Dieu est « créateur du ciel et de la terre », qu’est-ce que ça veut dire ? La première pensée chrétienne sur le démiurge (extrait)
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Dieu est « créateur du ciel et de la terre », qu’est-ce que ça veut dire ? La première pensée chrétienne sur le démiurge (extrait)
4) Lecture de deux textes : Rm 1, 18-19 et Col 1, 15-19.
a) Rm 1, 18-19. La création (ktisis) du cosmos.
On pourrait citer un exemple très intéressant qui se trouve dans le premier chapitre de la lettre aux Romains. C’est curieusement un texte qui est utilisé très souvent par les théologiens et même par le concile de Vatican Ier pour dire qu’il y a une connaissance naturelle de Dieu. Mais ce n’est pas la question : cette question-là n’intéresse pas saint Paul.
« 18En effet, la colère de Dieu se dévoile du haut du ciel sur toute impiété et tout désajustement des hommes qui détiennent la vérité dans le désajustement. 19Car le connaissable de Dieu est manifesté en eux car (c’est-à-dire) Dieu le leur a manifesté ; 20en effet les invisibles [de Dieu] sont vus à partir de la création (ktisis) du cosmos, par les œuvres (poiêmasin), et son éternelle dunamis (puissance), et sa divinité, en sorte qu’ils [les hommes] soient inexcusables (anapologêtous), 21parce que, connaissant Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu, ni eucharistié, mais ils se sont évanouis dans leurs dialogismes, et leur cœur insensé s’est enténébré. 22Prétendant être sages (allusion à la philo-sophia), ils sont devenus fous.» (Rm 1).[9]
Vous avez ici une analyse de l’entrée du péché dans le monde. Très souvent l’entrée du péché dans le monde se dit en référence à la figure d’Adam, sous plusieurs formes d’ailleurs[10], mais ici c’est « ils » et c’est le même péché qui est en question. En quoi consiste le péché essentiel ? « Ils n’eucharistièrent pas » c’est-à-dire qu’ils ne furent pas au monde sur le mode du don puisque eucharistier c’est rendre grâce. Les deux modes d’être au don c’est « demander » ou « remercier », donc la demande et l’action de grâces. Ici c’est « ils n’eucharistièrent pas » alors que le monde leur a été donné. Mais que le monde donné soit dévoilé comme figure de Dieu n’est pas du tout de l’ordre de la connaissance naturelle, c’est un dévoilement.
Autrement dit ce qui concerne le monde et la ktisis (la présence de l’homme au monde) c’est quelque chose qui a sa place éminemment dans le Nouveau Testament mais qui est manqué dès l’origine ; et c’est ce qui est repris dans l’Eucharistie, c’est-à-dire dans l’action de grâces qui est l’action de grâces que le Christ accomplit en accomplissant l’œuvre. Voilà la perspective ouverte par cette page. C’est très intéressant pour la notion de péché. Tous les termes seraient à méditer.
Voilà ce que j’avais à dire. Il est important de ne pas prendre le Père « tout-puissant, créateur » en premier comme le « tout-puissant fabricateur du monde ». Ce qui est en premier c’est la paternité, c’est la divine régie du prince du monde nouveau, et de tout ce qui relève de ce qui est donné, y compris cela qui s’appelle la ktisis c’est-à-dire l’humanité toute entière, d’abord au sens paulinien, et puis le monde.
Est-ce que je me fais comprendre sur cette position par rapport à l’idée de création ? Vous ne voyez peut-être pas immédiatement pourquoi j’insiste sur ce point, enfin vous apercevez quelque chose. Et je rappelle que le tout premier Credo dit « Je crois en Dieu, Père et Pantokratôr » « point ».
b) Col 1, 15-19 : Créateur du ciel et de la terre.
La formule « créateur du ciel et de la terre » donne une idée de la création qui est assez éloignée sans doute de ce que nous en pensons. On trouve ciel-terre partout chez Jean. Et le lieu fondamental, chez Paul se trouve au chapitre premier de la lettre aux Colossiens où il s’agit du Christ.
« 15Il est l’image du Dieu invisible – il est donc le visible de l’invisible : « Faisons l’homme à notre image » (Gn 1, 26) signifie chez les anciens « Faisons le Christ ressuscité » car « l’homme à l’image » c’est le Christ. En effet image et fils ont un rapport, on trouve cela par exemple dans « Adam vécut 130 ans, à sa ressemblance et selon son image il engendra un fils » (Gn 5, 3). L’image n’a pas le sens dégradé d’une image par rapport à un modèle, l’image c’est la venue à visibilité de la chose elle-même – premier-né de toute ktisis – de toute création c’est-à-dire de toute l’humanité – 16car en lui la totalité a été créée dans les cieux et sur la terre – on peut dire qu’il est arkhê, donc « En lui la totalité a été créée » ce qu’on traduit par : « Dans l’arkhê (dans le principe) la totalité fut créée (c’est-à-dire le ciel et la terre) ». Nous avons donc ici une lecture christologique de la première ligne de la Genèse : « Dans l’arkhê Dieu créa le ciel et terre ». Et la suite du texte commente « dans les cieux et sur la terre » – les visibles et les invisibles – le ciel c’est les invisibles, et la terre c’est les visibles ; il n’est pas question ici d’une sorte d’infériorité. Or la liste du Credo de Cyrille de Jérusalem garde ceci : « créateur du ciel et de la terre, de tous les visibles et invisibles » ; et le concile de Nicée, qui s’appuie sans doute sur le Credo de Cyrille comme certains le pensent, nous donne ce que nous disons : « créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible » ; donc il reprend cela, il ne le crée pas purement et simplement. C’est une tradition qui progressivement s’installe, se précise. Au fond ceux que Paul appelle les invisibles ce sont ceux qu’il appelle : – les trônes, les seigneuries, les principautés et les puissances. La totalité a été créée par lui et en vue de lui, 17et il est avant toute chose etla totalité se tient en lui – voilàles invisibles ; et les visibles sont les hommes – 18et lui est la tête du corps qui est l’Ekklêsia – « en tête » c’est la traduction du mot « én arkhê » qui traduit le mot hébreu bereshit, mot qui a pour racine rosh (la tête) ; « entête », c’est ainsi que Chouraqui traduit bereshit. La « tête du corps », c’est la même chose que le principe (ou le prince) de la totalité, car le corps signifie ici la totalité de l’humanité. « Le corps qui est l’Ekklêsia » c’est-à-dire l’humanité convoquée – lui qui est arkhê – képhalê (tête) et arkhê, sont deux mots qui traduisent le reshit de bereshit ; et ceci, qui est une lecture de la Genèse, est en fait une lecture à partir de la Résurrection – premier-né d’entre les morts– vous voyez le rapprochement fulgurant qui est fait ici – en sorte qu’il soit en tout prééminent, 19puisque Dieu a trouvé bon qu’habite en lui tout le plérôme (la plénitude). » Le Plêrôma c’est ici la plénitude des dénominations, des trônes, des seigneuries etc. mais aussi de l’humanité. « Le plêrôma habite en lui » : habiter est un verbe du Pneuma, c’est le Pneuma qui habite. Le Plêrôma c’est le Pneuma, c’est la plénitude. Elle habite dans le Christos, c’est-à-dire que le Pneuma descend en plénitude sur le Christos, et la mort du Christos est la condition pour que le Pneuma se répande sur la totalité de l’humanité. Le Pneuma descend dans la parole « Tu es mon Fils » lors du Baptême, et cette plénitude est pour l’Ekklêsia, c’est-à-dire pour la convocation de l’humanité tout entière.
La notion de corps mystique (comme on a dit par la suite) ne se base pas sur une sorte de comparaison avec la membrure d’un corps humain, avec une planche anatomique. C’est la méditation du mot « én arkhêi » le premier mot de la Genèse.
Il est l’arkhê de la totalité, c’est-à-dire la tête du corps, il est le principe de la plénitude (du Plérôme), le Plérôme étant en même temps l’Esprit de résurrection qui se répand sur la totalité.
C’était donc à propos de « créateur du ciel et de la terre ». Mais chez Paul, quand il est question de la création, il est question de la création à partir de ce qui se dit ultimement, c’est-à-dire « le premier-né d’entre les morts » et donc le Prince (ou le principe) de la résurrection pour la totalité de l’Ekklêsia.
Le ciel c’est aussi le plus intime.
Ciel et terre : nous avions dit à l’occasion de « Notre Père qui es aux cieux » que ciel nomme certes le lointain, mais nomme plutôt l’insu que le lointain, c’est-à-dire l’invisible Or ce qui est plus proche de nous que ce que nous voyons est plus loin que le lointain. Je veux dire par là que c’est le plus intime de nous-mêmes qui est à nous-mêmes le plus lointain. C’est pourquoi quand nous disons le Notre Père, si nous levons les yeux aux cieux, nous pouvons aussi les fermer sur le plus intime de nous-mêmes, c’est la même chose[11].
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