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Le Psaume 50, dit Miserere, dans la liturgie
10 octobre 2009| Frédérique Poulet
Un commentaire liturgique et théologique du Psaume 50.
Cet article reprend le texte d’une intervention à un colloque Art et miséricorde de Pentecôte 2009.
Nous venons d’écouter le Miserere, l´une des prières les plus célèbres du Psautier, le psaume pénitentiel et de miséricorde le plus intense et le plus répété dans la liturgie, un psaume qui est conjointement le chant du pécheur et le chant de la miséricorde de Dieu, la méditation la plus profonde sur le péché, la faute et sur la grâce, l’action de grâces pour son pardon.
Les psaumes ont été intégrés dans la liturgie chrétienne depuis l’époque de Jésus et des apôtres. Formé à l’école de la prière juive, Jésus a prié les psaumes (Mt 26,30 ; Mc 14,26). De même saint Paul invitait les premières communautés à prier ainsi :
« Chantez à Dieu de tout votre cœur avec reconnaissance, par des Psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés. Et quoi que vous puissiez dire ou faire, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, rendant par lui grâces au Dieu Père ! » (Col 3,16b-17)
Ce que l’on retrouve d’ailleurs dans le livre des Actes :
À ce récit, d’un seul élan, ils élevèrent la voix vers Dieu et dirent : « Maître, c’est toi qui as fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve ; c’est toi qui as dit par l’Esprit Saint et par la bouche de notre père David, ton serviteur : Pourquoi cette arrogance chez les nations, ces vains projets chez les peuples ? Les rois de la terre se sont mis en campagne et les magistrats se sont rassemblés de concert contre le Seigneur et contre son Oint. Oui vraiment, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d’Israël, pour accomplir tout ce que, dans ta puissance et ta sagesse, tu avais déterminé par avance..À présent donc, Seigneur, considère leurs menaces et, afin de permettre à tes serviteurs d’annoncer ta parole en toute assurance, étends la main pour opérer des guérisons, signes et prodiges par le nom de ton saint serviteur Jésus. » Ac 4,24-30
Très vite les psaumes vont être intégrés dans la liturgie telle que nous la connaissons, c’est-à-dire en réponse aux lectures. On en a trace dès 210 chez Tertullien et ensuite de façon plus structurée et systématique dans les écrits de la fin du IVe siècle et ce dans plusieurs lieux. C’est donc une pratique commune à plusieurs Églises.
Dans des contextes précis, les psaumes étaient choisis en fonction de leur correspondance avec l’objet de la célébration, par exemple l’heure de la prière « Seigneur ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange » Ps 50 ou le thème des lectures et des fêtes.
La conversion, la miséricorde : un don de la fraternité
La tradition hébraïque a placé le Psaume sur les lèvres de David, invité d’abord à reconnaître son péché puis à la conversion et à la pénitence par le prophète Nathan (2 S 11-12), (vendredi et samedi de la 3e semaine du temps ordinaire). En effet, comme l’indiquent les deux premiers versets du psaume, le prophète Nathan fait connaître son péché à David : « Du maître de chant. Psaume. De David. Quand Natân le prophète vint à lui parce qu’il était allé vers Bethsabée. » (Ps 50, 1-2).Cette première mention du psaume et le lien que fait la liturgie avec lui est intéressante et nous renseigne sur une première dimension de la miséricorde. Elle nous dit d’emblée, et c’est très important, que la conversion, la miséricorde n’est pas une expérience exclusivement personnelle. Elle manifeste qu’elle est de l’ordre de la responsabilité prophétique. Pour ceux qui ont été baptisés parmi nous, lors de notre baptême, nous avons été oints du saint Chrême et à ce moment là le prêtre a prononcé ces paroles rituelles « Désormais …tu es membre du Corps du Christ et participes à sa dignité de prêtre, prophète et roi » [1] Parce que membre du Corps du Christ chacun a vocation prophétique à devenir le frère au sens évangélique du terme. Être un frère prophétique, c’est être celui qui sait prendre le chemin du cœur du frère non pas pour le condamner, ce n’est pas ce que fait le prophète Nathan avec David, mais pour être celui qui éclaire, qui trouve le chemin vers le cœur du frère, qui lui ouvre les yeux et le cœur et l’empêche de s’enfermer dans son péché et dans sa faute. C’est une dimension importante de l’expérience de la miséricorde, elle est à la fois très personnelle, le psaume 50 est un psaume en je « pitié pour moi, ma faute est toujours devant moi, ce qui est mal à tes yeux je l’ai fait, etc. » et en même temps ce cri vers Dieu, cette reconnaissance de la faute, cette prière surgit parce qu’un frère (médiation dans l’ordre spirituel) a su trouver le chemin du cœur. Il est en ce sens important de regarder dans le tableau le nombre important de fois où le psaume 50 est pris durant le temps du carême. Or qu’est-ce que le carême ? C’est un temps de conversion à la fois communautaire et personnel. Ainsi Durant le temps où l’Église est appelée à traduire par une vie de conversion ce qu’elle a reçu au baptême, durant le temps de la grande convocation de tout le peuple de Dieu, pour qu’il se laisse purifier et sanctifier par son Sauveur et Seigneur, durant ce temps on chante, plus qu’en tout autre temps liturgique, le psaume 50.
Il s’agit de la première dimension de la miséricorde, elle est un don de la fraternité et de la communauté. Un chemin ouvert dans le cœur par la présence du frère. Le ps 50 est d’ailleurs en ce sens chargé de thèmes prophétiques qui vont nous éclairer sur sa nature. Il s’agit d’un psaume qui est une réponse à une invitation à la conversion, invitation qui est d’ordre prophétique. C’est là le rôle des deux premiers versets, mais aussi selon Patrick Faure [2] que je cite, du psaume 49 qui précède et qui forme avec le psaume 50 un diptyque.
On peut aussi noter, d’ailleurs dans le psaume des thèmes prophétiques tels que celui de l’alliance nouvelle, renouvelée et raffermie (Jr 31,31) lu lors du 5e dimanche de carême B, et du jeudi de la 18e semaine du temps ordinaire, du cœur nouveau et de l’Esprit de Dieu communiqué à l’homme qui se tourne vers Dieu cf. Ez 36 (Vigile Pascale et jeudi de la 20e semaine du temps ordinaire).
La miséricorde un don qui est fait à chacun
Comment entrer dans ce mouvement de miséricorde auquel chacun est appelé ? Je dirais simplement qu’il suffit de se laisser guider par le psaume, d’entrer dans le chant du psaume, de devenir psaume. Chanter dans la liturgie le psaume 50 c’est faire sien le mouvement de la miséricorde. Un mouvement qui comporte trois temps. Nous avons donc vu le premier et ensuite, de manière habituelle, on divise le psaume 50 en deux parties et une conclusion. Les versets 3 à 11 (« Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour… ») puis 12-19 (« Crée en moi un cœur pur… »)et enfin la conclusion, v. 20-21 (« Accorde à Sion le bonheur… »).
Il y a tout d´abord la reconnaissance du péché et de son emprise sur celui qui chante le psaume. (cf. v. 3-11), L’homme se trouve dans la condition de pécheur, et ce depuis le début de son existence. Même si le psaume est pris après le récit de la genèse et la manducation du fruit de l’arbre du jardin lors du premier dimanche de carême de l’année A on ne peut y voir, dit Jean Paul II lui-même commentant ce psaume, une « formulation explicite de la doctrine du péché originel, telle qu´elle a été définie par la théologie chrétienne ». Toutefois, ajoute-t-il, il ne fait aucun doute qu´elle y correspond : elle exprime en effet la dimension profonde de la faiblesse de l´homme qui se trouve dans la condition de pécheur, solidaire dès sa naissance d’un monde marqué par le mal. « Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère ».( v.7) Il ne faut pas voir ici une vision négative de l’homme mais bien plutôt une saine reconnaissance de sa faiblesse. Le Psaume apparaît dans cette première partie comme une ouverture à la lumière de Dieu, à son amour et une offrande à son regard de miséricorde. Le psaume s’adresse à Dieu, » Pitié pour moi mon Dieu dans ton amour, selon ta grande miséricorde efface mon péché » (v. 3) Ce n’est pas l’homme pécheur qui fait une introspection, c’est l’ouverture à la lumière qui permet de nommer le péché, péché qui malheureusement touche l’homme mais et c’est absolument capital, péché dont il se sait déjà libérable. C’est d’ailleurs cela le sens de la pénitence, se tourner, se convertir, se tourner vers Celui qui peut sauver. C’est d’ailleurs le sens de nombreuses lectures auxquelles le Ps 50 répond. Le livre de Joël au chapitre 2 (Mercredi des cendres), Jonas au chapitre 3 (Mercredi de la 1ère semaine de carême) Le livre d’Osée au chapitre 14 (vendredi de la 14e semaine du temps ordinaire) le livre d’Ézéchiel au chapitre 18 (Samedi de la 19e semaine du temps ordinaire), c’est la démarche de l’ensemble du carême qui est largement balisé, depuis le mercredi des cendres jusqu’à la vigile pascale par ce psaume. C’est renoncer à tout ce qui entraîne vers la mort en se tournant vers celui qui peut sauver de la mort du péché. Car, et c’est là la réalité, le péché est un désastre pour un Dieu qui a créé l’homme à son image et qui aime sa créature de tout son être, de toutes ses entrailles de miséricorde. En fait le péché est une aberration autant pour Dieu que pour la créature, et d’ailleurs la première mention du péché dans le psaume c’est le terme hébreu hata ??? qui signifie littéralement « manquer la cible », pécher, commettre une faute. Ce terme apparaît ainsi au moins en 6 versets (4b, 5b, 6a, 7b, 9a, 11a). Le deuxième terme hébreu est awon ??? qui renvoie à l´image d’iniquité, de ce qui est tordu, courbé. Le péché est donc une déviation tortueuse, il est l´inversion, la distorsion, la déformation du bien et du mal Le troisième mot avec lequel le Psalmiste parle du péché est peshá .??? Il exprime le refus de dépendance de Dieu et de son projet pour l´histoire humaine. Comme le dit Matthieu Collin [3] la première partie du psaume 50 joue donc avec le vocabulaire du péché. Comme nous venons de le voir, on a un grand nombre de désignations du péché. Et l’on pourrait croire qu’il s’agit là seulement d’un psaume de reconnaissance du péché, un psaume axé sur le péché alors que nous parlons aujourd’hui de miséricorde. Ce pourrait être le cas si nous ne faisions pas mention d’un verset central dans cette première partie. Il s’agit du verset 6b. Nous allons donc le reprendre et voir comment il s’inscrit dans le psaume. On a un psaume dont toute la première partie est assez intimiste. Il suffit de relever le nombre de fois ou on a je, moi, etc. bref, la première personne du singulier. Mais ce je, ce moi, n’est pas tout seul, il se tourne vers un Tu qu’il appelle et dont il a déjà expérimenté l’amour. C’est là tout le mouvement de la miséricorde.
On ne peut se reconnaître pécheur que face à un Dieu qui nous aime
Jean Vanier aime à dire qu’on ne peut se montrer vulnérable que devant des gens qui vous aiment. Et c’est aussi vrai dans la vie liturgique. Faire siennes les paroles du psaume nécessite d’avoir déjà rencontré Dieu, qui devient dès le premier verset » Mon Dieu » et un Dieu qui aime, dont on a fait l’expérience de l’amour. On ne peut demander pardon et reconnaître sa faute qu’à la lumière de l’amour et c’est pourquoi dans la liturgie on ne commence pas par le psaume dans la liturgie de la Parole. Il s’agit toujours de ce qu’on appelle un psaume responsorial. Dieu aime, il est toujours à l’initiative de l’Alliance et c’est pourquoi sa Parole est toujours première, elle invite à la conversion et le psaume est réponse, deuxième mouvement, réponse à une Parole de Celui qui propose une alliance ou de renouveler une alliance ou qui montre la rupture d’Alliance car Dieu aime même quand il y a rupture d’alliance, il fait miséricorde. Et ce Dieu qui aime, ne cesse de renouveler son alliance comme le rappelle le verset 3. Dans ce verset on retrouve d’ailleurs, comme le fait remarquer Patrick Faure, trois termes. « pitié, amour fidèle, miséricorde » qui sont ceux du livre de l’Exode au chapitre 34 (le veau d’or 24e dimanche du temps ordinaire). Face à la rupture d’alliance, face au péché d’idolâtrie Dieu aime avec pitié, amour fidèle et miséricorde. Et ce Dieu qui est miséricorde est aussi un Dieu qui montre sa justice (v5.6a) qui juge et montre sa victoire v.6b. Et c’est là le thème central de cette première partie. Que veut donc dire cette justice, finalement ce psaume est-il bien adapté et les liturgistes ont-ils fait le bon choix en le retenant comme psaume de miséricorde ? N’est-on pas plutôt dans une optique de faute et de jugement ? Il faut se poser la question et on ne peut l’éluder. Car, pour bien comprendre ce qu’est la miséricorde il faut aussi comprendre ce que veut dire un Dieu qui montre sa justice, ce qu’est la justice de Dieu. Cela ne signifie pas que Dieu est un juge impartial et neutre au-dessus des parties en procès mais un juge atteint par le péché « contre Toi et Toi seul » et qui ne demande qu’à justifier.
Le Dieu, juge de justice, c’est celui qui restaure dans la dignité
Le Dieu, juge de justice, c’est celui qui permet à sa créature d’être justifié au sens théologique du terme, celui qui restaure dans la dignité, qui restaure selon l’ordre de la grâce et redonne possibilité de vivre l’alliance. C’est là le sens de la justice et de la référence à un Dieu de justice. Dieu justifie, donne sa grâce et son pardon au pécheur qui l’implore. C’est pour cela que l’on a cette mention de la justice de Dieu au verset central de la première partie du psaume. C’est là le message central de cette partie du psaume. C’est Dieu qui ne peut s’arrêter au péché, parce que, quand il pèche, l’homme n’est pas ajusté à Dieu. La justice de Dieu n’est pas à opposer à sa miséricorde. La miséricorde divine est juste. Justifier pour Dieu c’est redonner vie, faire miséricorde restaurer dans l’ordre de la grâce, ce n’est pas pointer un manquement à la loi (d’ailleurs dans la liturgie, le psaume 50 n’est jamais chanté après un texte du deutéronome ou du lévitique par exemple). D’ailleurs le v.5 le confirme, le psalmiste dit « ce qui est mal à tes yeux je l’ai fait »… mais on n’en sait pas plus, il ne nomme pas tel ou tel manquement. Celui à qui Dieu fait miséricorde retrouve la joie des sauvés, la joie de ceux qui ont lavés, plongés dans l’amour. Et dans cette perspective il est tout à fait logique de trouver ce psaume pour encadrer la démarche du carême, préparation à l’alliance nouvelle, à la purification et à la restauration de la créature (marquée par le péché originel) par son créateur qui est tout amour. On retrouve bien ici le choix du psaume 50 pour répondre à la proclamation de Genèse 2 lors du premier dimanche du carême année A. Dieu ne peut abandonner sa créature qui crie devant lui et reconnaît sa pauvreté. Le psaume 50 est un psaume qui se joue entre purification et recréation. Pas l’un sans l’autre.
Faire l’expérience de la miséricorde, c’est être renouvelé, recréé
Faire l’expérience de la miséricorde et c’est ce que nous apprend ce psaume, ce n’est pas seulement être purifié de ses péchés, c’est être purifié dans un mouvement qui recrée, qui renouvelle, qui ajuste au projet de Dieu. La miséricorde redonne vie. L’usage liturgique du psaume 50 nous apprend que faire miséricorde c’est guérir la vie. C’est d’ailleurs le sens de l’emploi de ce psaume pour répondre à la prière de Moïse face à Myriam touchée par la lèpre (mardi de la 18e semaine du temps ordinaire) « mon Dieu je t’en prie guéris-la ». Car le péché est une lèpre qui ronge la vie et on en retrouve une allusion très claire au v.9 puisque, comme l’explique M. Mannati, [4] on parle de purification avec l’hysope et qu’il était d’usage d’asperger les lépreux avec une branche d’hysope pour leur purification rituelle (Lv14). On peut aussi aisément faire le lien entre la blancheur de la neige (v.9) et le manteau blanc dont étaient revêtus les catéchumènes, car le baptême purifie et justifie pour la vie » Que cette eau reçoive de l’Esprit Saint la grâce de ton Fils unique, afin que l’homme, créé à ta ressemblance et lavé par le baptême des souillures qui déforment cette image puisse renaître de l’eau et de l’Esprit pour la vie nouvelle d’enfant de Dieu » [5]. Pour résumer cette première partie du psaume si l´homme confesse son péché, la justice salvifique de Dieu est prête à le purifier radicalement et à lui redonner vie.
La miséricorde ou le voyage dans « la région lumineuse de la grâce »
Il nous faut maintenant entrer dans la deuxième partie et considérer le deuxième mouvement de la miséricorde, entrer dans « la région lumineuse de la grâce » (v. 12-19) comme le disait Jean-Paul II commentant ce psaume. En effet, à travers la reconnaissance de son péché, s´ouvre pour l´orant un horizon de lumière, dans lequel Dieu est à l´œuvre. Le Seigneur n´agit pas seulement négativement, en éliminant le péché, mais il recrée l´humanité pécheresse à travers son Esprit vivifiant : l’Esprit dans l’Église est celui qui vivifie, qui « donne la vie » dit le symbole des apôtres. On trouve trois mentions de l’Esprit au début de cette deuxième partie du psaume (v.12b, 13b, 14b). De lui même l’homme ne peut pas passer du péché à la grâce, seul Dieu, par son Esprit, peut transformer le cœur blessé par le péché en cœur vivant. il donne à l´homme un “cœur” « nouveau et pur » ( Cf. Ez 18,samedi 19e semaine du temps ordinaire). Il faut noter que la mention de l’Esprit Saint (v.13b) est extrêmement rare dans l’Ancien Testament. On ne la trouve que deux fois, ici et en Is 63,10-14 [6]. Ainsi de même que l’Esprit a fait sortir Moïse et son peuple de la terre d’esclavage, de même l’Esprit accompagne celui qui prie le psaume dans sa marche, dans sa sortie de l’esclavage du péché, de la violence (au verset 16 on fait mention du sang) vers le domaine de la vie selon l’ordre de la grâce. Origène parle à ce propos d´une thérapie divine, que le Seigneur accomplit à travers sa parole et à travers l´œuvre de guérison du Christ . Aux versets 16 et 17 le psalmiste ne se contente plus de reconnaître la justice de Dieu de la même façon qu’au verset.6 car le mot justice est alors associé au mot louange. Par l’Esprit Saint la justice est devenue efficace dans la vie de celui qui chante le psaume, qui prie le psaume. Il est en train de faire l’expérience de la miséricorde, il se laisse recréer. C’est pourquoi il ne craint pas d’offrir son cœur brisé et broyé à Dieu, à la force de l’Esprit Saint.( v.19) Il entre dans le mouvement de miséricorde qu’on retrouve par exemple en Ézéchiel au chapitre 18 (samedi de la 19e semaine du temps ordinaire) « Rejetez tous vos péchés, faites vous un cœur nouveau et un esprit nouveau ». C’est là le seul sacrifice qui plaît à Dieu (cf. Os 6,1-6 samedi de la 3e semaine de carême). Les derniers versets, sans doute rajoutés après l’exil, montrent, comme nous l’avions vu au départ, que la miséricorde n’est pas seulement une expérience personnelle mais un enrichissement de toute la communauté, de toute l’Église « Relève les murs de Jérusalem » (v.20) En accueillant la miséricorde, le cœur brisé devient cœur renouvelé, ferment d’unité et d’amour dans l’Église. Par ces deux versets, l’expérience vécue prend une portée communautaire. L’oracle Ézéchiel au chapitre 36 (jeudi 20e semaine du temps ordinaire) reprend d’ailleurs la même logique. Le prophète parle d’abord de la recréation personnelle (cœur nouveau, esprit nouveau) et ensuite étend cela à toute la ville.
La miséricorde : une dynamique de recréation
Le regard d´ensemble posé sur ce texte liturgique donne de découvrir le processus de la miséricorde. Il s’agit d’un dynamisme de recréation qui offre un cœur brisé à l’amour blessé de Dieu qui fait toutes choses nouvelles quand passe le vent de l’Esprit. Il n’a pas été retenu par la liturgie pour la Pentecôte, on peut quelquefois le regretter car il mentionne l’Esprit Saint mais peu importe il permet de découvrir par expérience le cœur miséricordieux de Dieu, c’est là son rôle essentiel. Et quand l’art se joint au texte, comme dans le Miserere d’Allegri, alors il suffit de se laisser porter, d’ouvrir son cœur qui devient miséricordieux. Chanter le psaume c’est entrer dans la joie de la miséricorde éprouvée par le cœur pur.
Pour terminer un texte de Saint Isaac le Syrien (7e siècle) qui nous rappelle l’enjeu de ce chant du psaume 50
« Quand l’homme reconnaît-il que son cœur atteint la pureté ? … qu’est-ce- que cette pureté ? En peu de mots, c’est la miséricorde du cœur à l’égard de l’univers entier. Et qu’est- ce que la miséricorde du cœur, c’est la flamme qui l’embrase pour toute la création…pour tout être créé. Quand il songe à eux ou quand il les regarde, l’homme sent ses yeux s’emplir des larmes d’une profonde, d’une intense pitié qui lui étreint le cœur et le rend incapable de tolérer, d’entendre, de voir le moindre tort ou la moindre affliction endurée par une créature. C’est pourquoi la prière accompagnée de larmes s’étend à toute heure aussi bien sur les êtres dépourvus de parole que sur les ennemis de la vérité, ou sur ceux qui lui nuisent, pour qu’ils soient gardés et purifiés. Une compassion immense et sans mesure naît dans le cœur de l’homme, à l’image de Dieu. » [7]
[1] Rituel du baptême des petits enfants, Paris, Mame/Tardy, 1984, (RR98) RF n° 140.
[2] Patrick Faure, Des chemins s’ouvrent dans leurs cœurs. Étude et méditation des Psaumes, Parole et silence, 2007, p.66.
[3] Matthieu Collin, Comme un murmure de cithare. Introduction aux psaumes, DDB, 2008.
[4] M. Mannati, le Psaume 50 est-il un Rib, Sem 23 (1973) p.27-50.
[5] Rituel du baptême des petits enfants, Bénédiction de l’eau à la veillée pascale et hors du temps pascal RR 91 ( RF 132)
[6] Dans ce récit d’Isaïe, l’hagiographe fait une relecture de l’Exode au cours de laquelle l’Esprit Saint guide Moïse pour conduire Israël.
[7] Isaac le Syrien, Discours ascétique, §81 (trad. AELF, 1974), p.656.