EROS, PHILIA ET AGAPÈ
16 juillet, 2015http://www.totus-tuus.fr/article-1834956.html
EROS, PHILIA ET AGAPÈ
[Nous poursuivons notre commentaire de l'Encyclique du Pape Benoît XVI]
«Eros» et «agapè» – différence et unité.
3. À l’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être humain, la Grèce antique avait donné le nom d’eros.
Disons déjà par avance que l’Ancien Testament grec utilise deux fois seulement le mot eros, tandis que le Nouveau Testament ne l’utilise jamais : des trois mots grecs relatifs à l’amour – eros, philia (amour d’amitié) et agapè – les écrits néotestamentaires privilégient le dernier, qui dans la langue grecque était plutôt marginal.
[Commentaire de Bernard Guy, pasteur protestant : Éros est certainement le plus populaire des quatre termes [désignant l’amour]. Éros était le nom du dieu grec de l’amour correspondant au dieu romain Cupidon. Ce terme signifie essentiellement : amour passionné. Il nous parle d’un vif et brûlant désir. Dans la littérature grecque, éros désigne parfois l’amour du patriote, c’est-à-dire les sentiments passionnés de celui qui cherche à défendre sa patrie (…). On retrouve aussi ce terme utilisé pour décrire la passion d’un homme épris de l’argent. Il y a des gens qui ont un désir démesuré pour l’argent, qui ne pensent qu’à cela. Ignace d’Antioche, un père de l’Église qui a vécu entre la fin du 1er siècle et le début du 2ème, écrit dans une lettre qu’il adresse aux Romains : « Mon éros a été crucifié et je n’ai plus de passion pour les choses matérielles. Mais il y a maintenant en moi une source vive qui me dit à l’intérieur: Viens au Père ». La passion matérielle d’Ignace avait été crucifiée avec Christ.
[Bien que nous retrouvions éros, utilisé dans la littérature grecque pour décrire différents types de passion, c’est pour désigner la passion sexuelle qu’il était le plus souvent utilisé. Au départ, il était utilisé pour désigner une passion sexuelle dans l’amour, une passion légitime. Mais l’homme étant ce qu’il est, le terme en est venu très vite à désigner une passion sexuelle dégradée, hors mariage. C’est peut-être pour cela d’ailleurs que nous ne le retrouvons pas dans le Nouveau Testament. Il semble que le Saint-Esprit et les auteurs du Nouveau Testament n’aient pas jugé bon de l’utiliser pour décrire une chose aussi belle que l’amour sexuel dans la vie d’un couple. Matthieu utilisera plutôt les termes « connaître » et « s’attacher » pour décrire un tel amour (Matt 1.25; 19.5).
[Éros est une énergie qui vient de Dieu et n’est pas nécessairement à rejeter. Il y a plusieurs passions que la Bible nous encourage à vivre:
1. La passion pour Dieu (Luc 10.27)
2. La passion pour sa Parole (Jér 15.16)
3. La passion pour les personnes perdues (1 Cor 9.19-22)
4. La passion pour notre épouse (Prov 5.18-20)
Mais plusieurs formes de passion sont à fuir : passion pour l’argent, pour la femme d’un autre, passions de la jalousie, de la vengeance, etc. Quand il s’agit de passion, la Bible ne dit pas de résister, mais de fuir car les passions sont des désirs brûlants auxquels il est très difficile de résister. Souvenons-nous de l’expérience de Joseph avec la femme de Potiphar (Gen 39:7-20) et ne jouons pas les braves!]
En ce qui concerne l’amour d’amitié (philia), il est repris et approfondi dans l’Évangile de Jean pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples.
[Commentaire de Bernard Guy, pasteur protestant : Philia figure sous formes d’adjectifs, de noms et de verbes une cinquantaine de fois dans le Nouveau Testament et agapé, plus de trois cents fois. Ceci nous indique au départ qu’agapé est le terme consacré par le Saint-Esprit et les auteurs du Nouveau Testament pour décrire l’amour de Dieu (…).
Philia: un attachement émotif – Je vais vers telle personne parce que mon coeur m’y entraîne. J’éprouve des sentiments favorables pour quelqu’un et cela m’amène à rechercher sa compagnie. L’amour philia est un amour qui provient essentiellement du coeur. C’est l’amour typique des fréquentations. Lorsque deux jeunes gens se fréquentent, ils sont comme magnétisés l’un par l’autre. Ils sont constamment ramenés l’un vers l’autre par le coeur. Même à distance, les amoureux vibrent l’un pour l’autre. Et quand ils s’entrevoient, leur coeur se met à battre et leurs yeux scintillent. Le philia est un amour fait de sentiments et d’émotions.
[Philia: un amour spontané – L’amour philia n’est pas un amour que l’on peut commander ou forcer. À cause de son caractère émotif, il est plutôt imprévisible. Il vient ou ne vient pas : c’est un amour spontané.
[Philia: un amour fluctuant – L’amour philia est un amour qui vient et qui va. Il est très instable. Il nous envahit soudainement et nous quitte sans avertir. C’est souvent le seul amour qui existe dans les couples à part l’éros. Telle personne éprouve une attirance pour telle autre personne ; les deux tombent amoureux et conviennent de cheminer ensemble. C’est pour un temps l’amour à son meilleur. Puis, peu à peu, la lune de miel fait place au train-train quotidien, la griserie du début, à l’ennui et voilà nos deux tourtereaux désemparés. Que se passe-t-il donc? Nous nous aimions tant?… On conclut rapidement qu’il n’y a rien à faire, on passe l’éponge et on repart en quête d’une nouvelle aventure. Mais tant que l’on mise tout sur le philia, l’amour sentimental, toutes nos aventures se soldent par un échec. L’amour philia est un amour fluctuant.
[Philia: un amour égocentrique – L’amour philia est une relation de plaisir et de satisfaction personnelle. Je me tiens avec telle personne parce que j’ai du plaisir en sa compagnie. Nous ne faisons pas d’efforts pour nous entendre; notre relation est harmonieuse et agréable. Cette personne a les mêmes goûts que moi, les mêmes idées, les mêmes façons de voir ou d’agir : c’est moi en peinture. En réalité, c’est moi que j’aime. J’aime l’autre dans la mesure où il me ressemble. Il est dit dans Jean 15:19 que le monde aime ce qui est à lui : ce qui lui ressemble.
[Philia: un amour sélectif – Nous n’éprouvons d’amour philia que pour quelques-uns et cela est tout à fait normal. Avant même de vraiment connaître les gens, nous sommes attirés par certains plutôt que par d’autres. Jésus avait ses préférés. Il éprouvait un amour particulier pour Marthe, Lazare et Marie. Nous savons qu’il allait souvent chez eux pour se reposer. Il vivait une relation facile et agréable avec eux. Lorsque Lazare meurt, nous voyons Jésus attristé qui pleure et les juifs qui disent: « Voyez comme il l’aimait » (Jean 11.35-36). De plus, il y avait parmi les douze un disciple, l’apôtre Jean, pour lequel Jésus éprouvait plus d’amour et de tendresse que pour les autres (Jean 13.23; 20.2; 21.7; 21.20). Nous ne pouvons pas éprouver d’amour philia pour tous: il s’agit d’un amour sélectif, fondé sur les affinités.
[Philia : un amour humain – L’amour philia est une forme d’amour grandement désirable et nécessaire à la vie. Toutefois, cet amour n’est pas suffisant. Il ne constitue pas une base solide sur laquelle nous puissions bâtir des relations profondes et durables avec les autres. Il s’agit d’un amour humain que croyants ou non-croyants expérimentent également.
La mise de côté du mot eros, ainsi que la nouvelle vision de l’amour qui s’exprime à travers le mot agapè, dénotent sans aucun doute quelque chose d’essentiel dans la nouveauté du christianisme concernant précisément la compréhension de l’amour.
Dans la critique du christianisme, qui s’est développée avec une radicalité grandissante à partir de la philosophie des Lumières, cette nouveauté a été considérée d’une manière absolument négative.
Selon Friedrich Nietzsche, le christianisme aurait donné du venin à boire à l’eros qui, si en vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice. Le philosophe allemand exprimait de la sorte une perception très répandue : l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin ?
Texte intégral de l’Encyclique
http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20051225_deus-caritas-est.html