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SYMBOLE DU HUIT

1 juillet, 2015

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SYMBOLE DU HUIT

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Auteur : Yeshaya Dalsace

Parasha Shemini – « Quand on fut au huitième jour, Moïse manda Aaron et ses fils, et les anciens d’Israël… » Le Hatam Sofer explique que ce jour-là le messie devait venir. Ce jour-là, le monde aurait dû revenir à sa pureté originelle, se réconcilier avec l’absolu. Mais ce jour-là, la grande réconciliation n’a pas eu lieu à cause d’une question d’orgueil chez les fils d’Aaron qui furent punis pour cela. Notre Parasha qui s’appelle « huitième » comporte donc l’idée de l’accomplissement messianique. En effet, le chiffre huit comporte un symbole fort dans la pensée juive. Le chiffre sept représente l’ordre naturel, alors que le chiffre huit représente un dépassement de l’ordre naturel. L’ordre naturel pour le judaïsme n’est pas un équilibre complet car le monde n’est pas absolument parfait. Le monde est perfectible, il est en devenir. Le septième jour, Dieu arrête la création, il laisse place à l’homme. En contrepartie, chaque semaine, l’homme laisse une place à Dieu en respectant le shabbat. Mais le shabbat est également porteur d’espérance, celle de déboucher sur une totale réconciliation et une totale harmonie entre l’homme, la création et Dieu. Si cela était le cas, au lieu de recommencer la semaine par le premier jour (le Dimanche), on entrerait dans le huitième jour. Mais les semaines n’ont que sept jours… De façon universelle, le chiffre huit symbolise l’équilibre cosmique. Il est employé comme symbole d’équilibre dans beaucoup de traditions ésotériques, de l’Asie à l’Afrique (notamment chez les Dogons), à l’Amérique (Incas) en passant par la vieille Europe.

http://www.massorti.com/local/cache-vignettes/L315xH315/octogone-1-afdc9.jpg En géométrie, l’octogone représente l’intermédiaire entre le carré et le cercle. Il symbolise donc la médiation entre le ciel et la terre. Il a été largement utilisé par l’architecture et représente une forme géométrique décorative assez courante, notamment en islam. En mathématiques, le huit symbolise l’infini. Dans notre écriture des chiffres, il représente un enlacement. C’est au huitième jour qu’on pratique la circoncision qui symbolise la capacité de l’être humain à dépasser sa nature limitée en entrant dans l’Alliance. Shmini Atseret, huitième jour et fête de clôture de Soukot représente la fête messianique et l’accomplissement de tout le cycle liturgique du judaïsme. C’est également la fête de la joie de la Tora, le retour infini à la lecture et à l’étude. Hanouka, fête de la lumière infinie qui dure huit jours, symbolise la capacité de renaissance et de résurrection du peuple juif sur le plan spirituel. C’est également au huitième jour, après sept jours de séparation volontaire (sheva nekiim), que le couple juif s’unit à nouveau. La sexualité dans le judaïsme est non seulement porteuse d’un engendrement messianique, mais également symbole de la réconciliation et de l’union des contraires. Elle est susceptible de porter au plus haut degré de spiritualité. C’est pourquoi, un être humain ne saurait être accompli sans sexualité d’après les rabbins. Le H’et, huitième lettre de l’alphabet hébraïque, qui a donc pour valeur numérique le chiffre huit, symbolise la vie et s’écrit comme le mot « vivant » (חית). Mais il signifie également « faute » חטא. Cela peut sembler surprenant, car la faute représente une barrière, un obstacle (ce qui est également une des significations du mot H’et en hébreu). Nos sages pensent cependant que celui qui arrive à surmonter l’obstacle de la faute, parvient au plus haut des niveaux. En effet, celui qui a fait Teshouva, a réussi à dépasser l’ordre de la nature (du sept) et parvient à créer un ordre harmonieux et réconciliateur, celui du huit. C’est donc bien le chiffre de la messianité par excellence. D’ailleurs, huit en hébreu se dit « shmoné » dont la racine est שמן qui veut dire « huile », l’huile qui sert entre autres à allumer la Hanoukia, mais surtout à oindre le Messie… JPEG Ce n’est donc pas par hasard que notre Parasha porte le nom « huit ». Elle décrit comment au huitième jour la présence divine, la Shekhina, devait prendre possession du Mishkan tout juste construit. Créant ainsi une union entre le ciel et la terre et une réconciliation messianique entre l’homme et Dieu. Bien entendu ce fut un échec, car pour le judaïsme, le messianisme est par nature une histoire d’échec, mais jamais un désespoir, car se plaçant dans une attente constamment recommencée. Aaron le comprend, il est donc logique qu’Aaron se taise…

Rabbin Yeshaya Dalsace

 

AUDIENCE GÉNÉRALE DE JEAN-PAUL II – SOLENNITÉ DE LA SAINT-JOSEPH, EPOUX DE MARIE

18 mars, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/audiences/2003/documents/hf_jp-ii_aud_20030319.html

AUDIENCE GÉNÉRALE DE JEAN-PAUL II

Mercredi 19 mars 2003

SOLENNITÉ DE LA SAINT-JOSEPH, EPOUX DE MARIE

Saint Joseph, patron universel de l’Eglise

1. Nous célébrons aujourd’hui la solennité de la Saint-Joseph, Epoux de Marie (Mt 1, 24; Lc 1, 27). La liturgie nous l’indique comme le « père » de Jésus (Lc 2, 27.33.41.43.48), prêt à réaliser les desseins divins, même lorsque ceux-ci échappent à la compréhension humaine. A travers lui, « fils de David » (Mt 1, 20; Lc 1, 27), les Ecritures se sont accomplies et le Verbe Eternel s’est fait homme, par l’oeuvre de l’Esprit Saint, dans le sein de la Vierge Marie. Saint Joseph est défini dans l’Evangile comme un « homme juste » (Mt 1, 19), et il est pour tous les croyants un modèle de vie dans la foi.
2. Le mot « juste » évoque sa rectitude morale, son attachement sincère à la pratique de la loi et l’attitude de totale ouverture à la volonté du Père céleste. Même dans les moments difficiles et parfois dramatiques, l’humble charpentier de Nazareth ne s’arroge jamais le droit de mettre en discussion le projet de Dieu. Il attend l’appel d’En-Haut et, en silence, il respecte le mystère, se laissant guider par le Seigneur. Une fois sa tâche reçue, il l’exécute avec une responsabilité docile: il écoute l’ange avec attention lorsqu’il s’agit de prendre la Vierge de Nazareth comme épouse (cf. Mt 1, 18-25), lors de la fuite en Egypte (cf. Mt 2, 13-15) et du retour en Israël (cf. Ibid. 2, 19-23). Les évangélistes le décrivent en quelques lignes, mais de façon significative, comme le gardien plein de sollicitude de Jésus, époux attentif et fidèle, qui exerce l’autorité familiale dans une attitude constante de service. Les Ecritures Saintes ne nous racontent rien d’autre à son propos, mais dans ce silence est contenu le style même de sa mission: une existence vécue dans la grisaille de la vie quotidienne, mais avec une foi assurée dans la Providence.
3. Chaque jour, saint Joseph dut subvenir aux besoins de sa famille par le dur travail manuel. C’est pourquoi l’Eglise l’indique à juste titre comme le patron des travailleurs.
La solennité d’aujourd’hui constitue donc une occasion propice pour réfléchir également sur l’importance du travail dans l’existence de l’homme, dans la famille et dans la communauté.
L’homme est le sujet et le protagoniste du travail et, à la lumière de cette vérité, on peut bien percevoir le lien fondamental existant entre personne, travail et société. L’activité humaine – rappelle le Concile Vatican II – dérive de l’homme et a l’homme pour objectif. Selon le dessein et la volonté de Dieu, elle doit servir au bien véritable de l’humanité et permettre « à l’homme en tant qu’individu ou membre de la société de cultiver et de réaliser sa vocation intégrale » (Gaudium et spes; n. 35).
Pour mener à bien cette tâche, il est nécessaire de cultiver une « spiritualité éprouvée du travail humain » ancrée, par de solides racines, à l’ »Evangile du travail » et les croyants sont appelés à proclamer et à témoigner la signification chrétienne du travail dans leurs diverses activités professionnelles (cf. Laborem exercens, n. 26).
4. Que saint Joseph, un saint si grand et si humble, soit un exemple auquel les travailleurs chrétiens s’inspirent, en l’invoquant en toute circonstance. Je voudrais aujourd’hui confier au sage gardien de la sainte Famille de Nazareth les jeunes qui se préparent à leur future profession, les chômeurs et ceux qui souffrent du fait des difficultés liées à la crise du chômage, les familles et le monde du travail tout entier avec les attentes et les défis, les problèmes et les perspectives qui le caractérisent.
Que saint Joseph, patron universel de l’Eglise, veille sur toute la communauté ecclésiale et, en tant qu’homme de paix qu’il était, obtienne pour toute l’humanité, en particulier pour les peuples menacées en ces heures par la guerre, le précieux don de la concorde et de la paix.

APPELÉS À LA LIBERTÉ

7 janvier, 2015

http://www.lueur.org/textes/appeles-liberte.html

APPELÉS À LA LIBERTÉ

AUTEUR : DR. HUBERT GOUDINEAU

La liberté : y a-t-il sujet plus important et plus vital aux yeux de l’homme moderne ? Liberté, c’est le premier mot de la devise républicaine de notre pays : « Liberté, égalité, fraternité ». Et l’article premier de ce texte si capital pour la modernité, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne déclare-t-il pas que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ? Et pourtant …
Tout être humain lucide est conscient que l’expérience concrète contredit (au moins en partie) ces belles affirmations. On connaît le mot de Jean-Jacques Rousseau : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers. » Dans un tout autre style, la chanteuse Patricia Kaas (dans une chanson intitulée justement « La liberté ») dit également la difficulté d’être libre : « La liberté / C’est pas la porte à côté / La liberté / C’est le bout du monde ».
Faut-il donc appeler Dieu à la rescousse ? N’oublions pas que la construction de notre modernité occidentale s’est faite dans une prise de distance toujours plus grande avec la « chose » religieuse. Bien des penseurs du siècle des Lumières et des siècles suivants voyaient dans l’émancipation de l’être humain vis-à-vis de Dieu et de la société religieuse de leur époque une des conditions indispensables de la liberté humaine. Et s’il faut constater, en cette fin de millénaire, que cette émancipation n’a pas produit l’effet désiré (en tout cas sur un plan individuel), Dieu et la liberté n’en continuent pas moins d’apparaître la plupart du temps, dans notre culture, comme des concepts largement opposés.

Le Dieu libérateur
Y a-t-il donc un chemin vers la liberté ? Il vaut la peine de se mettre à l’écoute de ce superbe texte que constitue le chapitre 5 de l’épître aux Galates dans lequel l’apôtre Paul (Ga 5), après avoir magistralement défendu dans les précédents chapitres la gratuité du salut, se livre à une profonde réflexion sur la condition humaine et la liberté chrétienne. « C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés » affirme-t-il dès le premier verset (Ga 5.1). Paul se fait l’écho d’une vérité fondamentale qui traverse toute la Bible le Dieu de la révélation biblique est le Dieu libérateur. A un peuple esclave et sans avenir, il ouvre la mer des Joncs et avec elle un avenir inespéré. Israël passe de l’esclavage d’Egypte au service du Dieu qui rend libre. Le don de la Loi (chemin de vie) se situe dans ce contexte ; ainsi les dix Commandements sont-ils introduits par le rappel de cette importante vérité : « C’est moi le SEIGNEUR ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves » (Ex 20.2). Mais l’ancien pharisien juif qu’était Paul, par sa rencontre du Seigneur Jésus, a mesuré tout ce que la nouvelle alliance (le régime nouveau de l’Esprit) apportait en plus en matière de libération par rapport à l’ancienne.
Dans cette réflexion, il convient d’être attentif, me semble-t-il, à la double vérité qui est énoncée :
1 – la réalité objective de cette libération opérée par la mort et la résurrection du Christ : c’est un fait accompli, la chose a été réalisée et elle nous concerne dans la mesure où nous sommes unis à Lui. Il nous a libérés du joug de la loi en portant sur lui le poids de nos fautes, et de la tyrannie de la chair en la réduisant à l’impuissance (Rm 6.6). Comme pour Luther, une telle vérité doit susciter en nous la joie et l’émerveillement : « Nul ne peut définir par la parole ni concevoir par sa pensée la grandeur d’un tel don : à la place de la loi, du péché, de la mort et d’un Dieu irrité, posséder la rémission des péchés, la justice, la vie éternelle et un Dieu propice et favorable ! » (Commentaire de l’épître aux Galates).
2 – cette réalité objective doit devenir une réalité subjective, c’est-à-dire être reçue dans la foi, intégrée intérieurement et avoir des répercussions visibles dans notre vie quotidienne. En d’autres termes, Paul nous dit : votre vocation de chrétiens c’est d’expérimenter dans le concret de votre vie la libération acquise par Jésus-Christ.

Le joug de la loi
C’est pourquoi, Paul poursuit par cette exhortation qui est un appel à la vigilance : « tenez bon et ne vous laissez pas de nouveau réduire en esclavage »… car deux puissants tyrans ne demandent qu’à nous plonger dans la servitude la plus profonde : la « loi » et la « chair ». Et Paul de décrire dans la suite de ce chapitre leurs actions funestes respectives. Il commence par la loi (Ga 5.2-12), ce tyran « extérieur » pourrait-on dire. A des chrétiens galates séduits par le discours de judaïsants les invitant à pratiquer les préceptes de la loi de Moïse, notamment la circoncision (condition selon eux pour plaire à Dieu et être sauvé), Paul rappelle avec vigueur qu’il n’y a qu’un Evangile véritable, celui de la libération de la condamnation divine par l’oeuvre de Jésus-Christ, celui de la justification de l’homme devant Dieu « par la foi en Christ, et non par les oeuvres de la loi » (Ga 2.16). Je suis déclaré par Dieu acquitté et juste non pas à cause de mes actes, mais à cause du seul Juste, Jésus, en qui je place ma confiance : il prend mon péché et me donne sa justice. Admirable échange, merveilleuse nouvelle !
Mais quel est le chrétien qui n’a jamais cédé aux sirènes de l’autojustification, de la justice par les couvres ? Ce mécanisme de la justification par nos actes est inscrit en chacun de nous (d’une manière plus ou moins profonde), parce qu’il régit profondément le fonctionnement de notre société (et comment pourrait-t-il en être autrement ?) : je suis considéré par ma famille, par mes professeurs, par mes collègues de travail, par mes voisins, etc. dans la mesure où mon comportement correspond à leurs attentes et à leurs valeurs morales. Je me sens donc aimé et apprécié dans la mesure où je fais ceci et cela.
C’est donc tout naturellement (et de manière en bonne partie inconsciente) que nous projetons ce type de fonctionnement sur notre relation à Dieu… et nous y voilà sous le joug de la loi (en tant que système de justification) ! Vigilance, nous dit l’apôtre.

L’esclavage de la chair
La « chair » : ce mot a plusieurs sens possibles dans la Bible. Ici, il désigne la réalité humaine marquée par le péché, portée vers le mal.
D’autant plus, qu’un tyran peut en cacher un autre, cette fois tout « intérieur » : la « chair ». D’où la deuxième exhortation paulinienne « Oui, mes frères, vous avez été appelés à la liberté. Seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vous laisser aller aux tendances de votre nature pécheresse (littéralement : « la chair ») » (Ga 5.13). Y a-t-il plus puissant oppresseur que celui-là ?! Il habite en chacun d’entre nous et constamment nous pousse au mal. Ses oeuvres (Paul en cite un certain nombre), suscitées par des désirs purement égoïstes, sont ténébreuses et engendrent des ruptures de relation, avec notre Créateur et avec nos frères d’humanité. La chair, c’est le venin du « serpent ancien » (Ap 12.9) qui coule dans nos veines. Ô malheureux homme que je suis, qui me délivrera… ?
L’Esprit libérateur
La réponse paulinienne ne se fait pas attendre : s’il est vrai que l’Esprit est la source de notre vie (nouvelle), alors laissons-le vraiment diriger notre conduite (Ga 5.25), dit-il en substance. Car c’est Lui (et Lui seul) qui peut rendre effective, dans le concret de notre existence, la libération opérée par Jésus-Christ. Face à ces deux grands tyrans invincibles par nos seules forces humaines, l’apôtre invoque l’action puissante et libératrice de Celui qui est Dieu en tant qu’oeuvrant et répandant la vie nouvelle en nous.
Face à la loi en tant que système de justification par les couvres qui engendre la culpabilité et la paralysie, la voix tout intérieure de l’Esprit nous dit et nous redit que nous sommes les enfants bien-aimés du Père, adoptés et accueillis tels que nous sommes : « Fils, vous l’êtes bien : Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie Abba – Père ! » (Ga 4.6). N’oublions cependant pas que l’Esprit couvre avec la Parole de Dieu que nous sommes appelés à toujours méditer. Face à la puissance de la chair, il nous faut faire appel à la puissance supérieure de l’Esprit : « Je vous dis donc ceci : laissez le Saint-Esprit diriger votre vie et vous n’accomplirez pas les désirs de votre nature pécheresse » (Ga 5.16). Il s’agit pour nous d’abord de savoir et de croire à la réalité de cette oeuvre de l’Esprit, qui produit ce bon fruit décrit par Paul (Ga 5.22-23). Il s’agit ensuite de véritablement compter sur elle et de s’y disposer en usant des moyens de grâce que Dieu nous a donnés : la prière (voire le jeûne), la méditation de la Bible, l’Eglise. Avec la force que nous donnera l’Esprit, nous pourrons résister aux désirs illégitimes de la chair et marcher en nouveauté de vie.
Notre vocation chrétienne, c’est la liberté. Nous sommes appelés à constamment progresser sur ce chemin de liberté. Vivre libre, c’est donc être vainqueur par l’Esprit de ces deux tyrans que sont la loi et la chair. Vivre libre, c’est savoir au plus profond de nous-mêmes que nous sommes aimés de Dieu, et c’est choisir librement et joyeusement de se mettre au service les uns des autres.

DIGNITÉ ET MISSION DES PERSONNES ÂGÉES DANS L’EGLISE ET DANS LE MONDE

9 octobre, 2014

http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/laity/documents/rc_pc_laity_doc_05021999_older-people_fr.html

PONTIFICIUM CONSILIUM PRO LAICIS
Documents

DIGNITÉ ET MISSION DES PERSONNES ÂGÉES DANS L’EGLISE ET DANS LE MONDE

INTRODUCTION

Les conquêtes de la science et les progrès de la médecine qui s’ensuivent ont contribué de manière décisive, ces dernières décennies, à prolonger la durée moyenne de la vie. L’expression « troisième âge » embrasse désormais une couche considérable de la population mondiale : des personnes qui sortent des circuits de production, disposant encore de grandes ressources et de grandes capacités de participation au bien commun. A cette foule de « young old » (« vieux jeunes », comme les démographes qualifient ces nouvelles catégories de la vieillesse, situant leur fourchette d’âge entre 65 et 75 ans) s’ajoute celle des « oldest old » (« les plus vieux des vieux », qui dépassent les 75 ans), un quatrième âge dont les rangs sont destinés à grossir de plus en plus. (1)
L’allongement de la durée moyenne de la vie, d’un côté, et la chute parfois dramatique de la natalité, (2) de l’autre, ont engendré une transition démographique sans précédent, qui inverse littéralement la pyramide des âges telle qu’elle se présentait il n’y a pas plus de cinquante ans : le nombre des personnes âgées connaît une croissance constante, tandis que celui des jeunes est en chute libre. Amorcé au cours des années 60 dans les pays de l’hémisphère nord, ce phénomène touche aussi actuellement ceux de l’hémisphère sud dans lesquels le processus de vieillissement est encore plus rapide.
Cette sorte de « révolution silencieuse », qui va bien au-delà des données démographiques, pose des problèmes d’ordre social, économique, culturel, psychologique et spirituel dont la portée fait l’objet, depuis déjà un certain temps, d’une attention soutenue de la part de la communauté internationale. Dès 1982 – au cours de l’Assemblée mondiale sur les problèmes du vieillissement de la population, convoquée par les Nations Unies à Vienne (Autriche), du 26 juillet au 6 août – un Plan international d’action avait été élaboré. Il demeure aujourd’hui encore un point de référence au niveau mondial. D’autres études avaient ensuite conduit à la définition de dix-huit Principes des Nations Unies pour les personnes âgées (regroupés en cinq chapitres: indépendance, participation, soins, réalisation personnelle, dignité) (3) et à la décision de consacrer aux personnes âgées une Journée mondiale dont la date fut fixée au 1er octobre de chaque année.
La résolution de l’ONU de proclamer 1999 Année internationale des personnes âgées et le choix même du thème « Vers une société pour tous les âges » confirment cet intérêt. « Une société pour tous les âges – a affirmé le secrétaire général, Kofi Annan, dans son message pour la Journée mondiale des personnes âgées 1998 – est une société qui, loin de réduire les personnes âgées au rang caricatural d’infirmes et de retraités, les considère au contraire comme des agents et bénéficiaires du développement ». Donc une société prenant en compte toutes les générations et s’efforçant de créer des conditions de vie capables de favoriser la réalisation du grand potentiel du troisième âge.
Le Saint-Siège – qui apprécie l’intention de jeter les bases d’une organisation sociale s’inspirant de la solidarité, où chaque génération apporte sa contribution en union avec les autres – désire collaborer à l’Année internationale des personnes âgées en faisant entendre la voix de l’Eglise, aussi bien au niveau de la réflexion que de l’action.
En appelant au respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes âgées et convaincu que celles-ci ont encore beaucoup à donner et peuvent encore beaucoup donner à la vie de la société, il souhaite que la question soit affrontée avec un grand sens de responsabilité par tous : individus, familles, associations, gouvernants et organisations internationales selon les compétences et les devoirs de chacun et en vertu du principe très important de la subsidiarité. En effet, ce n’est qu’ainsi que l’on pourra parvenir à garantir aux personnes âgées des conditions d’une vie toujours plus humaine et à donner de la valeur à leur rôle irremplaçable dans une société connaissant des mutations économiques et culturelles continuelles et rapides. Alors il sera également possible d’adopter des initiatives bien structurées visant à exercer une influence sur les aspects socio-économico-éducatifs destinés à rendre accessibles à tous les citoyens, sans aucune discrimination, les ressources nécessaires pour satisfaire les besoins anciens et nouveaux de ceux qui ont été éloignés des circuits de la vie en société, pour assurer la tutelle effective de leurs droits, pour leur rendre des raisons de croire et d’espérer, de participer activement à la vie de la société et d’y appartenir.
L’attention et l’engagement de l’Eglise aux côtés des personnes âgées ne datent pas d’aujourd’hui. Celles-ci ont compté parmi les destinataires de sa mission et de son attention pastorale à travers les siècles et dans les circonstances les plus variées. La « caritas » chrétienne a pris en compte leurs besoins, suscitant les œuvres les plus diverses au service des personnes âgées, grâce surtout à l’initiative et à la sollicitude de congrégations religieuses et d’organisations laïques. Pour sa part, le magistère ecclésial, loin de considérer la question comme un simple problème d’assistance et de bienfaisance, a toujours rappelé l’importance primordiale de la mise en valeur des personnes de tous âges, rappelant à tous de faire en sorte que la richesse humaine et spirituelle et les réserves d’expérience et de conseil accumulées au cours de vies entières ne soient pas perdues. Pour confirmer cela, s’adressant à quelque huit mille personnes âgées reçues en audience le 23 mars 1984, Jean-Paul II déclarait : « Ne vous laissez pas surprendre par la tentation de la solitude intérieure. Malgré la complexité de vos problèmes [...], les forces qui progressivement s’affaiblissent et malgré les insuffisances des organisations sociales, les retards de la législation officielle, les incompréhensions d’une société égoïste, vous n’êtes pas et vous ne devez pas vous sentir en marge de la vie de l’Eglise, comme des éléments passifs d’un monde en excès de mouvement, mais des sujets actifs d’une période humainement et spirituellement féconde de l’existence humaine. Vous avez encore une mission à accomplir, une contribution à apporter ». (4)
La situation actuelle – inédite par de nombreux aspects – interpelle toutefois l’Eglise à procéder à une révision de la pastorale des troisième et quatrième âges. La recherche de formes et de méthodes nouvelles, correspondant davantage à leurs besoins et à leurs attentes spirituelles, et l’élaboration de parcours pastoraux enracinés dans le terrain de la défense de la vie, de sa signification et de son destin semblent être, en effet, une condition incontournable pour inciter les personnes âgées à apporter leur contribution à la mission de l’Eglise et pour les aider à tirer un bénéfice spirituel particulier de leur participation active à la vie de la communauté ecclésiale.
Tel est, à grands traits, le contexte dans lequel s’insère ce document du Conseil Pontifical pour les Laïcs. Un groupe de travail constitué de représentants de divers dicastères de la Curie romaine et de la Secrétairerie d’Etat a contribué à sa rédaction, ainsi que des responsables de réalités ecclésiales (mouvements, associations, congrégations religieuses) ayant une longue expérience du monde du troisième âge. En le mettant à la disposition des conférences épiscopales, des évêques et des prêtres, des religieuses et des religieux, des mouvements et des associations, des jeunes, des adultes et des personnes âgées elles-mêmes, le Conseil Pontifical pour les Laïcs – désigné pour être le creuset des activités du Saint-Siège pour l’Année internationale des personnes âgées – espère qu’il stimulera la réflexion et les efforts de chacun.

I SENS ET VALEUR DE LA VIEILLESSE
Les attentes d’une longévité vécue dans des conditions de santé meilleures que par le passé, la perspective de pouvoir cultiver des intérêts liés à un degré d’instruction plus élevé des personnes, le fait que la vieillesse n’est plus toujours synonyme de dépendance et qu’elle ne nuit donc pas toujours à la qualité de la vie ne semblent pas suffir à faire accepter cette période de l’existence que bon nombre de nos contemporains considèrent exclusivement comme une fatalité inévitable et pénible.
En effet, l’image la plus répandue aujourd’hui est celle du troisième âge comme phase de déclin où l’insuffisance humaine et sociale est donnée pour acquise. Il s’agit pourtant d’un stéréotype qui ne correspond pas à une condition des faits qui, dans la réalité, est beaucoup plus diversifiée car les personnes âgées ne constituent pas un groupe humain homogène et la vieillesse est vécue de façons fort différentes. Il existe une catégorie de personnes capables de saisir la signification de la vieillesse dans l’existence humaine et qui la vit non seulement avec sérénité et dignité, mais aussi comme une saison de vie offrant de nouvelles occasions de croissance et d’engagement. Et puis il y a une autre catégorie – précisément la plus nombreuse de nos jours – pour laquelle la vieillesse constitue un traumatisme. Il s’agit de personnes qui, face à leur propre vieillissement, adoptent des comportements allant de la résignation passive à la rébellion et au refus désespérés. En se repliant sur elles-mêmes et en se plaçant en marge de la vie, ces personnes enclenchent un processus de dégradation physique et mentale.
Nous pouvons donc affirmer que les visages des troisième et quatrième âges sont aussi nombreux qu’il existe de personnes âgées et que chaque personne prépare la façon de vivre sa vieillesse au cours de l’ensemble de sa vie. En ce sens, la vieillesse croît avec nous et la qualité de notre vieillesse dépendra surtout de notre capacité à saisir son sens et sa valeur, aussi bien sur le plan purement humain que sur celui de la foi. Il faut donc situer la vieillesse dans un dessein précis de Dieu qui est amour, en la vivant comme une étape sur le chemin par lequel le Christ nous conduit à la maison du Père (cf. Jn 14, 2). De fait, ce n’est qu’à la lumière de la foi, forts de l’espérance qui ne déçoit jamais (cf. Rm 5, 5), que nous serons capables de la vivre comme un don et comme un devoir, d’une manière véritablement chrétienne. C’est le secret de la jeunesse de l’esprit que nous pouvons cultiver malgré le passage des années. Linda, une femme qui a vécu 106 ans, a laissé un merveilleux témoignage en ce sens. A l’occasion de son 101ème anniversaire, elle confiait à une amie : « J’ai 101 ans, mais je suis forte, tu sais. Physiquement, j’ai quelques problèmes, mais spirituellement je fais tout, je ne me laisse pas affliger par les choses physiques, je ne les écoute pas. Je ne vis pas la vieillesse parce que je n’écoute pas ma vieillesse : elle va de l’avant toute seule, mais moi je ne lui accorde pas d’importance. Le seul moyen de bien la vivre, c’est de la vivre en Dieu ».
Corriger la représentation négative que l’on se fait actuellement de la vieillesse constitue donc un engagement culturel et éducatif qui doit impliquer toutes les générations. La responsabilité envers les personnes âgées consiste à les aider à saisir le sens de leur âge, en en appréciant les ressources et en rejetant la tentation du refus, de l’autoisolement, de la résignation, du sentiment d’inutilité et du désespoir. Nous avons une responsabilité envers les générations futures : celle de préparer un contexte humain, social et spirituel au sein duquel chaque personne puisse vivre pleinement et dignement cette étape de la vie.
Dans son message adressé à l’Assemblée mondiale sur les problèmes du vieillissement de la population, Jean-Paul II affirmait : « La vie est un don que Dieu fait aux hommes créés par amour à son image et à sa ressemblance. Cette compréhension de la dignité sacrée de la personne humaine conduit à accorder une valeur à toutes les étapes de la vie. C’est une question de cohérence et de justice. En effet, il est impossible d’accorder véritablement une valeur à la vie d’une personne âgée si l’on ne donne pas vraiment sa valeur à la vie d’un enfant dès le moment de sa conception. Personne ne sait où l’on pourrait arriver si la vie n’était plus respectée comme un bien inaliénable et sacré ». (5)
La construction d’une société prenant en compte toutes les générations ne perdurera que si elle est fondée sur le respect de la vie dans toutes ses phases. La présence de tant de personnes âgées dans le monde contemporain est un don, une richesse humaine et spirituelle nouvelle. Un signe des temps qui, s’il est pleinement compris et accueilli, peut aider l’homme d’aujourd’hui à retrouver le sens de la vie qui va bien au-delà des significations contingentes qui lui sont attribuées par le marché, par l’Etat et par la mentalité dominante.
L’expérience que les personnes âgées peuvent apporter au processus d’humanisation de notre société et de notre culture est on ne peut plus précieux et doit être sollicité en mettant en valeur ce que nous pourrions qualifier de charismes propres à la vieillesse :
– La gratuité. La culture dominante mesure la valeur de nos actions avec les paramètres d’une efficacité qui ignore la dimension de la gratuité. La personne âgée, qui vit le temps de la disponibilité, peut attirer l’attention d’une société trop occupée sur l’exigence d’abattre les barrières de l’indifférence qui avilit, décourage et endigue le flux des impulsions altruistes.
– La mémoire. Les générations les plus jeunes sont en train de perdre le sens de l’histoire et, avec lui, celui de leur identité. Une société qui minimise le sens de l’histoire élude la formation des jeunes. Une société qui ignore le passé risque aisément de reproduire ses erreurs. La perte du sens de l’histoire est également imputable à un système de vie qui a éloigné et isolé les personnes âgées, rendant ainsi plus difficile le dialogue entre les générations.
– L’expérience. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où les réponses de la science et de la technique semblent avoir supplanté l’utilité de l’expérience de vie accumulée par les personnes âgées au cours de toute leur existence. Cette sorte de barrière culturelle ne doit pas décourager les personnes des troisième et quatrième âges car elles ont beaucoup de choses à dire aux jeunes générations, beaucoup de choses à partager avec elles.
– L’interdépendance. Personne ne peut vivre seul, mais l’individualisme et la volonté exagérée des personnes de toujours se mettre au premier plan masquent cette vérité. Les personnes âgées, qui recherchent la compagnie des autres, contestent une société au sein de laquelle les plus faibles sont souvent livrés à eux-mêmes. Elles rappellent la nature sociale de l’homme et la nécessité de recoudre le tissu des rapports interpersonnels et sociaux.
– Une vision plus complète de la vie. Notre vie est dominée par la hâte, par l’agitation, et souvent même par la névrose. C’est une vie dispersée, qui oublie les interrogations fondamentales concernant la vocation, la dignité et le destin de l’homme. Le troisième âge est aussi l’âge de la simplicité, de la contemplation. Les valeurs affectives, morales et religieuses vécues par les personnes âgées représentent une ressource indispensable pour l’équilibre de la société, des familles et des personnes. Elles vont du sens de la responsabilité, de l’amitié, de la non-recherche du pouvoir à la prudence de jugement, à la patience et à la sagesse, en passant par l’intériorité, le respect de la création et l’édification de la paix. La personne âgée saisit bien la supériorité de l’« être » sur le « faire » et sur l’« avoir ». Les sociétés humaines seront meilleures si elles savent bénéficier des charismes de la vieillesse.

II LA PERSONNE ÂGÉE DANS LA BIBLE

Il suffit d’ouvrir la Bible pour mieux comprendre le sens et la valeur de la vieillesse. Seule la Parole de Dieu peut nous rendre capables de sonder la plénitude spirituelle, morale et théologique de cette saison de la vie. Pour aider à approfondir la signification des troisième et quatrième âges, nous souhaitons donc proposer ici plusieurs passages bibliques accompagnés d’observations ou de réflexions sur les défis qui se présentent à ceux-ci dans la société contemporaine.

Tu honoreras la personne du vieillard (Lv 19, 32)

L’estime manifestée au vieillard dans les Ecritures se transforme en loi : « Tu te lèveras devant une tête chenue, [...] et tu craindras ton Dieu » (ibid.). Et encore : « Honore ton père et ta mère » (Dt 5, 16). Une exhortation très délicate en faveur des parents, en particulier dans leur grand âge, se trouve également au troisième chapitre du Siracide (vv. 1-16), qui s’achève par une affirmation d’une gravité particulière : « Tel un blasphémateur, celui qui délaisse son père, un maudit du Seigneur, celui qui fait de la peine à sa mère ». Il faut œuvrer pour endiguer la tendance, aujourd’hui répandue, à ignorer les personnes âgées, à les marginaliser et qui « apprend » aux nouvelles générations à les abandonner : jeunes, adultes et personnes âgées ont besoin les uns des autres.

Nos pères nous ont raconté l’œuvre
que tu fis de leurs jours,
aux jours d’autrefois (Ps 43 [44], 2)

Les récits des patriarches sont particulièrement éloquents à cet égard. Lorsque Moïse vit l’expérience du buisson ardent, Dieu se présente à lui en disant: « Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » (Ex 3, 6). Dieu lie son nom aux grands vieillards qui représentent la légitimité et la garantie de la foi d’Israël. Le fils, le jeune homme, rencontre Dieu – nous pourrions même dire « reçoit » Dieu – toujours et seulement à travers ses pères, les vieux. Dans le passage que nous venons de citer, pour chaque patriarche nous retrouvons l’expression « Dieu de … », comme pour signifier que chacun d’eux a fait sa propre expérience de Dieu. Or, cette expérience, qui était le legs des personnes âgées, était également la raison de leur jeunesse intérieure et de leur sérénité devant la mort. De façon paradoxale, en transmettant ce qu’il a reçu, le vieillard dessine le présent : dans un monde qui exalte la jeunesse éternelle, sans mémoire et sans avenir, cet élément donne à réfléchir.

Dans la vieillesse encore
ils portent fruit (Ps 91 [92], 15)

La puissance de Dieu peut se révéler dans la période de sénilité, à un âge marqué par les limites et les difficultés. « Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu » (1 Co 1, 27-29). Le dessein de salut de Dieu se réalise également dans la fragilité de corps qui ne sont plus jeunes, mais faibles, stériles, impuissants. Ainsi, c’est des entrailles stériles de Sarah et du corps centenaire d’Abraham que naît le Peuple élu (cf. Rm 4, 18-20). Plus tard, les entrailles stériles d’Elisabeth et un vieillard croulant sous le poids des ans, Zacharie, donnent naissance à Jean-Baptiste, le précurseur du Christ. Même lorsque sa vie est marquée par la faiblesse, le vieillard a donc des raisons de se considérer comme un instrument de l’histoire du salut : « De longs jours, je veux le rassasier, et je ferai qu’il voie mon salut » (Ps 90 [91], 16), promet le Seigneur.

Et souviens-toi de ton Créateur aux jours
de ton adolescence, avant que viennent
les jours mauvais et qu’arrivent les années
dont tu diras : « Je ne les aime pas » (Qo 12, 1)

Cette approche biblique de la vieillesse frappe surtout par son objectivité désarmante. En outre, comme le rappelle le psalmiste, la vie passe en un rien de temps et elle n’est pas toujours légère et indolore : « Le temps de nos années, quelque soixante-dix ans, quatre-vingts si la vigueur y est; mais leur grand nombre n’est que peine et mécompte, car elles passent vite, et nous nous envolons » (Ps 89 [90], 10). Les paroles du Qohélet – qui décrit longuement, à l’aide d’images symboliques, le déclin physique et la mort – tracent un portrait amer de la vieillesse. L’Ecriture nous met ici en garde contre les illusions que nous pourrions nous faire sur un âge qui réserve des ennuis, des problèmes et des souffrances. Elle nous invite à nous tourner vers Dieu durant toute notre existence car il est le point d’ancrage vers lequel il nous faut toujours nous diriger, mais surtout au moment de la peur que nous procure une vieillesse vécue comme un naufrage.

Abraham expira, il mourut dans une vieillesse heureuse,
âgé et rassasié de jours, et il fut réuni à sa parenté (Gn 25, 8)

Ce passage biblique apparaît d’une grande actualité. Le monde contemporain a oublié la vérité sur le sens et la valeur de la vie humaine, imprimée par Dieu dès le commencement dans la conscience de l’homme et, avec elle, le sens plénier de la vieillesse et de la mort. Aujourd’hui, la mort a perdu son caractère sacré, sa signification d’accomplissement. Elle est devenue taboue et l’on fait tout pour qu’elle passe inaperçue, pour qu’elle ne dérange pas. Son contexte aussi a changé : surtout si l’on est vieux, on meurt de moins en moins chez soi et toujours plus à l’hôpital ou dans une maison de retraite, séparé de sa communauté humaine. Les temps rituels du deuil et de nombreuses formes de piété ont pratiquement disparu, surtout en ville. L’homme d’aujourd’hui, comme anesthésié face aux représentations médiatiques quotidiennes de la mort, fait tout pour éviter de se mesurer à une réalité qui lui provoque des sensations d’égarement, d’angoisse et de peur. Alors, inévitablement, face à sa propre mort, il est souvent seul. Mais, sur la croix, le Fils de Dieu fait homme a renversé la signification de la mort, ouvrant toutes grandes les portes de l’espérance: « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (cf. Jn 11, 25-26). A la lumière de ces mots, la mort – non plus condamnation, ni même conclusion irrationnelle de la vie dans le néant – se révèle être le temps de l’espérance vive et certaine de la rencontre face à face avec le Seigneur.

Fais-nous savoir comment compter nos jours,
que nous venions de cœur à la sagesse (Ps 89 [90], 12)

Un des « charismes de la longévité », selon la Bible, est la sagesse. Mais la sagesse n’est pas une prérogative automatique de l’âge; c’est un don de Dieu que le vieillard doit accueillir et se fixer pour but, afin de parvenir à la sagesse du cœur qui permet de « savoir compter [ses] jours », c’est-à-dire de vivre de façon responsable le temps que la Providence concède à chacun. Le point essentiel de cette sagesse est la découverte du sens le plus profond de la vie humaine et du destin transcendant de la personne en Dieu. Or, si cela est déjà important pour le jeune, il l’est encore plus pour le vieux, appelé à orienter sa vie sans jamais perdre de vue la « seule chose nécessaire » (cf. Lc 10, 42).

En toi, Seigneur, j’ai mon abri,
sur moi pas de honte à jamais (Ps 70 [71], 1)

Ce psaume, qui frappe par sa beauté, n’est qu’une des nombreuses prières de vieillards que l’on rencontre dans la Bible et qui témoignent des sentiments religieux de l’âme devant le Seigneur. La prière est la voie royale de la compréhension de la vie selon l’esprit, propre aux personnes âgées. La prière est un service, c’est un ministère que les personnes âgées peuvent accomplir pour le bien de toute l’Eglise et du monde. Même les vieux les plus malades ou ceux qui sont contraints à l’immobilité peuvent prier. La prière est leur force, la prière est leur vie. A travers la prière, ils participent aux douleurs et aux joies des autres; ils peuvent rompre le cercle de l’isolement, sortir de leur condition d’impuissance. Le discours sur la prière est un discours central qui touche également la façon dont une personne âgée peut devenir contemplative. Un vieil homme ou vieille femme réduit à la dernière extrémité, sur son lit, devient comme une sorte de moine, d’ermite et, par sa prière, peut englober le monde entier. Il semble impossible qu’une personne ayant vécu toute sa vie d’une manière très active puisse devenir contemplative. Et pourtant, il y a des moments de la vie où des ouvertures se produisent au profit de toute la communauté humaine. Or, la prière est l’ouverture par excellence, car « il n’y a pas de renouveau, même social, qui ne parte de la contemplation. La rencontre avec Dieu dans la prière introduit dans les méandres de l’histoire une force [...] qui touche les cœurs, les conduit à la conversion et au renouveau, et par cela elle devient alors une puissante force historique de transformation des structures sociales ». (6)

 

PAPE FRANÇOIS – AUDIENCE GÉNÉRALE (10 septembre 2014)

17 septembre, 2014

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2014/documents/papa-francesco_20140910_udienza-generale.html

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 10 septembre 2014

Chers frères et sœurs, bonjour.

Dans notre itinéraire de catéchèses sur l’Eglise, nous nous arrêtons sur la considération que l’Eglise est mère. La dernière fois, nous avons souligné que l’Eglise nous fait grandir et, avec la lumière et la force de la Parole de Dieu, elle nous indique la route du salut et nous défend du mal. Je voudrais aujourd’hui souligner un aspect particulier de cette question éducative de notre mère l’Eglise, c’est-à-dire la manière dont elle nous enseigne les œuvres de miséricorde.
Un bon éducateur vise à l’essentiel. Il ne se perd pas dans les détails, mais veut transmettre ce qui compte vraiment pour que le fils ou l’élève trouve le sens et la joie de vivre. C’est la vérité. Et l’essentiel, selon l’Evangile, c’est la miséricorde. L’essentiel de l’Evangile est la miséricorde. Dieu a envoyé son Fils, Dieu s’est fait homme pour nous sauver, c’est-à-dire pour nous donner sa miséricorde. Jésus le dit clairement, résumant son enseignement pour les disciples : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36). Peut-il exister un chrétien qui ne soit pas miséricordieux ? Non. Le chrétien doit nécessairement être miséricordieux, car cela est le centre de l’Evangile. Et fidèle à cet enseignement, l’Eglise ne peut que répéter la même chose à ses enfants : « Soyez miséricordieux », comme l’est le Père, et l’a été Jésus. Miséricorde.
Et l’Eglise se comporte alors comme Jésus. Elle ne fait pas de leçons théoriques sur l’amour, sur la miséricorde. Elle ne diffuse pas dans le monde une philosophie, une voie de sagesse… Bien sûr, le christianisme est aussi tout cela, mais comme conséquence, en reflet. Notre mère l’Eglise, comme Jésus, enseigne à travers l’exemple, et les paroles servent à éclairer le sens de ses gestes.
Notre mère l’Eglise nous enseigne à donner à manger et à boire à qui a faim et soif, à vêtir celui qui est nu. Et comment le fait-elle ? Elle le fait à travers l’exemple de nombreux saints et saintes qui ont fait cela de façon exemplaire ; mais elle le fait également à travers l’exemple de très nombreux pères et mères, qui enseignent à leurs enfants que ce que nous avons en trop, doit aller à ceux qui manquent du nécessaire. Il est important de savoir cela. Dans les familles chrétiennes les plus simples, la loi de l’hospitalité a toujours été sacrée : une assiette et un lit pour ceux qui en ont besoin ne manquent jamais. Une fois, une mère me racontait — dans l’autre diocèse — qu’elle voulait enseigner cela à ses enfants et elle leur disait d’aider et de donner à manger à ceux qui ont faim ; elle en avait trois. Et un jour, pendant le déjeuner, — le papa était parti travailler, elle était avec ses trois enfants, petits, de plus ou moins 7, 5 et 4 ans — et on frappe à la porte : il y avait un homme qui demandait à manger. Et la maman lui a dit : « Attends un moment ». Et après être rentrée, elle a dit à ses enfants : « Il y a là un homme qui demande à manger, que faisons-nous ? ». « Nous lui donnons, maman, nous lui donnons ! ». Chacun avait dans son assiette un beefsteak avec des frites. « Très bien — a dit la maman —, prenons la moitié de chacun de vous, et nous lui donnerons la moitié du beefsteak de chacun de vous ». « Ah non, maman, comme ça cela ne va pas ! ». « C’est ainsi, tu dois donner ce qui est à toi ». De cette façon, la maman a enseigné à ses enfants à donner à manger ce qui était à eux. Cela est un bel exemple qui m’a beaucoup aidé. « Mais je n’ai rien en plus… ». « Donne ce qui est à toi ! ». C’est ce que nous enseigne notre mère l’Eglise. Et vous, les nombreuses mamans qui êtes ici, vous savez ce que vous devez faire pour enseigner à vos enfants qu’ils partagent ce qui est à eux avec ceux qui en ont besoin.
Notre mère l’Eglise enseigne à être proche de ceux qui sont malades. Combien de saints et de saintes ont-ils servi Jésus de cette façon ! Et combien d’hommes et de femmes communs, chaque jour, mettent en pratique cette œuvre de miséricorde dans une chambre d’hôpital, ou d’une maison de repos, ou dans leur propre maison, en assistant une personne malade.
Notre mère l’Eglise enseigne à être proche de ceux qui sont en prison. « Mais père non, cela est dangereux, ce sont des personnes mauvaises ». Mais chacun de nous est capable… Ecoutez bien cela: chacun de nous est capable de faire la même chose qu’a fait cet homme ou cette femme qui est en prison. Nous avons tous la capacité de pécher et de faire la même chose, de faire des erreurs dans la vie. Il n’est pas plus mauvais que toi ou moi ! La miséricorde franchit chaque mur, chaque barrière, et te conduit toujours à chercher le visage de l’homme, de la personne. Et c’est la miséricorde qui change le cœur et la vie, qui peut régénérer une personne et lui permettre de s’insérer de manière nouvelle dans la société.
Notre mère l’Eglise enseigne à être proche de celui qui est abandonné et meurt seul. C’est ce qu’a fait la bienheureuse Teresa dans les rues de Calcutta ; c’est ce qu’a fait et font tant de chrétiens qui n’ont pas peur de serrer la main de celui qui va quitter ce monde. Et ici aussi, la miséricorde apporte la paix à celui qui part et à celui qui reste, en nous faisant sentir que Dieu est plus grand que la mort, et qu’en restant en Lui, même la dernière séparation est un « au revoir »… La bienheureuse Teresa avait bien compris cela ! On lui disait : « Mère, vous perdez votre temps ! ». Elle trouvait des personnes mourantes dans la rue, des personnes auxquelles les rats des rues commençaient à dévorer le corps, et elle les conduisait chez elle afin qu’ils meurent dans la propreté, tranquilles, entourés de caresses, en paix. Elle donnait l’« au revoir » à toutes ces personnes… Et tant d’hommes et de femmes comme elle ont fait cela. Et ils les attendent, là [il indique le ciel], à la porte, pour leur ouvrir la porte du Ciel. Aider les personnes à bien mourir, en paix.
Chers frères et sœurs, c’est ainsi que l’Eglise est mère, en enseignant à ses enfants les œuvres de miséricorde. Elle a appris cette voie de Jésus, elle a appris que cela est l’essentiel pour le salut. Il ne suffit pas d’aimer qui nous aime. Jésus dit que ce sont les païens qui le font. Il ne suffit pas de faire du bien à qui nous fait du bien. Pour changer le monde en mieux, il faut faire du bien à qui n’est pas en mesure de nous donner quelque chose en retour, comme le Père l’a fait avec nous, en nous donnant Jésus. Combien avons-nous payé pour notre rédemption ? Rien, tout a été gratuit ! Faire le bien sans attendre quelque chose en retour. C’est ainsi qu’a fait le père avec nous et nous devons faire la même chose. Fais le bien et va de l’avant !
Qu’il est beau de vivre dans l’Eglise, dans notre mère l’Eglise qui nous enseigne ces choses que nous a enseignées Jésus. Rendons grâce au Seigneur, qui nous a donné la grâce d’avoir l’Eglise comme mère, elle qui nous enseigne la voie de la miséricorde, qui est la voie de la vie. Rendons grâce au Seigneur.

 

SANG DE LA VIGNE DANS L’ANCIEN TESTAMENT

19 janvier, 2013

http://www.musee-virtuel-vin.fr/pages/Vinetreligion.aspx

(très belles photos sur le site)

SANG DE LA VIGNE DANS L’ANCIEN TESTAMENT 

LE VIN ET LA RELIGION DANS L’ANCIEN TESTAMENT 
Les principales références au vin et à la vigne vont, dans l’Ancien Testament, de l’ivresse et la nudité de Noé à la célébration du vin dans le Cantique des cantiques, en passant par la grappe gigantesque rapportée du pays de Canan, le double inceste de Loth ennivré par ses filles et le festin du roi Balthazar. Si, dès la Genèse (XLI, 11), le vin est salué comme le « le sang de la vigne », il n’en reste pas moins un breuvage redoutable. Le Livre des Proverbes est là pour rappeler : « Le vin bu modérément est la joie du cœur et de l’âme », « Le vin bu jusqu’à l’ivresse découvre le cœur des superbes », « Le vin bu avec sobriété est une seconde vie », « Le vin bu avec excès est l’amertume de l’âme ».

LE VIN ET LA RELIGION DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
Cliquez sur les oeuvres avec le signe  pour les agrandir. Celles avec également le signe  sont commentées. Pour la plupart des thèmes – dans le cas présent, des épisode de l’Ancien Testament -, plusieurs oeuvres sont disponibles : il est alors possible d’accéder à l’ensemble d’entre elles rassemblées dans une galerie spécifique. Les artiste dont le nom est suivi du signe  sont des grands maîtres de la peinture reconnus de nos comme tels par les historiens d’art.
L’ivresse et la nudité de Noé – Accès aux oeuvres

L’IVRESSE ET LA NUDITÉ DE NOÉ 
L’ivresse de Noé lui fit découvrir sa nudité devant ses fils : « Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne.Il but du vin, s’enivra, et se découvrit au milieu de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères. Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet. Et il dit: Maudit soit Canaan! qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères !  » (Genèse IX, 20-25).
Quelques textes apocryphes expliquent que la chute du patriarche a été due à l’intervention de Lucifer, l’ange déchu. Fort naïvement, Noé aurait accepté l’aide du diable pour planter sa vigne après le Déluge. Celui-ci, selon la tradition, commença par faire un sacrifice en immolant un mouton, un lion, un singe et un cochon. Tout se gâta quand il en aspergea le plantier. Face à la surprise du patriarche, Satan expliqua alors : « Au premier verre de vin, l’homme deviendra doux et humble comme un mouton, au second, il se sentira fort comme un lion et ne cessera de s’en vanter, au troisième il imitera le singe, dansant tout en disant des sottises, au quatrième, il se vautrera tel un cochon dans la fange et les immondices ».
Pour les chrétiens, il faudra la venue du Christ pour effacer la soûlerie du premier patriarche de l’humanité. Jésus de Nazareth se présenta en disant à ses disciples : « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron » et il poursuivit « Je suis la vigne et vous êtes les sarments » (Jean, XV, 1-5).

LE DOUBLE INCESTE DE LOTH ENIVRÉ PAR SES FILLES 
« Lorsque Dieu détruisit les villes de la plaine (NDLR. Sodome et Gomorrhe), il se souvint d’Abraham; et il fit échapper Lot du milieu du désastre, par lequel il bouleversa les villes où Lot avait établi sa demeure. Lot quitta Tsoar pour la hauteur, et se fixa sur la montagne, avec ses deux filles, car il craignait de rester à Tsoar. Il habita dans une caverne, lui et ses deux filles. L’aînée dit à la plus jeune: Notre père est vieux; et il n’y a point d’homme dans la contrée, pour venir vers nous, selon l’usage de tous les pays. Viens, faisons boire du vin à notre père, et couchons avec lui, afin que nous conservions la race de notre père. Elles firent donc boire du vin à leur père cette nuit-là; et l’aînée alla coucher avec son père: il ne s’aperçut ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Le lendemain, l’aînée dit à la plus jeune: Voici, j’ai couché la nuit dernière avec mon père; faisons-lui boire du vin encore cette nuit, et va coucher avec lui, afin que nous conservions la race de notre père. Elles firent boire du vin à leur père encore cette nuit-là; et la cadette alla coucher avec lui: il ne s’aperçut ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Les deux filles de Lot devinrent enceintes de leur père. L’aînée enfanta un fils, qu’elle appela du nom de Moab: c’est le père des Moabites, jusqu’à ce jour. La plus jeune enfanta aussi un fils, qu’elle appela du nom de Ben Ammi: c’est le père des Ammonites, jusqu’à ce jour » (Genèse XIX, 29-38).

LA GRAPPE DE CANAAN
« L’Éternel parla à Moïse, et dit: Envoie des hommes pour explorer le pays de Canaan, que je donne aux enfants d’Israël. Tu enverras un homme de chacune des tribus de leurs pères; tous seront des principaux d’entre eux » (Nombres, XIII, 1-2)… « Moïse les envoya pour explorer le pays de Canaan. Il leur dit: Montez ici, par le midi; et vous monterez sur la montagne. Vous verrez le pays, ce qu’il est, et le peuple qui l’habite, s’il est fort ou faible, s’il est en petit ou en grand nombre ; ce qu’est le pays où il habite, s’il est bon ou mauvais; ce que sont les villes où il habite, si elles sont ouvertes ou fortifiées ; ce qu’est le terrain, s’il est gras ou maigre, s’il y a des arbres ou s’il n’y en a point. Ayez bon courage, et prenez des fruits du pays. C’était le temps des premiers raisins. Ils montèrent, et ils explorèrent le pays, depuis le désert de Tsin jusqu’à Rehob, sur le chemin de Hamath. Ils montèrent, par le midi, et ils allèrent jusqu’à Hébron, où étaient Ahiman, Schéschaï et Talmaï, enfants d’Anak. Hébron avait été bâtie sept ans avant Tsoan en Égypte. Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eschcol, où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin, qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche; ils prirent aussi des grenades et des figues. On donna à ce lieu le nom de vallée d’Eschcol, à cause de la grappe que les enfants d’Israël y coupèrent. Ils furent de retour de l’exploration du pays au bout de quarante jours. A leur arrivée, ils se rendirent auprès de Moïse et d’Aaron, et de toute l’assemblée des enfants d’Israël, à Kadès dans le désert de Paran. Ils leur firent un rapport, ainsi qu’à toute l’assemblée, et ils leur montrèrent les fruits du pays. Voici ce qu’ils racontèrent à Moïse: Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. A la vérité, c’est un pays où coulent le lait et le miel, et en voici les fruits » (17-27). 

LE FESTIN DE BALTHAZAR 
« Le roi Belschatsar donna un grand festin à ses grands au nombre de mille, et il but du vin en leur présence. Belschatsar, quand il eut goûté au vin, fit apporter les vases d’or et d’argent que son père Nebucadnetsar avait enlevés du temple de Jérusalem, afin que le roi et ses grands, ses femmes et ses concubines, s’en servissent pour boire. Alors on apporta les vases d’or qui avaient été enlevés du temple, de la maison de Dieu à Jérusalem; et le roi et ses grands, ses femmes et ses concubines, s’en servirent pour boire. Ils burent du vin, et ils louèrent les dieux d’or, d’argent, d’airain, de fer, de bois et de pierre. En ce moment, apparurent les doigts d’une main d’homme, et ils écrivirent, en face du chandelier, sur la chaux de la muraille du palais royal. Le roi vit cette extrémité de main qui écrivait. Alors le roi changea de couleur, et ses pensées le troublèrent; les jointures de ses reins se relâchèrent, et ses genoux se heurtèrent l’un contre l’autre. Le roi cria avec force qu’on fît venir les astrologues, les Chaldéens et les devins; et le roi prit la parole et dit aux sages de Babylone: Quiconque lira cette écriture et m’en donnera l’explication sera revêtu de pourpre, portera un collier d’or à son cou, et aura la troisième place dans le gouvernement du royaume. Tous les sages du roi entrèrent; mais ils ne purent pas lire l’écriture et en donner au roi l’explication. Sur quoi le roi Belschatsar, fut très effrayé, il changea de couleur, et ses grands furent consternés. La reine, à cause des paroles du roi et de ses grands, entra dans la salle du festin, et prit ainsi la parole: O roi, vis éternellement! Que tes pensées ne te troublent pas, et que ton visage ne change pas de couleur ! Il y a dans ton royaume un homme qui a en lui l’esprit des dieux saints; et du temps de ton père, on trouva chez lui des lumières, de l’intelligence, et une sagesse semblable à la sagesse des dieux. Aussi le roi Nebucadnetsar, ton père, le roi, ton père, l’établit chef des magiciens, des astrologues, des Chaldéens, des devins, parce qu’on trouva chez lui, chez Daniel, nommé par le roi Beltschatsar, un esprit supérieur, de la science et de l’intelligence, la faculté d’interpréter les songes, d’expliquer les énigmes, et de résoudre les questions difficiles. Que Daniel soit donc appelé, et il donnera l’explication. Alors Daniel fut introduit devant le roi. Le roi prit la parole et dit à Daniel: Es-tu ce Daniel, l’un des captifs de Juda, que le roi, mon père, a amenés de Juda ? J’ai appris sur ton compte que tu as en toi l’esprit des dieux, et qu’on trouve chez toi des lumières, de l’intelligence, et une sagesse extraordinaire. On vient d’amener devant moi les sages et les astrologues, afin qu’ils lussent cette écriture et m’en donnassent l’explication; mais ils n’ont pas pu donner l’explication des mots. J’ai appris que tu peux donner des explications et résoudre des questions difficiles; maintenant, si tu peux lire cette écriture et m’en donner l’explication, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d’or à ton cou, et tu auras la troisième place dans le gouvernement du royaume. Daniel répondit en présence du roi: Garde tes dons, et accorde à un autre tes présents; je lirai néanmoins l’écriture au roi, et je lui en donnerai l’explication. O roi, le Dieu suprême avait donné à Nebucadnetsar, ton père, l’empire, la grandeur, la gloire et la magnificence ; et à cause de la grandeur qu’il lui avait donnée, tous les peuples, les nations, les hommes de toutes langues étaient dans la crainte et tremblaient devant lui. Le roi faisait mourir ceux qu’il voulait, et il laissait la vie à ceux qu’il voulait; il élevait ceux qu’il voulait, et il abaissait ceux qu’il voulait. Mais lorsque son coeur s’éleva et que son esprit s’endurcit jusqu’à l’arrogance, il fut précipité de son trône royal et dépouillé de sa gloire ; il fut chassé du milieu des enfants des hommes, son coeur devint semblable à celui des bêtes, et sa demeure fut avec les ânes sauvages; on lui donna comme aux boeufs de l’herbe à manger, et son corps fut trempé de la rosée du ciel, jusqu’à ce qu’il reconnût que le Dieu suprême domine sur le règne des hommes et qu’il le donne à qui il lui plaît. Et toi, Belschatsar, son fils, tu n’as pas humilié ton coeur, quoique tu susses toutes ces choses. Tu t’es élevé contre le Seigneur des cieux; les vases de sa maison ont été apportés devant toi, et vous vous en êtes servis pour boire du vin, toi et tes grands, tes femmes et tes concubines; tu as loué les dieux d’argent, d’or, d’airain, de fer, de bois et de pierre, qui ne voient point, qui n’entendent point, et qui ne savent rien, et tu n’as pas glorifié le Dieu qui a dans sa main ton souffle et toutes tes voies. C’est pourquoi il a envoyé cette extrémité de main qui a tracé cette écriture. Voici l’écriture qui a été tracée: Compté, compté, pesé, et divisé. Et voici l’explication de ces mots. Compté: Dieu a compté ton règne, et y a mis fin. Pesé: Tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé léger. Divisé: Ton royaume sera divisé, et donné aux Mèdes et aux Perses. Aussitôt Belschatsar donna des ordres, et l’on revêtit Daniel de pourpre, on lui mit au cou un collier d’or, et on publia qu’il aurait la troisième place dans le gouvernement du royaume. Cette même nuit, Belschatsar, roi des Chaldéens, fut tué. Et Darius, le Mède, s’empara du royaume, étant âgé de soixante-deux ans  » (Daniel V, 1-31). 

LE CANTIQUE DES CANTIQUES    
« Qu’il me baise des baisers de sa bouche! Car ton amour vaut mieux que le vin, Tes parfums ont une odeur suave; Ton nom est un parfum qui se répand; C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. Entraîne-moi après toi! Nous courrons! Le roi m’introduit dans ses appartements… Nous nous égaierons, nous nous réjouirons à cause de toi; Nous célébrerons ton amour plus que le vin. C’est avec raison que l’on t’aime » (Cantique, I, 2-4)… « Il m’a fait entrer dans la maison du vin; Et la bannière qu’il déploie sur moi, c’est l’amour » (II, 4)… « Que de charmes dans ton amour, ma soeur, ma fiancée ! Comme ton amour vaut mieux que le vin, Et combien tes parfums sont plus suaves que tous les aromates ! (IV, 10)… « J’entre dans mon jardin, ma soeur, ma fiancée; Je cueille ma myrrhe avec mes aromates, Je mange mon rayon de miel avec mon miel, Je bois mon vin avec mon lait… -Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d’amour ! - » (V, 1)… « Ton sein est une coupe arrondie, Où le vin parfumé ne manque pas; Ton corps est un tas de froment, Entouré de lis  » (VII, 2)… « Ta taille ressemble au palmier, Et tes seins à des grappes. Je me dis: Je monterai sur le palmier, J’en saisirai les rameaux! Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, Le parfum de ton souffle comme celui des pommes, Et ta bouche comme un vin excellent,… Qui coule aisément pour mon bien-aimé, Et glisse sur les lèvres de ceux qui s’endorment ! (VII, 7-10).                             

La vérité du clown

19 septembre, 2009

du site:

http://www.ndweb.org/ecrit/grieu/laveriteduclown.htm

La vérité du clown

Le clown nous sauve d’un enfer où chacun se serait cru propriétaire de la vérité, de sa petite vérité bien à lui, seulement à lui. D’un seul coup, il a ouvert les portes en grand et défait tous les corsets de fer ; ça vole en éclats, il en balance de tous les côtés, et lui-même en voit de toutes les couleurs. A la fin, de toutes nos prisons, il ne reste plus rien ; la foule est au bord de la piste, roulant son bon rire de vacances, et pour un peu elle serait prête à y descendre, à rejoindre elle aussi l’arène de sable où, après le passage des éléphants, un inconnu a livré un étrange combat contre l’ombre de nous-mêmes.

Pour parler d’une vérité qui fait vivre, je crois qu’il n’y a pas de meilleure école que d’aller voir les clowns déboulonner nos certitudes trop étroites. Dans cette fête, personne n’a rien à craindre. La seule chose à y perdre, c’est ce qui nous rend triste. La vérité du clown, c’est un chemin d’acrobate, à travers tout ce qui pourrait enfermer et condamner. Il n’a aucun programme pour toi dans sa poche ; mais sur tes joues, il fait revenir les couleurs que tu avais perdues. C’est une vérité qui ne blesse pas ; pourtant, elle n’est pas si facile que cela à accepter. Tu as remarqué ? Dès que le spectacle est fini, chacun se racle la gorge, réajuste son col et se trouve tout à coup un peu ridicule de s’être ainsi laissé aller. Et l’on hésite, on s’interroge : « Ce numéro de clown, ce n’est qu’un numéro, n’est-ce pas ? La vérité est ailleurs, forcément… » Pas si sûr, pas sûr du tout.


Moi, j’aurais du mal à comprendre la vérité du Christ autrement que comme celle du clown : avec beaucoup de délicatesse, il indique qu’il y a quelque chose de plus beau – et de bien plus drôle – que toutes les petites vérités qu’on se bricole. C’est une vérité qui ne s’impose pas, qui ne se dit jamais comme une leçon ; elle est fragile, elle repose sur mon consentement à desserrer les dents et à ouvrir les mains.

En fait, Jésus est un clown exceptionnel. Il a réussi une chose exceptionnelle : faire descendre sur la piste ceux qui étaient dans le public, pour qu’ils jouent avec lui et continuent ensuite son numéro. Depuis, cela n’a jamais cessé. Pardonne-moi si tu trouves que c’est un peu cavalier de parler de l’Eglise comme d’un cirque ; mais je crois que c’est une manière tout à fait juste de rendre compte de son mystère et de sa mission. 

Extraits de Dieu, tu connais ? d’Etienne Grieu, sj, éditions Le Sénevé, Paris, 2005, pp.76-78 

Le jugement: Pourquoi Jésus dit-il à ses disciples de ne pas juger ?

4 septembre, 2009

du site:

http://www.taize.fr/fr_article4025.html

Le jugement

Pourquoi Jésus dit-il à ses disciples de ne pas juger ?

« Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis » (Luc 6, 37). Est-il possible de mettre cette parole de l’Évangile en pratique ? N’est-il pas nécessaire de juger, si l’on ne veut pas baisser les bras face à ce qui ne va pas ? Mais cet appel de Jésus s’est profondément gravé dans les cœurs. Les apôtres Jacques et Paul, par ailleurs si différents, y font écho presque avec les mêmes mots. Jacques écrit : « Qui es-tu pour juger le prochain ? » (Jacques 4, 12). Et Paul : « Qui es-tu pour juger un serviteur d’autrui ? » (Romains 14, 4).

Ni Jésus ni les apôtres n’ont cherché à abolir les tribunaux. Leur appel concerne la vie quotidienne. Si les disciples du Christ choisissent d’aimer, ils continuent cependant à commettre des fautes aux conséquences plus ou moins graves. La réaction spontanée est alors de juger celui qui – par sa négligence, ses faiblesses ou ses oublis – cause des torts ou des échecs. Nous avons bien sûr d’excellentes raisons de juger notre prochain : c’est pour son bien, pour qu’il apprenne et qu’il progresse…

Jésus, qui connaît le cœur humain, n’est pas dupe des motivations plus cachées. Il dit : « Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ! » (Luc 6, 41). Je peux me servir des fautes des autres pour me rassurer sur mes propres qualités. Les raisons pour juger mon prochain flattent mon amour-propre (voir Luc 18, 9-14). Mais si je guette la moindre faute de mon prochain, n’est-ce pas pour me dispenser de faire face à mes propres problèmes ? Les mille défauts que je lui trouve ne prouvent pas encore que je vaux mieux que lui. La sévérité de mon jugement ne fait peut-être que cacher ma propre insécurité et ma peur d’être jugé.

À deux reprises, Jésus a parlé de l’œil « malade » ou « mauvais » (Matthieu 6, 23 et 20,15). Il nomme ainsi le regard troublé par la jalousie. L’œil malade admire, envie et juge le prochain tout en même temps. Quand j’admire mon prochain pour ses qualités mais qu’en même temps, il me rend jaloux, mon œil devient mauvais. Je ne vois plus la réalité telle qu’elle est, et il peut même m’arriver de juger un autre pour un mal imaginaire qu’il n’a jamais fait.

C’est encore un désir de domination qui peut inciter à juger. C’est pourquoi, dans le passage déjà cité, Paul écrit : « Toi, qui es-tu pour juger un serviteur d’autrui ? ». Qui juge son prochain s’érige en maître, et il usurpe, de fait, la place de Dieu. Or nous sommes appelés à « regarder les autres comme nos supérieurs » (Philippiens 2, 3). Il ne s’agit pas de se déconsidérer soi-même, mais de se mettre au service des autres au lieu de les juger.

Est-ce que renoncer à juger conduit à l’indifférence et à la passivité ?
En une même phrase, l’apôtre Paul utilise le mot juger dans deux sens différents : « Cessons de nous juger les uns les autres : jugez plutôt qu’il ne faut rien mettre devant votre frère qui le fasse buter ou tomber » (Romains 14, 13). L’arrêt des jugements mutuels ne conduit pas à la passivité, mais elle est une condition pour une activité et des comportements justes.

Jésus n’invite pas à fermer les yeux et à laisser les choses aller. Car aussitôt après avoir dit de ne pas juger, il continue : « Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ? » (Luc 6, 39). Jésus souhaite que les aveugles soient aidés à trouver le chemin. Mais il dénonce les guides incapables. Ces guides un peu ridicules sont, selon le contexte, ceux qui jugent et condamnent. Sans renoncer à juger, il est impossible de voir clair pour entraîner d’autres sur le bon chemin.

Voici un exemple tiré de la correspondance de Barsanuphe et Jean, deux moines de Gaza du VIe siècle. Après avoir blâmé un frère pour sa négligence, Jean est peiné de le voir triste. Il est encore blessé quand, à son tour, il se sent jugé par ses frères. Pour trouver le calme, il décide alors de ne plus faire de remarques à personne, et de ne s’occuper que de ce dont il serait seul responsable. Mais Barsanuphe lui fait comprendre que la paix du Christ n’est pas dans le repli sur soi-même. Il lui cite à plusieurs reprises une parole de l’apôtre Paul : « Reprends, réprimande, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d’instruire » (2 Timothée 4, 2).

Laisser les autres tranquilles, cela peut encore être une forme subtile de les juger. Si je ne veux m’occuper que de moi-même, serait-ce peut-être que je ne considère pas les autres comme dignes de mon attention et de mes efforts ? Jean de Gaza décide de ne plus reprendre aucun de ses frères, mais Barsanuphe comprend qu’en fait, il continue à les juger dans son cœur. Il lui écrit : « Ne juge ni ne condamne personne, mais avertis-les comme de véritables frères » (Lettre 21). C’est en renonçant aux jugements que Jean deviendra capable d’un vrai souci des autres.

« Ne portez pas de jugement prématuré, laissez venir le Seigneur » (1 Corinthiens 4, 5) : Paul recommande la plus grande retenue dans le jugement. En même temps, il demande avec insistance de se soucier des autres : « Reprenez les désordonnés, encouragez les craintifs, soutenez les faibles, ayez de la patience envers tous » (1 Thessaloniciens 5,14). Par expérience, il savait ce que reprendre sans juger pouvait coûter : « Trois années durant, nuit et jour, je n’ai cessé de reprendre avec larmes chacun d’entre vous » (Actes 20, 31). Seule la charité est capable d’un tel service.

par Olivier Clément: L’éveil par l’art

25 mai, 2009

du site: 

http://www.pagesorthodoxes.net/theologiens/clement/olivier-clement-intro.htm#eveil
 
 L’éveil par l’art

par Olivier Clément

Dans la démarche de l’artiste, dans la démarche de tout homme qui s’arrache au somnambulisme, il y a ébranlement, interrogation sur le sens, creusement. Ou, plus simplement, et d’un mot qui résume tout, éveil. Les vieux ascètes disaient que le plus grand des péchés est l’oubli : devenir opaque, insensible, tantôt fiévreusement affairé, tantôt lourdement sensuel, incapable de faire un instant de silence, de s’étonner, de chanceler devant l’abîme, qu’il soit d’horreur ou de jubilation. Incapable d’admirer et d’aimer. Incapable d’accueillir les êtres et les choses. Insensible aux sollicitations secrètes, constantes pourtant, de Dieu.

L’art, ici, nous éveille. Il nous approfondit dans l’existence. Il fait de nous des hommes et non des machines – ou des  » animaux dénaturés « . Il nous rend nos joies solaires et nos blessures saignantes. Il nous ouvre à l’angoisse et à l’émerveillement. L’art de l’icône est un support de contemplation, la possibilité de connaître Dieu par une certaine beauté, celle, dit Denys l’Aréopagite,  » qui suscite toute communion « . J’inverserai volontiers la formule en disant : la beauté que suscite toute communion. Dans cet art, comme le montrent les images ici reproduites, il est moins question du  » sacré  » que du  » saint  » (Dieu n’est pas trois fois sacré, il est trois fois saint). Le  » saint  » se répand, il veut embraser  » l’uni-totalité « . Le  » profane « , en réalité est profané : il faut le libérer du mensonge, de ce que Berdiaev appelle l’  » objectivation « , pour qu’il s’illumine au grand soleil de la Transfiguration. La sainteté relie, s’exprime dans la flamme des choses et l’icône du visage. Le Christ enfant a un visage grave et profond, l’Ancien des jours un regard adolescent.  » En ce jour, dit le prophète Zacharie (14, 20-1), il y aura sur les clochettes des chevaux : Sainte propriété du Seigneur, les marmites seront comme des coupes d’aspersion devant l’autel. Et toute marmite (…) deviendra une sainte propriété du Seigneur Sabaoth… « 

L’artiste, ici, assume une diaconie ecclésiale. Il ne peut être qu’un être de foi qui fait sien le Credo par la prière, l’ascèse, l’ouverture au grand fleuve de vie de la vraie Tradition. Laquelle est l’Evangile et l’Eucharistie rendus sans cesse actuels par le Saint Esprit. L’icône n’est-elle pas une écriture de l’Ecriture, une écriture de Lumière ?

L’iconographe essaie de se dégager de sa subjectivité close : des règles, des modèles guident sa contemplation que sa création va traduire. De sorte que l’image qu’il peint rejoint et réveille en lui l’image qu’il est, l’image de Dieu. Et la réveiller en ceux qui la regarderont avec amour ou plutôt se laisseront regarder par elle.

Alors, dira souvent l’homme d’aujourd’hui, le peintre d’icône n’est pas libre. Mais qu’entendons-nous lorsque nous disons : liberté ?

Sans doute répondra-t-on : être libre c’est faire ce qu’on veut.

Mais qui veut ? Est-ce l’homme déchiré, contradictoire –  » je ne fais pas le bien que j’aime mais je fais le mal que je hais « , dit s.Paul – l’homme livré aux pulsions de son inconscient, aux modes, aux grandes forces de la société et du cosmos. La beauté créée par un tel homme ne risque-t-elle pas d’être la projection d’un ego tourmenté, une beauté magique, de  » possession  » ?

N’est-il pas plus libre, vraiment libre peut-être, l’homme libéré par une lumière d’en haut, pacifié, délivré de l’angoisse par la résurrection, du narcissisme par la prière, simultanément ouvert et unifié par cette autre lumière ? L’homme qui ne peut créer qu‘en s’acceptant comme créature…

C’est pourquoi les règles, les  » canons  » de l’art liturgique constituent comme une ascèse de libération. Une ascèse de communion aussi car tous doivent pouvoir reconnaître les scènes représentées, l’individualité des personnages. La perspective inversée, la frontalité, le rôle essentiel du visage, partie de corps la plus transparente à la personne, une certaine retenue dans l’expressivité, autant d’indications qui qualifient une beauté de célébration et de communion.

Cette ascèse, tout en donnant une humble et sûre valeur au travail répétitif de l’artiste, permet au créateur d’être vraiment libre de cette liberté que permet la transcendance enfin atteinte de la personne.

Histoire de la spiritualité monastique: 2. Les moines juifs

20 mai, 2009

du site:

http://users.skynet.be/am012324/studium/bresard/Prehis01.htm

Histoire de la spiritualité monastique

2. Les moines juifs

    En effet à l’époque de Jésus, des historiens mentionnent l’existence d’ascètes juifs retirés du monde.

a) Les Esséniens.

    L’historien Josèphe et Philon d’Alexandrie parlent tous deux de l’existence de groupes religieux juifs qu’ils appellent Esséniens, ou Esséens. Ce mouvement était sans doute assez ample, comportant plusieurs branches dont le groupe de Qumran. Philon fait venir ce mot  « esséniens » du grec : hosioi = « sainteté », mais il est plus probable qu’il vienne de l’araméen hassaya = « pieux ». C’est un mouvement conservateur qui veut se séparer de l’Israël corrompu pour chercher Dieu dans la sainteté ; leur Règle dit en effet : « Ils se sépareront du milieu de l’habitation des hommes pervers pour aller au désert y frayer la voie de Dieu ». Voici deux textes qui les décrivent (Textes 1-2).

b) Les Thérapeutes.

    Dans son livre : « De la Vie contemplative », Philon décrit d’autres ascètes qui vivaient en Egypte, à l’est d’Alexandrie, dans le voisinage du lac Maréotis, proche de la Mer. Seul à en faire mention, il allait parfois chez eux, dit-il, pour faire retraite loin des bruits du monde. Il les appelle « Thérapeutes », d’un mot grec qui veut dire « servir » et « soigner ». C’est ce dernier sens que privilégie Philon : ce sont ceux qui soignent (leurs passions) (Texte 3) . Il les décrit à travers ce qu’il est : un rabbin pieux et lettré, féru d’exégèse allégorique et de philosophie platonicienne (Texte 4) .

    Ces deux groupes mènent une vie ascétique et communautaire exigeante. On n’y trouve que des exemples isolés de célibat religieux : ainsi parmi les Thérapeutrides, il y avait des vierges [vie contemp. 68], avec idée d’une génération spirituelle.

3. Le « plus » évangélique
    Il est sûr que les exigences du Sermon sur la Montagne, l’exemple de la virginité de Jésus et de Marie, les conseils de Paul aux Corinthiens touchant le célibat et l’amour fou du Seigneur qui est mort pour des pécheurs, ont très tôt suscité chez des hommes et des femmes le désir de répondre à l’amour par l’amour, et de consacrer leur vie à Dieu par la virginité.

    On en trouve des traces un peu partout. D’abord dans les Ecrits des Apôtres : les Actes nous parlent par exemple des filles de Philippe, vierges et prophétesses (Ac. 21, 9). Plus tard la lettre de Clément de Rome, vers 90, montre l’existence de vierges et de continents. Hermas, en 150, fait mention des vierges de Rome, Ignace du groupe des vierges de Smyrne qui semble important. De même Polycarpe, Justin.

    Le mot « moine » apparaît pour la première fois, à la fin du deuxième siècle, dans l’Evangile apocryphe selon Thomas qui célèbre la béatitude du monachos.

    A la même époque, entre 150 et 200, on sait qu’il y avait en Syrie et à Corinthe, des gens qui menaient une vie pauvre et ascétique, gardant la chasteté. Il s’agissait encore sans doute d’individuels, vivant probablement dans leur milieu familial ou dans la ville, et l’on ne peut parler de monachisme. Mais très tôt apparaîtra, mêlée à ce bon grain, l’ivraie de la suffisance qui se traduit par une dépréciation du monde. La maîtrise de soi, en grec  egkrateia = abstinence, continence, va devenir un mouvement : l’ »encratisme » qui durcit l’abstinence et la continence; on interdit le mariage, la nourriture provenant d’être animés, et le vin.

    Dans la première moitié du troisième siècle, on voit un premier monachisme organisé, les « Fils du Pacte ». Ces chrétiens vivaient en commun au service de l’Eglise et du culte, menant une vie pauvre. C’est le premier cénobitisme connu, près d’un siècle avant les premières traces du cénobitisme égyptien.

    Encore un peu plus tard apparaît dans ces milieux la tendance « messalienne », d’un mot syrien qui veut dire « prier ». Ceux qui sont touchés par de mouvement spirituel, prétendent qu’aucune autre activité humaine que la prière ne doit s’exercer. Parmi ceux qui adopteront cette attitude, certains resteront dans la ligne de l’Eglise, d’autres s’en écarteront. Au 4ème siècle, Basile essaiera de les ramener, eux et les « encratistes », sur une ligne plus droite.

    Et enfin, vers 300, Antoine est le premier moine dont nous connaissons l’histoire par un écrit. C’est alors que commence alors l’histoire proprement dite du monachisme chrétien.

 

4. Les martyrs
    Une troisième cause explique ce jaillissement soudain du monachisme au début du troisième siècle : le martyre. Très tôt, en effet, on a vu dans le monachisme un lien avec le martyre : soit une préparation au martyre, soit une continuation du martyre.

1) Une préparation au martyre pour ceux qui vivaient alors en temps de persécution, comme Antoine. On raconte que lorsqu’éclata la persécution de Dioclétien et que des chrétiens furent conduits à Alexandrie, Antoine, quittant son monastère, les accompagnait en disant : « Allons nous aussi, contempler ceux qui combattent et combattre avec eux si on nous y appelle ».

2) Une continuation du martyre : lorsque les persécutions eurent cessé, les chrétiens purent mener au grand jour une vie de célibat consacré, partir en grand nombre pour le désert pour y habiter. Ils avaient conscience de vivre le même mystère que les martyrs, l’assimilation totale au Christ mort et ressuscité. Ce mystère du martyre, central pour la vie de l’Eglise, ne pouvait disparaître. C’est ce que souligne une vie grecque de Pacôme : (Texte 5).

     Trois autres écrits vont dans ce sens. D’abord un apophtegme attribué à Athanase, contemporain d’Antoine, celui qui écrivit sa vie (Texte 6). Puis deux autres textes, l’un à propos des moniales, l’autre des moines  (Textes 7-8).

    Nous avons déjà ici quelques explications. Pour y voir plus clair, nous allons étudier un texte d’un des martyrs les plus célèbres, Ignace d’Antioche : sa lettre aux Romains, un texte où il nous montre ce qu’il était au-dedans, où l’on voit ce qu’était un martyr. Nous pourrons constater comme cette lettre nous interpelle au coeur de notre vie monastique, et nous référant à elle, nous nous demanderons s’il n’y aurait pas dans la Règle de Saint Benoît des points qui concernent la spiritualité du martyre.

    Ignace était donc évêque d’Antioche, en Syrie. Pris lors d’une persécution, il est conduit à Rome par terre et par mer, pour y être exposé aux bêtes dans le Cirque à l’occasion d’une fête païenne. Arrivé en Asie Mineure, il séjourne quelque temps dans deux villes : Smyrne et Troas. Des délégations des églises voisines viennent le visiter. A cette occasion il écrit diverses lettres dont une aux Romains où il leur annonce sa venue et leur demande de ne rien faire pour le délivrer et le faire échapper à son supplice. Cette lettre est un écrit spontané, où le coeur du martyr apparaît ; rien de littéraire ou de conventionnel. Hormis une introduction et une conclusion, il n’y a pas de plan : Ignace écrit au fur et à mesure que les idées lui viennent ; c’est du langage parlé.

    Cette lettre figure presque en entier dans le Travail n°1 . Vous la lisez en posant à Ignace des questions ; c’est la meilleure manière de lire les Pères : comme de grands amis, nous les interrogeons. En partant de cette lettre, nous nous poserons différentes questions. D’abord :

■  Qu’est Ignace, quelle est sa personnalité ?

Puis nous l’interrogerons lui-même :

■  Comment envisage-t-il le martyre ?

■  Qu’est pour lui la mort du martyr ?

■  Qu’est pour lui un martyr ?

■  Qu’est pour lui Jésus ?

    Quand vous aurez fait ce travail, vous aurez pu remarquer, entre autres choses, deux thèmes qui auront une grande importance dans le développement futur de la spiritualité monastique : le thème du combat spirituel et celui de l’imitation du Christ que l’on va retrouver dans d’autres textes de la littérature des martyrs. Ainsi en voici un qui illustre bien le premier thème : celui du combat spirituel ; le martyr, comme plus tard le moine, a conscience de lutter contre le démon (Texte 9). L’autre thème, celui de l’imitation du Christ se rencontre, entre autres, dans le récit des martyrs de Lyon (Texte 10). Cette présence du Christ, cette fois intériorisée, présence du Christ qui souffre avec et dans son martyr, se lit aussi dans un texte célèbre de la Passion des saintes Perpétue et Félicité (Texte 11). Plus loin nous verrons la même idée dans la vie d’Antoine : le Christ était là dans le combat d’Antoine contre le démon. Il est bon de nous en souvenir dans les tentations : le Christ est là près de nous, bien que nous nous croyons seuls, et il nous aide à en triompher.

5. Origène
    Il est enfin un homme qui fut comme Ignace un grand amoureux du Christ, et comme lui désira donner sa vie pour Lui. Ce fut un des plus grands génies du christianisme, comparable à Augustin et à Thomas d’Aquin. Ses oeuvres qui furent nombreuses, eurent une très grande influence sur le monachisme en train de germer. Nous ne l’étudierons pas ici, nous ne faisons que signaler certains points par lesquels il agit sur ce mouvement des esprits – et de l’Esprit – qui engendra le monachisme.

    Il y a continuité entre la spiritualité du martyre et la spiritualité d’Origène. Sa vie s’écoule dans une alternance de périodes de persécutions et de calme. Son père meurt martyr lors de la persécution de Sévère, et sa mère doit lui cacher ses habits pour qu’il n’aille pas se dénoncer comme chrétien. Il écrit une Exhortation au martyre durant celle de Maximin le Thrace, et il est lui-même arrêté, torturé pendant celle de Dèce ; il meurt trois ans plus tard, des suites de cette épreuve. Il n’est donc pas étonnant que l’on retrouve dans son oeuvre le thème du combat spirituel.

    Par ailleurs, au début de sa vie, Origène avait la charge d’une école de formation à la vie chrétienne, une sorte d’ »Ecole de la foi » avant la lettre, où les étudiants venaient s’instruire auprès de lui. Ils vivaient ensemble, mangeaient ensemble, priaient ensemble. A la fin de son séjour, au terme de cinq ans de scolarité, selon l’usage des écoles d’alors, l’étudiant faisait un petit discours de circonstance. Il nous est parvenu celui que fit un de ses élèves, Grégoire, ce qui veut dire « éveillé », qui devint par la suite évêque et dont la sainteté s’accompagna de tant de miracles qu’on l’appela : le Thaumaturge, c’est à dire : « le faiseur de miracles ». Il nous montre dans son Discours de remerciement à Origène ce qu’était ce maître pour ses élèves : un remarquable formateur, un précurseur des Père-Maîtres des novices. Nous allons lire un petit passage de cette lettre en recherchant ce qui concerne notre vie monastique, ce en quoi Origène a influencé cette vie monastique qui se formait alors « sous roche »  (Texte 12) .

    Origène formateur et candidat au martyre, met au centre de son ascèse et de sa morale le combat spirituel, thème qui deviendra central aussi dans le monachisme naissant. C’est un thème central, car il n’y a pas de vie chrétienne sans lutte, parce que l’homme se trouve à la croisée de deux chemins, comme le souligne le premier des psaumes. Ce thème des deux voies, souvent repris par la suite, suppose un choix, souvent difficile, qui implique une lutte.

    Il y a toute une doctrine du combat spirituel dans les oeuvres d’Origène, et ce thème va passer chez les ascètes d’Orient et dans la spiritualité tout court. Voici d’une manière rapide et très schématique, les principales idées que l’on peut repérer à travers les écrits d’Origène à propos du combat spirituel :

1. Le combat spirituel est un fait : tous nous avons à faire un choix entre la voie du bien et celle du mal, et ce choix ne va pas sans une lutte où notre liberté est impliquée.  La voie du bien est celle de Dieu, la voie du mal est celle du démon, le diable qu’Origène appelle du nom de ceux qui, dans la Bible, s’opposent aux Israélites : Amalech, ou Pharaon  (Texte 13) . Il y aura donc deux sortes de combattants : (Texte 14) .

2. Le combat spirituel a pour siège le coeur. Par suite nous trouvons dans les oeuvres d’Origène tous ces thèmes qui seront repris par les Pères du Désert : le combat contre les mauvaises pensées, la garde du coeur, la nécessité de la vigilance, du discernement des esprits, de l’ouverture à un Père spirituel.

3. L’ouverture à un ancien est en effet une aide puissante pour le soldat du Christ. Mais il a aussi d’autres aides : Dieu lui même et ses anges. Et lui-même a des armes pour se défendre : d’abord la prière : « Un seul saint en prière est bien plus fort qu’une armée innombrable de pécheurs », assure Origène. La prière et aussi les vertus, surtout la foi et l’humilité. La foi : Origène cite souvent la parole de Paul : « le bouclier de la foi éteint les traits enflammés du Malin » (Ephés. 6, 16); l’humilité : après une chute, il ne faut pas rester à terre, mais se relever  (Texte 15) .

4 .     Ce combat nous est fort utile : d’abord parce que nous serons parfois vaincus et découvrirons ainsi notre misère ; il est donc source d’humilité. Ensuite, il fortifie notre vertu et nous mérite une récompense.

De plus il sera utile aux autres, nous pourrons combattre pour eux. Voici un texte assez remarquable qui montre comme Origène avait le sens du Corps Mystique et de l’entraide cachée que nous pouvons apporter à d’autres qui n’ont pas eu autant de grâces que nous  (Texte 16) .

    La doctrine d’Origène sur la virginité a, elle aussi, profondément marqué le monachisme primitif. La voici, d’une manière également très schématique :

1. Le modèle en est Jésus qui est la Chasteté comme il est toutes les vertus. Marie en est aussi le modèle. Origène est le premier théologien à enseigner la virginité de Marie après l’enfantement. Marie est la première à avoir été vierge chez les femmes, comme Jésus chez les hommes.

2. Les racines de la virginité, ce sont les noces du Christ et de l’Église ; le mariage chrétien en est un symbole qui se réalise dans la chair ; les noces du Verbe et de l’âme se réalisent spirituellement pour le chrétien qui cherche Dieu. Mais cette union de l’âme avec le Verbe s’opère avec plus de force dans la virginité : celle-ci est en effet supérieure au mariage, parce qu’elle ne figure pas seulement les noces de l’Eglise avec le Christ, mais qu’elle les montre et les actualise. La virginité de l’Eglise se réalise par la chasteté totale de certains de ses membres.

3. La virginité dans son essence est un échange de dons entre Dieu et l’homme. Entre Dieu et celui ou celle qui est vierge, il y a un don réciproque :

Don de Dieu à l’homme : C’est une grâce qui vient de Dieu, et Dieu garde la virginité dans l’âme ; il faut donc le prier pour la conserver (Texte 17) : Cette grâce vient du Dieu Trinité : le Père la conserve, le Fils l’opère, retranchant les passions avec le glaive qu’il est lui-même, et, en tant que charisme, elle constitue une participation au Saint-Esprit.

Don de l’homme à Dieu : C’est un sacrifice offert par l’âme à Dieu dans le sanctuaire du corps. C’est le don le plus parfait après le martyre. La source en est la charité : c’est par amour que l’on reste vierge. Un amour qui met Dieu au-dessus de tout, et veut lui rendre amour pour amour. En lui donnant tout notre corps, nous imitons Dieu qui nous a tout donné. 

4. Conditions : Ce don se manifeste par la mortification, la garde du corps, la garde des sens. Prière et mortification sont donc nécessaires à la virginité : elles sont les éléments de ce sacrifice que, dans le sanctuaire du corps, l’âme, prêtre de l’Esprit-Saint, offre à Dieu.

Mais la virginité n’a de valeur que jointe aux autres vertus, surtout la foi et l’humilité. La chasteté du corps a, en effet, pour but celle de l’âme : la chasteté du coeur, qui est plus importante encore ; il faut protéger son coeur des imaginations impures, car le péché de pensée livre déjà l’âme à l’amant adultère, Satan. A l’inverse, dans le cas de la vierge violée, la souillure du corps ne compte pas si le coeur reste vierge.

5. Effet : Une idée originale d’Origène est que la virginité nous rend semblables aux petits enfants à qui appartient le Royaume des cieux. Elle est donc proche de la vertu d’enfance spirituelle (Texte 18) . En ce sens, elle prolonge la vie paradisiaque où Adam et Eve avant d’avoir connu le mariage, étaient les petits enfants nouvellement créés par Dieu qui conversaient avec lui.

A l’autre bout du temps, elle prophétise l’état eschatologique de la Résurrection, car ce qui fait obstacle ici-bas à la perfection des noces de l’âme avec le Verbe, c’est la chair et le péché.

Dans notre état actuel, elle rend libre pour le service du Seigneur. A la suite de Paul, Origène oppose la servitude du mariage à la liberté de la vierge. Si la virginité est inspirée par l’amour spirituel de Dieu recherché par dessus tout, alors elle libère l’être humain qui peut s’adonner entièrement au service divin.

Enfin la virginité porte des fruits dans l’âme : elle est féconde ; comme elle l’a fait en Marie, elle engendre Jésus dans l’âme  (Texte 19). C’est un thème que reprendront les Pères de Cîteaux, Guerric en particulier.

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