifices, est comme contenue la foi de générations entières. Ou encore, lorsque nous écoutons un morceau de musique sacrée qui fait vibrer les cordes de notre cœur, notre âme est comme dilatée et s’adresse plus facilement à Dieu. Il me revient à l’esprit un concert de musiques de Jean Sébastien Bach, à Munich , dirigé par Leonard Berstein. Au terme du dernier morceau, l’une des Cantate, je ressentis, non pas de façon raisonnée, mais au plus profond de mon cœur, que ce que j’avais écouté m’avait transmis la vérité, la vérité du suprême compositeur, et me poussait à rendre grâce à Dieu. A côté de moi se tenait l’évêque luthérien de Munich et, spontanément, je lui dis: «En écoutant cela, on comprend que c’est vrai; une foi aussi forte est vraie, de même que la beauté qui exprime de façon irrésistible la présence de la vérité de Dieu. Mais combien de fois des tableaux ou des fresques, fruit de la foi de l’artiste, dans leurs formes, dans leurs couleurs, dans leur lumière, nous poussent à tourner notre pensée vers Dieu et font croître en nous le désir de puiser à la source de toute beauté. Ce qu’a écrit un grand artiste, Marc Chagall, demeure profondément vrai, à savoir que pendant des siècles, les peintres ont trempé leur pinceau dans l’alphabet coloré qu’est la Bible. Combien de fois, alors, les expressions artistiques peuvent être des occasions de nous rappeler de Dieu, pour aider notre prière ou encore la conversion du cœur! Paul Claudel, célèbre poète, dramaturge et diplomate français, ressentit la présence de Dieu dans la Basilique Notre-Dame de Paris, en 1886, précisément en écoutant le chant du Magnificat lors de la Messe de Noël. Il n’était pas entré dans l’église poussé par la foi, il y était entré précisément pour chercher des arguments contre les chrétiens, et au lieu de cela, la grâce de Dieu agit dans son cœur.
Chers amis, je vous invite à redécouvrir l’importance de cette voie également pour la prière, pour notre relation vivante avec Dieu. Les villes et les pays dans le monde entier abritent des trésors d’art qui expriment la foi et nous rappellent notre relation avec Dieu. Que la visite aux lieux d’art ne soit alors pas uniquement une occasion d’enrichissement culturel — elle l’est aussi — mais qu’elle puisse devenir surtout un moment de grâce, d’encouragement pour renforcer notre lien et notre dialogue avec le Seigneur, pour nous arrêter et contempler — dans le passage de la simple réalité extérieure à la réalité plus profonde qu’elle exprime — le rayon de beauté qui nous touche, qui nous «blesse» presque au plus profond de notre être et nous invite à nous élever vers Dieu. Je finis par une prière d’un Psaume, le psaume 27: «Une chose qu’au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, de savourer la douceur du Seigneur, de rechercher son palais» (v. 4). Espérons que le Seigneur nous aide à contempler sa beauté, que ce soit dans la nature ou dans les œuvres d’art, de façon à être touchés par la lumière de son visage, afin que nous aussi, nous puissions être lumières pour notre prochain. Merci.

L’HOMÉLIE DE PAUL VI AUX ARTISTES EN 1964 ET L’INAUGURATION DE LA COLLECTION D’ART RELIGIEUX MODERNE EN 1973 (1- 2008)

28 janvier, 2015

http://www.30giorni.it/articoli_id_17001_l4.htm

L’HOMÉLIE DE PAUL VI AUX ARTISTES EN 1964 ET L’INAUGURATION DE LA COLLECTION D’ART RELIGIEUX MODERNE EN 1973 (1- 2008)

«Nous avons besoin de vous»

par Paolo Mattei

«Nous avons besoin de vous». Par ces mots, Paul VI s’adressait en 1964 aux artistes pendant la messe de l’Ascension dans la Chapelle Sixtine. Ce fut une homélie aux accents émouvants, pendant laquelle le Pape reconnut les fautes de l’Église pour la fracture qui s’était créée au cours des temps entre elle et les artistes, et il leur demanda pardon. «Nous pouvons le dire: il nous est arrivé de vous couvrir d’une chape de plomb, pardonnez-nous!». De cette manière, le Pape entendit rétablir avec ces hommes «créateurs, toujours vivaces, jaillissant de millle idées et de mille nouveautés» un lien qui s’était distendu parce que, expliquait-il, «nous ne vous avons pas eu comme élèves, comme amis, comme interlocuteurs; parce que vous ne nous avez pas connus».
L’allocution de Paul VI survenait un an après la rédaction de la constitution concilaire sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, qui abordait la question de l’art sacré dans le chapitre VII. Ce document, qui proclame la totale liberté de l’art dans l’Église, recommande en même temps que l’on privilégie la «noble beauté» par rapport à une «simple somptuosité», fixe une série de règles et de recommandations adressées aux artistes dans leur fonction de créateurs d’œuvres sacrées, et aux évêques et aux prêtres dans leur tâche de contrôle et de vigilance.
Les vœux pour un renouvellement du dialogue formulés dans l’homélie de Paul VI seront accueillis en 1965 dans la constitution Gaudium et spes qui exhorte qu’on s’engage «afin que les artistes se sentent compris par l’Église dans leur activité et, jouissant d’une liberté ordonnée, établissent des rapports plus faciles avec la communauté chrétienne».
Il y a trente-cinq ans, en juin 1973, Paul VI fit un autre geste d’ouverture envers le monde de l’art en inaugurant dans les Musées du Vatican la Collection d’Art Religieux Moderne, qui commença par accueillir des compositions picturales et scupturales d’artistes italiens et internationaux, et qui a continué à s’enrichir avec l’acquisition, depuis les années Quatre-vingt, d’environ quatre cents autres pièces.
Dans l’Église post-conciliaire, on a vu émerger des orientations et des tendances qui manifestent des visions et des exigences différentes par rapport à la fonction et à la valeur des œuvres d’art sacré. La présence de plus en plus envahissante des images dans la vie quotidienne des individus – à travers la télévision, le cinéma et surtout, la publicité – a donné lieu à différentes réactions, par exemple la prédilection nostalgique pour l’imagerie saint-sulpicienne du dix-neuvième siècle (qui tend à multiplier des images dévotionnelles à travers des schémas figuratifs stéréotypés) ou, d’un autre côté, un fort rappel à une forme de culte dépourvu d’images figurées, à un silence figuratif qui serait, selon les rares partisans de ce courant, un témoignage efficace d’un christianisme attentif aux valeurs de la personne. À côté de ces orientations “passéistes” (la grande diffusion en Occident des icônes de l’Église russe ou grecque – qui est d’ailleurs accueillie sans enthousiasme dans certains milieux orthodoxes – doit elle-même être comprise, selon certains observateurs, comme une orientation nostalgique) il existe, à l’inverse, des tendances qui encouragent l’usage de tout instrument plus moderne de communication visuelle pour trandmettre le message chrétien.
Enfin il existe une large propension à ne commencer ni par une dialectique exacerbée entre le présent et le passé ni par une attitude d’opposition au monde contemporain déchristianisé. Dans les milieux qui ressentent cette urgence, on souhaite une rencontre profitable entre les communautés chrétiennes locales et les artistes les plus représentatifs de leurs cultures figuratives respectives et l’on soutient la mise en valeur de rapports avec des sculpteurs et des peintres qui seraient peut-être peu connus, mais qui partagent histoire et tradition avec les Églises locales.

BENOÎT XVI – (LA «VOIE DE LA BEAUTÉ»)

14 janvier, 2015

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2011/documents/hf_ben-xvi_aud_20110831_fr.html

BENOÎT XVI – (LA «VOIE DE LA BEAUTÉ»)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Castel Gandolfo

Mercredi 31 août 2011

Chers frères et sœurs,

Ces derniers temps, j’ai rappelé à plusieurs reprises la nécessité pour chaque chrétien de trouver du temps pour Dieu, pour la prière, parmi les nombreuses préoccupations qui remplissent nos journées. Le Seigneur lui-même nous offre de nombreuses occasions pour que nous nous souvenions de Lui. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement sur l’une des voies qui peuvent nous conduire à Dieu et nous aider également à le rencontrer: c’est la voie des expressions artistiques, qui font partie de la via pulchritudinis — «voie de la beauté» — dont j’ai parlé à plusieurs reprises et dont l’homme d’aujourd’hui devrait retrouver la signification la plus profonde.
Il vous est sans doute parfois arrivé, devant une sculpture ou un tableau, les vers d’une poésie ou en écoutant un morceau de musique, d’éprouver une émotion intime, un sentiment de joie, c’est-à-dire de ressentir clairement qu’en face de vous, il n’y avait pas seulement une matière, un morceau de marbre ou de bronze, une toile peinte, un ensemble de lettres ou un ensemble de sons, mais quelque chose de plus grand, quelque chose qui «parle», capable de toucher le cœur, de communiquer un message, d’élever l’âme. Une œuvre d’art est le fruit de la capacité créative de l’être humain, qui s’interroge devant la réalité visible, s’efforce d’en découvrir le sens profond et de le communiquer à travers le langage des formes, des couleurs, des sons. L’art est capable d’exprimer et de rendre visible le besoin de l’homme d’aller au-delà de ce qui se voit, il manifeste la soif et la recherche de l’infini. Bien plus, il est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien. Et une œuvre d’art peut ouvrir les yeux de l’esprit et du cœur, en nous élevant vers le haut.
Mais il existe des expressions artistiques qui sont de véritables chemins vers Dieu, la Beauté suprême, et qui aident même à croître dans notre relation avec Lui, dans la prière. Il s’agit des œuvres qui naissent de la foi et qui expriment la foi. Nous pouvons en voir un exemple lorsque nous visitons une cathédrale gothique: nous sommes saisis par les lignes verticales qui s’élèvent vers le ciel et qui attirent notre regard et notre esprit vers le haut, tandis que, dans le même temps, nous nous sentons petits, et pourtant avides de plénitude… Ou lorsque nous entrons dans une église romane: nous sommes invités de façon spontanée au recueillement et à la prière. Nous percevons que dans ces splendides édifices, est comme contenue la foi de générations entières. Ou encore, lorsque nous écoutons un morceau de musique sacrée qui fait vibrer les cordes de notre cœur, notre âme est comme dilatée et s’adresse plus facilement à Dieu. Il me revient à l’esprit un concert de musiques de Jean Sébastien Bach, à Munich, dirigé par Leonard Berstein. Au terme du dernier morceau, l’une des Cantate, je ressentis, non pas de façon raisonnée, mais au plus profond de mon cœur, que ce que j’avais écouté m’avait transmis la vérité, la vérité du suprême compositeur, et me poussait à rendre grâce à Dieu. A côté de moi se tenait l’évêque luthérien de Munich et, spontanément, je lui dis: «En écoutant cela, on comprend que c’est vrai; une foi aussi forte est vraie, de même que la beauté qui exprime de façon irrésistible la présence de la vérité de Dieu. Mais combien de fois des tableaux ou des fresques, fruit de la foi de l’artiste, dans leurs formes, dans leurs couleurs, dans leur lumière, nous poussent à tourner notre pensée vers Dieu et font croître en nous le désir de puiser à la source de toute beauté. Ce qu’a écrit un grand artiste, Marc Chagall, demeure profondément vrai, à savoir que pendant des siècles, les peintres ont trempé leur pinceau dans l’alphabet coloré qu’est la Bible. Combien de fois, alors, les expressions artistiques peuvent être des occasions de nous rappeler de Dieu, pour aider notre prière ou encore la conversion du cœur! Paul Claudel, célèbre poète, dramaturge et diplomate français, ressentit la présence de Dieu dans la Basilique Notre-Dame de Paris, en 1886, précisément en écoutant le chant du Magnificat lors de la Messe de Noël. Il n’était pas entré dans l’église poussé par la foi, il y était entré précisément pour chercher des arguments contre les chrétiens, et au lieu de cela, la grâce de Dieu agit dans son cœur.
Chers amis, je vous invite à redécouvrir l’importance de cette voie également pour la prière, pour notre relation vivante avec Dieu. Les villes et les pays dans le monde entier abritent des trésors d’art qui expriment la foi et nous rappellent notre relation avec Dieu. Que la visite aux lieux d’art ne soit alors pas uniquement une occasion d’enrichissement culturel — elle l’est aussi — mais qu’elle puisse devenir surtout un moment de grâce, d’encouragement pour renforcer notre lien et notre dialogue avec le Seigneur, pour nous arrêter et contempler — dans le passage de la simple réalité extérieure à la réalité plus profonde qu’elle exprime — le rayon de beauté qui nous touche, qui nous «blesse» presque au plus profond de notre être et nous invite à nous élever vers Dieu. Je finis par une prière d’un Psaume, le psaume 27: «Une chose qu’au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, de savourer la douceur du Seigneur, de rechercher son palais» (v. 4). Espérons que le Seigneur nous aide à contempler sa beauté, que ce soit dans la nature ou dans les œuvres d’art, de façon à être touchés par la lumière de son visage, afin que nous aussi, nous puissions être lumières pour notre prochain. Merci.

BENOÎT XVI : ART ET PRIÈRE

8 mai, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2011/documents/hf_ben-xvi_aud_20110831_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Castel Gandolfo

Mercredi 31 août 2011

ART ET PRIÈRE

Chers frères et sœurs,

Ces derniers temps, j’ai rappelé à plusieurs reprises la nécessité pour chaque chrétien de trouver du temps pour Dieu, pour la prière, parmi les nombreuses préoccupations qui remplissent nos journées. Le Seigneur lui-même nous offre de nombreuses occasions pour que nous nous souvenions de Lui. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement sur l’une des voies qui peuvent nous conduire à Dieu et nous aider également à le rencontrer: c’est la voie des expressions artistiques, qui font partie de la via pulchritudinis — «voie de la beauté» — dont j’ai parlé à plusieurs reprises et dont l’homme d’aujourd’hui devrait retrouver la signification la plus profonde.
Il vous est sans doute parfois arrivé, devant une sculpture ou un tableau, les vers d’une poésie ou en écoutant un morceau de musique, d’éprouver une émotion intime, un sentiment de joie, c’est-à-dire de ressentir clairement qu’en face de vous, il n’y avait pas seulement une matière, un morceau de marbre ou de bronze, une toile peinte, un ensemble de lettres ou un ensemble de sons, mais quelque chose de plus grand, quelque chose qui «parle», capable de toucher le cœur, de communiquer un message, d’élever l’âme. Une œuvre d’art est le fruit de la capacité créative de l’être humain, qui s’interroge devant la réalité visible, s’efforce d’en découvrir le sens profond et de le communiquer à travers le langage des formes, des couleurs, des sons. L’art est capable d’exprimer et de rendre visible le besoin de l’homme d’aller au-delà de ce qui se voit, il manifeste la soif et la recherche de l’infini. Bien plus, il est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien. Et une œuvre d’art peut ouvrir les yeux de l’esprit et du cœur, en nous élevant vers le haut.
Mais il existe des expressions artistiques qui sont de véritables chemins vers Dieu, la Beauté suprême, et qui aident même à croître dans notre relation avec Lui, dans la prière. Il s’agit des œuvres qui naissent de la foi et qui expriment la foi. Nous pouvons en voir un exemple lorsque nous visitons une cathédrale gothique: nous sommes saisis par les lignes verticales qui s’élèvent vers le ciel et qui attirent notre regard et notre esprit vers le haut, tandis que, dans le même temps, nous nous sentons petits, et pourtant avides de plénitude… Ou lorsque nous entrons dans une église romane: nous sommes invités de façon spontanée au recueillement et à la prière. Nous percevons que dans ces splendides édifices, est comme contenue la foi de générations entières. Ou encore, lorsque nous écoutons un morceau de musique sacrée qui fait vibrer les cordes de notre cœur, notre âme est comme dilatée et s’adresse plus facilement à Dieu. Il me revient à l’esprit un concert de musiques de Jean Sébastien Bach, à Munich, dirigé par Leonard Berstein. Au terme du dernier morceau, l’une des Cantate, je ressentis, non pas de façon raisonnée, mais au plus profond de mon cœur, que ce que j’avais écouté m’avait transmis la vérité, la vérité du suprême compositeur, et me poussait à rendre grâce à Dieu. A côté de moi se tenait l’évêque luthérien de Munich et, spontanément, je lui dis: «En écoutant cela, on comprend que c’est vrai; une foi aussi forte est vraie, de même que la beauté qui exprime de façon irrésistible la présence de la vérité de Dieu. Mais combien de fois des tableaux ou des fresques, fruit de la foi de l’artiste, dans leurs formes, dans leurs couleurs, dans leur lumière, nous poussent à tourner notre pensée vers Dieu et font croître en nous le désir de puiser à la source de toute beauté. Ce qu’a écrit un grand artiste, Marc Chagall, demeure profondément vrai, à savoir que pendant des siècles, les peintres ont trempé leur pinceau dans l’alphabet coloré qu’est la Bible. Combien de fois, alors, les expressions artistiques peuvent être des occasions de nous rappeler de Dieu, pour aider notre prière ou encore la conversion du cœur! Paul Claudel, célèbre poète, dramaturge et diplomate français, ressentit la présence de Dieu dans la Basilique Notre-Dame de Paris, en 1886, précisément en écoutant le chant du Magnificat lors de la Messe de Noël. Il n’était pas entré dans l’église poussé par la foi, il y était entré précisément pour chercher des arguments contre les chrétiens, et au lieu de cela, la grâce de Dieu agit dans son cœur.
Chers amis, je vous invite à redécouvrir l’importance de cette voie également pour la prière, pour notre relation vivante avec Dieu. Les villes et les pays dans le monde entier abritent des trésors d’art qui expriment la foi et nous rappellent notre relation avec Dieu. Que la visite aux lieux d’art ne soit alors pas uniquement une occasion d’enrichissement culturel — elle l’est aussi — mais qu’elle puisse devenir surtout un moment de grâce, d’encouragement pour renforcer notre lien et notre dialogue avec le Seigneur, pour nous arrêter et contempler — dans le passage de la simple réalité extérieure à la réalité plus profonde qu’elle exprime — le rayon de beauté qui nous touche, qui nous «blesse» presque au plus profond de notre être et nous invite à nous élever vers Dieu. Je finis par une prière d’un Psaume, le psaume 27: «Une chose qu’au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, de savourer la douceur du Seigneur, de rechercher son palais» (v. 4). Espérons que le Seigneur nous aide à contempler sa beauté, que ce soit dans la nature ou dans les œuvres d’art, de façon à être touchés par la lumière de son visage, afin que nous aussi, nous puissions être lumières pour notre prochain. Merci

POURQUOI LE PAPE FRANCIS AMOUR LE CRI DE LA CROIX DE CHAGALL BLASPHÉMATEUR

19 décembre, 2013

http://www.donboscoland.it/articoli/articolo.php?id=130883

( traduction Google de l’italien , le site Don Bosco de Turin )

POURQUOI LE PAPE FRANCIS AMOUR LE CRI DE LA CROIX DE CHAGALL BLASPHÉMATEUR

Le sujet semble conçu pour déplaire à la fois les chrétiens et les juifs . On pourrait dire que le doux Chagall a tout et veut offenser tout le monde. Les chrétiens représentent un Christ martyrisé non seulement en tant que Juif et sans la compagnie de sa mère Marie et le disciple bien-aimé Jean , mais même … Un pape qui a préféré à la peinture blanche Crucifixion par Marc Chagall besoin d’être un grand conformiste . Ne vous laissez pas berner style naïf , calme et nature synonyme de fuite de l’histoire : l’ un peint en 1938 par le peintre d’origine biélorusse et la religion juive est l’une des représentations les plus scandaleuses du Christ crucifié sur dossier L’ingéniosité des chiffres , qui appartient à tous les naïfs , souligne le contraste avec la tragédie de narration visuelle et la provocation que le cadre intellectuel et théologique contient . La crucifixion de Chagall , réalisés dans l’année de la Nuit de Cristal , placez la croix avec sa victime dans un paysage marqué que par la violence à ce moment-là ils sont venus contre les juifs européens : synagogues en feu , les gens fuyant individuellement et en groupe , maisons à l’envers, brûlé les rouleaux de la Torah . Christ est clairement condamné à mort parce que Juif : l’eau ne sont pas couverts par le tissu blanc d’habitude, mais à partir d’un talith , le châle de prière juif , et écrit avec la conviction que surmonte la croix est mis exclusivement en caractères hébraïques . Au pied de la croix , aucun des chiffres dans l’iconographie chrétienne , mais une menorah , le chandelier sacré , qui propage de la même lumière blanche , surnaturel , qui investit du crucifix . Aucun chiffre montre l’attention sur l’agonie du Christ , tous ont leurs dos engagés dans un vol pour la survie montrent que certains chiffres battant d’émotion en suspension dans le ciel au-dessus de la crucifixion : ils sont les rabbins et les autres caractères attribués à l’Ancien Testament . Le sujet semble conçu pour déplaire à la fois les chrétiens et les juifs . On pourrait dire que le doux Chagall a tout et veut offenser tout le monde. Les chrétiens représentent un Christ martyrisé non seulement comme un Juif – et donc pas pour le juif subverti l’ordre – et sans la compagnie de sa mère Marie et le disciple bien-aimé Jean , remplacé par des caractères non spécifiés dans l’Ancien Testament . Mais même offre sa réabsorption dans la révélation de l’Ancien Testament : la lumière blanche divine , qui rompt le gris de plomb du paysage , en investissant en diagonale de la croix , est le même qui fait halo autour de la menorah et qui émane des flammes qui brûlent quelques rouleaux loi – tandis que les autres flammes peintes en jaune. Tout est offensant pour les juifs pratiquants , considérés coupables de sa mort , au nom de la croix du Christ ont été discriminés et persécutés pendant des siècles , et ici dans les débuts de la pire de toutes les persécutions dont ils sont victimes d’un artiste soudaine et théologien le sacrifice de Jésus riebraicizza , et offre comme un symbole de la souffrance juive . Mais pour faire bonne figure , le Christ lui-même n’échappe pas à la levée de boucliers de la peintre . Plus de morts, Jésus , apparemment endormi sur la croix évoque Christ dormir dans le bateau dans une tempête sur le lac de Tibériade . Les signes de torture sur ses jaunâtre du corps sont minimes , il ne semble pas souffrir tout le monde autour de lui brûle ou s’enfuit . Même la croix est adossée à une échelle , presque à penser qu’il descende et intervenir en aide à ceux qui sont en train de perdre tout . Les symboles de Chagall se prêtent à de nombreuses lectures , et certains pourraient proposer des interprétations différentes de ces derniers. Il ya ceux dans les flammes de ce qui est riche dans la peinture qu’il voulait voir une référence aux fours crématoires , qui n’existaient pas certainement en 1938 . Qui a parlé un parallèle entre la persécution anti-juive des nazis ( identifié dans le caractère qui détruit le mobilier de la synagogue ) et celles des bolcheviks , représenté par le drapeau rouge avec des soldats près du village inversée . En fait , la citation du rouge symbolise probablement l’espoir humain unique et insuffisante et rachat dans le visage de la résistance à la vague antisémite , plutôt qu’un facteur de persécution . Chagall a été commissaire de la technique pour la région de Vitebsk , à la suite de la révolution bolchevique , avant d’émigrer en France, et en 1943 , a émigré aux Etats-Unis temporairement , a permis de recueillir une aide pour les forces armées soviétiques qui ont combattu l’invasion nazie  Certainement Francis pape n’ignore pas toutes ces complexités huile sur toile de Chagall . Nous ne savons pas qui de jugements esthétiques et le contenu est basé préférence pour ce travail . Le contraste entre le crucifix calme et paisible et le monde autour déchiré et secoué , l’ apparente réconciliation de Jésus sur la croix et son peuple au moment de la plus grande persécution de celle-ci , à son tour , crucifié , et l’ensemble inisistita discrète et insistante invocation au Christ de descendre de la croix , il faut bien frappé . Être un pasteur des âmes , de le frapper plus aurait été au-dessus du blasphème cri et artiste très humain . Dans le coeur du Pape Francis a pas de place pour les hommes aussi exaspérés .

« L’ICÔNE DES ICÔNES » – L’œuvre d’Andreï Roublev

12 décembre, 2013

http://www.revue-kephas.org/02/4/Trisagion123-138.html

OCTOBRE–DÉCEMBRE 2002

« L’ICÔNE DES ICÔNES »

UNE DOMINICAINE DU SAINT-ESPRIt

« C’était au plus chaud du jour », précise la Bible, qu’Abraham reçut ses mystérieux visiteurs (Gen 18, 1). « L’œuvre d’Andreï Roublev », elle aussi, « se situe au zénith d’un long parcours. Elle est le fruit mûr d’un développement théologique et iconographique au sein de la tradition de l’Église orientale, qui remonte au début du christianisme. » (Gabriel Bunge o.s.b) Elle marque un apogée exceptionnel en tous ordres.

Un apogée exceptionnel Dans la vie de Roublev, cette œuvre est la dernière. Peu de temps après son achèvement, il mourait au monastère Andronikov de Moscou (transformé de nos jours en Musée Roublev, cf. P.V. 1 p. 9). Elle constitue donc son testament spirituel et artistique. Quand il peint cette Trinité, il est dans la plénitude de ses dons naturels et surnaturels. (G.B. p. 54) Quant à ses talents de peintre, ils ont été formés par un maître, Théophane le Grec, tandis que l’iconographie russe se trouvait dans sa plus belle période de gloire et de fécondité, après avoir reçu l’héritage de Constantinople et formé une école propre, avec son caractère et son style. Quant à la vie religieuse, de même que l’œuvre de Fra Angelico, à Florence, à la même époque, plonge ses racines dans la restauration de l’observance régulière due au zèle de Saint Antonin des conseils, de Sainte Catherine de Ricci, de Savonarole, de même l’Icône de Roublev couronne un puissant courant de la grâce. Si la « nature ne fait pas de saut », la grâce, elle aussi, agit le plus souvent dans la discrétion, respectant les rythmes et les conditions de toute croissance. La Providence avait envoyé saint Serge. Et c’est à partir de la communauté fondée par lui que se développa le grand monastère, la Laure, dédié à la Sainte Trinité, qui devint le centre spirituel de la grande principauté de Moscou. Considérons, maintenant, la situation du point de vue de l’Église universelle. Il est important de comprendre que l’approfondissement théologique des mystères de la Foi, et d’abord du premier d’entre eux, a commencé dès les temps apostoliques. Ce n’est pas sans raison que saint Jean porte le titre de « Théologien ». Quant à saint Paul, les formules trinitaires, splendides, abondent sous sa plume. Voici celle que la liturgie a choisie pour la messe votive en l’honneur de la Sainte Trinité : « Vivez en paix et le Dieu de la charité et de la paix sera avec vous. La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous ! » (II Cor 13, 11–13) À l’époque patristique, la réflexion se concentre sur le Mysterium Trinitatis et atteint son âge d’or au IVe siècle, où sévit l’hérésie arienne ! Le mot « Trinité »- contraction de « Tri-Unité » c’est-à-dire Un seul Dieu en Trois Personnes – ne se trouve pas dans l’Écriture, mais « il a été forgé par l’Église dès le début quand Elle a voulu désigner cette profondeur du mystère intime de Dieu, soulever un peu le voile cachant la Déité ».1 L’Évangile, par contre, donne la formule trinitaire du baptême : « Baptisez-les au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » (Mt 28, 18–20). Les grands Conciles (Nicée, Constantinople, Ephèse…) portant sur la divinité du Christ et du Saint-Esprit, et sur la Theotokos, projettent au long du premier millénaire la lumière de leurs définitions dogmatiques sur toute l’Église, la pourvoyant des assises théologiques nécessaires au développement de sa doctrine trinitaire et de sa prière liturgique. La première église d’Occident dédiée au mystère de la Trinité est construite au Xe siècle à la pointe orientale de l’île Saint-Honorat de Lérins, sans doute à l’emplacement d’un ermitage (cf. D.A. p. 90, note 2) tandis que la récitation quotidienne de l’Office divin, en particulier de ses hymnes, permet aux moines de goûter cette manne spirituelle. Quant à l’iconographie, la Rencontre de Mambré est considérée, dès les premiers siècles, comme un événement privilégié par les chrétiens. Si l’art n’ose encore exprimer dans son propre langage la signification de cette scène vétéro-testamentaire, la fréquence et la constance de ses représentations attestent l’importance qu’on lui reconnaît. Une question pratique se pose alors : l’art a-t-il le droit d’orienter la lecture du récit biblique dont la théologie perçoit la portée, ou faut-il laisser les fidèles aux limites de leur propre contemplation ? Autrement dit, l’art doit-il s’en tenir au sens littéral de l’Écriture ou peut-il en faire pressentir les sens figuratif (ou typologique), anagogique et eschatologique ? Nous touchons ici à un problème plus large et à ses répercussions : celui des différents sens de l’Écriture. S’il est permis de commenter l’Écriture Sainte par la plume, pourquoi serait-il interdit de le faire par le pinceau ? Certes, la fonction première de l’art consiste en la louange de Dieu. Mais, peu à peu, il a pris conscience de sa mission évangélisatrice, didactique. L’art, messager du Beau, est indissociablement messager du Vrai. Il lui revient d’aider les hommes à entrer dans la Lumière Révélée en conduisant leur regard spirituel au-delà de la lettre. À l’époque de Roublev, ce long cheminement touchait à son terme, en ce qui concerne la Philoxénie d’Abraham. Il ne restait qu’un pas à franchir (mais c’était un pas de géant, un pas de saint…) pour arriver à l’expression plénière du sens prophétique de la mystérieuse Rencontre. Et c’est Roublev qui va le franchir. Précisons maintenant les grandes étapes de ce développement de l’art, touchant la scène biblique de la Genèse. Ce que Roublev y ajouta de sublime paraîtra alors en toute clarté.

« Mysterium Trinitatis » Les nombreuses icônes de l’Hospitalité d’Abraham se ressemblent à première vue. Mais un regard approfondi révèle des inspirations de niveaux bien différents. Ces niveaux, du reste, ne s’excluent pas ; ils se superposent, et c’est ce qui explique la richesse, la variété et la densité du regard que nous pouvons poser sur l’Icône des Icônes. En celle-ci, en effet, Roublev a traduit les interprétations antérieures dans le respect absolu de la tradition iconographique, avant d’ouvrir, par son génie propre, cette Rencontre de Mambré sur l’éternité. En dehors de la toute première représentation de cet épisode biblique (Catacombes Via Latina IVe siècle), les plus anciennes, qui remontent aux origines mêmes de l’art chrétien, font toujours partie d’un ensemble : soit d’un cycle complet de l’Ancien Testament (comme à Sainte Marie-Majeure, dans la 1ere moitié du Ve siècle), soit d’un thème à plusieurs illustrations (thème du sacrifice autour de l’autel à Ravenne, milieu du VIe siècle). Leur caractère historique est donc prioritaire et majeur. Le mystère de la signification des trois anges n’est pas levé par l’iconographie. Trois anges rendent visite à Abraham… L’interprétation iconographique est strictement angéologique. Il s’agit essentiellement de l’Hospitalité d’Abraham. Cependant les artistes représentent les trois anges de façon identique, bien que l’Écriture ne précise rien à ce sujet. Cet usage suggère qu’une interprétation trinitaire est déjà discrètement à l’œuvre. Très vite, de légers indices dans les gestes ou les objets soulignent l’importance de l’ange central. Peu à peu l’identification de cet ange au Christ s’imposera. C’est cette interprétation christologique qui se transmettra pendant des siècles. Les trois anges apparaîtront rigoureusement de face, toujours sous les traits de jeunes gens, généralement auréolés. À Sainte-Marie-Majeure, celui du centre, dans la scène de l’arrivée, est même distingué par une mandorle. Au terme du premier millénaire, les représentations sont nettement christologiques. La crise iconoclaste (730–843) a ravagé la chrétienté d’Orient. Les martyrs ont signé de leur sang leur fidélité à l’Emmanuel et à son Visage d’Homme. L’Ange central porte désormais ses attributs distinctifs : le rouleau, le nimbe crucifère, les lettres IC-XC… Il est parfois un peu plus grand et vêtu différemment. Il est bien, pour tous, le Verbe Incarné, la descendance d’Abraham, dont la naissance est annoncée, à travers celle d’Isaac. Il est la Victime destinée au Sacrifice, comme le Fils de la Promesse. Et l’art n’a plus peur de le proclamer. Mais l’art s’engage dans un acte de Foi plus profond… Autour de l’an 1000, les scènes de Mambré commencent à s’intituler « Sainte Trinité ». À la vérité, les artistes se contentent d’écrire ce titre au bas de leur œuvre. Aussi perçoit-on comme une tension entre l’intention exprimée et la réalisation qui demeure en-deçà. Mais c’est déjà un très grand pas. L’hospitalité d’Abraham est bien considérée et affirmée comme la vision prophétique du Mystère intime de Dieu. Et si l’Ange central se distingue des deux autres par quelques attributs propres, les Trois Messagers retrouvent leur antique similitude (même taille, même vêtement…) car la triple répétition d’un symbole, d’un motif ou d’une lettre a été, dès l’origine, un moyen privilégié d’évoquer le Mysterium Trinitatis. Le cadre de la scène se modifie, lui aussi. Ce n’est plus le Chêne de Mambré et la tente d’Abraham qui ornent le fond, mais un riche et somptueux décor architectural. Abraham et Sara, de maîtres de maison figurant parmi les personnages principaux de l’action, sont devenus adorateurs. (cf. G.B. p. 98) À la fin de l’époque byzantine, la scène prend de plus en plus d’autonomie. On la trouve même dans les livres, sans aucune référence biblique, uniquement pour illustrer la Majesté divine. Les toutes dernières représentations sont de type trinitaire, caractérisé par une ressemblance rigoureuse entre les trois anges. Cependant, la gestuelle, la position, l’expression deviennent plus vivantes et laissent transparaître des rapports réciproques. Tout cela n’est qu’une timide ébauche… Cette lente maturation de l’art s’est faite dans la prudence de l’Église qui n’a pas encouragé, au début, la représentation de la Trinité sous la forme de trois hommes. Elle n’a fait que la tolérer, parce qu’elle redoutait des confusions touchant l’Incarnation. Si la représentation de l’Hospitalité a fini par s’imposer, avec sa portée trinitaire, c’est qu’elle a d’abord une consistance vétéro-testamentaire propre, incontestable. En définitive, c’est Dieu Lui-même qui a voulu se faire connaître, dans l’intimité de son Mystère, à travers cet épisode. Plus tard, au XVIIe siècle, il Lui plaira de consacrer, en quelque sorte, cette représentation, au cours d’une apparition à Sainte Marguerite-Marie : « Je reçus la grâce incomparable que les Trois Personnes de l’adorable Trinité se présentèrent à moi (…) L’impression qu’y firent ces Divines Personnes ne s’est jamais effacée. Ils me furent représentés sous la forme de trois jeunes hommes vêtus de blanc, tout resplendissants de lumière, de même âge, grandeur et beauté » (Vie par elle-même, no 59). Si la représentation de l’Hospitalité perdure, c’est aussi parce qu’elle est belle. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur certaines œuvres condamnées depuis par l’Église. Mais il restera toujours un abîme entre la Réalité de Dieu et sa représentation. Saint Augustin le comprit… On raconte qu’il vit un petit enfant sur la plage s’évertuant à « mettre la mer dans son trou de sable » et que Dieu lui parla au cœur : « Il aura fini avant que tu aies réussi à mettre le mystère de la Trinité dans ton esprit ». On ne peut voir Dieu sans mourir… (Ex 33, 18–23) La Vision immédiate appartient à l’au-delà. Ici-bas, nous ne verrons jamais que « dans un miroir » (I Cor 13, 12). Nous rejoignons ici l’apophatisme de l’Orient, et la théologie négative de l’Occident. Mais, s’il était permis de s’avancer jusque là sur le chemin de l’art, pouvait-on pénétrer plus loin dans le Mystère des Trois ? « In Nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti » Comme le scribe de l’Évangile (Mt 13, 52), exercé au Royaume des Cieux, Roublev va tirer de son trésor « du neuf et de l’ancien ». L’ancien, nous venons de l’inventorier. Le lecteur peut comprendre, maintenant, pourquoi il est vain de s’interroger sur les identifications possibles des Personnes. Cette question est une fausse question. Elle ne se pose pas à celui qui a suivi le développement de la Tradition (dans les domaines de la théologie spéculative et biblique, de l’iconographie…). Les mathématiciens modernes comptent 3 ! (lire « factorielle 3 ») façons, soit 3 fois 2, ou 6 façons, d’ordonner trois éléments. Abstraitement parlant, ils ont raison. Concrètement, trois identifications différentes seulement se rencontrent : celle qui place le Père à gauche, le Fils au centre et l’Esprit-Saint à droite et les deux qui placent le Père au centre. Mais nous pensons qu’une seule reste historiquement justifiable, quels que soient les arguments en faveur des deux autres et leur valeur par ailleurs : c’est celle qui, à chaque instant du temps, respecte le passé ; car le sensus Ecclesiae, qui est un esprit de Tradition, porte à l’élargissement, à un développement homogène, jamais à des ruptures qui seraient mortelles pour le Corps Mystique du Christ. Roublev, moine, obéissant, formé à la liturgie, n’a pu que recueillir saintement l’héritage… S’il l’a enrichi, ce n’est qu’en le conservant. Il n’a donc pu qu’approfondir l’interprétation trinitaire greffée sur l’interprétation christologique établie, qui place le Christ au centre. Cet argument, à lui seul, serait décisif. Mais deux autres viennent le corroborer et nous tenons à les exposer ici puisque la question se trouve soulevée. D’abord, la position de cette Icône, dans l’Iconostase pour laquelle elle a été peinte : à droite de la porte royale. Cette Trinité se trouvait donc sous le regard direct des fidèles quand le prêtre exerçait sa fonction sacerdotale suprême, au moment du Sacrifice sacramentel. La porte royale se ferme au moment du Canon. Les fidèles ne pouvaient pas voir l’élévation de l’Hostie, mais ils voyaient, sur l’Icône de Roublev, le Christ-Prêtre, au centre de l’autel, consacrant le Calice de son Sang. Enfin, un dernier argument : c’est que la représentation sous forme d’anges n’a pas la même portée pour les Trois. Seul le Verbe s’est incarné. Il est, pour l’humanité, la récapitulation de l’Univers entier. Il est la Tête de l’Église. Le Père et l’Esprit d’Amour n’ont pas assumé la chair. Mais Ils sont des Personnes. Le seul moyen d’évoquer le mystère de leur Personnalité, autrement que par des symboles (nuée, feu, langues, colombe) est l’analogie. Or, seuls les hommes possèdent cette dignité de « personne », dans le monde visible. S’il est donc légitime de représenter sous forme de personne humaine chacune des Trois Personnes Divines, il y a cependant une convenance et un équilibre particuliers à placer au centre Celui pour qui cette représentation est la plus lourde de sens : c’est-à-dire le Christ, Verbe Incarné. Venons-en à l’innovation de Roublev. L’Abbé Nikon vient de lui demander de se mettre à l’œuvre. Pendant trois ans, Andréï médite l’Évangile de l’Apôtre Bien-Aimé, dont Origène dit qu’il est « la fleur des Évangiles » comme « les Évangiles sont la fleur de l’Écriture Sainte » ; pendant trois ans, il jeûne, il réfléchit, il travaille avec son fidèle compagnon Daniel Tcherny… « Les jours de fête, lorsque André et Daniel ne travaillaient pas, ils s’asseyaient devant les vénérables et divines icônes ; et regardant celles-ci sans distraction… ils élevaient constamment leur esprit et leur pensée dans la lumière immatérielle et divine… » (P.E. p. 206) De ceux qui l’ont précédé, il adopte la composition de type trinitaire. Mais des modifications audacieuses traduisent une inspiration originale et géniale. « On constate une simplification radicale de la représentation, obtenue en se limitant expressément au strict essentiel. Une telle concentration sur l’essentiel ne se trouve que dans des œuvres d’art mineures où, toutefois, elle est déterminée la plupart du temps par la forme et par les dimensions réduites. Mais sur l’Icône de Roublev, qui a des dimensions notables, ce caractère essentiel revêt un sens monumental. Il n’est cependant jamais grossier ; au contraire, les rares choses représentées par le peintre sont raffinées à l’extrême et presque avec une élégance supérieure. » (G.B. p. 93–94) Sans troubler l’équilibre de l’ensemble, il complète, et enrichit, il modèle dans sa contemplation les visages du Père et de l’Esprit avant de les former sur le bois doré. « Roublev n’a pas seulement créé, comme sur les icônes de type christologique, une figure individuelle avec deux accompagnateurs, ou encore, comme dans le type trinitaire, idéal, trois figures égales, interchangeables, mais bien trois personnalités spécifiques. » (G.B. p. 93) Peut-être l’inspiration avait-elle un jour effleuré quelqu’iconographe avant Roublev. Mais il ne s’en trouve aucun indice. Et si, par impossible, l’inspiration a été donnée à quelqu’autre, nul ne s’est risqué à la suivre. Il appartenait à Roublev, et à lui le premier, d’avoir cette audace de la Foi. C’est qu’il s’agit ici de s’aventurer aux confins de la Béatitude, de monter jusqu’à la cime de la Révélation confiée pour nous au Verbe Incarné. Roublev s’enfonça dans la « nuée lumineuse » de la connaissance du Père et de l’Esprit d’Amour. Cette connaissance lui fut accordée, avec la grâce de l’offrir aux autres à travers sa peinture. « Nous sommes convaincus que Andreï Roublev, et lui seul, dans sa Trinité, a voulu relier chacun des trois anges à une des Trois Personnes Divines. » (G.B. p. 28) L’Icône de Roublev a reçu le titre, incontestablement mérité, « d’Icône des Icônes ». D’autre part, elle a été adoptée comme Canon des Icônes de la Trinité, au Concile orthodoxe des Cent Chapitres de 1551, Canon qui jusque-là n’était pas pleinement fixé. Elle porte un rayon de la Transcendance de Dieu. Elle est « un commentaire contemplatif de l’Évangile contemplatif » conclut le Père Benoît o.s.b. Elle est ce « Trisagion » de lignes et de couleurs qui chante, en silence, l’adoration de l’Église à l’Heure Divine où l’Amour l’emporte éternellement sur la mort :

« Hagios o Theos, Sanctus Deus Hagios Ischyros, Sanctus Fortis Hagios Athanatos eleison, hymas, Sanctus Immortalis, miserere nobis ».2

« Spiritus Veritatis » La lecture de l’Icône peut s’opérer sur trois plans, distincts mais compatibles : le plan de l’histoire sainte (sens littéral : Philoxénie d’Abraham), le plan figuratif (sens typologique, à la lumière du Nouveau Testament : sens christologique et trinitaire), et le plan du contexte particulier de l’œuvre picturale (à rattacher au sens moral de l’Écriture). Nous avons exploré les deux premiers plans. Il nous reste à découvrir le troisième. Roublev fut sollicité pour peindre une icône à destination précise : celle qui devait orner l’iconostase de l’Église de la Trinité, où reposait Saint Serge vénéré comme la « Demeure de la Trinité » et « l’instrument de choix de l’Esprit-Saint ». Ces deux expressions, inséparables, rythment la biographie de Saint Serge et font entendre l’accent original de sa spiritualité trinitaire : une vie de communion avec les Trois Divines Personnes, marquée du Sceau de l’Esprit-Saint et livrée à son inspiration. Roublev ne pouvait honorer la mémoire de son Abbé fondateur sans mettre en relief cet attrait prononcé pour la Troisième Personne. Il est permis de penser que « cette Icône peinte dans la demeure de la Sainte Trinité construite par saint Serge a précisément voulu représenter ce mystère de la grâce de l’Esprit-Saint. » (G.B. p. 108) D’autre part, si la doctrine trinitaire s’était magnifiquement développée au cours du premier millénaire, si la liturgie romaine venait d’introduire une Fête de la Trinité dans le temporal, à l’octave de la Pentecôte (Jean XXII en 1334), l’Orient ne célébrait pas cette Fête (et ne l’a pas encore intégrée à son calendrier). Mais la piété liturgique des fidèles envers ce Mysterium Trinitatis est intense en Orient et s’exprime le dimanche de Pentecôte, devenue Fête de la Trinité sans en prendre le nom. Cette disposition (que certains supposent due à l’influence de saint Serge) est, d’ailleurs, théologiquement très belle car la Pentecôte sonne l’heure de la manifestation plénière du Mystère de Dieu : « Quand Il viendra, Lui, l’Esprit de Vérité, Il vous introduira dans la Vérité tout entière » (Jn 16, 13). C’est bien la grâce suprême que l’Église demande à l’Esprit Saint pour les croyants en la fête liturgique de sa fondation : « Faites-nous connaître le Père, et révélez-nous le Fils, et Vous, leur commun Esprit, faites-nous toujours croire en Vous. » (Hymne Veni Creator). Quant à la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres au Cénacle, elle est célébrée, dans ces chrétientés, le Lundi de Pentecôte. Ainsi, l’Icône de la Trinité, demandée à Andreï, fut-elle composée dans cette perspective liturgique, liant le Mystère de la Trinité à celui de la Pentecôte. C’est, entre autres, pour remplir cette fonction d’Icône de Fête qu’elle fut conçue, c’est-à-dire pour être exposée solennellement à la vénération des fidèles, à la place d’honneur dans l’église, le jour même de la Pentecôte. « C’est donc à partir du Mystère de la Pentecôte qu’elle doit être interprétée » (G.B. p. 63), c’est-à-dire à partir de « cet événement où l’Esprit-Saint émerge pour la première fois en tant que Personne de l’ombre du Père et du Fils. » (G.B. p. 110) Roublev anime, au sens fort, son Icône de sa propre vie « spirituelle » dans laquelle l’action des dons du Saint-Esprit devient tangible et intime l’expérience des Béatitudes. La tradition latine ne dit pas autre chose, même si son expression diffère. Les théologiens thomistes ont approfondi la réalité de la grâce. Ils ont distingué la Grâce Incréée, le Saint-Esprit, de la grâce créée, habitus entitatif de l’âme, qui nous rend participants de la vie divine. Ils ne les ont toutefois pas séparées car la grâce est de « l’eau vive » (Jean 4, 10), une eau qui jaillit en permanence de sa Source sans la quitter. Si les termes sont plus techniques, ils sont aussi des étincelles prêtes à embraser l’âme dans l’oraison. Car en l’homme, image de Dieu, l’amour procède de la connaissance, comme en la Trinité l’Esprit d’Amour procède du Verbe-Sagesse. Par-delà leur expression propre, les traditions orientale et occidentale se rejoignent au cœur de l’Évangile et dans le feu de Saint Paul : « L’Amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par L’Esprit-Saint qui nous a été donné. » (Rm 5, 5) Don infini. Don confondant. « Comment cela se fera-t-il ? » pourrions-nous interroger, avec la Vierge (Luc 1, 34). Le pinceau de Roublev a su traduire la réponse de l’Évangile. Déchiffrons son message. Un indice mérite attention : « La main droite du Fils était initialement fermée et seul son index était pointé vers l’Esprit, au-dessus du Calice, comme cela a pu être établi lors de la restauration de l’Icône. Ce geste particulier de la main a dû paraître si incompréhensible aux premiers copistes du XVe siècle que cela les a conduits à ajouter le majeur à l’index. L’original lui-même a été retouché en ce sens. Hélas, les restaurateurs qui sont intervenus au début du XXe n’ont pas rétabli le dessin originel, qui modifie la signification du geste : d’un geste indicateur, il devient geste de bénédiction. » (G.B. p. 109) Mais si le Christ désigne l’Esprit, c’est que, « tourné vers le Père » (Jean 1, 18), Il Lui adresse la Prière sacerdotale comme au soir de la Cène. « La Trinité de Roublev, dont le cadre théologique est précisément la Pentecôte, peut en effet être lue comme une représentation des discours de départ de saint Jean, entièrement empreints du mystère du Dieu trinitaire, mystère qui désormais est en train de se révéler. » (G.B. p. 110). Il parle de la Maison du Père, du Chemin qu’Il va tracer en sa Pâque, du Paraclet qui les instruira de tout, de notre communion éternelle avec les Trois, et sa Tendresse coule jusqu’à nous. Plus de cinquante jours ont passé, mais maintenant, dans l’immobile Présent de l’Eternité, la supplication du Jeudi-Saint au Cénacle, s’accomplit et retombe dans le temps, par le Don de l’Esprit d’Amour au Cénacle même. Le Père, dans un puissant geste d’envoi, et le Christ, en le désignant de la main, font descendre dans le temps Celui que les Apôtres attendent. À la vérité, Roublev a sublimé et fusionné ces deux grands moments du Salut, Celui de la Cène avec le don du Seigneur dans l’Eucharistie, et Celui de la Pentecôte avec le Don de l’Esprit en son Onction. La simplicité de Dieu, au regard de qui toutes choses sont présentes éternellement, se reflète en l’Icône des Icônes. Si elle est Icône de Pentecôte, elle pourrait être aussi Icône du Jeudi-Saint parce que la Prière du Seigneur, prononcée ce soir-là, s’actualise en ce Mystère. On peut relire Saint Jean devant la Trinité de Roublev : chaque Parole en devient saisissante. Et ce n’est pas tout. « La Pentecôte, fête de « l’Esprit qui demeure » est la fête de chaque jour » (G.B. p. 114). Si cette Icône est d’abord celle de la Pentecôte, avec elle le Saint-Esprit « nous rappellera » (Jean 14, 26) tous les mystères du Christ et nous aidera à les revivre en l’année liturgique. Car ses mystères plongent éternellement en celui de la Trinité. À Noël, Roublev nous introduit auprès du Père, engendrant éternellement son Fils : « Ego hodie genui Te, Moi, aujourd’hui, je T’ai engendré » (Introït de la messe de minuit). À la Transfiguration, si chère à nos frères d’Orient, l’Icône chante l’antienne des Premières Vêpres : « Le Christ Jésus, Splendeur du Père, et empreinte de sa substance, portant toutes choses par la parole de sa propre puissance, réalisant la purification des péchés, a daigné apparaître glorieux, aujourd’hui, sur la haute montagne. » (Magnificat). À Pâques, elle nous conduit au Christ Ressuscité partageant la gloire du Père : « Resurrexi et adhuc Tecum sum, Alleluia. Je suis ressuscité et je suis désormais avec Toi. » (Introït du Dimanche de Pâques). Et ainsi de chaque solennité. Mais c’est au Cénacle, le Jeudi-Saint, qu’elle nous ramène sans cesse pour recueillir les dernières Paroles du Sauveur à son Père : « Que tous soient Un, comme toi, Père, tu es en moi, et que je suis en toi ; que tous soient Un en nous. » (Jn 17, 22).

Une synthèse théologique Si l’Icône de Roublev, dans sa richesse spirituelle, peut accompagner toutes les grandes heures liturgiques, c’est que cette richesse spirituelle repose sur un sens théologique puissant et sûr, et qu’elle est saturée de poésie biblique. Saint Thomas nous a laissé la Somme Théologique comme une cathédrale de la pensée chrétienne. Roublev nous a légué l’Icône des Icônes comme une « Montagne de Dieu », un « Sinaï » spirituel, d’où nous embrassons, en un panorama sacré, tout le Mystère de Dieu. Mais tous deux proclament la même Foi. À la suite de Moïse, sur le bois de l’Icône comme dans le Buisson ardent, nous rencontrons « Celui qui Est ». C’est ainsi, en effet, que les iconographes désignent traditionnellement le Christ, en écrivant dans son nimbe crucifère, les lettres grecques du Nom Incommunicable. Sur cette terre brûlée de soleil, comme Abraham à Mambré, nous entrevoyons « le Jour de Dieu », la Lumière de sa Vie Trinitaire. Sur cette « Montagne de Dieu », le cosmos, à traits esquissés, depuis la roche du règne minéral jusqu’au Temple du règne de l’esprit, en passant par le monde végétal, étend son ciel de louange au Créateur ; tandis que l’histoire des hommes trouve son sens divin et sa récapitulation dans l’arbre de la Croix, planté au cœur de l’Icône, comme au centre du temps, rappelant l’arbre du Paradis perdu et le chêne de Mambré, annonçant l’arbre de vie de la Jérusalem céleste (Ap 22, 2). Ainsi, sur le bois, le pinceau de Roublev a écrit en lettres d’or toute la première partie de la Somme Théologique : le Dieu Un et Trine, son œuvre créatrice et sa Providence. Ouvrons la deuxième partie de la Somme… Parmi ses lignes maîtresses, sur sa planche de bois, Roublev a ciselé la puissante verticale, plaçant l’homme qui contemple l’icône face à la Béatitude qui l’attend, l’encourageant au seuil du grand Chemin ouvert (« Ego sum Via. Je suis la Voie » Jn 14, 6) où il peut s’avancer « à pas d’amour » (Saint Grégoire le Grand). C’est le traité de la Béatitude qui ouvre la Prima Secundae, et c’est la route de la grâce et des vertus décrite dans la Secunda Secundae. Pour finir, écoutons saint Thomas en la dernière partie de sa dernière œuvre, celle qui restera inachevée par la mort, peu après la composition du traité sur l’Eucharistie (ce sont ses frères et disciples qui complèteront les dernières questions de la Somme, à partir d’autres écrits du Docteur Angélique). Ainsi, non seulement la composition de l’Icône s’harmonise au plan de la Somme, mais à la lumière théologale, unifiante, de l’œuvre de Roublev, nous entrons dans l’intelligence de ses plus belles questions de théologie spirituelle3 : des missions des divines Personnes, extension dans le temps des processions trinitaires, visiblement à l’Incarnation et à la Pentecôte, et invisiblement dans nos cœurs par la puissance de la grâce ; également la question sur l’homme image de Dieu, qui rejoint le thème de la « divinisation » si cher aux Pères orientaux ; la Béatitude ; également la Loi Nouvelle, gravée dans nos cœurs, qui n’est autre que « la grâce du Saint-Esprit et son instinct, donnés à ceux qui croient dans le Christ » ; et celle de la grâce (on peut remarquer que Roublev a parfaitement ordonné la nature et la grâce en plaçant le rectangle de la terre au bas de l’autel, dans le cercle des Trois à l’intérieur de l’action créatrice, et la Coupe de la grâce sur la blancheur de l’autel, dans l’axe de la nature, mais dans l’intimité des Trois et sous l’action immédiate de leur regard et de leurs mains, sachant que « la grâce ne détruit pas la nature », mais qu’« elle la perfectionne » et que Dieu est Créateur et Rédempteur, cf. J.-P. T/2 p. 210) ; enfin l’Eucharistie, qui contient et nous donne non seulement la grâce, mais l’Auteur de la grâce. Dans notre condition d’ici-bas, pouvons-nous monter plus haut ? Dans la Foi, pouvons-nous communier davantage au Dieu de Vérité ? Non, mais après la Somme de théologie, qui, dans « sa limpidité abstraite et sa transparence impersonnelle » nous donne « cristallisée sous nos yeux, la vie intérieure même de saint Thomas » (Gilson, Le thomisme, p. 457), il nous reste la prière du chantre de l’Eucharistie :

« Jésus, que je contemple maintenant voilé, Je vous en prie, réalisez mon ardent désir : Que j’aie le bonheur de vous voir un jour Face à face dans votre gloire. Amen ! » (Hymne Adoro Te)

Avant saint Thomas d’Aquin, et sous un autre mode que lui, les Pères de l’Église ont cherché l’intelligence de la Foi. Le Catéchisme de l’Église Catholique (no 236) expose ainsi leur doctrine : « Les Pères de l’Église distinguent entre la Theologia et l’Oikonomia, désignant par le premier terme le mystère de la vie intime du Dieu-Trinité, par le deuxième toutes les œuvres de Dieu par lesquelles Il se révèle et communique sa Vie. C’est par l’Oikonomia que nous est révélée la Theologia ; mais inversement, c’est la Theologia qui éclaire toute l’Oikonomia. Les œuvres de Dieu révèlent Qui Il est en Lui-même ; et inversement, le mystère de son être intime illumine l’intelligence de toutes ses œuvres. Il en est ainsi, analogiquement, entre les personnes humaines. La personne se montre dans son agir, et mieux nous connaissons une personne, mieux nous comprenons son agir. » L’Icône des Icônes englobe dans sa simplicité toute la Theologia, ou Vie « ad intra » de la Trinité, et toute l’Oikonomia, ou Vie « ad extra » de la Trinité. En goûtant sa saveur patristique, nous nous abreuvons à la source des premiers temps de l’Église, une source qui garde sa fraîcheur, une source à laquelle tous les Docteurs, tous les théologiens ont puisé au cours des siècles.

Concluons avec le C.E.C. (no 234) : « Le mystère de la Très Sainte Trinité est le mystère central de la foi et de la vie chrétienne. Il est le mystère de Dieu en Lui-même. Il est donc la source de tous les autres mystères de la foi, lumière qui les illumine. Il est l’enseignement le plus fondamental et essentiel dans la « hiérarchie des vérités de foi ». Toute l’histoire du salut n’est autre que l’histoire de la voie et des moyens par lesquels le Dieu vrai et unique, Père, Fils et Saint-Esprit, se révèle, se réconcilie et s’unit les hommes qui se détournent du péché. » Car « la fin ultime de toute l’économie divine, c’est l’entrée des créatures dans l’unité parfaite de la Bienheureuse Trinité. » (no 260) Nous ne faisons que bredouiller quelques mots d’enfants devant l’Insondable et l’Ineffable… Celui que, dans une hymne, saint Grégoire de Naziance invoque ainsi : « O Toi, l’Au-Delà de tout… comment Te nommer d’un autre nom ? » Celui que saint Jean Damascène désigne comme l’« Océan infini de l’Être » et que sainte Catherine de Sienne invoque avec ardeur, au terme de son « Dialogue » avec le Père : « Ô Trinité éternelle ! Ô Déité ! Vous êtes une mer sans fond où plus je me plonge, plus je Vous trouve, et plus je Vous trouve, plus je Vous cherche encore. De Vous, jamais on ne peut dire : c’est assez ! L’âme qui se rassasie dans vos profondeurs Vous désire sans cesse (…) Ô abîme ! Océan sans fond ! Pouvez-Vous me donner davantage que de Vous donner Vous-même ? » L’âme chrétienne pénètre, ici, dans le Silence Sacré du ciel et de l’éternité. C’est à ce silence de la contemplation, anticipation de la liturgie céleste de l’Apocalypse, que nous laissons le lecteur car il aura compris que la sagesse théologique ne peut que conduire et s’effacer au seuil d’une autre sagesse, la plus haute, la sagesse mystique de l’Amour.

Un fruit de Sagesse De cette « Scientia Amoris », la petite sainte de Lisieux est devenue le grand Docteur. Elle nous a tracé la « petite voie », elle l’a grimpée avant nous, et c’est le sentier à pic de la Montée du Carmel. C’est la belle verticale de Roublev, croisée de sa large horizontale, contemplée et parcourue, tout droit, dans l’élan magnifique de sa courte vie. N’est-ce pas le dimanche de la Trinité 1895 qu’elle s’offrit à l’Amour Miséricordieux ? Elle nous entraîne sur la route de la prière intérieure, celle du cœur, celle de l’humble quotidien, avec son sourire et son réalisme… « Marchez dans la voie de l’Amour . Ambulate in dilectione. » Saint Paul, ce chantre de la charité théologale, aurait pu dire aussi : « Montez dans la voie de l’Amour. » Pour nous entraîner dans cette ascension, l’Église compte sur ses « Premiers de cordée » que sont les saints et les bienheureux. Le Saint-Père a voulu recommander spécialement à notre génération le message de saint Jean de la Croix : « Il convient de nous tenir à l’écoute de ce maître. Par une heureuse coïncidence, il se fait notre compagnon de route en cette période de l’histoire (4e centenaire de sa mort le 14 décembre 1990). Saint Jean de la Croix est le guide de ceux qui cherchent une plus grande intimité avec Dieu au sein de l’Église. » Et le Saint-Père explique : « L’ardeur et le réalisme de la foi du Docteur mystique s’appuient sur sa connaissance des mystères centraux du christianisme. Une moniale contemporaine du saint affirme : « Parmi les mystères pour lesquels il avait un grand amour, il y avait celui de la Très Sainte Trinité et aussi celui du Fils de Dieu fait homme. » La source préférée de sa contemplation est l’Écriture, comme il l’atteste souvent lui-même. Il revient en particulier au chapitre 17 de l’Évangile de saint Jean dont il aime à se faire l’écho. (…) Le mystère de la Trinité, les mystères du Verbe Incarné : le théologien mystique en fit le pivot de la vie spirituelle. » (Lettre apostolique de Jean-Paul II sur saint Jean de la Croix, le 14 décembre 1990, nos 3, 17 et 9). N’est-ce pas là retrouver Andreï Roublev ? À la longue liste des saints, le Saint-Père a ajouté une autre fille de saint Jean de la Croix, ardente disciple de Saint Paul et ayant exercé – confie-t-il dans son homélie du Bourget en 1980 – « la plus grande influence sur sa vie ». « Avec la Bienheureuse Élisabeth de la Trinité, une nouvelle lumière brille pour nous, un nouveau guide, certain et sûr, se présente dans notre monde rempli d’incertitude et d’obscurité. » (Jean-Paul II, le 25 novembre 1984). Ce n’est pas un hasard si l’on trouve souvent la prière de Sœur Élisabeth de la Trinité (« Ô Mon Dieu, Trinité que j’adore… ») au dos des représentations de la Trinité de Roublev. Ce n’est pas sans raison que la brodeuse de la bannière de la Bienheureuse Élisabeth (Bannières 1996) a trouvé l’inspiration d’évoquer l’Icône des Icônes sur le scapulaire de la carmélite. Les deux contemplatifs se sont rejoints dans l’objet de leur contemplation à cinq siècles de distance, l’un exprimant sa prière par le pinceau, l’autre laissant jaillir cette même prière par la plume. Et remarquons les dates : l’Icône de Roublev est redécouverte vers 1904–1905 tandis qu’Élisabeth de la Trinité compose sa prière le 21 novembre 1904, quelques mois seulement avant sa mort, le 9 novembre 1906. « Un des signes des temps les plus caractéristiques est sans doute le renouveau d’attention, en théologie et dans la vie de prière, accordée au Mystère le plus caché, le plus important de tous, celui de la Très Sainte Trinité. Ce Mystère est si haut qu’il est difficile de trouver, pour en parler, des paroles qui ne soient pas des trahisons », écrit le Père Cottier o.p. Et il ajoute une réflexion qui oriente notre recherche : « L’explication théologique va de pair avec la lecture des saints. »4 En effet, les saints, parvenus à leur maturité, sont devenus une théologie vivante. Non seulement ils rayonnent, mais ils nous lancent un appel. À nous d’entendre le langage de leur vie et de leurs œuvres. L’Icône de la Trinité de Roublev et la prière de Sœur Élisabeth ne seront jamais des trahisons du plus auguste des Mystères. « C’est à la plus haute prière que Roublev nous introduit, écrit Nicolaï Greschny. C’est l’unique but de cette Icône. C’est, plus que son art, ce qui fait l’incomparable splendeur de cette Icône. » (N.G. p. 122) « Tout ce que je sais de la Trinité, je l’ai appris de cette Icône » reconnaît le frère Benoît, bénédictin (R.F. p.15). « Il me semble qu’au ciel ma mission sera d’attirer les âmes, en les aidant à sortir d’elles-mêmes pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple, tout amoureux et de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s’imprimer en elles et de les transformer en Lui. » (Bse Élisabeth de la Trinité citée par le Père Philippon : M.-M.P. p. 280) Le moine saint André Roublev et la carmélite Élisabeth de la Trinité nous invitent tous deux au même silence dans un monde saturé de bruit et même de vacarme. Il faut se taire pour regarder l’Icône de Roublev et il faut se garder « en ce grand silence du dedans » pour recevoir l’empreinte intérieure de Dieu. La peinture et la contemplation sont toutes deux regard et silence. Toutes deux nous conduisent dans le « Cellier » du Bien-Aimé (Cant. 2, 4), « où le Maître habite » : « La Trinité, voilà notre demeure » (Bse Élisabeth de la Trinité) Telle est la sagesse des saints, à la fois spéculative et pratique dans sa simplicité. C’est à elle qu’appartient l’ultime béatitude : « Bienheureux les pacifiques », parce que c’est elle qui conduit l’homme « à la filiation de Dieu », le faisant participer à « la ressemblance du Fils Unique » (a. 6) : « Ils seront appelés fils de Dieu ». Telle est la sagesse qui a inspiré Andreï Roublev. Tel est le secret du rayonnement de l’Icône des Icônes. Elle continuera de conduire au Dieu de Sagesse et d’Amour ceux qui se laissent fasciner par sa profondeur et irradier par sa lumière, et ceux qui, à la suite de la Bse Élisabeth de la Trinité, aspirent à brûler de la flamme de Saint Paul et de celle du Carmel : « Que le Père daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit, pour que se fortifie en vous l’homme intérieur. Que le Christ habite en vos cœurs par la foi, et que vous soyez enracinés, fondés dans l’amour. Ainsi, vous recevrez la force de comprendre avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l’Amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu. » (Eph 3, 16–19)

Conclusion

Nous voici au terme de cette longue étude dans laquelle nous avons entrevu cette « Splendeur du Trisagion ». Toute la Révélation tient dans cette Icône des Icônes :

Le Mystère de la Très Sainte Trinité, Le Mystère de l’Incarnation-Rédemption, Le Mystère de l’Eucharistie et de l’Église.

Et la Vierge Marie, me direz-vous ? Impossible de l’oublier, de la passer sous silence, Elle qui apprit à Sainte Bernadette, à Lourdes, à bien dire le « Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto » et qui le récitait avec elle en s’inclinant, dans l’humble prière du Rosaire ! Eh bien ! Elle est là, discrète comme toujours… C’est une inscription ajoutée en exergue à une « Annonciation » de Fra Angelico, celle du couvent Saint-Marc à Florence, qui nous La révèle, cachée dans la Lumière :

« Salve, Mater Pietatis, et totius Trinitatis nobile Triclinium »

La saveur latine de ce vers d’Adam de Saint Victor (XIIe siècle) est incomparable : les Romains ont toujours été des réalistes ! Elle est aussi intraduisible… Mais si vous cherchez « Triclinium » dans un dictionnaire, vous apprendrez qu’il s’agit d’« un lit de table pour trois personnes ». Pouvait-on trouver meilleure expression pour rappeler que la Vierge Marie a été cet espace intérieur où les Trois Divines Personnes, dès le premier instant, sont entrées en familiarité avec la créature humaine et où le Verbe est devenu, à la plénitude des temps, notre « commensal » (cf. Lauda Sion) pour partager un jour, avec nous, si nous l’accueillons, le repas du soir (Apoc. 3, 20), le repas des Noces éternelles (Mt 22, 2) ? C’est à l’heure de son Immaculée-Conception que le Divin Iconographe a pris en main le bois précieux de son âme, l’a poli, l’a préparé, l’a pénétré de son onction. C’est à l’heure de l’Incarnation qu’Il a peint en elle les traits humains du Verbe. Et c’est à l’Assomption qu’Il l’a « revêtue du Soleil » de la gloire (Ap 12, 1), qu’Il a achevé son image en Elle, devenue alors pour l’éternité cette « Fenêtre sur l’Absolu » (selon l’expression de M. Quenot définissant l’icône), totalement transparente à la Déité Une et Trine. Avec le Christ-Jésus tressaillant de joie dans l’Esprit-Saint, la Vierge Marie ne cesse de « rendre grâces au Père qui a caché toutes ces choses aux sages et aux savants et qui les a révélées aux tout petits » (Luc 10, 21). Elle a mission de veiller sur ces « tout petits » de l’Évangile, sur ceux qui l’ont reçue pour mère, comme Saint Jean, sur ceux qui ont pour devise : « Totus tuus », avec Saint Louis-Marie Grignon de Montfort et le Saint-Père. Elle a mission de les conduire au Royaume où s’achèvera le Cantique de leur vie, auprès d’Elle, à la gloire du Très-Haut :

« Magnificat anima mea dominum … …Abraham et semini ejus in saecula »

Abréviations bibliographiques D.A. : Daniel-Ange, L’étreinte de feu ou l’icône de la Trinité de Roublev, D.D.B., 2001. G.B. : Gabriel Bunge o.s.b., L’iconographie de la Ste Trinité (des catacombes à Andreï Roublev), Médiaspaul, 2000. J.-P. T : Jean-Pierre Torrell o.p., Dieu, qui es-tu ? (dernier chapitre : « Une fête solennelle »), Cerf, 1999. N.G. : Nicolaï Greschny, L’icône de la Trinité d’André Roublev, Lion de Juda, 1986. P.E. : Paul Evdokimov, L’art de l’icône – Théologie de la beauté, D.D.B., 1981. P.V. : Philippe Verhaegen o.s.b., L’icône de la Trinité d’Andreï Roublev, Éd. Fidélité, 1995 Namur. R.F. : Renaissance de Fleury, no spécial tiré à part, 1986.

Cardinal Journet, Entretiens sur la Trinité, p.15. « O Dieu saint !, O Dieu saint ! Dieu saint ! Dieu fort ! Dieu saint ! Dieu fort ! Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous ! Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous ! » Liturgie grégorienne du Vendredi Saint, adoration de la Croix. (alternance de grec et de latin). Le Cardinal Journet dans tous ses ouvrages, et le Père Torrell o.p. dans Saint Thomas d’Aquin, maître spirituel, tous deux disciples du docteur Angélique, sont devenus maîtres à leur tour en cette théologie spirituelle et peuvent aider à la pénétrer… Préface aux Entretiens sur la Trinité du Cardinal Journet p. 7–8.

VISAGES DE LA VIERGE À SAINTE-MARIE-MAJEURE

27 novembre, 2013

http://www.revue-kephas.org/02/1/Fux75-80.html

VISAGES DE LA VIERGE À SAINTE-MARIE-MAJEURE

Pierre-Yves Fux *

VISAGES DE LA VIERGE À SAINTE-MARIE-MAJEURE dans art sacré salusb

(ICONA « SALUS POPOLI ROMANI »)

À Rome, promeneurs et pèlerins ne manquent pas de remarquer la multitude des madonnine, images de Marie intégrées dans les façades de presque chaque immeuble. La dévotion populaire semble ainsi plus vive pour la Vierge que pour ceux qui ont fait de Rome la capitale de la chrétienté : les Apôtres Pierre et Paul. Et à Rome, les sanctuaires consacrés à Marie sont nombreux : Santa Maria in Trastevere, Santa Maria in Aracoeli, Santa Maria sopra Minerva, Santa Maria degli Angeli, Santa Maria Antiqua, etc. Le principal d’entre eux est Santa Maria Maggiore, Sainte-Marie-Majeure – c’est aussi le plus accessible et souvent le premier ou le dernier que visitent les pèlerins venus en train : la gare centrale est toute proche. Cette basilique, l’une des quatre principales de Rome, a été entièrement restaurée dans les années qui précédèrent le Grand Jubilé.

Sainte-Marie-aux-Neiges Deux événements sont à l’origine de la construction de cette basilique. Le premier est un miracle survenu le 5 août 356 : une chute de neige au sommet d’une des sept collines de Rome et, durant la même nuit, le songe du pape Libère, qui ordonnera dès lors la construction de « Sainte-Marie-aux-Neiges ». Depuis, c’est le 5 août qu’est célébrée la fête de la dédicace de cette basilique, fête restée inscrite au calendrier universel de l’Église. Jadis, la commémoration solennelle de la Dédicace donnait lieu à une Messe durant laquelle, pour évoquer le miracle de la neige, on faisait tomber des hauteurs de la nef des myriades de pétales de fleurs blanches – la tradition revit aujourd’hui chaque 5 août et, dans la touffeur de l’été romain, les fidèles peuvent s’émerveiller de la naïve et poétique représentation des flocons miraculeux. La façade médiévale de la basilique illustre les épisodes de ce miracle, avec des mosaïques contemporaines du premier Jubilé, de cette année 1300 où Dante situe sa Divine Comédie. Il est aujourd’hui difficile de lire ces figures à partir de la rue, mais, depuis quelques années, la loggia construite en 1750 par-devant la façade est accessible au public. On voit alors de très près le moindre détail : le marbre blanc des flocons de neige, çà et là le rouge coq-de-roche, et l’or, partout, dans le ciel comme dans l’architecture géométrique compliquée des scènes terrestres – et enfin, le bleu aux multiples nuances dans les ailes des anges et sur la robe de Marie.

Marie, Mère de Dieu Trois générations après le miracle de la neige survient comme un second événement fondateur pour la basilique : le concile œcuménique d’Ephèse, qui définit et proclame en 431 le dogme de la maternité divine de Marie, Theotokos. À cette occasion fut reconstruit le majestueux édifice actuel où le culte n’a jamais cessé depuis. Le pape Sixte III avait fait apposer une inscription dédicatoire en vers, dont voici le début :

Virgo Maria tibi Xystus nova tecta dicavi digna salutifero munera ventre tuo. Tu genitrix ignara viri te denique feta visceribus salvis edita nostra salus.

(« Vierge Marie, à toi j’ai dédié, moi Sixte, une nouvelle demeure, digne hommage à tes entrailles qui nous ont porté le salut. Tu es une mère qui n’a pas connu d’homme, et finalement enceinte, tu as mis au monde, sans blessure à ta virginité, notre salut. ») Si cette inscription n’a perduré que jusqu’au XVIe siècle, les murs de briques et les colonnades de marbre sont restés les mêmes, et l’or des mosaïques antiques continue d’étinceler sur le grand arc triomphal qui marque la fin de la vaste nef et surplombe l’autel majeur. Sur cet arc sont représentés les mystères de l’Incarnation et de la Nativité du Christ. Les scènes narrées dans les panneaux successifs de cette grande mosaïque sont familières et en même temps étranges, par certains détails qui trahissent leur antiquité : la dignité de Marie est exprimée par son vêtement d’or ou de pourpre, celui d’une impératrice romaine, mais elle n’a pas d’auréole – contrairement à Hérode, qui porte ce qui n’était alors, dans les représentations figurées, qu’un symbole de pouvoir, non de sainteté !

Marie de Bethléem Au bas de l’arc triomphal sont esquissées deux villes entourées de murailles dorées, avec l’inscription de leur nom : Jérusalem, dont on peut reconnaître la rotonde du Saint-Sépulcre, et Bethléem. Ces villes ne font pas qu’évoquer le début et le terme de la vie terrestre du Christ : à elles deux, elles évoquent l’universalité du salut. Jérusalem représente l’ancienne Alliance et le salut pour les Juifs prêché par saint Pierre; Bethléem, c’est la Nouvelle Alliance, le salut pour toutes les autres nations, annoncé par saint Paul. Les deux Princes des Apôtres meurent martyrs à Rome, qui devient le symbole et le creuset de l’universalité et de l’unité du christianisme. Cité de Pierre et de Paul, Rome est à la fois une Bethléem et une Jérusalem. Ce message est répété dans bien des sanctuaires romains, et les mosaïstes du XIIe siècle reproduiront dans plusieurs églises, dont Saint-Clément, les représentations antiques des deux villes de Terre Sainte de part et d’autre de l’arc triomphal. Pour les Romains et pour les Romées, pèlerins venus dans la Ville éternelle, Sainte-Marie-Majeure est avant tout une Bethléem. La Jérusalem romaine est à chercher dans l’église Sainte-Croix-en-Jérusalem, construite dans les murs mêmes du palais de l’impératrice-mère Hélène, qui y avait apporté les reliques de la Passion. À Sainte-Marie-Majeure sont conservées les reliques du bois de la crèche, exposées sous l’autel principal. C’est aussi dans cette basilique que reposeraient saint Matthieu, l’Évangéliste qui raconte l’adoration des Mages, et saint Jérôme, qui traduisit la Bible en latin dans une grotte de Bethléem. La présence à Rome de la relique de la crèche est évoquée dans l’inscription « parlante » gravée sur le socle d’un obélisque tout proche. Le pape Sixte-Quint, qui l’a érigé derrière l’abside de la basilique, au XVIe siècle, fait dire au monument, prélevé sur un mausolée antique : « J’honore, très joyeux, le berceau du Christ, Dieu vivant pour l’éternité, moi qui étais asservi, malheureux, au sépulcre d’Auguste, un mort » (Christi Dei in æternum viventis cunabula laetissime colo, qui mortui sepulcro Augusti tristis serviebam). Saint François d’Assise fut l’un des premiers à faire honorer le berceau du Christ : un soir de Noël, à Gubbio, en Ombrie, il avait créé une crèche vivante. Depuis, dans toutes les régions du monde, la crèche est devenue inséparable de la célébration de Noël. L’une des crèches les plus anciennes, de peu postérieure aux temps du Poverello, se trouve encore aujourd’hui à Sainte-Marie-Majeure. Les statues de marbre de l’oratoire de la crèche ont été placées dans une crypte, sous le tabernacle monumental de la grande chapelle construite par Sixte-Quint (à droite de l’autel majeur). Le sculpteur Arnolfo di Cambio est l’auteur des statues du prophète Isaïe et du roi David, que l’on voit en entrant dans la crypte. Là, autour de la Vierge à l’enfant (refaite en marbre au XVIe siècle) se trouvent les autres figures de la crèche réalisées par Arnolfo di Cambio : Joseph, les trois Mages, l’âne et le bœuf. C’est dans l’antique chapelle de la crèche que le jour de Noël 1075 les hommes de l’empereur Henri IV tentèrent l’arrestation du Pape Grégoire VII, alors qu’il y disait la Messe. Le peuple romain s’opposa à cette voie de fait et libéra son évêque, qui put retourner dans la chapelle et achever la célébration. L’empereur avait cru pouvoir déposer le Pape – en 1077, il ira à Canossa, en pénitent, demander un pardon et une réconciliation qui seront accordés… ce qui ne l’empêchera pas de reprendre la lutte et, finalement, d’imposer à Grégoire VII un exil où il mourra, en 1085.

Marie, fille éminente de Sion Une autre Vierge à l’enfant est esquissée sur un vitrail moderne, dans le mur de façade de la basilique. Jean-Paul II a voulu y faire représenter Marie, « fille éminente de Sion », filia excelsa Sion. Marie, fille de cette Jérusalem figurée à l’autre extrémité de la nef, sur l’antique mosaïque, face à Bethléem. Jésus est né à Bethléem, Marie est née à Jérusalem, tout près du Temple (là où se trouve la basilique Sainte-Anne). Le vitrail de Sainte-Marie-Majeure est exceptionnel, à plus d’un titre. C’est, avec la colombe de l’Esprit-Saint, dans la basilique vaticane, le seul vitrail figuratif à se trouver dans les basiliques majeures de Rome, et c’est l’un des rares éléments contemporains dans le décor des sanctuaires de la ville. Ce vitrail constitue aussi un signe éclatant de la pacification des relations entre christianisme et judaïsme, durant la fin du XXe siècle, en particulier par la volonté des papes Jean XXIII et Jean-Paul II. Trônant au-dessous du vol de la colombe de l’Esprit, la Vierge à l’enfant est flanquée des symboles de l’ancienne et de la nouvelle Alliances : à droite de Marie, la Torah et la Menorah, les tables de la Loi et le chandelier du Temple; de l’autre côté, les symboles de l’Eucharistie (calice et hostie) et de la Croix. Marie, rejeton d’Abraham, mère de Jésus-Christ, est celle qui unit les deux Alliances. Fille de Jérusalem, elle a vu le jour et quitté cette vie dans la Ville sainte, où les basiliques Sainte-Anne, de la Dormition et de l’Assomption sont là pour nous le rappeler. Le chandelier à sept branches dessiné aujourd’hui sur ce vitrail, dans la lumière de Rome, répond étrangement à sa figuration sculptée sur l’arc de Titus, à l’entrée du Forum : son triomphe parachevait la ruine du Temple, prédite et pleurée par le Christ sur les flancs du mont des Oliviers. L’ancienne Alliance n’est pas abolie, mais accomplie : les symboles juifs deviennent aussi des symboles chrétiens, et la Rome victorieuse et pacifiée s’incline devant la Jérusalem du Ciel. Les images du Calice eucharistique et de la Croix, qui sont comme les pendants des symboles de la Loi et du Temple, marquent cet accomplissement dans le Corps que Marie porta en son sein et que, trente ans plus tard, elle reçut, inanimé, défiguré, décroché de l’instrument de son supplice.

Marie, Reine du Ciel Ce vitrail circulaire exalte Marie qui trône avec l’Enfant divin sur ses genoux. Exactement en face, à l’autre extrémité du sanctuaire, dans le creux de l’abside, se trouve un autre cercle, qui entoure la grande image de Marie assise aux côtés du Christ-Roi en train de la couronner. À Rome les grandes basiliques ne sont pas orientées vers le Levant, mais « occidentées ». C’est donc à l’est que se trouve l’entrée – du côté de Jérusalem, où l’on voit les racines du mystère marial, sur le vitrail moderne; à l’ouest, au Couchant, le regard contemple l’aboutissement de ce mystère dans l’éternité. La belle mosaïque date de la fin du XIIIe siècle et illustre le dernier des mystères glorieux du Rosaire, celui du Couronnement de Marie au Ciel, qui suit son Assomption. Un mystère dont l’Écriture ne dit rien d’explicite et au sujet duquel Papes et Conciles sont restés presque muets, mais un mystère qui concerne toute l’humanité, toute la Création ainsi exaltée dans son membre le plus éminent, dans la filia excelsa Sion. La liturgie et les artistes chrétiens le disent, jusque dans la légende de cette mosaïque :

Maria Virgo assumpta est ad ethereum thalamum in quo rex regum stellato sedet solio. Exaltata est sancta Dei genitrix super choros angelorum ad celestia regna.

(« La Vierge Marie a été portée jusqu’à la chambre nuptiale céleste, où le Roi des Rois siège sur son trône étoilé – La sainte Mère de Dieu a été exaltée au-dessus des chœurs angéliques jusqu’aux royaumes célestes »).

Marie, Salut du Peuple de Rome Les deux images de Marie et de son Fils en gloire semblent se répondre, de part et d’autre du sanctuaire et par-dessus sept siècles d’histoire humaine. Il est une autre image qui, de manière plus concrète, surpasse en dévotion toutes celles – marbres, bronzes, mosaïques, peintures, de toutes époques – qui ornent la basilique et y sont vénérées : l’icône de Marie, salus populi Romani, « sauvegarde du peuple romain ». Elle est conservée dans une grande chapelle à gauche du chœur. Si les historiens y voient les caractères d’une image médiévale, de type « romain orientalisant », la tradition en fait une œuvre de saint Luc, l’Évangéliste, médecin et peintre, qui aurait représenté là la Mère de Dieu d’après nature ou de mémoire, avec l’aide des anges. Innombrables sont les pèlerins qui durant des siècles ont élevé leurs yeux vers cette icône et fait monter leurs prières vers Marie, salus populi Romani et protectrice, aussi, des pèlerins. Cette icône et quelques autres furent aussi portées en procession à travers la ville, tradition que Jean-Paul II eut à cœur de restaurer, à l’occasion de solennelles et émouvantes liturgies nocturnes sur la place Saint-Pierre.

Marie, Reine de tous les Saints Marie est Regina Sanctorum omnium, et la grande basilique romaine qui lui est consacrée a déjà été visitée, pendant plus d’un millénaire et demi, par des foules innombrables de pèlerins, de saints du calendrier et des saints inconnus de la Toussaint. C’est aussi cela, la richesse du pèlerinage romain : non pas seulement la visite au « centre » de la chrétienté autour des tombes apostoliques, mais aussi l’insertion de soi et de ses prières dans la chaîne de ceux qui ont fréquenté ces lieux et ont vécu dans la même fidélité, pour la même espérance, et de la même charité. C’est à Sainte-Marie-Majeure que fut ordonné prêtre saint Méthode, futur évangélisateur des Slaves; c’est là aussi que saint Ignace de Loyola célébra sa première Messe, le jour de Noël de l’an 1538; c’est là enfin que repose la dépouille de saint Pie V, jusqu’à nos jours très vénérée des Romains. Ce Pape qui eut la tâche délicate de faire appliquer la Réforme voulue par le Concile de Trente en publiant Catéchisme, Bréviaire et Missel romains fut aussi le dominicain mystique qui, même élu sur le siège de Pierre, aimait à se retirer dans le calme du couvent de Sainte-Sabine, sur l’Aventin, et tint à garder sa robe blanche de Frère prêcheur – dès lors, les Papes seront vêtus de blanc et non, comme auparavant, de rouge. Hier, aujourd’hui et toujours… Fille éminente de Sion, Sauvegarde du peuple romain et Reine de tous les Saints, la Mère de Dieu sera et est déjà, dans l’éternité, Reine sur le trône du Christ. À tous ces titres, Marie médiatrice est là pour intercéder, maternelle et chaleureuse – c’est ainsi qu’apparaît aux fidèles d’hier et d’aujourd’hui la basilique elle-même, moins monumentale et à bien des égards moins froide que ne peuvent le sembler les autres basiliques majeures de Rome : Saint-Pierre, Saint-Paul et la cathédrale de Rome et du monde, Saint-Jean-de-Latran. La basilique Sainte-Marie-Majeure est ouverte sans interruption du matin à 7h30 au soir à 19h00. Les Messes y sont célébrées, y compris en semaine, presque à toutes les heures du matin et de la fin de l’après-midi. Que le visiteur n’oublie pas de se rendre, à deux pas de là, dans la belle basilique Sainte-Praxède, Santa Prassede, avec sa très ancienne chapelle Saint-Zénon toute en mosaïques, qui abrite aussi la colonne de la Flagellation.

* Ancien membre de l’Institut suisse de Rome, diplômé de l’École vaticane de paléographie, P.-Y. Fux a soutenu en 1997 une thèse de doctorat consacrée au poète latin Prudence. À l’occasion du Jubilé, il a publié Les Portes saintes aux éditions Ad Solem (1999).

EXISTE-T-IL UN ART SACRÉ ?

5 novembre, 2013

http://www.diocese-poitiers.com.fr/page-daccueil/larbre-a-palabres/existe-t-il-un-art-sacre-

EXISTE-T-IL UN ART SACRÉ ?
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(liste des études publiées , j’ai mis les trois premiers)

par Julie et Thomas Duranteau (Texte 1)
par Loïc Buthaud (Texte 2)
par Jean-Yves Meunier (Texte 3)
par Anita Parisot (Texte 4)
par Stéphane Marcireau (Texte 5)
par Mgr Albert Rouet (Texte 6)
par Fabien Maheu (Texte 7)
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EXISTE-T-IL UN ART SACRÉ ? (JULIE ET THOMAS DURANTEAU)
Le lien entre art et sacré est légitimé par une classification établie de l’histoire de l’art, distingant ainsi l’art sacré de l’art profane.
Pourtant, cette alliance ne va pas de soi et pose un certain nombre de questions. L’art produit par l’humain et le sacré lié au divin, on peut se demander si considérer l’art comme sacré ne relève pas du sacrilège. Pour cela, faisons appel à l’étymologie même du mot ART et soumettons-la à l’étrange alliance de l’art au sacré.
I. L’art et le « rite » (RITUS) : moyen de dire et de représenter le sacré
Les mots « art » et « rite » viennent de la même famille lexicale, tous deux sont issus de la racine indoeuropéenne °ER- / °AR-. Cette racine a donné en latin « ritus ». Il est intéressant de faire apparaître le lien entre ces deux notions : l’art trouverait le moyen de dire l’indicible, de représenter ce qui ne peut être vu au creux du rite.
Ce lien est apparent dans toutes civilisations. Il n’est pas audacieux de préciser que l’art avant l’écriture aurait été un moyen de communication entre l’homme et un au-delà. On suppose que les peintures rupestres préhistoriques traduisaient ce désir d’accéder à quelquechose qui dépassait la finitude humaine et permettaient un pouvoir sur la Création.
Détournons la citation « ut pictura poeisis » (comme la peinture, la poésie) pour rappeler que l’art poétique est pour de nombreuses religions énonciation d’un sacré et se veut par là-même prophétique. Pour le poète Guillevic, « à la base de toutes les religions, il y a toujours un poème ». Le Coran comme le Cantique des Cantiques se font chants de Dieu par la voix du poète. On comprend, alors, le développement ultérieur dans nos liturgies de la poésie, du chant et de la musique pour laisser place à « l’expression » dans nos rituels.
Il nous faut, également, rappeler la « vocation rhétorique » de l’art : il doit savoir conjuguer la notion de « movere » (émouvoir) et de « docere » (enseigner). Il s’agissait d’illustrer et de défendre les grands dogmes d’une foi souvent difficiles d’accès. Donner à voir pour mieux persuader.
Cependant, toute représentation sous-entend interprétations et choix. L’artiste proposerait une traduction personnelle de l’indicible. Et l’on sait bien que le traducteur est le premier traître : « tradottore tradittore ».
II. L’artiste, créateur de sacré ? Entre « artisanat » (ARTIFEX) et inspiration pure, l’écueil de l’«artifice» (ARTIFICIUM)
La place de l’artiste dans son rapport au sacré pose plus de problème encore que celle de l’art. La notion d’artiste s’est véritablement développée en Europe à partir de la Renaissance. Jusque là, l’artiste était un artisan et la plupart du temps les œuvres n’étaient pas signées et leur art relevait purement et simplement d’une « technè ». Combien d’œuvres antiques et médiévales sont restées anonymes. Cela nous montre que parallélement au fait que l’art était en lien avec le sacré, l’artiste n’existait pas comme intermédiaire avec le divin, mais comme simple technicien. C’est d’ailleurs à cette même époque qu’apparaissent des portraits d’artistes et que cette catégorie de la population s’identifie vraiment. La publication de l’ouvrage de Vasari, les Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes en 1550 est révélatrice de cette évolution. C’est le fondement de l’histoire de l’art. Avant cette date, l’art n’ayant pas « d’histoire », elle n’avait pas officiellement reconnu sa subjectivité. Depuis qu’il y a un art religieux, il y a toujours eu une tension entre l’insertion dans des normes précisées par les religions et la volonté d’expression individuelle et originale.
Reconnaître que l’artiste est une personne qui a une action sur son art, c’est reconnaître que l’art est production humaine et évolutive. Considérer dans ce cadre-là un art sacré, ce serait alors un grand orgueil de la part de l’artiste : orgueil de se prendre pour Dieu lui-même. Guillevic dit de façon provocatrice que « le poète veut être Dieu ». En effet, dans l’acte de création, il y a un acte divin. De la même manière que Dieu a modelé Adam dans la terre, l’a sculpté, les artistes veulent être créateur. L’écueil d’une telle démarche serait dans l’acte de vouloir faire du sacré, peut-être la plus exacte définition de l’ « artifice ». Pouvons-nous, par conséquent, limiter l’artiste a un « créateur de sacré » ?
III. L’art comme « articulation » (ARTHRON) sacrée, médiation vers le divin
Nous aurions pu conclure à un détournement du sacré dans cet acte de création. Ce serait oublier que l’artiste est aussi celui qui, par son art, accepte de se mettre au service du sacré. Il nous invite à entrer dans sa relation intime à Dieu et à voir au-delà du visible, domaine qui n’appartient ni au spectacle ni à l’idole dans la mesure où il s’agit d’une trace de Dieu même, comme soufflée au cœur de l’artiste.
Il y a, pourtant, une difficulté intrinsèque à pouvoir représenter Dieu. L’incarnation a pu résoudre un certain nombre de réticences à le figurer. Mais le danger n’en est que plus grand : nous risquons à tout instant d’y enfermer le divin.
Au-delà des considérations d’histoire de l’art, qui tend à fragmenter les œuvres par leur contexte historique, il faut admettre que l’art peut parler en-dehors du cadre culturel. Il porte en lui comme une valeur universelle et peut parler du sacré à tous et dans des modalités différentes. L’art entraîne les hommes dans un autre rapport à leur temps : il y a de l’éternité dans un instant donné où il nous semble saisir qui est Dieu pour nous et tout prend une autre dimension. De cette part de subjectivité dans la création d’un artiste, il y a aussi l’ouverture d’une communion possible, partage d’une vision où Dieu se dit.
Ne pas nous laisser « inerte » (IN-ARS) dans notre foi, telle serait l’une des hautes fonctions de l’art. Il nous obligerait à être toujours en mouvement, à la fois dans le connu et dans la perpétuelle redécouverte de ce que Dieu est pour nous et pour notre humanité. Il ouvrirait cette brèche en tout artiste et en tout homme où Dieu souffle en créateur, laissant la liberté de nouvelles créations pour mieux le célébrer.

EXISTE-T-IL UN ART SACRÉ ? (LOÏC BUTHAUD)
La distinction entre « art sacré » et « art profane » semble aller de soi ; non seulement parce qu’elle est habituelle dans le domaine de l’histoire de l’art, mais aussi parce qu’elle rend compte à partir de critères objectifs d’une possibilité de classer les œuvres d’art en deux catégories. A première vue du moins, puisqu’il n’est pas si facile de déterminer les critères justifiant qu’une œuvre relève de  » l’art sacré « .
En effet, est-ce parce que le sujet lui-même est sacré que l’œuvre peut être ainsi désignée ? Sans doute pas. L’art est d’abord considéré comme sacré si sa destination est un lieu sacré, si elle prend place dans un espace public reconnu comme sacré, c’est-à-dire ayant une valeur symbolique qui le distingue de l’espace profane, séculier, destiné au temps quotidien du travail ou de la vie privée, dans lequel l’art profane sert l’agrément ou le divertissement.
Ainsi les bestiaires improbables des façades médiévales sont sacrés non dans la mesure où ils favoriseraient une quelconque élévation spirituelle ou serviraient à la sanctification des âmes. Ils prennent place parmi les formes artistiques sacrées, qui tiennent lieu de décor d’un univers surnaturel présent au cœur des cités religieuses. Leur citoyen grimpe au Parthénon, se recueille dans les panthéons de la République, traverse les parvis des cathédrales, se prosterne au cœur du temple, craint le masque monstrueux, s’abaisse au pied d’une Vénus en Bronze, d’un Bouddha d’albâtre, d’un poilu revanchard.
Que cet espace soit consacré par le religieux ou le politique, l’art est sacré dans le double sens où il est présent dans l’espace sacré, et où il constitue cet espace.
Mais c’est en ce sens aussi où l’art n’est pas lui-même sacré mais sert le sacré -et donc s’en distingue. Dans l’espace sacré, la forme esthétique n’est que le moyen profane, trop humain (et c’est ainsi qu’elle fascine par-delà ceux auxquels elle est destinée) d’une finalité qui la transcende. C’est en revanche à partir du moment où l’art s’est libéré des tutelles instituées qu’il a pu revendiquer une dignité supérieure ; non pour ouvrir à un mystère qui le dépasse, mais pour être lui-même mystère. Comme producteur de formes esthétiques au service d’un prestige ou d’une gloire supérieurs au commun des mortels, l’art gagnait certes quelque éclat de ce prestige ou de cette gloire ; il n’en était pas moins qu’un mode supérieur de l’artisanat, c’est-à-dire un producteur de formes dans la matière utiles à d’autres.
L’artisanat s’éteignant au profit de l’industrie, dont la production anonyme, impersonnelle, collective, standardisée ne pouvait plus constituer une œuvre, (c’est-à-dire un objet signe du talent, du savoir-faire d’un producteur), la société laïque se substituant à la société religieuse, l’art a paradoxalement conquis son autonomie, il a pu être lui-même sa propre finalité. Ainsi Van Gogh, dans une lettre à son frère Théo, écrivait : « Je peux bien, dans ma vie comme dans ma peinture, me passer du Bon Dieu ; mais je ne peux pas, moi souffrant, me passer de quelque chose qui est plus grand que moi, et qui est ma vie : ma puissance de créer. » L’artiste peut être ainsi reconnu créateur, auteur, génie, attributs ô combien divins – et sacrés.
Qu’il représente une paire de souliers crottés, l’humanité du Christ, l’origine du monde dans la vulve d’une femme, la Trinité glorieuse, une abstraction insondable, l’art de l’artiste est sacré, parce qu’il est le signe de sa faculté spirituelle créatrice de formes à nulle autre pareille. Plus encore, si la forme esthétique nous touche par-delà nos intérêts biologiques ou sociaux, – faut-il encore que nous ne nous en contentions pas ! -, nous élevant au-dessus de la bête et du mondain, l’art est sacré parce qu’il consacre la part glorieuse et secrète de notre humanité.

EXISTE-T-IL UN ART SACRÉ ? (JEAN-YVES MEUNIER)
La difficulté principale ne se situe-t-elle pas dans ce à quoi renvoie l’adjectif « sacré » ? Première hypothèse : s’il se relie directement à « art », ou bien nous parlons d’une forme artistique qui a connu un plein épanouissement durant la période médiévale ou bien nous affectons à l’activité artistique une dimension toute spéciale qu’il nous faudra définir. Seconde hypothèse : « sacré » détermine non pas une technique ou un savoir-faire propre à l’être humain mais l’accès au divin, à l’absolu, à la transcendance. En quelque sorte un art vers le sacré. Ce décalage de sens ne permet-il pas de mieux envisager l’art en tant que tel et d’offrir une passerelle enrichissante entre le profane et le sacré ?
Un sacré art
L’art sacré est si historiquement liée au Moyen-âge qu’une identité s’est opérée entre art sacré et art médiéval. Il est vrai que l’aspect religieux était fort prégnant dans toute la société médiévale. Tout comme la philosophie se transformait en théologie, les arts se consacraient pleinement au domaine chrétien (dans une perspective occidentale bien entendu). Les « grands travaux » de l’époque qu’étaient les cathédrales entraînaient de multiples artistes vers un but commun et transversal : représenter la sphère divine sur terre d’une part et d’autre part être au service du religieux à travers notamment la liturgie. Cela explique la multiplicité des représentations artistiques : si l’autel par exemple est une évocation spirituelle de la présence divine, véritable symbole en puissance au sein d’une église, il n’en reste pas moins un instrument pratique au service du célébrant. L’aspect fonctionnel ne peut donc pas être déconnecté de l’aspect purement artistique. Des contraintes existent imposant une certaine forme voire des dimensions particulières à l’objet artistique. Un autre aspect à ne pas négliger est à retrouver autour de la représentation sociale et publique : c’est toute une communauté, toute une ville, toute une société qui, à travers ces œuvres artistiques, sont mises en avant. Parfois, c’est surtout le mécène ou le commanditaire qui est mis en avant.
« Sacré » se dit aussi des choses qu’on ne doit pas violer, enfreindre voire même toucher : la profanation étant l’acte de faire entrer du profane dans le sacré, cela constitue le blasphème par excellence. Nous pouvons alors nous interroger sur l’impact d’une telle vision (« sacraliser ») concernant l’art sacré. Ce dernier devient par là-même l’art suprême, l’archétype de tous les autres arts. Et nous avons tôt fait de le rendre intouchable. La sclérose n’est pas loin : la méthode artistique, pourtant reliée à une époque, est figée, les modèles et représentations ne se renouvèlent pas. La Tradition est identifiée à l’art sacré au détriment de toute vision alternative et contemporaine. Les artistes se contentent de reproduire au lieu de réinventer. Ainsi, parler d’ « art sacré » c’est prendre le risque de trop respecter les œuvres artistiques qui en découlent. C’est confondre le flacon avec le parfum.

MUSIQUE ET CHANT

25 juin, 2013

http://chantgregorien.voila.net/page1/index.html

MUSIQUE ET CHANT

La musique est l’art de combiner des sons qui se propagent dans l’air par des mouvements ondulatoires. Le son devient musical lorsque les vibrations rapides se succèdent très régulièrement à des intervalles de temps parfaitement égaux. A l’inverse, des ébranlements irréguliers de l’air ne produisent que du bruit.
A la base de toute musique et quelle que soit la civilisation, on retrouve deux caractéristiques : le mouvement rythmique et la progression par intervalles déterminés. Seul, ce dernier élément est propre à la musique, qui procède par intervalles musicaux.
La musique est rythme. Aucune vie ne peut se concevoir sans lui. Dans la nature, tout a un rythme. Il est un élément indispensable à la vie et particulièrement à la vie physiologique. II est présent dans la marche, la respiration, les battements du cœur, etc.
Chez tous les peuples, tant anciens que modernes, la musique vocale a précédé les sons harmonieux des instruments, qui ne servirent d’abord qu’à soutenir et à développer les impulsions (les accentuations) de la voix humaine. De tous les sons, ceux qui vont directement à l’âme sont ceux de la voix humaine.
Le chant est le propre de l’homme. Il correspond à l’expression d’un besoin qui se manifeste dès la plus tendre enfance. Les enfants chantent avant de savoir parler. C’est donc un acte naturel.
Chanter c’est aussi émettre des sons avec tout son corps. Celui-ci est le premier à être touché par cette vibration sonore : la colonne vertébrale, les viscères et même la peau qui bénéficie des stimulations acoustiques. Dans le cas d’un son très fort, nous sentons l’ébranlement de l’air par la peau. Les sourds-muets n’entendent pas, mais perçoivent le son par les nerfs de la peau, par une sensation particulière de bruissement. Ils perçoivent les mouvements de l’air que nous appelons « les sons ».
Chanter stimule le cerveau. En fait, grâce au système nerveux, on chante avec tout son corps. Parmi les nombreuses stimulations nécessaires au cerveau, l’énergie sonore tient une place très importante. Le chant est source d’énergie. C’est l’un des moyens les plus efficaces pour dynamiser le système nerveux. Par ailleurs, le chant permet d’extérioriser des sentiments souvent refoulés. II provoque des émotions, des sensations que le langage verbal est impuissant à exprimer.
C’est pourquoi, il est recommandé aux enseignants des écoles maternelles et primaires de chanter devant leurs élèves et de leur apprendre les comptines et les chansons folkloriques. Ils préparent ainsi le corps de l’enfant à être un instrument d’apprentissage, de mémoire, d’expression et de communication.
Malheureusement peu d’enseignants savent bien chanter. Leur voix est souvent mal placée, rauque et aggravée, c’est-à-dire altérée, sans timbre, sans harmoniques élevées. Une telle voix, au lieu de dynamiser les élèves, les endort et les démotive.
Des chercheurs ont constaté que seules certaines musiques ont la faculté de préparer le corps à devenir l’instrument du langage. La musique de Mozart assure l’éveil, la créativité, la recharge corticale, la motivation. II en va de même de la musique grégorienne au rythme apaisant.
Extraits de: « Découvrez le chant grégorien » édité par la Schola Saint-Grégoire, ainsi que de nombreuses pages de ce site, publiées avec son accord par l’Association de Catholiques du Val d’Oise (http://cathos_val_d_oise.site.voila.fr).

MUSIQUE SACRÉE ET ÉVANGÉLISATION, MESSAGE DU PAPE BENOIT XVI (2012)

25 juin, 2013

http://www.narthex.fr/patrimoines/patrimoine-musical/musique-sacree-et-evangelisation-message-du-pape-benoit-xvi

MUSIQUE SACRÉE ET ÉVANGÉLISATION, MESSAGE DU PAPE BENOIT XVI

Publié le : 27 Novembre 2012

Message du Saint-Père aux membres de l’association musicale italienne Santa Cecilia, réunis pour un congrès à Rome. Cité du Vatican, 10 novembre 2012

« La musique sacrée peut favoriser la foi et contribuer à la nouvelle évangélisation », a dit le Pape aux membres de l’association musicale italienne Santa Cecilia, réunis pour un congrès à Rome. Leur rappelant que cette rencontre coïncidait avec le 50 anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II et l’Année de la Foi, Benoît XVI a consacré une grande partie de son discours aux enseignements de la constitution conciliaire sur la liturgie, notamment à ceux concernant la musique sacrée: « A propos de la foi, on pense spontanément à la vie de saint Augustin…dont la conversion est certainement due en grande partie à l’écoute du chant des psaumes et des hymnes dans les liturgies présidées par saint Ambroise. Si, en effet, la foi naît toujours de l’écoute de la parole de Dieu, d’une écoute des sens qui passe aussi par l’esprit et le cœur, il ne fait aucun doute que la musique et surtout le chant donnent à la lecture des psaumes et des cantiques bibliques une plus grande force communicative. Parmi les charismes de saint Ambroise, on trouvait justement une sensibilité et une capacité musicale prononcées, don que celui-ci, une fois ordonné évêque de Milan, mit au service de la foi et de l’évangélisation ».
<Benoît XVI a ensuite souligné que la constitution Sacrosantum Concilium, dans le droit fil de la tradition de l’Eglise, enseigne que le chant sacré lié aux paroles fait partie nécessaire ou intégrante de la liturgie solennelle. Pourquoi nécessaire et intégrante ? Certainement pas pour des raisons esthétiques mais parce qu’il contribue à nourrir et exprimer la foi, et donc à la gloire de Dieu et à la sanctification des fidèles qui sont l’objectif de la musique sacrée. C’est justement pour cela que je voudrais vous remercier pour le précieux service que vous rendez : la musique que vous exécutez n’est pas un accessoire ou un embellissement de la liturgie mais elle est la liturgie même ». Evoquant la relation entre le chant sacré et la nouvelle évangélisation, le Pape a ajouté que la constitution conciliaire sur la liturgie rappelle « l’importance de la musique sacrée dans la mission ad gentes et encourage à valoriser les traditions musicales des peuples. Mais dans les pays d’ancienne évangélisation comme l’Italie, la musique sacrée peut aussi avoir et a, de fait, un rôle important pour favoriser la redécouverte de Dieu, une nouvelle approche du message chrétien et des mystères de la foi ».
Puis le Saint-Père a rappelé à ce sujet le cas du poète Paul Claudel qui se convertit en écoutant le Magnificat au cours des vêpres de Noël à Notre Dame de Paris. « Mais sans recourir à des personnes célèbres, pensons à toutes ces personnes qui ont été touchées au plus profond de leur âme en écoutant de la musique sacrée, et encore plus à ceux qui se sont sentis attirés de nouveau vers Dieu par la beauté de la musique liturgique… Efforcez-vous d’améliorer la qualité du chant liturgique sans avoir peur de reprendre et valoriser la grande tradition musicale de l’Eglise qui trouve dans le grégorien et la polyphonie ses deux expressions les plus hautes… La participation active de tout le peuple de Dieu à la liturgie ne consiste pas seulement à parler, mais aussi à écouter, à accueillir par les sens et avec l’esprit la Parole et cela vaut aussi pour la musique liturgique ».

 Vatican Information Service 2012

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