HOMÉLIE POUR LA FÊTE-DIEU, LA FÊTE DU SAINT-SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST ANNÉE C « Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés »
21 juin, 2019HOMÉLIE POUR LA FÊTE-DIEU, LA FÊTE DU SAINT-SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST ANNÉE C « Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés »
Textes: Genèse 14, 18-20, 1 Corinthiens 11, 23-26 et Luc 9, 11b-17.
Le pape François à la procession de la Fête-Dieu à Rome qui va de la basilique Saint- Jean-de-Latran à la basilique Sainte-Marie-Majeure (Domaine public)
Le pape François à la procession de la Fête-Dieu à Rome qui va de la basilique Saint- Jean-de-Latran à la basilique Sainte-Marie-Majeure (Domaine public)
L’épisode de la multiplication des pains – il y en a deux dans les évangiles – a été retenu et conservé par les premiers chrétiens comme une image du mystère de l’Eucharistie. Le choix de l’évangile est donc en relation directe avec la Fête-Dieu qui se nomme officiellement la fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Il y aurait tant à dire sur sujet. Je me contenterai ce matin d’un commentaire qui fait ressortir quatre verbes qu’on retrouve non seulement dans le récit de la multiplication des pains, mais aussi dans les autres lectures ainsi que dans nos célébrations eucharistiques : « apporter», « bénir », « rompre », et « distribuer ».
I – Apporter et bénir
Le premier verbe « apporter » est l’indication d’une démarche à faire. Regardez la scène dans l’évangile. Jésus provoque ses disciples en leur disant : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Ceux-ci sont dépourvus. Ils lui apportent cinq pains et deux poissons en disant « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. ». C’est à partir de cet apport modeste que la puissance de Dieu va se manifester. Melkisédek fit ainsi, lit-on dans la première lecture : « Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut ».
C’est une figure de ce que Dieu attend de nous. En effet, dans la célébration de l’Eucharistie à chaque dimanche nous sommes invités à apporter non seulement le pain et le vin, mais nos intentions, nos peurs, nos besoins, tout ce qui fait notre vie. Cet apport modeste comme celui des disciples est d’ailleurs bien symbolisé par la goutte d’eau que le prêtre verse dans le calice à la présentation des dons.
Le deuxième verbe est « bénir ». Dans la suite du récit de la multiplication des pains, on lit « Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ ». Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux ». Saint Paul dans le deuxième lecture rappelle aux fidèles de la ville de Corinthe que Jésus a fait de même le soir du Jeudi-Saint « Le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce… »Bénir c’est rendre grâces à Dieu, lui exprimer une confiance absolue et s’en remettre à sa puissance bienveillante. Pour Jésus ce moment est crucial, car il lui permet de mettre en œuvre sa relation particulière avec son Père. Jésus le prie de la manifester de façon visible en multipliant ce modeste apport des disciples. Cette multiplication de ce qui est apporté est le signe de la prévenance de Dieu pour ses enfants qu’Il nourrit abondamment.La suite de cette démarche échappe à nos limites humaines, ce qu’indiquent les deux autres verbes « rompre » et « distribuer ».
II – Rompre et distribuer
Dans le récit de la multiplication des pains qui est comme une image de l’Eucharistie, avons-nous dit, Jésus fait un geste très signifiant celui de rompre ce qui est devant lui et il demande à ses disciples de distribuer ce qui est rompu.
« Rompre » ici est un geste physique, mais ce n’est pas seulement cela. C’est un geste qui exprime symboliquement la Passion où Jésus verra son corps et son sang rompus, séparés et donnés. À travers ces souffrances Jésus donne sa vie pour le salut de la multitude. Écrasé aux yeux humains, Jésus sera relevé par son Père qui le ressuscite pour en faire le Seigneur de nos vies et le Roi de gloire. Cet évènement de la Passion qu’indique le verbe « rompre » n’est pas fermé sur lui-même. Il nous mène dans l’intimité de Dieu dans laquelle Jésus est entré pour toujours entraînant avec lui ses frères et ses sœurs. Avec lui, nous devenons cohéritiers du royaume de Dieu que Jésus a annoncé et qui est parmi nous. Le corps rompu et le sang versé sont représentés par le pain et le vin.
Tel est le mystère que saint Thomas d’Aquin chante dans ce bel hymne que le pape lui avait demandé d’écrire et que nous avons lu avant la lecture de l’évangile. En voici un extrait que je vous relit : « C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang. Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature. »
Revenons à la multiplication des pains. Toute la démarche racontée par saint Luc : les cinq pains et les trois poissons apportés, Jésus qui prie et rompt ce qui est devant lui, toute cette démarche, dis-je, ne sert à rien si le pain et les poissons ne sont pas distribués. Jésus « les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule ». Ceux-ci le font sans parcimonie, mais avec générosité. Il y en a pour tout le monde. Et les gens sont rassasiés. « Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ». Ce qui est une indication des plus intéressantes pour ce qui se passe dans chaque Eucharistie où le Pain et le Vin consacrés sont distribués.
La grâce de Dieu n’est jamais épuisée. Elle dépasse toujours nos attentes et nous pouvons compter sur une abondance qui n’a pas de limites. Que nous soyons quelques personnes ou que nous soyons des milliers, la même nourriture est là en abondance. « Qu’un seul ou mille communient, dit saint Thomas d’Aquin, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître».
III – La Fête-Dieu
Ces quelques mots sur le sacrement de l’Eucharistie en montre la beauté et la grandeur. On comprend facilement que les chrétiens au cours des âges ont développé une grande dévotion au Sacrement de l’Eucharistie qu’on appelle aussi le Très Saint-Sacrement le mettant ainsi au-dessus de tous les autres et en faisant comme le pilier des sept sacrements.
C’est ce que la dévotion populaire veut exprimer dans la procession de la Fête-Dieu qui est associée à la fête du Très Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Au Québec, elle connut de belles heures. Elle a lieu encore en quelques endroits. Dans d’autres parties du monde c’est un témoignage de foi qui perdure avec éclat comme à Rome où, guidée par le pape, elle va de la basilique Saint- Jean-de-Latran à la basilique Sainte-Marie-Majeure.
En effet, l’essentiel de la dévotion à l’Eucharistie c’est la foi en la présence de Jésus dans le Sacrement de l’Eucharistie. C’est la reconnaissance que dans les gestes qui sont posés dans nos assemblées qui célèbrent l’Eucharistie, comme dans les assemblées du temps de saint Paul, le Christ ressuscité est présent et bien vivant.
Nous le proclamons publiquement lorsque nous vénérons, exposée dans l’ostensoir ou conservée dans le tabernacle, l’hostie consacrée au cours d’un rassemblement eucharistique. Ainsi la procession de la Fête-Dieu et l’adoration eucharistique ne nous éloignent pas de la Cène du Jeudi-Saint que rappelle saint Paul, mais elles nous gardent dans son sillage et nous font entrer dans le partage des sentiments qui furent ceux de Jésus dans son don total au Père.
Conclusion
Que notre Fête-Dieu – aujourd’hui sans procession au Lac Poulin – soit une fête remplie d’amour et de chaleur par la foi que nous mettons dans la présence de Jésus parmi nous de façon spéciale dans son Corps et dans son Sang.
C’est le cas à chaque semaine lors de nos célébrations dominicales, mais aujourd’hui c’est une occasion particulière de vivre cette foi et de la proclamer ensemble en lisant, si vous le voulez bien, les deux dernières strophes du poème de saint Thomas d’Aquin :
« Ô bon Pasteur, notre vrai pain,
ô Jésus, aie pitié de nous,
nourris-nous et protège-nous,
fais-nous voir les biens éternels
dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout,
toi qui sur terre nous nourris,
conduis-nous au banquet du ciel
et donne-nous ton héritage,
en compagnie de tes saints. »
Amen!
Mgr Hermann Giguère P.H.
Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l’Université Laval
Séminaire de Québec
18 juin 2019