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FIDÉLITÉ DE DIEU ET GRANDEUR DE L’HOMME. RETRAITE À TIMADEUC

5 mai, 2014

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FIDÉLITÉ DE DIEU ET GRANDEUR DE L’HOMME. RETRAITE À TIMADEUC

Sr Marie-Pascale Gounon

Esprit & Vie n°231 – janvier 2011, p. 23-25.

Maurice Zundel (1897-1975), prêtre suisse méconnu de son vivant, est l’un des grands spirituels de notre temps, à la fois poète, mystique, théologien, philosophe. D’une immense culture, il n’appartient à aucune école. Proche de François d’Assise, il puise dans tous les courants théologiques, philosophiques et les avancées scientifiques contemporains. Tout cela assimilé pour délivrer un message original aux chercheurs de Dieu.
Cet ouvrage est la transcription inédite d’une retraite prêchée aux trappistes de Timadeuc en 1973, après celle au Vatican l’année précédente : Quel homme et quel Dieu, publiée à la demande de Paul VI. En cette période de turbulences, l’abbé Zundel ne s’appesantissait pas sur les problèmes de l’heure, mais posait deux questions : « De quel homme parlons-nous ? et de quel Dieu ? » Serons-nous « toujours davantage, un simple regard d’amour vers Lui », pour être et vivre comme Dieu-Trinité ? On a là l’essentiel de la doctrine de Zundel : fidélité de Dieu et grandeur de l’homme dans sa recherche de vérité, de pauvreté, de liberté sans oublier qu’il a prêché d’exemple.
Pour lui, l’homme devient homme en prenant conscience de son inviolabilité fondée dans la révélation par Dieu de sa vie trinitaire. Cette inviolabilité, c’est Dieu au-dedans de nous, mais on ne l’y rencontre « qu’en entrant jusqu’au fond du silence », dans un engagement de tout l’être à sortir de soi, à tendre « notre oreille vers le cœur de Dieu qui bat dans le nôtre ». « Dieu est Amour, c’est que Dieu trouve dans son intimité l’Autre à qui se donner. […] Dieu ne se possède pas : il se donne […]. Il est tout dans l’Être parce qu’il n’a rien dans l’avoir. »
Zundel aborde les problèmes existentiels, le regard toujours tourné vers la Trinité.
L’enfer ? Il ne s’agit pas de notre sort, mais de la vie de Dieu en nous, de la fragilité de son amour lié à notre réponse. « Aimer Dieu, c’est vouloir Le protéger contre nous-mêmes » (p. 76). Le mal ? L’humilité de Dieu laisse à l’homme la possibilité de « se faire origine », c’est-à-dire oui ou non à son amour, leitmotiv de cette retraite. Ses différentes approches lèvent totalement l’ambiguïté parfois reprochée à Zundel : « En créant Dieu s’est fait l’esclave de la création et Il a traité les créatures intelligentes comme si chacune était son dieu. » Dans tout malheur, il se trouve du côté des victimes totalement innocent de ce qui arrive. La croix et l’agonie de notre Seigneur sont les seules réponses : « Ce sommet qui est l’Incarnation définitive et indépassable en Jésus de Nazareth. […] La désappropriation infinie qui constitue la personnalité du Verbe. » Elle est inouïe, insensée à qui n’est pas chrétien et pourtant chemin normal des communications de « Dieu réellement présent dans une humanité qui le laisse transparaître ».
La Rédemption ? « Nous ne connaissons Dieu que dans la mesure où nous entrons dans la réalité de notre être sous ses auspices […] et, en l’entraînant avec nous, nous ne sommes plus qu’un élan vers Lui. » La rédemption, c’est notre Seigneur qui écrit dans l’histoire cette équation sanglante : « Au regard de Dieu, l’homme égale Dieu !… » Dieu en Christ pèse la vie humaine au poids de sa propre Vie à cause du lien nuptial tissé par Dieu entre lui et l’humanité mais qui a été rompu par le péché. « La Rédemption ne signifie pas une rançon payée à quelqu’un, mais signifie que Dieu lui-même va faire contrepoids, par son amour, à tous les refus d’amour. » Dans la croix du Christ où Dieu s’est fait péché pour nous, éclate de manière incomparable l’éternelle pauvreté de Dieu « qui est la Vie de la Très Sainte Trinité », qui nous rend à la vie par notre libération.
Marie ? Inséparable de Joseph « en ces deux silences affrontés chez ces deux êtres qui vivent le plus grand amour du monde ». Marie « est née de Jésus avant qu’Il naisse d’elle ». L’aube de la Rédemption éclate dans l’Immaculée Conception et Marie « trace la voie à cette humanité qui ne sait plus qu’elle est sa fin ; elle lui trace la voie de sa grandeur ». Et lui révèle le sens de la maternité de Dieu dont elle tient la sienne.
Morale et fidélité
En abordant la question de la sexualité, Zundel établit une ligne de visée pour des hommes voués à la chasteté dans le célibat pour Dieu, permettant de vivre la sexualité sans la subir et d’envisager l’amour au niveau de l’esprit. Peut-être étrangère à la mentalité actuelle, sa réflexion au plan physique, psychique et spirituelle est riche de sens au niveau de la personne, de sa dignité, de « tout ce monde qui nous est confié ; c’est toute cette histoire que nous avons à réassumer pour l’achever, aujourd’hui, dans une offrande d’amour qui transfigure les vivants et qui ressuscite les morts ».
« Il s’agit de savoir ce qu’est l’homme, ce que nous avons à faire de nous-mêmes, si nous avons à nous créer ou pas ! […] une mystique, puisque c’est au cœur de la Trinité que notre liberté a son suprême secret. » Notre vie doit montrer « que nous sommes passionnés de grandeur humaine, et que cette passion coïncide avec notre passion pour Dieu ». Il faut prendre acte qu’une morale collective n’existe plus. Les deux guerres ont fait sauter tous les garde-fous, mais « rien n’est perdu, en ce sens que ces structures qui s’effondrent ne faisaient pas corps avec l’Évangile », cette nouveauté qui nous ramène toujours à l’origine, à notre devenir dans l’amour du Seigneur. « C’est ici, maintenant, dans le silence que nous avons à faire de nous un Bien universel. »
« Atteindre Dieu, vivre de Dieu, c’est vivre l’humanité par le sommet. » Affirmer la présence de Dieu dans une fidélité intégrale, réalise dans la même mesure la grandeur humaine. Pour étayer cette parole le prédicateur recourt à des exemples concrets tous pris en dehors du monde monastique illustrant la « voie de l’expérience » et concluant par cet axiome : « Il n’y a qu’une seule manière d’exister, c’est d’aimer ; d’aimer en donnant tout, et en commençant d’abord par se donner. »
Moine et prêtre
Pour M. Zundel, la vie monastique est une « sorte de synthèse entre le sacerdoce universel de toute l’Église et le sacerdoce ministériel ». Le moine exerce une mission apostolique par sa vie donnée, consacrée dans le silence qui de lui-même doit parler d’une Présence, d’une Vie qui ouvre le monde à Dieu. Le silence doit d’abord ordonner notre inconscient, l’évangéliser pour ôter les bruits parasites qui font obstacle à la présence de Dieu à la liberté intérieure qui permet à la vie monastique d’exercer sa mission jusqu’à être une vivante eucharistie qui révèle le secret d’amour que l’on porte en soi sans le savoir.
Jusqu’à la Pentecôte la personne de Jésus est l’Église. Depuis lors l’Église est sacrement de Jésus, signe de sa présence et qui la communique. Le sacerdoce qui reçoit la mission de donner Jésus en personne est une démission radicale du prêtre lui-même le faisant participer à la joie de la divine pauvreté.
Comme le dit la quatrième de couverture : « Avec son talent oratoire, son style inimitable, la force de ses convictions puisées dans le silence intérieur et la méditation, Zundel offre dans cette retraite un parcours passionnant sur la vie chrétienne. »