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Je suis très fatigué aujourd’hui, aime vous le vitrail?

11 septembre, 2018

imm  fr stained glass in abandoned church MIchigan

 
Stained glass in abandoned church in Michigan

LE SENS DOGMATIQUE DE L’ICÔNE

10 septembre, 2018

https://www.pagesorthodoxes.net/eikona/icones-sens.htm

LE SENS DOGMATIQUE DE L’ICÔNE

imm fr

par Léonide Ouspensky

L’ICÔNE, THÉOLOGIE INSPIRÉE
L’ICÔNE, TRANSMISSION OBJECTIVE
DE LA RÉVÉLATION
L’ICÔNE, VISION DU MONDE SPIRITUEL
L’ICÔNE, RÉALITÉ DU ROYAUME

L’intérêt pour l’art liturgique orthodoxe, en particulier pour l’icône, ne cesse de croître en Occident. Les livres, les conférences, les articles, les expositions, les collections se multiplient. Tous ces efforts ont, certes, le mérite de révéler à un grand nombre l’existence d’un mode d’expression demeuré quasi-inconnu au public occidental. Cependant, la grande majorité des ouvrages consacrés à l’art liturgique orthodoxe sont des ouvrages laïques, traitant un sujet religieux. Ils relèguent cet art soit dans les admirables souvenirs de l’archéologie, soit dans le domaine de l’esthétique pure. Il est ainsi ramené à un seul de ses aspects, l’aspect humain – sa valeur artistique, les influences réciproques des styles, des écoles etc… Les orthodoxes qui vivent et se nourrissent spirituellement de ce art voient, dans l’attitude générale à son égard, une grande incompréhension de ce qu’il y d’essentiel.

L’ICÔNE, THÉOLOGIE INSPIRÉE
L’icône est une sainte image et non une  » image sainte  » ou une image pieuse. Elle a son caractère propre, ses canons particuliers et ne se définit pas par l’art du siècle ou d’un génie national, mais par la fidélité à sa destination qui est universelle. Elle est une expression de l’économie divine, résumée dans l’enseignement de l’Église orthodoxe :  » Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne dieu.  » Telle est l’importance que l’Église attribue à l’icône que la victoire sur l’iconoclasme fut solennellement déclarée Triomphe de l’Orthodoxie, triomphe qui est toujours fêté à la première semaine du Grand Carême.
Pour l’Église orthodoxe l’image, aussi bien que la parole, est un langage exprimant ses dogmes et son enseignement. C’est une théologie inspirée, présentée sous une forme visuelle. Elle est le miroir reflétant la vie spirituelle de l’Église, permettant de juger des luttes dogmatiques de telle ou telle époque. Les époques de la floraison de l’art liturgique correspondent toujours à un essor de la vie spirituelle : ce fut le cas de Byzance, des autres pays orthodoxes et de l’Occident à l’époque romane. À ces moments, la vie liturgique est réalisée pleinement dans son ensemble harmonieux, ainsi que dans chacun de ses domaines particuliers.
Toutefois, l’image ne se borne pas à exprimer la vie dogmatique et spirituelle de l’Église, sa vie intérieure. À travers l’Église, l’image reflète également la civilisation qui l’entoure. Lié par ceux qui le créent au monde d’ici-bas, cet art est aussi un miroir de la vie du peuple, de l’époque, du milieu et même de la vie personnelle de l’artiste. Il est aussi en quelque sorte l’histoire du pays et du peuple. Ainsi, une icône russe, tout en ayant la même iconographie qu’une icône byzantine, diffère de celle-ci par ses types et son caractère national, une icône de Novgorod ne ressemble pas à une icône de Moscou etc… C’est précisément cet aspect extérieur de l’art sacré qui forme l’objet de la grande majorité des études actuelles.
Le contenu liturgique de l’image sacré fut perdu en Occident au XIIIe siècle et dans le monde orthodoxe, suivant les pays, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles. Ce n’est que vers la fin du XIXe siècle que les connaisseurs, les savants, les esthètes découvrirent l’icône. Ce qui semblait auparavant une tache sombre, engoncée d’un riche revêtement d’or, apparut soudain en sa miraculeuse beauté. Nos ancêtres iconographes se révélèrent non seulement des peintres de génie, mais des maîtres de la vie spirituelle, ayant su donner des formes à la parole du Seigneur : Mon Royaume n’est pas de ce monde (Jn).
Or, l’incompréhension du contenu de cet art n’est pas due à notre supériorité, ni à une perte de sa force vitale ou de son importance, mais à notre décadence spirituelle profonde. Sans parler des personnes qui sont complètement en dehors de l’Église, nous sommes en présence, même chez les croyants, d’un péché essentiel de notre époque : la sécularisation de notre esprit, la déformation complète de l’idée même de l’Église et de la Liturgie.
On peut dire qu’en général on ne voit plus de la vie spirituelle que son côté moral. Son fond dogmatique, devenu le domaine des  » savants théologiens « , est considéré comme une science abstraite et n’a plus aucun rapport avec la réalité de notre vie quotidienne. Quant à la Liturgie, guide infaillible de notre chemin spirituel, profession de notre foi, elle n’est plus pour beaucoup qu’un rite traditionnel ou bien un usage pieux et touchant. L’unité organique du dogme et de la loi morale dans la Liturgie s’est brisée, désagrégée. Cette absence d’unité intérieure détruit la plénitude liturgique de nos services divins. Les éléments qui les composent et dont nous ne saisissons plus le but commun – la parole, le chant, l’image, l’architecture, l’éclairage etc… – s’en vont, chacun dans sa propre voie, à la recherche de son sens et de ses effets particuliers. Ils ne sont plus unis les uns aux autres que par la mode de telle ou telle époque (baroque, classicisme etc…) ou par le goût personnel. Ainsi, l’art de l’Église ne vit plus de la révélation du Saint-Esprit, de la vie dogmatique de l’Église, mais se nourrit de la civilisation de tel ou tel moment historique. Il n’enseigne plus ; il cherche et tâtonne avec le monde.
On entend souvent des voix indignées protester contre les images mièvres et sentimentales  » genre Saint-Sulplice « , ou contre les pièces de concert qui viennent remplacer le chant liturgique. Il ne s’agit pas là, comme on l’admet couramment, d’une décadence de notre goût. Le mauvais goût a toujours existé et existera toujours. Le malheur de notre époque c’est que le goût personnel, qu’il soit bon ou mauvais, est généralement admis comme critère dans l’Église, alors que le critère objectif est perdu.

L’ICÔNE, TRANSMISSION OBJECTIVE
DE LA RÉVÉLATION
Pour saisir la signification et le contenu de l’art sacré, en particulier l’icône, commençons par étudier brièvement le tout dont elle n’est qu’une partie, l’église et sa signification symbolique d’une part, l’attitude de l’Église orthodoxe vis-à-vis de l’art d’autre part.
Le principe orthodoxe de la construction des églises est basé sur la tradition léguée par les Pères. Or, la tradition n’est pas un principe conservateur ; elle est la vie même de l’Église dans l’Esprit Saint. C’est la révélation divine qui continue de vivre. À l’expérience de celui qui la reçue et transmise, s’ajoute l’expérience de celui qui la vivra après lui. Ainsi, l’unité de la vérité révélée cohabite avec la pluralité des compréhensions personnelles.
Dans son second Traité pour la défense des saintes icônes, saint Jean Damascène dit :  » La Loi et tout ce qui fut institué par la Loi (l’Ancien Testament) était une certaine préfiguration de l’image à venir, c’est-à-dire de notre culte actuel. Et le culte que nous rendons actuellement est une image des biens à venir. Quant aux objets eux-mêmes, ils sont la Jérusalem céleste, immatérielle, et qui n’est pas faite par la main de l’homme, suivant la parole de l’Apôtre : Nous n’avons point d’ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir (He 13,14), c’est-à-dire la Jérusalem céleste, dont Dieu est l’architecte et le constructeur (He 11,10). Une église, avec tout ce qu’elle contient, est donc l’iamge des  » biens à venir  » de la Jérusalem céleste.
Selon les Pères liturgistes, et en particulier saint Germain de Constantinople, grand confesseur de l’Orthodoxie de la période iconoclaste,  » l’église est le ciel sur terre, où habite et se meut Dieu qui est plus haut que le ciel « .  » Elle a été préfigurée dans les personnes des patriarches, annoncée dans celle des prophètes, fondée dans celle des Apôtres, ornée dans celle des évêques, sanctifiée dans celle des martyrs…  »  » Elle est l’image de l’Église divine et représente ce qui est sur la terre, ce qui est au ciel et ce qui dépasse le ciel  » (saint Syméon de Salonique). Il précise :  » Le narthex correspond à la terre, la nef au ciel et le saint sanctuaire à ce qui est plus haut que le ciel. « 
Ainsi, pour les Pères, l’église est le ciel nouveau et la nouvelle terre, le monde transfiguré, la paix à venir, où toutes les créatures se rassembleront dans l’ordre hiérarchique autour de leur Créateur.
C’est sur cette image que se basent la construction et la décoration des églises. Ce sont là des symboles dogmatiques qui se bornent à fixer les principes généraux et essentiels. Les Pères ne prescrivent aucun style d’architecture, n’indiquent point comment orner l’édifice, ni de quelle façon il faut peindre les icônes. Tout ceci découle de l’idée générale de l’Église et suit une règle d’art analogue à la règle liturgique. Autrement dit, nous avons une formule générale très nette et très clair qui dirige nos efforts, en laissant une liberté complète à l’action du Saint-Esprit en nous.
C’est donc l’image du monde transfiguré qui est à la base du principe définissant l’aspect de l’église, la forme des objets et leur place, le caractère des chants liturgiques, et règle l’ordonnance des sujets de la décoration, ainsi que l’aspect extérieur de l’image.
Il est clair qu’une pareille conception de l’église nécessite une harmonie parfaite de tous les éléments qui la forment, c’est-à-dire leur unité et leur plénitude liturgique. L’architecture, l’image, le chant, tout doit rappeler au fidèle qu’il se trouve en un lieu sacré. Chaque partie de l’édifice doit, par son aspect, lui montrer son sens et sa destination.
Pour former un ensemble harmonieux, chacun des éléments composant une église doit, avant tout, être subordonné à son idée générale et partant renoncer à toute ambition de jouer un rôle propre, de valoir par lui-même. L’image, le chant cessent d’être des arts ayant chacun sa voie propre, indépendante des autres, pour devenir des formes variées exprimant, chacune à sa façon, l’idée générale de l’église, univers transfiguré, préfiguration de la paix à venir. Cette voie est la seule où chaque art, formant partie d’un tout harmonieux, puisse acquérir la plénitude de sa valeur et s’enrichir infiniment d’un contenu toujours nouveau.
Cette harmonie qui forme de l’église et du service divin un tout homogène réalise, dans son domaine propre, cette  » unité dans la diversité  » et cette  » richesse dans l’unité « , qui exprime, dans l’ensemble et dans chacun des détails, le principe de catholicité de l’Église orthodoxe.
Ainsi, l’art de l’Église est, par son essence même, un art liturgique. Non seulement il sert de cadre au service divin et le complète, il lui est parfaitement conforme. L’art sacré et la Liturgie ne font qu’un, tant par leur contenu que par les symboles servant à l’exprimer. L’image découle du texte, elle lui emprunte ses thèmes iconographiques et la façon de les exprimer.
La correspondance parfaite de l’image et du texte a été le principe de l’art sacré, dès les premiers siècles du christianisme. Dans les catacombes et les premières églises, nous ne voyons jamais d’images de caractères anecdotique ou psychologique. Comme la Liturgie, elles unissent la réalité la plus concrète à un symbolisme profond.
Or, ce que nous voyons dans nos églises est souvent bien loin de ce que doit être l’art liturgique. Il y a confusion de deux choses absolument distinctes : la sainte image et l’image sainte, c’est-à-dire de l’art liturgique et de ce qu’on appelle communément l’art  » religieux « , art qui, tant par son essence que par sa destination, sa manière d’expression et sa façon de traiter la matière, est un art profane à sujet religieux. Du fait de cette confusion, l’art sacré a été presque complètement évincé de nos églises et remplacé par l’art religieux.
Cet art est de conception relative et subjective ; expression d’un état d’âme de l’artiste et de sa piété propre et non, comme l’art liturgique, transmission objective de la révélation. Il reflète le monde sensible et émotionnel, conçoit Dieu à l’image de l’homme. Ce n’est plus l’Église qui enseigne, mais la personnalité humaine qui impose ses recherches individuelles aux croyants. Le but de l’art religieux est de provoquer une certain émotion. Or, l’art liturgique ne se propose pas d’émouvoir, mais de transfigurer tout sentiment humain.
De même la conception de la beauté, dans l’art religieux, est complètement différente de celle de l’art liturgique. Pour l’Église orthodoxe , la beauté est le vêtement royal de Dieu triomphant : Le Seigneur règne, il s’est vêtu de splendeur (Ps 92,1). Dans le plan humain, elle est le couronnement divin d’une oeuvre, la correspondance de l’image à son prototype. Or, dans l’art religieux, comme dans l’art profane, la beauté a sa valeur en elle-même ; elle est le but de l’oeuvre. Ce n’est plus la beauté dans le sens orthodoxe du mot, mais plutôt une déformation de cette beauté, aboutissant dans l’image du monde déchu, allant parfois jusqu’à l’image du monde décomposé )Picasso, les surréalistes…). La beauté d’une image est ici quelque chose de subjectif, tant pour l’artiste qui la crée que pour le spectateur qui la regarde. Dans la façon de créer, comme dans la façon d’apprécier, c’est la personnalité humaine qui s’affirme, consciemment ou inconsciemment. C’est ce qu’on appelle communément la  » liberté « .
Cette liberté consiste en une expression de la personnalité de l’artiste, de son moi ; la piété personnelle, les sentiments individuels, l’expérience de telle ou telle personne humaine passant avant la confession de la vérité objective de la révélation divine. C’est, en réalité, le culte de l’arbitraire. Ajoutons que, dans une image religieuse, cette liberté s’exerce au dépens de celle des spectateurs : l’artiste leur présente sa personnalité qui s’interpose entre eux et la réalité de l’Église. Ceci ne peut que provoquer une révolte, et ce qui était destiné à stimuler la piété des croyants confirme les incroyants dans leur impiété. Un artiste qui, consciemment ou inconsciemment, s’engage dans cette voie, est esclave de son émotivité, de ses impressions sentimentales. L’iamge créée par lui perd inévitablement sa valeur liturgique. De plus, la conception individualiste de l’art détruit forcément son unité et prive les artistes du lien qui les unit les uns aux autres et à l’Église. La catholicité cède le pas au culte du personnel, de l’exclusif, de l’original.
Tout autre est le chemin suivi par la peintre liturgique orthodoxe. C’est la voie de la soumission ascétique, de la prière contemplative. La beauté d’une icône, quoique comprise par chacun de ceux qui la regardent à sa façon personnelle. dans la mesure de ses possibilités, est exprimée par l’artiste objectivement, selon le refus de son moi, s’effaçant devant la vérité révélée. La liberté consiste en la  » libération de toutes les passions et de tous les désirs de ce monde et de la chair « , suivant Syméon le Nouveau Théologien (Sermon 87). C’est la liberté spirituelle, celle dont parle saint Paul : Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté (2 Co 3,17). La qualité liturgique et spirituelle de l’art est proportionné au degré de liberté spirituelle de l’artiste. Cette voie est la seule qui mène la personnalité de l’artiste à la plénitude de son importance réelle.
La tâche du peintre d’icônes et celle du prêtre ont beaucoup de points communs. Selon saint Théodose l’Érmite, par exemple,  » l’un compose le Corps et le Sang du Seigneur et l’autre le représente « . Comme le prêtre, le peintre a le devoir, dans son art, de nous mettre devant la réalité, laissant à chacun la liberté de réagir dans la mesure de ses moyens, suivant son caractère et les circonstances.
Un autre point par où l’art liturgique diffère essentiellement de l’art religieux est la façon dont il traite la matière. Il suit, là aussi, le principe essentiel de l’Église. L’image du monde transfiguré ne saurait, avant tout, tolérer aucun mensonge : elle est l’opposé de l’illusion, la vérité par excellence. C’est pourquoi la matière, entrant dans sa composition, doit être authentique. Il faut que son traitement soit conforme à la matière en question et que, de son côté, la matière soit conforme à l’emploi de l’objet. Il est essentiel que l’objet ne donne pas l’illusion d’être autre chose qu’il n’est pas. Aussi, dans l’icône, l’espace est limité par la surface plane de la planche et ne doit pas donner l’impression artificielle de la dépasser.
Nous voyons donc que le principe même de la création dans l’art liturgique est diamétralement opposé à celui de l’art religieux. C’est pourquoi une image religieuse peur être intéressante et utile à sa place, mais cette place n’est pas dans l’église.

L’ICÔNE, VISION DU MONDE SPIRITUEL
C’est au cours de la période iconoclaste des VIIIe-IXe siècles que l’Église formula clairement la portée dogmatique de l’icône. En défendant les images, ce n’est pas seulement leur rôle didactique, ni leur côté esthétique que défendait l’Église orthodoxe, c’est la base même de la foi chrétienne : le dogme de l’Incarnation de Dieu. En effet, l’icône de notre Seigneur est à la fois un témoignage de son Incarnation et celui de notre confession de sa divinité.  » J’ai vu l’image humain de Dieu et mon âme est sauvée « , dit saint Jean Damascène (Premier traité pour la défense des saintes icônes, chapitre 22).
D’une part, l’icône témoigne, en représentant la Personne du verbe incarné, de la réalité et de la plénitude de son Incarnation : d’autre part, nous confessons par cette image sacrée que ce  » Fils de l’Homme  » est réellement Dieu, la vérité révélée. Ainsi, nous voyons chez saint Pierre qui, le premier, confessa la divinité du Christ, non pas une connaissance humaine naturelle, mais une connaissance d’ordre supérieur, suivant la parole de notre Seigneur :Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et la sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux (Ma 16,17).
L’élan de l’homme vers Dieu, le côté subjectif de la foi, se rencontre ici avec la réponse de Dieu à l’homme, une connaissance spirituelle objective, exprimée soit par la parole, soit par l’image. Ainsi, l’art liturgique n’est pas seulement notre offrande à Dieu, mais aussi la descente de Dieu vers nous, une forme dans laquelle s’opère la rencontre de  » Dieu avec l’homme, de la grâce avec la nature, de l’éternité avec le temps « . Les formes de cette interpénétration du divin et de l’humain sont perpétuellement transmises et toujours vivantes dans la tradition.
La tradition dans l’art liturgique, comme dans l’Église elle-même, se base sur deux réalités : un fait historique d’une part, et la révélation dépassant les limites du temps d’autre part. C’est ainsi que l’iamge d’une fête ou d’un saint reproduit le plus fidèlement possible la réalité historique et nous ramène à son prototype, sans quoi elle n’est pas une icône. De là, le pouvoir des images d’opérer des miracles, car  » les saints, au cours de leur vie, étaient remplis du Saint-Esprit. Après leur mort également, la grâce du Saint-Esprit demeure perpétuellement dans leurs âmes, dans leurs corps ensevelis, dans leur aspect et dans leurs saintes images  » (saint Jean damascène). Au cas où une ressemblance physique absolue ne saurait être atteinte, la réalité historique est exprimée par des symboles parfaitement adéquats. C’est pourquoi l’Église orthodoxe n’admet pas les images peints d’après un modèle vivant ou d’après l’imagination de l’artiste. Une telle image n’exprime, à part son mensonge inévitable, que le fait que saint Pierre par exemple était un homme et la Sainte Vierge une femme. Les conciles prescrivent de peindre comme peignaient les anciens iconographes. Il existe, à cet effet, des recueils fixant les traits iconographiques de chaque saint.
D’un autre côté, une image sacrée ne représente pas simplement un événement historique ou un être humain parmi les autres ; elle nous montre de cet événement ou de cet être humain son visage éternel, nous révèle son sens dogmatique et son rang dans l’enchaînement des événements salutaires de l’économie divine. Les images de notre Seigneur et de la Vierge, à elles seules, dégagent déjà la plénitude de cette économie. Par l’icône d’un saint, nous voyons sa place et son importance dans l’Église, ainsi que sa façon particulière de servir Dieu en tant que prophète, martyr, apôtre etc…, exprimés par les attributs iconographiques et les couleurs symboliques. Ainsi l’icône, tout comme la Sainte Écriture, nous montre le terme suprême et le sens profond de toute la vie humaine : vie de martyr, vie contemplative, active ou autre. Elle nous révèle la voie à suivre et les moyens de l’accomplir et nous aide à découvrir le sens de notre propre vie.
Comme l’Évangile, l’art sacré est laconique. La Sainte Écriture ne consacre que quelques lignes à des événements qui décidèrent de l’histoire de l’humanité. L’image sacré également nous montre seulement ce qui est essentiel. Les détails, ici et là, ne sont tolérés que lorsqu’ils sont indispensables et suffisants, comme par exemple dans le récit et l’image de la Résurrection, les bandes qui étaient à terre et le linge qu’on avait mis sur la tête de Jésus, non pas avec les bandes, mais plié dans un lieu à part (Jn ).
Mais si l’icône dépasse les limites du temps, elle ne rompt pas ses relations avec le monde, ne s’enferme pas en elle-même. Les saints sont toujours représentés de face ou de trois quarts vers le spectateur. Ils ne sont presque jamais vus de profil, même dans les compositions compliquées, où leur mouvement est dirigé vers le centre de la composition. Le profil, en effet, interrompt en quelque sorte la communion, il est comme un début d’absence. On le tolère dans la représentation de personnages qui n’ont pas acquis la sainteté, comme par exemple les bergers ou les mages dans l’icône de la Nativité de notre Seigneur.
Cette absence de profil est une des expressions de la relation intime entre celui qui prie et le saint représenté. Dans une église, où la décoration, comme nous l’avons dit, n’est pas un assemblage d’icônes plus ou moins arbitraire, mais forme, en quelque sorte, une icône générale de l’Église, la Liturgie, c’est-à-dire  » action commune « , englobe l’assemblée des saints représentés et celle des fidèles, les saints tournés à la fois vers eux et vers le Seigneur, étant un objet de prière et des médiateurs auprès de Dieu.
Si aujourd’hui nous avons cessé de comprendre le message que nous apporte l’icône, c’est que nous avons perdu la clef de son langage. Cette chef est le sens concret et vivant de la Transfiguration, idée centrale de l’enseignement chrétien. Ainsi que disait un évêque russe du XIXe siècle, saint Ignace Braintchaninov,  » la connaissance même de la capacité du corps humain à être spirituellement sanctifié est perdue par les hommes  » (Essai ascétique, premier volume).
L’icône est précisément le témoignage de cette connaissance concrète, vécue de la sanctification du corps humain, de sa transfiguration. De même que la parole, mais au moyen d’images visibles, elle nous montre la créature pénétrée et déifiée par la grâce incréée.  » L’homme, dont l’âme est toute devenue feu, transmet également à son corps une partie de la gloire acquise intérieurement, tout comme le feu matériel transmet son action au fer  » (saint Syméon le Nouveau Théologien, sermon 83).
Saint Ignace Briantchaninov décrit cet état d’une façon qui nous est plus accessible :  » Lorsque la prière est sanctifiée par la grâce divine, l’âme tout entière est attirée vers Dieu par une force inconnaissable, entraînant avec elle le corps… Chez l’homme né à une vie nouvelle, ce n’est pas l’âme seulement, ni le coeur seul, mais la chair aussi qui s’emplit d’une consolation et d’une félicité spirituelles : la joie du Dieu vivant… Lorsque l’homme prie véritablement, chacun de ses clame : Seigneur qui t’égale ? Tu délivres le pauvre des puissants qui l’oppriment. Tu libères le malheureux et l’indigent de ceux qui ravissent sa prière et son espoir : les pensées et les sensations venant de la nature déchue et provoquées par les démons. « 
Ainsi, l’être entier prend part à la prière : le corps, les sens, les sentiments, sont sanctifiés par la grâce. Leur dispersion habituelle,  » les pensées et les sensations qui proviennent de la nature déchue  » font place à une prière concentrée, tout se fond dans l’élan de l’homme tout entier vers Dieu. Nos sens régénérés deviennent autres. C’est ce corps humain transformé qui est représenté sur l’icône. Ceci ne veut pas dire que le corps humain devienne autre chose qu’il est. Au contraire, le corps reste corps et garde toutes les particularités physiques de la personne. Mais le changement de son état est représenté par des traits qui, n’étant pas naturalistes, nous sont souvent incompréhensibles.
L’icône est donc, comme nous l’avons dit, un témoignage de la déification de l’homme, de la plénitude de la vie spirituelle, une communication par l’image de ce qu’est l’homme en état de prière sanctifiée par la grâce. C’est en quelque sorte de la peinture d’après nature, mais d’après la nature rénovée, à l’aide de symboles. Elle est le chemin et le moyen ; elle est la prière même. De là, la majesté de l’icône, sa simplicité, le calme du mouvement, de là le rythme de ses lignes et de ses couleurs qui découle d’une harmonie intérieure parfaite.
Il convient de préciser que cet état de sanctification n’est pas à confondre avec celui de l’extase. En effet, l’état extatique n’est pas une union de la nature humaine avec Dieu, il ne transfigure pas la créature. Il est une rupture de l’âme avec l’organisme sensible (raptus), une vision qui arrive parfois à des débutants dans la vie spirituelle. À mesure que le débutant croît dans la grâce, sa nature s’en pénètre tout entière ; il n’est plus ébloui par la vision du monde surnaturel ; il  » connaît dès ici-bas, dès la vie présente, le mystère de sa déification  » (saint Syméon le Nouveau Théologien, Sermon 83, chapitre 3).
Seuls les hommes qui, par expérience personnelle, connaissent cet état, peuvent créer de telles images, révélant la participation de l’homme à la vie du monde transfiguré qu’il contemple. Et seule une telle image, authentique et convaincante, peut nous communiquer son élan vers Dieu. Aucune imagination artistique, aucune perfection technique ne peuvent remplacer ici la connaissance positive  » provenant de la vision et de la contemplation « .
Il est facile de comprendre à présent pourquoi tout ce qui rappelle la chair corruptible de l’homme et l’espace physique est contraire à la nature même de l’icône, car la chair et le sang ne peuvent hériter le Royaume de Dieu et la corruption n’hérite pas l’incorruptibilité (1 Co 15,50).
De tout ce qui précède, il ne résulte nullement que seuls, les saints puissent faire des icônes. L’Église ne consiste pas que de saints. Nous tous en faisons partie par les sacrements et cela nous confère le devoir, le droit, l’audace de marcher sur la trace des saints. Tout peintre orthodoxe vivant dans la tradition peut faire des icônes authentiques. Ceci explique les exigences de l’Église, en ce qui concerne le côté moral de la vie des peintres d’icônes. La peinture d’icônes n’est pas seulement un art, c’est une ascèse quotidienne. Mais la source inépuisable qui abreuve l’art sacré est l’Esprit Saint par l’intermédiaire de l’Église, par la contemplation des hommes, dont la prière a été sanctifiée par la grâce divine. C’est pourquoi l’Église orthodoxe, parmi les différents ordres de saints, docteurs, martyrs etc…, a un ordre de saints peintres d’icônes canonisées pour leur art.

L’ICÔNE, RÉALITÉ DU ROYAUME
Résumons pour terminer. L’art liturgique est une théologie inspirée, exprimée par les formes, les lignes et les couleurs. Il contient les trois éléments qui forment la religion chrétienne : le dogme, qu’il confesse par l’image, l’enseignement spirituel et moral, qu’il traduit par son sujet et son contenu, et le culte, dont il fait partie intégrante.
De même que notre Seigneur sur le Mont Thabor montra aux disciples la vérité du siècle à venir et les fit participer au mystère de sa Transfiguration  » dans la mesure où ils en étaient capables « , l’art liturgique, en mettant devant nos yeux l’image de cette même vérité du siècle à venir (le Royaume de Dieu venu dans sa force (Mt )), sanctifie tout notre être suivant nos capacités.
En oubliant la capacité du corps humain à être ainsi sanctifié, on est arrivé à appliquer à l’art sacré les mêmes mesures et les mêmes exigences qu’à l’art profane, abaissant ainsi le surnaturel jusqu’à l’humain. L’homme déchu est devenu la mesure de toutes choses, il crée Dieu à son image au lieu de retrouver dans l’homme l’image de Dieu.
Si au temps de l’iconoclasme des VIIIe et IXe siècles, dans la lutte pour l’existence même de l’image, c’est le dogme de l’Incarnation de Dieu qui était défendu,  » Dieu est devenu homme « , aujourd’hui, c’est l’aboutissement de l’Incarnation :  » Pour que l’homme devienne Dieu « , qui est en jeu. L’iconoclasme de nos jours, inconscient sans doute, n’est pas tant une négation de l’image que sa défiguration, voire sa corruption, une incompréhension de sa portée dogmatique et éducatrice. La plupart du temps, l’image est considérée comme chose secondaire ; la parole seule est jugée suffisante. On oublie que notre Seigneur n’est pas seulement le Verbe du Père, mais aussi l’Image du Père et que, depuis le temps les plus reculés, la mission de l’Église dans le monde était exercée par l’iamge comme par la parole.
Loin d’être pour nous un objet de délectation esthétique ou de curiosité scientifique, l’icône a un sens théologique très net : de même que l’art profane représente la réalité du monde sensible et émotionnel, tel qu’il est vu personnellement par l’artiste, elle représente la réalité du Royaume qui n’est pas de ce monde, telle que nous l’enseigne l’Église. Autrement dit, elle représente, à l’aide de symboles, ce même monde sensible et émotionnel, délivré du péché, transfiguré et déifié.

Extrait des Mélanges de
l’Institut orthodoxe français
de Paris, IV, 1948.

 

HOMÉLIE POUR LE 23E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE ANNÉE B « OUVRE-TOI! EFFATA! »

7 septembre, 2018

http://www.hgiguere.net/Homelie-pour-le-23e-dimanche-du-temps-ordinaire-Annee-B-Ouvre-toi-Effata_a851.html

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HOMÉLIE POUR LE 23E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE ANNÉE B « OUVRE-TOI! EFFATA! »

Homélies dominicales pour les temps liturgiques par Mgr Hermann Giguère P.H. du Séminaire de Québec. Homélie du 9 septembre 2018 Année B. Textes: Isaïe 35, 4-7a, Jacques 2, 1-5 et Marc 7, 31-37.

L’évangile d’aujourd’hui nous raconte un autre miracle de Jésus. On s’imagine bien la scène. On voit Jésus qui se prête à des gestes symboliques. Il amène le sourd-muet à l’écart, il lui met les doigts dans les oreilles, puis avec de la salive, il lui touche la langue et il le guérit. C’est l’allégresse et la joie autour.
Et pourtant, ce miracle n’est rien en lui-même. C’en est un parmi d’autres. Ce qui est important, c’est ce que Jésus veut nous enseigner par ce miracle. Ici, Jésus veut nous montrer qu’il n’est pas venu guérir seulement les oreilles ou la bouche, mais qu’il vient, aussi surprenant que cela paraisse, guérir toute la personne. Il vient guérir la personne toute entière. Il n’apporte pas seulement des recettes de vie, des soulagements passagers à nos maux. Il donne un sens à toute notre vie.

I- Les mots de l’évangile
Il y a un mot à retenir dans l’évangile d’aujourd’hui. C’est « Ouvre-toi », en araméen « Effata ».
Jésus ne dit pas aux oreilles « Ouvrez-vous », à la bouche « Ouvre-toi ». C’est à l’handicapé, au sourd et muet lui-même, qu’il dit « Ouvre-toi » « Effata ». C’est un peu comme s’il lui disait : « Écoute, il ne suffit pas d’entendre des mots, il faut aussi écouter, accueillir avec son cœur. Il ne suffit pas de dire des mots, de parler, il faut aussi communiquer ».
Écouter avec son cœur, communiquer c’est tellement nécessaire. Avec les enfants, combien de parents se sont fait dire « Tu ne m’as pas écouté ». Pensez au monologue de Pauline Julien « As-tu 2 minutes? »
Jésus nous enseigne ici que l’important dans les relations c’est la personne. « Tu parles plus par ce que tu es que par ce que tu dis ». Jésus veut que notre cœur et toute notre personne se mettent à l’écoute de ses paroles. Ses paroles, il nous les dit à l’écart, dans l’intime de notre cœur. Il vient guérir et sauver toute la personne, donner un sens à sa vie, pas seulement la faire entendre ou la faire parler.

II- Message et application
Et si nous accueillons le salut de Dieu avec Jésus, tous les miracles sont possibles. Voilà, je pense, le message de l’Évangile d’aujourd’hui : « Ouvrez vos cœurs à Jésus et avec lui vous verrez, dans vos vies, des changements, de belles choses qui vont se produire ».
Cette leçon, ce message, tombe bien en ce début de septembre. Nous retournons à nos occupations. Les enfants retournent en classe. Diverses activités se préparent, sociales ou pastorales, pour l’automne. C’est une période nouvelle qui commence.
Au lieu de voir ce temps comme un fardeau après l’été, pourquoi ne pas s’ouvrir à ces nouvelles activités, à ce nouveau rythme de vie avec confiance et en profiter pour nous renouveler nous-même ? Pourquoi, au cours de cette messe et durant la semaine, ne pas nous arrêter un petit moment « à l’écart » pour faire à Jésus une prière où nous lui dirons notre ouverture vis-à-vis ce qui nous attend dans les prochains mois ? Nous pourrions aussi dans cette prière en silence écouter ce que son Esprit nous inspirera comme priorité.
Conclusion
C’est ainsi, mes frères et sœurs, que le salut de Jésus continuera d’être créateur dans nos vies concrètes comme il l’a été pour le sourd et muet qu’il a changé totalement. Jésus nous changera pour le mieux nous aussi. Les miracles sont toujours possibles. C’est ce que je vous souhaite de tout cœur à toutes et à tous.
Amen!

Mgr Hermann Giguère, P.H.
Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l’Université Laval
Séminaire de Québec

MON BIEN-AIMÉ EST À MOI ET JE SUIS À LUI – GIANFRANCO RAVASI

6 septembre, 2018

http://www.osservatoreromano.va/fr/news/mon-bien-aime-est-moi-et-je-suis-lui

imm fr le cantique de cantiques

Cantique de Cantiques, Chagall

MON BIEN-AIMÉ EST À MOI ET JE SUIS À LUI – GIANFRANCO RAVASI

· Le livre où Dieu parle la langue des amoureux ·

2 juin 2014

« Il n’y a rien de plus beau que le Cantique des cantiques » : ces mots sont ceux d’un des personnages de L’Homme sans qualité, la chef-d’œuvre de Robert Musil, l’écrivain autrichien mort en 1942, grand témoin de la crise européenne du XXe siècle. Ils expriment l’admiration sans condition dont a joui ce court livre biblique de seulement 1250 mots en hébreu. Un petit poème qui a légitimement mérité le titre de Shir hasshirim, Cantique des cantiques, une manière sémitique pour exprimer le superlatif : le « cantique » par excellence, le « chant sublime » de l’amour et de la vie.
Le plus grand théologien protestant du XXe siècle, Karl Barth, n’avait pas hésité à définir ce texte « la magna charta de l’humanité». Pourtant cette « charta » de notre essence d’hommes capables d’aimer, de jouir mais aussi de souffrir, n’a pas toujours été lue de façon uniforme parce que ses nuances sont aussi multiples et variées que celles d’une pierre précieuse. Il semble bien qu’ait raison ici un ancien rabbin, Saadia ben Joseph (882-942), qui comparaît le Cantique à une serrure dont la clé a été perdue : pour l’ouvrir il faut multiplier les tentatives.
La clé indispensable pour entrouvrir cet écrin est toutefois, comme c’est souvent le cas, la plus immédiate. Pour comprendre le sens fondamental de ce livre où Dieu parle le langage des amoureux, il est nécessaire d’utiliser la clé de ses paroles poétiques, c’est-à-dire de ce que jadis l’on appelait le sens littéral. En effet, l’œuvre réunit le dialogue joyeux de deux personnes qui s’aiment qui s’appellent à 31 reprises dodî, « mon aimé », un surnom très semblable à ces petits-noms que se forgent secrètement les amoureux pour s’interpeler.
Dans le Cantique la femme et l’homme trouvent toute la fraîcheur et l’intensité d’une relation qu’eux-mêmes vivent et expérimentent à travers le miracle éternel de l’amour. C’est une relation intime et personnelle, construite sur les pronoms personnels et sur les possessifs de première et deuxième personnes : « mon/ton », « je /tu ». La formule spirituelle et « musicale » du Cantique est dans cette fulgurante exclamation de la femme :dodî lî wa’anî lô, «mon aimé est à moi et je suis à lui» (2, 16). une exclamation réitérée et variée en 6, 3: ’anî ledodîwedodî lî, «je suis à mon aimé et mon aimé est à moi». C’est la formule de pure réciprocité, de la mutuelle appartenance, du don réciproque et sans réserve.
Cette parfaite intimité passe par trois degrés. Elle connaît la bipolarité sexuelle qui est vue comme « image » de Dieu et réalité « très bonne/belle », selon la Genèse (1, 27 et 31), c’est-à-dire représentation vivante du Créateur à travers la capacité générative et d’amour du couple. Mais la sexualité toute seule est purement physique. L’homme peut monter à un degré supérieur en percevant dans le sexe l’eros, c’est-à-dire la fascination pour la beauté, l’esthétique du corps, l’harmonie de la créature, la tendresse des sentiments. Mais avec l’eros, les deux êtres restent encore un peu « objet », extérieurs l’un à l’autre
Ce n’est qu’avec la troisième étape, celle de l’amour, que naît la communion humaine pleine qui éclaire et transfigure sexualité et eros. Et seuls la femme et l’homme parmi tous les êtres vivants peuvent parcourir toutes ces étapes en parvenant à la perfection de l’intimité, du dialogue, de la donation d’amour total.
Le premier plan de lecture que nous devons adopter pour parcourir cette partition poétique enchanteresse est donc nuptiale, naturellement avec toutes les couleurs et tous les symboles de l’orient. En 1873 le consul de Prusse à Damas, Johann Gottfried Wetzstein, avait tenté de confronter les cérémonies nuptiales des bédouins et des paysans syriens avec celles qui sont citées dans le Cantique : fêtes de sept jours, couronnement de l’époux et de l’épouse avec le titre de roi et reine (dans le Cantique l’aimé est parfois identifié avec le roi Salomon) ; la table nuptiale dit le « trône », la danse des « deux chœurs» (cf. 7, 1), les hymnes décrivant la beauté physique de l’épouse et la puissance de l’époux.
Dans le Cantique est donc en scène l’amour tendre, « printanier », présent non seulement dans le beau couple de deux jeunes amoureux mais, pourrions-nous dire, également de la tendresse inchangée d’un couple ancien encore amoureux. Un primat va toutefois à la féminité parce que dans le Cantique, la femme a davantage un rôle de premier plan que l’homme, malgré le machisme très profond de l’orient dont l’œuvre provient.
Pour notre thème, l’attention réservée au visage des deux amoureux est significative. Certes, tout le corps – entendu comme signe de communication – est impliqué dans le poème : il y a les bras, la main et les doigts, le cœur, les seins, le ventre, les flancs, le nombril, les jambes, les pieds, les caresses, la peau sombre. Mais le visage est central, décrit sous tous ses traits : du sommet du crâne au cou, des joues aux yeux, de la bouche aux lèvres, du palais aux dents, des fins cheveux aux boucles. Le visage est le signe le plus vivant et authentique du dialogue, de la rencontre, de la communion de vie, de pensée et de sentiment.
Le Cantique est ensuite un hymne continu à la joie de vivre : quand le ciel est bouché par les nuages – écrivait Paul Claudel – la surface d’un lac est plate et métallique ; quand brille le soleil elle se transforme en un miroir admirable des couleurs du ciel et de la terre. En effet, il en est ainsi de la vie de l’homme lorsque vient l’amour : le panorama est toujours le même, le travail est toujours monotone et aliénant, les villes anonymes et froides, les jours identiques l’un à l’autre ; pourtant l’amour transfigure tout et alors on aime et on voit tout avec des yeux différents parce que l’homme sait que le soir il retrouvera sa femme.
L’amour humain, toutefois, connaît aussi la crise, l’absence, la peur, le silence, la solitude. Il y a dans le Cantique deux scènes nocturnes (3, 1-5 et 5, 2 – 6, 3) pleines de tension où l’homme et sa femme sont éloignés et se cherchent désespérément sans se trouver. Le sommet du poème biblique est en 8, 6 où sont mis en tension dialectique l’amour et la mort : « Car l’amour est fort comme la Mort, / la passion inflexible comme le Shéol. / Ses traits sont des traits de feu, / une flamme du Seigneur » (curieusement c’est le seul vers du Cantique où résonne le nom divin de Jah/Jhwh). Dans ce duel extrême le poète sacré est certain que l’amour doive prévaloir, comme Dieu est le vainqueur de la mort et du mal.
Le Cantique est donc avant tout la célébration de l’amour humain et du mariage. Toutefois, dans cet amour le poète biblique entrevoit presque la semence de l’amour éternel et parfait que Dieu voue à sa créature. N’oublions pas en effet que déjà le prophète Osée au VIIIe siècle avant l’ère chrétienne, avait utilisé sa dramatique expérience matrimoniale et familiale en la transformant en une parabole de l’amour de Dieu pour son peuple Israël (Osée, 1-3). Cette transmutation thématico-symbolique apparaît implicitement aussi dans le Cantique.
De l’intérieur de l’amour humain – et sans l’ignorer, comme cela a été fait en revanche dans la soi-disant lecture « allégorique » qui a réduit le Cantique à une larve spiritualisante – il faut saisir un signe supplémentaire, celui de l’amour transcendant de Dieu pour sa créature. C’est le second niveau interprétatif à travers lequel le cantique est devenu également le texte de la mystique chrétienne : il suffit de citer les Pensées sur l’amour de Dieu de sainte Thérèse d’Avila et ce chef-d’œuvre littéraire et mystique qu’est le Cantique spirituel de saint Jean de la Croix, qui sont nourris du Cantique des cantiques.
La représentation plastique la plus célèbre de cet entrelacs spirituel est peut-être l’Extase de sainte Thérèse du Bernin dans l’église romaine Santa Maria della Vittoria: un ange lance la flèche de l’amour divin vers la sainte qui est plongée dans une extase physique et intérieure d’une très grande intensité, spirituelle et sensuelle. La vierge aimante s’abandonne à Dieu à travers un amour incandescent qui pénètre tout l’être, même physique.
C’est d’ailleurs un fil thématique qui parcourt toute la Bible : outre les chapitres 1-3 du prophète Osée déjà cités, il faut lire le chapitre 16 du prophète Ezéchiel, certaines pages d’une grande tendresse chez Isaïe (54, 1-8 et 61, 10-62, 5), tout comme l’appel de Paul aux Ephésiens : « De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme c’est s’aimer soi-même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Eglise : ne sommes-nous pas les membres de son Corps ? Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise!» (5, 28-32).
Mais dans la Bible, le texte qui fait le plus resplendir la merveille de l’amour humain et sa valeur de signe théologique est justement le Cantique. Dieu, en effet, comme l’enseigne la première lettre de saint Jean, « est amour ». Un ancien texte judaïque commentait ainsi le voyage d’Israël dans le désert du Sinaï : « Le Seigneur vint du Sinaï pour accueillir Israël comme un fiancé va au-devant de sa fiancée, comme un époux embrasse son épouse ».
Le Cantique doit donc accompagner les amoureux dans les étapes obscures et sereines, dans le rire et dans les larmes de cette étonnante aventure qu’est leur amour. Mais le Cantique estdans sa destination finale la figure suprême de l’amour entre Dieu et sa créature, si bien qu’il devient un texte capital surtout pour tous les croyants. Ainsi avait raison le grand écrivain chrétien du IIIe siècle Origène d’Alexandrie quand il écrivait : « Bienheureux qui comprend et chante les cantiques des Saintes Ecritures ! Mais plus bienheureux encore qui chante et comprend le Cantique des cantiques !». 

 

PAPE FRANÇOIS – Catéchèse sur les commandements: 6. Respectez le nom du Seigneur. (Titre italien)

5 septembre, 2018

http://w2.vatican.va/content/francesco/it/audiences/2018/documents/papa-francesco_20180822_udienza-generale.html

XIR171507

création du monde, Bible-de-Souvigny

PAPE FRANÇOIS – Catéchèse sur les commandements: 6. Respectez le nom du Seigneur. (Titre italien)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Salle Paul VI

Mercredi 22 août 2018

Chers frères et sœurs, bonjour!

Nous continuons les catéchèses sur les commandements et nous abordons aujourd’hui le commandement: «Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu» (Ex 20, 7). Nous lisons à juste titre cette Parole comme l’invitation à ne pas offenser le nom de Dieu et à éviter de l’utiliser de manière inopportune. Cette claire signification nous prépare à approfondir davantage ces paroles précieuses, à ne pas invoquer le nom de Dieu en vain, de manière inopportune.
Ecoutons mieux. La version «Tu n’invoqueras pas» traduit une expression qui signifie littéralement, en hébreu comme en grec, «tu ne prendras pas sur toi, tu ne prendras pas en charge».
L’expression «en vain» est plus claire et signifie: «à vide, vainement». Elle fait référence à une enveloppe vide, à une forme privée de contenu. C’est la caractéristique de l’hypocrisie, du formalisme et du mensonge, de l’utilisation des mots ou de l’invocation du nom de Dieu, mais à vide, sans vérité.
Dans la Bible, le nom est la vérité intime des choses et surtout des personnes. Le nom représente souvent la mission. Par exemple, Abraham dans la Genèse (cf. 17, 5) et Simon Pierre dans les Evangiles (cf. Jn 1, 42) reçoivent un nom nouveau pour indiquer le changement de direction de leur vie. Et connaître vraiment le nom de Dieu conduit à la transformation de sa propre vie: à partir du moment où Moïse connaît le nom de Dieu, son histoire change (cf. Ex 3, 13-15).
Le nom de Dieu, dans les rites juifs, est solennellement proclamé le jour du Grand Pardon, et le peuple est pardonné car, au moyen du nom, on entre en contact avec la vie même de Dieu, qui est miséricorde.
Alors «prendre sur soi le nom de Dieu» signifie assumer en nous sa réalité, entrer dans une relation forte, dans une relation étroite avec Lui. Pour nous, chrétiens, ce commandement est le rappel à nous souvenir que nous sommes baptisés «au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit», comme nous l’affirmons chaque fois que nous faisons sur nous-mêmes le signe de la croix, pour vivre nos actions quotidiennes dans une communion sincère et réelle avec Dieu, c’est-à-dire dans son amour. Et à ce propos, de faire le signe de la croix, je voudrais réaffirmer une nouvelle fois: enseignez aux enfants à faire le signe de la croix. Avez-vous vu comment les enfants le font? On dit aux enfants: «Faites le signe de la croix», ils font quelque chose qu’ils ne connaissent pas. Ils ne savent pas faire le signe de la croix! Enseignez-leur à faire le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Le premier acte de foi d’un enfant. Un devoir pour vous, un devoir à faire: enseigner aux enfants à faire le signe de la croix.
On peut se demander: est-il possible d’invoquer sur soi le nom de Dieu de manière hypocrite, comme une formalité, à vide? La réponse est malheureusement positive: oui, c’est possible. On peut vivre une relation fausse avec Dieu. Jésus le disait à propos de ces docteurs de la loi; ces derniers faisaient des choses, mais ils ne faisaient pas ce que Dieu voulait. Ils parlaient de Dieu, mais ils ne faisaient pas la volonté de Dieu. Et le conseil que donne Jésus est: «Faites ce qu’ils disent, mais pas ce qu’ils font». On peut vivre une relation fausse avec Dieu, comme ces gens. Et cette parole du Décalogue est précisément l’invitation à une relation avec Dieu qui ne soit pas fausse, sans hypocrisie, à une relation dans laquelle nous nous confions à Lui avec tout ce que nous sommes. Au fond, tant que nous ne risquons pas notre existence avec le Seigneur, en touchant du doigt qu’en Lui se trouve la vie, nous ne faisons que des théories.
Tel est le christianisme qui touche les cœurs. Pourquoi les saints sont-ils capables de toucher les cœurs? Parce que non seulement les saints parlent, mais ils bouleversent! Notre cœur est bouleversé quand une personne sainte nous parle, nous dit les choses. Et ils en sont capables, parce chez les saints, nous voyons ce que notre cœur désire profondément: l’authenticité, des relations véritables, la radicalité. Et cela se voit également chez ces «saints de la porte à côté» qui sont, par exemple, les nombreux parents qui donnent à leurs enfants l’exemple d’une vie cohérente, simple, honnête et généreuse.
Si les chrétiens qui assument le nom de Dieu sans fausseté se multiplient — en mettant ainsi en acte la première demande du Notre Père, «que ton nom soit sanctifié» —, l’annonce de l’Eglise est davantage écoutée et apparaît plus crédible. Si notre vie concrète manifeste le nom de Dieu, on voit combien le baptême est beau et quel grand don est l’Eucharistie! Quelle union sublime existe entre notre corps et le Corps du Christ: le Christ en nous et nous en Lui! Unis! Cela n’est pas de l’hypocrisie, c’est la vérité. Cela n’est pas parler ou prier comme un perroquet, c’est prier avec le cœur, aimer le Seigneur.
Depuis la croix du Christ, personne ne peut se mépriser lui-même et penser du mal de sa propre existence. Personne et jamais! Quoi qu’il ait fait. Car le nom de chacun de nous est chargé sur les épaules du Christ. Il nous porte! Cela vaut la peine de prendre sur nous le nom de Dieu, car Lui a pris la charge de notre nom jusqu’au bout, également du mal qui est en nous. Il l’a pris en charge pour nous pardonner, pour mettre son amour dans notre cœur. C’est pour cela que Dieu proclame dans ce commandement: «Prends-moi sur toi, parce que je t’ai pris sur moi».
Quiconque peut invoquer le saint nom du Seigneur, qui est Amour fidèle et miséricordieux, dans chaque situation où il se trouve. Dieu ne dira jamais «non» à un cœur qui l’invoque sincèrement. Et revenons aux devoirs à faire à la maison: enseigner aux enfants à bien faire le signe de la croix.
Je salue cordialement les pèlerins de langue française venant de France et d’autres pays. Comme l’ont fait les saints, que notre vie manifeste le nom de Dieu en vérité, sans hypocrisie ; l’annonce de l’Eglise sera de cette manière plus crédible. Que Dieu vous bénisse.

 

MESSAGE DE SA SAINTETÉ BENOÎT XVI – SI TU VEUX CONSTRUIRE LA PAIX, PROTEGE LA CREATION – 1.1.2010 (extrait, 14 points)

4 septembre, 2018

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prière du matin et du soir

MESSAGE DE SA SAINTETÉ BENOÎT XVI – SI TU VEUX CONSTRUIRE LA PAIX, PROTEGE LA CREATION – 1.1.2010 (extrait, 14 points)

POUR LA CÉLÉBRATION DE LA JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX

1er JANVIER 2010

1.Au début de cette nouvelle année, je désire adresser mes vœux de paix les plus fervents à toutes les communautés chrétiennes, aux responsables des Nations, aux hommes et aux femmes de bonne volonté du monde entier. J’ai choisi comme thème pour cette XLIIIème Journée Mondiale de la Paix: Si tu veux construire la paix, protège la création. Le respect de la création revêt une grande importance, car «la création est le début et le fondement de toutes les œuvres de Dieu»[1] et, aujourd’hui, sa sauvegarde devient essentielle pour la coexistence pacifique de l’humanité. Si, en effet, à cause de la cruauté de l’homme envers l’homme, nombreuses sont les menaces qui mettent en péril la paix et le développement intégral authentique de l’homme – guerres, conflits internationaux et régionaux, actes terroristes et violations des droits de l’homme – les menaces engendrées par le manque d’attention – voire même par les abus – vis-à-vis de la terre et des biens naturels, qui sont un don de Dieu, ne sont pas moins préoccupantes. C’est pour cette raison qu’il est indispensable que l’humanité renouvelle et renforce «l’alliance entre l’être humain et l’environnement, qui doit être le miroir de l’amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons».[2]
2. Dans l’Encyclique Caritas in veritate, j’ai souligné que le développement humain intégral est étroitement lié aux devoirs qui découlent du rapport de l’homme avec l’environnement naturel, considéré comme un don de Dieu fait à tous, dont l’exploitation comporte une commune responsabilité à l’égard de l’humanité tout entière, en particulier envers les pauvres et les générations à venir. J’ai noté, en outre, que lorsque la nature et, en premier lieu, l’être humain sont considérés simplement comme le fruit du hasard ou du déterminisme de l’évolution, la conscience de cette responsabilité risque de s’atténuer dans les esprits.[3] Au contraire, considérer la création comme un don de Dieu à l’humanité nous aide à comprendre la vocation et la valeur de l’homme. Avec le psalmiste, pleins d’émerveillement, nous pouvons proclamer en effet: «À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci?» (Ps 8, 4-5). Contempler la beauté de la création nous aide à reconnaître l’amour du Créateur, Amour qui, comme l’écrit Dante Alighieri, «meut le soleil et les autres étoiles».[4]
3. Il y a vingt ans, en consacrant le Message de la Journée Mondiale de la Paix au thème La paix avec Dieu créateur, la paix avec toute la création, le Pape Jean-Paul II attirait l’attention sur la relation que nous avons, en tant que créatures de Dieu, avec l’univers qui nous entoure. «À l’heure actuelle, on constate – écrivait-il – une plus vive conscience des menaces qui pèsent sur la paix mondiale […] à cause des atteintes au respect dû à la nature». Et il ajoutait que la conscience écologique ne doit pas être freinée, mais plutôt favorisée, «en sorte qu’elle se développe et mûrisse en trouvant dans des programmes et des initiatives concrets l’expression qui convient».[5] Auparavant, d’autres parmi mes Prédécesseurs avaient déjà fait allusion à la relation existant entre l’homme et l’environnement. Par exemple, en 1971, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de l’Encyclique Rerum Novarum de Léon XIII, Paul VI avait souligné que «par une exploitation inconsidérée de la nature, (l’homme) risque de la détruire et d’être, à son tour, la victime de cette dégradation». Et il ajoutait qu’ainsi «non seulement l’environnement matériel devient une menace permanente: pollutions et déchets, nouvelles maladies, pouvoir destructeur absolu, mais c’est le cadre humain que l’homme ne maîtrise plus, créant ainsi pour demain un environnement qui pourra lui être intolérable: problème social d’envergure qui regarde la famille humaine tout entière».[6]
4. Bien qu’évitant d’entrer dans des solutions techniques spécifiques, l’Église, «experte en humanité», s’empresse de rappeler avec force l’attention sur la relation entre le Créateur, l’être humain et la création. En 1990, Jean-Paul II parlait de «crise écologique» et, en soulignant que celle-ci avait un caractère principalement éthique, il indiquait «la nécessité morale urgente d’une solidarité nouvelle».[7] Cet appel est encore plus pressant aujourd’hui, face aux manifestations croissantes d’une crise qu’il serait irresponsable de ne pas prendre sérieusement en considération. Comment demeurer indifférents face aux problématiques qui découlent de phénomènes tels que les changements climatiques, la désertification, la dégradation et la perte de productivité de vastes surfaces agricoles, la pollution des fleuves et des nappes phréatiques, l’appauvrissement de la biodiversité, l’augmentation des phénomènes naturels extrêmes, le déboisement des zones équatoriales et tropicales? Comment négliger le phénomène grandissant de ce qu’on appelle les «réfugiés de l’environnement»: ces personnes qui, à cause de la dégradation de l’environnement où elles vivent, doivent l’abandonner – souvent en même temps que leurs biens – pour affronter les dangers et les inconnues d’un déplacement forcé? Comment ne pas réagir face aux conflits réels et potentiels liés à l’accès aux ressources naturelles? Toutes ces questions ont un profond impact sur l’exercice des droits humains, comme par exemple le droit à la vie, à l’alimentation, à la santé, au développement.
5. Toutefois, il faut considérer que la crise écologique ne peut être appréhendée séparément des questions qui s’y rattachent, étant profondément liée au concept même de développement et à la vision de l’homme et de ses relations avec ses semblables et avec la création. Il est donc sage d’opérer une révision profonde et perspicace du modèle de développement, et de réfléchir également sur le sens de l’économie et de ses objectifs, pour en corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres. L’état de santé écologique de la planète l’exige; la crise culturelle et morale de l’homme le requiert aussi et plus encore, crise dont les symptômes sont évidents depuis un certain temps partout dans le monde.[8] L’humanité a besoin d’un profond renouvellement culturel; elle a besoin de redécouvrir les valeurs qui constituent le fondement solide sur lequel bâtir un avenir meilleur pour tous. Les situations de crise qu’elle traverse actuellement – de nature économique, alimentaire, environnementale ou sociale – sont, au fond, aussi des crises morales liées les unes aux autres. Elles obligent à repenser le cheminement commun des hommes. Elles contraignent, en particulier, à adopter une manière de vivre basée sur la sobriété et la solidarité, avec de nouvelles règles et des formes d’engagement s’appuyant avec confiance et avec courage sur les expériences positives faites et rejetant avec décision celles qui sont négatives. Ainsi seulement, la crise actuelle devient-elle une occasion de discernement et de nouvelle planification.
6. N’est-il pas vrai qu’à l’origine de celle que nous appelons la «nature» dans son sens cosmique, il y a «un dessein d’amour et de vérité»? Le monde «n’est pas le fruit d’une nécessité quelconque, d’un destin aveugle ou du hasard […]. Le monde tire son origine de la libre volonté de Dieu, qui a voulu faire participer les créatures à son être, à sa sagesse et à sa bonté».[9] Dans ses premières pages, le Livre de la Genèse nous reconduit au sage projet du cosmos, fruit de la pensée de Dieu, au sommet duquel sont placés l’homme et la femme, créés à l’image et à la ressemblance du Créateur pour «remplir la terre» et pour «la soumettre» comme des «intendants» de Dieu lui-même (cf. Gn 1, 28). L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et la création, que l’Écriture Sainte décrit, a été rompue par le péché d’Adam et d’Ève, de l’homme et de la femme, qui ont désiré prendre la place de Dieu, refusant de se reconnaître comme ses créatures. En conséquence, la tâche de «soumettre» la terre, de la «cultiver et de la garder» a été altérée, et entre eux et le reste de la création est né un conflit (cf. Gn 3, 17-19). L’être humain s’est laissé dominer par l’égoïsme, en perdant le sens du mandat divin, et dans sa relation avec la création, il s’est comporté comme un exploiteur, voulant exercer sur elle une domination absolue. Toutefois, la véritable signification du commandement premier de Dieu, bien mis en évidence dans le Livre de la Genèse, ne consistait pas en une simple attribution d’autorité, mais plutôt en un appel à la responsabilité. Du reste, la sagesse des anciens reconnaissait que la nature est à notre disposition, non pas comme «un tas de choses répandues au hasard»,[10] alors que la Révélation biblique nous a fait comprendre que la nature est un don du Créateur, qui en a indiqué les lois intrinsèques, afin que l’homme puisse en tirer les orientations nécessaires pour «la garder et la cultiver » (cf. Gn 2, 15).[11] Tout ce qui existe appartient à Dieu, qui l’a confié aux hommes, mais non pour qu’ils en disposent arbitrairement. Quand, au lieu d’accomplir son rôle de collaborateur de Dieu, l’homme se substitue à Lui, il finit par provoquer la rébellion de la nature «plus tyrannisée que gouvernée par lui».[12] L’homme a donc le devoir d’exercer un gouvernement responsable de la création, en la protégeant et en la cultivant.[13]
7. Malheureusement, on doit constater qu’une multitude de personnes, dans divers pays et régions de la planète, connaissent des difficultés toujours plus grandes à cause de la négligence ou du refus de beaucoup de veiller de façon responsable sur l’environnement. Le Concile œcuménique Vatican II a rappelé que «Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples».[14] L’héritage de la création appartient donc à l’humanité tout entière. Par contre, le rythme actuel d’exploitation met sérieusement en danger la disponibilité de certaines ressources naturelles non seulement pour la génération présente, mais surtout pour les générations futures.[15] Il n’est pas difficile dès lors de constater que la dégradation de l’environnement est souvent le résultat du manque de projets politiques à long terme ou de la poursuite d’intérêts économiques aveugles, qui se transforment, malheureusement, en une sérieuse menace envers la création. Pour contrer ce phénomène, en s’appuyant sur le fait que «toute décision économique a une conséquence de caractère moral»,[16] il est aussi nécessaire que l’activité économique respecte davantage l’environnement. Quand on utilise des ressources naturelles, il faut se préoccuper de leur sauvegarde, en en prévoyant aussi les coûts – en termes environnementaux et sociaux –, qui sont à évaluer comme un aspect essentiel des coûts mêmes de l’activité économique. Il revient à la communauté internationale et aux gouvernements de chaque pays de donner de justes indications pour s’opposer de manière efficace aux modes d’exploitation de l’environnement qui lui sont nuisibles. Pour protéger l’environnement, pour sauvegarder les ressources et le climat, il convient, d’une part, d’agir dans le respect de normes bien définies, également du point de vue juridique et économique, et, d’autre part, de tenir compte de la solidarité due à ceux qui habitent les régions plus pauvres de la terre et aux générations futures.

Malus Angustifolia

4 septembre, 2018

malus angustifolia

PAPE FRANÇOIS – La menace du commérage (2.9.13)

3 septembre, 2018

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PAPE FRANÇOIS – La menace du commérage (2.9.13)

MÉDITATION MATINALE EN LA CHAPELLE DE LA MAISON SAINTE-MARTHE

Lundi 2 septembre 2013

(L’Osservatore Romano, Édition hebdomadaire n° 36 du 5 septembre 2013)

La langue, les commérages, les ragots sont des armes qui chaque jour assaillent la communauté humaine, en semant envie, jalousie et avidité du pouvoir. Avec elles, on peut en arriver à tuer une personne. C’est pourquoi parler de paix signifie aussi penser à tout le mal que l’on peut faire avec la langue.
C’est une profonde réflexion que propose le Pape François dans l’homélie de la Messe célébrée dans la chapelle de la Domus Sanctae Marthae, tradition reprise lundi 2 septembre.
Le Pape s’est inspiré du récit du retour de Jésus à Nazareth, tel qu’il est proposé par Luc (4, 16-30) dans un passage de l’Évangile parmi les plus « dramatiques », dans lequel — a dit le Pape — « on peut voir comment est notre âme » et comment le vent peut la faire tourner d’un côté à l’autre. À Nazareth, a expliqué le Pape, « tous attendaient Jésus. Ils voulaient le trouver. Et lui est allé trouver les siens. Pour la première fois, il revenait dans son village. Et eux l’attendaient parce qu’ils avaient entendu tout ce que Jésus avait fait à Capharnaüm, les miracles. Et quand commence la cérémonie, comme d’habitude, ils demandent à l’hôte de lire le livre. Jésus le fait et lit le livre du prophète Isaïe, qui était un peu la prophétie à son propos et c’est pourquoi il conclut la lecture en disant “Aujourd’hui s’accomplit cette écriture que vous avez écoutée” ».
La première réaction, a expliqué le Pape, a été très belle, tout le monde a apprécié. Mais ensuite, dans l’âme de certains, a commencé à s’insinuer le ver de l’envie et on a commencé à dire « Mais où a-t-il étudié celui-là ? N’est-ce pas le fils de Joseph ? Et nous connaissons toute sa parentèle. Mais dans quelle université a-t-il étudié ? ». Et ils ont commencé à prétendre qu’il fasse un miracle : ce n’est qu’alors qu’ils croiraient. « Ceux-là — a précisé le Pape — voulaient du spectacle : “Fais un miracle et nous croirons en toi”. Mais Jésus n’est pas un artiste ».
Jésus ne fit pas de miracles à Nazareth. Il souligna au contraire le peu de foi de qui demandait du « spectacle ». Et eux, a noté le Pape François, « sont rentrés dans une grande colère, ils se sont levés et ils poussaient Jésus jusqu’au mont pour le jeter et le tuer ». Ce qui avait commencé dans la joie menaçait de se conclure par un crime, l’assassinat de Jésus « par jalousie, par envie ». Mais il ne s’agit pas seulement d’un événement qui a deux mille ans, a souligné l’Évêque de Rome. « Cela arrive tous les jours — a-t-il dit — dans notre cœur, dans nos communautés » chaque fois que l’on accueille quelqu’un en parlant bien de lui le premier jour et puis de moins en moins jusqu’à arriver aux commérages presque jusqu’à l’« écorcher ». Celui qui, dans une communauté, cancane contre un frère finit par « vouloir le tuer », a souligné le Pape. « L’apôtre Jean — a rappelé le Saint-Père — dans la première lettre, chapitre 3, verset 15, nous dit cela : celui qui hait son frère dans son cœur est un assassin ». Et le Pape a immédiatement ajouté : « Nous sommes habitués aux commérages, aux ragots » et souvent nous transformons nos communautés et même notre famille en un « enfer » où se manifeste cette forme de criminalité qui conduit à « tuer son frère et sa sœur avec sa langue ».
« La Bible — a poursuivi le Pape — dit que le diable est entré dans le monde par jalousie. Une communauté, une famille peut être détruite par cette jalousie qu’enseigne le diable dans le cœur et fait que l’un parle mal de l’autre ». Et, se référant à ce qui advient ces derniers jours, il a souligné qu’il faut penser aussi à nos armes quotidiennes : « la langue, les commérages, les ragots ».
Ainsi, comment construire une communauté, s’est demandé le Pape ? De la manière « dont est construit le ciel » a-t-il répondu ; de la manière dont l’annonce la Parole de Dieu : « Vient la voix de l’archange, le son de la trompette de Dieu, le jour de la résurrection. Et il dit ensuite : et ainsi serons-nous pour toujours avec le Seigneur ». Donc « pour qu’il y ait la paix dans une communauté, dans une famille, dans un pays, dans le monde, nous devons commencer par être avec le Seigneur ». Et là où se trouve le Seigneur, il n’y a pas d’envie, il n’y a pas de criminalité, il n’y a pas de jalousies. Il y a la fraternité. Demandons cela au Seigneur : ne jamais tuer notre prochain avec notre langue et être avec le Seigneur comme nous tous serons au ciel ».

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