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Lettre de Saint Augustin a Proba – 3me et dernière partie: 20-31

26 février, 2007

20. On dit que nos frères en Egypte prient fréquemment, mais brièvement et par élan; ils agissent ainsi pour éviter que l’attention et la ferveur, si nécessaires à la prière, s’évanouissent et s’éteignent en des oraisons trop prolongées. Par là aussi ils montrent assez que s’il ne faut pas s’exposer à l’affaiblissement de cette ferveur, quand elle ne peut durer, il ne faut pas l’interrompre trop tôt, quand elle se soutient. Tant que dure cette vive et sainte application du coeur, écartez de l’oraison les longues paroles, mais priez, priez longtemps. Beaucoup parler en priant, c’est faire une chose nécessaire avec des paroles inutiles. Beaucoup prier, c’est frapper à la porte de celui qu’on implore avec un long et pieux mouvement du coeur. C’est là le plus souvent une affaire qui se traite plus avec des gémissements qu’avec des discours, plus avec des larmes qu’avec des entretiens. Dieu met nos larmes devant sa présence; nos soupirs ne restent pas ignorés de celui qui a tout créé par sa Parole et n’a que faire des paroles humaines.  21. Les paroles nous sont nécessaires pour nous exciter à ce que nous demandons et y être attentifs, non pour apprendre à Dieu nos besoins ni pour le fléchir. Ainsi lorsque nous disons : « Que votre nom soit sanctifié, » nous nous avertissons nous-mêmes qu’il faut désirer que son nom, toujours saint, le soit toujours aux yeux des hommes, c’est-à-dire que ce nom ne soit point méprisé : ce qui est profitable non pas à Dieu mais aux hommes. Lorsque nous disons : « Que votre règne arrive, » nous excitons notre désir vers ce règne qui arrivera, que nous le voulions ou non, et nous demandons qu’il vienne pour nous et que nous méritions d’y avoir part. Lorsque nous disons : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » nous lui demandons la grâce de lui être soumis, pour que nous fassions sa volonté comme les anges la font dans le ciel. Lorsque nous disons : « Donnez-nous aujourd’hui

1. Luc, III, 12; XXII, 43. 

notre pain quotidien, » le mot aujourd’hui désigne le temps de notre vie pour lequel nous demandons, ou bien le nécessaire en le désignant par le pain qui en est la partie principale , ou bien le Sacrement des fidèles qui nous est nécessaire dans cette vie, non pour être heureux ici-bas, mais pour obtenir l’éternelle félicité. Lorsque nous disons : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, » nous, nous avertissons de ce qu’il faut demander et de ce qu’il faut faire pour l’obtenir. Lorsque nous disons : « Ne nous abandonnez pas à la tentation, » nous nous avertissons que nous devons demander à Dieu de ne pas nous priver de son secours, de peur que la séduction ou l’accablement ne nous fasse succomber. Lorsque nous disons : « Délivrez-nous du mal (1) , » nous nous avertissons qu’il faut penser que nous ne sommes pas encore en possession de ce bien où l’on ne souffre plus aucun mal. Cette fin de l’oraison dominicale a un sens si étendu qu’un chrétien, quelle que suit sa tribulation, y trouve l’expression de tous ses gémissements et le sujet de toutes ses larmes; c’est par là qu’il commence, c’est par là qu’il continue , c’est par là qu’il achève sa prière. Il fallait que ces paroles recommandassent les choses elles-mêmes à notre mémoire.  22. En effet, quelles que soient les paroles que nous prononcions, pour marquer l’intention de notre prière ou en accroître la pieuse ardeur, nous ne disons rien de plus que ce qui se trouve dans l’oraison dominicale, si nous prions comme il faut. Mais quiconque, s’adressant à Dieu, dirait des aloses qui ne pourraient pas se rapporter à cette prière évangélique, lors même qu’il ne demanderait rien de mauvais, prierait charnellement; et je ne sais pas pourquoi cela ne serait pas jugé mauvais, puisqu’il ne convient pas à ceux qui ont été régénérés par l’Esprit de prier autrement que selon l’Esprit. Ainsi, par exemple, dire : « Soyez glorifié dans toutes les nations comme vous l’êtes parmi nous; » de plus : « Que vos prophètes soient trouvés fidèles (2), » n’est-ce pas dire : « Que votre nom soit sanctifié?» Dire : « Dieu des vertus, convertissez-nous, et montrez- nous votre face, et nous serons sauvés (3), » n’est-ce pas dire : « Que votre règne arrive ? » Dire : « Dirigez nos pas selon votre parole, et 

1. Matth. VI , 9-13. — 2. Ecclesias. XXXVI, 4, 18. — 3. Ps. XXLIX, 4. 

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qu’aucune iniquité ne domine en moi (1), » n’est-ce pas dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ? » Dire : « Ne me donnez ni la pauvreté ni les richesses (2), » n’est-ce pas dire : « Donnez nous aujourd’hui,  notre pain quotidien? » Dire : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa douceur (3), » ou bien : « Seigneur, si j’ai fait cela, si l’iniquité est dans mes mains, si j’ai rendu le mal pour le mal (4), » n’est-ce pas dire : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés? » Dire : « Eloignez de nous les concupiscences de la chair, et qu’aucun mauvais désir ne me saisisse (5), » n’est-ce pas dire : « Ne nous abandonnez point à la tentation? » Dire : « Tirez-moi des mains de mes ennemis, ô mon Dieu, et délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi (6), » est-ce autre chose que : « Délivrez-nous du mal? » Si vous parcourez toutes les paroles des prières des saintes Ecritures, vous ne trouverez rien qui ne soit contenu et enfermé dans l’oraison dominicale. On est libre de demander les mêmes choses en d’autres termes, mais on n’est pas libre de demander autre chose.  23. Voilà ce que nous devons demander sans hésitation pour nous, pour les nôtres, pour les étrangers et même pour nos ennemis, quoique, dans la prière, le coeur soit autrement porté vers les uns que vers les autres, selon les liaisons de parenté ou d’amitié. Mais celui qui, dans l’oraison, dit par exemple : Seigneur, augmentez mes richesses, ou bien : Donnez-m’en autant que vous en avez donné à celui-ci ou à celui-là ; ou bien : Augmentez mes honneurs, faites-moi puissant et illustre dans ce siècle; celui qui dit cela ou quelque autre chose dans ce genre et qui aspire aux dignités et aux richesses parce qu’il en a l’ardente soif, et non parce qu’il voudrait en tirer parti, selon Dieu, pour l’avantage des hommes, celui-là ne trouve pas, je le crois, dans l’oraison dominicale, de quoi exprimer de pareils voeux. C’est pourquoi qu’il ait honte au moins de demander ce qu’il n’a pas honte de désirer; ou bien, s’il en a honte, mais si la cupidité l’emporte, ne vaut-il pas beaucoup mieux qu’il demande d’en être délivré à celui à qui nous disons : «Délivrez-nous du mal ! » 

24. Vous savez maintenant, je pense, comment  1. Ps. CXVIII. 133. — 2. Prov. XXX, 6. — 3. Ps. CXXX, 1. — 4. Ps. VII, 4. — 5. Ecclés. XXIII, 6. — 6. Ps. LVIII, 2.  vous devez être pour prier et ce que vous devez demander; ce n’est pas moi qui vous l’ai appris, c’est celui qui a daigné nous instruire tous. Il faut chercher la vie heureuse, il fau la demander à Dieu. On a beaucoup disserté pour savoir ce que c’est que d’être heureux mais nous, qu’avons-nous besoin d’interroger les philosophes et d’étudier les systèmes? Il a été dit en peu de mots et avec vérité dans l’Ecriture de Dieu : « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu (1). » Pour appartenir à ce même peuple, pour arriver jusqu’à contempler ce Dieu et à vivre éternellement avec lui, que faut-il? « La charité qui est la fin de la loi, la charité partie d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte (2). » Dans ces trois choses, la bonne espérance est exprimée par la conscience. La foi, l’espérance et la charité conduisent donc à Dieu celui qui prie, c’est-à-dire celui qui croit, qui espère, qui désire et qui considère dans l’oraison dominicale ce qu’il doit demander à Dieu. Les jeûnes, les autres mortifications de la chair, qu’il ne faut pas pousser jusqu’à compromettre la santé, les aumônes, les aumônes surtout, aident beaucoup à la prière; nous pourrons dire alors: «J’ai cherché Dieu au jour de mon affliction; je l’ai cherché la nuit avec mes mains, et n’ai pas été trompé (3). » Comment cherche-t-on avec les mains un Dieu incorporel et impalpable, si ce n’est avec les oeuvres ?  25. Peut-être demandez-vous encore le sens de ces paroles de l’Apôtre : Nous ne savons « pas ce que nous devons demander (4).» Car on ne peut pas croire que l’Apôtre ni ceux à qui il s’adressait ignorassent l’oraison dominicale. Pourquoi donc ce langage de celui qui n’a rien pu dire de téméraire ni de contraire à la vérité ? pourquoi donc a-t-il parlé ainsi ? n’est-ce point parce que les peines et les tribulations temporelles servent souvent à guérir de l’orgueil, à éprouver et exercer la patience pour lui obtenir une récompense plus glorieuse et plus abondante, ou à châtier et à effacer les péchés; et ignorant jusqu’à quel point ces épreuves nous sont avantageuses, nous demandons d’en être délivrés? L’Apôtre montre qu’il n’était pas exempt lui-même de cette ignorance et peut-être ne savait-il pas ce qu’il devait demander à Dieu, lorsque le Seigneur, voulant l’empêcher de s’enorgueillir par la grandeur de ses révélations, 

1. Ps. CXLIII, 15. — 2. I Tim. 1, 5. — 3. Ps. LXXVI, 2. — 4. Rom, VIII, 26.  273  lui donna l’aiguillon de la chair et permit que l’ange de Satan le souffletât; il pria Dieu trois fois de l’en délivrer, ne sachant pas demander ce qu’il fallait. Enfin ce grand homme entendit la réponse de Dieu qui lui disait pourquoi il ne convenait pas qu’il exauçât sa prière : « Ma grâce vous suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (1).»  26. Nous ne savons donc pas ce qu’il faut demander sous le coup de ces tribulations qui peuvent servir et nuire; et cependant comme elles sont dures, pénibles et qu’elles effrayent notre faiblesse, nous demandons par toute la volonté humaine d’en être délivrés. Mais s’il plaît au Seigneur notre Dieu de ne pas nous tirer de ces épreuves, nous devons à son amour de ne pas croire qu’il nous abandonne, mais d’espérer plutôt de plus grands biens par une pieuse résignation dans les maux : c’est ainsi que la vertu se perfectionne dans la faiblesse. Ce que le Seigneur Dieu refusa à l’Apôtre dans sa miséricorde, il l’accorde quelquefois dans sa colère à ceux qui ne peuvent rien souffrir. Les livres saints nous apprennent ce que demandèrent les Israélites et comment ils furent exaucés; mais leur concupiscence une fois rassasiée, leur impatience fut sévèrement châtiée (2). Ils demandaient un roi, il leur en donna un selon leur coeur, comme il est écrit, et non selon son coeur (3). Il accorda au démon ce qu’il sollicitait et lui permit de tenter son serviteur (4). Des esprits immondes lui ayant demandé de se jeter dans un troupeau de pourceaux, il le permit à une légion de démons (5). Cela a été écrit pour que nous ne nous élevions pas, quand nos impatientes prières sont exaucées en des choses qu’il nous serait plus avantageux de ne pas obtenir; ou pour que nous ne nous méprisions pas et que nous ne désespérions point de la miséricorde divine, quand Dieu repousse nos prières et qu’il écarte des veaux dont l’accomplissement serait pour nous une affliction plus cruelle, ou une prospérité qui nous corromprait et nous perdrait entièrement. Dans de telles rencontres nous ne savons donc pas demander ce qu’il faut. Et s’il arrive le contraire de ce que nous avons souhaité, nous devons le supporter patiemment, rendre grâces à Dieu en toutes choses, et reconnaître que la volonté de Dieu a été meilleure pour nous que ne l’eût été 

1. II Cor XII, 7-9. — 2. Nombr. XI. — 3. I Rois, VIII, 5, 7. — 4. Job, I, 12; II, 6. — 5. Luc, VIII, 32. 

notre propre volonté. Le divin médiateur nous a laissé un exemple de cette soumission; après avoir dit à son Père: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi, s’identifiant ainsi la volonté humaine qu’il avait prise en se faisant homme,» il ajouta aussitôt: « Mais cependant que ce soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez (1). » Voilà pourquoi il a été dit avec raison que plusieurs ont été établis justes par l’obéissance d’un seul (2).  27. Mais celui qui demande et redemande à Dieu cette chose unique (3),le fait avec certitude et sécurité ; il ne craint pas qu’il lui nuise d’être exaucé, parce que, sans ce bien auquel il aspire , tout ce qu’il pourrait demander en priant ne servirait de rien. Ce bien, c’est la seule vraie et heureuse vie; il faut que, devenus immortels et incorruptibles de corps et d’esprit, nous contemplions éternellement les délices du Seigneur ; c’est pour cette unique chose qu’il est permis de demander le reste. Celui qui l’aura aura tout ce qu’il voudra et ne pourra rien désirer que de bon. Car là est la source de vie ; il faut dans la prière que nous en ayons soif, tant que nous vivons en espérance saris voir encore ce que nous espérons ; tant que nous sommes protégés par les ailes de celui en présence de qui tous nos désirs tendent à s’enivrer de l’abondance de sa maison et à se plonger dans le torrent de ses délices ; oui, c’est en lui qu’est la source de la vie et c’est dans sa lumière que nous verrons la lumière (4) quand toutes nos aspirations seront rassasiées, quand il n’y aura plus rien à chercher en gémissant, et que nous n’aurons qu’à rester en possession de nos joies. Cependant, comme ce bien unique est la paix qui surpasse tout entendement, nous ne savons pas non plus le demander comme il faut dans nos prières, car ce que nous ne pouvons pas nous représenter comme cela est, nous ne le connaissons pas; mais nous rejetons, nous méprisons, nous condamnons toute image qui s’en offre à notre pensée; nous reconnaissons que ce n’est pas ce que nous cherchons, quoique nous ne sachions pas encore ce que c’est. 28. Il y a donc en nous comme une savante ignorance, une ignorance instruite par l’Esprit de Dieu qui soutient notre faiblesse. Après que l’Apôtre a dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience, » il ajoute : « De même l’Esprit de 

1. Matth. XXVI, 39. — 2.
Rom. V, 19. — 3. Ps. XXI, 4. — 4. Ps. XXXV, 8-10. 

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Dieu soutient notre faiblesse; car nous ne savons pas ce qu’il faut demander dans nos prières ; mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables. Celui donc qui scrute les coeurs sait ce que comprend l’Esprit, parce qu’il ne prie pour les saints que selon Dieu (1). » Ceci ne doit pas s’entendre de façon à nous faire croire que le Saint-Esprit, Dieu immuable dans
la Trinité et ne faisant qu’un Dieu avec le Père et le Fils, prie pour les saints comme quelqu’un qui ne soit pas Dieu; on dit qu’il prie pour les saints parce qu’il fait prier les saints, comme il est dit : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve pour savoir si vous l’aimez (2), » c’est-à-dire pour vous le faire savoir. Il fait donc prier les saints par des gémissements ineffables, en leur inspirant le, désir de cette grande chose encore inconnue que nous attendons par la patience (3). Comment parler de ce qu’on ignore quand on le désire? Et, véritablement si on l’ignorait tout à., fait, on ne le souhaiterait pas; et d’un autre côté, si on, le voyait, on ne le désirerait pas, on ne le rechercherait pas par des gémissements. 
29. Eu considérant toutes ces choses et d’autres encore que le Seigneur pourra vous inspirer et qui ne se sont pas présentées à moi ou qu’il eût été trop long d’exposer, efforcez-vous de vaincre ce Monde par l’oraison; priez en espérance, priez avec foi et amour, priez avec instance et patience , priez comme une veuve du Christ. Quoique le devoir de la prière regarde tous ses membres, c’est-à-dire tous ceux qui croient en lui et qui sont unis à son corps, comme il l’a enseigné lui-même, cependant il nous marque dans ses Ecritures que ce soin appartient surtout aux veuves. Les saints livres mentionnent avec honneur deux femmes du nom d’Anne, l’une mariée et qui mit au monde le saint prophète Samuel, l’autre veuve et qui connut le Saint des saints lorsqu’il était encore enfant. Celle qui était mariée pria dans la douleur de son âme et l’affliction de son coeur, parce qu’elle n’avait pas d’enfants; elle obtint alors Samuel et rendit à Dieu ce fils qu’elle en avait reçu, car elle le lui avait consacré en le demandant  (4). Mais il n’est pas aisé de trouver comment sa prière est comprise dans l’oraison dominicale, à moins de la rapporter à ces paroles : « Délivrez-nous du 1.
Rom. VIII, 25-27. — 2. Deutér. XIII, 3. — 3.
Rom. VIII, 25. — 4. I Rois, I.

mal ; » on regardait, en effet, femme un assez grand mal d’être marié et privé du fruit du mariage, dont la seule excuse est la naissance des enfants. Pour ce qui est d’Anne veuve, voyez ce qui est écrit : « Elle ne sortait pas du temple, jeûnant et priant nuit et jour (1). » L’Apôtre ne parle pas autrement dans ces paroles que j’ai citées plus haut : « Celle qui est véritablement veuve et abandonnée, a mis son espérance dans le Seigneur, et persévère dans les prières la nuit et le jour (2). » Et le Seigneur, voulant nous exhorter à toujours prier sans nous lasser, nous a cité l’exemple de la veuve dont les importunités vinrent à bout d’un juge inique et impie, contempteur de Dieu et des hommes (3). Ce qui montre combien le devoir de la prière est particulièrement imposé aux veuves, c’est que les saints livres mettent sous nos yeux des exemples de veuves pour nous convier tous à l’oraison.  30. Mais pourquoi les veuves sont-elles marquées pour cette sorte d’oeuvre, si ce n’est à cause de leur abandon et de leur délaissement? Aussi toute âme. qui se regardera dans ce monde comme abandonnée et désolée, tant que dure son voyage loin du Seigneur, mettra, pour ainsi dire, son veuvage sous la garde de Dieu et lui demandera, par d’instantes prières, d’être son défenseur. Priez donc comme une veuve du Christ, ne jouissant pas encore de celui dont vous implorez le secours. Et quoique vous soyez bien riche, priez comme si vous étiez pauvre : vous ne possédez pas encore les vraies richesses du siècle futur où vous n’aurez plus rien à craindre. Quoique vous ayez des enfants et des neveux et une famille nombreuse, comme il a été dit plus haut, priez comme une délaissée : car toutes les choses du temps sont incertaines, lors même qu’elles nous resteraient pour notre consolation jusqu’à la fin de cette vie. Si vous cherchez et si vous aimez ce qui est en haut, vous désirez les choses solides et éternelles; tant que vous! ne les avez pas, vous devez vous croire comme abandonnée, bien que tous les vôtres vous soient conservés et respectueusement soumis. Ainsi devez-vous vivre, et, sûrement aussi, à votre exemple, votre très-pieuse belle-fille (4), et les autres saintes veuves et vierges que vous gouvernez toutes les deux avec tant de sécurité pour elles : plus vous dirigez pieusement votre 1. Luc, II, 36, 37. — 2. I Tim. V, 5. — 3. Luc, XVIII, 1-8.  4. Juliana, mère de Démétrias. 

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maison, plus vous devez redoubler d’ardeur dans la prière, ne vous occupant des choses de la vie présente que dans la mesure des besoins religieux.  31. Souvenez-vous aussi de prier beaucoup pour nous. Nous ne voulons pas que, trop préoccupées de notre dignité épiscopale, si périlleuse à porter, vous nous traitiez de façon à nous priver d’un secours dont nous savons que nous avons tant besoin. La famille du Christ (1) a prié pour Pierre, a prié pour Paul; vous êtes de cette famille, à notre grande joie, et nous avons incomparablement plus besoin que Pierre et Paul des prières de nos frères. Priez à l’envi dans l’émulation d’un saint accord ; ce n’est pas lutter les uns contre les autres, mais contre le démon, ennemi de tous les saints. Les jeûnes et les veilles, et tous les genres de mortification, aident beaucoup à la prière (2), que chacune de vous fasse ce qu’elle pourra; ce que l’une ne peut pas, elle le fait dans une autre qui le peut, si elle aime en elle ce que ses propres forces ne lui permettent pas d’accomplir; ainsi donc que celle qui peut moins n’empêche pas celle qui peut plus, et que la plus forte ne presse. pas la plus faible. Car vous devez votre conscience à Dieu, mais ne devez rien à personne d’entre vous, si ce n’est de vous aimer les unes les autres (3). Que Dieu vous exauce, lui qui est assez puissant pour faire au delà de ce que nous demandons et de ce que nous comprenons (4). 

1. Eglise. — 2. Tobie, XII, 8. — 3. Rom. XIII, 8. — 4. Ephés. III, 20. 

Lettre de Saint Augustin a Proba – 1er partie: 1-9

24 février, 2007

j’ai pensé qu’il était beau d’écrire et lire quelque chose sur la prière, j’ai choisi la lettre de Sant’Augustin à Probe, il demande 10 pages environ A4, je vous la propose en trois ou quatre jours, j’espère que sois appréciée, entre les oeuvres sur la prière la lettre de Sant’Augustin est une du plus riches spirituellement et « Belle », je l’ai lue il y a pour la première fois différents ans, puis je l’ai relue récemment, maintenant je la relis avec vous pour participer avec vous de la prière et en français perce que ainsi il m’aide à récupérer la langue, du site: 

 http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/lettres/s003/l130.htm

LETTRE CXXX. (Au commencement de l’année 412.) 

Cette belle lettre forme comme un livre sur la prière; elle est adressée à une veuve romaine, d’un sang illustre, qui avait été femme de Probus, préfet du prétoire et consul; elle était aïeule de Démétrias à qui saint Jérôme écrivit une lettre célèbre sur la virginité, et belle-mère de Juliana qui eut Démétrias pour fille. Proba,surnommée Faltonie, s’était retirée en Afrique après le sac de Rome. Saint Jérôme s’exprime ainsi sur l’aïeule de la jeune vierge romaine : « Proba, ce nom plus illustre que toute dignité et que toute noblesse dans l’univers romain; à Proba qui, par sa sainteté et sa bonté envers tous, s’est rendue vénérable aux Barbares mêmes, et qui s’est peu inquiétée des consulats ordinaires de ses trois fils, Probinus, Olybrius et Probus; cette femme, pendant que tout est esclave à Rome au milieu de l’incendie et de la dévastation, vend, dit-on, en ce moment, les biens qu’elle tient de ses pères, et se fait, avec l’unique Mammone, des amis qui puissent la recevoir dans les tabernacles éternels. » Voilà ce qu’était la veuve à laquelle saint Augustin parle de la prière avec tant d’âme, de charme et d’élévation. Les gens du monde et surtout les riches de la terre qui ont le goût de la vie chrétienne ne peuvent rien lire de meilleur et de plus nourrissant que cet écrit de l’évêque d’Hippone.  

AUGUSTIN,   ÉVÊQUE , SERVITEUR DU  CHRIST ET DES SERVITEURS DU CHRIST, A PROBA, PIEUSE SERVANTE DE DIEU, SALUT DANS LE SEIGNEUR DES SEIGNEURS. 

1. Je me rappelle que vous m’avez demandé et que je vous ai promis de vous écrire quelque chose sur la prière: grâce à celui que nous prions, j’en ai le temps et le pouvoir; il faut donc que je vous paye ma dette et que je serve votre zèle pieux dans la charité du Christ. Je ne puis vous dire combien je me suis réjoui de votre demande même; elle m’a fait connaître quel soin vous prenez d’une si grande chose. Quelle plus grande affaire dans votre veuvage, que de persévérer dans la prière, la nuit et le jour, selon le conseil de l’Apôtre : « Celle qui est véritablement veuve et abandonnée, dit saint Paul, a mis son espérance dans le Seigneur et persévère dans la prière, la nuit et le jour. (1) » Ce qui peut paraître admirable, c’est que noble selon le siècle , riche, mère d’une si grande famille , veuve, mais sans être abandonnée, votre coeur ait fait de l’oraison son occupation principale et le plus important de ses soins; mais vous avez sagement compris que, dans ce monde et dans cette vie, il ne peut y avoir de repos pour aucune âme. 

2. Celui qui vous a donné cette pensée, c’est assurément ce divin Maître qui répondit à ses disciples que ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu (2) ; le Seigneur leur fit cette admirable et miséricordieuse réponse , après qu’il leur eut dit qu’il était plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ; car ces paroles les avaient attristés , non pour eux, mais pour le genre humain; ils n’espéraient pas que personne pût être sauvé. Celui donc à qui il est facile même de faire entrer un riche dans le royaume des cieux, vous a inspiré le pieux désir de me demander comment il faut prier. Durant sa vie mortelle, il a ouvert le royaume des cieux au riche Zachée (3) ; et, après sa résurrection et son ascension, il a fait de plusieurs riches, éclairés de l’Esprit Saint, des contempteurs de ce siècle, et les a 

1. I Tim. V, 5. — 2. Matth. XIX, 24-26. — 3. Luc, XIX, 9. 

d’autant plus enrichis, qu’ils ont plus entièrement éteint dans leurs coeurs la soif des biens humains. Comment vous appliqueriez -vous ainsi à prier Dieu, si vous n’espériez pas en lui ! et comment espéreriez-vous en lui si vous mettiez votre confiance dans des richesses incertaines, si vous méprisiez ce salutaire précepte de l’Apôtre : « Ordonne aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne pas mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne tout en abondance pour en jouir; afin qu’ils deviennent riches en bonnes oeuvres, qu’ils donnent et répandent aisément, et qu’en se préparant ainsi un trésor qui soit un bon fondement pour l’avenir, ils arrivent à la possession de la véritable vie (1) ? »  3. Quel que soit donc votre bonheur dans ce siècle, vous devez vous y croire comme abandonnée, si vous songez avec amour à la vie future ; de même, en effet, qu’elle est la véritable vie en comparaison de laquelle la vie présente, qu’on aime tant, ne mérite pas qu’on l’appelle une vie, quelque joie qu’on puisse y trouver; ainsi, la consolation véritable est celle que le Seigneur promet lorsqu’il dit par son prophète: «Je lui donnerai la vraie consolation, une paix au-dessus de toute paix (2) ; » et sans laquelle il y a dans tous les adoucissements humains plus de peine que de douceur. Les richesses et les hautes dignités, les grandeurs de ce genre par lesquelles se croient heureux les mortels qui n’ont jamais connu la vraie félicité, que peuvent-elles donner de bon, puisque mieux vaut ne pas en avoir besoin que d’y briller, et qu’on est bien plus tourmenté de la crainte de les perdre qu’on ne l’était du désir d’y parvenir? Ce n’est point par de tels biens que les hommes deviennent bons, mais ceux qui le sont devenus d’ailleurs changent en biens ces richesses périssables par le bon usage qu’ils en font. Là ne sont donc pas les vraies consolations, elles sont plutôt là où est la vraie vie ; car il est nécessaire que l’homme devienne heureux par ce qui le rend bon. 4. Mais, même dans cette vie, les hommes bons donnent de grandes consolations. Est-on pressé par la pauvreté ou sous le coup d’un deuil, en proie à la maladie ou condamné aux tristesses de l’exil, ou livré à tout autre malheur? Que les hommes bons soient là; ils ne 1. I Tim., VI, 17-19.  2. Isaïe, LVII, 18, 19, version des Septante.  266 partagent pas seulement la joie de ceux qui se réjouissent, mais ils pleurent avec ceux qui pleurent (1), et, par leur manière de dire et de converser, adoucissent ce qui est dur, diminuent le poids de ce qui accable, et aident à surmonter l’adversité. Celui qui fait cela, en eux et par eux, est celui-là même qui les a rendus bons par son Esprit. Supposez, au contraire, qu’on nage dans l’opulence, qu’on n’ait rien perdu de ce qu’on aime, qu’on jouisse de la santé et qu’on demeure sain et sauf dans son pays, mais qu’on ne soit entouré que d’hommes méchants dont on doive toujours craindre et endurer la mauvaise foi, la tromperie, la fraude, la colère, la dérision, les piéges : toutes ces choses ne perdent-elles pas de leur prix et leur reste-t-il quelque charme, quelque douceur? C’est ainsi que, dans toutes les choses humaines, quelles qu’elles soient, il n’y a rien de doux pour l’homme sans un ami. Mais combien en trouve-t-on dont on soit sûr en cette vie pour le coeur et les moeurs ? car personne n’est connu d’un autre comme il l’est de lui-même; et encore personne ne se connaît assez pour être sûr de ce qu’il sera le lendemain. Aussi, quoique plusieurs se fassent connaître par leurs fruits, et que la bonne vie des uns soit une joie et la mauvaise vie des autres soit une affliction pour le prochain, cependant, à cause des secrets et des incertitudes des coeurs humains, l’Apôtre nous avertit avec raison de ne pas juger avant le temps et d’attendre que le Seigneur soit venu, qu’il mette en vive lumière ce qui est caché dans les ténèbres et qu’il découvre les pensées du coeur; alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (2).  5. Dans les ténèbres de cette vie où nous cheminons comme des étrangers loin du Seigneur, appuyés sur la foi et non point illuminés par la claire vision (3), l’âme chrétienne doit donc se regarder comme abandonnée, de peur qu’elle ne cesse de prier; il faut qu’elle apprenne à attacher l’œil de la foi sur les saintes et divines Ecritures, comme sur une lampe posée en un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour brille et que l’étoile du matin se lève dans nos coeurs (4). Car cette lampe emprunte ses clartés à
la Lumière qui luit dans les ténèbres, que les ténèbres n’ont pas comprise et qu’on ne peut parvenir à voir qu’en purifiant son coeur par la foi : « Heureux ceux qui ont 
1. Rom, XII, 15. — 2. I Cor. IV, 5. — 3. II Cor. V, 8. — 4. II Pierre, I,19.  le coeur pur, » dit l’Evangile, « car ils verront Dieu (1). » — « Nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, car nous le verrons tel qu’il est (2). » Alors commencera la vraie vie après la mort, la vraie consolation après la désolation : cette vie délivrera notre âme de la mort, cette consolation sèchera pour jamais nos larmes (3) ; et comme il n’y aura plus de tentation, le Psalmiste ajoute que ses pieds seront préservés de toute chute (4). Or, s’il n’y a plus de tentation, il n’y aura plus besoin de prière; nous n’aurons plus à attendre un bien promis, mais à contempler le bien accordé. Voilà pourquoi il est dit : « Je plairai au Seigneur dans la région des vivants (5), » où nous serons alors, et non pas dans le désert des morts où maintenant nous sommes. « Car vous êtes des morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; mais lorsque le Christ, votre vie, apparaîtra, alors vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (6). » Telle est la vraie vie qu’il est ordonné aux riches d’acquérir par les bonnes oeuvres; là est la vraie consolation, sans laquelle la veuve reste maintenant désolée, même celle qui a des fils et des neveux, qui gouverne pieusement sa maison et qui, amenant tous les siens à mettre en Dieu leur confiance, dit dans son oraison : « Mon âme a soif de vous, et combien ma chair aussi soupire vers vous dans cette terre déserte, sans chemin et sans eau (7) ! » Cette vie mourante n’est rien de plus, quelles que soient les consolations mortelles qui s’y mêlent; quel que soit le nombre de ceux avec qui l’on marche, quelle que soit l’abondance des biens qu’on y trouve. Car vous savez combien toutes ces choses sont incertaines; et ne le fussent-elles pas, on devrait encore les compter pour rien à côté de la félicité qui nous est promise.  6. Je vous parle ainsi parce que, veuve, riche et noble, mère d’une si grande famille, vous avez désiré une instruction de moi sur la prière; je voudrais que, même au milieu des soins et des services de ceux qui vous environnent, vous vous regardassiez comme abandonnée en cette vie, tant que vous ne serez pas arrivée à l’immortalité future où est la vraie et certaine consolation, où s’accomplit cette prophétique parole : « Nous avons été dès le matin rassasiés par votre miséricorde; et nous 1. Matth. V, 8. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Ps. CXIV, 8. — 4. Ibid. V. 9. — 5. Ibid, 8, 9. — 6. Coloss. III, 3, 4. — 7. Ps. LXII, 2, 3. 267  avons tressailli et nous avons été satisfaits dans tous nos jours. Nous avons eu des jours de joie à proportion de nos jours l’humiliation et des années où nous avons vu les maux (1). »  7. Avant donc que cette consolation arrive , n’oubliez pas, malgré l’abondance de vos félicités temporelles, n’oubliez pas que vous êtes abandonnée, pour que vous persévériez jour et nuit dans la prière. Ce n’est pas à toute veuve, quelle qu’elle soit, que l’Apôtre attribue ce don, « c’est à la veuve qui l’est véritablement, qui a mis son espérance dans le Seigneur et qui prie jour et nuit. » Prenez bien garde à ce qui suit : « Quant à celle qui vit dans les délices, elle est morte quoique vivante encore (2) ; » car l’homme vit dans ce qu’il aime, dans ce qu’il désire , dans ce qu’il croit être son bonheur. Aussi ce que l’Ecriture a dit des richesses, je vous le dis des délices : « Si elles abondent autour de vous, n’y placez pas votre coeur (3). » Ne tirez point vanité de ce que les délices ne manquent pas à votre vie, de ce qu’elles se présentent à vous de toutes parts, de ce qu’elles coulent pour vous comme d’une source abondante de terrestre félicité. Dédaignez et méprisez en voles ces choses, et n’y cherchez que ce qu’il faut pour entretenir la santé du corps ; car nous devons en prendre soin à cause des nécessités de la vie, en attendant que ce qu’il y a de mortel en nous soit revêtu d’immortalité (4), c’est-à-dire d’une santé vraie, parfaite et perpétuelle, ne pouvant plus défaillir par l’infirmité terrestre et n’ayant plus besoin d’être réparée par le plaisir corruptible, mais subsistant par une force céleste et tirant sa vigueur d’une éternelle incorruptibilité. « Ne cherchez pas à contenter la chair dans ses désirs, » dit l’Apôtre (5); nous ne devons avoir soin de notre corps, que pour le besoin de la santé. « Car personne, dit encore l’Apôtre, n’a jamais haï sa propre chair (6). » Voilà pourquoi il avertit Timothée , qui apparemment châtiait trop durement son corps, d’user d’un peu de vin à cause de son estomac et de ses fréquentes souffrances (7). 8. Beaucoup de saints et de saintes, se défiant, en toute manière, de ces délices dans lesquelles une veuve ne peut mettre son coeur, sans qu’elle soit morte quoique vivant encore,  1. Ps. LXXXIX, 14, 15. — 2. I Tim. V, 5, 6. — 3. Ps. LXI , 11. — 4. I Cor. XV, 54. — 5.
Rom. XIII, 14. — 6. Ephés. V, 29. — 7. I Tim. V, 23. 
rejetèrent les richesses comme étant les mères de ces délices, en les distribuant aux pauvres , et c’est ainsi qu’ils les cachèrent plus sûrement dans les trésors célestes. Si , liée par quelque devoir d’affection, vous ne pouvez en faire autant, vous savez le compte que vous avez à rendre à Dieu à cet égard ; car nul ne sait ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui-même (1). Nous ne devons, quant à nous, rien juger avant le temps, jusqu’à ce que le Seigneur vienne; il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres , découvrira les pensées du coeur, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (2). Toutefois il appartient à vos devoirs de veuve , si les délices abondent autour de vous, de ne pas vous y attacher, de peur qu’une corruption mortelle n’atteigne ce coeur qui ne peut vivre qu’en se tenant élevé vers le ciel. Comptez-vous au nombre de ceux dont il est dit: « Leurs coeurs vivront éternellement (3).»  9. Vous avez entendu comment vous devez être pour prier; voici maintenant ce que vous devez demander en priant; c’est principalement sur cela que vous avez cru devoir me consulter, parce que vous êtes en peine de ces paroles de l’Apôtre : « Car nous ne savons pas comment prier pour prier comme il faut (4), » et que vous avez craint qu’il ne vous soit plus nuisible de ne pas prier comme il faut que de ne pas prier du tout. Ceci peut se dire brièvement : demandez la vie heureuse. Tous les hommes veulent l’avoir; ceux qui vivent le plus mal, le plus vicieusement, ne vivraient pas de la sorte s’ils ne pensaient pas y trouver le bonheur. Que faut-il donc que vous demandiez, si ce n’est ce que désirent les méchants et les bons, mais ce que les bons seuls obtiennent?

du Frédéric Manns: « JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU »

24 février, 2007

du site: http://198.62.75.1/www1/ofm/sbf/dialogue/mere_de_dieu.html

du Frédéric Manns:

« JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU »

Dans le dialogue inter religieux Marie tient peu de place, il faut l’avouer. Si les musulmans respectent la mère d’Issa, il n’en est pas toujours ainsi de la part des Juifs. Curieusement, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, par souci de respect des frères aînés, répète qu’il est impossible de traduire en hébreu l’expression Marie, mère de Dieu, sans provoquer leur indignation. Pour ne choquer personne elle propose de traduire ’em immanouel ou ’em Yeshouah Eloheynou. Le concile d’Ephèse, qui a donné à Marie le titre de Theotokos, a connu les mêmes difficultés et les mêmes réticences. Les objections ne manquaient pas de la part de Nestorius. Malgré tout, l’Eglise a affirmé que Marie est la Theotokos ou la Dei Genitrix.

C’est un fait que l’inculturation du message chrétien s’est faite dans le monde hellénistique. Mais, puisqu’il est impossible de réécrire l’histoire à rebours, une réflexion préliminaire doit rappeler la signification de l’expression : Marie, mère de Dieu. Le catéchisme de l’Eglise universelle au paragraphe 466 s’exprime ainsi : « Le Verbe en s’unissant dans sa personne une chair animée par une âme rationnelle est devenu homme. L’humanité de Jésus n’a d’autre sujet que la personne divine du Fils de Dieu qui l’a assumée et faite sienne dès sa conception. Pour cela le concile d’Ephèse a proclamé en 431 que Marie est devenue en toute vérité Mère de Dieu par la conception humaine du Fils de Dieu dans son sein : Mère de Dieu non pas parce que le Verbe de Dieu a tiré d’elle sa nature divine, mais parce que c’est d’elle qu’il tient le corps sacré doté d’une âme rationnelle uni auquel en sa personne le Verbe est dit naître selon la chair ». Plus loin, au paragraphe 495, le catéchisme continue: « Marie appelée dans les Evangiles mère de Jésus est appelée aussi sous l’inspiration de l’Esprit la Mère de mon Seigneur (Lc1,43). De fait, celui que Marie a conçu comme homme par l’action de l’Esprit et qui est devenu son Fils selon la chair est le Fils éternel du Père, la seconde personne de la Trinité. L’Eglise confesse que Marie est la Theotokos ».

La traduction hébraïque de Lc 1,43 : ’em ’adony pourrait servir de modèle à une version moderne de l’expression Marie, mère de Dieu. La version syriaque de l’Evangile de Luc avait traduit : ’emeh de mary, Mar étant le titre réservé à Dieu.

L’expression Marie « mère de Dieu » ne devrait pas choquer les frères aînés, parce que ce titre est attribué à Jérusalem. Du fait que la ville contient la présence symbolique de Dieu, elle est appelée Mère de Dieu. C’est ce qui ressort du targum du cantique des cantiques III,11 « Sortez, filles de Sion, voyez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l’a couronné, le jour de ses noces, le jour de la joie de son coeur ».

« Quand le roi Salomon vint pour célébrer la dédicace du sanctuaire, un héraut cria à haute voix et dit ainsi : Sortez, habitants des districts de la terre d’Israël et peuple de Sion. Et regardez le roi Salomon avec le diadème et la couronne dont le peuple de la maison d’Israël le couronna au jour de la dédicace du Temple . Et réjouissez-vous pour la fête des Tentes pendant quatorze jours . ».

Dans ce commentare les filles de Sion sont les habitants de la terre d’Israël et le peuple de Jérusalem. Le Roi Salomon est Dieu. Le nom Salomon indique directement Dieu dans tout le targum. La mère du Roi est le peuple de la maison d’Israël. La couronne que le peuple a posée sur Dieu est le Temple.

Israël est mère de Dieu en tant qu’elle contient la présence de Dieu au temple. Le midrash Sifra Lev 9,221 applique la même interprétation à la tente du témoignage du désert après la théophanie du Sinaï. La présence de Dieu au milieu de son peuple fait de ce dernier la mère de Dieu.

L’expression « Marie mère de Dieu » en fait ne choque pas plus les frères aînés juifs que l’affirmation de l’Incarnation de Dieu. Ce mystère est refusé également au nom de la transcendance de Dieu. Est-ce à dire que les chrétiens ont renoncé au monothéisme strict pour retourner à la mythologie grecque ? L’accusation est fréquente même dans les milieux ouverts au dialogue inter religieux.

La foi au Christ dans la théologie chrétienne se remplit en Marie, mère de Dieu selon l’humanité, d’une lumière nouvelle : paradoxalement Marie ne cesse de dévoiler le visage humain de Dieu. Serge Boulgakov affirme que le secret que Marie dévoile est celui de la maternité de Dieu. L’amour de Dieu a un visage féminin, de nombreux théologiens l’ont rappelé récemment.

Marie révèle encore un autre secret : celui de l’Eglise : « Il n’y a qu’une seule Vierge Mère et il me plaît de l’appeler l’Eglise », écrivait Clément d’Alexandrie. « La Mère de Dieu c’est l’Eglise qui prie », affirme de son côté Serge Boulgakov. Il existe donc un lien étroit et profond entre la présence de Marie et l’action de l’Eglise, entre la purification de l’âme en Marie et celle en Eglise. L’auteur de cette purification est l’Esprit de Dieu. Marie et l’Eglise sont les deux manifestations visibles de Celui qui reste invisible. L’Esprit est la Vierge et la Vierge est l’Eglise, selon l’affirmation de Saint Ambroise. Les icônes de Marie aux titres si variés ne font rien d’autre que de souligner les aspects différents de l’Eglise, vierge et mère. Marie est également à l’origine de la mémoire de l’Eglise. Elle méditait tous les souvenirs de l’Eglise des origines dans son cœur. Elle est l’archétype et la personnification de l’Eglise, corps du Christ et Temple de l’Esprit.

Enfin, Marie, accueillant Dieu en elle lors de l’annonciation, montre que la nature humaine peut être complètement transfigurée par Dieu. Elle est l’image de l’âme fécondée par l’Esprit qui engendre le Seigneur. La Pentecôte, où Marie est présente comme mère de l’Eglise, n’est autre que la mission de l’Eglise visant à humaniser l’humanité tentée par l’animalité.

Curieusement Marie de Nazareth, chantée par le monde entier et peinte par d’innombrables artistes, n’a pas de place dans l’encyclopédie Judaica. Une omission curieuse pour le moins pour la femme juive la plus célèbre dans le monde entier.

« Les grands mystiques et les grands athées se rencontrent », disait Dostoïevski. C’est qu’il nous parlent d’un Dieu plus grand que notre cœur, que nos représentations mentales et que nos recherches spirituelles. Ce Dieu se révèle Autre et, pour qu’il vive, nos représentations confortables de Dieu et de Marie, doivent disparaître.

le martyre du Saint et martyr d’aujourd’hui: Polycarpe

23 février, 2007

je mets le martyre du Saint et martyr d’aujourd’hui: Policarpo est un texte émouvant et extraordinaire d’une foi inconditionnelle à Jésus, du site:

http://www.patristique.org/article.php3?id_article=167

Nous sommes à Smyrne en l’an 156. La persécution, sous les Antonins, était modérée et venait moins d’une politique systématique que des dénonciations de païens, qui répandaient force calomnies sur les cultes nouveaux. Les autorités, sans être dupes, mettaient à mort les chrétiens arrêtés ; à leurs yeux, ils commettaient au moins un crime de lèse-majesté en ne sacrifiant pas aux dieux, c’est-à-dire en ne reconnaissant pas la souveraineté absolue des Césars. Le martyre de Polycarpe émane ainsi de pressions populaires, et des autorités locales, mues par un esprit de démagogie et la volonté de faire un exemple. Ce supplice représente cependant un cas relativement isolé à cette période.

Polycarpe, qui nous a laissé deux épîtres aux Philippiens, était, dit-on, un disciple de saint Jean. Évêque de Smyrne, il avait fréquenté Ignace d’Antioche et Irénée de Lyon. À une telle école, le martyr ne se contente pas d’être un témoin du Christ, il veut être son imitateur, jusqu’à revivre lui-même les souffrances et la mort de son Maître qui le mettront en communion étroite avec son corps. Entre l’Évangile et la passion de Polycarpe, les coïncidences affluent, de noms, de lieux, de circonstances, mais plus profondément retentissent les grands mots évangéliques de la Passion, les « il faut », les « je suis », les métaphore du « pain » que dore le feu du supplice.

C’est le plus ancien récit de martyre qui nous soit parvenu. Il fut diffusé dans toute la chrétienté et servit de modèle à d’autres « imitateurs du Christ ».

Récit du martyre de Polycarpe

L’Église de Dieu qui réside à Smyrne à l’Église de Dieu qui est à Philomélion et à toutes les communautés que l’Église sainte et universelle a partout établies. Que Dieu notre Père et notre Seigneur Jésus-Christ vous remplissent de miséricorde, de paix et d’amour !

Frères, c’est pour vous que nous rédigeons les actes des martyrs et du bienheureux Polycarpe, dont le supplice sembla achever la persécution en la frappant de son sceau.

En presque tous les événements qui précédèrent sa mort, le Seigneur nous montre un martyre tout entier évangélique. Polycarpe a attendu d’être livre, comme le Seigneur, afin qu’imitant son exemple, nous regardions moins notre intérêt que celui de notre prochain. L’amour, quand il est vrai et fort, n’incline pas à se sauver seul, il aspire au salut de tous les frères.

Bienheureux et vaillants, tous ces martyrs qui firent honneur à Dieu ! Ayons en effet assez de foi pour attribuer à Dieu cette liberté au sein de tant d’épreuves ! Qui n’admirerait le courage de ces hommes, leur patience, l’amour qu’ils portaient à leur Maître ? Lacérés par les fouets qui mettaient à vif leurs veines et leurs artères, ils ne fléchissaient pas, alors que les assistants ne pouvaient réprimer des cris de douleur et de pitié. Mais chez eux, l’on n’entendait ni gémissement ni soupir, et leur vaillance prouva qu’à l’heure où on les suppliciait, ces admirables témoins du Christ avaient déjà quitté leur corps, ou plutôt que le Seigneur était là et s’entretenait avec eux.

Ravis par la grâce du Christ, ils n’avaient que mépris pour les tortures infligées, puisqu’une heure leur gagnait la vie éternelle. Le feu de leurs bourreaux inhumains leur semblait froid. Un autre feu les inquiétait, qu’ils voulaient fuir, éternel celui-là, destiné à ne jamais s’éteindre. Ils considéraient avec leurs yeux du coeur les bienfaits que Dieu réserve au courage, que l’oreille n’a pas entendus, que l’oeil n’a pas vus, et qui ne sont pas montés au coeur de l’homme (1 Co 2, 9). Mais le Seigneur les leur découvrait puisqu’ils n’étaient plus des hommes mais déjà des anges.

Ceux que l’on avait condamnés aux bêtes supportèrent aussi d’abominables tourments : on les étendait sur des coquillages hérissés de pointes, on les soumettait aux tortures les plus raffinées, espérant, par la variété et la longueur de ces supplices, qu’ils finiraient par renier leur foi.

Le Diable contre eux déploya toutes sortes de ruses. Grâce à Dieu, il n’en vainquit aucun. L’un des plus résolus, Germanicus, fortifiait les plus faibles par son intrépidité : son combat avec les bêtes fut admirable. Le proconsul essayait de le convaincre, il le suppliait d’avoir pitié de sa jeunesse, mais lui, impatient d’en finir avec ce monde d’injustice et de cruauté, provoqua le fauve qui se jeta sur lui. Alors la foule, déchaînée par le courage des chrétiens et par la foi de cette race ardente, hurla : « A mort, les impies, qu’on cherche Polycarpe ! »

Un seul défaillit, à la vue des bêtes. C’était un Phrygien, arrivé depuis peu de son pays ; il se nommait Quintus. Il s’était de lui-même dénoncé, entraînant avec lui quelques compagnons. Le proconsul, à force d’insister, réussit à le faire abjurer et il sacrifia. Aussi n’y a-t-il pas lieu de féliciter ceux qui vont au-devant du martyre ; un tel zèle n’est pas évangélique.

Polycarpe, le plus admirable de tous, ne se laissa pas d’abord émouvoir par les rumeurs de persécution. Il voulait rester en ville. Mais comme son entourage le pressait d’aller se mettre à l’abri, il gagna une petite maison non loin de Smyrne et il l’habita avec quelques amis, ne faisant qu’y prier jour et nuit, pour tous les hommes et toutes les Églises de ce monde, selon la coutume.

C’est au cours de sa prière que, trois jours avant d’être arrêté, il eut une vision : son oreiller prenait le feu et était entièrement consumé. Alors il se tourna vers ses compagnons : « Il faut que je sois brûlé vif. »

Cependant on le recherchait activement. Il dut gagner une seconde cachette ; à peine y arrivait-il que les gens lancés à sa poursuite firent irruption dans la première maison. Ne l’y trouvant pas, ils saisirent deux jeunes esclaves, en torturèrent un, qui parla. Polycarpe désormais ne pouvait plus leur échapper, puisqu’il avait été dénoncé par un des siens. L’irénarque qui répondait au nom d’Hérode, était pressé de le conduire au stade. Ainsi Polycarpe accomplirait-il sa destinée, en ne faisant qu’un avec le Christ, tandis que ceux qui l’avaient livré subiraient le châtiment de Judas.

Ils emmenèrent le jeune esclave. C’était un vendredi, vers l’heure du dîner. Les policiers, à pied et à cheval, armés jusqu’aux dents, se mirent en chasse, comme s’ils couraient après un brigand. Tard dans la soirée, les voilà qui trouvent la maison et se lancent à l’assaut. Il était couché à l’étage supérieur. Une fois encore, il aurait pu s’échapper, mais il refusa : « Que la volonté de Dieu soit faite », dit-il.

Quand il sut qu’ils étaient là, il descendit et engagea la conversation. Son âge et sa sérénité les frappèrent et ils ne comprenaient pas qu’on ait mis tant de police sur le pied de guerre pour arrêter un si noble vieillard. Mais lui, malgré l’heure tardive, les invita aussitôt à manger et à boire à satiété, il leur demanda seulement de lui laisser une heure pour prier en paix. Ils le lui accordèrent. Alors, debout, il se mit à prier, si intensément pénétré de la grâce de Dieu que deux heures durant il ne cessa de parler et d’impressionner ceux qui l’écoutaient. Beaucoup se repentaient d’être venus arrêter un vieillard aussi saint.

Quand il eut achevé sa prière, où il avait fait mémoire de tous ceux qu’il avait rencontrés dans sa vie, petits ou grands, illustres ou obscurs, et de toute l’Église catholique, répandue dans le monde entier, l’heure du départ était arrivée. On le jucha sur un âne et on le conduisit à la ville : c’était le jour du grand sabbat. L’irénarque Hérode, ainsi que son père Nicétès, vinrent au-devant de lui et le firent monter dans leur carrosse. Assis à ses côtés, ils essayèrent de le fléchir, disant : « Quel mal y a-t-il à dire Seigneur César, à sacrifier et à observer notre religion pour sauver sa vie ? »

Mais lui ne leur répondit d’abord pas et, comme ils insistaient, il leur déclara : « Je ne suivrai pas vos conseils ». Humilés par leur échec, ses interlocuteurs l’accablèrent d’injures et le poussèrent si brutalement de la voiture qu’en descendant il s’écorcha la jambe. Mais il n’en parut pas troublé, et il marcha d’un pas résolu, comme s’il ne sentait rien, vers le stade où on le conduisait.

Du stade montait une énorme rumeur et nul ne pouvait s’y faire entendre. Quand Polycarpe en franchit les portes, une voix retentit du ciel : « Courage, Polycarpe, et sois un homme ». Nul ne vit qui avait parlé, mais ceux des nôtres qui étaient présents entendirent la voix. On fit entrer Polycarpe. Quand la foule apprit qu’il avait été arrêté, les clameurs redoublèrent.

Le proconsul le fit comparaître devant lui et lui demanda s’il était Polycarpe. « Oui », répondit celui-ci. Alors il essaya de le faire abjurer : « Respecte ton âge », disait-il.Suivaient toutes les paroles que l’on tenait en pareil cas : « Jure par la fortune de César, rétracte-toi, crie : à mort les impies ! »

Alors Polycarpe jeta un oeil sombre sur cette populace de païens massée dans le stade, et pointa sa main vers elle. Puis il soupira, et, les yeux levés au ciel, il dit : « A bas les impies ! » Le proconsul le pressait de plus belle : « Jure donc et je te libère, maudis le Christ ! »

Polycarpe répondit : « Si tu t’imagines que je vais jurer par la fortune de César, comme tu dis, en feignant d’ignorer qui je suis, écoute-le donc une bonne fois : je suis chrétien. Voilà quatre-vingt-six ans que je le sers et il ne m’a fait aucun mal. Comment pourrais-je insulter mon roi et mon sauveur ? Si le christianisme t’intéresse, donne-toi un jour pour m’entendre ». Le proconsul lui dit : « Essaie de convaincre le peuple ». Mais Polycarpe répliqua : « Avec toi, je veux bien m’expliquer. Dieu nous demande de respecter comme elles le méritent les autorités et les hautes fonctions qu’il a lui-même instituées, du moment que cela ne nous porte pas préjudice. Mais ces gens-là ont trop peu de dignité pour que je défende ma foi devant eux ».

Le proconsul reprit : « J’ai des fauves, je t’y ferai jeter si tu ne changes pas d’opinion ».

- Fais-les venir ! Quand nous changeons, nous, ce n’est pas pour aller du bien au mal. Nous ne consentons à changer que pour devenir meilleurs.

Le magistrat s’irritait : « Je t’envoie au bûcher si tu ne crains pas les fauves. Apostasie donc ».

Polycarpe répliqua : « Tu me menaces d’un feu qui brûle une heure, puis s’éteint rapidement. Tu ignores donc le feu du jugement à venir et du châtiment éternel gardé pour les impies. Mais pourquoi tardes-tu ? Va, donne tes ordres ».

Telles furent ses paroles, et bien d’autres encore. Il rayonnait de courage et de joie, et la grâce inondait sa face. Il ne s’était pas laissé démonter par cette confrontation, c’était au contraire le proconsul qu’elle plongeait dans le désarroi.

Cependant, ce dernier envoya son héraut au milieu du stade pour claironner trois fois : « Polycarpe a avoué qu’il est chrétien ! » La déclaration du héraut mit en fureur toute la foule des païens et des Juifs qui résidaient à Smyrne. Les cris éclatèrent : « C’est lui, le maître de l’Asie, le père des chrétiens, le fossoyeur de nos dieux, c’est lui qui incite les foules à ne plus sacrifier ni adorer ! »

Au milieu de leurs hurlements, ils demandaient à l’asiarque Philippe de lâcher un lion sur Polycarpe. Mais il objecta qu’il n’en avait plus le droit, parce que les combats de fauves étaient clos. Alors d’une seule voix, ils réclamèrent que Polycarpe pérît par le feu. Il fallait en effet que s’accomplît la vision qui lui avait montré son oreiller en flammes, tandis qu’il priait, et qui lui avait arraché devant ses amis ce mot prophétique : « Il faut que je sois brûlé vif ».

Les événements se précipitèrent. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la foule se rua dans les ateliers et dans les bains pour ramasser du bois et des fagots. Les Juifs s’acquittaient de la besogne avec leur zèle habituel. Quand le bûcher fut prêt, le martyr retira lui-même tous ses vêtements, il détacha sa ceinture, puis commença à se déchausser, geste dont les fidèles le dispensaient toujours : dans l’impatience où ils étaient de toucher son corps, tous se précipitaient pour l’aider. Bien avant son martyre, la sainteté de sa conduite inspirait cette unanime révérence.

Rapidement, on disposa autour de lui les matériaux rassemblés pour le feu. Mais, quand les gardes voulurent le clouer au poteau : « Laissez-moi comme je suis, leur dit-il. Celui qui m’a donné la force d’affronter ces flammes me donnera aussi, même sans la précaution de vos clous, de rester immobile sur le bûcher. » Ils ne le clouèrent donc pas et bornèrent à le lier. Les mains derrière le dos, ainsi attaché, il ressemblait à un bélier magnifique, pris dans un grand troupeau pour être offert en sacrifice à Dieu et à lui seul destiné. Alors, il leva les yeux au ciel et dit : « Seigneur, Dieu tout-puissant, Père de Jésus-Christ, ton Fils béni et bien-aimé, à qui nous devons de te connaître, Dieu des anges, des puissances, de toute la création et du peuple entier des justes qui vivent sous ton regard, je te bénis parce que tu m’as jugé digne de ce jour et de cette heure, et que tu me permets de porter mes lèvres à la coupe de ton Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l’âme et du corps dans l’incorruptibilité de l’Esprit Saint. Accueille-moi parmi eux devant ta face aujourd’hui ; que mon sacrifice te soit agréable et onctueux, en même temps que conforme au dessein que tu as conçu, préparé et accompli. Toi qui ne connais pas le mensonge, ô Dieu de vérité, je te loue de toutes tes grâces, je te bénis, je te glorifie au nom du Grand Prêtre éternel et céleste, Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé, par lequel la gloire soit à toi comme à lui et à l’Esprit Saint, aujourd’hui et dans les siècles futurs. Amen ! »

Quand il eut prononcé cet « amen », qui achevait sa prière, les valets allumèrent le feu. Une gerbe immense s’éleva et nous fûmes les témoins d’un spectacle extraordinaire qui ne fut donné à voir qu’à ceux qui avaient été choisis pour ensuite faire connaître ces événements. La flamme s’arrondit. Semblable à la voilure d’un navire que gonfle le vent, elle entoura comme d’un rempart, le corps du martyr. Ce n’était plus une chair qui brûle, c’était un pain que l’on dore, c’était un or et un argent incandescents dans le creuset, et nous respirions un parfum aussi capiteux qu’une bouffée d’encens ou quelque autre aromate de prix.

À la fin, voyant que le feu ne pouvait consumer son corps, les scélérats ordonnèrent au bourreau de l’achever d’un coup de poignard. Il s’exécuta. Un flot de sang jaillit de la plaie et éteignit le feu. Toute la foule s’étonna de la grande différence qui sépare les incroyants des élus.

L’admirable Polycarpe était l’un de ces élus, maître de notre temps, apôtre, prophète, évêque de l’Église catholique de Smyrne. Toute parole sortie de sa bouche s’est vérifiée et se vérifiera.

Le Diable, le jaloux, l’ennemi de la race des justes, voyant la grandeur de son martyre, l’irréprochable conduite qui fut la sienne dès son enfance, la couronne d’incorruptibilité posée sur son front, et la récompense incontestée qu’il remporta, essaya de nous empêcher de retirer son corps que beaucoup étaient, en effet, impatients de reprendre, ne fût-ce que pour toucher cette chair sacrée. Il souffla donc à Nicétès, le père d’Hérode et le frère d’Alcé, de persuader le magistrat de ne pas rendre le corps. Car, disait-il, ils vont oublier leur crucifié pour se mettre à adorer celui-ci. Les Juifs appuyaient frénétiquement ces discours. Ils nous avaient épiés quand nous avions tenté de le reprendre sur le bûcher. Ils ne savaient pas que jamais nous ne pourrons renoncer au Christ qui a souffert pour le salut du monde entier, immolant son innocence à nos péchés ; Nous n’en adorerons jamais un autre. Nous vénérons le Christ parce qu’il est le Fils de Dieu, et nous aimons les martyrs parce qu’ils sont les disciples et les imitateurs du Seigneur. Leur ferveur incomparable envers leur roi et leur maître mérite bien cet hommage. Puissions-nous aussi être leurs compagnons et leurs condisciples.

Quand il vit la querelle que déchaînaient les Juifs, le centurion exposa le corps au milieu de la place, comme c’est l’usage, et le fit brûler. C’est ainsi que nous revînmes plus tard recueillir les cendres que nous jugions plus précieuses que des pierreries et qui nous étaient plus chères que de l’or. Nous les déposâmes en un lieu de notre choix. C’est là que le Seigneur nous donnera, autant que cela se pourra, de nous réunir dans la joie et la fête, pour y célébrer l’anniversaire de son martyre et pour nous souvenir de ceux qui ont combattu avant lui, fortifiant et épaulant ceux qui le feront après.

Telle est l’histoire du bienheureux Polycarpe. Il fut le douzième d’entre nos frères de Philadelphie à souffrir à Smyrne. Son souvenir reste plus vivant que tous les autres et il est le seul dont les païens chantent partout les louanges. Il fut un maître prestigieux, un martyr hors pair, dont tous aimeraient imiter la passion, si fidèle à l’Évangile du Christ. Son courage a eu raison d’un magistrat inique et lui a mérité la couronne d’incorruptibilité. Il partage désormais la joie des apôtres et de tous les justes, il glorifie dieu, le Père tout-puissant, et bénit notre Seigneur Jésus-Christ, le sauveur de nos vies et le guide de nos corps, le pasteur de l’Église catholique répandue dans le monde.

Vous désiriez avoir un rapport détaillé de ces événements. Nous nous bornons ici au récit succinct qu’en a fait notre frère Marcion. Quand vous aurez lu cette lettre, transmettez-là) de proche en proche à nos frères, afin qu’eux aussi rendent gloire au Seigneur, qui choisit ses élus parmi ses serviteurs.

À celui qui, par sa grâce et sa bonté, a le pouvoir de nous conduire tous à son Royaume éternel, par son Fils unique Jésus-Christ, gloire, honneur, puissance, grandeur dans les siècles !

Saluez tous les chrétiens. Ceux qui sont avec nous vous envoient leurs salutations, j’ajoute les miennes et celles d’Évariste le scribe, ainsi que de sa famille.

Sources :

Bruno Chenu, Claude Prud’homme, France Quéré, Jean-Claude Thomas, Le livre des martyrs chrétiens, Centurion, Paris 1988, p. 42-49.

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Saint Polycarpe, image du site:

http://www.conocereisdeverdad.org/website/index.php?id=4579

L’Eglise italienne exporte son modèle en Espagne

23 février, 2007

 du site italienne: « La Chiesa.it »

L’Eglise italienne exporte son modèle en Espagne


La référence est le discours de Benoît XVI à Vérone. C’est ce qu’écrivent les évêques espagnols, dans un document qui contre attaque fermement « l’onde de choc du laïcisme » sur la vie et la famille

par Sandro Magister

L’Eglise italienne exporte son modèle en Espagne dans Approfondissement

ROME, le 23 février 2007 – Lorsque Benoît XVI, s’adressant à Vérone à des évêques, prêtres et laïcs de l’Eglise italienne réunis le 19 octobre 2006, parie sur l’Italie comme « point de départ très favorable » pour une renaissance chrétienne en Europe et dans le monde, grand nombre d’entre eux hoche la tête avec incrédulité.

La bataille acharnée que mènent le pape et les évêques actuellement contre la légalisation, en Italie, des unions de fait hétérosexuelles et homosexuelles, suscite également des réactions de scepticisme.

Parmi les sceptiques, on compte certains des intellectuels catholiques les plus connus. L’un d’eux, le juriste Leopoldo Elia, ancien président de la Cour constitutionnelle, s’est exprimé ainsi dans le « Corriere della Sera » du 13 février, pour expliquer que le pape Joseph Ratzinger s’est trompé dans son pari sur l’Italie, tout comme l’Eglise dans sa réaction si forte à propos des nouvelles lois:

« Il semble que l’Eglise veuille faire de l’Italie l’exception de l’Europe: l’Italie catholique où les lois en vigueur dans tous les autres pays n’existent pas. Pourquoi l’Eglise espagnole a-t-elle réagit d’une manière mesuré sur la loi sur les unions de fait, alors que l’Eglise italienne pousse à l’affrontement au parlement? Pourquoi une réaction si excessive par rapport à celle tout à fait contenue des conférences épiscopales de France et d’Allemagne? On dirait que c’est la manifestation d’une volonté de garder une exception italienne. Peut-être parce le Saint Siège se trouve à Rome, parce que nous avons eu les états pontificaux, la Contre reforme, une longue tradition de liens entre le trône et l’autel… Le fait est que l’Eglise italienne n’accepte pas de se mettre au diapason de l’Europe ».

Mais en est-il vraiment ainsi? Il ne fait pas de doutes que dans d’autres pays d’Europe l’Eglise catholique ait réagit plus faiblement et sans succès aux lois sur les unions de fait, sur le mariage entre homosexuels, sur le divorce rapide, sur l’avortement, sur l’euthanasie, sur la fécondation artificielle, sur l’utilisation des embryons.

Sans aucun doute aussi la résistance de l’Eglise en Italie a été beaucoup plus efficace au cours de ces dernières années. Il suffit de penser à la victoire en juin 2005 lors des referendums qui voulaient la libéralisation du recours à la fécondation hétérologue et la destruction des embryons. L’Eglise appelait à ne pas voter, et trois électeurs sur quatre ne se sont pas rendus aux urnes, ce qui a eu comme effet d’annuler le scrutin.

Il y a cependant une donnée plus intéressante. L’Eglise italienne n’est plus, depuis quelque temps, une exception solitaire, parmi les Eglises de l’Europe occidentale. D’autres conférences épiscopales la prennent en exemple et imitent son action. Au Portugal, par exemple, l’Eglise s’est récemment opposée avec fermeté au referendum sur la dépénalisation de l’avortement: ce referendum, qui a eu lieu le 11 février dernier, a échoué en raison d’un nombre insuffisant de votants.

Mais l’exemple le plus frappant d’imitation du modèle italien se produit en Espagne. Dans ce pays, la conférence épiscopale effectue une véritable demi tour, après de nombreuses années de divisions, d’atermoiements et d’absence d’un vrai guide reconnu. Lorsque les premiers signes annonciateurs des lois nouvelles sur les sujets sensibles se sont manifestés, sous le gouvernement conservateur de José Maria Aznar, les réactions de l’épiscopat ont été faibles. Et quand le gouvernement laïc de José Luis Rodriguez Zapatero est passé à l’acte avec des nouveautés en rafale, l’Eglise les a subies, presque incrédule. Mais ce choc a également provoqué une réaction. Le premier geste qui a montré que l’Eglise reprend l’initiative a été la grande manifestation à Madrid, un million et demi de personnes dans les rues, avec les évêques en tête du cortège.

Plus que ce geste symbolique, deux documents collectifs témoignent du changement de cap de l’épiscopat espagnol. Il s’agit de deux « instructions pastorales », discutées et votées par tous les évêques en 2006 et publiées la première le 30 mars et la seconde le 23 novembre.

Www.chiesa a évoqué la première l’été dernier, en citant de larges extraits en italien et en anglais. Elle critique sévèrement les déviations doctrinales et morales présentes dans l’Eglise espagnole, leur attribuant l’incapacité de cette Eglise d’affronter les défis de la sécularisation. Aujourd’hui ce document – écrit en accord avec la congrégation vaticane pour la doctrine de la foi – constitue la base d’une campagne de clarification doctrinale dans les diocèses, dans le clergé, dans les séminaires, chez les catéchistes, dans les associations et dans les paroisses.

La seconde entre plus directement dans le vif des changements intervenus dans la société et dans la politique en Espagne. Les évêques décrivent et jugent l’onde de choc du laïcisme en cours, ils rappellent les catholiques à leurs responsabilités religieuses et civiles et ils proposent les orientations morales qui permettront une réponse efficace à la situation présente.

De larges extraits de l’instruction sont donnés ci-dessous. Il suffit de les lire pour comprendre à quel point le modèle italien – celui représenté par le cardinal Camillo Ruini à la tête de la conférence épiscopale – a fait école parmi les évêques.

Mais il y a plus. Le document que les évêques espagnols prennent comme modèle de leur instruction est précisément le discours prononcé par Benoît XVI aux états généraux de l’Eglise italienne, à Vérone.

Le pari de Benoît XVI sur le « grand service » que l’Eglise peut rendre à « l’Europe et au monde » commence à donner ses premiers fruits.

« Comme le pape Benoît XVI l’a dit à Vérone… »

Extrait de l’instruction pastorale « Orientations morales dans la situation actuelle de l’Espagne », 23 novembre 2006

[...] Une situation inédite: l’onde de choc du laïcisme

8. La montée alarmante du laïcisme dans notre société est un élément que nous voulons mettre en évidence, dans la mesure où il est déterminant dans l’interprétation et l’évaluation des nouvelles données concernant de la foi. [...]

9. Dans un contexte de transformation sociale de grande envergure, l’Espagne se voit envahie par un mode de vie où toute référence à Dieu est considérée comme un frein à l’épanouissement intellectuel et le plein exercice de la liberté. Nous vivons dans un monde qui est en train de poser les bases d’une perception athée de l’existence elle-même : « Si Dieu existe, je ne suis pas libre ; si je suis libre, je ne peux pas accepter l’existence de Dieu ». Voilà – bien qu’il ne soit pas toujours perçu de manière si explicite au niveau intellectuel – le problème radical de notre culture : la négation de Dieu et le choix de vivre « comme si Dieu n’existait pas ». La propagation du laïcisme engendre des changements profonds dans la vie des personnes, étant donné que la connaissance de Dieu constitue la racine vivante et profonde de la culture des peuples et aussi le facteur le plus influent dans l’élaboration de leur projet de vie personnelle, familiale et sociale.

10. Ce mal enraciné dans notre époque relève donc de quelque chose d’aussi vieux que le désir illusoire et blasphématoire de devenir les maîtres du monde, de mener notre vie et celle de la société selon notre bon plaisir, sans rendre de comptes à Dieu, comme si nous étions les vrais créateurs du monde et de nous-mêmes. D’où l’exaltation de la liberté personnelle comme norme suprême du bien et du mal et l’oubli de Dieu, entraînant le mépris de la religion tandis que l’idolâtrie des biens du monde et de la vie terrestre les érige en valeurs suprêmes.

11. Le pape Benoît XVI, avec sa simplicité et sa profondeur habituelles, a récemment examiné cette même situation dans son discours au IVe Congrès national ecclésial de l’Eglise en Italie. [...]

Sur les raisons de cette situation

14. Le processus de déchristianisation et de détérioration morale de la vie personnelle, familiale et sociale est favorisé par certaines caractéristiques objectives de notre vie, comme l’enrichissement rapide, la multiplication des possibilités d’occuper son temps libre, l’excès d’activités ou l’obscurcissement de la conscience face au développement rapide de la science et de la technique. Si l’on poursuit l’analyse, la propagation de ce processus a été facilitée par la formation religieuse insuffisante de nombreuses personnes, croyantes ou non, par certaines conceptions erronées de Dieu et de la vraie religion, par le manque de cohérence dans la vie personnelle et sociale de nombreux chrétiens et par l’influence d’idées erronées sur l’origine, la nature et le destin de l’homme et, dernier motif mais pas le moins important, par la faiblesse morale de l’ensemble de l’humanité et par la séduction des biens de ce monde: par « cette cupidité insatiable qui est une idolâtrie » (Colossiens 3,5). [...]

17. Ainsi, le laïcisme construit une société qui, dans ses aspects sociaux et publics, se heurte aux valeurs fondamentales de notre culture, prive de leur racines des institutions aussi importantes que le mariage et la famille, dissout les fondements de la vie morale, de la justice et de la solidarité et place les chrétiens dans un monde étranger et hostile à leur culture. Il ne s’agit pas de vouloir imposer nos critères moraux à toute la société. Nous savons parfaitement que la foi en Jésus-Christ est un don de Dieu mais aussi un choix libre pour chaque personne, éclairée par la raison et aidée par l’assistance divine. Mais il est clair pour nous que tout ce qui tend à introduire des idées et des usages contraires à la loi naturelle, fondée sur la juste raison et sur le patrimoine spirituel et moral accumulé tout au long de l’histoire de la société, affaiblit les fondements de la justice et porte atteinte à la vie des personnes et de la société toute entière

18. Dans de nombreux milieux il est difficile de se présenter comme chrétien: apparemment la seule attitude correcte et dans l’air du temps est de se présenter comme agnostique et partisan d’une forme de laïcisme radical et intransigeant. Certains groupes prétendent exclure les catholiques de la vie publique et accélérer l’instauration du laïcisme et du relativisme moral, comme seule culture compatible avec la démocratie. Cela nous parait être l’interprétation correcte de la difficulté croissante que rencontre le projet d’introduire l’étude facultative de la religion catholique dans les programmes de l’école publique. Certaines lois et positions contraires à la loi naturelle vont également dans le même sens; elles détériorent ce qui représente la valeur morale dans la société, formée en grande partie de catholiques, c’est ce qui s’est produit avec l’étrange définition légale du mariage, qui exclut toute référence à la différence entre homme et femme ; ou avec le soutien à « l’idéologie du genre » tellement en vogue, avec la loi sur le  » divorce rapide « , la tolérance croissante envers l’avortement, la production d’êtres humains pour la recherche, l’introduction annoncée d’une nouvelle matière obligatoire à l’école, « l’éducation à la citoyenneté », qui comporte le risque d’une intromission inacceptable de l’état dans l’éducation morale des élèves, qui revient tout d’abord à la famille et à l’école. […]

Responsabilité de l’Eglise et des catholiques

26. Une tentation pour les chrétiens dans la vie démocratique est le désir de faciliter, à tort, la vie en société, en cachant ou en diluant leur identité, jusqu’à y renoncer dans certaines circonstances. Derrière cette apparente générosité se cache le manque de confiance dans la valeur et dans l’actualité de l’Evangile et de la vie chrétienne Le message de Jésus et la doctrine de l’Eglise ont une valeur permanente et sont en mesure de s’adapter à toutes les situations, en proposant des réponses aux différents problèmes et besoins des hommes, sans qu’il soit nécessaire de les délayer ou de les soumettre aux dictats de la culture laïque et hédoniste dominante. Les conséquences destructrices de ce comportement, caractérisé par la recherche impatiente et irresponsable d’une fausse cohabitation entre le catholicisme et le laïcisme, ont été la multiplication de tensions internes récurrentes, et l’affaiblissement de la crédibilité et de la vie de l’Eglise qui en est la conséquence. A travers ce qui se produit, Dieu nous demande, à nous les catholiques, un effort d’authenticité et de fidélité, d’humilité et d’unité, pour pouvoir offrir d’une façon convaincante à nos concitoyens, les dons que nous avons reçu, sans dissimulations ni déformations, sans désaccords ni concessions, qui cacheraient la splendeur de la vérité de Dieu et la force d’attraction de ses promesses. Une éducation adaptée à la vie démocratique doit nous aider à partager, d’une façon constructive, la vie avec ceux qui pensent différemment de nous, sans compromettre notre identité catholique.

Annoncer le « oui » de Dieu à l’humanité, en Jésus Christ

27. En tant que membres de l’Eglise, nous ne trouverons pas de solutions valables à proposer à notre société en imitant ce que nous rencontrons autour de nous ; au contraire, ces solutions jaillissent du coeur de l’Eglise ; de ce trésor – que sont’ le souvenir et la présence vivante du Christ – dont nous pouvons extraire continuellement des éléments anciens et nouveaux (voir Mathieu 13,52). Le projet permanent de l’Eglise, c’est Jésus Christ. A travers son message, son exemple, la force de sa présence dans les sacrements, en particulier dans celui de l’eucharistie, nous trouverons certainement la force spirituelle et le discernement nécessaires pour vivre et annoncer le royaume de Dieu dans le monde présent, qui appartient à Dieu et à nous aussi. […]

28. Comme l’a dit le pape Benoît XVI à Vérone nous poursuivons aujourd’hui notre grande mission qui est d’offrir à nos frères le « grand oui  » que Dieu dit, à travers Jésus Christ, à l’homme et à sa vie, à l’amour humain, à notre liberté et à notre intelligence, en montrant à tous comment la foi en ce Dieu, qui a un visage humain, donne la joie au monde. En effet, le christianisme est ouvert à tout ce qu’il y a de juste, de vrai et de pur dans les cultures et les civilisations; et à tout ce qui réjouit, console et fortifie notre existence. Saint Paul a écrit, dans la lettre aux Philippiens: « Que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l’objet de vos pensées » (4,8).

Partir d’une identité catholique vigoureuse

33. […] Rappelons, brièvement, certains éléments de l’identité spirituelle catholique, qui rendent possible le discernement et l’engagement moral. Dans les lignes suivantes, nous nous inspirons de très près du discours de Benoît XVI à Vérone déjà cité.

34. La résurrection du Christ est un fait historique; les apôtres en ont été les témoins et non pas les créateurs. Il ne s’agit pas d’un simple retour à notre vie terrestre ; c’est au contraire la « transformation » la plus grande de toute l’histoire, le « saut » crucial vers une dimension de vie profondément nouvelle, l’entrée dans un ordre radicalement différent, qui concerne Jésus de Nazareth en premier lieu, mais nous aussi, tout le genre humain, l’histoire et l’univers entier. C’est pourquoi la résurrection de Jésus est au centre de la prédication et du témoignage chrétien, du début jusqu’à la fin des temps. Jésus ressuscite des morts parce que tout son être est uni à Dieu, qui est amour et donc réellement plus fort que la mort. Sa résurrection a été une explosion de lumière, une explosion d’amour qui a brisé les chaînes du péché et de la mort. Sa résurrection a crée une nouvelle dimension de la vie et de la réalité; il en résulte une nouvelle création qui imprègne continuellement notre monde, le transforme et l attire à soi.

35. Tout ceci se produit, en effet, grâce à la vie et au témoignage de l’Eglise. […]

39. La reconnaissance de Jésus Christ et notre participation à sa mission, en communion avec l’Eglise, s’exprime en quelques objectifs concrets, auxquels il faut se consacrer sérieusement. Nous pensons à trois d’entre eux, qui sont particulièrement urgents dans la situation actuelle.

40. 1 – Formation à la foi. Pour fortifier l’identité et la clarté du témoignage chrétien et des communautés catholiques de notre société, avec le retour aux sources et l’intensification de la formation spirituelle et la communion ecclésiale, nous devons nous préoccuper, davantage et mieux, de l’initiation chrétienne systématique des enfants, des jeunes et des adultes. Il faudra promouvoir les catéchuménats de conversion en tant que parcours pour accueillir les nouveaux chrétiens dans la communauté ecclésiale ; nous devons conserver fidèlement la discipline des sacrements et la cohérence de la vie chrétienne, sans céder aux tendances et aux préférences de la culture laïciste, ni nous fondre dans l’anonymat et dans la soumission aux usages en vigueur.

41. 2 – Annoncer l’Evangile du mariage et de la famille. Un deuxième point central dans nos préoccupations doit être d’annoncer et de vivre, authentiquement, le mystère chrétien du mariage et de la famille. Nous constatons avec douleur comment le législateur espagnol a supprimé de la loi civile espagnole une institution aussi importante pour la vie des personnes et de la société qu’est le vrai mariage Il est inscrit, dans la nature personnelle de l’être humain et plus profondément dans l’esprit du Créateur, que des liens aussi important et beaux tels que les liens matrimoniaux, paternels, maternels, filiaux et fraternels se réalisent dans le mariage, compris comme union indissoluble de vie et d’amour entre un homme et une femme, ouvert à la transmission responsable de la vie et à l’éducation des enfants. Les lois en vigueur facilitent la dissolution du mariage en dispensant les parties concernées de fournir des motifs pour l’obtenir et de plus elles ont supprimé la référence à l’homme et à la femme en tant que sujet qui contracte le mariage. Cet état de fait nous oblige à constater, avec stupeur, que la législation espagnole actuelle non seulement ne protège pas le mariage, elle en méconnaît l’essence propre et spécifique. Ni L’Eglise ni nous les catholiques, nous ne pouvons accepter cette situation, dans laquelle nous voyons une désobéissance grave au dessein divin, une contradiction à la nature de l’être humain et, en conséquence, un atteinte extrêmement grave au bien des personne et de toute la société.

42. Le mariage chrétien, sacrement de l’amour de Dieu, vécu dans la relation conjugale et familiale, est en train de devenir une protestation vivante contre une mentalité et une législation qui attaquent gravement le bien commun. Il devient également, la préfiguration d’une vraie humanité, édifiée sur cet amour humain que l’amour de Dieu rend possible dans le monde. Les époux chrétiens, renforcés par l’amour du Christ envers son Eglise, doivent réellement communiquer la foi aux nouvelles générations, être les éducateurs de l’amour et de la confiance, les témoins de la nouvelle société purifiée et vivifiée par la présence et par l’action de l’amour divin dans les cœur des hommes.

43. 3 – Donner de l’importance à la messe du dimanche. La vigueur et la force de la vie chrétienne des baptisés et de la communauté toute entière, s’alimentent de la célébration de l’eucharistie, et en particulier, de celle du dimanche, le jour du Seigneur ressuscité et de l’Eglise. Dans une société devenue culturellement païenne et dans laquelle les catholiques vivent plus ou moins dispersés, l’assemblée eucharistique du dimanche devient, si cela est possible, encore plus nécessaire et doit être l’objet de soins très attentifs. Cette assemblée est plus nécessaire pour les catholiques, qui doivent renouveler périodiquement leur foi et leur unité au cours de la célébration liturgique; elle l’est aussi pour assurer la visibilité de l’Eglise et des catholiques dans la société. La célébration de l’eucharistie implique le recours fréquent au sacrement de la pénitence, selon la discipline de l’Eglise, pour la préparation personnelle à la célébration, sincère et profonde, des mystères du salut.

44. Nous savons bien que le choix de croire et celui de suivre Jésus ne sont jamais faciles; au contraire, ils donnent toujours lieu à des contestations et des controverses. Aujourd’hui aussi l’Eglise continue à être un « signe de contradiction », à l’exemple de son Maître (Luc 2,34). Pourtant, ne perdons pas espoir. Au contraire, nous devons toujours être prêts à répondre à qui nous demande raison de notre espérance, comme la Première lettre de saint Pierre nous invite à le faire (cf. 3,15). […]

L’Eglise et la société civile

47. Lorsque nous demandons aux catholiques de se manifester dans la vie publique et de chercher à l’influencer, cela ne veut pas dire que nous prétendons imposer la foi et la morale chrétiennes à qui que ce soit, ni que nous voulons nous mêler de questions qui ne sont pas de notre compétence. Dans cette assertion, il faut faire une distinction fondamentale. L’Eglise dans son ensemble, comme communauté, n’a pas de compétences ni d’attributions politiques. Ses buts sont essentiellement d’ordre religieux et moral. Avec Jésus et comme Jésus, nous annonçons le règne de Dieu, la nécessité de la conversion, le pardon des péchés et les promesses d’une vie éternelle. Par sa prédication, et par le témoignage des meilleurs de ses fils, l’Eglise aide ceux qui la regardent avec bienveillance à discerner ce qui est juste et à travailler au bien commun. Voici l’enseignement récent du pape: « L’Eglise n’est donc pas et n’entend pas être un agent politique. Mais en même temps, elle a un intérêt profond pour le bien de la communauté politique, qui est animée par le souci de justice et elle lui offre à un double niveau sa contribution spécifique. La foi chrétienne purifie en fait la raison et l’aide à mieux être elle-même: avec sa doctrine sociale, fondée sur ce qui est conforme à la nature de tout être humain, l’Eglise contribue à faire en sorte que ce qui est juste puisse être efficacement reconnu puis réalisé ».

48. D’autres points doivent être indiqués aux chrétiens laïcs. Ils sont membres de l’Eglise, mais également citoyens, dans la plénitude des droits et des devoirs. Ils partagent avec les autres les mêmes responsabilités sociales et politiques. Et, comme tous les autres citoyens, ils ont le droit et le devoir de se comporter dans leurs activités sociales et publiques selon leur conscience et selon leurs convictions religieuses et morales. La foi n’est pas une question purement privée. On ne peut pas demander aux catholiques qu’ils agissent sans tenir compte de la foi et de la charité fraternelle quand ils assument des responsabilités sociales, professionnelles, culturelles et politiques. C’est là la contribution spécifique que les catholiques peuvent apporter, dans ce domaine, au bien commun, partagé par tous. Vouloir exclure l’influence du christianisme de notre vie sociale serait non seulement une façon d’agir autoritaire et non démocratique mais aussi une grave mutilation et une perte regrettable. […]

Démocratie et morale

52. Il y a des gens qui pensent que la référence à une morale objective, préexistante et supérieure aux institutions démocratiques, est incompatible avec l’organisation démocratique de la société et de la vie en commun. On parle souvent de la démocratie comme si les institutions et les procédures démocratiques devaient être la première référence morale des citoyens, le principe qui régit la conscience personnelle, la source du bien et du mal. Derrière ce raisonnement, fruit d’une vision laïciste et relativiste de la vie, se cache un germe dangereux de pragmatisme machiavélique et d’autoritarisme. Si les institutions démocratiques, formées par des hommes et des femmes qui agissent selon leurs critères personnels propres, pouvaient être considérées comme la référence ultime de la conscience des citoyens, ni la critique ni la résistance morale aux décisions des parlementaires et des gouvernements n’auraient de sens. En définitive, le bien et le mal, la conscience individuelle et collective seraient déterminés par les décisions d’un petit nombre de personnes, par les intérêts des groupes qui à un moment donné exercent le pouvoir réel, politique et économique. Rien n’est plus contraire à la vraie démocratie.

53. La raison naturelle, éclairée et enrichie par la foi, voit les choses différemment. La démocratie n’est pas un système global de vie. C’est plutôt une manière d’organiser la vie en commun selon une conception de la vie préexistante et supérieure aux procédures démocratiques et aux normes juridiques. La valeur éthique de la personne humaine, reconnue et d’un point de vue naturel et d’un point de vue religieux, existe avant les procédures et les normes […] Dans une vraie démocratie, ce ne sont pas les institutions politiques qui forgent les convictions personnelles des citoyens, c’est tout le contraire; ce sont les citoyens qui doivent définir les institutions politiques et agir dans leur cadre selon leurs convictions morales personnelles, en accord avec leur conscience et toujours en faveur du bien commun.

54. La critique des procédures non démocratiques d’autres époques a conduit certains de nos concitoyens à croire que, dans la vie démocratique, la liberté exige que les décisions politiques ne reconnaissent aucun critère moral et ne se soumettent à aucun code moral objectif. C’est une conception très dangereuse et elle ne nous paraît pas acceptable. […] Si les parlementaires, et plus concrètement les dirigeants d’un groupe politique au pouvoir peuvent légiférer selon leurs propres critères, sans se soumettre à quelque principe moral, socialement reconnu et contraignant, que ce soit, la société toute entière reste à la merci des opinions et des désirs d’un petit nombre de personnes qui s’arrogent d’un pouvoir quasi absolu, ce qui va certainement au-delà de leurs prérogatives. Tout cela a une terrible conséquence: le positivisme juridique – doctrine qui ne reconnaît pas l’existence de principes éthiques qu’aucun pouvoir politique n’a jamais le droit de transgresser – est l’antichambre du totalitarisme.

55. On ne peut pas confondre la situation de non confessionnalité ou de laïcité de l’Etat avec l’affranchissement moral et l’exemption d’obligations morales objectives pour les dirigeants politiques. En disant cela, nous attendons des gouvernants qu’ils se soumettent non pas aux critères de la morale catholique mais à l’ensemble des valeurs morales en vigueur dans notre société, considérées avec respect et réalisme comme le résultat de la contribution des différents acteurs sociaux. Toutes les sociétés et tous les groupes qui les composent ont le droit d’être gouvernés dans la vie publique selon le dénominateur commun de la morale socialement en vigueur, fondée sur la raison juste et sur l’expérience historique de chaque peuple. Une politique qui prétend s’émanciper de cette reconnaissance se transformera assurément en dictature, en discrimination et en désordre. Une société où la dimension morale des lois et du gouvernement n’est pas suffisamment prise en considération est une société sans colonne vertébrale, littéralement désorientée, et constitue une proie facile pour la manipulation, la corruption et l’autoritarisme.

56. Par conséquent, avant d’appuyer par leur vote une des nombreuses propositions, les catholiques et les citoyens qui veulent agir de manière responsable doivent évaluer les différents programmes politiques qui leur sont proposés en prenant en considération la valeur que chaque parti politique, chaque programme et chaque candidat donne à la dimension morale de la vie mais aussi au fondement moral de leurs propositions et programmes. La qualité et l’exigence morale du citoyen, lorsqu’il exerce son droit de vote, sont le meilleur moyen pour conserver la force et l’authenticité des institutions démocratiques. « Mais il faut aussi – indique le pape – affronter avec autant de détermination que de clarté le risque de choix politiques et législatifs qui vont à l’encontre de valeurs fondamentales et de principes anthropologiques et éthiques enracinés dans la nature de l’être humain, particulièrement en ce qui concerne la protection de la vie humaine au cours de toutes ses étapes, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, et à la promotion la famille fondée sur la mariage, en évitant d’introduire dans l’ordre public d’autres formes d’unions qui contribueraient à la déstabiliser, en cachant le caractère unique et le rôle social irremplaçable de la famille et du mariage ». […]

Respect et protection de la liberté religieuse

62. L’état laïc, véritablement démocratique, est celui qui considère la liberté religieuse comme un élément fondamental du bien commun, méritant respect et protection. […]

64. Ce n’est pas sans inquiétude que nous voyons un certain nombre de signes de mépris et d’intolérance envers la présence de la religion catholique dans les programmes de l’école publique, ainsi que le refus d’exposer des symboles religieux dans les lieux publics ou le refus de soutenir par des fonds publics de manière proportionnée les institutions religieuses dans leurs activités sociales et spécifiquement religieuses. La religion mérite autant d’être soutenue que la musique, le sport, de même que les lieux de culte ne sont pas moins importants que les musées ou les stades pour l’épanouissement complet des citoyens. Nous assistons actuellement avec beaucoup d’inquiétude à l’affaiblissement des convictions morales de beaucoup de gens, à la multiplication de comportements contraires à la dignité humaine, comme la promiscuité et les violences sexuelles, le recours à l’avortement – en particulier chez les adolescents et les jeunes –, tout comme la dépendance à la drogue ou à l’alcoolisme et la délinquance des mineurs; nous observons avec regret la violence croissante à l’école et au sein des familles. C’est pourquoi nous ne comprenons pas le refus et l’intolérance que manifestent certaines personnes et institutions dans notre société contre la religion catholique. Sans éducation morale, la démocratie n’est pas possible. Personne ne peut nier que la religion éclaire et renforce les convictions et le comportement moral de ceux qui l’acceptent et qui la vivent d’une manière appropriée. Le gouvernement et l’Eglise devraient s’accorder sur la nécessité de développer l’éducation morale des personnes, et en particulier celle des jeunes. C’est pourquoi, au lieu de regarder l’Eglise avec méfiance, il faudrait la reconnaître comme une institution capable de contribuer de manière spécifique à cet objectif, si important pour le bien des personnes et de la société toute entière, qui répond à l’éducation morale juste de la jeunesse. […]

VATICAN – « Le Christ nous a choisi, pour être les seuls à pouvoir pardonner les péchés en son nom

21 février, 2007

 du Agence Fides:

VATICAN – « Le Christ nous a choisi, pour être les seuls à pouvoir pardonner les péchés en son nom : il s’agit donc d’un service ecclésial spécifique auquel nous devons donner la priorité » rappelle le Pape Benoît XVI aux ‘Pénitenciers’ des quatre basiliques pontificales romaines 

Cité du Vatican (Agence Fides) – “Le sacrement de pénitence, d’une grande importance dans la vie du chrétien, rend actuelle l’efficacité rédemptrice du mystère pascal du Christ” rappelle le Pape Benoît XVI aux ‘pénitenciers’ des quatre basiliques pontificales romaines, reçus en audience le 19 février en fin de matinée. « Par le geste de l’absolution, prononcé au nom et pour le compte de l’Eglise, le confesseur devient l’intermédiaire conscient d’un merveilleux événement de grâce – a poursuivi le Pape. Agissant par adhésion docile au magistère de l’Eglise, il se fait ministre de la consolante miséricorde de Dieu, souligne la réalité du péché et manifeste en même temps la puissance rénovatrice démesurée de l’amour divin, un amour qui redonne la vie. La confession devient donc une renaissance spirituelle, qui transforme le pénitent en une créature nouvelle. Ce miracle de grâce, seul Dieu peut l’opérer, et il l’accomplit à travers les paroles et les gestes du prêtre ».
Le Saint-Père a souligné que dans la célébration du sacrement de pénitence « le confesseur n’est pas un spectateur passif, mais un instrument actif de la miséricorde divine », il est donc nécessaire qu’il ait une bonne sensibilité spirituelle et pastorale, une sérieuse préparation théologique, morale et pédagogique, et qu’il connaisse les environnements sociaux, culturels et professionnels de tous ceux qui arrivent au confessionnal. « N’oubliez pas que le prêtre, dans ce sacrement, est appelé à exercer un devoir de père, de juge spirituel, de maître et d’éducateur. Cela exige une constante mise à jour » a souligné le Pape, rappelant aux prêtres qu’« à la préparation théologique il faut unir une profonde spiritualité alimentée par le pieux contact avec le Christ, Maître et Rédempteur… Son modèle est Jésus, l’envoyé du Père ; la source à laquelle il puise abondamment est le souffle vivifiant de l’Esprit Saint ».
« Nous ne pouvons prêcher le pardon et la réconciliation aux autres, si nous n’en sommes pas personnellement pénétrés – a dit encore le Pape Benoît XVI. S’il est vrai que dans notre ministère il y a différents moyens et instruments pour communiquer à nos frères l’amour miséricordieux de Dieu, c’est pourtant dans la célébration de ce sacrement que nous pouvons le faire dans la forme la plus complète et la plus éminente. Le Christ nous a choisis, chers prêtres, pour être les seuls à pouvoir pardonner les péchés en son nom : il s’agit donc d’un service ecclésial spécifique auquel nous devons donner la priorité. De nombreuses personnes en difficulté cherchent le réconfort et la consolation du Christ ! De nombreux pénitents trouvent dans la confession la paix et la joie qu’ils cherchaient depuis longtemps ! »
Enfin, soulignant que même à notre époque, marquée par de nombreux défis religieux et sociaux, ce sacrement « doit être redécouvert et reproposé », Benoît XVI les a invités à suivre l’exemple des saints qui ont consacré leur vie presque exclusivement au ministère du confessionnal – parmi lesquels saint Jean-Marie Vianney, saint Léopold Mandic, et saint Pio de Pietrelcina. « Que ce soit eux qui vous aident du ciel pour que vous sachiez dispenser abondamment la miséricorde et le pardon du Christ ». (S.L.) (Agence Fides 20/2/2007 – lignes 34, mots 480) 

 

Nous voici en Carême

21 février, 2007

du site:

http://www.evangile-et-peinture.org/index.php?op=editoRECONNAÎTRE

LA NOUVEAUTE

Nous voici en Carême ! Qu’est-ce à dire ? Laissons-nous guider par les textes que nous propose la liturgie de cette année C. Le Mercredi des cendres et Joël 2 nous inscrivent dans une finalité bien claire : « Parole du Seigneur : Revenez à moi de tout votre coeur ». Et puis dimanche après dimanche, nous sommes pris dans les étapes de ces retrouvailles. Moïse qui nous montre que le préalable à toute rencontre, c’est la reconnaissance : « Et voici maintenant que j’apporte les prémices des produits du sol que tu m’as donné » (Dt 26,10). La deuxième étape, c’est comme Abraham, accueillir la promesse de fécondité : « Vois quelle descendance tu auras ! » (Gn 15,5). La troisième, c’est comme Moïse, faire un détour, s’approcher du buisson qui ne se consume pas pour voir cet extraordinaire, y rencontrer « JE SUIS », et y recevoir une mission (Ex 3,1…15). La quatrième, c’est goûter à la réalisation des promesses de Dieu, comme les fils d’Israël entrés en terre promise et mangeant non plus la manne mais le produit de la terre (Jos 5,10-12). La cinquième, c’est assister avec Isaïe à la naissance d’un monde nouveau : « Il germe : ne le voyez-vous pas ? » (Is 43,19). Vivre ce carême avec les yeux des patriarches et des prophètes de l’Ancien Testament, c’est rentrer dans une histoire, celle de tout un peuple en attente, celle du désir d’accueillir un sauveur, l’envoyé de Dieu : le Messie. Ce sera alors durant la Semaine Sainte, avec Jésus prendre l’échelle de la croix, et chanter avec saint Paul l’hymne à la charité, l’hymne à l’Amour en chair et en os. Oui, la véritable nouveauté, c’est de reconnaître que nous ne savons pas aimer et que Jésus, Dieu le Verbe, est venu habiter nos mots et nos gestes humains pour leur redonner l’amplitude de l’Amour.

Puissions-nous, en ce Carême, dimanche après dimanche entrer dans le silence de la promesse de Dieu et de sa reconnaissance, et jour après jour, découvrir, avec Jésus, comment aimer !

La Fraternité Evangile & Peinture

Nous voici en Carême dans Approfondissement 2007_careme

du site:

http://www.evangile-et-peinture.org/index.php?op=edito

Carême 2007: la lettre d’amour de Benoît XVI

20 février, 2007

y-il-a un « Pages » sur le message du Pape pour Carême,  ceci du site: 

http://chiesa.espresso.repubblica.it/dettaglio.jsp?id=121716&fr=y

Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France  Carême 2007: la lettre d’amour de Benoît XVI
Pourquoi défend-il inlassablement la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme? C’est ce qu’il explique dans son message de préparation à Pâques. Il y écrit que « l’eros fait partie du cœur même de Dieu » et donc…par Sandro Magister

ROME, 20 février 2007 – Demain, mercredi des Cendres, commence le Carême pour l’Eglise catholique de rite romain. Et Benoît XVI en marquera le début par une procession pénitentielle sur la colline de l’Aventin, par une messe célébrée en la basilique Sainte-Sabine et par le rite de l’imposition des cendres.Comme il en est depuis plus de trente ans, le pape a aussi adressé un message aux fidèles en ce début de Carême, pour les guider dans la préparation à Pâques. Jusqu’à maintenant, les messages de début de Carême – y compris celui de l’an dernier – ont porté sur le devoir de charité, pour remédier aux nombreuses souffrances des hommes: la pauvreté, la faim, la maladie, la persécution, l’exil.

Cette année, Benoît XVI a rompu cette tradition: dans le message de début de Carême, il a invité avant tout à contempler Jésus sur la croix.

Il en donne lui-même l’explication: seul Jésus sur la croix révèle pleinement l’amour de Dieu aux hommes.

Un amour qui est agapè et eros réunis. En quelques passages très intenses, Benoît XVI revient sur cette prodigieuse « essence du christianisme » qu’il avait déjà placée au centre de son encyclique « Deus caritas est ».

L’agapè et l’eros de Dieu se répandent sur les hommes par le sang et l’eau qui jaillissent du côté transpercé de Jésus, symboles du baptême et de l’eucharistie. Mais celui qui reçoit cet amour – poursuit le pape – doit à son tour « le redonner à son prochain, surtout à celui qui souffre le plus et qui est dans le besoin ».

Comme dans l’encyclique « Deus caritas est », ce que Benoît XVI a mis au centre de ce message de début de Carême, c’est donc l’amour, dans sa plénitude vertigineuse, divine et humaine.

Il l’a justement fait alors qu’il constate à quel point l’amour, dans la culture actuelle est « un mot tellement abîmé, usé, employé mal à propos ».

Il l’a justement fait alors qu’en Italie, en Europe et dans le monde, il voit se légaliser et se banaliser des formes « faibles » d’unions qui portent atteinte à cet amour « extrêmement fort » qui fait d’un homme et d’une femme un « seul corps » dans la famille.

Il l’a justement fait alors que certains intellectuels catholiques de renom – tels que la ministre Rosy Bindi et l’historien Pietro Scoppola en Italie – accusent l’Eglise de « parler du Pacs [la loi sur les unions de fait hétérosexuelles et homosexuelles] plus que du mystère du Christ mort et ressuscité ».

Ce message de début de Carême permet de comprendre en définitive les raisons véritables et profondes qui expliquent pourquoi Benoît XVI insiste si inlassablement, en toute occasion, pour défendre la famille comme « ordonnance divine » (« Gaudium et Spes », 48), c’est-à-dire établie non pas par la volonté de l’homme mais par ce Dieu qui est amour.

Voici le texte intégral du message pour le Carême 2007: 

SAINT BERNARD: LA DEMEURE DE LA DIVINE SAGESSE

18 février, 2007

du site:

http://spiritualite3.free.fr/divine_sagesse.html

SAINT BERNARD 
LA DEMEURE DE
LA DIVINE SAGESSE 
     »
La Sagesse s’est construit une demeure » (Prov. IX, 1). Comme le mot de sagesse a diverses acceptions, il nous faut rechercher quelle est cette sagesse qui s’est construit une demeure. On parle d’une sagesse selon la chair, qui est l’ennemie de Dieu et d’une sagesse selon le monde, qui est sottise aux yeux de Dieu (I Cor. III, 19). L’une et l’autre, suivant l’Apôtre Jacques, est « terrestre, animale, diabolique » (Jacques III, 15). Ceux qui s’y conforment « sont sages pour commettre le mal et ne savent pas faire le bien » (Jérémie, IV, 22). Ils seront accusés et condamnés dans leur sagesse, car il est écrit : « Il faut surprendre ces sages dans leurs ruses (I Cor. III, 19) et je détruirai la sagesse des sages et je rejetterai la science des savants (Isaïe. XXIX, 14). C’est à ces sages-là que me paraît s’appliquer parfaitement ce proverbe de Salomon : J’ai vu un grand mal sous le soleil : un homme sage à ses propres yeux. Cette sagesse, de la chair ou du monde, n’édifie pas, elle détruit plutôt la demeure qu’elle habite. Mais il existe une autre sagesse qui vient d’en haut ; elle est d’abord réservée, ensuite pacifique (Jacques. III, 17). C’est le Christ lui-même, Force et Sagesse de Dieu, de qui l’Apôtre dit : « Dieu l’a fait notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ((I Cor. I, 30).
Donc cette Sagesse qui était de Dieu et qui était Dieu, venue à nous du sein du Père, s’est construit une demeure, dans laquelle il a taillé sept colonnes (Prov. IX, 1), et cette demeure est sa mère,
la Vierge Marie. Qu’est-ce que se tailler en elle sept colonnes, sinon se préparer en elle, par la foi et les oeuvres, une résidence digne de lui ? Le chiffre trois se rapporte à la foi, à cause de
la Trinité ; le chiffre quatre à la morale, à cause des quatre vertus cardinales. Que la sainte Trinité ait été présente en la bienheureuse Marie – et ceci par la présence de majesté, tandis que le Fils seul y était pour avoir assumé l’humanité – c’est ce qu’atteste le messager du ciel qui, lui découvrant les plus secrets mystères, dit : Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, et un instant après :
Le Saint-Esprit surviendra en toi, et
la Force du Très-Haut te couvrira de son ombre
(Luc. I, 28, 35). Nous avons là le Seigneur, l’Esprit-Saint et
la Force du Très-Haut, soit le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Car le Père ne peut être sans le Fils, ni le Fils sans le Père, ni sans l’un et l’autre le Saint-Esprit qui procède de l’un et de l’autre. Le Fils a dit : « Je suis en mon Père et mon Père est en moi », et encore : « Le Père qui réside en moi fait lui-même ces oeuvres » (Jn. XIV, 10). Il est donc manifeste que
la Vierge a porté dans son coeur la foi en

la Sainte Trinité.

Il vaut la peine de se demander si elle a possédé aussi ces quatre colonnes que sont les vertus cardinales. Voyons d’abord si elle a eu
la Force. Cette vertu n’a pu faire défaut à celle qui, rejetant les vanités du monde et méprisant les plaisirs de la chair, forma le voeu de vivre dans la virginité et pour Dieu seul. Si je ne me trompe, c’est de cette Vierge que parle Salomon : « Qui trouvera la femme forte ? Elle est de grand prix, et il faut aller la chercher bien loin aux extrémités de la terre » (Prov. XXXI, 10). Elle eut la force de broyer la tête de ce serpent à qui le Seigneur avait dit : « Je mettrai l’hostilité entre la femme et toi et entre vos deux races ; et c’est elle qui écrasera ta tête » (Gen. III, 15). Qu’elle fût également tempérante, prudente et juste, cela ressort clair comme le jour des paroles que lui adresse l’ange, et de sa propre réponse. Saluée avec un si grand respect par l’ange : « Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi », elle ne conçoit aucun orgueil de se voir favorisée d’une grâce unique, mais elle se tait et se demande à part soi ce que signifie une salutation ainsi insolite. C’était montrer de la tempérance. Mais comme le même ange l’instruisait des mystères divins, elle demanda aussitôt comment elle pourrait concevoir et enfanter, puisqu’elle n’avait pas connu d’homme ; et en cela, sans aucun doute, elle agit avec prudence. Elle porte enfin la marque de la justice, lorsqu’elle se donne pour la servante du Seigneur. Que ce soit là la confession des justes, nous en avons un témoignage dans l’Ecriture : Les justes confesseront ton nom, et les hommes droits se tiendront devant ta face (Ps. CXXXIX, 14). Et ailleurs, il est dit aux justes : Vous confesserez l’excellence de toutes les oeuvres de Dieu (Eccli. XXXIX, 21).

La bienheureuse Vierge Marie fut donc forte en sa résolution, tempérante dans son silence, prudente dans son interrogation, juste dans sa confession. Sur ces quatre colonnes de la morale et sur les trois colones de la foi,
la Sagesse céleste a édifié en elle sa demeure. Et cette Sagesse a si bien rempli son âme que cette plénitude suffit à féconder aussi la chair ; aussi Marie, par une grâce extraordinaire, put-elle en restant vierge enfanter cette même Sagesse habitant dans sa chair qu’elle avait d’abord conçue dans la pureté de son âme. A notre tour, si nous voulons devenir des demeures de
la Sagesse, il faut que nous élevions en nous ces sept colonnes, c’est-à-dire que nous nous préparions à l’accueillir par la foi et par les oeuvres. Pour celles-ci, je tiens que la justice est à elle seule suffisante, mais que les autres vertus doivent l’étayer. Aussi, pour que notre justice ne soit pas égarée par l’ignorance, la prudence la devancera ; et pour qu’elle ne penche ni à droite ni à gauche, nous mettrons de part et d’autre la tempérance et la force. 

Que fait Dieu quand la haine déchaîne la barbarie ?*

15 février, 2007

une demande que propose autre demande du site: 

http://biblio.domuni.org/index.php 

Fr. Bernard REY, op 

Que fait Dieu
quand la haine
déchaîne la barbarie ?*
 

QUESTIONS HUMAINES – QUESTIONS CHRÉTIENNES 

*Ce texte est la reprise développée par l’auteur de la fin du chapitre VI de son livre La discrétion de Dieu, Cerf, 1997, réédité en 1999. 


Imprimer  es réflexions qui suivent ont été suscitées par l’expérience contemporaine du peuple juif. Mais l’on peut – et même l’on doit - l’étendre à toute barbarie atteignant d’autres peuples, comme le suggère cette réflexion du philosophe Paul Ricœur : « Les victimes d’Auschwitz sont, par excellence, les délégués, auprès de notre mémoire, de toutes les victimes de l’histoire » (Temps et récits, III, Le Seuil, p. 272). Notre siècle en effet - pour nous en tenir à lui -, est vraiment un siècle noir du fait des guerres et des dictatures qui ont perpétré tant de massacres : l’Arménie, l’Argentine, Chili, le Cambodge, les Balkans,
la Tchétchénie, le Rwanda et tant d’autres pays du continent africain… et la liste pourrait être encore prolongée ! On se gardera également d’oublier les violences – quand ce n’est pas la torture -, que des personnes voient surgir un jour dans leur existence, parfois même dans leurs relations familiales : l’amour violé, l’innocence persécutée… 

La situation juive n’est donc pas la seule concernée, mais l’on sait que ce génocide, dont l’horreur a été scientifiquement programmée et méticuleusement mise en œuvre - six millions de Juifs, dont un million d’enfants, exterminés dans les camps de la mort -, a légitimement et très vigoureusement interpellé la conscience humaine, et suscité dans le judaïsme de profondes révisions religieuses qui concernent les chrétiens eux-mêmes : Que fait Dieu au spectacle de cette barbarie ? Pourquoi laisse-t-il faire ? Peut-il même faire quelque chose ? On trouve la même interrogation dans Sylvie Germain, Les échos du silence, Desclée de Brouwer, 1995, p. 15-16 : 

« Si l’on se penche sur les erres de ce siècle prédateur, on peut voir trembler en leur fond des regards par millions, hallucinés de faim, de souffrance et d’effroi, on peut entendre des voix par millions crier, gémir, supplier, et réclamer leur dû : leur dû de vie volée, de justice, de sens et de lumière. Tous ces pas sont des suaires où par myriades affleurent les visages des victimes. Mais aussi attentivement que l’on scrute ces traces noircies de sang, de larmes, on n’y décèle ni regard, ni voix de Dieu, nul reflet de sa face qui se serait inclinée vers les hommes en détresse, leurs enfants suppliciés pour répondre à leurs cris, leurs appels, à leur attente illimitée et demeurée vacante. 

Devant un tel silence on est tenté de conclure au scandale, à l’outrage, car tous ces pas de fauve qui apposent sur la terre avec une folle prodigalité leur suaire de mort et d’infamie semblent autant de preuves de l’absence de Dieu ou, pire, de son indifférence. » Lire également L’or et la cendre, récent roman, dur et poignant, écrit sur la shoah par une jeune juive, Éliette Abécassis, éd. Ramsay, 1997. 

Cette conférence a un caractère particulier : elle comporte de nombreuses et longues citations car, pour évoquer cette immense tragédie, j’ai pensé qu’il était préférable de m’effacer : seuls des témoins ou des proches peuvent évoquer un tel drame ; je n’ai pas voulu m’y substituer. Deux des personnes dont nous entendrons le témoignage ont d’ailleurs connu l’horreur des camps ; l’une d’entre elles n’en est pas revenue. Nous écouterons successivement les questions et les convictions d’Elie Wiesel, de Hans Jonas complété par Emil Fackenheim et enfin de Etty Hillesum. A l’occasion je me permettais de faire entendre d’autres voix, plus proches de nous, pour que nous ayons bien conscience que la question posée est toujours d’une brûlante actualité. Il n’y aura pas de véritable conclusion. M’inspirant d’une autre juive, Simone Weil, j’achèverai cette conférence par une note d’espérance et une nouvelle question. 

« Où donc est Dieu ?  Les premiers extraits que je lirai ont souvent été reproduits et sont de ce fait fort connus. Ils sont empruntés à La nuit d’Élie Wiesel (Éd. de Minuit, 1958). Se référant à la première nuit passée au camp de Birkenau, ces paroles expriment le drame de la foi engloutie dans les ténèbres : 

Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n’oublierai cette fumée. 

Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants, dont j’avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma Foi. 

Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui m’a privé pour l’éternité du désir de vivre. Jamais je n’oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes refus qui prirent le visage du désert. 

Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais (p. 60). Bien qu’il soit très souvent cité, nous ne pouvons omettre de rappeler ce récit de la mort d’un enfant et l’ interrogation grave que l’auteur nous rapporte à son sujet : 

Un jour que nous revenions du travail, nous vîmes trois potences dressées sur la place d’appel, trois corbeaux noirs. Appel. Les SS, autour de nous, les mitrailleuses braquées ; la cérémonie traditionnelle. Trois condamnés enchaînés – et parmi eux, le petit pipel , l’ange aux yeux tristes. Les SS paraissaient plus préoccupés, plus inquiets que de coutume. Pendre un gosse devant des milliers de spectateurs n’était pas une petite affaire. Le chef du camp lut le verdict. Tous les yeux étaient fixés sur l’enfant. Il était livide, presque calme, se mordant les lèvres. L’ombre de la potence le recouvrait. 

Les trois condamnés montèrent ensemble sur leurs chaises. Les trois cous furent introduits en même temps dans les nœuds coulants. -Vive la liberté ! crièrent les deux adultes. 

Le petit se taisait. - Où est le Bon Dieu, où est-il ? demanda quelqu’un derrière moi. 

Sur un signe du chef de camp les trois chaises basculèrent. [...] Derrière moi, j’entendis le même homme demander : 

- Où donc est Dieu ? Et je sentais en moi une voix qui répondait : 

- Où il est ? Le voici - il est pendu ici, à cette potence (p. 103-105). Un peu plus loin dans le livre, évoquant la foule des déportés se rassemblant pour prier à l’occasion du Nouvel An juif, il écrit encore : 

Qu’es-tu mon Dieu, pensais-je avec colère, comparé à cette masse endolorie qui vient Te crier sa foi, sa colère, sa révolte ? Que signifie Ta grandeur, maître de l’univers, en face de toute cette faiblesse, en face de cette décomposition et de cette pourriture ? Pourquoi encore troubler leurs esprits malades, leurs corps infirmes ? (p. 107-108). Après le récit de la prière, il poursuit : 

Autrefois, je croyais profondément que d’un seul de mes gestes, que d’une seule de mes prières dépendait le salut du monde. Aujourd’hui, je n’implorais plus. Je n’étais plus capable de gémir. Je me sentais, au contraire, très fort. J’étais l’accusateur. Et l’accusé : Dieu. Mes yeux s’étaient ouverts et j’étais seul, terriblement seul dans le monde, sans Dieu, sans hommes. Sans amour ni pitié. Je n’étais plus rien que cendres, mais je me sentais plus fort que ce Tout-Puissant auquel on avait lié ma vie si longtemps. Au milieu de cette assemblée de prière, j’étais comme un observateur étranger (p. 109-110). 

A ces pages d’Elie Wiesel, je me permets de joindre l’extrait d’un témoignage, mis par écrit par un jeune rwandais en 1997 (j’ignore si ce texte a été publié, j’en ai eu connaissance par un frère dominicain à qui il l’avait fait parvenir). Ce jeune rwandais, qui est séminariste, se prénomme Modeste ; son texte commence ainsi : Il y eut un homme qui avait souffert durant toute sa vie et qui, avant de mourir, dit à Dieu : « Mon Dieu, si tu existes, je te pardonne. » Les paroles de cet agonisant peuvent paraître comiques. Mais pour quelqu’un qui a été « victimes » du silence de Dieu lors de sa souffrance, elles revêtent un sens très profond. Moi-même, j’ai expérimenté ce silence de Dieu durant un long moment et surtout lorsque j’avais vraiment besoin de son intervention. J’avais fini par conclure que si ce Dieu existait réellement, il n’était pas celui en qui je croyais jusque alors. Baptisé dans ma petite enfance, j’avais suivi la catéchèse des sacrements de communion et de confirmation. Et on m’avait appris que Dieu exauçait toute prière de celui qui s’adressait à lui avec un cœur sincère. Quand la guerre commença au Rwanda, j’ai demandé au Seigneur (j’étais encore au petit séminaire) d’arrêter ce mal dont la réalité m’était encore inconnue. Au lieu de s’arrêter, cette guerre s’aggravait et prenait une allure provoquant des terribles dégâts matériels et humains. [...] 

J’ai demandé au Seigneur de prouver sa présence en mettant définitivement fin à ce drame et en protégeant tous les innocents. Chose étonnante : l’injustice l’emportait sur la justice, les coupables écrasaient les innocents, le mensonge l’emportait sur la vérité. [Un jour] j’étais caché du côté du Zaïre à Bukavu ; j’ai vu une femme et son bébé qui se cachaient dans une hutte au bord du lac Kivu mais sur le sol rwandais. J’ai directement formulé cette prière : « Seigneur, protège cette femme et son fils. Fais en sorte qu’ils ne soient pas découverts par les tueurs. » Dans l’après-midi, les deux personnes étaient découvertes et brûlées sur place, sous me yeux, dans une hutte. Et je me suis dit : « Si Dieu existait, il aurait détourné le yeux de ce tueurs et préservé ainsi la vie des innocents. » Et j’avais une question qui hantait ma tête : « Pourquoi ce Dieu reste bras croisés devant une telle injustice, ces mensonges, la mort des innocents, devant cette haine et cette vengeance, devant cette avancée victorieuse du mal, lui qui est ce Dieu plein d’Amour et de Miséricorde, ce Dieu qui est
la Vie,
la Justice,
la Vérité,
la Paix, ce Dieu vainqueur du mal ? » Ce « pourquoi  » ne trouvait pas de réponse. J’appelais ce Dieu, et il ne répondait pas.  

Où est Dieu dans ces moments-là ? Comment comprendre qu’il ait laissé faire. La question a été posée à un autre niveau par le philosophe Hans Jonas (_ 1993). « Quel est ce Dieu qui a pu laisser faire ? » 

Le texte auquel je me réfère maintenant est extrait d’une conférence donnée en Allemagne en 1984 (il fut édité en français dix années plus tard sous le titre Le Concept de Dieu après Auschwitz. Une voix juive, Éditions Payot & Rivages, 1994, p. 7-44) : Au Moyen Age, des communautés entières (subirent) la mort par l’épée et par le feu avec le Chema Israël aux lèvres, donc en proclamant l’unité de Dieu. [...] Leur sacrifice faisait briller la lumière de
la Promesse, de la rédemption due à la venue du messie. 

Rien de tout cela ne prend plus effet avec l’événement qui porte le nom d’Auschwitz. Ici ne trouvèrent place ni la fidélité ni l’infidélité, ni la foi ni l’incroyance, ni la faute ni son châtiment, ni l’épreuve, ni le témoignage, ni l’espoir de la rédemption, pas même la force ou la faiblesse, l’héroïsme ou la lâcheté, le défi ou la soumission. Non, de tout cela Auschwitz, qui dévora même les enfants, n’a rien su : il n’en offrit pas même l’occasion en quoi que ce fût. Ce n’est pas pour l’amour de leur foi que moururent ceux de là-bas (comme encore les témoins de Jéhovah) ; ce n’est pas non plus à cause de celle-ci ou de quelque orientation volontaire de leur être personnel qu’ils furent assassinés. La déshumanisation par l’ultime abaissement précéda leur agonie ; aux victimes destinées à la solution finale ne fut laissée aucune lueur de noblesse humaine, rien de tout cela n’était plus reconnaissable chez les survivants, chez les fantômes squelettiques des camps libérés. Et pourtant – paradoxe des paradoxes -, c’était le vieux peuple de l’Alliance, à laquelle ne croyait plus presque aucun des intéressés, tueurs et même victimes, c’était donc très précisément ce peuple-là et pas un autre qui fut désigné, sous la fiction de la race, pour cet autre anéantissement total : le retournement, horrible entre tous, de l’élection en une malédiction, qui se moquait de toute interprétation. Il y a donc bien malgré tout une relation de la nature la plus perverse qui soit – avec les chercheurs de Dieu et les prophètes d’autrefois, dont les descendants furent ainsi sélectionnés dans la dispersion et rassemblés dans l’union de la mort commune. Et Dieu laissa faire. Quel est ce Dieu qui a pu laisser faire ? (p. 11-12) Chrétiens, nous avons trop oublié la dimension concrète, incarnée et collective du salut, pour mesurer le drame du peuple juif. Pour lui, le salut s’inscrit dans une terre et il est le salut d’un peuple à qui Dieu a fait des promesses. Si le peuple vient à disparaître, qu’en sera-t-il de ces promesses et du Dieu qui les a faites ? Et avant cela, qu’en est-il de la foi quand la bénédiction se change en la plus épouvantable malédiction ? Voilà pourquoi Hans Jonas en vient à penser que depuis Auschwitz trois attributs divins ne peuvent plus être conjugués ensemble, à savoir sa bonté, son intelligibilité et sa puissance (Sylvie Germain reprend cette problématique, op. cit., p. 25-26). Ne pouvant admettre que Dieu ne soit ni intelligible ni bon, il en vient à remettre en cause une certaine conception de sa puissance. Et de conclure : 

Dieu s’est tu. Et moi, je dis maintenant : s’il n’est pas intervenu, ce n’est point qu’il ne le voulait pas, mais parce qu’il ne le pouvait pas. Je propose, pour des raisons inspirées par l’expérience contemporaine de façon déterminante, l’idée d’un Dieu qui pour un temps – le temps que dure le processus continué du monde – s’est dépouillé de tout pouvoir d’immixtion dans le cours physique des choses de ce monde ; d’un Dieu qui donc répond au choc des événements mondains contre son être propre, non pas « d’une main forte et d’un bras tendu » – comme nous le récitons tous les ans, nous les Juifs, pour commémorer la sortie d’Égypte – mais en poursuivant son but inaccompli avec un mutisme pénétrant (p. 35). Cette méditation de Hans Jonas emprunte au courant mystique juif de
la Kabbale la conception d’un Dieu qui s’efface – se rétracte – pour créer le monde et le confier à la responsabilité de l’homme. Elle peut aider le croyant qui s’interroge devant le spectacle d’un monde qui se construit à main d’hommes dans l’injustice et engendre les incroyables souffrances qu’endure la plus grande partie de l’humanité. Devant tant de malheurs, on a envie d’affirmer comme ce philosophe : Dieu n’intervient pas car, en créant le monde, il a volontairement renoncé à exercer directement sa toute-puissance. Entré dans son repos (Gn 2, 3), il s’en est remis à l’ordre de la création et à la liberté de l’humanité qu’il a créée – et ne cesse de créer – responsable. 

Toutefois, peut-on affirmer un tel retrait sans décréter l’inexistence de Dieu ? Car si Dieu existe et si, comme Créateur, il est présent à l’humanité, comme toute
la Bible l’affirme, peut-il effectivement renoncer à sa puissance ? Dieu peut-il exister sans être constamment en action ? En définitive, peut-on vraiment affirmer que Dieu n’est pas intervenu ? 
Pour répondre à cette question, nous sommes conduits à examiner notre conception de la puissance divine, très liée à ce que nous attendons de ses « interventions ». La seule façon qu’a Dieu d’intervenir est-elle le miracle qui transgresse les lois de l’ordre créé qu’il a lui-même fixées ? L’intervention divine doit-elle être uniquement envisagée sous la forme d’une action victorieuse, mettant fin aux horreurs ? Il ne semble pas. 

Nous oublions trop facilement que Dieu non seulement crée à l’origine mais maintient à chaque instant la création dans l’existence, ou, pour le dire de façon plus parlante : si maintenant nous vivons c’est parce que Dieu, en cet instant même, nous aime et nous crée. L’existence des libertés, même quand celles-ci se manifestent dans l’absolu de la perversion, comme ce fut le cas dans les camps d’extermination, est elle-même un effet de la puissance de Dieu. L’action responsable des hommes, à qui est confiée sa création, n’est pas l’indice du retrait de Dieu mais l’un des fruits de sa puissance. Même si elle défie Dieu et dans sa perversion peut déclencher l’horreur absolue du mal, la liberté humaine ne fait pas reculer la puissance divine, elle en est une expression. Pour le sujet qui retient notre attention, il est vrai que semblables considérations peuvent paraître tout à fait déplacées à cause de leur caractère théorique. Mais des penseurs appartenant à la grande famille juive ont affirmé, eux aussi et vigoureusement, qu’on ne devait pas conclure, à partir du génocide, que Dieu s’était définitivement retiré de l’histoire. Admettre que « Dieu souffre d’une impuissance littérale et radicale, c’est-à-dire, en fait, d’une mort » c’est en quelque sorte donner raison à Hitler, pense Emil Fackenheim (voir son ouvrage publié en 1969 et traduit en français sous le titre
La Présence de Dieu dans l’histoire. Affirmations juives et réflexions philosophiques après Auschwitz, Verdier, 1980, p. 136, réédité en 1986 aux Éd. du Cerf sous le titre Penser après Auschwitz. Affirmations juives et réflexions philosophiques). Cet auteur n’hésite pas à parler de « la voix prescriptive d’Auschwitz ». Voici un extrait de ce que prescrit cette voix : 

Il est interdit aux Juifs de donner à Hitler des victoires posthumes. Il leur est prescrit de survivre comme Juifs, de peur que périsse le peuple juif. Il leur est commandé de se souvenir des victimes d’Auschwitz de peur que périsse leur mémoire. Il leur est interdit de désespérer de l’homme et de son monde et de s’évader dans le cynisme ou dans le détachement, de peur de contribuer à livrer le monde aux forces d’Auschwitz. Enfin, il leur est interdit de désespérer du Dieu d’Israël, de peur que périsse le judaïsme (citation de la page 146). La jeune philosophe juive, Éliette Abécassis, interviewée à propos de son roman L’or et la cendre (cité plus haut), refuse, sans la nommer, cette interprétation donnée par Fackenheim. Pour elle, dégager un nouveau commandement et percevoir une « voix prescriptive » à propos d’Auschwitz, c’est donner un sens positif et même fondateur aux camps de l’horreur. Elle ne peut admettre qu’une théologie tente de donner un sens à la shoah.   »Auschwitz, la shoah reste une question sans réponse. Auschwitz n’est pas la défaite de Dieu, mais celle de l’homme ; c’est le sommet de l’action diabolique de l’homme dans le monde » (Éliette Abécassis, interviewée sur France Culture le 15 février 1998 dans l’émission juive du dimanche matin).  

Sans nécessairement se référer à une voix prescriptive, on doit reconnaître que beaucoup de juifs ont continué à écouter Dieu au cours de la persécution. En pleine tourmente dévastatrice, des croyants n’ont cessé de redire leur foi à celui qui semblait les abandonner. Cette foi est aussi une manifestation de sa présence. Le témoignage de Etty Hillesum, dont je vais maintenant faire état, exprime cela de façon lumineuse. « Je vais t’aider, mon Dieu »  

Etty Hillesum est une jeune femme juive hollandaise, revenue peu à peu à la foi de ses Pères. Au cœur de la persécution, elle garde un goût extraordinaire de la vie, comme en témoignent son Journal écrit avant sa déportation (9 mars 1941 – 12 octobre 1942). Sa correspondance montre que dans les camps elle ne changea pas de point de vue, ce qui rend son témoignage encore plus précieux. Elle disparut à Auschwitz le 30 novembre 1943 . La traduction française de ces documents parut aux Éd. du Seuil : Une vie bouleversée. Journal 1941-1943 (1985), Lettres de Westerbork (1988). Face aux persécutions qui anéantissent son peuple et devaient la détruire elle-même, Etty Hillesum n’est pas scandalisée par l’impuissance de Dieu, ou, pour mieux dire, par le fait que Dieu ne met pas fin à l’enchaînement de la cruauté que provoque l’humanité dans sa liberté pervertie. De façon étonnante, – et l’on perçoit ici aussi l’incandescence de la foi juive -, elle y perçoit au contraire une invitation à la responsabilité. Voici l’extrait d’une page, écrite le 12 juillet 1942, qu’elle intitule Prière du dimanche matin : 

Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. [...] Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous aider nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. [...] Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous. [...] Il y a des gens qui cherchent à protéger leur propre corps, qui pourtant n’est plus que le réceptacle de mille angoisses et de mille haines. Ils disent : « Moi, je ne tomberai pas sous leurs griffes !  » Ils oublient qu’on n’est jamais sous les griffes de personne, tant qu’on est dans tes bras. Cette conversation avec toi, mon Dieu, commence à me redonner un peu de calme. J’en aurai beaucoup d’autres avec toi dans un avenir proche, t’empêchant ainsi de me fuir. Tu connaîtras sans doute aussi des moments de disette en moi, mon Dieu, où ma confiance ne te nourrira plus aussi richement, mais crois-moi, je continuerai à œuvrer pour toi, je te resterai fidèle et ne te chasserai pas de mon enclos (p. 166). Quand il prononça sa conférence, Hans Jonas ignorait ce texte. Après en avoir pris connaissance, il écrit : « La lecture de ces lignes fut pour moi une bouleversante confirmation, par un authentique témoignage, de mes méditations bien ultérieures, et bien à l’abri…  » (op. cit. note 12, p. 44) . – Dans cette prière extraordinaire, Dieu n’est pas mis en accusation, il n’a pas de comptes à rendre. Il a besoin de nous, de demeurer en nous, et en même temps nous sommes dans ses bras, ce qui nous fait échapper aux griffes du mal et des méchants. Quelle foi, et comme elle est susceptible de construire la nôtre quand vient l’épreuve, quand se bousculent les questions radicales ! 

Cette pensée est proche de la spiritualité juive la plus authentique qu’on retrouve chez le grand Martin Buber. Ainsi dans son petit ouvrage Les chemins de l’homme (Éd. du Rocher, Monaco, 1982, reprise d’une conférence de 1947), il rappelle l’enseignement d’un maître qui raconte une sorte de parabole. – Un jour un maître célèbre reçoit des visiteurs et, à brûle pourpoint, il leur demande : « Où est Dieu ?  » Ces visiteurs sont très surpris qu’un maître aussi célèbre puisse poser une telle question. Pour eux, en effet, Dieu qui a créé le Ciel et
la Terre se trouve partout chez lui, il est donc présent dans tout l’Univers. Et le maître de leur répliquer : « Où est Dieu ? - Il se trouve là où on le fait entrer » (voir p. 56). Un peu plus haut, Buber avait écrit :  »Dieu veut entrer dans son monde, mais c’est par l’homme qu’il veut y entrer. Voilà le mystère de notre existence, la chance surhumaine du genre humain » (p. 55). 
Extraordinaire réponse que nous trouvons aussi dans la tradition chrétienne. Dieu peut venir et être refusé. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1, 11). Dieu se tient à la porte, il entre quand on lui ouvre, comme il est clairement écrit en Ap 3, 20 : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre, j’entrerai chez lui et je souperai avec lui et lui avec moi… »  

Nous rejoignons la même source que celle qui fit vivre Etty Hillesum : elle a fait entrer Dieu dans sa vie et elle s’en considère responsable pour le monde. Sans se référer directement au drame qui accabla le peuple juif, le théologien chrétien Adolphe Gesché, s’interrogeant sur le salut dans la société, tire une semblable leçon : Le sort de Dieu nous est confié dans la mesure où, porteurs de Dieu dans ce monde, c’est de notre attitude que dépendra la connaissance et l’image de Dieu que les hommes se feront. Bien plus, Dieu lui-même, si l’on peut dire, ne pourra être tout à fait tout-puissant, bon, juste, sauveur vis-à-vis de tel homme, que si, à tel moment et dans telle circonstance, je suis bon et juste pour cet homme, exerce en quelque sorte à son égard la puissance de salut dont Dieu m’a fait commandement. Comme le disaient les Pères de l’Église, nous sommes les mains et les bras de Dieu (La destinée, Éd.. du Cerf, 1995, p.174). 

Dieu est discret, sa présence est silencieuse mais il n’est pas absent, car si Dieu existe il ne peut être ni absent, ni passif. S’il est bon, il ne peut pas non plus rester insensible à tant de souffrances car il est impossible de concevoir un Dieu impassible. Il ne porte pas assistance aux personnes en danger parce qu’il nous les a confiées. Mais que sommes-nous devant la puissance du mal que seul un Sauveur doit pouvoir maîtriser ? Peu de chose, mais Dieu nous fait confiance et nous invite à lui faire confiance, à notre tour, envers et contre tout.  EN GUISE DE CONCLUSION Après toutes ces voix, on a envie de se taire. Qu’ajouter ? Peut-on même conclure ? Certainement pas si faire une conclusion c’est synthétiser un dossier avant de passer à autre chose. Car un tel drame ne peut être oublié, encore moins classé, surtout quand on sait que sous d’autres formes et d’autres cieux, il continue de déchirer des peuples. 

Ce que je vais dire maintenant ne prétend donc pas boucler quoi que ce soit. Je désire seulement faire passer un souffle d’espérance sur tant de misères.

Le silence de Dieu est le plus souvent évoqué dans des situations extrêmes où, ne pouvant plus supporter ses souffrances ou celles du monde, un croyant s’interroge avec désarroi : « Comment Dieu peut-il laisser faire cela ?  » Une telle plainte, remarquons le, a des présupposés : elle est l’expression d’une foi en un Dieu qui aime et à qui toute souffrance devrait être intolérable ; elle suppose également que Dieu est susceptible d’intervenir, directement et partout, pour faire reculer le mal. Parce qu’ils souffrent, des croyants interpellent Dieu : « Pourquoi ?  » Il est surprenant de constater que ces mêmes croyants ne lui posent pas semblable question lorsque la convivialité et la générosité les rendent heureux ou quand ils ont la chance de pouvoir découvrir l’infinie richesse des peuples et les splendeurs du monde. Cette observation donne à penser que l’être humain, qui considère comme inacceptable le fait de souffrir au point qu’il peut en faire reproche au Créateur, trouve tout à fait normal de vivre, de respirer, d’être libre… Le plus souvent, ce qui est beau et bon, sa capacité d’aimer et d’être aimé ne suscitent en lui aucune admiration, aucun étonnement ni aucun pourquoi. La philosophe juive Simone Weil en fit un jour la remarque : 

Le beau aussi nous oblige à nous demander : pourquoi ? Pourquoi cela est-il beau ? Mais rares sont ceux qui sont capables de prononcer en eux-mêmes ce pourquoi pendant plusieurs heures de suite. Le pourquoi du malheur dure des heures, des jours, des années ; il ne cesse que par épuisement (« L’amour de Dieu et le malheur », publié dans Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu, Gallimard, 1962, p. 128-129). Ce rapprochement entre la plus grande détresse et la beauté est surprenant, mais, à y réfléchir, il n’est pas incongru. On peut d’ailleurs remarquer que lorsque Job interpelle Dieu du plus profond de sa souffrance, le Seigneur, sans lui livrer la moindre explication, le replace devant l’infinie beauté de sa création : 

Où étais-tu quand je fondai la terre ?
Qui enferma la mer à deux battants,
quand elle sortit du sein, bondissante 
Quand je mis sur elle une nuée pour vêtement
et fis des nuages sombres ses langes ?
Etc, etc… ? (Jb 38) 
Quand le malheur l’atteint, le croyant interpelle souvent Dieu, comme s’il était victime d’une injustice. Quand tout va bien, il ne se pose ni ne lui pose aucune question, comme si la santé et le bonheur lui étaient dus. L’amour, le dévouement, les beautés de l’univers et de la création artistique, les prodigieuses avancées de la science réjouissent le cœur de l’homme et contribuent à son mieux être, mais ne le reconduisent pas spontanément vers Dieu. De son propre mouvement, il ne s’interroge pas alors sur la présence discrète du Créateur qui se trouve à l’origine de ce qu’il reçoit ainsi gratuitement. Et pourtant qu’a l’homme qu’il n’ait reçu de la libéralité de Dieu ? Mais voilà, ces dons lui sont faits sans tapage et il les reçoit et en jouit sans s’en étonner. Il ne lui viendrait pas à l’idée de s’interroger pour cela sur le silence de Dieu. 

Que sont devenus aujourd’hui la louange et le sens de la gratuité ? Beaucoup d’hommes et de femmes se sentent si assurés de leur maîtrise sur le monde par les sciences et les techniques, qu’ils en sont venus à oublier que leur propre vie est un don, le fruit d’une gratuité sur laquelle ils n’ont aucune maîtrise. Parfaitement experts dans les explications sur le comment de l’univers, ils en ont oublié une question essentielle. Pourquoi  ? pourquoi la vie ? pourquoi le monde ? A cette interrogation il n’est pas de réponse car, précisément, ce qui est de l’ordre de la gratuité est irréductible aux raisons et ne peut être expliqué ; or, nous le savons, nos sociétés dites avancées ont horreur de l’inexplicable, voilà pourquoi aussi elles cachent la mort… Devant les horreurs du monde, Dieu est mis en accusation et l’espérance peut chanceler. Mais en réalité, ce qui devrait être ébranlé c’est moins notre espérance en Dieu que notre espérance en l’homme capable de déchaîner tant de souffrances. 

Dans un livre très profond, intitulé Au plaisir de croire, Albert Rouet, actuel évêque de Poitiers, évoque cette situation en faisant le lien avec notre sujet. Voici ce qu’il écrit aux pages 66-67 : Les camps de concentration du monde nazi : des millions de morts disparus dans l’acharnement à ôter toute chair à leur existence. C’est horrible, oui, insupportable. Eh bien, je vais dire où je suis vraiment scandalisé. Des génocides, les tyrans n’ont cessé d’en commettre [...] Hitler a pris la suite, utilisant, comme ses devanciers, les techniques Que lui offrait la science de son temps. Il entre dans une longue série historique dont rien, hélas, ne garantit quelle soit terminée. Il n’y a malheureusement peu de nouveauté quand on rapporte ses atrocités au total des populations. Je ne veux pas blesser, je constate. Mais justement, constatons jusqu’au bout : Hilter a été régulièrement élu, démocratiquement porté au pouvoir, reconnu par les gouvernements étrangers, appuyé par des financiers, encensé par des politiques, adulé par les tenants de l’ordre. Il est le résultat d’une immense bêtise, la bêtise des hommes, de tous les hommes, qui préfèrent leurs intérêts à la justice, leur ordre à l’honneur, leur tranquillité à tout prix, fût-ce au prix de se voiler la face devant ces « bavures » . Il n’est pire tyrannie que l’incommensurable bêtise de la tolérance aux déviances, de la soumission servile. Nombreux furent ceux qui abdiquèrent au nom du confort, au nom de la productivité, au nom du prestige, au nom de l’égoïsme. Là encore, je ne vois rien qui inculpe Dieu. N’a-t-il pas, lui-même, pris place parmi le victimes ? Voir le Crucifié devrait suffire à ouvrir les yeux sur ce que l’homme peut faire à un homme : « tout ce qu’il veut » . 

Ces faits ne me font pas douter de Dieu, mais, radicalement, de l’homme. Donc de ses évidences, de ses certitudes, de tous ces mots à majuscule qui embellissent ses prosopopées et ses incantations. En quel homme ne sommeille pas un risque-tout, ou un tyranneau ? Cet homme est la plus grande cause de mon doute. Et tant de compromissions, et tant de trahisons… Finalement on est obligé de reconnaître que l’homme est un être peu fiable. Vos voisines, les Sœurs du Carmel de
la Paix à Mazille, ont écrit à ce sujet et dans le même sens un texte assez bref mais d’une grande densité. Elles aussi s’interrogent : 

Silence de Dieu ou démission des hommes ? [....] « Ils ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas » (Jr 5, 21) : toute
la Bible n’exprime-t-elle pas la longue plainte d’un Dieu blessé de notre surdité ?  » (« Le silence de Dieu », Imagine n°8, 1997, p. 44-47, citation de la p. 46.) 
Cette blessure de Dieu, nous pouvons la contempler dans la passion de son Fils, et, pour nous chrétiens, telle est en définitive la source de notre espérance : Dieu lui-même est descendu en enfer, non pas l’enfer qu’il aurait créé pour les réprouvés s’il en est, mais l’enfer que des hommes ne cessent d’entretenir pour y engloutir des millions de personnes. Le Fils de Dieu a connu cet enfer et Dieu l’a ressuscité, non par favoritisme mais comme premier-né d’une multitude de frères. Ce message n’est pas seulement pour demain mais pour aujourd’hui. Si, comme chrétiens et baptisés, nous prétendons avoir part à la vie du ressuscité, il nous revient de vivre ce don en l’inscrivant non seulement dans des mots, ceux de notre confession de foi, mais dans des conduites et des actes qui, ici-bas font reculer le mal et triompher la vie. 

Bernard REY, o.p.
Chalon sur Saône, 28 avril 1998

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